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Full text of "Histoire des maîtres généraux de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Tome second: 1263-1323"

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373966 


R. P. MORTIER 

DES FRÈRES PRÊCHEURS 


HISTOIRE 

DES 

MAITRES GÉNÉRAUX 

DE L’ORDRE 

DES FRÈRES PRÊCHEURS 


TOME SECOND 

1263-1323 


PARIS 

ALPHONSE PICARD ET FILS, ÉDITEURS 

82 , RUE BONAPARTE, 82 

1905 


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HISTOIRE 

DBS 

MAITRES GÉNÉRAUX 

DE 

L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 


TOME SECOND 

1263-1323 


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373966 


R. P. MORTIER 

DES FRÈRES PRÊCHEURS 


HISTOIRE 

DES 

MAITRES GÉNÉRAUX 


DE L'ORDRE 

DES FRÈRES PRÊCHEURS 


TOME SECOND 

1263-1323 


. • 



PARIS 

ALPHONSE PICARD ET FILS, ÉDITEURS 

82 , RUE BONAPARTE, 82 

1905 


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AU 

RÉVÉRENDISSIME PÈRE F. HYACINTHE-MARIE CORMIER 

SOIXANTE-SEIZIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L'ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

ÉLU AU COUVENT DE NOTRE-DAME DE LA QUERCIA LE 21 MAI 1904 

TRÈS RESPECTUEUX HOMMAGE DE FILIALE VÉNÉRATION 


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SUPERIORUM LICENTIA. 


Imprimatur : 

Turonibus, die i2 Novembris i904. 


f RENATUS FRANCISCUS, Archiep. Turow. 


En donnant à certains personnages le titre de Bienheureux, Fauteur n'entend 
préjuger en rien les décisions du Saint-Siège. 


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AVANT-PROPOS 


La plupart des critiques faites au premier volume de cet 
ouvrage ont été empreintes d’une grande bienveillance. 

Que l’on me permette d’en relever une seule. 

Quelques-uns se sont montrés surpris de l’ampleur que 
prenaient parfois les récits d’événements arrivés sous tel ou 
tel Maître Général, importants sans doute et d’intérêt com¬ 
mun, mais où l’on ne voyait pas d’une manière évidente 
l’action personnelle de chacun d’eux. 

Celte critique provient de ce que l’on a considéré ce travail 
comme une série de biographies. Tel n’est point mon but. 
Le restreindre à cette limite, c’est en rapetisser la portée. Mon 
plan est très net et très précis. Comme le dit assez haut le titre 
de l’ouvrage, je ne fais point simplement la biographie des 
Maîtres Généraux, mais leur Histoire. Dans cette Histoire, 
qui élargit immédiatement le cadre, entrent les actes per¬ 
sonnels de chaque Général, entrent également les événements 
principaux accomplis sous son administration. Ils constituent 
la physionomie intégrale de son Généralat. C’est pour accen¬ 
tuer ces traits caractéristiques que je n’hésite pas à faire 
mouvoir les Maîtres dans le milieu où ils ont vécu, à signaler 
leur attitude dans les grands événements ecclésiastiques ou 


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VIII 


AVANT-PROPOS 


politiques de leur époque, risque à en tracer rapidement la 
silhouette historique. De cette façon, chaque Général appa¬ 
raît, dans l’Ordre et au dehors, à sa place réelle. 

En sorte que, comme je l’ai annoncé dans le prospectus 
initial, ce travail offrira, une fois terminé, l’histoire substan¬ 
tielle de l’Ordre des Frères Prêcheurs. On ne peut, à mon 
avis, écrire l’histoire des Maîtres Généraux de l’Ordre sans 
écrire par là même, dans ses lignes principales, l’histoire de 
l’Ordre lui-même. 

L’Autkür. 


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LE 


BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 

SIXIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L'ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

1264-1283 


CHAPITRE I 

SES ORIGINES FAMILIALES ET DOMINICAINES 


Le lieu de naissance du bienheureux Jean de Verceil est assez 
douteux. Est-ce Verceil, comme semblerait l’indiquer son nom et 
comme le veulent de nombreux historiens 1 ? Ne serait-ce pas plu¬ 
tôt, selon une antique tradition, richement documentée également, 
ce joli bourg appelé Mosso Santa Maria, autrefois dépendant de 
Verceil, caché sous l’ombre de ses châtaigniers, à mi-côte des 

1 Ce sont, entre autres : Léandre Albert, De Viris illustr. Ord. Præd., p. 38, 
Bologne, 1517 : « Joanncs ex Vereellis insubrium Galliæ Cisalpinæ originem traxit, 
quibus vero parentibus non constat. » 

Marc-Aurelio Cusano, Istorin di Vercelli, ms. inéd. Arch. capitul. de Verceil, 
vers 1612 : *< Beato Giovanni de Mossi, nobile Vercellese. »> 

Fr. Michèle Pin, Ord. Præd., Delle Vite degli hnomini illnslri di S. Domenico, 
Pavie, 1613 : « ... Fra Giovanni Moxo da Vercelli. huomo di raro ingegno. »> 

Carlo Amadeo ^ellini, Annnli delta cilla di Vercelli, ms. inéd. Arch. capitul. de 
Verceil, 1617 : « Beato Giovanni Mosso, nobile di Vercelli. » 

De même dans son autre ouvrage inédit, ms. Arch. capitul. de Verceil, Sérié 
degli uomini e delle donne illuslri délia cilla di Vercelli : « Beato Giovanni délia 
prosapia dei Mossi antica e nobile di questa città. » 

F. Aurelio Corbellini, Vile de’ Vescovi di Vercelli, Milano, 1613 : « Giovanni de' 
Mossi, in quei tempi nobili di sangue... » 

Alessandro Mella Arborio, la Chiesa di Vercelli, ms. inéd. Arch. capitul. de 
Verceil, 1658 : « Fra Giovanni Mosso, di famiglia antica ed illustre in Vercelli. » 
Breve notitià del Convenlo di S. Paolo di Vercelli , ms. inédit. Arch. général., 
lib. M, pp. 279-281, 1725 : «« Giovanni délia famiglia de’ Mossi, nobile Vercellese. »» 
Pour ces références, cf. Mothon, Vila del B. Giovanni da Vercelli, app. I, p. 529. 

II. - 1 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


2 

dernières ondulations des Alpes qui viennent doucement expirer 
à ses pieds 1 ? 

Frère Galvanus de la Flamma, qui écrivait à Milan au com¬ 
mencement du xiv® siècle, une trentaine d’années après la mort du 
bienheureux Père, lui donne le nom de Frère Jean de Moxo de 
Verceil î Frater Johannes de Moxo Vercellensis 2 . 

Ces deux noms accolés l’un à l’autre ne sont pas pour éclaircir 
la question. Il semblerait, à première vue, qu’ils la tranchent 
radicalement, puisque nous y trouvons tout à la fois le village de 
Mosso et la mention du territoire de Verceil. Mais j’ajoute tout de 
suite qu'il y avait, dans la ville même de Verceil, une famille noble 
qui portait le titre de Mosso. Cette famille existait, cela est cer¬ 
tain, au xin c siècle. On en suit même la descendance jusqu’à nos 
jours 3 . 

C’est l’origine de l'opinion qui fait naître Jean à Verceil, de 
cette famille Mosso, tandis que les partisans adverses lui assignent, 
d’après une tradition continue, comme pays natal, le village de 
Mosso Santa Maria. 


1 Pour cette opinion : 

Délia Chiesa, Corona reale di Savoia,.,. Torino, 1657 : « Fu di questo luogo (Mosso) 
il beato Giovanni detto da Mosso... Quindi e clic il beato Giovanni Garbella sopra- 
nominato, detto da Mosso secundo l'usanza de' Frati, viene da alcuni chiamato di 
Vcrcelli, da aîtri di Bielle... » 

Carolo Tenivelli, Biografia Piemontese, p. 83, Torino, 1789 : « Mosso, terra Biel- 
lese oggi feudo délia nobile casa Panissera délia città di Moncalieri, fu sul secolo 
duodicesimo patria del célébré Domenicano fra Giovanni de Garabclli o Gar- 
belli. » 

Mons. Davidc Riccardi, Il beato Agostino de Fangi , opusc. édit, à Biela en 1874» 
préface, p. xvm : « B. Giovanni Garbelli di Mosso ... fu adunque la sua patria 
Mosso, e la famiglia Garbelli... » 

Colomiatti, Calendario Eccles. t Torino, 1898 : « Nato (Giovanni) a Mosso Biellese. »» 
Ca lendario istorico, ossia diario délia storia del Piemonte, Torino, 1818 : « 3 no¬ 
vembre, festa del Beato Giovanni Garbella da Mosso sul Biellese generale dei 
Domenicani. » — De même, en 1842, dans Y Indicafesle vigilante Almanacco per 
l'anno 1812. De même, en 1813, dans Y Almanacco Universale ; en 1844, dans le Dia¬ 
rio Yercellese Diocesano. 

2 Chron., p. 37. Ed. Reichert. Il a lu : de Moro. 

3 La famille Mosso était, au xm* siècle, bien implantée à Verceil. En 1293, peu 
après la mort de Jean de Verceil, ou trouve un chanoine de la cathédrale de 
Saint-Eusèbe appelé Giacomo Mosso; en 1350, un Ubertino , son arrière-neveu. Il 
eut deux fils : Eusebio et Curiotto. D’Eusebio sont venus Agostino et Antonio. 
Antonio devint massier de Sainte-Marie-Majeure de Verceil. En 1411, on trouve 
deux fils d*Agostino, Andrea et Tonimaso. Andrea eut un lils appelé Eusebio, et 
Tommaso, un fils appelé Giovanni. Ce Giovanni eut pour fils Francesco Bernardino. 
C’était une famille noble de Verceil. 

Francesco Bernardino eut deux fils : Filippo et Antonio. Filippo devint bénéfi¬ 
cier de San Giuliano de Stroppiana, en 1567. Antonio n’a pas laissé de postérité. 

La descendance de Curiotto se continua plus longuement. Il eut un fils, Gio¬ 
vanni Giacomo, dont un descendant, en 1540, Tommaso, docteur, transporta sa rési¬ 
dence à Livorno, où il acquit une part de seigneurie. En 1670, un de ses descendants 
portait le titre de Giovanni Tommaso Mossi, marquis de Torrione et comte de la 
Sarletta. Ce titre a persévéré dans la famille actuelle des Pallavicino-Mossi, héri¬ 
tiers de l’antique race des Mosso. — Cf. Bellini, Sérié degli uomini e delle donne 
illustri délia città di Vercelli, ms. inéd. Arcli. capitul. de Verceil. 


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CHAPITRE I 


3 


Ces deux opinions ont chacune d’opulentes raisons, et toutes 
deux peuvent s’appuyer sur le texte ambigu de Galvanus de la 
Flamma 1 . 

Cependant, tout comparé et tout pesé, celle qui favorise le vil¬ 
lage de Mosso paraît la plus probable et touche presque à la 
certitude. 

La famille des Mosso de Verceil a encore, aujourd'hui, des 
représentants. C’est la noble maison des Pallavicino-Mossi, dont 
la résidence est à Torrione di Costanzana. Elle a hérité, avec le 
nom de l’antique race des Mosso, ses papiers de famille, ses 
archives privées. Le vénérable archevêque de Verceil, Monseigneur 
Frère Lorenzo Pampirio, de l’Ordre des Prêcheurs, ardent promo¬ 
teur de la béatification de Maître Jean, a demandé si, dans la 
famille, on avait quelque tradition, quelque document perpétuant 
le souvenir de l'homme de Dieu. Il lui fut répondu, après recherches 
minutieuses, que rien n’autorisait, chez les Pallavicino-Mossi, la 
croyance à une parenté quelconque avec Jean de Verceil 2 . Cette 
réponse négative a une grande valeur. Nos Pères, qui avaient le 
sens chrétien très affiné, ont toujours gardé, comme un titre de 
noblesse, la mémoire des hommes les plus saints nés de leur sang. 
Pareil silence, pareil oubli, quand il s’agit d’un personnage qui 
eut dans l'Eglise une influence si profonde et qui jouit, en son 
temps, d’une réputation si universelle, sont déjà des arguments 
très sérieux contre la descendance de la famille Mosso, à Verceil. 

Mais il y a plus. 

Si, du côté des Mosso de Verceil, la nuit s’est faite sur la figure 
de Jean, comme elle se fait, sombre, sur les traits d’un inconnu 
ou d’un indifférent, au village de Mosso Santa Maria son sou¬ 
venir est demeuré vivant. Après six siècles on y connaît encore 
Jean Garbella, Maître Général des Prêcheurs, vénéré comme un 
saint. Car là-bas, sous les châtaigniers de la montagne, c’est 
Jean Garbella qu’on l’appelle. Si vous entrez dans la maison d'un 
certain Gianolio Giovanni, dernier descendant des Garbella, vous 
trouverez un tableau ancien représentant un religieux dominicain 
avec cette inscription : Bea™ Johannes Garbella loci S. Mariac Moxi 3 . 

Ce que dit le tableau, tout le peuple le sait et le répète avec 
conviction. Les almanachs mêmes du Piémont, dans leur calendrier 
des Saints, le disent aussi. Au 3 novembre, d’année en année, 
depuis celui de 1818, le premier que l’on connaisse, ils inscrivent 
en ces termes la fête du bienheureux Jean : F esta del beato Gio - 


1 Fr. Johannes de Moxo Vercellensis. On peut traduire : ou Frère Jean né à 
Mosso, au diocèse de Verceil ; ou Frère Jean de la famille Mosso de Verceil. 

2 Mothon, Vita del B. Giovanni da Vercelli, app. i, p. 528. 

2 Ibid., p. 532. 


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4 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


vanni Garbella da Mosso, nel Biellese 1 . C’est donc une affirma¬ 
tion populaire. 

Étant donné que la famille des Mosso de Verceil ne revendique 
en aucune façon la parenté du Bienheureux, et que, bien au con¬ 
traire, à Mosso Santa Maria, la famille Garbella et tout le peuple 
s’en prévalent comme d’un honneur patrimonial, je crois, en saine 
critique, à la lumière de ces faits, que Frère Galvanus dans son 
texte a voulu dire : « Jean, natif de Moxo, au diocèse de Verceil. 
Johannes de Moxo Vercellensis. » 

Et comme le village de Mosso était une localité peu célèbre, les 
contemporains de Jean l’ont désigné, selon un usage commun au 
moyen âge, par le nom de son diocèse 2 . Tout le monde rappelait 
Jean de Verceil. D’autant plus que, après son entrée dans l'Ordre 
des Prêcheurs, il habita le couvent de Verceil. Séjour qui, à lui 
seul, suffisait pour lui en donner le nom 3 , lors même qu’il n'eût 
été originaire ni de la ville, ni du diocèse. 

De ses premiers pas dans la vie, rien n’est connu. On ne le 
trouve avec certitude que dans l’Université de Paris, où pendant 
quelque temps il professa le droit canon 4 . 

Né dans les premières années du xuie siècle, — la date précise 
reste incertaine,— Jean, comme beaucoup de ses compatriotes, se 
rendit à Paris, dès son adolescence, pour y suivre les cours uni¬ 
versitaires. La licence obtenue, il ouvrit une école. Rien, à cette 
époque, dans les statuts universitaires, ne lixait l’âge requis pour 
enseigner le droit. Dans le décret du cardinal Robert de Gourçon, 
qui parut au mois d’août 1215, on ne parle que de la licence pour 
les arts et la théologie. Il fallait vingt et un ans pour enseigner 

1 Mothon, Vitu del B. Giovanni da Vercelli, app. i, p. 533. 

2 Comme le bienheureux Jourdain de Saxe, noinnu 1 ainsi de sa patrie; le bienheu¬ 
reux Réginald dit d’Orléans, où il fut doyen du Chapitre ; le bienheureux Augustin 
de Lucera, où il fut évêque. 

8 Jean le Teutoniquc est appelé Jean de Strasbourg, parce qu’il habita ce cou¬ 
vent. On pourrait multiplier ces exemples. 

* Tous les auteurs anciens et modernes sont d’accord sur ce point. Bernard 
Gui : « Sextus Magister Ordinis, successor Fr. Humberti, Fr. Joannes de Vercel- 
lis. provinciæ Lombardiæ, qui rexerat Parisius in jure canonico. »* 

Taegio, Chron. umpliss., p. 109 : « Hic rexerat Parisius in jure canonico. » — 
Sébastien de Olmedo, Chron. nova : « Joannes de Yercellis, Italiens, natione 
Lumbardus, juris peritia quæ tune quidem magniticabatur magis, nec minus reli- 
gionis disciplina præclarus... dona quoque scientiœ splendens diu doctor in decrctis 
rexit in seculo. » 

Léandre Albert, De Viris illustr. Ord. Præd., p. 38 : « Antequam sanctæ con¬ 
versation^ vestimentis indueretur, Parrhysii, publico stipendio, pontificium jus 
docuerat. » 

Michèle Piô, Dette Vite deyli huomini illustri delV Ordine di S. Domenico : 
« Priusquam Ordini nomen daret, in Academia Parisiensi célébré jam sibi nomen 
fecerat; in Facultate enim dccretorum Doctor renunciatus jus canonicuni publiée 
cum laude protltebatur et docebat. »» 

Andezeno répète la même chose dans ses Provinciæ S. Pétri Martyris dictæ 
Mémorisé hisloricœ, f. 18. Ms. arch. Ord. — Echard, Scriptores, I, p. 210. 


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CHAPITRE I 


5 


les arts, et les avoir étudiés pendant six ans 1 ; trente-cinq ans 
pour enseigner la théologie, après huit ans de cours, dont cinq de 
théologie *. L'enseignement du droit canon était laissé à ses usages 
d'autrefois, usages dont aucun document ne fait preuve. 

Si l’on enseignait les arts à vingt et un ans, il est difficile de 
ne pas admettre que la licence pour les décrets n’ait été accordée 
à un âge à tout le moins égal. La science du droit suppose une 
raison assez solidement formée pour en distinguer et en apprécier 
les principes et les solutions pratiques. D’où il résulte que Jean de 
Verceil, né au commencement du xmc siècle, enseignait le droit à 
Paris à l’àge de vingt-deux ou vingt-trois ans, vers 1225. Il a été 
le témoin, comme étudiant, de la fondation des Prêcheurs à Saint- 
Jacques (1218); du mouvement prodigieux suscité dans l’Université 
par la prédication de saint Dominique et du bienheureux Régi- 
nald (1219-1220). Puis, alors qu’il terminait ses études et prenait 
la licence, le bienheureux Jourdain de Saxe, l’apôtre des Univer¬ 
sités, attirait à l’Ordre par le charme de sa parole et la grâce de sa 
personne maîtres et élèves, subjugués et ravis (1222-1237). 

On peut dire que Jean de Verceil fut élevé dans ce milieu domi¬ 
nicain, dont la nouveauté hardie, les tendances généreuses, l’ab¬ 
solu désintéressement, l’esprit foncièrement évangélique et cette 
fraîcheur candide des grandes choses qui commencent, entraînaient 
les cœurs. Sa jeunesse studieuse a été bercée par la parole des 
premiers Prêcheurs. 

Le jeune docteur ne put résister à l’attirance de cette vie nou¬ 
velle. ^tre pauvre comme le Christ, comme lui vivre d’aumônes, 
s’adonner à la pénitence, au travail intellectuel, chanter jour et 
nuit les louanges de Dieu, et surtout, ce qui était le propre de la 
fondation de saint Dominique, prêcher l’Evangile en tous lieux, 
tous ces éléments d’activité religieuse lui parurent la réalisation 
pratique du véritable apostolat. Il sollicita, comme tant d’autres 
Maîtres, la faveur d’être admis au nombre des Prêcheurs. 

Est-ce à Verceil, est-ce à Paris qu’il fut pris dans les filets de 
Jourdain de Saxe? Rien de certain ne peut être affirmé. Le bien¬ 
heureux Père visitait toutes les Universités ; tantôt à Paris, tantôt 
à Bologne, à Padoue comme à Verceil, il prêchait sans relâche aux 
écoliers. Car à Verceil même florissait une Université dont les 
maîtres jouissaient d’une haute réputation. Il n’y aurait donc rien 

* <* Nullus légat Parisius de artibus citra vigesimum prinutni etatis sue annuni, 
el quod sex annis audierit de artibus ad minus. » (Denitle, Chartul. Unir. Paris., 

I, p. 78 , n° 20.) 

2 « Circa statum theologorum statuiinus quod nullus legal Parisius citra trigesi- 
mum quintum etatis sue annuni et nisi studuerit per octo annos ad minus et libros 
fideliter et in scolis audierit, et quinque annis audiat theologiam antequam privatas 
lectioncs légat publiée. •» (Ibid., p. 79, n» 20.) 


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6 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


d’étonnant à ce que Jean, après les années d’enseignement exigées 
de quiconque était reçu Maître à Paris, eût repris le chemin de sa 
patrie et eût ouvert, à Verceil, une école de droit. Beaucoup le 
faisaient 1 . Voici ce que raconte Gérard de Frachet : « Il y avait 
à Verceil un personnage remarquable, très versé dans la science 
du droit. Un jour il apprit que quelques-uns de ses élèves allaient 
entrer chez les Prêcheurs. Très ému, il réfléchit longuement; puis 
tout à coup, laissant sur son bureau ses livres ouverts, sans se 
préoccuper de ce qu’il abandonnait dans sa maison, il se précipita, 
comme un insensé, vers la résidence des Frères. 

« En route, il se heurte à un ami qui, surpris de le voir courir 
ainsi, seul et hors de lui, lui demande où il va : « Je vais à Dieu ! » 
répond le Maître sans s’arrêter. Arrivé dans la maison où se trou¬ 
vaient les Frères, — qui n’avaient pas encore de couvent à Verceil, 
— il s’approche de Jourdain, au milieu des novices, enlève le riche 
manteau de soie dont il était revêtu et se prosterne à terre. Comme 
enivré par la grâce de Dieu, il ne savait que répéter : « Je suis 
« de Dieu! je suis de Dieu! — Puisque vous voulez être de Dieu, 
« dit le bienheureux Jourdain, je vous remets entre ses mains. » Et, 
séance tenante, sans autre examen, il lui donna l'habit de l’Ordre. 
Ces faits, ajoute le chroniqueur, m’ont été racontés par quelqu’un 
qui était présent, qui a tout vu, tout entendu 2 . » 

Maître Jean n’est point nommé. Mais à l’époque où Gérard 
de Frachet écrivait (1245), il vivait en Lombardie; c’était l’usage, 
comme on peut s’en rendre compte, de ne pas nommer les reli¬ 
gieux encore vivants. D’autre part, cette science du droit, cette 
qualité de personnage remarquable, cet enseignement à Verceil, 
même la ferveur insolite qui le jeta aux pieds de Jourdain de 
Saxe, concordent bien avec ce que l’on connaît de la personne de 
Jean de Verceil. Sans prétendre à une certitude historique, cette 
vestition si mouvementée peut être la sienne. 

Mais il n’est pas probable que ce fait ait eu lieu lorsque Maître 
Jourdain, prêchant à Verceil, écrivit à Frère Etienne, Provincial 
de Lombardie, le succès, douteux d’abord, puis si fructueux, de sa 
parole 3 . Dans cette lettre, il raconte ce qu’il a fait à Verceil; il 
donne les noms ou les grades universitaires des principaux novices 
que son éloquence a séduits 4 : comment n’aurait-il pas parlé de ce 
postulant venu d’une manière si extraordinaire, alors que ce pos¬ 
tulant était un des Maîtres en droit les plus en vue de Verceil, un 


1 Cola esl d'autant plus probable, que les (roubles universitaires à Paris en 1229 
forcèrent la plupart des maîtres à se retirer ailleurs. Cf. t. I, p. 229 et ss. 

2 Vitæ Fnitrnm , p. 173. Ed. Reicliert. Louvain. 1896. 

3 B. Jourdain de Saxe, Opp., p. 106. Ed. Berthier. Fribourg. 1891. 

* Ibitl. 


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CHAPITRE I 


7 


Maître de Paris? Ce silence, au milieu de tant d autres détails, 
semble significatif. Et l’on ne peut conclure de cette lettre ni que 
Jean ait pris l’habit à Verceil même, ni surtout qu’ayant reçu 
l’habit, il ait été conduit avec les autres novices à Bologne'. Il y 
est dit,’ au contraire, que Maître Jourdain conduisit presque toutes 
ses recrues à Gênes, que deux partirent immédiatement pour 
Montpellier, et que les autres attendirent quelque temps encore 
à Gènes. Il n’est pas question de Bologne. 

Le couvent où Frère Jean de Verceil fit son noviciat et ses études 
théologiques demeure donc incertain; incertaine également la part 
qu'il prit à la fondation du couvent de Verceil. Ce couvent fut éta¬ 
bli vers 1234, grâce à la générosité de Giacomo Vialardi, prévôt 
du Chapitre de la cathédrale 2 . On donna aux Prêcheurs l’église de 
Saint-Paul avec le monastère adjacent, habité par les moines 
de San Orso. 

Il était situé hors les murs de la ville, près la porte Aralda . La 
tradition veut, — mais rien que la tradition, car aucun document 
contemporain ne le dit, — que les deux premiers religieux envoyés à 
Verceil furent Philippe Carisius* et Jean, tous deux natifs du pays. 
Giacomo Vialardi ne les laissa pas sans ressources. Dès leur arrivée 
il fait un testament en leur faveur, afin que, s’il venait à mourir, les 
Prêcheurs de Verceil n’eussent point à souffrir de sa disparition 


1 Père Mothon, V/«# del D. Giovanni (in Vercelli , pp. 41-15. Ce n'est pas non 
plus au Frère Philippe, mais au Frère Etienne d'Espagne que la lettre est adressée. 
( Ibid.) 

2 Ibid., app. u, p. 535 et ss. . .. n . 

i Cf. Notizic del Convento di S. Panlo di Vercelli dell Online (h Predicaton. 
Ms. anonyme du xvu- sièele. A,-ch. Ord., lib. M, p. 279. - Andcwno 
historien,'Proc. S. Pétri Mari., pp. i« et 300. Ms. arc h. Ord hb. A JI-l • - 
Hyacinthus Triverius, /n Fnstis Proc. S. Pelri Mari. Ms. areli. Ord hb. H.- 
Galateri, Memorie soprn la fundazione, progress, ed mleressi del Loniento dt 
S. Pnolo de’ Predicatori délia ciltà del Vercelli, Arcli. capit. de Verceil, xvm siècle. 
Cf. Père Mothon, op. cil., app. n, p. 535 et ss. lTii 

< « Nobili genere natus et juris canonici doctor celebemmus, Capellanus U. tlu- 
tronis episcopi Vercellensis et Canonicus magnarum præbendarum habiLum Ordinis 
induit Bononiæ anno 1219 manibus Ss. P. Dominiei. Vidimus jam cum Procura to- 
rem institutum pro causa canonizationis Ss. Patris multum laborasse ut rem ad 
exitum perduceret, quod féliciter præstitit. Anno 1238 inter graviores Ordinis habi¬ 
tus una simul cum Fr. Stephano Hispano, Provinciali Lombardue et Fr. Hugone 
a S. Charo, Provinciali F'ranciæ, deputatus est Barcinonam ut persuadèrent rr. Hay- 
mundum de Magisterio supremo acceptando juxt-a vota Capituli générait s eodeni 
anno Bononiæ celebrati. Ter electus ut Prior Provincial» Lombardiae. Anno 126o 
obiit decrepitus... >. (Andezeno, op. cit., pp. 27, 31.) Le B. Philippe Cariants était 
donc un personnage hors ligne. 

» Voici la partie du testament concernant les Prêcheurs. On y trouve des détails 

intéressants sur les usages du temps. , 1 . ... 

« Domui Fratruin Ordinis Prædicatorum S. Pauli Vercellensis dentur et mittan- 
tur etiam sine requisitione Modius unus frumenti et Modii duo Sicalis pulchri, et 
boni Bladii ; item cicerum et fasolorum et fabarum de singulis starium unum, ommu 
ad mensuram Vercellensem in Kalendis Septembris; item Eideru domui Buttunnus 
unus geptem Sextariorum puri vini de meliore prædictarum Vinearum , vel æqui- 


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8 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Entre autres choses, il leur léguait ses livres, à condition toute¬ 
fois de ne pas les vendre, ni de les donner en cautioil, ni même 
de les prêter, si ce n’est à certaines personnes ou à des commu¬ 
nautés mentionnées dans le testament 1 . Les Pères tinrent cette 
donation en si grande estime que, quelques années après la mort 
de leur bienfaiteur*, ils demandèrent au Pape Alexandre IV de 
confirmer, par son autorité, le legs qu’il leur avait fait 3 . A cette 


valens pro Sacrificiis et infirmis delur et mittatur tempore vindemiarum ad 
domum ipsoruin Fratrum sine sumtibus eorum; item singulis Kalendis totius anni 
mittatur unus Sextarius boni et puri vini de monlibus, Fratribus eiusdem domus 
pro debilibus et indigentibus, item dentur iisdem Fratribus libræ quinque pro 
panno caparum et tunicarum in festo Omnium Sanctorum; item in festo Conver- 
sionis S. Pauli mittatur iisdem Fratribus unus Sextarius boni et puri vini de mon- 
tibus et panes unius Sextarii frumenti; item die præcedenti anniversarium meum 
mittantur eisdem Fratribus panes unius minæ frumenti, et mina una boni et puri 
vini de montibus et solidi decem papienses pro pictantia Conventus et tanlumdem 
panis et vini et denariorum mittatur eisdem in Commemoratione Domini Guallæ 
de Bicheriis et Domini Leonis Brancaleonis Presbiterorum Cardinalium et Magistri 
Marii Canonici cl Subdiaconi Ecclesiæ S. Mariæ Consanguinei et Xutritoris mei, 
et omnium Parentum et Benefactorum meorum, quod volo fieri pridie nonas 
Augusti. Omnia prædicta ordino fieri annuatim... Omnes aulem alios libros de 
Theologia non dispositos nec disponendos a me, Ecclesiæ S. Pauli Vercellensis 
relinquo et lego, ita quod Fratres Prædicatores morantes et moraturi ibidem, 
ipsorum librorum usum habeant, nec liceat eis vel aliis ipsos libros impignorare, 
vendere vel alio modo alienare, accomodare quoque non liceat qos extra septa 
claustri sui, nisi Canonicis S. Eusebii et S. Mariæ et S. Andreæ et illis de Lucedio 
et Fratribus Minor... S. Matthæi Vercellensis et D. Episcopo et Magistro, qui 
Vercellis de Theologia doceret et Ioanni de Raddo Clerico socio meo qui bus omni¬ 
bus et singulis volo dictos libros concedi, et acconiodari singillatim, tamen quando 
Fratres Prædicatores S. Pauli id commode facere poterunt . reccpto pro restitu- 
tione sibi facicnda coinpetentcr pignore ab eisdem. Si aulem Fratres S. Pauli rece- 
derent ab Ecclesia S. Pauli prædicta, ita quod non esset ibi conventus Fratrum 
Prædicalorum, volo et ordino quod omnes prædicti libri transferantur ad Eccle- 
siam S. Andreæ Vercellensis et Fratres ipsius ipsorum usum habeant... Cum 
aulem Conventus Fratrum Prædicatorum redierit ad Ecclesiam S. Pauli prædi- 
ctam, reslituantur eis prædicti libri conditionibus supradictis, et prædicta obser- 
ventur quoties Fratres Prædicatores recederent prædicto modo . vel redirent et ad 
prædicta omnia per Episcopum compellantur. cui. vel suo Nuncio discreto de 
Capitulo prædictos libros volo inter Octavas Paschæ in Claustro dictorum Fra¬ 
trum vel Claustro S. Andreæ, si ibi essent libri. annis singulis consignait. Décréta 
vel Decrctales et Ordinem iudiciarium Magistri Tancredi cum Summis in eodem 
libro contentis, item Summam Fratris Thomæ super Cantica Canticorum lego 
Ioanni de Raddo Clerico, ita ut prædictos libros Theologiæ in fine vitæ suæ relin- 
quat Fratribus Prædicatoribus Ecclesiæ S. Pauli... Huius autem Testamenti mei 
Executores constituo D. Vercellinum Archidiaconum Vercellensem Abbatem 
S. Andreæ et Abbatem de Lucedio, et Priorem Fratrum Prædicatorum S. Pauli 
et Fratrem Hectorem Canonicum S. Andreæ... Anno Dominicæ Incarnationis rnille- 
simo ducentesimo trigesimo quarto, Indictione oclava, die Lunæ tertio decimo 
mensis Novembris... Actum in caméra dicti Præpositi præsentibus Testibus roga- 
tis, Presbitero Ioanne Blondo. Domino ïordano de Guidalardis Canonico Vercel- 
lensi, Ioanne de Raddo, Petro Bicherio, Fratre Ramondino, Pctro de Alba et 
Guglielmo de Zino et lacobo serviente præfati Præpositi. 

« Ego Mandulus Grassus Notarius interfui et rogatus scripsi. » 

(Giovanni André, Collectanea rerum patriæ, lib. III. Milan, 1745.) 

L’original est conservé aux archives du chapitre de Verceil. 

* Ibid. 

* Il mourut évêque de Verceil en J 2 52. 

3 B. Ex sérié , 3 septembre 1254. — Père Mothon, op. cil., p. 59. 


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CHAPITRE I 


9 


date (1254), les Prêcheurs s’installaient dans le nouveau couvent 
qu’ils avaient bâti à l’intérieur de la ville 1 . Comme la donation avait 
été faite à l’église de Saint-Paul, l’église primitive hors les murs, 
ils craignaient qu’elle ne leur fût contestée, et que les chanoines 
de Saint-André ne fissent valoir près le Saint-Siège les droits que 
leur donnait le testament, au cas où les Frères se retireraient en 
un autre lieu. Le Pape fit droit à leur demande. 

Combien d’années Jean passa-t-il au couvent de Verceil? Quelles 
y furent ses occupations? Autant de questions qui demeurent sans 
réponse authentique. Qu’il y ait habité pendant un certain temps, 
on peut le conjecturer de la préférence qu’il témoigna dans la suite 
au couvent de Verceil : c’est à lui que, avant de retourner à Dieu, 
il laissa ses livres, — ce trésor dont on était si jaloux au moyen 
âge, — et les reliques précieuses qu’il possédait; c’est à lui égale¬ 
ment que, après sa mort, on envoya son bâton de voyageur et sa 
ceinture, comme au lieu qu’il avait aimé le plus. Ces témoignages 
d’affection tendent certainement à prouver que Jean se considérait 
toujours avec joie comme fils du couvent de Verceil. 

En 1255, date de la vente du premier couvent de Saint-Paul à 
Emilie Bicchieri, il n’était plus au couvent, car son nom ne figure 
pas parmi les témoins et signataires du contrat 2 . 

Peut-on affirmer qu’il exerça, dans le couvent, l’office de docteur 


1 En se retirant, les Frères laissèrent l’église de Saint-Paul, le couvent et ses 
dépendances à la bienheureuse Émilie Bicchieri, qui y établit un monastère de 
Sœurs Prêcheresses. Voici le procès-verbal de la vente : 

•« Anno Dominicæ Incarnationis millesimo ducentesimo quinquagesimo quinto, 
indictione tertia, die sabbathi, tertio menais iulii. In nomine Domini. Amen. Con- 
vocato Ordinis Fratrum Prædicatorum de Vercellis more solito in Oratorio ipso- 
rum Fratrum consistenle in Civitate Vercellarum , prope Rugiam Molendinorum 
ipsius Civitatis, iuxta quod Oratorium habitant ipsi Fratres, ibi Fr. Gullielmus 
Novariensis Superior, Fr. Odomarius Vercellensis, Fr. Guillelmus de Sancta Agata 
Vercellensis, Fr. Vercellinus de Gattinara Vercellensis, Fr. Guido Novariensis, 
Fr. Hubertus de Mafessato, Fr. Philippus de Campicio , Fr. Rufinus Vercellensis 
de Ordine Fratrum Prædicatorum Verccllensium. Item Fr. Philippus de Carixio 
Vercellensis de Conventu Venetiarum Predicatorum, et Fr. Ruffinus Prior Conven- 
tus Prædicatorum Comi et Fr. Pacificus Ianuensis de Conventu Prædicatorum 
Ianuæ a parte et nomine Conventus ipsorum Fratrum fecerunt venditionem et 
datum ad proprium, et per libcrum Albium Domina» Æmiliæ, filiæ quondam 
Domini Pétri Bieherii Civis Vercellensis de toto Casamento ipsius Conventus cum 
Ædificiis, Orto, Prredio, Curie, Prato et pertinenliis, et iuribus omnibus ad pra*- 
dicta pertinentibus (quæ) jacent in Curte Vercellarum prope Civitatem Vercella¬ 
rum et apud fossata ipsius Civitatis, via tamen mediante, quibus cohærent ab 
una parte ipsa via, ab alia via qua itur versus Cervetum, ab alia Petterati et ab 
alia Rugia, quæ labitur per Canalem in Civitate Vercellarum qua molunt Molendini 
ipsius Civitatis et gencraliler de omnibus rebus immobilibus infra prædictas cohe- 
rentias existentibus pro religione Dominicana ibi facienda... In fine. Ego Oliverius 
Norus Notarius Vercellensis prædictis interfui. et inde hanc Cartam tradidi et 
scripsi cum signo Tabellii. » (Andezeno, Mémorisé hisloricæ Provinciæ S. Pétri 
Martyris, p. 32, ms. Arch. Ord.. XIII-411.) 

La bienheureuse Emilie Bicchieri mourut dans cette maison, le 3 mai 1314. 

2 V. note', ci-dessus. 


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10 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


conventuel’? Rien ne s’y oppose, puisque Jean était Maître en 
droit; rien non plus ne permet de le dire, puisque nulle part il 
n’en est fait mention; d’autant moins, du reste, que parmi les reli¬ 
gieux envoyés à Verceil il pouvait se trouver d’autres Maîtres 
aussi célèbres que lui*. 

L’histoire ne saisit réellement Jean de Verceil qu’après le pre¬ 
mier concile de Lyon, en 1251. Innocent IV, dont tout le pontificat 
ne fut qu’une lutte contre l'empereur Frédéric II, avait excommunié 
et déposé ce potentat. Mieux que cette condamnation, qui n'avait 
fait qu’exciter davantage la colère de Frédéric, la mort arrêta ses 
projets de vengeance. C’était pour le Saint-Siège, pour l’Église 
entière, une délivrance. Il restait bien les enfants de ce prince, 
dont Conrad en Allemagne, Henri et Manfred en Sicile, essayèrent, 
non sans quelque succès, de maintenir le parti de l’Empire. Mais 
le partage même des provinces impériales devenait une source de 
faiblesse, et les Gibelins, divisés en plusieurs branches, n’avaient 
plus, pour l’attaque, la même énergie. Innocent IV avait encore 
augmenté les germes de dissension en adoptant pour candidat à la 
couronne Guillaume de Hollande. Une campagne vigoureusement 
menée fut entreprise pour disloquer le parti impérial. En Alle¬ 
magne, Hugues de Saint-Cher, cardinal de l'Ordre des Prêcheurs, 
avec les Frères Guillaume d’Eyk et Léon de Brème, prêchait la 
croisade contre la maison de Souabe; c’était, pour le Saint-Siège, 
un bon appoint. Mais il s'agissait plus encore de ramener à l’obéis¬ 
sance les provinces de la Haute-Italie. Tant que les villes lom¬ 
bardes ne se seraient pas soumises à l’Église romaine, le Pape ne 
se croirait pas en sûreté à Rome. Innocent, qui désirait rentrer 
pacifiquement dans la Ville éternelle, prépara les voies à son retour 
triomphal. Arrivé à Gênes, il se mit en rapport avec Frère Phi¬ 
lippe Carisius, devenu Provincial de Lombardie, et le chargea de 
mettre à sa disposition quelques religieux graves, intrépides, 
capables, s’il en était besoin, de sacrifier leur vie pour la défense 
de l’Église. Quatre Prêcheurs lui furent proposés : Frère Pierre 
de Vérone, Frère Jean de Verceil, Frère Vivien de Bergame et 
Frère Vincent de Milan. Le Pape leur ordonna de parcourir la 
Lombardie, à titre de commissaires apostoliques et d’inquisiteurs, 
pour prêcher la foi chrétienne, convaincre les hérétiques, pacifier 
les esprits et détacher les municipes de l’alliance avec les impé¬ 
riaux allemands 3 . Tâche laborieuse, pleine de périls, qui exigeait 

1 Père MoLhon, op. cil., p. 57. 

* Il est vrai que le Mailre fit don au couvent de Verceil de ses commentaires 
sur les psaumes de David. Ce fait ne peut prouver que les commentaires fussent 
un souvenir des leçons données aux religieux de Verceil. 11 a pu tout aussi bien 
les composer ailleurs. 

3 Cf. Bulle d'innocent IV, adressée à Jean de Verceil et à Vincent de Milan, 


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CHAPITRE I 


il 


de ceux qui avaient le courage de l’assumer le plus héroïque 
désintéressement. Car la maison de Souabe, malgré ses fautes et 
malgré les censures de l’Eglise, conservait en Lombardie des par¬ 
tisans résolus et nombreux, groupés dans une même haine autour 
des lieutenants de Frédéric II, Eccelin de Vicence et Pallavicini 
de Pavie. Ces deux chefs gibelins terrorisaient les villes lom¬ 
bardes et répandaient partout, jusqu’à Venise même, leurs mœurs 
dépravées, leur mépris de la foi, leur révolte contre le Saint-Siège. 
S’aventurer sur leurs domaines pour combattre les hérétiques et 
ramener à l’Eglise les populations qu’ils dominaient, c’était s’exposer 
à tous les supplices. Le choix de Frère Jean de Vcrceil, pour un 
ministère aussi dangereux, est un hommage glorieux à sa vertu et 
à son caractère. 

Grâce à son habileté et à son zèle, comme à l’habileté et au zèle 
de ses compagnons, Innocent IV put traverser la Lombar¬ 
die, entrer à Milan (7 juillet 1251), où il demeura plus d’un mois, 
à Brescia, à Modène, à Ferrare, à Mantoue, à Césène et enfin à 
Bologne. Ce voyage pontifical, sur des territoires où Gibelins et 
hérétiques étaient nombreux, il le devait aux Prêcheurs. Leur 
parole avait convaincu les municipes. Tout était à la paix avec 
l’Eglise. En reconnaissance. Innocent IV, le 17 octobre 1251, con¬ 
sacra de ses propres mains l’église des Prêcheurs de Bologne, où 
reposent les restes vénérés de saint Dominique 1 . Frère Jean de 
Verceil, qui avait été au péril, se trouvait à l’honneur. Il assista, 
avec une multitude de Frères, à cette mémorable cérémonie. 

Mais les ennemis de l’Eglise n’avaient pas désarmé partout. A 
Plaisance, Innocent IV tenta vainement de se faire ouvrir les portes. 
Il fallut passer outre ; et, comme pour aggraver l’humiliation du 
Pontife, les citoyens élurent pour podestat un Gibelin irréductible, 
Aberto Pallaviccini, l’ami de Frédéric II. Le Pape sentit vivement 
l’outrage. Peu de jours après, une lettre donnait ordre au Provin¬ 
cial de Lombardie d’envoyer de nouveau quelques religieux pour 
enquêter contre les hérétiques*. Jean de Verceil dut reprendre le 
fardeau. 

Vicaire du bienheureux Humbert de Romans en Hongrie, après 
le Chapitre de Bude 3 , auquel il assista (1254), Jean devint Prieur 
de Saint-Nicolas de Bologne. La date de cette élection vacille entre 

dont l'autographe se trouve aux archives d’Étal à Venise sous la cote X. III, n. 9, 
citée par le Père Mothon. op. cil., p. 72. 

1 Bail. Ord., I, p. 200. B. Dei filins, 17 octobre 1251. Dans celle bulle Innocent 
accorde des indulgences à ceux qui visiteront l'église des Frères A Pologne, qu’il 
déclare avoir consacrée lui-même. 

* Bull. Ord., I, p. 199. B. Tune polissime, 27 septembre 1251. 

* Sébastien de Olmedo, Chron. nov. « In Ilungariam insuper Magistri Vicarius 
destinatus, vices ejus magna cum laude gessit. » (Ms. arch. Ord., XIV-26.) 


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12 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


la fin de 1255 et le courant de 1256 l . C’est donc à lui que le Pape 
Alexandre IV adressa, le 22 avril 1257, cette bulle sollicitée par 
le cardinal Hugues de Saint-Cher en faveur des Sœurs de Sainte* 
Agnès. Les Frères ne voulaient, en aucune manière, prendre h 
leur charge les monastères des Sœurs 2 . Il avait été décidé au Cha¬ 
pitre de Milan (1255), que, pour rentrer sous la juridiction de 
l’Ordre, les monastères de Sœurs devraient être acceptés par trois 
Chapitres généraux 3 . 

Aussi les plaintes affluaient nombreuses au Siège apostolique; 
car, forts de cette décision libératrice, les Frères s'étaient retirés 
de tous les monastères, même de celui de Sainte-Agnès de Bologne, 
cette maison de la bienheureuse Diane d’Andalo, si chère à saint 
Dominique et à Jourdain de Saxe. Il y avait bien dans l’Ordre 
des religieux favorables aux Sœurs. Humbert de Romans lui-même, 
alors Maître Général, penchait de leur côté; Hugues de Saint-Cher, 
grand ami et conseiller d'Alexandre IV, ne dissimulait pas ses 
préférences pour elles. C’était plus que suffisant pour que les Sœurs, 
ardemment désireuses de rentrer sous l'autorité et la direction de 
l’Ordre, fissent les instances les plus pressantes auprès du Pape. 
Appuyées par le cardinal de Saint-Cher, celles de Sainte-Agnès 
eurent gain de cause. Alexandi^ IV ordonne au Prieur de Bologne 
de les prendre à sa charge en attendant qu’elles soient définitive¬ 
ment incorporées à l’Ordre par les Chapitres généraux 4 . Pendant son 
rapide gouvernement à Bologne, Jean de Verceil eut donc sous son 
administration et les Frères et les Sœurs. Chose assez rare, puisque 
d’ordinaire les Sœurs avaient un Prieur spécialement délégué. 

L’année suivante, au Chapitre de Novare, Jean de Verceil était 
élu Provincial de Lombardie 5 . 11 garda ce poste d’honneur pen¬ 
dant sept ans. 

Cette province comptait parmi les plus considérables de l’Ordre. 
Elle possédait trente couvents, répandus dans la Haute-Italie 6 . 


1 Sébastien de Olmedo, Chron. nov. : « Ex Priore Bononiensi ad Provincialatum 
cveclus. » 

* Cf. t. I, p. 3il et ss. 

3 Aria Cap., I, p. 75. 

4 Bull. Ord., I, p. 335. B. Sua An bis, 22 avril 1257. 

s « In MCCLVII sub Maestro Umberto die VIII aprilis apud Florenciam fuit 
célébration XXXVII capituluni generale ubi Frater Pliilippus de Carisia absolvitnr 
a provincialatu. Eodem anno sub Vicario apud Novarium est celebratum capitu¬ 
luni provinciale Lombardie, ubi frater Johannes de Moro Vercellensis factus est 
prior provincialis Lombardie, qui rexil annis VII. »> ( Galvanus, Chron., p. 97. 
Ed. Reichert.) 

6 Bologne, le premier de tous. Milan, Bergame. Pavie, Plaisance, San Severino; 
dans les Marches : Vérone, Brescia, fondés avant la mort de saint Dominique. Puis, 
en 1221, Faenza, Trévise, Padoue, Parme. En 1222, deuxième couvent à Padoue, et 
fondations de Forli et d’Iesi. Asti, 1225; Crémone, 1228; Venise, 1230; Ver¬ 
ceil, 1231; Reggio d’Emilia et Trente, Cividale dans le Frionl. en 1242; Mo- 
dène, vers 1213; Ancône et Rimini, 1219; Césènc, Ascoli Piccno, Ripatransone. 


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CHAPITRE I 


43 


C’était une famille nombreuse, car la plupart de ces couvents étaient 
largement peuplés. L’observance régnait partout, souveraine aimée; 
l'activité apostolique se dépensait sans compter; l’étude était en 
pleine vie. Jean de Verceil trouvait autour de lui ce qu’un supé¬ 
rieur désire le plus, des hommes de bonne volonté, des intelligences 
d’élite, des caractères énergiques. Avec de tels instruments, il 
pouvait gouverner. A Venise, il avait le bienheureux Jacques Salo¬ 
mon 1 ; à Bergame, le bienheureux Pinamonte Pellegrino 2 et 
Frère Pierre Scaliger 3 ; à Milan, le bienheureux Ardizzone Salari 4 
et le bienheureux Jean de Vicence, l'infatigable prédicateur de la 
paix 5 . Même au dehors, il voyait sur ld siège épiscopal de Bologne 
le bienheureux Jacques Boncambi 6 ; sur celui de Bergame, Frère 
Algisio di Uosciate 7 ; sur celui de Vicence, le bienheureux Barthé¬ 
lémy de Bragance 8 ; sur celui de Modène, le bienheureux Albert 
Boschetti 9 . L’influence des Prêcheurs dominait toute cette région. 


1250; Barlassina, 1252; Alexandrie, 1255. — Cf. Anal. Ord. Orbis Dominicianus , 

I-ll. 

1 Frère Jacques Salomon était de race patricienne. Né A Venise, il vécut au cou¬ 
vent des Saints-Jean-et-Paul. Ses vertus et sa charité envers les pauvres le ren¬ 
dirent célèbre. Peu d’années après sa mort, Jean XXII approuva son culte. 
— Cf. Acta SS., VII Maii, p. 158 et ss. 

2 Frère Pinamonte Pellegrino, comte de Brembate, reçut l'habit A Bologne, des 
mains de saint Dominique. II fut envoyé par lui pour fonder le couvent de Ber¬ 
game, avec le bienheureux Guala, qui en devint le premier Prieur. Frère Pinamonte 
lui succéda après qu’il eut été nommé évêque de Brescia. Il resta Prieur pendant 
quarante ans, car les Frères ne consentirent jamais A accepter sa démission. Il était, 
au temps du provincialat de Jean de Verceil, un vénérable témoin des premières 
années de l’Ordre. Il mourut en 1266. (Echard, I, p. 246.) 

J Frère Pierre Scaliger, robuste vieillard également, avait reçu l'habit des mains 
de saint Dominique, en 1219, A Bologne. 11 était alors étudiant en droit. Il devint 
évêque de Vérone en 1290, et mourut presque centenaire quatre ou cinq ans après. 
Cf. Ughelli, Italia sacra, t. V. — Echard, I, p. 417. 

4 Un des premiers disciples de saint Dominique A Bologne. Il fut un des fonda¬ 
teurs du couvent de Saint-Eustorgc, A Milan. Tægio , dans son livre De insigniis 
Ord. Præd., ms. Arch. Ord., parle de lui en ces termes : » Frater Arditio de Sala 
Mediolanensis vir vite venerabilis, sanctitate insignis, humilis suprainodum, chari- 
tate fervens, oratione dévolus, actione solicilus, prudentia summus, fama et opi- 
nione mirabilis qui in vila et post mortem mirandis claruit prodigiis... » 

5 Sur ce personnage, cf. Echard, I, p. 150, et le tome I er de cet ouvrage, p. 208 
et ss. 

6 Ancien professeur du droit canon, il prit l'habit, attiré par les prédications 
de Frère Jean de Vicence, A Bologne, sa patrie, en 1233. Sa science et ses hautes 
vertus le rendirent agréable à Innocent IV, qui le créa, en 1243, vice-chancelier de 
l'Église romaine, et, l’année suivante, évêque de Bologne. Il administra ce diocèse 
pendant seize ans. Il mourut le 3 décembre 1260. — Cf. Echard, I, p. 160. 

7 Chanoine de la cathédrale de Bergame, Frère Algisio di Rosciate prit l’habit des 
Prêcheurs; il devint évéque de Rimini en 1250, puis fut transféré par Innocent IV, 
en 1251, sur le siège de Bergame, sa patrie. Après neuf ans d’épiscopat, il se retira 
au couvent de Bergame, où il mourut en 1267. Sur la demande du Chapitre de 
Bergame, Frère Pinamonti, Prieur du couvent, dut choisir son successeur. Il dési¬ 
gna Frère Erbordo, personnage de science et de sainteté hors de pair. — Cf. Ughelli, 
It&l. sacra, IV. — Mario Muzio, Vita dei Beati délia citlà di Bergamo, 1614. — 
Echard, I, p. 263. 

* Sur ce saint personnage, cf. Echard, I, p. 254. 

9 II prit l'habit à Bologne, en 1221, à l’Age de vingt ans. C’était le fils d’une opu- 


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14 


LE BIEN HEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Par le martyre de Frère Pierre de Véronepar les prodiges innom¬ 
brables qui illustraient son tombeau, elle avait pris depuis quel¬ 
ques années une puissance extraordinaire. 

Jean de Verceil en profita pour fonder trois couvents, tous au 
côté ouest de la Lombardie, où les maisons dominicaines étaient 
plus rares. Turin reçut comme premier Prieur Frère Jean, natif 
de cette ville. C’était un homme de grande vertu, qui devint plus 
tard Provincial de Lombardie 2 . Les ressources manquaient. On ne 
pouvait meme, tant la pauvreté était extrême, se procurer les livres 
les plus urgents. Aussi, quelques années après, Frère Jean de 
Turin, qui avait quitté lepriorat, voulut donner au couvent de sa 
ville natale ceux qu'il possédait. Don très gratuit,.car il laisse 
entendre, dans l’acte passé à ce sujet, qu’il le fait en pardon¬ 
nant toutes les ingratitudes (remittens singulas causas ingratitu- 
dinis z ). 


lente famille de Modène. En 1234, il fut élu évêque de cette ville. Après trente ans 
d’épiscopat, au milieu d’incessantes luttes entre Gibelins et Guelfes, il mourut à 
Modène, vénéré de tous, le 13 avril 1264. (Ughelli, liai, sacr., II.) 

1 Cf. t. I, p. 362. 

2 Au Chapitre provincial de Gênes, en 1266. — Cf. Galvanus de la Flamma, Chron., 

p. 22. 

2 Acte de donation de Frère Jean de Turin autorisé par une lettre de Maître 
Jean de Verceil : 

« In nominc Domini. Anno Dominicæ Incarnationis millcsimo ducentesimo 
septuagesimo octavo die Yeneris, decimo septimo de mensis junii , indictione 
sexta, in domo Fratrum Prædicaloruni Mediolani, in loco Intirmariæ, présente 
Fr. Dionysio de Vercellis, Convenlus Mediolani, et Fr. Rainero de Verccllis ejus- 
dcm Convenlus, et Fr. Jacobo de Varagine ( inter Beatos anno Iftf6 a Pio VII 
Sum. Pont . relato) Conventus Januensis, omnibus de Ordine Prædicatorum et 
Fr. Petrino de Septimo, Conventus Alexandrin?, et Fr. Georgio, Conventus Bono- 
niæ, testes ad hoc rogali; ego in Dei nomine Fr. Joannes Taurinensis de Ordine 
Prædicatorum Conventus Mediolani, de licentia et auctoritate Fr. Joannis Magistri 
totius Ordinis Prædicatorum, de auctoritate litleraruin ejus, quæ ego Notarius, et 
dicti testes vidi sanas, et intégras, ejus sigillo pendenti signalas, quarum ténor 
iste est : 

« In Christo Dei Filio sibi dilecto Fr. Joanni Taurinensi Ordinis Fratrum Prædi¬ 
caloruni. 

« Fr. Joannes Fratrum ejusdem Ordinis servus inutilis salutem cum sinceræ 
dilectionis atTeclu. 

«< Cum per vestram diligcntiam procuratum fuerit, ut in civitate Taurinensi Con¬ 
ventus nostri Ordinis haberetur, et novella plantatio librorum solatio destituta. 
foret piis et opportunis subsidiis a paupertatis oneribus sublevanda, presentium 
tenore vobis concedo, quateniis eidem Convenlui de libris vestris possitis, proul 
exspediens vestra discretio judicaverit, providere. Valele et orale pro me. 

« Dalum Mediolani anno Domini millcsimo ducentesimo sexagesimo sexto, sexto 
decimo kalcndas Maji. Dono, et donationem facio inter vivos, puram et meram, 
remittens singulas causas ingratitudinis Conventui Taurinensi. et Fratribus ejus¬ 
dem Conventus, Fratri videlicet Bonifacio de Cellis, Priori ejusdem Conventus 
recipienti, vice et nomine dicti Conventus omnes libres nostros mihi ab Ordine 
concessos eo pacto, et ea eonditione, quod nunquam vendi, aut alterari possint 
dicti libri sine licentia speciali Magistri totius Ordinis, vel Prioris Provincialis, 
retentis tamen quibusdam libris ad meum solatium, donec vixero tantum prout 
mihi videbitur, et post decessum meum sint dicti libri illius Conventus. Libri sunt 
hujusmodi : Theologia majora volumina, Biblia, Sententiæ Damasceni, etc. »> 
(Andezeno, Ment, histor. Prov. S. Pétri Marlyris, p. 34. Ms. arch. Ord., XIII-411.) 


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CHAPITRE I 


15 


Chieri 1 2 et Tortona* ouvrirent, à la même époque, des couvents 
de Prêcheurs. 

Bientôt après, Jean de Verceil, qui avait assisté au Chapitre 
général de Valenciennes, où, sous la présidence de Maître Hum¬ 
bert, cinq Maîtres de Paris: Albert le Grand, Thomas d'Aquin, 
Pierre de Tarentaise* Bonhomme et Florent, venaient de tracer le 
programme des études 3 , institua le cours de logique au couvent de 
Milan. Il y mit comme professeurs trois religieux remarquables 
par leur science : Frère Stefanardo de Vimercate, philosophe et 
poète; Frère Emmanuel de Milan, auteur d'un Sermonnaire; Frère 
Georges de Caxano, philosophe et théologien de premier ordre. On 
lui attribue des commentaires sur toute la philosophie d'Aristote 
et sur les Sentences 4 . 

Vers la (in de cette même année 1262, saint Thomas d'Aquin, 
élu Définiteur de la province romaine, passa par Milan pour se 
rendre au Chapitre général de Londres, qui devait se célébrer à la 
Pentecôte de 1263. Il visita l’école de logique. Très dévot au bien¬ 
heureux Pierre de Vérone, il laissa, en souvenir de son passage, 
les vers suivants, gravés depuis sur la tombe du saint martyr : 

« Præco, luccrna, pugil Christi, populique iideique 
Hic silet, hic tegitur, jacet hic mactatus inique 
Vox ovibus dulcis, gratissima lux animorum 
Et verbi gladius, gladio cecidit Catharorum. 

Christus mirificat, populus devotus adorat 
Martyrioque fides sanctum servata décorât; 

Sed Christus nova signa loqui facit ac nova turbæ 
Lux datur, atque fides vulgata refulget in urbe. » 

Les plus grandes diflicultés, pour le gouvernement de la pro¬ 
vince de Lombardie, vinrent du dehors. 

La paix entre les villes lombardes et le Saint-Siège demeurait 

1 Cf. P. Mothon, op. cil., p. 118. 

2 Ibid., p. 119. 

2 Cf. I, p. 563. 

4 « 1262. Capitulum Provinciale Bononiæ. IIoc anno invectum est Sludium Logi- 
cæ in Provincia Lombardiæ, et primo cepit in Conventu S. Eustorgii Mediolani; 
sed in unaquaque disciplina bene iam erunt versati nostri. Aderat Fr. Stephanar- 
dus de Vicomercate Mcdiolanensis , qui Poema hisloricum scripsit de rebus gestis 
sub Ottone Vicecomite Archiepiscopo, vir clarus inter viros; desiit esse anno 1292, 
cuius noraen occurrit inter testes adiuratos in processu M. S. Confecto propter 
cædem S. Pétri Martyris, cuius fragmentum habetur in Bibliotheca Anibrosiana. 
Florebat ctiam Fr. Emanuel Mediolanensis, qui scripsit volumen Sermonum, tum 
Fr. Georgius de Caxano insignis philosophus et theologus cui ha'c attribuuntur 
opéra Commentaria in universam Arislolelis philosophinm; Scripta in quatuor sen- 
tenliarum libros . Insuper Fr. Matheus de Cortio Mediolanensis, clarissimus Eccle- 
siastes, qui posteris scripsit et reliquit sermoncs de tenipore et de Sanctis... 

« In Studio Logicæ in Conventu S. Eustorgii facti sunt Studentes quidam iuvenes 
satis apti inter quos Fr. Nicolaus de Tarvisio, qui fuit postea Summus Pontifex, et 
Frater Aymcricus Placcntinus, qui fuit Magistcr Ordinis. •> ( Andezeno, op. cit., p. 59.) 


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16 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


fragile. Pour l’asseoir en toute solidité, Alexandre IV exigea que 
les lois portées contre les hérétiques et les Gibelins par Inno¬ 
cent IV, par Frédéric II lui-mème, dans un de ses accès de dévo¬ 
tion intéressée, fussent inscrites comme lois civiles dans les statuts 
des municipes. Et chacun sait qu elles n'étaient pas tendres pour 
les adversaires de l'Église 4 . Quelques villes, de gré ou de force, 
avaient cédé; mais la plupart résistèrent aux injonctions du Pon¬ 
tife. Hérétiques et Gibelins soulevaient partout la révolte. La main 
des inquisiteurs, aussi dure fût-elle, avait peine à dompter les 
récalcitrants. 

Comme Provincial, Jean de Verceil se trouvait dans une situa¬ 
tion très perplexe. 11 devait tout à la fois gouverner les inquisiteurs 
et les couvents de l'Ordre. Or les intérêts des inquisiteurs et ceux 
des couvents étaient opposés. Pour exécuter dans toute leur rigueur 
les décrets pontilîcaux, les inquisiteurs étaient obligés de faire 
aux hérétiques une guerre à mort, de forcer les municipes à leur 
prêter main-forte, et, s'ils refusaient, de les excommunier*. C'était, 
par là même, semer autour d'eux la haine, et, naturellement, les 
couvents qui existaient dans ces villes devenaient l’objet de toutes 
les représailles. Si la vengeance des adversaires de l'Eglise n'at¬ 
teignait pas toujours les inquisiteurs, elle épargnait rarement leurs 
Frères. Tout Prêcheur était un ennemi. On le vit bien à Milan, où 
Frère Rainier 3 , dont la poigne de fer pesait durement sur la ville, 
dut fuir devant les menaces de la foule. S’il n’avait pas cédé, le 
couvent était perdu 4 . De même à Gênes, en 1258 également, 
Frère Anselme voulut, selon les injonctions répétées du Pape, 
introduire dans les statuts du municipe les décrets contre les 
hérétiques et faire jurer aux membres du conseil de les exécuter 5 . 
Tous s’y opposèrent énergiquement. Le conflit était aigu; un peu 
plus, c'était la ruine des Prêcheurs. 

Et les inquisiteurs non seulement ne dépassaient pas les ordres 
qui leur venaient de Rome, mais, bien au contraire, sans cesse 
aiguillonnés par des bulles de plus en plus insistantes, par des 
privilèges nouveaux, par des indulgences même, ils n’agissaient 
jamais avec la rigueur et la célérité que l'on exigeait d’eux 6 . 

Jean de Verceil, qui voyait les désastres menaçant les mai¬ 
sons de l’Ordre, par suite de l’exécution des décrets pontifi- 

1 Bull. Ord.. I, p. 209. B. Ad exlirpanda, 15 mai 1252. Elle fut renouvelée et 
aggravée par Alexandre IV, le 30 novembre 1259. [Ibid., p. 382.) 

2 Ibid., p. 100. B. Precelsi disposiloris , 9 décembre 1260. 

3 Ibid., p. 30K. R. Ad audientiam , 27 novembre 1260. 

* Galvanus de la Flamma, Cbrou., p. 28. — Fontana, iWonum. Dom., p. 77. — 
Andczeno, op. cit., p. 37. 

5 Raynaldi, Histor. Ecctes. ad. ann. 1258, III, p. 29. 

6 Bull. Ord., I, p. 395. R. Firmissime teneal, 7 octobre 1260. — R. Cupientes, 

9 octobre 1260. — R. Ne commisse, 15 octobre 1260. 


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CHAPITRE I 


17 


eaux; qui se rendait compte de la désaffection où tombaient les 
Frères dans le cœur des populations, paraît avoir montré une 
grande réserve, avoir désiré des procédés plus discrets, plus indul¬ 
gents dans la répression de l’hérésie. Il était, de par sa charge, à 
la tête de l'inquisition en Lombardie; c’était donc à lui que les 
inquisiteurs auraient dû s’adresser pour dirimer les difficultés 
ordinaires qu’ils rencontraient à chaque pas. Ils n’en font rien. 
Toutes leurs réclamations, toutes leurs questions vont directement 
au Pape. On dirait qu’ils évitent, à dessein, de recourir à leur 
supérieur immédiat 1 , dont l’appui leur paraissait peu secourable. 
Cela est si vrai, que Jean de Verceil hésitait même à nommer huit 
inquisiteurs dont la charge était vacante depuis un certain temps. 
Il fallut qu’Alexandre IV lui intimât par deux fois l’ordre de créer 
ces titulaires 2 . 

Les choses en vinrent au point que le Pape, peu satisfait de 
l'activité du Provincial de Lombardie contre les hérétiques et les 
Gibelins, et craignant que son influence modératrice empêchât les 
inquisiteurs d’exécuter ses ordres dans toute leur rigueur, lui 
enleva tout pouvoir sur eux dans l’exercice de leurs fonctions 3 . 
C’était tout à la fois, pour Jean de Verceil, une perte et un gain : 
une perte, parce que, libres de son contrôle, les inquisiteurs étaient 
exposés à dépasser le but et à nuire, par leurs sévères répressions, 
aux couvents de l’Ordre; un gain, parce que la responsabilité de 
ce redoutable ministère pesait lourdement sur les épaules du Pro¬ 
vincial. Il dut remercier Alexandre IV de l’en avoir déchargé. 
C’était à lui cependant que revenait toujours l’obligation de choisir 
parmi ses religieux les titulaires de l’inquisition ; mais ses pouvoirs 
s’arrêtaient à cette nomination. Une fois institués, les inquisiteurs 
ne relevaient plus, pour leur charge, que du Saint-Siège 4 . 

Urbain IV, Français de race, élevé au souverain pontificat le 
29 août 1261, dut encore intervenir pour presser Jean de Verceil 
de remplir les postes vacants 5 . Peut-être bien que les Frères n’étaient 
pas plus disposés à prendre ce ministère que lui à le leur imposer. 

Le Pape entendait toutefois utiliser, pour le service de l’Eglise, 
sa prudence et son habileté de gouvernement. A Plaisance, une 
affaire assez délicate était à traiter. L’évêque de cette ville, Phi¬ 
lippe Fulgosio, dont la parenté avait des alliances notoires avec 
les Gibelins, était accusé de favoriser leurs menées contre le 
Saint-Siège. Il avait même été élu par ce parti podestat de Plai- 


1 Cf. Bull. Ord., I, p. 387. B. Quod super, 10 janvier 1260. 

2 Ibid., p. 399. R. Cum super, 2 décembre 1260. 

3 Ibid., p. 402. B. Calholicæ fidei, Il décembre 1260. 

* Ibid. 

B Ibid., p. 419. B. Licet ex omnibus, 25 mars 1262. 


II. — 2 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


sance. Cette attitude d’un évêque, ou de tout un clergé, se posant 
résolument en adversaire du Pape, n’était point chose rare. On 
trouvait souvent, dans le camp de Frédéric II et de ses lieutenants, 
des crosses épiscopales ou abbatiales 1 . La cour de Rome, tout en 
ne s’étonnant pas outre mesure de voir un évêque s’allier à ses 
ennemis, recevoir en grande pompe Pallavicini, Gibelin de première 
eau, confier les charges les plus importantes de la cité à ses adhé¬ 
rents, était décidée à prendre contre lui les mesures répressives 
qu’exigeait l’honneur de l’épiscopat. Encore fallait-il instruire le 
procès avec prudence. Laissant de côté les inquisiteurs ordinaires, 
car il s’agissait de procéder contre un évêque, Urbain IV chargea 
officiellement Jean de Verceil de l’enquête juridique*. Celui-ci 
se rendit secrètement près de l’évêque accusé. Il sut prendre sur 
lui tant d’influence, que, peu de temps après, Philippe Fulgosio, 
abandonnant le parti gibelin, redevint podestat de Plaisance sous 
l’autorité du Pape. 

En 4262, un autre ministère, d’une gravité exceptionnelle, fut 
confié par le Saint-Siège au Provincial de Lombardie comme à 
tous les Provinciaux de l’Ordre. 

Urbain IV, suivant l’exemple de ses prédécesseurs, désirait 
ardemment recouvrer les Lieux Saints et reconstituer l’empire latin 
de Constantinople. Ancien Patriarche de Jérusalem et Légat du 
Saint-Siège en Palestine, il en connaissait mieux que personne 


1 Cf. Verci, Storia degli Ecelini, III, 419. 

2 Bulle d’Urbain IV à Jean de Verceil. 

« Urbanus Episcopus, Servus Servorum Dei. 

« Dilectis Filiis Priori Provinciali Prœdicatorum in Lombardia et Guardiano 
Minorum Fratrum Asten. Salutem et Apostolicam Benedictionem. 

« Eo sollertius insequi et studiosius corrigere in Prælatis excessus Nos convenit, 
quo in eis gravius scandalizantur subditi, et perniciosi excessus huiusmodi recipiunt 
in exemplum. Sane ad audientiam nostrnm pcrvenit, quod Venerabilis Frater no- 
ster... Placentinus Episcopus tamquani sibi molestum existeret qui in devotione 
Romanæ Ecclesiæ Placentina Civitas persistebat ipsam Ubcrto Palavicino indevo- 
tionis Filio et eiusdem persecutori Ecclesiæ manifcsto dédit ipsumque Ubertum in 
dictam Civitatem eum addextrando seu ipsius lateri assistendo induxit, atque pro- 
cessionaliter recepit eundem postposita prorsus Pontificis gravitate. Licet igitur 
prurientes non habeamus aurcs in delatiouibus Prælatorum, quantum cum Deo 
possumus defcrentes eisdem ; quia tamen hæc non est culpa, quæ posait, vel 
debeat sub dissimulatione transiri : discrctioni vestræ mandamus quatenus .super 
hiis, apud Civitatem prædictam, si secure poteritis, vel alibi in loco civitati vicino, 
eidem ad quem tam idem Episcopus quam producendi testes secure possint acce- 
dere inquiratis sollicite veritatem et eam fideliter conscribentes sub sigillis vestris 
Nobis transmittatis inclusam, præfîxo eidem Episcopo peremptorio termino com- 
petenli, quo per se vel Procuralorem ydoneum Apostolico se conspecturi repre- 
sentet. Non obstante indulgentia Sedis Apostolicæ, qua dicitur Ordinibus vestris 
esse concessum ut Fratres ipsorum Ordinum cognoscere non possint inviti seu se 
intromittere de negotiis quæ ipsa a Sede committuntur commissione huiusmodi, 
nisi litteræ de ipsa indulgentia Ordinibus concessa plenam et expressam de vcrbo 
ad verbum fecerint mentionem. Datum apud Urbemvetcrem Septimo Kalendas 
Martii, Pontificatus noslri Anno Tertio. » (Arcliiv. Vatican. Regest. Urbani IV, 
t. III, f. XXXIII, epist. 112.) 


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CHAPITRE I 


19 


l’état misérable et les urgentes nécessités. Il résolut de préparer 
une nouvelle croisade. Son chef était trouvé : c’était le roi de 
France, Louis IX, dont l’âme chevaleresque aspirait à tous les 
héroïsmes; il fallait des troupes et des subsides. Des lettres apos¬ 
toliques envoyées aux Provinciaux, réunis au Chapitre de Bologne, 
instituèrent commissaires de la croisade les Provinciaux de France, 
d’Espagne, de Pologne, de Dacie et de Lombardie 1 . 

Leur office était double : ils devaient prêcher, par eux-mêmes 
ou par leurs délégués, l’enrôlement pour la croisade, et de plus, 
ce qui était plus délicat, recueillir l'argent nécessaire à l’expédi¬ 
tion. Cet argent provenait des impôts sur les biens du clergé, des 
dons volontaires, des legs testamentaires et surtout du rachat des 
croisés. Beaucoup de personnes, même des enfants, des femmes, 
des vieillards, cédant à un sentiment d’enthousiasme, séduits par 
l’éloquence des prédicateurs, alléchés par l’espoir des indulgences, 
prenaient la croix, risque à ne jamais partir. Mais prendre la croix, 
c’était faire un vœu qui obligeait la conscience. Pour s’y sous¬ 
traire, il fallait la permission de l'Eglise. On l’obtenait en payant, 
selon sa fortune, une somme d’argent qui entrait de droit dans les 
subsides de la croisade. Ces rachats se multipliaient et formaient 
une des principales ressources de la Terre Sainte. 

Des bulles nombreuses, pressantes, se succédèrent pendant 
l’année 4262, qui activaient le zèle de Jean de Verceil. Il devait 
s’occuper du rachat des vœux *, absoudre au besoin ceux qui 
auraient été excommuniés, interdits, pour crimes ordinaires 3 ; s’op¬ 
poser à ce que l’on molestât les prédicateurs de la guerre sainte 4 ; 
déposer en un lieu sûr l’argent qui serait recueilli, quelle que fût 
sa provenance 5 ; surveiller les legs qui avaient été faits en faveur 
des Lieux Saints et que les héritiers dissimulaient ou tardaient à 
déclarer 6 . On voit qu’Urbain IV voulait agir avec vigueur et prompti¬ 
tude. Il faut que les Frères se hâtent de réunir tous les fonds qu’ils 
ont recueillis 7 ; qu’ils obligent ceux qui se sont enrôlés à se tenir 
prêts au moindre signal du Pontife 8 . 

Jean de Verceil aurait pu être tenté d’opposer aux injonctions 
du Pape les privilèges de l’Ordre qui dispensaient les Prêcheurs 
de ce genre de commissions et surtout de recueillir de l’argent. 
Dans chacune de ses bulles, Urbain IV s'en préoccupe. Inutile 

1 Cf. Bull. Ord., I, p. 421. B. Cum prædicationem, 21 mai 1262. 

* Ibid., p. 421. B. Cum prædicationem, 15 mai 1262. 

3 Ibid., 21 mai. 

4 Ibid., 21 mai. 

5 Ibid., p. 423. B. Volumus et præsentium, l** juin 1262. 

6 Ibid., p. 421. B. Cum prædicationem, 3 juin 1262. 

7 Ibid., p. 425. B. Cum libi, 23 juin 1262. 

8 Ibid., p. 426. B. Cum Terra Sancta, 1 er juillet 1262. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


de se prévaloir de ces privilèges, il faut obéir au Saint-Siège. 

Le Provincial de Lombardie, obligé par ses fonctions de voyager 
beaucoup, tant pour la visite des couvents de sa province que pour 
l'assistance aux Chapitres Généraux, se déchargea en grande partie, 
du souci de la croisade, sur le Prieur du couvent de Venise 1 . 
Celui-ci était bien placé pour lui donner tous ses soins. 

Par ses relations commerciales avec l'Orient, Venise se trouvait 
en tête de ligne, chaque fois qu’il était question de la guerre sainte. 
C'est à Venise que les subsides recueillis par les Prêcheurs de 
Lombardie furent centralisés; mais le départ pour la Palestine, 
contrecarré par les dissensions des princes chrétiens, ne put s’ef¬ 
fectuer selon les désirs d'Urbain IV. Il mourut avant d’avoir vu 
réaliser le rêve de son pontificat. 

Ce fut, dit-on, à l’occasion de la prédication de la croisade que 
Jean de Verceil entra en rapports avec saint Louis. 

1 « Reverendissimo in Christo fratri... Priori fratrum Ordinis Prœdicatorum in 
Conventu Veneto. Frater loannes fratrum eiusdem Ordinis in provincia Lombardiæ 
servus inutilis salulem in Domino scnipilernam. Noveritis me a summo Pontifice 
récépissé literas sub formis inferius annotatis. Urbanus episcopus etc... » (Bull. 
Ord., I, p. 421. B. Cum prædicationem pro Terne Sanctæ subsidio, 15 mai 1262. 
B. Cum prædicationem pro Terræ Sanctæ subsidio, 21 mai 1262. Ibid. — B. Cum præ¬ 
dicationem pro Terræ Sanctæ subsidio, 21 mai 1262. Ibid. — B. Volumus et præsen- 
tium tibi etc., 1 er juin 1262. Ibid., p. 423. — B. Volentes labores vestros, 5 juin 1262. 
Ibid., p. 424.— B. Cum prædicationem Crucis pro Terræ Sanctæ subsidio, 5 juin 1262. 
Ibid.—B. Volentes omnes, 23 juin 1262. Ibid., p. 425.— B. Cum tibi super, 23 juin 1262. 
Ibid. — B. Discretioni tuæ, 23 juin 1262. Ibid., p. 426. — B. Cum Terra Sancta, l #r juil¬ 
let 1262. Ibid.) 

« Cum igitur vos, quem idoneum esse novi ad concessa spu indulta mandata, et 
prœcepta apostolica exequenda iuxta traditam milii formam per alias meas literas 
ad prædicationem Crucis duximus assumendum, et ipse tam salubre quam neces- 
sarium negotiuin omnibus Christianis expédiât diligentius, et celerius promoveri, 
Charitati vestræ, auctoritate qua fungor, mando districtius et iniungo, quatenus in 
omnibus indultis seu eoncessis seu mandatis, et præceptis vobis et milii factis per 
literas SS.mi Patris summi Pontificis su])rascriptas, cum exacta diligentia iuxta 
earumdem continentias procedatis. Ut autem ad prædicationem verbi Crucis, et 
solicitam executionem omnium prædictorum vos ferventius insistatis, et fideles 
populos inducatis facilius, et efficacius ad Crucis ipsius signaculum assumendum, 
formas Indulgentiarum vobis, et eis a Sede Apostolica concessarum inferius anno¬ 
tâtes duxi præsentibus inserendas ( sequuntur eorum tenores ). Volentes labores 
vestros etc. ut supra; Volentes omnes crucesignatos etc. ut supra. In cuius rei 
testimonium, et notitiam pleniorem præsentes Literas in publicam et autenticam 
formam per manum infrascripti Tabellionis redigi et mei sigili munimine roborari 
mandavi. Datum Forlivii in loco Fratrum Prædicatorum sub anno a nativitate 
Domini millesimo ducentesimo sexagesimo secundo, Indict. quinta, tempore D.ni 
Urbani Papæ IV, die duodecimo exeunte Septembri, Præsentibus testibus fratribus 
Ignatio Veronensi, Bertoldo de Forojulii, Amatore Bononiensi, Bonaventura Forli- 
viensi, Fredeino Placentino et Pausipaupere Bononiensi Ordinis Prædicatorum. 
Et ego Benentendi... de contrada S. Pétri Imperialis ac Foroliviensis notarius, 
præsentes Literas de mandato dicti Prioris scripsi et in eis prædictarum D.ni 
Papæ Literarum sériés, prout vidi et reperi in autenticis Literis, bullis plumbeis 
papalibus munitis, non vitiatis, non corruptis, ncc in aliqua parte sui abolitis, 
exemplavi, et ad ipsas autenticas literas præmissa transcripta præsentibus inserta 
cum prædictis testibus diligenter ac fldcliter ascultavi, reperiens et videns ilia cum 
autenticis per omnia concordare et hæc omnia et singula de mandato dicti Prioris 
subscripsi et in publicam formam redigi. » (Ms. arch. Ord., lib. CCC, p. 204.) 


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CHAPITRE I 


21 


Pour le remercier des larges ressources qu'il avait envoyées en 
France, le roi lui aurait offert des livres et des reliques de la pas¬ 
sion du Sauveur. Les couvents de Bologne, de Verceil, de Milan, 
de Savigliano, montraient dans le trésor de leurs églises des épines 
de la sainte Couronne dont ils faisaient remonter l’origine à l’ami¬ 
tié de saint Louis et de Jean de Verceil 1 . On sait que le pieux roi 
gratifiait volontiers ses amis de ce don précieux. Frère Barthélemy 
de Bragance avait déjà reçu une épine et bâti en son honneur, 
dans sa ville épiscopale de Vicence, le couvent dit de la Sainte- 
Couronne *. 

Au milieu de ces graves occupations qui intéressaient l’Eglise 
universelle, Jean de Verceil ne négligeait point l’administration de 
ses religieux. En 1264, il devait se rendre à Paris, où était con¬ 
voqué le Chapitre Général. Son importance était exceptionnelle, 
car il s’agissait de donner un successeur au bienheureux Humbert 
de Romans, qui l’année précédente, au Chapitre de Londres, avait 
résigné ses pouvoirs de Maître Général 3 . 

A la vérité, la situation de l’Ordre était prospère. Au dedans, 
malgré des défaillances partielles, l’observance gardait ses positions ; 
au dehors, grâce à l’énergique intervention du Pape Alexandre IV, 
une accalmie avait rétabli la paix entre séculiers et réguliers. Paix 
transitoire, sans doute, pour qui connaissait les hommes, mais dont 
la bienveillance de son successeur, Urbain IV, maintenait les bien¬ 
faits. Il y avait donc lieu d’espérer que l’Ordre, protégé par le 
Saint-Siège, pourrait continuer sans entraves son ministère apos¬ 
tolique. 

Les Pères Capitulaires se réunirent au couvent de Saint-Jacques 
de Paris, la veille de la Pentecôte, 7 juin 1264 4 , sous la prési¬ 
dence de Frère Pierre de Tarentaise, Provincial de France. Certes, 
les religieux capables de régir avec honneur et fruit l’Ordre de 


1 Michèle Piô (1613), dans son ouvrage Degli huomini illustri..., dit formellement: 
» Il obtint du roi de France deux épines de la Couronne du Seigneur; l'une fut 
donnée par lui à l'église de Saint-Paul de Verceil, l’autre à Saint-Eustorgc de 
Milan. » 

De même Bellini (1617), dans les Annali délia Cilta di Vercelli, dit que Jean 
reçut, non pas deux, mais trois épines de la sainte Couronne; la troisième fut don¬ 
née au couvent de Savigliano. — Cf. Chicsa, Corona Reale , parte i, f. 332. Ms. con¬ 
servé aux Archives capitulaires de Verceil. 

Borselli (xv« siècle) fait cependant remonter le don de la sainte épine de 
Bologne par saint Louis en 1215 : « IIoc anno, multi patres Ordinis Regem Ludo- 
vicum Francorum oraverunt ut ob revcrentiam B. Dominici unam Spinam Conven- 
tui Bononiensi donaret. Ulc autem cum restituisset (renuisset), tandem tantorum 
patrum victus precibus unam spinam dédit quam locaverunt Bononiæ... Ex qua 
celebratur Bononiæ magnum festum Dominica in Octava Paschæ quæ etiam dicitur 
Dominica de Spina. *> ( Chron . conv. Bonon. Ms. arch. Ord.) 

* Cf. Echard, I, p. 253. 

* Cf. t. I, p. 643. 

4 Echard, I, p. 210. 


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22 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Saint-Dominique ne manquaient pas. Jamais peut-être les électeurs 
n’eurent un choix aussi considérable. Il tomba sur le Provincial 
de Lombardie. Tel que Bernard Gui le présente à la postérité, ce 
choix est le plus grand éloge de Jean de Verceil. Voici les paroles 
du chroniqueur : « Le sixième Maître de l’Ordre, successeur de 
Frère Humbert, fut Frère Jean de Verceil, de la province de Lom¬ 
bardie, qui avait régenté à Paris dans le droit canon. C’était un 
homme de grande prudence, de grande expérience, dont la renommée 
était universelle. Sa mémoire était telle, qu’une fois une figure vue, 
ou un nom entendu, il ne l’oubliait plus. Il avait le don de saisir 
la situation personnelle et le mérite spécial de chacun, ce qui lui 
permettait de rendre à chacun ce qui lui était dû 1 . » 

Finesse dans la connaissance individuelle des hommes, justice 
dans l’art de les gouverner, ce sont des qualités administratives 
de première trempe, rares dans un même sujet. Si l'on y ajoute 
la science et la sainteté, et, ce qui donne au caractère le plus élevé 
son reflet le plus attrayant, la bonté, on aura de Jean de Verceil, 
selon les témoignages les plus authentiques, un portrait moral pris 
sur le vif 2 . 

Au physique, il était de taille médiocre, agréable de figure, et 
boitait légèrement 3 . 

Son robuste tempérament de Piémontais se prêtait à toutes les 
rigueurs de l’observance dominicaine. Dur à lui-même, le premier 
partout où l’énergie s’imposait, il pouvait ouvrir à ses fils la voie 
austère de la pénitence, et leur demander largement ce qu’il don¬ 
nait lui-même sans compter. 

L’élection eut son auréole légendaire. 

Frère Jean de Vicence prêchait à Bologne, dans l’église des 
Frères, la veille du jour où les Capitulaires se réunissaient au 
couvent de Saint-Jacques de Paris. Il recommande à ses auditeurs 
le choix du Maître Général; puis, leur montrant une feuille de 


1 Echard, I, p. 210. 

2 « Electus est in Magistrum ordinis Parisius in Capilulo Gcnerali frater Johannes 
de Vercellis, Provincialis Lombardiæ, vir magne prudentie et experientie in rcgi- 
minc, famosusque in orbe lcrrarum et in optimis omnibus notus. »» (Cron. Ordi¬ 
nis , p. 14. Ed. Reiciiert.) 

«< Questi fu tutto mansucto, uniilc... » (Bellini. Sérié degli uomini ed elle donne 
illnstri délia Cilla di Vercelli, p. 18. Ms. aux Arch. capital. de Verceil.) 

« Vir fuit magnæ pcrfeclionis et sanctitalis et rexit Ordinem per magnum tempus, 
scilicet per decein et novcm annos et dimidium in magna sanctitate. » (Bernard Gui, 
Acta Capit. Gen. Ord. Præd. Ms. arch. Ord., III. 2.) 

« In laboribus primus et infractus habitus. » (Sébastien de Olmedo, Chron. Ms. 
arch. Ord.) 

3 « Questo era di statura piuttosto piccola che grande, e zoppicava un tantino. » 
(Bellini, op. cit., p. 18.) 

« Fuit etiam in aspectu pulcher valde et gratiosus, in cibo et potu temperatissi- 
mus. » (Taegio, Chron. ampliss., I, p. 109.) 


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CHAPITRE I 


23 


parchemin toute blanche, il leur dit : « On va mettre cette feuille 
dans le coffre du couvent, et demain le nom de celui qui aura été 
élu Général de l’Ordre sera écrit dessus. » Le lendemain on prit 
le parchemin, et on lut le nom de Jean de Verceil 1 . Quelques jours 
après, la nouvelle officielle de cette élection fut apportée de 
Paris. 

Tout se passa, dans ce Chapitre, avec la plus fraternelle con¬ 
corde. Jean de Verceil lui-même fut heureux d’en aviser le cardinal 
Richard Annibaldi, de l’Ordre des Prêcheurs, présent à la cour 
romaine *. 

On pourrait soupçonner, d’après ces quelques lignes, qu’il y avait 
eu des craintes de troubles : « Au Vénérable Père et Seigneur 
Annibaldi... Je ne veux pas laisser ignorer a Votre Bonté que 
le Chapitre s’est poursuivi, sous l’influence de la grâce céleste, 
dans la paix et le calme. L’homme ennemi n’est pas parvenu à 
semer la zizanie parmi les serviteurs vigilants du Christ; mais, 
au contraire, tout a été fait en vue de conserver le lien de 
l’unité 3 ... » 

Le Pape Urbain IV avait envoyé au futur Maître et aux Capi¬ 
tulaires des lettres d’affection accompagnées de quelques conseils 
pour le bien de l’Ordre 4 . Jean y répondit lui-même, en protestant 
de l’obéissance de l’Ordre entier aux directions du Saint-Siège. 11 
l’assure, de plus, des nombreux suffrages que les Pères ont voulu 
ordonner pour le Souverain Pontife et pour l’Église universelle, 
afin que les dangers qui menacent la chrétienté soient écartés^ Il 

1 « Antcquani pater istc Parisius eligeretur, Frater Joannes Vicentinus (cognomi- 
natus Sanctus), Bononiæ in publica prædicatione dixit : « Nunc Parisius instat 
elcctio Magistri Ordinis Prædicatorum, » et producta cartula quadam alba in qua 
nihil scriptum erat, dixit quod in deposilo servaretur et crastina die nomen illius 
qui electus fuisset in ea reperiretur. Quod et factum est.*» (Taegio, Chron. ampliss., 
I. p. 109.) 

Cf. Bzovius, Annal. Ecoles., ad annum 1281. — Michèle Pii», Delle vite degli 
huomini illustri delV Ordine di S. Domenico , p. 6 4. Ed. de Pavie, 1613. 

1 De l’illustre famille patricienne de Rome, Maître en théologie, Cardinal du titre 
des Saints-Apôtres en 1261. Il était grand ami de saint Thomas, sous lequel il avait 
enseigné à Paris. « Qui fuit Magister in S. Theologia, et fuit vir magnæ humilitatis 
et veritatis et sanctus homo, quem Fr. Thomas valde dilexit. »» (Ptolémée 
de Lucques, Histor. EccL, lib. XXII, cap. xxm. Ap. Muratori, Rer. liai. Script., XI. 
Cf. Echard, I, p. 161.) II mourut à Orvieto, en 1272. 

3 ce Venerabili patri ac domino Anibaldo etc... Vestre dignacionis litteras... 
Cupio Vestre Benignitatis gratiam non latere quod Capituli processus celesti dire- 
ctus gralia in omnibus fuit habitus pacificus et quietus nec inter pervigiles Dci ser- 
vos inimicus homo turbacionis zizaniam potuit seminare, set ad unitatis conservan- 
dum vinculum rite peractis singulis tractanda omnia processerunt... » (H. Finke, 
(Jngedruckte Dominikanerbriefe, des 13 Jahrhnnderts, p. 57. Paderborn, 1891.) 

4 Ces lettres ne sont pas au Bullairc, ni dans Potthasl. 

5 L'éditeur des Acta Cap. ne les a pas donnés. Cf. Acta Cap., I, p. 126. ce Ista 
sunt suflragia : pro Domino Papa et Cardinalibus et statu tocius ecclesie etc... »* 
Mais le Maître dit : « Injuncta* sunt misse et orationes alie spéciales. •» 

Lettre de Maître Jean de Verceil au Pape Urbain IV, Paris, juin 1264. 

« Sanctissimo patri ac domino Deo gratia sacrosancte ac universalis ecclesie 


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24 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


lui annonce que pour resserrer encore les liens qui unissent si 
étroitement l’Ordre des Prêcheurs à la Chaire de Pierre, il se pré¬ 
sentera devant lui le plus tôt qu'il pourra 1 . 

Le roi de Castille*, la duchesse de Brabant, avaient également 
adressé au Chapitre des lettres pleines d’affectueux dévouement, 
sollicitant les prières des Frères pour leurs personnes, leurs fa¬ 
milles, leurs Etats. C’était chose commune, à l’époque; un Cha¬ 
pitre Général de Prêcheurs ne passait point inaperçu. De toutes 
les nations chrétiennes, des demandes de faveurs et de suffrages 
affluaient, quelquefois aussi les plaintes des prélats et des autres 
réguliers. 

Les réponses du Maître sont remplies de déférence et animées 
envers ces illustres et généreux bienfaiteurs de la plus vive recon¬ 
naissance 3 . Pour tous, les Frères devaient offrir à Dieu les prières 
ordonnées par les Actes. La liste en était souvent très longue. Nul 
ne pouvait s’en plaindre, car la longueur de ces listes de suffrages 
disait éloquemment le nombre très grand des amis de l’Ordre. Ce 
que ceux-ci donnaient libéralement au temporel, les Frères le leur 
rendaient non moins libéralement au spirituel. 

Jean, margrave de Brandebourg, désireux déposséder dans ses 
États une maison de Prêcheurs, avait déjà fait plusieurs suppliques 


summo pontifici frater Johannes etc., se ipsum cum lui militai e profunda ad pedum 
oscula beatorum. Vestre dipnacionis et pratie rcceptas littcras cum reverencie débité 
famulatu fratres in capitulo sibi leetas at(l)tentius et devotius audierunt, quod 
continebatur in cis, prompla fidelis exequ(u)tionis obcdicncia inplcturi. Intellect» 
iquidem. quod vos. communis omnium pater et ipsorum dominus spirituales, col- 
lisioncs fluctuum adversorum eireumquaque sustinetis, et non solum alieni a fidc 
set in fidei sacramento renati suis tamen criminosis aelibus et perversis alienati 
ab utero matris sue facti depeneres et privipni cxcclleneiam sanctitatis paterne in 
diversis mundi partibus audaeius et periculosius persequ(u)ntur et contra vestre 
compassionis viseera hec reniant universa, qui patimini in sinpulis passionibus 
subditorum, violent vehemencius tamquam menbra humillima in sui capilis lesione, 
cum deflente deflent, cum turbato, qui pro omnibus uritur, licet dissimiliter, per- 
turbantnr. Nec mirum si pro tanto domino pâtre tam benipnissimo aftlipantur, 
cujus ad Ordinis alTectum intimum, benivolencie pratiam ipsius domini transmissi 
venerandi apiecs liquido demonstrarunl. Proptcr quod, sanctissime pater ac domine, 
pro salutis vestre conservacionc pariter et aupmento, pro statu pacifieo et Iran- 
quillo univcrsalis eeclesie iniuncte sunt misse et orationes alic spéciales Fratribus 
omnibus in diversis mundi partibus constituas tanto solvende fervencius et exhi 
bende fidelius, instancius exequende, quanti» hoc requirit amplius undique dolosa 
calliditas, aperta scvicia et crudelis immanitas, que contra Sedis Apostoliec beni- 
pnitatem et mansuetudinem pravissime insolescunt. Quia vero sub vestre dipnacio- 
nis respectu quasi quibusdam pietatis alis ordo noster roboratur, protepitur et 
fovetur, supplico vestre plenissime et cfficacissime potestati in brevi annuente 
Domino ad vestram presentiam accessurus, ut Fratres tocius Ordinis vobis devo- 
tissimos juxta conccptam de vcslra benipnitate (iduciam prona dipnemini benevo- 
lentia confovere, oportunis eisdem adesse presidiis et ipsorum statum Cimpruis 
roborare favoribus et in melius conservare. » (H. Finke, Ungedruckte Dominika- 
nerbriefe, des 13 J&hrhunderts, p. 56, n° 8. Paderborn, 1891.) 

* Ibid. 

1 Ibid., p. 58. 

3 Ibid., p. 55. 


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CHAPITRE I 


25 


demeurées sans résultat. D'autre part, des Frères de Pologne et 
d'Allemagne se disputaient la possession d’un couvent de frontière, 
pour passer sous son autorité l . Jean de Verceil sut profiter de cette 
situation; et tout en félicitant le margrave de son affection pour 
l'Ordre, tout en louant sa pieuse impatience, il délègue des Frères 
pour dirimer la question entre les deux provinces : « On se dis¬ 
pute pour venir sous votre commandement, lui dit-il, prenez un 
peu patience 2 ! » 

De la province de Dacie, Agnès, fille du roi Eric de Danemark, 
écrivait une lettre des plus touchantes et des plus élogieuses pour 
les Prêcheurs : « Votre Ordre répand partout un parfum si suave ; 


1 Lettre du margrave Jean I de Brandebourg au Chapitre de Paris, 1261. 

« Viris venerabilibus etc., marehio Brandenburgensis. Cernentes, quod vestre 
religionis sacra professio sic divina favente gratia totuni orbem illustravit, ut 
queque gens et nacio fidelium ductores hujus exilii patresque sani consilii fratres 
vestri sacri collegii habere se gaudeat vel exoptet, postulavimus in vestris capitu- 
lis tam generalibus quam provincialibus nostris litteris domuin vestri ordinis nobis 
dari in districtu nostri dominii collocandam, nec adhuc fuimus exauditi. Tedio 
tamen tante dilacionis afTecti pie devotionis, quant ad vos gerimus. minime fati- 
gati, sicut petivimus. nune quoque petimus, ut domum nobis velitis concedere 
postulatam, quam proponimus in noslrorum rcmissionem pcccaniinum vestrorumque 
participacioncm bonorum ad Dei gloriam promovere. Sane inter cetera, que no- 
stram peticionem exaudiri distulerunt, intclleximus, quod fratres de provincia Polo- 
nie vestri ordinis, eosdem terminos nostri doniinii, eo quod de diocesi Camvnensi 
sint, ubi dom(u)m habent, quodque olim Sclani quidam, non Poloni, prius etiam 
quam vester ordo fuerit, eosdem inhabilaverint, nituntur pro sua provincia occu- 
pare. Super quo scire debetis, quod in eisdem terminis eos sustinere nec volumus 
nec possumus, etiam si domum ad provinciam Teuthonie pertinentem nobis, quod 
absit, omnintodis negarctis. Posset cnim posteris nostris a dominis Polonie hac 
occasionc super eisdem terminis, quos pleno iure de manu imper» possidemus. 
questio gencrari. Parati sumus nichilominus fratres meinoratos in terminis, quos 
circa Poloniam jam habemus, vel habituri sumus in posterum, cum a nobis rcqui- 
sierint, sicut fratres et patres karissimos promovere. » (Finke, op. cil ., p. 59, n° 15.) 

2 Lettre de Maître Jean de Verceil au margrave Jean I de Brandebourg. 

« IUustri principii dominoque magnifie» Johanni Dei clemcncia marchioni Bran- 
denburgensi frater Jo(hannes) per divinam gratiam gloriam consequi sempiternam. 
Rccitatis in cctu fratrum nostrorum capitulum ceiebranlium magnificencic vestre 
litteris, in quibus dont (uni) nostri ordinis in vestri dominii terminis pelivislis, 
cun(c)tis assideutibus vestre devocionis instancia complacebat, mil» quoque ex 
imposito novilcr oflicio angustia suspiranti gaudii spirilualis iubar illuxit, quod 
vos, qui terreni culmiuis excellentia si floretis, nichilominus ad ampliacionem diviui 
cultus iu terra vestra querendo et sapiendo, que Dei sunt, per salutarem doctrinam 
tam fréquenter, tam ferventer tamque sollempniter anhelatis. Et ecce vobiscum et 
pro vobis diversa turba posccncium, vestris autem votis convenientium, inimo 
desideriis concurrent»»» Teuthonicorum atque Polonorum ordinis fratrum, qui cer- 
tatiin sub protectionc tam pii priucipis servire domino cupidités bouo certamine 
cursum consummare, fidem catholicam apud vos seu servare seu propagare debere 
dicebant et evaugelica instructiouc per angustam porlam in terra vestra ponendam 
inlrare fervore spiritus contendebant. Ego sane mirandam pariterque laudaudam 
banc conteneionem existimans, ut religiosi, qui alibi propulsi dilTugiunt, sub alas 
vestras confugere sic contendant, commisi fratribus adhoc de communi consilio 
ordinatis, ut, quam cito poterunt, ad illas partes accedentes oculata fide diffiniaut, 
ubi et a quibus vestre pie devocionis et devote nobilitatis desiderium dignum con- 
sequatur effectum, rogans humiliter, quatenus in proposito divinitus inspirato 
crcscalis, ut in hac paciencia, que faeiente domino non peribit, non solum vestram 
set et multarum animas possidere possitis. » (Finke, op. cil., p. 60, n° 16.) 


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26 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


il jouit d’une réputation si éclatante; il est si saint par sa piété, 
que, dans tous les pays du monde, il est connu, même dans les 
contrées les plus glaciales et aux confins de la terre. Cette odeur 
exquise est venue jusqu’à nous... Désireuse de fuir les incertitudes 
de la vie, attirée par amour vers vous, dirigée vers la vraie per¬ 
fection, nous avons résolu de choisir votre Ordre, parce qu’il est 
d une plus belle dévotion, qu’il a un zèle plus droit, une piété plus 
ardente, l’abondance de toutes les vertus, et qu'il présente comme 
un miroir et un résumé de tous les autres Ordres; je l’ai désiré 
ardemment, je l’aime pieusement, je l'embrasse avec énergie... 
Déjà j’ai fait vœu, entre les mains du Père Prieur Provincial, de 
servir Dieu sous la discipline de votre Ordre, j’ai pris l'habit que 
portent les Sœurs de l’Ordre; avec quelques jeunes filles dont Dieu 
a touché le cœur, je vais bâtir un monastère doté de mes biens de 
famille, dans lequel je veux vivre dans le service de Dieu, sup¬ 
pliant votre paternité, par l’amour de Dieu, qui ne refuse aucun 
de ceux qui désirent le suivre, d’agréer ma supplique et de me 
prendre avec mes sœurs sous la garde et la protection de l’Ordre’. » 

De pareils témoignages d'affection, d’estime et de dévouement 
durent consoler et réjouir le cœur de Jean de Verceil. 

Après le Chapitre, le nouveau Maître Général adressa à l’Ordre 
entier, selon l’usage, une encyclique. Elle est un cri d’humilité, 
un appel urgent de sa faiblesse à la grâce de Dieu, un hommage 
éclatant à la vertu de ses prédécesseurs, un recours aux prières de 
ses fils, comme à leur bonne volonté. On sent, dans ce premier jet 
d'une âme qui doute d'elle-même et veut cependant accomplir de 
grandes choses, l'énergie cachée qui saura, en temps voulu, donner 
le coup de barre décisif avec vigueur et sécurité 2 . 


1 Finkc, op. cit., p. 62, n° 19. 

2 Première lettre encyclique de Maître Jean de Verceil. 

« Universis fralribus ordinis fratrum pra*dicatorum, in Christi visccribus intime 
diligendis, Fr. Johannes, eorum servus inutilis, augmenta continua graciarum. 

« Contra spem a spe cadens, ad quietis suspirantem remédia post labores, 
sudores, quos sub cura procura tons prioratus sustinui, augeri reperi non precindi. 
Putabam diuturnas sollicitudines, sub quibus es tu urebar et gelu, nocturni silencii 
occursibus relevari. sed noctem tranquillitati creditam et concessam inveni muta- 
tam in diem gravaminis et laboris. 

« Quid dicam professione pari, dilectissimi michi fratres, ex ofllcio suscepto filii, 
patres vérins propler copiam meritoruni : Geniti niatris mee ad eligendum crcati, 
inc custodem in vineis posuerunt. qui nec custodieram consciencie propric vineam, 
ut debui, singularem , mee diligencie spécialité»' commendatam. Insufficiens qui- 
dem in modico, qualité»' esse potei'o sufficiens in maiori? Et quid facient sub gravi 
oncre liumeri imbecilles, qui sub levi positi trepidabant? Pi-cdecessoribus et pre- 
ccssoi’ibus meis quondam magisti’is suscepi homuncio. cogente obediencia, parem 
locum, inpar tamen meritis, dispar vita, inferior moribus. auctoritate debilior. ab 
eorum inclita convei'sacnmc dissimilis et quasi penitus alienus. 

« Novi, IVatres, novi, quanta onera adducat talis successio, cum sim coi'um. qui 
me precesserunl tam honestioribus exemplis et actibus quadam successionis linea 
fedei'atus. Novi, quid de meis manibus requiratur. Quid agam, ignoro, nisi michi 


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CHAPITRE I 


27 


sufficiencia, que ex deo est, subvcniat, et de eis, que concedet, meo solvam dcbi- 
tum Creatori. Et quia parum est, immo forte niehil olei in lechito, multiplicetur, 
queso, figurati Helyzei mandate, qnin pocius copiosius infundatur. 

« Causa timoris miehi et vobis pariter est communis. Et ideo, quod michi pro¬ 
prie vives denegant, vestrarum oracionum sollicita et caritativa subsidia pulsala 
divina clemencia subministrent. Et quia me videtis ad excollendam ordinis vineam 
tamquam operarium destinatum, ne imminentibus nimium premar curis, graver 
laboribus, sollicitudinibus distrahar, imbecillitate dcficiam, obsecro relevanciam 
gaudii ministrare, qui michi esse debetis gaudium et corona. 

« Odorem spiret sanctc conversacionis opinio, sermonis modestia, mencium dis¬ 
ciplina; niehil fiat, quod vestram non deceat sanctitatem. Oracioni instatc, inten- 
ditc vigilancius lcctioni, vestram et aliorum salutcm pariter procurantes. Ilabun- 
dabo, fateor, gaudio, si videro, si audiero meos in Cliristo filios per tam laudabilis 
veritatis semitas ambularc. Hiis curetis iutendere, et acquisila sollicitudinc custo- 
dite, ne dormitacione negligencium seminet quicquam zizanie inimicus, ne virlutum 
flores in ramisculos degenerent vanitatis, ne talibus prcciosis et spcciosis actibus 
ingeratur, quod eos sua indecencia dehonestet. 

« Perfectio perfections status provide et continue pensetur a vobis, ne transcanl 
vobis tempora vacua, que eontinuata iustorum operum semina exigunt et requi- 
runt, iudeffleiente messione reddenda. Et sic in conspectu domini pro communi 
promocione vestre salutis efficacior ascendet oracio vestra [et] vires dabit vicaria 
operacio fructuosa. Indecens quippc videtur, ut moram lemporis longioris, quo in 
professa religione viximus, non comitetur promocio spiritualis, et ibi dampna 
tepide negligencie senciantur, ubi per casum corrupcionis continue, mortis 
appropinquante sepulchro, thesauri celestis affluencia penilentibus copiosius indul- 
getur. 

<• Propter quod, amantissimi fratres, queso, vestre compassionis visccra, pensato 
causarum onere michi imposito, angelicis humeris formidando, ad preces pervigiles 
prome solvendas domino commoveri neenon aliis me recommendare velitis cum 
supplicaciones multorum impossibile sit non audiri, ut vestro profcclui tanto 
intemlam plenius, consulam caucius et ilium procurem utilius, quanto profusiora 
dona carismatum vestris meritis et oracionibus michi curaveritis eontinuata sup- 
plicacionum instancia de manu liberalissimi domini optinere. 

« Datum Pansius anno Domini m°. cc°. lxiiii°. in capitulo gcnerali. •> 

(Litter. Encycl., p. 63, n° 15. Ed. Reichert.) 


BIBLIOGRAPHIE 

Touron, Histoire des Hommes illustres de l'ordre de Saint-Dominique. 1743. 
Année dominicaine , édition ancienne, décembre. 

Michèle Piô, Delle vite dcgli huomini illuslri dell* Ordine di S. Domenico. 
Pavie, 1613. 

Galizin di Giaveno, Alli de santi che fiorirono né dominii délia real casa di 
Savoia. Turin, 1747. 

Mothon, Vita del B. Giovanni da Vercelli , seslo Maestro Generale dell’ ordine 
de' Predicatori. Vcrccil, 1903. 

N. B. — J’avertis, une fois pour toutes, que l’ordre des auteurs dans la 
bibliographie suit l’ordre des matières traitées dans chaque chapitre et non 
la simple chronologie des ouvrages. 


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CHAPITRE II 


L’ADMINISTRATION INTÉRIEURE DE L’ORDRE 


Le premier soin de Maître Jean fut de se choisir un bon compa¬ 
gnon de travail. 

Cette place, au dire d’Humbert de Romans, avait une grande 
importance. « Le Maître, écrit-il dans son livre des Offices de 
l'Ordre, prendra pour compagnon un homme ayant la crainte de 
Dieu, zélé pour le bien de l'Ordre, de conversation agréable, 
robuste de santé pour affronter les fatigues des voyages, discret, 
vraiment religieux. Il doit être réservé avec les Frères, ne pas 
affecter des airs de supériorité, chercher avant tout Futilité de 
TOrdre. C'est à lui qu’il appartient de se rendre compte de la situa¬ 
tion régulière des couvents où il passe avec le Maître Général 
et de lui signaler les réformes opportunes, mais avec humilité et 
modestie. S'il y a des abus, qu'il les indique; qu’il les rappelle au 
besoin, si le Maître oubliait d’y remédier. Sa discrétion doit être 
absolue. A lui d’introduire près du Maître les religieux timides, 
qui n’osent pas se présenter; il accueillera avec courtoisie tous ceux 
qui auront à traiter quelque affaire avec le Maître. Il veillera à ce 
que les religieux du couvent soient très hospitaliers pour les Frères 
étrangers. Si le Maître refuse certaines demandes, le compagnon 
fera en sorte de consoler les religieux attristés et de les renvoyer 
en paix. Si l’on murmure contre les procédés du Maître, si l’on 
critique son administration, le compagnon s’efforcera de justifier 
sa conduite et de calmer les mécontents. En aucun cas il n’exci¬ 
tera le Maître contre un religieux, à moins qu’il n’y ait absolue 
nécessité de réprimer un scandale *. » 

Sans être supérieur, sans même en prendre l’attitude, le com¬ 
pagnon du Maître Général jouissait, comme on vient de le voir, 
d’une réelle influence. Vivant au jour le jour avec le Maître, au 


1 Humbert de Romans, Opp., II, p. 193. De officio Socii i\fagistri Gener. Ed. Ber- 
thier. 


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CHAPITRE II 


29 

courant de ses idées, de ses principes, de ses projets, faisant avec 
lui la visite des couvents , en rapport par là même avec tous les 
religieux, souvent le confident de leurs peines et de leurs désirs, 
il était à même de rendre au Maître et aux Frères les plus émi¬ 
nents services; à même également, s'il n'avait pas le caractère 
moral et l'intelligence qu'exigeaient ses fonctions délicates, d'être 
une cause de ruine et de trouble. Son choix n'était donc pas indif¬ 
férent. 

Maître Jean eut la main heureuse. Il prit pour compagnon un 
Frère du couvent de Bologne, Barthélemy de Faenza, dont il con¬ 
naissait de longue date les hautes qualités. C’était un homme très 
religieux, observateur scrupuleux des cérémonies de l’Ordre, grave 
de mœurs, austère de vertu. La vieille chronique 1 qui trace ce 
portrait ajoute que Frère Barthélemy fut choisi par Jean de Verceil 
pour être sa propre règle, pour diriger les autres et édifier les pré¬ 
lats des églises. Il avait, de plus, un talent de secrétaire si déve¬ 
loppé, qu'il jouissait à la cour romaine d’une renommée extraordi¬ 
naire. Mais les divers séjours qu’il y fit ne purent jamais le distraire 
de l'observance rigoureuse des lois dominicaines. En le prenant 
dans sa compagnie, Maître Jean, partout où il passait, pouvait le 
donner en exemple à tous les Frères. C’était comme une règle 
vivante qu’il menait avec lui. 

La vie était dure à qui suivait le Maître des Prêcheurs. Jamais 
de résidence fixe. On ne pouvait se promettre ce chez soi qui, pour 
modeste qu’il puisse être, donne à tout le moins l'illusion d’un 
repos plus doux. Maître Jean gouverna l’Ordre pendant vingt ans; 
vingt ans il voyagea. Ce qui veut dire que, pendant vingt ans, il 
ne fut jamais dans une maison à lui; que, pendant vingt ans, il 
parcourut à pied tous les chemins de l'Europe; que, pendant vingt 
ans, il vécut en grande partie avec des étrangers. Et ces vingt années 
de pareille abnégation, de fatigues continues, furent les années de 
sa vieillesse. Jean de Verceil avait soixante ans, peut-être plus, 
quand il fut élu Général. C'est d'ordinaire l’âge où, après un 
labeur estimé très long, on se retire douillettement dans un inté- 

1 « Iste liber fuit Fr. Bartholomæi Favcntini, qui fuit vir religiosus valde, et in 
cærimoniis Ordinis servandis exacta diligentia sollicitais, in morum conipositione 
maturus et virtutibus cxemplaris. Hune assumpsit in socium itineris , et laboris 
Magister Iohannes de Vercellis tamquam regulam sui, et aliorum directionem, et 
ad Prælatorum, ac etiam Præfectorum ædifîcationem... Hic fuit dietator egregius. 
In Curia Romana degens diu cum duobus primo Cardinalibus, et postmodum cum 
duobus Summis Pontificibus propter eximiam dictandi peritiani, rigorem obser- 
vantiæ regularis servabat ad plénum. Tandem confectus senio in Conventu Bono- 
niensi... senioribus laudabile relinquens exemplum... et sanctis meditationibus ac 
orationibus indefessis vacans obiit. Benedictus Deus super omnia... » Extant hæ 
adnotationes ad calcem Cod. mss. Bibliothecæ nostræ Bouoniensis de Eruditione 
Reügiosorum Guillelmi Peraldi. Scriptæ videntur ab auctore sæculi xm. (Lib. QQ, 
p. 559. Ms. arch. Ord.) 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


rieur aussi moelleux que possible, pour y jouir en paix du crépus» 
cule de sa vie. A son déclin comme à son aurore, l’homme a besoin 
d'un berceau. 

Le Maître préféra dépenser, jusqu’à la dernière goutte, son acti¬ 
vité. 

11 tint vingt Chapitres généraux. Entre celui de Paris, en 1264, 
où il fut élu, et celui de Montpellier, en 1283, où il mourut, il y 
a des écarts de route immenses dont les points extrêmes sont 
l’Angleterre, la Hongrie, l’Allemagne et l’Italie. Pendant les dix 
premières années, il va de Paris à Montpellier, puis à Trêves, puis 
à Bologne, à Viterbe, — c’est la plus courte étape; — il revient à 
Paris, puis à Milan, à Montpellier, a Florence, et enfin se hasarde 
jusqu’à Bude. Du fond de la Hongrie il revient à Lyon, en 1274, 
deux fois en Italie, — Bologne et Pise, — puis il passe à Bordeaux. 
Paris le revoit en 1279; il va à Oxford, à Florence, pousse jusqu'à 
Vienne et va finir ses interminables pérégrinations à Montpellier, 
en 1283, lieu où il les avait commencées vingt ans auparavant. Il 
les fit toutes à pied; comme il boitait légèrement, cette infirmité 
lui était une difficulté de plus. Quelques Frères l'accompagnaient, 
portant ses vêtements, ses livres, son sceau généralice. 11 allait 
ainsi à la garde de Dieu, de couvent en couvent, son bâton à la 
main, simple, pauvre, quêtant sur sa route, comme le bienheureux 
Patriarche Dominique. Sauf les provinces les plus excentriques : 
la Dacie, la Pologne, la Grèce, même l’Espagne, Maître Jean visita 
plus des deux tiers des couvents de l’Ordre. Sébastien de Olmedo, 
Espagnol, lui reproche, dans sa Chronique, d’avoir négligé l’Es¬ 
pagne 1 , la première des provinces. Mais il l’excuse aussitôt en 
disant que, à la vérité, il le fit plutôt pour le bien commun que 
pour satisfaire la jalousie de quelques-uns. Du reste, ajoute le 
chroniqueur, le Maître tint Chapitre à Bordeaux, à Montpellier; 
c’était presque l’Espagne! Montpellier dépendait même, à cette 
date, du roi d’Aragon. 

Les Espagnols auraient eu mauvaise grâce à se plaindre, car 
beaucoup de Chapitres eurent lieu en France et dans la Haute-Ita¬ 
lie; leurs voyages se trouvaient bien plus restreints que ceux des 
provinces du Nord. Mais le Maître donnait ses préférences au 
couvent de Milan. Outre que c’était son pays, — raison qui valait 
peu à ses yeux, — il estimait que la maison de Saint-Eustorge par 
sa situation centrale, — comme à mi-chemin pour toutes les par- 

1 « Viginti etenim annis ferme ordini præfuit, totidemque Capitula Generalia hic 
celebravit cum adhuc essenl proviuciæ duodecim tantum, et si in Hispania earum 
principe nullum, comniuui utilitati forsan magis quant aliquorum îemulationi inten¬ 
tions... Burdegalis tamen et in Montepessulano quasi in Ilispaniis maximos con- 
venlus habuil. »* (Sébastien de Olmedo. Chron.. p. 28. Ms. arch. Ord.) 


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CHAPITRE II 


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ties de l’Ordre, — par son climat tempéré, à l'époque ordinaire 
des Chapitres généraux qui se célébraient à la Pentecôte, par 
l’abondance des vivres dont la ville était largement approvisionnée, 
par l’ampleur des bâtiments qui permettait de recevoir à Taise un 
grand nombre de religieux, était le lieu le plus favorable à la tenue 
des Chapitres 1 . Il n’y alla cependant que deux fois (1270 et 1278), 
sans doute par condescendance pour les autres provinces et aussi 
pour les bienfaiteurs de l'Ordre, qui souvent faisaient de vives ins¬ 
tances pour avoir Thonneur de posséder le Chapitre. 

Maître Jean de Verceil, d’accord avec les Pères Capitulaires, 
combinait toutes ces convenances selon ses projets de visite. Car, 
comme ses prédécesseurs, il avait pour principe de se mettre en 
rapport immédiat avec ses religieux : Faire des lois, c’est diriger; 
en surveiller l’exécution, c'est gouverner. La loi montre le but, 
l’autorité le fait atteindre. 

Aussi le Maître voulait-il saisir sur le vif l’application réelle des 
Constitutions, voir de ses yeux ce que les Frères faisaient dans les 
couvents, constater par lui-méme leur régularité, leurs défaillances, 
entendre leurs réclamations, leurs plaintes, leurs désirs. Cette vie 
cœur à cœur, cette intimité entre le supérieur et l’inférieur, qui 
soulèvent tous les voiles et révèlent la conduite pratique, locale, 
de chaque communauté, lui paraissaient de toute nécessité pour 
gouverner avec justice et surtout sans illusion. Après la visite des 
couvents d’une province, le Maître avait une base réelle, solide, 
d’opération ; il connaissait le bien et le mal de son personnel ; il 
savait ce qu’il y avait à faire pour développer l’un et enrayer la 
marche de l’autre. De sorte que peu à peu, de visite en visite, il 
parvint, avec sa finesse d’esprit, à se rendre un compte exact, 
adéquat, de l’état de l’Ordre. Le voulût-on, il était impossible de 
le tromper. Les personnes même lui étaient familières. Pendant 
son séjour dans le couvent, il voyait les Frères, se renseignait sur 
eux,prenait ses notes, et au besoin, lorsqu’il lui fallait un homme 
pour occuper un poste de confiance, il savait où le prendre. 

De là, pendant ses vingt ans de magistère, les voyages inces¬ 
sants que le Maître s’imposa. C’était, pour lui, un principe de bon 
gouvernement. 

Il ne répugnait pas à surprendre les Frères. Arriver à l’impro- 
viste dans un couvent, quelquefois comme un inconnu, lui sem- 

1 « Hoc auno (1270) Maprister Ordinis in Capitulo Generali prcsidens dixit 
quod conventus Mediolanensis convenientior locus est ad celebrandum Capitulum 
Generale cunctis conventibus ordinis. Primo, ratione situs, quia prope Franciam, 
Alemaniam et Thusciam; secundo, ratione temperati aeris in estate in qua Capi¬ 
tula Generalia celebrantur; tertio, ratione ciborum, quia ibi in niaxima liabentur 
habundantia; quarto, ratione hedificiorum, quia in eo erant hedilicia ampla et in 
ma^iio numéro. » (Taegio, Chron. amplis*., I, p. 122. Ms. arch. Ord.) 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


blait un moyen sûr de s’éclairer sur sa vie régulière, quotidienne, 
la vraie, celle qui ne parade point. 

Un jour qu’il visitait la province d’Allemagne, Jean de Verceil, 
laissant en arrière plusieurs de ses compagnons de route, se pré¬ 
senta avec l'un d eux à la porte d’un couvent. 

« Nous sommes des Frères Lombards, » dit-il au portier. Celui- 
ci, voyant ce petit homme boiteux, ne le prit point pour un per¬ 
sonnage de marque. Il annonça simplement au Prieur que deux 
Frères Lombards demandaient F hospitalité. C’était l’heure du dîner; 
les religieux se trouvaient déjà au réfectoire : « Qu’ils entrent, dit 
le Prieur, et placez-les au dernier rang. » 

Et le Maître regardait. Or le Frère servant distribuait à tous les 
convives du poisson. On n’en donna pas aux Frères Lombards. 
Jean de Verceil, étonné, appelle le servant : « Veuillez donc deman¬ 
der au Père Prieur de vouloir bien nous faire servir du poisson, 
car nous sommes exténués de fatigue. » 

Et quelques instants après, dans le grand silence du réfectoire, 
on entendit le Prieur qui disait à haute voix, pour être bien com¬ 
pris : « Non habemus pisces pro Lombardis! Nous n’avons pas de 
poisson pour les Lombards. » 

Le Maître se contint. Il sort de table avec les autres, peu res¬ 
tauré, et assiste aux grâces. Entre temps, comme il était convenu, 
ses compagnons sonnaient à la porte du couvent : 

« Qui êtes-vous? demande le Frère portier. 

— Nous sommes les compagnons du Maître Général. 

— Mais le Maître Général, où est-il? 

— Vous n’avez donc pas reçu tout à l’heure un Père assez âgé, 
ayant à la main un bâton, accompagné d’un autre religieux? » 

Tout effarés de l’aventure, les Frères ne savaient plus que faire. Se 
voyant découvert, Jean de Verceil ordonna de sonner le Chapitre. 
Il s’assied au milieu de ses fds, et, d’une voix grave, il commence 
ainsi son discours : « Non habemus pisces pro Lombardis 1 ! Nous 
n’avons pas de poisson pour les Lombards ! » Ce fut son texte ; il 
en fît un sévère commentaire, reprocha durement au Prieur son 
inhumanité, le cassa de sa charge, et introduisit dans la maison 
une salutaire réforme 2 . 

Pendant ses vingt ans de gouvernement, Maître Jean de Ver¬ 
ceil modifia peu les Constitutions de l’Ordre. Son œuvre est plutôt 

1 Au moment où la permission de culte fut accordée par Pie X, en 1903, on 
composa l'office avec l'oraison du bienheureux Père. L'oraison suivante, — qui ne 
fut point proposée à la Congrégation des Rites. — ne manque point de saveur : 
<• Deus qui optimum Teutonibus piscem tribuisti. coque Longobardos carere per- 
misisti, Beato Joanne intercedente, fac nos eduliis hiare celestibus , cibisque uti 
terrestribus ad sobrietatem. » Le liturgiste reste anonyme. 

2 Jacques de Soest, Chron. Ord. Præd., lib. QQ.-p. 452. Ms. arch. Ord. 


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CHAPITRE II 


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conservatrice. A part quelques points, le code législatif des Prê¬ 
cheurs, lentement élaboré, sagement complété par ses prédéces¬ 
seurs, avait reçu, sous Humbert de Romans, sa forme à peu près 
définitive. Outre le texte, Maître Humbert offrait aux religieux un 
commentaire lucide, pondéré, des lois dominicaines, tel, qu’en le 
lisant on en savourait fructueusement le noble esprit. Il n’y avait 
donc plus à innover. Aussi tous les efforts de Maître Jean de Ver- 
ceil allèrent à la conservation intégrale du dépôt qu’il avait reçu. 
Il n’eut qu’un but : maintenir les Frères, par ses Chapitres, par 
ses lettres, par ses visites, dans l’observance primitive. Il ne leur 
impose aucune obligation nouvelle; il ne change pas les coutumes 
anciennes, mais il entend que la loi soit fidèlement observée. Sur 
ce point sa vigilance est minutieuse, ses admonitions pressantes, 
ses châtiments sévères. Ainsi, voyageant à pied, comme saint 
Dominique, il exige que les autres fassent de même. On s’en dis¬ 
pensait déjà facilement. « S’il y a des abus de cheval ou de voi¬ 
ture, qu’on les signale aux Chapitres généraux et au Maître lui- 
même » 

La loi était encore si rigoureuse, que l’on ordonne aux Prieurs 
et aux Prédicateurs Généraux qui ne pouvaient se rendre aux 
Chapitres qu'à cheval ou en voiture de rester chez eux *. 

De même pour la pauvreté. Si un Frère reçoit un coupon d’étoffe 
pour ses vêtements, on doit, avant d’en autoriser la confection, 
s’assurer que l’étoffe est conforme à l’humilité de l’Ordre 3 . Il y 
avait des examinateurs officiels du vestiaire. Les Provinciaux ne 
devaient pas accorder à leurs religieux la faculté de recevoir de 
l’argent à leur usage personnel, d’une façon illimitée; et celui qui 
en recevait était tenu d’aviser son Prieur 4 . 

Le dépôt personnel, légitime en une certaine mesure, menaçait 
toujours de nuire à la pauvreté. On proscrit les vêtements ecclé¬ 
siastiques, les décorations, les croix d’or ou d’argent, les pierres 
précieuses, les anneaux. Tous ces objets inutiles doivent dispa¬ 
raître dans les trois mois 5 . L’argent laissé à la disposition des 
Frères par les supérieurs, pour un usage déterminé, ne peut être 
employé qu'à cet usage, sous peine d’entrer, de droit, dans la caisse 
commune 6 . 

1 o Quicumquc fratres equitaverint vel currisaverint, sccundum quantitatem 
culpe puniantur, et Visitatores cxcessus hujusmodi notabilcs nuncient Magistro et 
Capitulo Generali. » ( Acta Cap., I, p. 125. Chap. de Paris, 126».) 

* « Priores et Predicatorcs Generales' et Socii eorum qui non possunt venire ad 
Capitulum, nisi in equis vel vecturis, remaneant in conventu. » (Acta Cap., I, p. 148. 
Chap. de Paris, 1269.) 

* Ibid., p. 124. Chap. de Paris, 126 4. 

* Ibid., p. 154, Chap. de Milan, 1270; p. 164, Chap. de Florence, 1272. 

5 Ibid., p. 170. Chap. de Bude, 1273. 

« Ibid., p. 186, Chap. de Pise, 1276; p. 197, Chap. de Milan, 1278. 

II. - 3 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Le respect du silence, des abstinences de règle, au dedans et au 
dehors du couvent, est également l'objet de fréquentes admoni¬ 
tions. 

Comme l’Ordre se trouvait toujours en lutte plus ou moins 
ouverte avec le clergé séculier, les Chapitres généraux interviennent, 
et le Maître lui-même en personne, dans ses encycliques, pour 
exiger des supérieurs et des Frères la prudence la plus grande dans 
leurs rapports avec les prélats et dans le choix des prédicateurs. 

« Autant que possible, disent les Capitulaires de Vilerbe, en 
1268, que les Frères évitent tout conflit avec les prélats et les 
clercs séculiers f . » « Nous avons besoin au temporel et au spiri¬ 
tuel, disent ceux de Vienne, en 1282, de la faveur des prélats 
séculiers. Que les Frères s’efforcent de ne les offenser en rien; 
qu’ils observent scrupuleusement les décrets portés par eux selon 
le droit; qu’ils prêchent aux laïques de s’acquitter envers eux de 
leurs devoirs, et que, par leur respect, leur humilité, leur déférence, 
ils conquièrent leurs bonnes grâces i . » Presque toutes les lettres 
du bienheureux Père exhortent vivement les Frères à la paix 3 . 
Non pas, toutefois, au détriment des privilèges de l’Ordre. Pru¬ 
dence et couardise sont des attitudes très différentes. Les Pères 
entendaient bien, tout en les revendiquant avec modestie, s’en ser¬ 
vir pour le salut des âmes et l’honneur de leur ministère. Du reste, 
défendre les privilèges de l’Ordre, c’était défendre les droits du 
Saint-Siège, dont ils affirmaient T universelle et souveraine autorité. 
Aussi malgré les nombreuses et pressantes invitations à la con¬ 
corde, lit-on dans les Actes du Chapitre de Paris, en 1279, cette 
admonition quelque peu batailleuse : « Comme en beaucoup de 
lieux on attaque nos privilèges, nous avertissons les Prieurs Pro¬ 
vinciaux d’avoir à se procurer en cour de Rome des Conservateurs 
de ces privilèges qui puissent les défendre dans leurs provinces 4 . » 
Ces Conservateurs étaient, d’ordinaire, de hauts personnages ecclé¬ 
siastiques que le Pape chargeait officiellement de cette mission 5 . 

Jean de Verceil estimait qu’un des moyens les plus efficaces, 
pour gagner la confiance des prélats séculiers et assurer aux Frères 
la liberté de leurs œuvres apostoliques, était le choix des prédica¬ 
teurs. Tout Frère Prêcheur n’est pas nécessairement un prédica¬ 
teur. Comme dans le royaume des cieux, il y a dans la vie domi- 

1 Acta Cap., I. p. 143. 

* Ibid., p. 218. 

3 Cf. Litter. Encycl., p. 65 et ss. 

4 « Quia in multis partibus contra nostra privilégia molestamur, admonenius 
Priores provinciales, quod sint solliciti procurare in Curia romana Conscrvatores 
in diversis partibus sue provincie, per quos molestatores hujusmodi valeant cohi- 
beri. » (Acta Cap., I, p. 203. Chap. de Paris, 1270.) 

B Cf. Bull. Ürd., I, p. lai. 


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CHAPITRE II 


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nicaine des demeures nombreuses. Toute vocation dominicaine doit 
concourir au but unique de l’Ordre, qui est le salut des âmes; mais 
chacune de ces vocations n’est pas obligée d’y parvenir par la 
même voie. Qui est docteur prêche par l’enseignement; qui est 
éloquent prêche par la parole ; qui est infirme prêche par la patience ; 
qui prie et se mortifie prêche par ses supplications et ses expiations ; 
même le Frère convers, dont les mains se durcissent au travail 
matériel, prêche par son labeur. Et tous collaborent à la même 
œuvre apostolique. Il en était surtout ainsi au xm e siècle, alors 
que les couvents comptaient leurs habitants par centaines. Il fal¬ 
lait, dans le nombre, faire un triage judicieux, pour ne confier le 
ministère de la parole qu'à des hommes éloquents, instruits, graves 
et de bon sens. Jean de Verceil se préoccupait beaucoup de la pré¬ 
dication. Dans les Actes capitulaires de Montpellier (1265), on 
exige que personne ne prêche ni n'entende les confessions sans 
la permission du Prieur, après la consultation des Pères du Con¬ 
seil A Viterbe, en 1268, les Capitulaires demandent à ce que les 
Prieurs ne confient pas des prédications solennelles sans discerne¬ 
ment. Ils doivent les réserver à quelques Frères de choix, peu 
nombreux, plus gracieux de parole*. 

Les circulaires du Maître Général ne se lassent pas d’inculquer 
aux religieux le respect de la prédication. Il la veut éloquente, 
pleine de science, vraiment évangélique, appuyée sur des mœurs 
religieuses exemplaires 3 . Certes, si les Frères ne se sont pas tou- 

1 « Nec predicet populo, nec confessioncs extraneorum audiat, sine licencia Prio¬ 
ns sui, in Capitulo de consilio discrctorum sibi data. » (Acta. Cap., I, p. 128, Chap. 
de Montpellier, 1265; p. 132, Chap. de Trêves, 1266; p. 136, Chap. de Bologne.) 

* Ibid., p. 113. 

3 « Recedant preterea votera de labiis cvangelicis, de manibus consecratis, ut 
liquido cernentibus pateat, quod vos dominus elegerit de hoc mundo, quorum 
loquela non musicat de tcrrenis, sed que sapiunt eclestia, sapidius proférant et 
testentur et, ut sit in ore vestro verax testimonium et fidele, sinceritati cordis 
Veritati sermonis efficacia operis attestetur, ne dici possit quod vcrbis non con¬ 
cordent , et sic a testimonio quantum ad cxaudicionis fructum predicationis suasio, 
quod est valde dampnabile, repellatur. » ( Litter . Encyc., p. 72. Chap. de Bologne, 
1267.) 

« Inter hoc, nomen vobis prædicatorum impositum provide cogitetur, ne, quod 
absit, solum laudabili inmitentes vocabulo, re nominis careamus. Testes quidem 
veritatis esse debemus pro Cliristo legacione fungentes, ut simus ex ferendo testi¬ 
monio omni cxempcione majores, ne dici possit, cur tanto indigni officio assuma - 
mus Dei testimonium per os nostrum. Sacrarum igitur lectionum studiis sollicite, 
prout nostri Ordinis cujus zelus fervencior débet in nostris cordibus jugiter reflorere, 
ut instituta admonent, inlendamus, lecta memorie studiosius commendantes, unde 
formentur mores nostri, per quas in medio prave nacionis conversantes vite radiis 
fulgeamus. *» (Ibid., p. 91. Chap. de Bude, 1273.) 

« Sit circa sacrorum librorum paginam vestra cxercitacio studiosa ex eisdem 
profectus suscipiens ampliores, et Veritatis edocta sentenciis vere doctrine pro¬ 
cédât assercio parata refellere falsitates, errores convincere, callidn detegere argu¬ 
menta, demum predicacionis sonus de sompno peccati et torporis cxcitans dor- 
mientes, conlirmator in petra tidei dirigens in salutem, ab cadem aversos et devios 
ad Christi obsequia revocans, et in ipsius redigens servitutem, comitatus puntate 


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36 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


jours montrés dignes de leur ministère, la faute n’en retombe point 
sur leur saint supérieur, qui n’a jamais cessé de les rappeler au 
devoir. 

Il fut puissamment aidé, dans ce labeur administratif, par les 
Pontifes romains. 

En première ligne, commme date et plus encore comme amitié, 
il faut placer Clément IV. Jamais peut-être il n’y eut sur le siège 
de saint Pierre un Pape plus affectionné et plus dévoué à l’Ordre 
de Saint-Dominique. 

Guy le Gros était né à Saint-Gilles, en Provence, sur les rives 
du Rhône. D’abord épris de la vie militaire, il la quitta pour étu¬ 
dier le droit. Devenu jurisconsulte fameux, il fut un des conseil¬ 
lers les plus écoutés de saint Louis. Ayant perdu sa femme, dont 
il avait deux garçons et deux filles, Guy le Gros entra dans les 
Ordres. Bientôt après il était nommé archidiacre, puis évêque du 
Puy (1257), archevêque de Narbonne (1259), cardinal-évêque de 
Sabine, en 1261. Ses relations avec les Prêcheurs étaient familiales. 
Il avait pour sœur cette Marie de Tarascon, dont le dévouement 
mérita le titre maternel de Hospita Fratrum, l’hôtesse des Frères *. 
Envoyé comme légat en Angleterre par le Pape Urbain IV, il 
passait à Paris, après la mort de ce Pontife, lorsque les courriers 
des cardinaux réunis à Pérouse pour l’élection de son successeur 
lui apportèrent la nouvelle officielle de son exaltation sur le siège 
de saint Pierre. lien fut atterré, car il connaissait les inextricables 
difficultés dans lesquelles se trouvait l’Église. 

D’après quelques auteurs, Jean de Verceil aurait eu lui-même, 
à ce conclave, plusieurs voix. 

Voici ce que raconte Taegio : « Au temps où la chaire de saint 
Pierre était devenue vacante par la mort d’Urbain IV, Maître Jean 
séjournait à Rome. Il était lié de grande amitié avec le cardinal 
Uberti, du titre de Sainte-Praxède. Celui-ci désirait à tout prix le 
faire Pape. Mais, dans le collège des cardinaux, Jean Gaetani 
s’y opposait de toutes ses forces. Enfin, après bien des tentatives 
d’accommodements, les deux cardinaux convinrent de son élection. 
Uberti en était si joyeux, que, la nuit même où le compromis fut 
convenu, il envoya son chapelain avertir Maître Jean. Or un 
familier du cardinal Gaetani aperçut le chapelain qui sortait du 


vite, composicione raorum placida, conversacionc laudabili augeatur. » (Litter. 
Encycl., p. 94. Ghap. de Lyon, 1274.) 

Je n’ai point cru devoir donner in extenso toutes les lettres du Bienheureux Père. 
Elles sont toutes pleines d’ardente piété, de vives exhortations au bien, dans ce style 
pompeux de chancellerie si cher au moyen ûge; mais il y a rarement quelque trait 
relatif aux affaires de l’Ordre ou de l’Eglise, et rien non plus qui caractérise spécia¬ 
lement l’homme de Dieu. — Cf. Ibid., de la page 63 à la page 129. 

* Cf. t. I, p. 389. 


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CHAPITRE II 


37 


couvent des Frères. Soupçonnant quelque intrigue, il avisa son 
maître. Gaetani, qui espérait que, élu par son influence, le nou¬ 
veau Pape aurait pour lui des attentions rémunératrices, craignit 
de tout perdre en voyant son collègue s’approprier à lui seul le 
succès de l’élection. 

Et, dans sa colère, il aurait dit : « Frère Jean ne sera point 
Pape *. » En effet, Guy le Gros fut élu. 

Qu’y a-t-il de vrai dans ce récit? 

Taegio cite, dit-il, la Chronique de Frère Galvanus de la Flamma; 
mais il ne se contente pas de rapporter le texte de cet auteur, 
souvent suspect quand il s’agit de choses lointaines qu’il ne con¬ 
naît que vaguement, par ouï-dire, sans sources précises; il discute 
le cas et réfute d’autres chroniques qui le racontent d’une façon 
erronée. Ces chroniques disaient que Jean de Verceil avait été élu 
Pape au conclave de Martin IV; qu’il était mort à Milan avant 
d’avoir été couronné. Il n’est pas difficile à Tægio de prouver que 
jamais Jean de Verceil n’a été élu Pape, et que certainement il 
n’est pas mort à Milan, en 1281, date de l’élection de Martin IV. 
Mais cette réfutation indique que d’autres auteurs qu’il ne nomme 
pas signalaient également, tout en se trompant sur les détails du 
fait, une tentative d’élection de Jean de Verceil au souverain Pon¬ 
tificat. 

On pourrait dire que Taegio lui-même, ou plutôt Galvanus de 


* Voici les documents par ordre d'ancienneté : 

« Dum essct ultra montes, clectus est in Papam a Dnis Cardinalibus; scd ante- 
quam electio ci fuisset presentata, apud Montempessulanum diem clausit supremum, 
anno Domini 1283. » (Jacques de Soest, Chro;i., f. 433, lib. QQ. Ms. arch. Ord.) Il 
écrivait à la fin du xiv* siècle. Il se trompe absolument de date; car, en 1283, 
Martin IV était Pape. Il n'y eut donc aucune élection pontificale. 

« 1264. Fr. Johannes de Vercellis cum esset Romæ adhuc existens Provincialis 
Lombardiæ tantum prælatis Ecclesiæ carus erat quod mortuo Urbano IV multas 
voces (habucrit) ad papatum. Sed prævaluit in vocibus ille qui postea dictus est 
Clemens IV, valde amicus ordinis, ita ut sub aliis vestibus gestaret habilum Fra- 
trum Prædicatorum. » (Borsclli, Chron. Conv. Bonon. Ms. arch. Ord. xv« siècle.) 
— A cette époque Jean de Verceil n’était plus Provincial de Lombardie, mais 
Général de l'Ordre. 

Léandre Albert, dans De Viris illnstribus Ord. Præd., répète la même chose. 
Cf. p. 38, xvi e siècle. 

Taegio, même époque, selon le texte traduit, Chron. ampliss., I, p. 110. 
Ms. arch. Ord. 

En 1555, l'auteur du Liber Pririlegiorum Ord. Præd., édité à Rome, répète l’opi¬ 
nion de Jacques de Soest. 

Sébastien de Olmedo, — même époque, — signale simplement le fait comme un 
on dit très vague. (Chron. nov., p. 28. Ms. arch. Ord.) 

En 1617, Giovanni B. Modcna Bicchieri, chanoine de Verceil, écrivait dans son 
ouvrage Dell ’ Anlichilk e nohiltà délia Cilla di Vercelli, ms. conservé aux Archives 
du Chapitre de Verceil, p. 75: « Mori il beato Giovanni Mosso nobile Vcrcellensi, 
stato venti anni generale di S. Domenico e visitata tutla la religione a pedi... Stando 
tutta via egli a Parigi mori Nicolo III e fu eletto Papa, ma venendo in Italie per 
andare à Roma mori in Milano a S. Eustorgio. Erano antiche pitture nel convento 
di Vercelli in habito di Papa col triregno in Capo, ben non fu coronato. » — Bellini 


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38 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERGEIL 


la Flamma, se trompe en plaçant la candidature de Jean de Ver- 
ceil au conclave de Clément IV. % 

A cette époque (février 1265), le Maître faisait la visite de la 
province de France, tandis qu'il était certainement à Viterbe, 
pour la mort de Clément IV et les débuts de l’élection de Grégoire X. 
Ce serait donc à ce conclave qu’il faudrait rattacher le récit de 
Tægio, c’est-à-dire après 1268. 

Quoi qu’il en soit, Guy le Gros, avisé de son élection, se hâta 
de partir pour Pérouse, espérant que ses prières obtiendraient des 
cardinaux qu’ils acceptassent son refus. Pour arriver plus rapide¬ 
ment, sans entrave aucune, il revêtit l’habit des Prêcheurs, et, 
sous ce costume ami, s’embarqua à Marseille pour Civita-Vecchia. 
Nul ne songea que ce pauvre Frère était le nouveau Pape. Il se 
présenta, ainsi vêtu, aux cardinaux; mais ses supplications furent 
inutiles : le 22 février il était couronné et prenait le nom de Clé¬ 
ment IV. 

On dit qu’il ne quitta jamais l’habit des Prêcheurs. Il le dissi¬ 
mulait sous ses vêtements pontificaux et suivait avec rigueur les 
observances de l’Ordre, ses jeûnes, ses abstinences, ses prières 1 . 
C’était un membre de la famille dominicaine, comme beaucoup de 
personnes pieuses qui s’affiliaient ainsi à l'Ordre en pratiquant sa 
vie sous la direction des Frères, les tertiaires primitifs. 

Maître Jean ne pouvait que se réjouir d’une élection si favorable 
aux intérêts qui lui étaient confiés. 

La première lettre de Clément IV, adressée au Maître Général 
et aux Pères du Chapitre de Montpellier, est une louange enthou¬ 
siaste de l’Ordre des Prêcheurs, « cet astre lumineux dont l’éclat 

répète et développe la même assertion dans ses Annali délia città di Vercelli, 1637. 
Ms. conservé aux mêmes Archives. 

Tous ces documents ont quelque erreur. Etant donné la réputation de Jean de 
Verceil, lu longueur de son géncralat. les sept vacances du Siège apostolique 
par la mort d'Urbain IV, Clément IV. Grégoire X, Innocent V, Adrien V, Jean XXI 
et Nicolas III, pendant son administration, il est très probable qu'il eut des voix 
à quelque conclave, peut-être à plusieurs. C'est l'unique conclusion que l'on peut 
tirer de ces affirmations diverses, dont l'imprécision accentue l'origine cancanière. 

1 <« Clemens quartus maximus amator predicatoruin ordinis... duas filias virgincs 
quas de sua conjuge habuerat ordini prcdicatorum tradidit in quodam cenobio soro- 
rum. Ipsc in cibis et aliis obscrvanciis se gessit secundum consuctudinem ordinis 
prcdicatorum. Ipso de sancto pâtre nostro Dominico quem in magna devolione 
habuit, composuit illas duas devotas Antiphonas llenedictus Rcdemptor Omnium, 
et, Magne Pater Sanctc Dominice, et cas cantari instituit... ( Chron . Ord., p. 11-15. 
Ed. Reicliert.) 

« Ipse quoque Romanæ ecclesiæ Antistites Clemens qui dietus est Quartus et sub 
clamide pontificia habit um fratremque Ordinis tegebat absconditum... » (Sébas¬ 
tien de Olmedo, Chron. Ms. arcli. Ord.) — « Totum vitæ tempus jejuniis, ora- 
tionibus , vigiliis aliisque pietatis operibus ex iustitulo Fratrum Ordinis Pnedica- 
torum, quod impensius diligebat, observabatque transegisse Clcmentem... »> (Bzovius, 
Annal. Eccles., ad anntim 126$, n° vin.) — Carnes diu non comedit, asperrimo lecto 
est usus, nec vestibus lineis ad carnem, utebatur, et sic sanctissimc vitam duxit. »* 
(Ptolémée de Lucques, Hislor. Eccles. Ap. Muratori, XI.) 


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CHAPITRE II 


39 


rejaillit sur T Église universelle 1 . » Il termine, après s'être recom¬ 
mandé instamment aux prières de l’Ordre, en lui promettant son 
plus généreux dévouement. 

Ce ne fut point une vaine formule. 

Le Chapitre général avait été assigné, pour l’an 1266, dans la 
ville de Trêves. Or, en Allemagne, beaucoup de prélats entravaient 
de tout leur pouvoir soit la fondation de nouveaux couvents, soit 
le libre exercice du ministère des Frères, tel que les privilèges du 
Saint-Siège l’avaient constitué. Ces difficultés locales ne furent 
point étrangères au choix d’une ville allemande pour la célébration 
du Chapitre. En se dirigeant vers le Nord, Maître Jean de Verceil 
avait l’intention de visiter la province d’Allemagne, dont l’étendue 
était immense. 

Pour préparer les voies à son passage et faciliter le succès de 
sa visite, Clément IV écrivit coup sur coup deux lettres aux pré¬ 
lats d’Allemagne, l’une le 5 juillet, l’autre le 30 août de l’année 
1265. Toutes deux sont un hommage au mérite des Prêcheurs et 
une revendication énergique de leurs privilèges 2 . A Worms, où il 
se trouvait dans le courant de l’automne, Maître Jean rencontra 
un évêque dont les sentiments favorables lui furent une joie et un 
appui. Il demanda au Pape de lui confier le protectorat de l’Ordre 
en Allemagne; ce qui fut immédiatement accordé 3 . 

Le 16 mai 1266, il ouvrait le Chapitre de Trêves. C’était un 
Chapitre de Définiteurs *. Il avait à lire deux lettres de Clément IV, 
datées de Pérouse le 24 février. Dans la première ce Pontife exalte 
la grandeur de l’Ordre, les services éminents qu’il rend à l’Eglise; 
et prenant occasion du Chapitre qui doit se célébrer, il proteste de 
son amour presque passionné pour les Prêcheurs et de son désir 
ardent de les voir toujours dignes de leur incomparable ministère. 
Mais cet amour ne le rendait point aveugle. Plus on aime quel¬ 
qu’un, plus on veut le voir parfait, au-dessus des faiblesses com¬ 
munes, hors d’atteinte de toute critique '. De là, quelques avis 
paternels que la seconde lettre soumettait aux délibérations des 
Pères Capitulaires. Les voici : 


1 Bail. Ord., I, p. *450. B. Splendor paterne glorie, 23 avril 1265. 

* B. Ad audientiam, 5 juillet 1265. Bull, inécl. Ms. arch. Ord., XI-19. B. Ad audien- 
tiam, 30 août 1265, Potthast, Reges. Rom. Pontif., n° 19327. 

3 B. Ad audientiam, 26 octobre 1265. Ms. arch. Ord., XI-19. 

* Echard, I, p. xvn. 

8 « Clemens cpiscopus... Dileclis filiis Maestro et Capitulo Generali Ordinis Fra- 
trum Prædicatorum, salutein et apostolicam benedietionein. 

« Innuit sacre lectionis eloquium quod ordo vester verisimiliter urbem fortitudi- 
nis représentât, quant justa pens, apertis portis, in^reditur, custodiens veritatem ; 
vobis enim justitie zona prccinctis, janua celestis vite aperitur ad ^ratiam. duni 
sumnie veritatis. que Christus est, mandata servatis et eorum observautiam sum- 
mopere custoditis. Eumdem ordinem, velut tabernaeulum suuin, sanctificavit 
altissimus, et in eo sibi liabitaculum preparavit, constituens lucem , in populis 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


On doit choisir, pour résider dans les palais des évêques ou des 
princes, des Frères gTaves, discrets, de mœurs éprouvées, dont la 
conduite puisse toujours servir d'exemple l . 

Les Frères ne se permettront pas, sans l’autorisation du Maître 
Général et sans nécessité urgente, d’aller à la cour romaine, ni 
près des prélats séculiers*. 

Dans les villes épiscopales et les diocèses où ils ont des cou¬ 
vents, les Frères, dont l'esprit doit toujours être humble et paci¬ 
fique, auront soin de ne pas scandaliser les prélats, mais bien au 
contraire d’avoir pour eux toutes les prévenances 3 . 

On choisira pour les confessions et les prédications des Frères 
discrets, vraiment capables de remplir ces ministères 4 . 

Que l’étude soit toujours vigoureusement activée, surtout à Paris 
et à Bologne, et partout où il y a des Etudes générales. Il faut 
veiller à n’y mettre comme professeurs que des maîtres et des 
docteurs de science compétente 5 . 

Qu’il y ait chez les Frères de toutes les provinces l’honnêteté, 
la sainteté, le zèle des âmes, la discipline, l’observance régulière, 
l’union dans la concorde 6 . 

On veillera à ne recevoir dans les noviciats que des postulants 
d’intelligence suffisante, de bonnes mœurs, dont on n’ait rien à 
redouter pour l’honneur de l Ordre 7 . 

Il faut éviter les sorties inutiles, les familiarités bruyantes avec le 
dehors, qui sont souvent une source de déshonneur pour l’Ordre 8 . 


viam salutis, et gratie ostensuram, qui, quasi sol refulgcns et quasi cupressus in 
altitudincm se cxtollcns, respicientium ad eum mentes illuminât et quietis umbra- 
culum tribuit sub mundane miserie sarcina fatigatis. 

« Hic est ager dominicus, superioris benedictionis rore perfusus, requirens cultores 
industrios, pudicitie nitore preclaros, argumcntose pmbitatis munere preditos, nul- 
lius inquinamenti labc respcrsos, ut militantes in terris, triumphare mereantur in 
celis, et currentes in solis stadio, beutitudinis cteme bravium comprehendant. 
Hic est profecto fertilitatis ager, fructus uberes profcrens, nam semina in ipso 
sparsa non pereunt, flores editi non arescunt, et tamen ex multiplicatis manipulis 
grana glorie colliguntur. 

« Propterca Ordinem ipsum, quem sic in Domino prelucere conspicimus, tenerrime 
diligimus et corde tenemus, paterna circa eum solicitudine vigilantes, ut protega- 
tur a noxiis, salubria scmper suscipiat incrcmenta et caritative pacis affluat uber- 
tate. 

« Licet autem erga cultum divini nominis constituti, quid saluti animarum expé¬ 
diât, quid honori debeatur Ecclesie, quidve prefati Ordinis felix status exposcat, 
juxta vobis datam divinitus gratiam, ex propriis intelligentiis colligatis, debito 
tamen pastoralis officii inducimur filiales aflectus circa premissa paternis monitis 
excitare... » ( Bull. Ord., I, p. 471, 24 février 1266.) 

1 Bull. Ord., I, p. 471. B. Circa curam, 24 février 1266. 

* Ibid. 

3 Ibid. 

« Ibid. 

» Ibid. 

® Ibid. 

7 Ibid. 

« Ibid. 


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CHAPITRE II 


41 


Ces avis paternels, Clément IV les livrait à la sagesse des Pères 
Capitulaires. A eux d’en discuter ensemble le bien fondé et de 
prendre les mesures utiles pour que les Frères les mettent en 
pratique. 

Il avait d’autant plus le droit, outre l’autorité suprême de sa 
charge, d’intervenir dans le détail de la conduite des Prêcheurs, 
que, depuis un an qu’il occupait le siège de saint Pierre, il n’avait 
cessé de combler l’Ordre de ses faveurs. Je relève de 1265 à 1266, 
en dehors des deux bulles précédentes, treize bulles de privilèges 
anciens et nouveaux accordés par Clément IV à l’Ordre tout 
entier, sans compter ceux qui regardent des intérêts particuliers. 

Il défend sous peine d’excommunication de pénétrer par force 
dans les couvents de l’Ordre 1 , comme il arrivait quelquefois dans 
les luttes des populations contre les inquisiteurs; il autorise le 
Maître Général, les Provinciaux et leurs délégués à absoudre les 
Frères des censures ecclésiastiques 2 ; il décharge les Frères de la 
fameuse portion canonique que les curés exigeaient d’eux pour les 
enterrements, anniversaires ou autres redevances 3 ; il déclare que, 
en temps de vacance des sièges épiscopaux, les Frères conservent 
les droits de prêcher et de confesser accordés par les évêques 4 ; il 
proteste que seuls les Légats a latcre peuvent lier les Frères par 
les censures ecclésiastiques 5 ; il accorde aux Frères d’user de la 
permission du Saint-Siège, ou des légats, ou des évêques, pour 
remplir leur ministère même sans la permission des curés 6 ; les 
fidèles auront toute liberté de se faire ensevelir dans les églises de 
l’Ordre 7 ; ceux qui visiteront ces mêmes églises, le jour de leur 
Dédicace et pendant toute l’Octave, aux fêtes de la sainte Vierge, 
de saint Dominique, de saint Pierre martyr et du saint auquel 
l’autel majeur est dédié, gagneront cent jours d’indulgence sur 
les pénitences qui leur auront été infligées 8 ; on ne pourra bâtir un 
couvent de mendiants qu’à trois cents cannes de distance d’une 
maison de Prêcheurs, c’est-à-dire plus de six cents mètres 9 . 

Enfin, Clément IV déclare que les Frères ont le droit d’hériter 
de tous les biens qu’on leur laisse par testament l0 . 

Tous ces privilèges, si libéralement accordés, qui ouvraient aux 
Prêcheurs la voie la plus large pour la liberté de leur ministère 

1 Bull, Ord., I, p. 451. B. In quihusdam locis, 9 mai 1265. 

* Ibid. B. Licet ad hoc , 11 mai 1265. 

1 Ibid., p. 452. B. Pium est, 31 mai 1265. 

* Ibid., p. 45-1. B. Exigentibus . 15 juin 1265. 

5 Ibid. B. Exigentibus, 15 juin 1265. 

6 Ibid., p. 455. B. Quidam lemere, 20 juin 1265. 

7 Ibid., p. 455. B. Cum a nobis, 22 juin 1265. 

* Ibid., p. 457. B. Loca Sanctorum, 27 septembre 1265. 

9 Ibid., p. 466. B. Ad consequendam, 20 nov. 1265. La canne avait 2 m ,23. 

10 Ibid., p. 170. B. Oblentu divini nominis, 12 février 1266. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


apostolique ne pouvaient que faire accepter avec plus de respect 
et de filiale obéissance les admonitions si salutaires de Clément IV. 
Elles venaient à point, au début du généralat de Jean de Verceil, 
pour appuyer ses propres injonctions et disposer les Frères à les 
recevoir avec docilité. 

Aussi lit-on dans les Actes du Chapitre de Trêves cette ordon¬ 
nance : « Nous enjoignons aux Prieurs Provinciaux et Conventuels 
de faire observer avec soin les prescriptions de notre très saint 
Père le Seigneur Pape contenues dans la lettre que nous commu¬ 
niquons à toutes les provinces » 

Maître Jean de Verceil modifia, ou essaya de modifier en quelques 
points l’organisme gouvernemental de l’Ordre. Comme les pro¬ 
vinces, par leur extrême étendue et le nombre croissant des cou¬ 
vents, devenaient difficiles à administrer, on décida de les diviser 
en vicairies. De sorte que, tout en gardant l’unité de la province 
sous un seul Provincial, on établissait, selon ses besoins adminis¬ 
tratifs, des vicaires qui étaient comme les sous-préfets de l’Ordre 
et gouvernaient leurs vicairies comme des arrondissements. Ils 
devaient faire les visites canoniques et en général tous les offices 
du Provincial, sauf en sa présence, et à l’exclusion de la confir¬ 
mation ou de la destitution des Prieurs et des Lecteurs. Ils étaient 
institués par le Provincial, mais avec le vote des Définiteurs du 
Chapitre et, de plus, celui des Prieurs de la vicairie présents au 
Chapitre. Si un vicaire venait à faire défaut, entre deux Chapitres, 
le Provincial avait le droit de lui donner un successeur provi¬ 
soire *. 

Le besoin de ce partage était si urgent, qu’on s’empressa d’en 
profiter. Ainsi, dans la Provence, au Chapitre de Perpignan, en 
1274, les Pères divisèrent la province en six vicairies 3 : la vicairie 
de Marseille, avec les couvents de Marseille, Tarascon, Arles, Nice, 
Grasse, Sisteron, Aix; la vicairie d’Avignon, avec les couvents 
d’Avignon, Orange, Valence, Aubenas, Alais, Le Puy, Die; la 
vicairie de Montpellier, avec les couvents de Montpellier, Béziers, 
Nîmes, Narbonne, Perpignan, Carcassonne; la vicairie de Toulouse, 
avec les couvents de Toulouse, Pamiers, Rieux, Montauban, Castres 
et Albi; la vicairie de Limoges, avec les couvents de Limoges, 
Brives, Figeac, Cahors, Périgueux, Bergerac; la vicairie de Bor¬ 
deaux, avec les couvents de Bordeaux, Agen, Saint-Emilion, 
Bayonne, Orthez, Morlas, Condom, Auch. 

Cette mise en œuvre rapide de la décision des Chapitres géné- 

1 Acta Cap., I, p. 13». 

2 Acta Cap., I. p. lis. Cliap. de Montpellier, 1271, puis de Rude, 1273, p. 1(57; de 
Lyon, 127Î. p. 172. 

3 Acta Capitul. prov., p. 193. Ed. Douais. 


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CHAPITRE II 


43 


raux en prouve la grande utilité, puisque, dans des vicairies 
comme celles de la Provence, il y avait de sept à huit cou¬ 
vents 

Mais l’institution des vicairies n’était, en réalité, qu’un achemi¬ 
nement vers une division plus profonde. Il y avait dans toutes les 
provinces des velléités de partage. Et presque à chaque Chapitre 
général, les Défîniteurs agitèrent cette question. Tout le monde 
en sentait la nécessité; mais lorsque la discussion tombait du 
principe dans la pratique, on se heurtait à de nombreuses diffi¬ 
cultés. Car, en divisant les provinces, il fallait déterminer quels 
couvents seraient attribués à telle fraction. Aussi ces pourparlers 
restèrent longtemps stériles et n'aboutirent que bien des années 
après la mort de Jean de Verceil. Ils étaient cependant à signaler; 
car ils font partie de ce qui fut, sous son généralat, l’actualité 1 . 
Le Maître lui-même y prit une part très personnelle. Il écrivit aux 
Provinciaux de discuter cette question dans leurs Chapitres et d'en 
apporter les décisions au Chapitre général 3 . On commença même 
une constitution qui partageait en deux toutes les provinces, sauf 
celles de Grèce et de Terre Sainte 4 . Elle fut approuvée par le Cha¬ 
pitre suivant de Pise, en 1276 r> , mais n’alla pas plus loin. Au 
Chapitre de Montpellier (1283), nouvelle tentative aussi infruc¬ 
tueuse que les autres 6 . L’affaire sera reprise plus tard et finira par 
aboutir. 

A noter également l’insistance des Chapitres, sous Jean de Ver¬ 
ceil, à exiger des Frères un vote annuel sur les Provinciaux. On 
voulait connaître l’opinion des religieux faisant partie des Cha¬ 
pitres provinciaux sur l’administration de leur supérieur 7 . Etait-il 
digne ou non de garder sa charge 8 ? 


1 Les Chapitres de la province romaine ne donnant pas la division des vicairies, 
mais constatent leur institution. 11 y a des ordonnances concernant les vicaires de 
province. « In primis injungimus omnibus Yicariis provincial et prioribus et eorum 
Vicariis. » Il s’agit bien des Vicaires de province. {Acta Capitul. prov., p. 537. 
Ed. Douais.) —L’Espagne se divise en cinq vicairies : Catalogne, Aragon et Navarre. 
Castille, Léon et Galice, Portugal. {Ibid., p. 618.) Les autres provinces dont nous 
n’avons pas les Actes des Chapitres durent en faire autant. 

* Cf. Acta Cap., I, p. 135. Chap. de Trêves, 1266. 

* Ibid., p. 113. Chap. de Viterbe, 1267. 

4 Ibid., p. 179. Chap. de Bologne, 1275. 

5 Ibid., p. 185. 

6 Ibid., p. 221. 

7 « Singulis annis, quodlibet provinciale capitulum super absolutionum vel reten- 
cionem prions sui provincialis voluntalem su aminsinuet capitulo generab. >» {Acta 
Cap. I, p. 113. Chap. de Viterbe, 1268.) 

8 « Ordinamus et injungimus quod in quolibet capitulo provincial! liât secretum 
scrutinium de rctencionc vel absolucione prions provincialis et sub sigillis diffini- 
torum, expressis fratrum nominibus, mittatur ad capitulum generale. Idem fiat de 
prioribus conventualibus in convcntibus suis, et scrutinium sub sigillo conventus 
mittatur ad capitulum provinciale. >» {Ibid., p. 169. Chap. de Bude, 1279.) 


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44 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Le vote devait avoir toute la garantie du secret, pour sauvegar¬ 
der toute sa liberté 1 . 

On trouva cette consultation si intéressante, qu’on l’étendit aux 
Prieurs Conventuels. 

De cette manière, tous les ans, les inférieurs donnaient leur avis 
sur leurs supérieurs. Si quelqu’un d’entre eux était jugé indigne 
ou incapable, l’autorité suprême ne pouvait l’ignorer. Ce procédé 
démocratique est tout à fait conforme à l’esprit de la législation 
dominicaine qui ordonne la correction de tous les supérieurs à 
tous les degrés, afin que nul n’échappe à la responsabilité de ses 


1 Voici trois documents sur l’élection d’un Provincial au xm® siècle. Il s'agit de 
l’élection du Frère Ulrich, au Chapitre provincial de Bâle, en 1272, comme Provin¬ 
cial d’Allemagne. Cf. Ecliard, I, p. 356. 

Lettre des Défîniteurs et procès-verbal de l’élection : 

« Venerabili. Diffinitorcs capituli provincialis. Cum cssemus prions provincialis 
solatio destituti convocatis et convenientibus secundum statuta ordinis electoribus, 
qui debebant aut poterant commode interesse, ad clcctionem processimus per scru- 
tinium, prius tarpen sancti Spiritus gratis invocata. Cumque major pars licet non 
medietas eligencium in fratrem Ul(ricum) lectorem Argcntinensem oculos conver- 
tisset, ad scrutinium processimus iterato. Quo mox publicato et collatione sequ(u)ta 
apperuit evidenter, quod longe major pars medictale omnium eligencium prefatum 
lectorem nominaverat in priorem, cui consensit placide pars reliqua ex post facto. 
Cum igitur dicto lectori morum honestas, litterarum scientia et vite sanctitas suf- 
fragetur, que vobis de habundanti refcrimus iam expertis, vires quoque plus, quam 
olim putabatur, suppetant et aliud canonicum non obsistat, paternitatem vcstram. 
cum qua possumus, devocione suppliciter exoramus, quatinus dictam nostram ele- 
ctionem provide cclebratam favore benivolo prosequcntes curctis benignitate solita 
confîrmare. Electorum autem hec sunt nomina. » ( Finke, op. cit., p. 78, n° 43.) 

« Iidem.eidem. Cum auctore Deo et gubernatore fratrem, quem ctiam vos pro 
vite et gratic meritis dilexistis afTectu et diligitis in domino speciali tamquam omni 
exceptione majorem, in provincialcm rite elegerimus, ipsius electionis decretum 
vestre reverentie transmillentes, paternitatem vestram rogamus et per Dei miseri- 
cordiam obsecramus, quatinus totius provintie nostre conceptum de ipso gaudium 
impleatis non attendentes, si quas porrexerit in contrarium supplicans rationes, set 
cicius, quod de ipso factum est, confirmacionis munere consumetis. Nichilominus 
enim adinvenire possumus, quod dampnum provintie compensais valcret, si suo de 
ipso desiderio fraudaretur, immj) rubore et erubescentia repleretur, si, ob quam- 
cunque causam, quod humiliter postea petitur, negaretur. Expediebat enim littera- 
tum et gravem presertim hiis temporibus ejusmodi officio implicari, quando niulte 
et difficiles cause ac etiam nove hereses sint cxorte et jam immineat generale con- 
cilium, in quo pro ordinis honore et tutaminc viri sapientie spiritu illustrati admo- 
dum necessarii, sicut creditur, habcbuntur. » (Finke, op. cil,, p. 78, n° 44.) 

Lettre de maître Jean de Verccil confirmant l'élection. 

« Magislcr confirmât provincialem. In Christo sibi karissimo fratri Ul(rico) lectori 
conventus Argentinensis etc. Cum sit homo natus scripture testimonio ad laborem 
et ideo racionc docente ilium inata per fidem ocio relegato ille invigilare studiis 
compellatur, qui fructus pariant gloriosos, licet vos ad talia hortari superfluum 
videatur, quibus ex professe obediencie voto vos voluntarie subjecistis, ne tamen 
fraternis deesse commodis reputcr, quibus intendere tencor, ex imposito michi offi¬ 
cio caritatis vestre discrccioni presencium auctoritate precipio, ut prioratus pro¬ 
vincialis ofûcium, ad quod per electionem canonicam assumptus estis in vestra 
provincia juxta nostri instituta ordinis cclebratam, quam duxi ad postulacionem 
eligencium confirmandam, recipiatis humiliter, electioni prefate consensum tam 
debitum quam facilem impendentes, hiis tandem, sicut de vobis iustum est credere 
et scntire, pervigili sollicitudine secundum datam vobis graciam intendentes, ut 
cum circumspectione pro vida edificare fratres vestro commissos regimini valeant 
et ad ulteriorem graciam promoverc. Valete. » (Finke, op. cit., p. 79, n° 45.) 


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CHAPITRE II 


45 


actes. Par contre, chaque religieux avait la responsabilité de son 
vote, car il était signé 1 . 

On tint avec non moins d’énergie à ce que les simples Frères 
pussent jouir de toute liberté dans leurs rapports avec le Maître 
Général. Ni Prieur conventuel, ni Provincial, ni même Chapitre 
quelconque n’avait le droit d’opposer une barrière à cette corres¬ 
pondance *. Ce suprême appel prévenait toute velléité d’oppression. 


1 Cf. Acta Cap., I, p. 174, Chap. de Lyon, 1274; p. 181, Chap. de Bologne, 1275; 
p. 184. Chap. de Pise, 1276; p. 191, Chap. de Bordeaux, 1277, etc. etc. 

* « Districte inhibemus ne aliquis frater, prelatus vel vicarius ant quicumque 
abus, directe vel indirecte audeat impedire ne fratres libère scribant quod 
voluerint magistro et diffinitoribus capituli generalis. » (Ibid., p. 165. Chap. de Flo¬ 
rence, 1272.) 


BIBLIOGRAPHIE 


Mothon, Vita del B. Giovanni da Vercelli . Verceil, 1903. 
Personne autre n'a traité ces questions d’ordre intérieur. 


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CHAPITRE III 


LE TOMBEAU DE SAINT DOMINIQUE 


Depuis l'année 1233, 24 mai, jour où le Bienheureux Jourdain 
de Saxe avait fait la translation du corps de saint Dominique, 
nul ne s'était avisé de lui donner une sépulture plus honorable, 
plus en rapport avec le culte populaire dont il jouissait dans toute 
la chrétienté. Occupés à leurs labeurs apostoliques, peu désireux 
du bruit, les Frères continuaient vis-à-vis de leur Père la conduite 
de leurs aînés. 

On se rappelle qu'il fallut une intervention assez dure de 
Grégoire IX pour décider l'Ordre à retirer les restes de saint 
Dominique de la tombe primitive où on les avait déposés, et qui, 
par suite de l'agrandissement du couvent, se trouvaient en plein 
air 1 . Ce n'était pas de l'indilTérence pour la personne même de 
leur saint Patriarche, dont la mémoire vivait toujours aimée 
dans leurs cœurs, mais un certain dédain pour tout ce qui pou¬ 
vait paraître une réclame tapageuse. 

Aussi bien, depuis trente ans, malgré sa canonisation, malgré 
les fêtes solennelles organisées partout en son honneur, malgré 
la tendre dévotion des Frères pour lui, Dominique reposait toujours 
dans le modeste tombeau en pierre, sans ornements aucuns, où 
les mains filiales de Jourdain de Saxe Pavaient placé. Il était au 
haut de l'église, devant l’entrée du chœur. 

Prieur de Bologne, puis Provincial de Lombardie, Jean de 
Verceil avait eu la garde de ces restes vénérables. Il lui sembla 
que cet humble sépulcre ne convenait point à la sainteté de son 
Père, et, même avant d’ètre élu Général de l'Ordre, il songea à 
Fentourer de plus grands honneurs. On peut le conclure de ce 
que, peu après son élection, les Pères de Bologne s'occupèrent 
activement de préparer un autre sarcophage. En effet, dans les 
Actes du Chapitre de Montpellier (24 mai 1265), on lit cette 


1 Cf. t. I, p. 249 et ss. 


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CHAPITRE III 


47 


ordonnance : « Les Frères de Bologne faisant un tombeau solen¬ 
nel (structura solempnis), en l’honneur du Bienheureux Domi¬ 
nique, notre Père, nous prions les Prieurs et tous les Frères, 
qui auront à leur disposition quelques ressources pécuniaires, de 
les transmettre au Prieur de Bologne, afin que l’œuvre ne 
reste pas en souffrance, faute d’argent 1 . » 

C’est au mois de mai 1265 que cette ordonnance est publiée; elle 
constate que le tombeau de saint Dominique est déjà en chantier. 
Ce qui suppose que les Pères de Bologne ont dû, dans le courant 
de l’année 1264, se mettre en rapport avec les artistes, accepter 
leur plan et autoriser la mise en œuvre. Or le Bienheureux Jean de 
Verceil fut élu Maître de l’Ordre, cette meme année, au couvent 
de Saint-Jacques de Paris, et ne reparut pas à Bologne avant le 
Chapitre de Montpellier. Le projet de tombeau datait donc de 
son provincialat. Il en avait eu l'idée, le désir, en avait entretenu 
les Pères, et, à peine élu, pouvant agir avec plus d’autorité, avait 
donné ordre de commencer les travaux 4 . 

Ils furent menés rapidement. En deux ans et quelques mois, 
les splendides sculptures de la châsse de saint Dominique étaient 
terminées. C’est dire que les offrandes des fidèles et des Frères 
avaient été larges et suffisantes 3 ; c’est dire également que les 
maîtres sculpteurs, sûrs de leur art, avaient travaillé sans relâche. 

Leurs noms sont célèbres. 


1 Acta Cap., I. p. 130. Clmp. de Montpellier, 1265. 

2 « Qu'Humbert de Romans ait eu le désir de faire ce tombeau, cela est très 
possible et bien digne des grandes peusées de cet illustre personnage. Mais, à la 
vérité, on ne peut le dire, avec le Père Berthicr {le Tombeau de saint Dominique, 
p. 20-21). Ce n’est qu’une supposition toute gratuite, qui n'a pour elle aucun docu¬ 
ment. Tous les auteurs sont d’accord pour faire honneur «\ Jean de Verceil du pro¬ 
jet et de l'exécution. 

« B. Gui : « Hic (B. Joanncs) fecit transferri secundo corpus B. Dominici in 
arcam marmoream, quam ipse fieri procuraverat. {Calai. Mayistr. Ord. Ms. 
arch. Ord.) 

Jacques de Soest : « Ilic (B. Joannes) transferri fecit corpus B. Dominici in arcam 
de alabastro valde pulcram in qua etiam nunc requiescit, quam ipse lieri procura¬ 
it. »» ( Chron xv* siècle. Ms. arch. Ord., lib. QQ, p. 452.) 

Chronique anonyme de l’Ordre : « Hic fecit transferri corpus beati Dominici 
patris nostri in archam marmoream pulcherrimam quam ipse fieri procuravit... » 
(P. 15. Ed. Reicherl.) 

Tous les auteurs postérieurs redisent la même chose. 

3 « Anno Domini 1265. Arclia marmorea corporis B. Dominici ex eleemosinis 
quæsitis a Fratribus Prædicatoribus per diverses Provincias cum pulcherrimis his- 
toriis sculpta et facta fuit. » ( Borsclli, Chron. Conr. Bonon. Ms. arch. Ord.) 

« Archa Marmorea Corporis S. P. N. Dominici ex eleemosinis quæsitis a Fratri¬ 
bus Prædicatoribus per diverses Provincias cum pulcherrimis historicis sculpta et 
facta fuit spatio duorum nnnorum... »* (Ex ms. Miscellaneis F. Ludovici de Pre- 
lormo, xvi® siècle. Cité par le Père Mothon, op. vit., p. 240, note.) 

« Eodcm anno (1267) in capitulo generali translatum est corpus B. Dominici de 
sepulcro lapideo non celato ad scpulcrum marmoreum celatum, pro quo fabricando 
dominus Andréas de Flisco Januensis reliquit in ultimo suo testamenlo aureos octo- 
gintos... » (Tacgio, Chron. brevis. Ms. arch. Ord.) 


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48 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Il y avait alors, dans la ville de Pise, une école d’architecture 
et de sculpture qui faisait revivre, en Italie, le grand art de 
race grecque que les Byzantins avaient outrageusement déformé. 
Nicolas de Pise, au lieu de demeurer en admiration devant les 
figures plus ou moins grotesques des maîtres de Byzance, était 
allé à Rome étudier de près les nobles gestes et les attitudes 
humaines des sculptures antiques. Son génie en comprit l’incom- 
parable beauté. De retour à Pise, il ouvrit une école d’art. Deux 
sarcophages ornés de bas-reliefs aux lignes les plus pures lui ser¬ 
vaient de modèles 1 . Ce fut une résurrection. On accourut près de 
lui, et bientôt, autour du maître, se groupèrent des disciples qui 
s’appellent, dans l’histoire du beau, Jean de Pise son propre fils, 
Arnolfo et Lapo de Florence, Fra Guillelmo Agnelli, Pisan éga¬ 
lement, convers de l’Ordre de Saint-Dominique. 

En 12G4, lorsque les Pères de Bologne eurent à choisir l’artiste 
qui devait ériger à leur saint Patriarche un glorieux tombeau, 
Nicolas de Pise était dans toute sa célébrité. Les œuvres sorties 
de ses mains faisaient l’admiration des foules. On ne pouvait 
chercher ailleurs. Il n’était pas, du reste, à son premier travail 
pour les Prêcheurs. C’est lui qui avait dessiné le plan de l’église 
dominicaine de Pise, en 1242, à laquelle Fra Guillelmo Agnelli 
donna son précieux concours 2 . 

La date de la naissance de Fra Guillelmo Agnelli est assez 
vague; on la place d’ordinaire vers 1238 3 . Jeune encore, il s’était 
mis sous la direction artistique de Nicolas de Pise. Mais s’il était 
épris des beautés de la nature, il l’était encore davantage des 
splendeurs plus magnifiques de la sainteté morale. Humble, dur 
à lui-même, désireux de l’union au Christ dans la vie pauvre 
inaugurée par saint Dominique, il prit l’habit des Prêcheurs, au 
couvent de Sainte-Catherine de Pise, vers 1257 4 . Ce n’était point 
renoncer à ses goûts d’artiste. Partout, à cette date, dans l’Ordre 
des Prêcheurs, un élan irrésistible poussait les Frères à élever à 
la gloire de Dieu de splendides monuments. Fra Guillelmo se 
trouvait donc à sa place, dans la modeste condition de Frère 
convers qu’il avait choisie. Aussi, lorsque les Pères de Bologne 
entrèrent en pourparlers avec Nicolas de Pise, son maître, il était 
tout désigné pour unir son génie au sien dans une œuvre qui inté¬ 
ressait la gloire de son Père saint Dominique. Le fait de sa colla- 


1 Vasari, Vite dei piltori, I. p. 15. Bologne, 16*7. — Marchese, Memorie dei piu 
insigni pitlori, scultori e nrchiletli Domenicani, p. 79. Florence, 1815. 

* Ibid., p. 80. 

3 Ibid., p. 78. Cf. Michèle Pio. Vite degli huomini illuslri delV Ordine di S. Do- 
menico, lib. I, p. 135. 

4 Marchese, op. cit., p. 80. 


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CHAPITRE III 


49 


boration est certain. Dans la Chronique du couvent de Pise, on 
lit : « Frère Guillaume, convers, maître émérite en sculpture, a 
beaucoup travaillé pour agrandir le couvent. Lorsqu'on plaça le 
corps très saint du Bienheureux Dominique dans une châsse plus 
solennelle, que sculptèrent les maîtres 1 de Nicolas de Pise, il était 
associé audit architecte 2 ... » 

Nicolas de Pise ne put, de lui-même, exécuter tous les bas- 
reliefs qui décorent Turne contenant les restes vénérés de saint 
Dominique. Supposé qu’il eût commencé le travail vers la fin 
de 1264, — et on ne peut remonter plus haut, — il n’a pu s’y 
adonner pleinement que dans le courant de 1265 et une bonne 
moitié de 1266. Le 29 septembre de cette année, nous le trouvons 
à Pise passant un contrat avec Fra Melano, Cistercien de Sienne, 
par lequel il s’obligeait à sculpter pour le dôme de cette ville, 
dans l’espace d'un an, la chaire merveilleuse que tout le monde 
connaît. Il tint parole. Dès septembre 1266, il a donc laissé le 
tombeau de saint Dominique. Son travail personnel ne dura pas 
deux ans. Je ne sais si les Prêcheurs furent plus généreux que 
Fra Melano de Sienne, qui lui donna, pour la fameuse chaire, 
soixante-cinq francs 3 / 

L'œuvre de Nicolas de Pise était très simple d’architecture. 
Quoiqu'elle n'existe plus, dans son ensemble, telle qu’il l’avait 
conçue et exécutée, on peut s’en rendre un compte très exact, comme 
silhouette, en la comparant au tombeau de saint Pierre martyr. 

Quand les Pères de Saint -Eustorge de Milan eurent l'idée 
d’élever un monument au saint inquisiteur, ils décidèrent qu’il 
serait, comme matière et comme forme, semblable à celui de 
saint Dominique 4 . 


1 Le Père Marchesc croit que ce pluriel est une faute de copiste et qu'il faudrait 
lire : Sculpserat magister. Mais on peut l’entendre, même au pluriel, de lui et de 
ses disciples qui l’auraient secondé avec Fra Guillelmo. Cf. Père Berthier, le Tom¬ 
beau de saint Dominique , p. 24. Paris, 1895. 

* « Frater Guillelmus, conversus, magister in schultura peritus, multum labora- 
vit in augraentando conventum (Pisanum). Hic cum Beati Dominici corpus sanctis- 
simum in sollempniori tumulo levaretur, quem sculpserant magistri Nichole de Pisis, 
policretior manu, sociatus dicto architectori... » ( Chron . antiq. Convent. S. Cathar. 
de Pisis, p. 467. Ed. Bonaini.) 

3 « Di quel maraviglioso lavoro del pulpito di Siena, Niccola Pisano non ebbe 
di mcrcede che sole lire 65 ! Frate Melano Cistercense era uno degli operaj del 
duomo, e credo anche camerlingo. Nel 1271 si trova esserc stato incaricato dalla 
republica di Siena di far riedificare la distrutta Chiesa di S. Cristoforo. L nel 1291 
si trova un fra Domenico dell' Ordinc degli Umiliati operaio délia fabrica di Castel 
Paganico, in servigio délia stessa republica. » ( Lettere Sanesi , lett. XXIV, I, cité 
par le Père Marchese, op. cit., p. 85.) 

* « Cum Fratres conventus Mediolanensis in quo corpus sancti Pétri marty- 
ris requiescit, ad honorent ejusdem gloriosi Marty ris, sepulchrum ejusdem edificare 
ceperint in forma et màteria simile per omnia sepulchro B. Dominici Patris nostri, 
nec expensis tanti operis sufficiant... » (Acta Cap., II, p. 233.) 

II. - 4 


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50 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Le tombeau de saint Pierre martyr existant encore dans son 
intégrité primitive, il suffit de le regarder pour connaître, en ses 
parties essentielles, celui de saint Dominique, tel que Nicolas de 
Pise l’a exécuté. « Comme architecte, il imagina une urne carrée 
oblongue, en marbre, supportée par des colonnes 1 ; comme 
sculpteur, il résolut d’embellir de reliefs et de figures T urne et 
les colonnes 2 . » 

Le tombeau se présentait donc sous forme de sarcophage recti¬ 
ligne, sans cimaise, qui apparaissait, comme celui de saint Pierre 
martyr, sans soubassement, mais porté par des anges dissimu¬ 
lant les colonnes. 

Au lieu de ligures angéliques, le tombeau de saint Pierre 
martyr a pour supports les vertus d'Obéissance, de Foi, d’Espé- 
rance, de Charité, de Tempérance, de Prudence, de Force et de 
Justice. Tout en le faisant semblable à celui de saint Dominique, 
les Pères de Milan s'en écartèrent pour certaines dispositions 
d'ordonnance et surtout pour la cimaise, qui n’existait point. 

L'urne mesure 2 m ,31 de longueur, sur 0 m ,90 de hauteur et 0 m ,97 
de profondeur. Pour la hauteur des colonnes et des anges, on est 
réduit aux conjectures, car ni les unes ni les autres ne sont connus. 
Tout a disparu lors de la translation du tombeau dans sa nouvelle 
chapelle, en 1411. Du temps de Michèle Piô, les anges se trou¬ 
vaient dans la chapelle des Reliques 3 . Que sont-ils devenus? Il 
ne serait pas indifférent de les retrouver, car ils donneraient une 
lumière plus intense sur les œuvres déjà si admirables de Nicolas 
de Pise. 

Il divisa les sujets de ses sculptures en six parties égales : 
deux sur chaque face et un sur chaque côté. Sur la face anté¬ 
rieure, deux miracles de saint Dominique, partagés par une figure 
de la Vierge, remplissent le cadre. D’un côté, il ressuscite Napo¬ 
léon Orsini; de l'autre, son livre de controverse avec les héré¬ 
tiques de Fanjeaux est rejeté par les flammes. Sur la face pos- 


1 « ... Tempore V. Fat ris Fr. Johannis de Vercellis, Magistri Ord. Frat. Præd., 
corpus B. Dominici fuit translatum secunda vice de tumulo marmoreo ..., fuitque 
transpositum in capsam pretiosam candidi marnions, super columnas elevalam... » 
(B. Gui, Chron., cité par les Bollandistes, IV Aug. Vila S. Dominici , n. 906.) 

* Père Berthier, le Tombeau de saint Dominique, p. 22. Ce magnifique ouvrage 
donne tous les documents relatifs à l'histoire du tombeau de saint Dominique, 
apprécie la valeur artistique de l'œuvre dans le détail, et en reproduit les splen¬ 
dides ligures. 

* « Data la cura ad un degnissimo scultore Pisano esso formé un nuovo sepolcro 
di candidissimo e (inissimo marmo Levantino greco, soslentato da dodici Angeli, 
tre per ogni quadro (Che al présenté dentro e sotto el reliquiario si trovano) e vi 
scolpi dentro alcuni miracoli del santo, con ottanta figure. » (Michèle Piô, Huomini 
illustri..., III, p. î.) Il écrivait au xvn« siècle. —Le Père Berthier estime que colonnes 
et anges furent inutilisés en 1411, lorsqu'on transporta le tombeau sur des rou¬ 
leaux dans la nouvelle chapelle. Cf. op. cit. f p. 40, note 2. 


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CHAPITRE III 


51 


térieure, les deux histoires, qui sont la vocation et la guérison du 
bienheureux Réginald, la vision d’innocent III où saint Domi¬ 
nique lui fut montré soutenant la basilique de Latran, et l'appro¬ 
bation de l'Ordre par Honorius III, sont coupées par une mer¬ 
veilleuse figure du Sauveur. Aux côtés, on voit d’une part la 
multiplication des pains faite à la prière de Dominique, d’autre 
part l’apparition des apôtres Pierre et Paul qui lui remettent 
l’un un bâton, l’autre un livre 1 . Quatre Docteurs de l’Eglise sont 
debout aux quatre angles du sarcophage. Ces scènes diverses 
comptent quatre-vingts ligures. On comprend, comme je le disais 
plus haut, que Nicolas de Pise n’ait pu à lui seul, en un travail 
de deux ans à peine, exécuter une œuvre aussi complexe. 

Elle appartient à son génie, comme à sa piété; mais Fra Guil- 
lelmo et sans doute d’autres disciples du maître doivent partager 
avec lui l’admiration qu’elle excite. 

Il ne m’apparaît pas qu’on puisse accepter la critique du 
Père Marchese sur le choix des sujets*. Evidemment Nicolas de 
Pise les a reçus des Pères de Bologne. Les .deux grands miracles 
du feu et de la résurrection de Napoléon, comme la vision d’in¬ 
nocent III et l’approbation de la Règle, sont des faits de premier 
ordre dans la vie de saint Dominique. De même, la multiplica¬ 
tion des pains et l’apparition des apôtres. 

Il me semble, au contraire, que les Pères ont eu une heureuse 
inspiration. 

Quant aux scènes rappelant le bienheureux Réginald, sa pro¬ 
messe d’entrer dans l’Ordre, sa guérison miraculeuse, personne 
ne s'étonnera de les voir sculptées sur le tombeau du bienheu¬ 
reux Père, dans ce couvent de Saint-Nicolas de.Bologne dont 
Réginald fut le principal fondateur. Il est possible qu’elles soient 
peu favorables à un ciseau d’artiste ; mais le propre du génie est 
de créer son œuvre. 


1 Auraient pu contrôler les sujets sculptés sur le sarcophage, comme témoins 
oculaires des vertus et des miracles de saint Dominique, les Frères dont les noms 
suivent, tous vêtus ou de scs mains ou avant sa mort, et qui vivaient encore : 

Le bienheureux Jean de Vicence, qui prit l’habit en 1220 des mains de saint Domi¬ 
nique, "f 1266 ou 1267. 

Frère Vincent de Beauvais, -j* 1265. 

Le bienheureux Gilles de Portugal, -J- 1265. 

Frère Pinamonte, f 1266. 

Frère Guillaume Pelhisso, -j* 1268. 

Le bienheureux Barthélemy de Bragance. -j* 1270. 

Frère Pierre Scaligcr. -j- 1290. 

On pourrait même y ajouter saint Raymond de Pennafort, qui professait à Bologne 
en 1218, 1219, pendant le séjour de saint Dominique, f 1275. 

De même le bienheureux Albert le Grand, qui prit l’habit en 1222, un an après la 
mort du saint Patriarche, *j* 1280. 

2 Marchese, op. cit., p. 90. 


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52 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Quelle fut, dans l'exécution, la part de maître Nicolas de Pise? 
quelle fut la part de Fra Guillelmo? Répondre avec exactitude est 
assez difficile. 

Comme quelques détails des scènes de la face postérieure 
semblent à quelques-uns de mérite inférieur, on les attribue 
au disciple 1 . Quoi qu'il en soit, le monument élevé à la gloire 
de saint Dominique est considéré, par les hommes d'art, « comme 
le chef-d'œuvre de Nicolas de Pise, celui qui excita le plus 
l'admiration des contemporains et de la postérité*. » 

Quoi que l'on pense des bas-reliefs eux-mêmes, qui pourront 
paraître à quelques-uns, en certaines parties, ou surchargés de 
personnages, ou peu proportionnés, ou même assez gauches, on 
peut reprocher à Nicolas de Pise d’avoir fait une œuvre tronquée. 
Ce sarcophage, à couverture plate, ne semble pas fini. Au-des¬ 
sus, on attend quelque chose. Ce quelque chose vint dans la suite 
sous la forme de la splendide cimaise actuelle qui, s'harmonisant 
pleinement avec l'urne de Nicolas de Pise, fait du tombeau de 
saint Dominique une des plus belles sculptures d’art de toute 
l’Italie. 

Les travaux étaient assez avancés clans les premiers mois 
de 1266, pour que Maître Jean de Verceil, heureux de cet évé¬ 
nement, fît désigner le couvent de Bologne pour le Chapitre 
général de l’année suivante 3 . Il voulait donner à la translation 
des restes de saint Dominique le plus grand éclat et y faire par¬ 
ticiper l’Ordre tout entier. 

Les Frères y vinrent en foule, — peut-être trop, — car Sébas¬ 
tien de Olmedo en met le nombre à cinq cents 4 , et, dans les 
Actes du Chapitre, on inflige une pénitence aux Prieurs qui ont 
donné des permissions trop larges 5 . 

1 Père Rerthier, op. cit., p. 6i. — Marchese, op. cit., p. 91. 

2 Père Berthier, op. cil., p. 61. 

« Il monumento chc communeinente appellasi l'Area di san Domenico... sara 
sempre un perpetuo e parlante testimonio délia virtu del Pisano... Apparve in 
fatti Nicolo nel condurre questo mirabil lavoro si grande nell* invcntare e com- 
porre, e tal sagio ivi diede di quel copioso frutlo, che il suo Genio superiore seppe 
raccogliere dalf indefesso studio del Bell' antieo, di oui avea piena la mente, sicche 
pote* egli condurre a fine la parte principale del monumento, con quello straordi- 
nario magisterô, che fu lo stupore di quello e delle etâ future e quindi ben a 
ragione mosse l'illustre storico délia scultura a dichiararlo per molti rapporti il 
principal lavoro di questo rarissimo artefice. »> (Virg. Davia, Memorie storico - 
artistiche intorno ail’ Area di san Domenico, p. 12-13. Bologne, 1838.)— L'historien 
illustre dont parle Davia est Cicognara, Storia délia scultnra, III, p. 175. 

3 Acta Cap., I, p. 135. 

4 «« Convenientibus autem tune Fratribus plusquam quingenlis... » (Chron. nov. 
Ms. arch. Ord.) 

Les Annal. Bononiens. disent : « In hac translatione fuit magna multitudo Fra- 
trum Prædicatorum qui ad Generale Capitulum Bononiœ celebratum vénérant. » 
(Cité par Mothon, op. cit., p. 212, note 2.) 

B « Prioribus qui dederunt licentiam fratribus veniendi ad Capitulum sine causa 


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CHAPITRE III 


53 


La fête eut lieu le jour même de la Pentecôte, 5 juin 1267. 

A cette époque, faire la translation solennelle du corps d'un 
saint était toujours une cérémonie qui attirait une multitude 
immense. On y venait par esprit de foi; on y venait par curio¬ 
sité; mais quand il s'agissait d'un saint illustre comme le bienheu¬ 
reux patriarche Dominique, dont la vie, les œuvres, les miracles, 
remplissaient les âmes chrétiennes d’allégresse; dont les enfantç 
jouissaient, dans toute l’Église, de la plus haute estime, la fête 
devenait un événement intéressant non seulement la ville de 
Bologne et ses alentours, mais l’Italie entière et les provinces 
limitrophes. 

Ces reporters nombreux qu’étaient les Frères, allant et prê¬ 
chant partout, répandaient la nouvelle, excitaient l’enthousiasme, 
activaient les départs, en sorte qu’au jour indiqué des foules 
venues de tous les pays se pressaient, avides de voir la solennité, 
dans l’église et ses dépendances. 

Six prélats étaient présents, dont l'archevêque de Ravenne, les 
évêques de Bologne et d’Imola, ceux de Vicence, de Torcello et 
d’Umana, tous trois de l’Ordre des Prêcheurs. Celui de Vicence 
était le bienheureux Barthélemy de Bragance. Parmi les religieux, 
avec le Maître de l’Ordre, se trouvaient saint Thomas d’Aquin, 
définiteur de la province romaine, et le bienheureux Jacques de 
Voragine, élu au Chapitre provincial qui suivit immédiatement 
Prieur provincial de Lombardie 1 . 

La ville de Bologne assistait toute à la solennité, le podestat, 
Grech de la Torre, en tête, accompagné du capitaine Gujesto de 
Ponte Caralle et du conseil des anciens. 

Des indulgences avaient été accordées par Clément IV : deux ans 
pour le jour même de la translation, cent jours pendant l’octave 
et à chaque anniversaire. « Nous avons appris, dit le Pontife, que 
vous avez résolu de transporter le corps précieux du Bienheureux 
Dominique en un lieu plus honorable que celui où il est actuel¬ 
lement, dont l’humilité convient peu à la garde d’un trésor aussi 
célèbre, afin que, placé plus en vue, il fût plus accessible à la 
dévotion des fidèles. Cet acte si éclatant, si solennel, devant être 
rendu public et vénérable , nous voulons que votre église soit 
visitée spécialement par les fidèles, à titre d’honneur, et que leur 
piété y soit récompensée*... » 


sufficienti, injungiinus très dies in pane et acqua, tria psalteria et très discipli¬ 
nas. » ( Acta Cap., I, p. 139.) 

1 « In ipso conventu Bonouie Capitulum provinciale celcbratur, ubi (rater Jaco- 
bus de Voragine fit prior provincialis... In isto Gapitulo gencrali (pro) provincia 
romana fuit definitor beatus Thomas. Et corpus beati Dominici transfertur de 
archa in archam. •» (Galv. de la Flamma, Chron., p. 100. Ed. Reichert.) 

* Bull. Ord., I, p. 483. B. Meritorum mullitudo, In mars 1267. 


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54 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Tout concourait donc à rendre la translation de saint Dominique 
vraiment populaire. 

Il est resté de cette fête un acte authentique qui permet d'en 
suivre exactement le détail : c’est le procès-verbal rédigé par le 
bienheureux Barthélemy de Bragance, évêque de Vicence, témoin 
oculaire et prédicateur de la cérémonie. 

. L'archevêque de Ilavenne, comme métropolitain, présidait. 11 
enleva lui-même les ossements du Bienheureux Père du premier 
sarcophage de pierre non sculptée 1 et les plaça dans celui de 
marbre sculpté, avec grande révérence et dévotion. Puis il prit 
dans ses mains la tête du saint Patriarche, la baisa, la donna à 
baiser aux évêques, au Maître de l'Ordre, aux religieux. Cette 
précieuse relique fut ensuite montrée à tout le peuple qui se pres¬ 
sait sur la place, du haut d’une estrade, à l'angle de l'église*. 

Cette solennelle ostension n’avait point pour but unique de ‘ 
satisfaire la piété du peuple; il s'agissait principalement de con¬ 
vaincre tous les assistants, et avec eux la chrétienté, de la réalité 


1 <« Venerabilibus Christitidelibus présentés literas inspectons frater Bartholo- 
maeus miseratione divina episcopus Vicentinus, salutem et eternam in Domino 
caritatem. Iustus et pius Dominus, de cujus munere venit ut sibi a fideübus suis 
digne et laudabiliter serviatur, vota bene servientibus multo majora retribuit quam 
valeant promereri. Cum itaque in Generali Capitulo Ordinis fratrum Predicatorum 
apud Bononiam celebrato sanctissimum corpus piissimi Patris Dominici, Ordinis 
institutoris ipsius, presentibus et eernentibus venerabili Pâtre fratre Johanne Ver- 
cellcnsi, Magistro et fratribus dicti Ordinis, in dicto Capitulo, anno a Nativitate 
Domini MCCLXVII, Indictione X, die Pentecostc, V iunii, eongregatis, Vencrabi- 
lis Pater Dominus Philippus, Dei gratia archiepiscopus Ravennas, presentibus et 
adstantibus Venerabilibus Dominis Dei gratia Octavinno Bononiensi, Thomasio 
Imolensi, fratribus Arnulfo Ilumanensi, et Egidio Torcellanensi episcopis, atque 
nobis neenon viris nobilibus Grech de la Turre. potestate, Guiesto de Ponte Car- 
rali, capitaneo, et Antianis Bononie, de tumulo lapideo non celato ad marmoreum 
et celatum cum débita reverentia et débita devotione transtulerit, atque caput pre- 
tiosum ad devota dictorum episcoporum, Magistri et fratrum oscula primo reve- 
renter exhibitum, consequcnter in angulari pulpito eeclesie dicti sancti in platca 
exteriori, présenté laudabili fidelium multitudine, ad tollcndum de ipsius corporis 
in dicta ecclesia conservatione solida et integra dubitationis cujuslibet scrupuluni, 
qui forte quorumdam cordibus insidebat, per nos ibidem, premissa solemni predi- 
catione, monstraverit, ipsum in predictum tumulum celatum manu devota redu- 
cens, et in sui compagine corporis in osculo sancto recondens. nos de dictorum 
Dominorum Archiepiscopi auctoritate et Episcoporum conccssione, cupientes ut 
jam dictum corpus in dicta ecclesia. singulis annis, festivis honoribus visitetur, 
omnibus vere penitentibus et confessis. ad quos jam dictorum Dominorum Archie¬ 
piscopi, Episcoporum, et nostra jurisdictio se extendit, qui predictum corpus in 
festo translationis ipsius, et usque ad octavas devote ac laudabiliter visitare cura- 
verint annuatim, ex parte dicti Domini Archiepiscopi duos annos, et dictorum 
Dominorum Episcoporum, et nostra, pro unoquoque annos singulos, de Omnipo- 
tentis miscricordia, et gloriose Marie Virginis Genitricis ejus meritis sanctorumque 
omnium conflsi sufTragiis, de injunctis sibi penitentiis misericorditer in Domino 
duximus l'elaxandos, presentibus in perpetuum valituris. In cujus rei testimonium 
présentés literas fieri fecimus, et noslro sigillo muniri. 

« Datum Bononie, anno Domini MCLXVII, Indictione décima, die nona, intrante 
lunio. » (Père Berthier. op. cit., p. 148, n° ix.) 

2 Ibid . 


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CHAPITRE III 


55 


de la présence du corps de saint Dominique à l'église des Prê¬ 
cheurs de Bologne. Il courait, en effet, parmi les couvents des 
Franciscains, des légendes qui pouvaient la mettre en doute. 
D’autant plus que les Mineurs ne se faisaient pas faute de les 
répandre et de les affirmer même du haut de la chaire. Les uns 
disaient que le corps de saint Dominique reposait à l'église de 
l'Annunciata de Bologne, où saint François avait habité; d’autres 
prétendaient qu’on l’avait enseveli avec saint François lui-même, 
à Assise. Un jour, paraît-il, on aurait ouvert le tombeau de Fran¬ 
çois, et, au lieu d'un corps, on en aurait trouvé deux : l’un 
debout, vêtu d’une tunique grossière, saint François; l’autre 
en habit blanc et noir, prosterné comme un suppliant, aux pieds 
du premier, saint Dominique. Une lumière céleste jaillissait des 
deux corps. François et Dominique n’avaient-ils pas été liés, 
pendant leur vie, d’une sainte amitié? Quoi d’étonnant que Dieu 
les ait réunis après leur mort 1 dans l’étreinte d’un même sépulcre? 
Où les Mineurs avaient-ils trouvé de telles inventions? Au moyen 
âge, le désir de posséder un corps saint dévorait plus d’un moine. 
C’était un trésor, au sens propre du terme, pour le monastère. 
Et l’on ne reculait pas quelquefois devant de pieuses fables pour 
attirer le courant des pèlerins. 

Mais les Prêcheurs, qui veillaient filialement sur les restes de 
leur Père, n’entendaient pas que, par de sottes rêveries, on leur 
enlevât l’honneur et la joie de les posséder. 

Aussi Barthélemy de Bragance, que ces racontars intéressés 
avaient froissé dans son amour de fils, ne se contenta pas de 
cette ostension officielle, publique; il rédigea, de plus, un procès- 
verbal authentique de la cérémonie, dans lequel il affirme, pour 
couper court à toute hésitation, que le corps de saint Dominique 
a été reconnu et enfermé dans le nouveau tombeau magnifique¬ 
ment orné pour le recevoir*. 


1 « L’occasione di mostrare il sacro capo e eorpo al popolo fu, si per soddisfare 
alla devozione dcllc genti, corne per ribattere le vanie d alcuni che non solo pri- 
vamente ma ancora sopra i pulpiti (corne dice Borselli nella 1 Cronaca de’ Generali) 
andavano seminando, che nella chiesa di San Domenico di Bologna non v’era il 
eorpo del Santo, ed alcuni dicevano, che era nel tempio dell’ Annunciata di Bolo¬ 
gna, habitato dai P. di S. Francesco, altri che fosse con S. Francesco in Assisn 
sepoltosi prima nel tempio dei Frati Predicatori in Bologna, ma poi colà traslato. 
Laquale favola non mancarano anco alcuni di seminarla a pin potere tra il semplice 
volgo... Colorivano questa favola alcuni con dire, che aperto una voila il sepolcro 
di S. Francesco in Assisi, furono veduti due corpi, uno che stava in piedi vestito 
d'hispide e rigide vesti (e questo dicevano essere S. Francesco), e l’altro vestito di 
negro e bianco, che supplice, e prostrato stava innanzi al primo (c questo inter- 
pretavano che fosse S. Domenico). Ambedue pero risplendenti d'una chiarezza e 
d'un a gloria grande... » (Léandre Albert, De D. Dominici Calaguritani obitu et se- 
paltura, cité par Michèle Piô, Huomini illwttri di S. Dom., p. i, col. 118, n° 84. 
Ed. Bologne, 1620.) 

* Voir le document, p. 54. 


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56 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Avant de mettre dans ce tombeau les précieuses reliques, Bar¬ 
thélemy de Bragance monta sur Uestrade placée en dehors de 
l’église, sur la place publique, et là, dominant la foule des pèle¬ 
rins, il fit un éloquent discours. C’est un témoignage documen¬ 
taire très important pour les trois tombeaux primitifs de saint 
Dominique. Sur ce texte : Benedicta quoque gloria Domini de 
loco pacis et abundantie, le bienheureux évêque de Vicence parla 
de trois bénédictions célestes, glorieuses pour la majesté divine : 
la bénédiction du parfum, pour le premier tombeau de briques, 
Benedictio odoris; la bénédiction de la puissance, pour le deuxième 
tombeau de pierre brute, Benedictio vigoris; la bénédiction de la 
beauté, pour le troisième tombeau de marbre richement sculpté : 
Benedictio decoris, quod patet ex sculpturis et diversis celaturis. 

Et, dans un transport d’enthousiasme, l’homme de Dieu s'écriait : 

« Ces sculptures sont pour vous, Frères bien-aimés, si vous imitez 
votre Père. Elles sont contre vous si, ce qu’à Dieu ne plaise! vous 
refusez de le suivre. Ayez honte d’être les enfants dégénérés d’un 
père si grand; soyez heureux de lui ressembler! Si vous êtes ses 
vrais fils, ces sculptures seront un témoignage de votre descen¬ 
dance; si, ce qu’à Dieu ne plaise! vous n’êtes pas de vrais fils, 
elles témoigneront contre vos droits à son héritage... » 

Et malgré les légendes qui avaient germé dans les cloîtres des 
Mineurs, Barthélemy de Bragance unit dans une même louange 
Dominique et François. Prenant le texte d'Isaïe : Ecce declinabo 
super Jérusalem velut fluvium pacis et quasi torrentem inundan- 
tem gloriam quam sugetis (Is. lxvi), il dit : « Le bienheureux 
François fut ce fleuve de paix, lui qui prêcha, offrit et désira 
toujours la paix; mais ce torrent débordant de sagesse et de grâce, 
ce fut le bienheureux Dominique, qui attira à son Ordre ces foules 
de nobles écoliers dont la gloire rejaillit sur lui. 

« Ces deux hommes, Dieu les a donnés du ciel, en ces derniers 
temps, et par eux il a sauvé beaucoup d’âmes. 

« Et le prophète ajoute : « Vous verrez, et votre cœur se réjouira, 
« et vos ossements germeront comme l’herbe. » Voici que les osse¬ 
ments de votre Père ont germé! Vous le voyez, et vous en tres¬ 
saillez d'allégresse. Vos ossements ne germent-ils pas comme 
l’herbe? N’êtes-vous pas inondés de joie? Les bénédictions de ton 
Père, Ordre des Prêcheurs, se sont accrues des bénédictions de 
ses Pères. Comme les bénédictions de Jacob s’enrichissaient de 
celles d’isaac et d’Abraham, les bénédictions de Dominique sont 
riches de celles du Christ et de ses Pères. Celui qui a conservé 
son propre corps, dans le tombeau, sans corruption, a préservé 
le corps de ton Père Dominique d’odeur sépulcrale. Comme 
les ossements des Prophètes, les ossements de Dominique ont 


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CHAPITRE III 


57 


d’innombrables rejetons; comme ceux de Joseph, ils prophétisent 
votre accroissement. Ce parfum dont ils nous réjouissent les sens 
n’est-il pas le symbole prophétique de la bonne odeur de vie 
que vous, « ses ossements spirituels, vous répandez autour de 
vous 1 ! » 

1 « Et celi sunt Fratres... De celo scriptum est in Eccli., xliii : « Species cœli 
<• gloria stcllarum, » quae consistit in tribus, scilicet in numéro, specie et disposi- 
tione. 

« Numerus fratrum soli Deo est cognitus : « Enumérât multitudincm stellarum. 
« et omnibus eis nomina vocat. » Ps. cxi.vi. 

« Species in décoré conversation^ apparet. » 

« Dispositio in conventuali locationc, quia in uno conventu plures simul lucent, 
in alio pauciores; et ut dicitur Baruch, m : « Omnes lucem dant in custodiis suis. »» 
Vocati a mtqoribus ad Capitulum, dicunt : « Adsumus. *> Nec propter distantiam, 
nec propter infirmitatem, nec propter indigentiam se excusant, sed quasi nubes 
volant, et quasi columbc ad fcnestras suas, id est ad obcdicntias suas... 

« Bcnedicta quoque gloria Domini de loco pacis et abundantie. Ilic locus fuit 
tumulus significatus per limen templi, ad quod species de super Cherubim descen¬ 
dit. Ezech., x. Hæc gloria de triplici tumulo fuit benedicta. 

n Primus fuit lateritius, secundus saxeus sed (non) celatus, tertius marmoreus et 
cela tus. 

« Ad primum translatus fuit (Dominicus) de limine templi. Limen ei mors fuit 
que fuit ei egressus exsilii et ingressus regni et templi celestis. Ad hune de super 
cherubim descendit, quando in obitu (Dominicus) a cura Fratrum absolutus fuit. In 
hoc benedicta fuit gloria ista benedictione odoris, quia corpus ejus in ipso tumulo, 
sicut in apotheca virtutum, sicut pixis spiritualium charismatum, sicut cella fru- 
ctuum, id est operum redolentium, reconditum latuit. 

« De secundo (tumulo) benedicta est benedictione vigoris, quod per multa et 
diversa miracula patuit. 

« De tertio benedicta est benedictione decoris, quod patet ex sculpturis et diver- 
sis celaturis. Si enim tyrannorum fortia gesta in arcubus, columnis et portis sculpc- 
bantur, peritura tamen, et plurimum nocitura, quanto magis mirabilia istius gesta 
et facta memorie filiorum utiliter et delectabiliter et salubriter commendanda in 
eternum viclura? Eccc, Fratres, Patris nostri gesta et opéra gloriosa. in monu- 
mento celata sunt, quibus ipsius ostenditur puritas cordis et corporis, sanctitatis 
et virtutis pretenditur patientia, misericordia, justitia, constantia et virtutes alie 
insinuantur. 

« Pro vobis sunt hc sculpture, si Patrem imitamini, contra vos, quod absil! si 
sequi renuitis. Pudeat ergo vos tanto Patri esse dégénérés, libeat imitari. Quod si 
sequimini, in testimonium vobis erunt; si non, quod absit! in testimonium contra 
heredes. Nolite igitur timere animalia regionis, quia sicut (Deus) promisit per 
Joelem, Joël ., n, germinaverunt speciosa deserti, membra corporis Beati Domi- 
nici. 

« De primo tumulo gloria odoris : de secundo, vigoris : de tertio, decoris ; et corn- 
pletum est illud Isaiae, Is. t lxvi : « Ecce dcclinabo super Jérusalem velut flu- 
« vium pacis, et quasi torrentem inundantem gloriam quam sugetis. » Fluvius pacis 
fuit Beatus Franciscus. qui pacem predicavit, obtulit et optavit; torrens inundans 
domns sapientic et gratie Beatus Dominicus, quia gloria scholarium nobilium gen- 
tiliter viventium ad ejus Ordinem confluentium. 

« Hos duos viros in novissiino tempore celitus super Ecclesiam Dominus decli- 
navit, et per eos animaruin saluti providit. 

« Sed addit : « Videbitis et gaudebit cor vestrum, et ossa vestra quasi herba 
« germinabunt » Is., lxvi. Eccc Patris vestri ossa que germinaverunt! Vidistis et 
vehementi gaudio gavisi estis. Nonne ossa vestra sicut herba germinant? Nonne 
letitiis et gaudiis redondant? Benedictiones Patris lui, o Predicatorum Ordo, bene- 
dictionibus patrum ejus confortate sunt. Sicut benedictiones Jacob benedictionibus 
Isaac et Abraham confortate fuerunt, sic Dominici benedictiones benedictionibus 
Christi et progenitorum ejus. Qui enim corpus suum in sepulchro sine corruptione 
servavit, corpus Dominici Patris Lui sine fetore in monumento custodivit. Ecce 


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58 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Ce texte, quoiqu’il soit incomplet et ne rende pas toute la force 
et toute la piété du discours du bienheureux Barthélemy, n'en 
était pas moins à citer comme un spécimen précieux de l’art 
oratoire au moyen âge, et, de plus, comme un témoignage his¬ 
torique de premier ordre en faveur des trois tombeaux successifs 
de saint Dominique , dans l'église des Prêcheurs à Bologne. Il 
relate également un détail qui, pour l’histoire des reliques du 
saint Patriarche, a une grande importance : ce parfum sortant de 
ses ossements, déjà signalé dans les termes les plus formels et 
les plus émus par Jourdain de Saxe, à sa première translation, 
en 1233*. Il persistait encore en 1267, comme l’affirme Barthé¬ 
lemy de Bragance. 

Ce n’est qu’après son discours au peuple, quand tous eurent 
vu et vénéré le chef de saint Dominique, que celui-ci fut déposé 
avec le reste du corps dans le sarcophage de Nicolas de Pise. 

La place du tombeau, dans l’église, ne fut point changée. Il 
demeura en avant du chœur des religieux. Plus tard, en 1279, 
le cardinal Latino, de l’Ordre des Prêcheurs, consacra l’autel élevé 
près de lui, afin que l’on pût célébrer les saints mystères à côté 
des reliques 2 . 

On remarqua, pendant la translation de saint Dominique, 
l’apparition d’une comète. L’astre lumineux passa sur l’église et y 
demeura jusqu'à la fin de la cérémonie 3 . Ce phénomène, qui parut 
prodigieux, rappelait les splendeurs de l’étoile qui avait illuminé le 
front de Dominique, au moment de son baptême, signe éclatant de 
sa mission dans l'Eglise et de son œuvre apostolique et doctrinale. 
Saint Thomas d’Aquin , présent à cette solennité , compare lui- 
même le bienheureux Patriarche au soleil, pour sept raisons : 
« Comme le soleil, il engendre par sa parole; il vivifie, en rendant 
la vie de la grâce; il nourrit, en conservant les âmes dans l’état 


ossa ipsius ad instar os sium prophetarum pullulant de loco suo, ad instar ossium 
Joseph de profectu vestro prophetant , quia hoc ipso quod ossa ipsius naturalia 
odore nos récréant, sipnificatur quod ossa ipsius spiritualiu, que vos estis, bone 
forme ac suo odore notitie prestantes forçant. »» — Les admirateurs de Dante n’omet¬ 
tront pas de noter que le « torrens inundans >» de Barth. de Vicence a servi au 
divin poète. (Père Berthier, op. cil p. 149, n° x.) 

1 Cf. t. I, p. 219. 

* « Anno 1279, — A vende Fra Latino, l'anno 1279, nella Domenica dopo l'ottava 
di San Martino consacrato in Iode c onore di San Domenico l'altare presso cui 
esiste il corpo, concédé a quelli che in detto piorno visiteranno l'altare predetto 
un anno c quarante piorni d'indulpenza. (Annal, del Conv. de S. Dom. di Bologna, 
cité par Berthier, op. cil., p. 150, n° xi.) 

3 « Quæ translatio cum aperetur, apparuit cometa super tcinpluin nostrum Bono- 
niense, ibidemque permansit, donec cæremonia finita esset. *> (Chron. Ord., in fine 
libri Constitut. Ed. 1690.) 

« Ferunt historici nonnulli in secunda hac Dominici translatione prefulgidam 
stellam Bononiam irradiasse, eaque peracta evanuissc. •» (Sébastien de Olmedo, 
Chron. Ms. arch. Ord.) 


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CHAPITRE III 


59 


de grâce; il fait croître, en attirant de vertu en vertu; il perfec¬ 
tionne, en fondant un état de perfection; il purifie, en écartant avec 
énergie toute souillure; il renouvelle, en ramenant à la vertu pre¬ 
mière 4 . » 

Certes, Maître Jean de Verceil, heureux témoin des hommages 
rendus au Fondateur des Prêcheurs, à celui dont il tenait la place 
et dont il désirait garder jalousement l'esprit, dut rendre grâces 
à Dieu du succès de son entreprise. Elle avait réussi, comme œuvre 
d’art et comme solennité, au delà de ses espérances. 

Il était bien difficile, quelle que fût la vigilance autour du 
corps de saint Dominique, d’empêcher toute indiscrétion. L’amour 
des reliques poussait à de pieux larcins. 

Frère Guillelmo, le disciple de Nicolas de Pise, qui avait tra¬ 
vaillé avec une ardeur filiale aux sculptures du tombeau, crut 
sans doute que, n'ayant rien à recevoir en payement de ses peines, 
il pouvait, sans scrupule, se compenser d’une manière plus spiri¬ 
tuelle. Il prit, très dévotement, une côte du bienheureux Père, 
oublieux, en ce moment de ferveur indiscrète, de l’excommunica¬ 
tion portée par Jean de Verceil contre quiconque toucherait aux 
précieuses reliques. Cette côte, bien secrètement cachée, il la 
porta avec lui au couvent de Pise et la déposa, en grand mystère, 
dans l’autel dédié à sainte Marie-Madeleine. Nul parmi les Frères 
ne sut, sa vie durant, le trésor qu’ils possédaient. Mais, à l’heure 
de la mort, Frère Guillelmo confessa sa faute, les larmes aux 
yeux. Etaient-ce des larmes de repentir ou de joie? 

Il dit où se trouvait la sainte relique. Les Pères la transportèrent 
dans la sacristie. On lui fit, dans la suite, une riche monstrance, 
soutenue par deux anges*. 

Il n’y eut pas jusqu’à un compagnon de Maître Jean de Verceil 
qui ne succombât à la tentation. Celui-ci, Frère François d’Ascoli, 
enleva une dent. Mais le remords le prit aussitôt, et il avoua son 
larcin au Maître Général. Il est probable que le Maître fut indul¬ 
gent, car il lui accorda de déposer cette relique dans son couvent 
d’Ascoli. Elle y resta peu de temps. Le roi de France, Philippe le 
Hardi, fils de saint Louis, ayant demandé à Jean de Verceil une 
relique de saint Dominique, le Maître, qui ne voulait pas ouvrir 
de nouveau le sarcophage, lui fit don, avec le consentement des 
Pères d’Ascoli, de la dent furtivement dérobée. Elle fut déposée 
dans le trésor des rois de France. En retour, Philippe III 
envoya au couvent dépossédé une épine de la sainte Couronne 3 . 

1 Sermo in festo S. Dom., cité par Berthier, op. cil., p. 2 b, note 2. 

* Chron. Ant. Conv. S. Cathar. de Pisis, p. 467-468. Ed. Bonaini. 

3 « Quum enim occasione translations tiens fuisset clam ablatus a Fr. Francisco 
Asculano, Socio Magistri Ordinis Fr. Joannis et conventui Asculano, consentiente 


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60 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Clément IV, dont l’amour pour l'Ordre des Prêcheurs ne se 
lassait pas, avait écrit une lettre aux Pères Capitulaires de Bologne 
pour les exhorter à prendre avec énergie toutes les mesures 
qu’ils jugeraient nécessaires au bon état de la discipline l . Ce 
qu’il demandait surtout aux Définiteurs, c’était l’union et la con¬ 
corde. La confiance du Pape ne fut pas trompée. Afin de lui 
donner une preuve évidente de reconnaissance et d’affection, les 
Pères décidèrent que partout où il résiderait, le Provincial de la 
province romaine attacherait à sa suite deux religieux de l’Ordre, 
ayant titre de Prieur et de Lecteur, qui seraient à sa disposition. 
On savait que dans les circonstances difficiles où se trouvait le 
Saint-Siège, le Pape avait besoin, à son service, de personnes 
dévouées et discrètes. 

De plus, on assigna le Chapitre de l'année suivante à Viterbe, 
où Clément IV aimait à résider 4 . 

Ce fut, pour Jean de Verceil, un véritable repos. Au lieu de 
reprendre son bâton de voyageur, il put visiter à loisir et sans 
hâte les couvents de Lombardie et de Toscane. Demeura-t-il une 
grande partie de l’année à la cour de Clément IV 3 ? Il est impos¬ 
sible de l’affirmer. Ce qu’il y a de certain, c’est que, pendant ce 
laps de temps, il obtint du Pontife quelques faveurs insignes, 
comme l’approbation officielle de la liturgie dominicaine. Grand 
clerc, selon l’expression de l’époque, juriste éminent, chantre de 
premier ordre 4 , Clément IV avait toute qualité pour apprécier 


Magistro Ordinis, concessus, hic a Fr. Joanne Magistro Ordinis illustri régi Fran¬ 
cise Philippo, fïlio S. Ludovici aliquid sibi de reliquiis Smi Patris donari postu¬ 
lante, Asculanis ultro concèdent ibus, postea datus est, et etiam nunc est repositus 
in thesauro reliquiaruni regis Franciæ, et rex donum gratissimum habens, ut vicem 
conventui Asculano rependeret, eidem unam de sacra Corona spinam dédit, quaï 
etiam nunc ibidem servatur et magna reverentia habetur. »» ( Andezeno, Memoriæ hi- 
stor. Prov. S. Pétri Marty ris, p. 41. Ms. arch. Ord.. lib. XIII-411.) 

1 Bull, ürd., I, p. 48 4. 13. llle summus, 27 mai 1267. 

* Dans ce Chapitre, en souvenir de la translation du bienheureux Dominique 
dont la douce mémoire avait remué tous les cœurs, on décida d’ajouter son nom 
dans l’oraison A cnnctis : « In oracione A cunctis post illud et bealis apostolis 
tuis Petro et Paulo addaturatquc beato Dominico. » ( Acta Cap., 1, p. 142. Chap. de 
Viterbe, 1268.) 

Clément IV célébra lui-même la messe solennelle de la Pentecôte à l’église de 
Sainte-Marie dei Gradi. Il y prononça un discours dans lequel il prophétisa, dit-on, 
la mort de Conradin, dont on redoutait la venue à Viterbe : « Cum omnes timerent 
adventum Conradini. Dominus Clemens Papa, dum apud Viterbium in ecclesia Fratrum 
Prædicatorum in^festo Pentecostes solemniter celebraret et prædicaret, et ego, tune 
Prior Provincialis Fratrum Prædicatorum Lombardiæ, — Fr. J. deVoragine,— ibidem 
occasione nostri capituli generalis, pravsens essem, dixit publiée coram omnibus nobis : 
« Ne timeremus, quia scimus quod iste juvenis a malis hominibus sicut ovis ducitur 
ad mortem; et tali scicntia hoc scimus, quæ, post articulos fidei major non est. 
QuodJquideuTverbum in admirationem maximam nos induxit. »» 

Ce fait esCraconté par le bienheureux Jacques de Voragine dans le Chronicon, 
ap/Muratori, Ber. Ital. Script., IX, p. 50. 

3 Cf. Mothon, op. cit., p. 267. 

A « Fuit vir benignus generalifer habitus, cantor dclicatus, in concionando non 


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CHAPITRE III 


61 


l’œuvre liturgique d’Humbert de Romans 1 . Il l'approuva solen¬ 
nellement par une bulle datée du 7 juillet 1267*. C’était réaliser 
dans l'Ordre des Prêcheurs l'unité depuis si longtemps désirée 
de l'Office divin. 

D’autres bulles défendent aux Frères de recevoir l'épiscopat 
sans l’autorisation du Maître Général, ou au moins sans celle du 
Provincial. Elles furent sollicitées par Jean de Verceil lui-même, 
comme le texte en témoigne 3 . Il est ordonné aux Frères dont 
l'élection épiscopale est acceptée de laisser aux couvents dont ils 
étaient fils leurs livres et les biens provenant de l’Ordre, sous 
peine, s'ils recevaient la consécration avant cette cession, d’être 
déclarés suspens 4 . L'Ordre se tenait toujours en garde contre 
l’ambition, et, malgré le grand nombre d'illustres évêques sortis 
de ses rangs, manifestait, comme dans les premiers temps, son 
désir de mettre un frein à l’invasion des dignités ecclésiastiques. 


habens socium , sibi austcrus, ceteris pius. » ( Jordan. Ms. Biblioth. Vatic., n° 1960.) 

« Generalis clericus fuit videlicet jurisla sumnius, pra*dicator egregius, cantor 
pulcherrimus sine pari... » (Ptolémée de Lucques. Ilistur. Ecoles ., 1. XXII, c. xxxvm, 
ap. Muratori, Script, lier. Ital., XI.) 

* Cf. t. I, p. 311-312 et 580. 

* Bull. Ord.y I. p. 186. R. Consuryit in nohis. 

2 Bull. Ord., I, p. 493. B. Pelitio tua, 30 mai 1268. B. significavit nobis, p. 494. 
28 juin 1268. 

4 Ibid. B. Providentia laudabilis, 9 juin 126X. 


BIBLIOGRAPHIE 

Léandre Albert, De Divi Dominici Calaguritani obitu et sepultura. Bologne, 
1535. 

Masini, Bologna perlustrata , 1650. 

Melloni, Délia vita disan Domenico. 

Virg. Davia, Memorie slorico-artisliche intorno alVArca di san Domenico . 
1838 et 1842. 

L. V. Marchese, Memorie dei piû insigni pittori, scultori e architetli Domeni- 
cani. Florence, 1845. 

Michèle Piô, Vite degli Huomini illustri di san Domenico . Bologne, 1607, et 
Pavie, 1613 (2« partie). 

Seraiino Razzi, Vite dei Santi e Beali del sacro ordine dei Frati Predicatori . 
Florence, 1577. 

Thommaso Bonora, VArca di san Domenico e Michelangelo Buonarotti. 
Bologne, 1874. 

J.-J. Berthier, le Tombeau de saint Dominique. Paris, sans date. 

P. Mothon, Vita del B. Giovanni da Vercelli . 1903. 


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CHAPITRE IV 


AFFAIRES D'ORIENT 


La question d'Orient ne date pas d’aujourd’hui, avec cette dif¬ 
férence très profonde toutefois qu’elle était avant tout, pour le 
moyen âge, une question religieuse. 

Au lieu de considérer l’Orient comme une proie, toujours con¬ 
voitée, dont on ne recule le partage que par crainte de ne pas 
accaparer une part assez succulente, nos Pères avaient pour but 
principal, non pas de conquérir, mais de délivrer la Terre Sainte 
du joug abhorré des Turcs, et de rendre ainsi h la liberté de nom¬ 
breux chrétiens, tout en restituant à la vénération du monde 
entier les lieux consacrés par la présence du Sauveur. Leurs croi¬ 
sades tendaient toutes à la gloire et à l’extension de la foi chré¬ 
tienne. 

Ce noble but ne pouvait être indifférent à Maître Jean de Ver- 
ceil. Les Papes, du reste, habitués désormais à trouver sous leur 
main, dans l’Ordre des Prêcheurs, les hommes dont ils avaient 
besoin pour l’exécution des projets les plus grandioses comme les 
plus périlleux, ne cessaient de réclamer leurs bons offices. 

A l’époque où Jean de Verceil avait pris le gouvernement de 
l'Ordre, un missionnaire fameux entre tous, parmi les Frères 
Pérégrinants pour le nom de Jésus-Christ 1 , était rentré en Europe. 
Il s'appelait Frère Vasinpace-, nom vraiment symbolique pour un 
apôtre de la paix. Son retour n’avait d’autre motif que de solliciter 
le départ de nombreux ouvriers. L’étendue des provinces évangé¬ 
lisées en Perse, en Arménie, dans les Indes, même jusqu’aux 
confins de la Chine, se faisant de plus en plus vaste, il y avait 


1 Cf. t. I, p. 372 et ss. 

2 Je ne sais où le Père Mothon a trouvé qu'il était Vicaire Général des Frères 
Pérégrinants. Le Pape ne lui donne nullement ce titre. La Congrégation des Frères 
Pérégrinants ne se forma, du reste, que vers 1310. Jusque-là les Frères Pérégri¬ 
nants n’avaient pas de lien entre eux autre que celui imposé par leurs supérieurs 
respectifs. CT. Mothon, op. cil., p. 255. Il sera parlé plus loin de cette congréga¬ 
tion. 


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CHAPITRE IV 


63 


une pénurie plus urgente de missionnaires. Frère Vasinpace vit 
Clément IV, lui parla de l'Orient, excita son zèle et facilement 
obtint de lui une bulle à l'adresse du Maître Général. Elle est 
pleine de louanges pour l'ardeur avec laquelle les Frères se 
dévouent à l'œuvre des missions lointaines. Ordre est intimé 
à Jean de Verceil d’envoyer chez les Tartares, les Ethiopiens, les 
Indiens, les Nubiens, les Sarrasins, tant du Levant que du Midi, 
et à toutes les nations barbares qui ne connaissent pas la foi 
chrétienne ou qui l’ont déformée, des religieux puissants en parole 
et en actes. 

Le Pape veut, en particulier, que le Frère Vasinpace, qui dési¬ 
rait retourner en Orient, soit du nombre des missionnaires 1 . 

Quatre mois après, Clément IV demandait un autre service au 
Maître Général. 

Il s’agissait toujours de la réunion de l’Eglise grecque avec 
l’Eglise romaine. Chacun sait que cette interminable affaire reve¬ 
nait à des intervalles périodiques. Quand l’empereur de Byzance 
se sentait en péril du côté des Turcs ou des Tartares, il envoyait 
au Pontife romain les suppliques les plus pressantes et les plus 
flatteuses. A l’entendre, il voulait à tout prix, sous la motion 
intérieure du Saint-Esprit, renoncer aux erreurs du schisme, 
embrasser la foi catholique, et, la main dans la main du Pape, 
ne faire plus avec tout son peuple qu’une seule Eglise. La peur 
du Turc était pour beaucoup dans ces beaux élans vers l’union. 
La preuve en est que, si la menace se faisait moins prochaine ou 
moins dangereuse, les légats impériaux laissaient leur zèle se 
refroidir, demandaient des discussions théologiques, des réunions 
conciliaires; et bref, comme entre théologiens on discute longtemps, 
les années se passaient sans aboutir. Des Papes, que ces avances 
même les plus ouvertement trompeuses n’avaient jamais laissés 
indifférents, s’étaient usés à ce manège byzantin. Mais l'espoir de 
réussir faisait que, malgré tant d'essais infructueux, malgré tant 
de promesses demeurées vaines, à chaque velléité des empereurs 
Rome tendait la main. Ils la prirent sans loyauté. 

Clément IV, fidèle à la conduite de ses prédécesseurs, fit ce 
même geste de bon accueil. Des Frères Mineurs avaient été 
envoyés par Urbain IV, à l’empereur Paléologue, pour traiter de 
la réunion des deux Églises. Soit par ignorance, soit par faiblesse, 
ils avaient accepté des conditions que le Pape Clément, son suc¬ 
cesseur, dut refuser 8 . Il ne voulut pas cependant que son refus 


1 Bull. Ord ., I, p. 482. B. Dei sapientiam, 8 février 1267. Cette bulle est adressée 
à maître Humbert, Général des Prêcheurs. C*est une erreur de copiste manifeste; 
car, en 1267, Humbert n’était plus Maître de l’Ordre depuis quatre ans. 

* Rainaldi, Annal. Eccl., III, p. 228. 


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64 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


fût considéré par U Empereur comme définitif. La porte était entre¬ 
bâillée sur Byzance, il en profita pour faire entrer d'autres délé¬ 
gués. Ceux-ci, il les choisit dans l’Ordre des Prêcheurs. A la 
date du 9 juin 1267, Clément IV écrivit une lettre pressante au 
Maître Général. Elle donne si exactement l'état d’âme du Pontife 
et l'état de la question, que le lecteur sera éclairé en la lisant dans 
sa teneur : « Vous ne pouvez ignorer, ni vous, ni les Frères de 
votre Ordre, combien de fois et avec quelle sollicitude l’üglise 
romaine a employé des hommes sages pour dompter Uorgueil des 
Grecs et réparer la déchirure qu’ils ont faite à la robe sans cou¬ 
ture du Christ, puisque plusieurs des vôtres y ont travaillé person¬ 
nellement, non sans danger pour leur vie, par ordre du Siège 
apostolique; s’ils n’ont pas réussi, on ne peut l'attribuer à aucune 
négligence de leur part. 

« Quoique tant de labeurs aient été dépensés inutilement, — nous 
l'avouons avec douleur, — cependant, à quelques indices, d’après 
ce qu'on nous a écrit et ce que leurs envoyés déclarent, les Grecs 
paraissent soupirer après un salutaire retour à l'Eglise. 

« Voulant donc nous rendre compte de l’esprit qui les dirige et 
savoir si c’est vraiment l’esprit de Dieu, nous leur avons fait 
parvenir la profession de foi que toute l'Eglise latine accepte, 
pour corriger la leur, que nous avons lue et trouvée erronée en 
plusieurs points. De plus, nous leur avons promis d'envoyer à 
Constantinople, en temps opportun, nos Apocrisiaires, — ou 
Légats, — qui leur expliqueront la foi et l'espérance de l'Église. 

« Nous désirons, pour cette légation, des hommes très versés 
dans la science des Écritures, doués d’intelligence très déliée, 
graves dans leur conduite, rélléchis dans leurs réponses, sachant 
dire, au moment voulu, ce qu’il faut dire et rien de plus, assez 
patients pour supporter courtoisement la vaniteuse prétention de 
gens qui se croient instruits et ne le sont point. Ces hommes, 
nous prions Votre Discrétion de les choisir au nombre de trois 
parmi les Frères de votre Ordre et de nous les envoyer immédia¬ 
tement. Car nous désirons nous servir de leur concours pour 
ramener les Grecs, s’il plaît à Dieu, dans la vérité de la foi, 
l’unité de l'Église romaine, ou tout au moins, mettre à nu leurs 
mensonges et leurs perfidies, de telle sorte qu’on ne puisse rien 
nous reprocher et que leur sang ne nous soit point un jour réclamé 
par le Seigneur. Mais cependant n'allez pas croire que, pour obéir 
à nos ordres, il vous soit nécessaire de choisir et de discuter les 
mérites et les qualités d’un grand nombre de religieux. Il suffit 
que vous preniez les plus aptes à ce ministère, parmi ceux qui 
sont près de vous, ou en Italie. Les Grecs ne prétendent pas 
entrer en discussion sérieuse ; mais ils veulent simplement, disent- 


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CHAPITRE IV 


65 


ils, se soumettre à la vérité qui leur sera démontrée. Et vous 
savez que les raisons sur lesquelles ils appuient leurs erreurs sont 
des tiges de roseaux 4 ! » 

Peu de temps auparavant, Clément IV avait, en effet, adressé 
à l’empereur Paléologue une longue lettre contenant la profession 
de foi de l’Eglise catholique, dont il exigeait l’acceptation, et 
l’annonce du voyage des nouveaux Apocrisiaires *. 

Il m’a été impossible, malgré des recherches patientes, de trouver 
les noms des religieux désignés par Jean de Verceil. Il y en eut 
cependant, mais appelés d’assez loin, au dire de Grégoire X. Dans 
sa lettre de convocation au concile de Lyon, adressée à Michel 
Paléologue, ce Pontife raconte en détail ce que ses prédécesseurs 
ont tenté pour l'union des deux Églises. Rappelant que Clément IV 
avait annoncé à l’empereur l’envoi de nouveaux Apocrisiaires, 
il dit : « Quoique ce Pape n’ait pu envoyer près de vous les Apo¬ 
crisiaires qu’il désirait, parce que plusieurs de ceux qui avaient 
été choisis venaient de loin et moururent, comme lui-même, avant 
d’exécuter leur dessein 3 . » 

Ces quelques lignes nous apprennent que les Prêcheurs choisis 
par Jean de Verceil ne purent remplir le mandat apostolique 
qui leur avait été confié. 

A la même époque, le Pape Clément IV, sollicité ardemment par 
saint Louis, cherchait à soulever les peuples chrétiens pour une nou¬ 
velle croisade. Le roi de France ne se consolait pas d’avoir laissé 
les Lieux Saints entre les mains des infidèles. Dès 1266, il s’était 
ouvert à Clément IV de son désir de retourner en personne à la 
guerre sainte. Clément, qui prévoyait sans doute de graves diffi¬ 
cultés en Europe et de plus graves en Orient, avait d’abord 
répondu d’une manière assez vague 4 . Tout en louant le prince de 
son projet, il estimait que sa présence dans ses États était pour 
l’Église une sécurité. Et puis, si l’on en croit Rutebeuf, bien des 
gens s’étaient dégoûtés des aventures lointaines. Le désastre de 
Mansourah, de date lugubre encore récente, refroidissait les 
cœurs. Mais le saint roi, lui, ne songeait qu’au tombeau du 


1 Bull. Ord., I, p. 485. B. Quantum et quoties, 9 juin 1267. — Echard, I, p. 211. — 
Wadding, Annal. Minorum, II, p. 261. 

1 Rainaldi, III, p. 228. 

* « Quamquam autem hujusmodi suos Apocrisiarios pro eo quod aliqui ex eis qui 
adhoc fuerant de longinquÎ9 partibus advocati, et ipsemet, morte prœventi fue- 
runt, non potuerit mittcre ut concepit... » (Labbé, SS. Concilia , XI, p. 946.) 

4 « Noluit tamen (S. Ludovicus) subito aggredi tantum opus ex motu proprio 
cordis sui : unde per secretum nuncium et discretum humiliter et devoto consuluit 
super hoc fel. record. Dominum Clementem... Qui tanquam vir prudens in princi- 
pio reformidans, diuque deiiberans, tandem benigne con9ensit... » (Lettre du Frère 
Geoffroi de Beaulieu, confesseur de saint Louis, à Grégoire X. — Rainaldi, Annal. Eccl., 
III, p. 220.) 

II. - 5 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Christ. Le 24 mars 1267, il convoqua à Paris, sans en dire le 
motif, les prélats et les barons du royaume. Joinville a délicieu¬ 
sement raconté, comme toujours, ce parlement royal. « Quand 
j’eus entendu la messe, dit-il, j’allai à la chapelle du roi et je le 
vis qui était monté en l’échafaud aux reliques et qiii faisait apporter 
la vraie Croix en bas. » 

Le bon sire avait compris. Rien ne put le décider à suivre son 
roi; s’il avait pu, il aurait déconseillé le voyage au roi lui-même. 
« Ceux-là, dit-il, firent péché mortel qui l’approuvèrent. » 

L’état d’esprit de Joinville, si dévoué à saint Louis, révèle ce 
qui devait se passer dans l’âme d’un grand nombre. Cette croi¬ 
sade n’avait point l’approbation du royaume, à peine celle du 
Saint-Siège. Mais Clément IV voyant le roi si décidé, si géné¬ 
reux , si résolu à tout sacrifier pour la foi chrétienne, lui donna, 
malgré sa répugnance, son plus puissant appui. 

Pour exciter l’enthousiasme des peuples et renforcer l’armée 
royale, il chargea les Prêcheurs de publier partout les indul¬ 
gences de la croisade '. Ils étaient en plein exercice en 1268; car, 
dans les Actes du Chapitre provincial de Périgueux, on lit cette 
admonition : « Que les prédicateurs de la croisade évitent de se 
faire des sceaux riches ou curieux, et que, leur office terminé, ils 
les rendent à leurs Prieurs *. » 

La mort de Clément IV suivit de près ces premiers appels à la 
guerre sainte. Il rendit son âme à Dieu le 29 novembre 1268. 
Pour l’Ordre des Prêcheurs la perte était irréparable. 

Même dans la tombe, Clément voulut demeurer au milieu 
des Frères. On eût dit qu’il ne pouvait se séparer de ceux 
qu’il avait si tendrement aimés; son testament était formel. Le 
Pape déclarait choisir sa sépulture dans l’église des Prêcheurs 
de la ville où il mourrait. Son corps appartenait donc de droit 
à Santa Maria dei Gradi, l’église des Prêcheurs de Viterbe. 
Les chanoines de la cathédrale, peu satisfaits, exigèrent que les 
funérailles solennelles fussent célébrées à la cathédrale. On y 
consentit; mais, après la cérémonie, le corps du Pontife fut 
transporté chez les Prêcheurs 3 . Il n’y resta pas longtemps. Le 
peuple s’étant mis à l’invoquer comme un Bienheureux, tant 
était grande sa réputation de sainteté, de nombreux miracles, 

1 En 1267 et non 1269, car le roi prit la croix le 25 mars 1267. Cf. Ernest Lavisse, 
Histoire de France, III, p. 100. 

2 « Item quod predicatores crucis non faciant fieri sigilla curiosa vel sumptuosa 
et, expleto officio, reddant ea prioribus suis. » (Acta Capitul. prov., p. 132. 
Ed. Douais.) 

3 <* Sepultus est autem gloriosus Pontifex Viterbii, ubi tune curia residebat, in 
ccclesia Fratrum Prædicatorum, ubi ipsemet sibi elegerat sepulturam; sed de facto 
translatus ad ecclesiain cathedralem ad voluntatem quorumdam... *> (S. Antonin, 
Chron., III, tit. XX, c. i, § 11.) 


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CHAPITRE IV 


67 


dit-on, illustrèrent son tombeau l . Ce n'était pas fait pour calmer 
la jalousie des chanoines. On se portait en foule chez les Prêcheurs; 
les offrandes y affluaient. Ce courant de pèlerins et d'aumônes 
devait fatalement grossir si Clément IV, comme tout le faisait 
prévoir, était mis sur les autels. Aussi évêque, archiprêtre 
et chanoines, tous unis, — chose assez rare ! — accablèrent de 
requêtes les cardinaux réunis en conclave, si bien que, malgré 
les protestations de Jean de Verceil et des Frères de Viterbe, afin 
d'avoir le temps de juger la cause en toute connaissance, les car¬ 
dinaux décidèrent que la dépouille de Clément IV serait retirée 
de Santa Maria dei Gradi et déposée provisoirement en un lieu 
neutre, n'appartenant ni aux chanoines, ni aux Prêcheurs. C’était 
déjà, pour ces derniers, une défaite 2 . Ils ne la supportèrent point 
sans énergiques protestations. Mais les chanoines furent plus 
avisés. Ils s’entendirent avec les gardiens du précieux dépôt, l'en¬ 
levèrent sans bruit et le placèrent, en attendant mieux, dans un 
endroit désert de la cathédrale. Le secret fut trahi. Grand émoi 
chez les Prêcheurs, qui, indignés d’une telle audace, réclamèrent 
auprès du Sacré-Collège. Deux cardinaux furent chargés de l'en¬ 
quête, ceux de Saint-Marc et de Saint-Eustache. Le 23 no¬ 
vembre 1271, ils citaient en leur présence l’évêque, l'archiprêtre 
et les chanoines. L’archiprêtre seul se présenta en personne ; les 
autres accusés envoyèrent des procureurs. On reconnut que la 
plainte des Prêcheurs était exacte. Ordre fut donc donné de 
remettre en son lieu de dépôt, jusqu'au jugement définitif de la 
cause, le corps de Clément IV, de suspendre, à la cathédrale, 
les travaux commencés pour le tombeau, de révéler les noms de 
ceux qui avaient osé commettre ce crime ou l’avaient conseillé, et, 
à ces derniers, de paraître devant les délégués du Sacré-Collège, 
pour recevoir le châtiment qu'ils méritaient. Quant à l’évêque, il 
était prié de faire exécuter ce commandement 3 . 


1 « Die XXIX menais novembris miraculis coruscare cœpit; indeque populi, ejus 
sanctitatc ac miraculis moti, ad ejus sacrum cadaver visendum, tangendum et deos- 
culandum confluere. » (Papebroch, Conalus historico-cronologicus ad Catalog. 
Pont. Rom. Apud Boll., maii II, p. 377.) 

* Papebroch, op. vit p. 377. 

3 « In nomine Domini. Amen. Anno Nativitatis ejusdem MCCLXXI. Indi- 
ctione XIV, XXIII die exeunte mensc novembris, Ven. viro Domino Theodaldo in 
Summum Pontificem electo : 

« In presentia mei Notarii et tcstium subscriptorum, Rdi Patres Domini Dom. 
Guillelmus..., tituli Sanctc Marie Prcsbyter, et Dom. Ubcrtus Sancti Eustachii Dia- 
conus Cardinales, dixerunt precipierunt et pronunciarunt omnia que inferius des- 
cribuntur, et michi Notario injunxcrunt ut ea in scriptis redigerem, et exinde face- 
rem publicum instrumentum, vidclicet. Quod cum ad audientiam Dominorum Car- 
dinalium pervenisset, quod sepulchrum cum corpore Sanctissime Recordationis 
Dom. Clementis Pape Quarti, de loco ubi collocatum fuerat, fuisset ad aiium locum, 
contra ordinationem predictorum Dominorum Cardinalium, ausu temerario trans- 
portatum, iidem Dom. Cardinales ipsis DD. Guillelmo et Uberto commiserunt, ut 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Les bons chanoines ne bougèrent point. Ils estimaient sans 
doute que, possédant le corps dans leur cathédrale, ils arriveraient 
bien à le garder. Le tout était de ne point le laisser sortir. 

Ils comptaient sans Maître Jean de Verceil. Tenace dans son 
désir de rendre à la mémoire de Clément IV un honneur qu’elle 
méritait, il n’eut point de repos jusqu’à ce que ses restes vénérés 
eussent été réintégrés dans l’église des Prêcheurs. En 1274, au 
concile de Lyon, ses instances près de Grégoire X furent si vives 
que ce Pontife, désireux de lui rendre justice, délégua le cardinal 
de Saint-Ange, Riccardo Annibaldeschi délia Molaria, pour 
dirimer la question. Trois bulles lui donnent tout pouvoir 1 , même 
celui de forcer les chanoines à la restitution, sous peine des cen¬ 
sures ecclésiastiques. Cette fois, les Frères de Santa Maria déi 


audirent et de piano cognoscerent per quos et a quibus, vel de quorum consilio, 
auxilio vel mandato, hoc extitit attemptatum. Sane, vocatis ab ipsis... et compa- 
rentibus coram eis Archiprcsbytero et Magistro Andrea de Orte, Canonicis Eccle- 
sie Sancti Laurentii Viterbicnsis, pro se et aliis canonicis ipsius Ecclesie, ut dice- 
bant, et Mathia Theatino, dicente se Gencralem procuratorem Ven. P. D. Episcopi 
Viterbiensis, sed exccutorem solummodo in hoc facto, cujus excusationem ipsi 
DD. Guillelmus et Ubertus non admiserunt, cum super iis non faceret ullam fidem, 
dixerunt eidem Archipresbytero, et Magistro Andrée, mandarunt etiam et injunxe- 
runt expresse, tam ex parle dictorum DD. Cardinalium, quam ex sua, quod ipsi 
tumulum vel sepulchrum cum corpore predicto D. démentis reponerent et collo- 
carent, vel reponi et collocari facerent in locum pristinum, unde fuerat, contra 
ordinationem DD. Cardinalium, transportatum. Item, quod in opere, jani circa 
locum, ubi dictum sepulchrum est transportatum, inchoatum, ulterius non procé¬ 
dèrent... Item, quod violatores ipsius tumuli vel sepulcliri, et temeritatis hujusmodi 
presumptores, vel quorum consilio, auxilio vel mandato hec presumpta fuerint, 
eisdem DD. Guillelmo et Uberto revelarent publice vel secrete ; quodque etiam 
insinuarent dicerent ac denunciarent... tam predicto Episcopo, quam Canonicis 
Viterbiensibus et omnibus aliis quos scirent, vel crederent esse vel fuisse in hoc 
facto culpabilcs, et ipsi coram eis..., nec non Archipresbyter et Magister Andréas 
predicti, una cum eis, qui super hec eos vocari contingent, compareant audituri et 
recepturi tam penam quam penitentiam, pro tante presumptionis et temeritatis 
excessu, sicut viderint expedire. Pretcrea idem DD. Guillelmus et Ubertus Cardi¬ 
nales specialiter prefato Mathie dixerunt, mandarunt et injunxerunt expresse, 
quod, tam ex parte dictorum DD. Cardinalium, quam ex sua, prefato Dom. 
Episcopo nunciaret, diceret et mandaret, quod ipse Episcopus suos subditos indu- 
ceret et moncret, et qua convenerit censura compelleret, ad hoc videlicet, ut di¬ 
ctum tumulum vel sepulchrum, cum corpore in pristinum locum reponant et collo- 
cent, sicut prius ibidem, ubi fuerat collocatum. Et nihilominus districle precipiendo 
mandantes quod a dicto opere jam incepto omnino désistant... Quodque etiam 
omnes illos quos invenerit esse, vel fuisse, aliquo modo in hoc facto culpabiles, 
monitione premissa, puniet et castiget, prout de jure poterit et debebit. 

« Actum Vitcrbii in caméra prefati D. Guillelmi Cardinalis, et presentibus Ven. 
Viro D. Petro Apost. Sedis Camerario et Notario, Fratre Jacobo de Benevento, 
Ord. Fr. Prédicat, et Fratre Johanne de Viterbio, Procuratore ejusdem Ordinis... Et 
ego Guillelmus Delipico (?) S. R. E. pub. Notarius, hec omnia scripsi et publi- 
cavi. » 

Parmi les témoins se trouve Frère Jean de Viterbe, Procureur Général de l’Ordre, 
agissant au nom de Maître Jean de Verceil. 

Ce document, qui appartenait aux archives du couvent des Prêcheurs de Santa- 
Maria dei Gradi, à Viterbe, a été publié par C. Pinzi, Storia délia Città di Viterbo, 
II, p. 349-50. Roma, 1889. 

1 Bull. Ord., I, p. 520. B. Sua nobis, 31 juillet 1274 ; p. 524, B. Dilecti filii, 
I e ' octobre 1274; p. 525, B. Sua nobis, 1 er octobre 1274. 


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CHAPITRE IV 


69 


Gradi crurent leur victoire assurée. Forts des bulles pontificales, 
de la sentence du cardinal, ils se rendirent à la cathédrale pour 
prendre possession du corps de leur saint ami. Mais les chanoines 
veillaient. Ils avaient soulevé les paroissiens de la cathédrale, et 
quand les Frères parurent aux portes, ils trouvèrent en face d’eux 
toute une armée de dévotes qui leur barraient l’entrée. Il fallut 
reculer. Bref, huit ans seulement après la mort de Clément IV, 
Frère Pierre de Tarentaise, devenu Pape sous le nom d’inno¬ 
cent V, put faire respecter sa suprême volonté. 

Encore fut-il obligé, pour aboutir, d’exiger que la translation 
de ses restes eût lieu dans l’église de Santa Maria dei Gradi pen¬ 
dant son séjour à Viterbe 1 . Les Frères Prêcheurs, heureux de 
posséder chez eux les cendres de leur protecteur, lui élevèrent un 
magnifique tombeau. C’est là que Clément reposa, pendant des 
siècles, dans la joie et la paix de l’amitié 2 . Il n’y est plus. 
En 1873, les Prêcheurs de Viterbe, chassés de leur couvent, 
durent abandonner leur église et ses précieux souvenirs. Ce 
couvent, œuvre superbe d’architecture, est devenu une prison, et 


1 Innocent IV était à Viterbe le 7 février 1276, comme on le voit par une lettre 
adressée par lui au Gardien de§ Mineurs d’Assise. (B. Discretioni Vestræ. Bull. 
Franciscan., t. III, p. 243.) 

Ptolémée de Lucques dit expressément que le Pape Innocent V trancha lui-même 
cette question : « Secundum quod fecit, Innocentius predictus, fuit, quia precidit 
questionem quam habebat Ecclesia Major Vitcrbiensis cum Fratribus Predicatori- 
bus super corpore Clementis IV ; quia mandavit dictum corpus dictis Fratribus 
restitui, cum invenerit apud ipsos elegisse légitimé sepulturam. Dicti autem Cano- 
nici memoratum corpus arrestatum tenuerunt usque ad tempora Pontificis supra- 
dicti. » ( Hislor. Ecoles., lib. XXIII, cap. xvih, apud Muratori, Script. Ber. Ital., XI.) 

Comme Innocent V ne resta sur le siège de saint Pierre que quelques mois, il 
est probable, — mais probable seulement, — que cette restitution eut lieu pendant 
son séjour à Viterbe. 

2 ÉPITAPHE DE CLÉMENT IV 

« Lector, fige pedes, admirans quam brevis edes 
« Pontificem quartum Clementem contegit arctum. 

« En datur in cincres Pétri successor et heres, 

« Cujus si memor es, mundi non gaudia quercs. 

« Hinc inde primum, quem sic succcssus opimum 
« Rcddidit, ut fertur, miles probus cfficeretur. 

« Taleque sortitus nomen, jurisque peritus, 

« Virginis unius fuit unicus ipse maritus; 

« Qui, viduatus ea, mox Chrisli sorte petitus 
« Aniticnsis ita dignus fuit Arehilevita. 

« Presul ibi factus, post Archiepiscopus auctus 
*< Utque Deo gratus vir Cardinibus sociatus. 

« Papatus nomen Urbis suscepit et omen. 

« Sic sublimatus, sic denique clarificatus, 

« Pcrliciendo gradus, censetur ad astra levatus, 

«« Annis sex dénis octo cum mille ducentis 
« Transactis Christi, Clemens tumulo datur isti. 

« Agyos quare qui transis corde precare, 

« Ut finalis ei det gaudia summa diei. » 

(C. Pinzi, op. cit., p. 246.) 


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70 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


l'église une salle de travail pour les condamnés. Les ennemis de 
Dieu s’acharnent à déshonorer ses temples. Pendant quelques 
années, dans ce milieu de dégradation, les restes de Clément IV 
furent exposés à tous les outrages. En 1885, des employés de la 
prison, aidés de quelques délégués du municipe, ouvrirent le sar¬ 
cophage de marbre. Ils enlevèrent l’anneau du Pontife et les orne¬ 
ments sacrés dont il avait été revêtu, puis ses cendres furent 
déposées dans une caisse en bois et transportées au palais muni¬ 
cipal. On dit que sans respect pour la sainteté de la mort, sans 
égard pour la dignité du défunt, et plus sauvages que des païens, 
quelques-uns de ces fonctionnaires s'amusèrent avec ces restes 
vénérables. L’outrage dépassait toute mesure. Une réparation 
s’imposait, exigée par l’opinion que de pareils excès avaient légi¬ 
timement indignée et par les protestations du Pape Léon XIII. 
Le gouvernement italien comprit ce qu’il avait à faire, quoique 
ce fût un peu tardif. Le mausolée de Clément IV, — du moins 
ce qui en reste, — fut transporté dans l’église de San Francesco, 
rendue au culte pour le recevoir. On y replaça ses cendres et les 
objets qui avaient été enlevés 1 . Pour que ia réparation soit com- 

1 « Rcposizionc delle ossa di Clemente IV nell’ attuale sarcofago. 

« Nella Chiesa di San Francesco, presenti S. E. Revercndissima Monsignor Gio. 
Battista Paolucci, figlio del fu Angelo, Arcivcscovo e Vescovo di Viterbo, nativo 
di Sassara (Fano), domiciliato in Viterbo, che dichiara procedcre aile cose infradi- 
cendc, in conformitA delle istruzioni riccvutc dalla Sacra Congrcgazione dei Riti; 
rillustris. e Reverendis. Monsignor Francesco Ilagonesi, Pro - Vicario Gen. del 
suddetto Monsignor Vescovo ; Tlllnio Cav. Francesco Rongioannini, Delegato spé¬ 
ciale del Ministero délia pubblica istruzionc ; il molto Reverendo Don Simone 
Priore Medichini, Procuratorc Fiscale. I suddctti Monsignor Ragonesi e Cav. Bon- 
gioannini hanno dichiaralo, di aver essi, ad un’ ora antinieridiana di questo giorno 
(22 luglio 1885), trasportato privatamente in questa Sagrestia di San Francesco, 
entro la carrozza cliiusa di Monsignor Arcivcscovo Vescovo. la cassa di zinco con- 
tenente le ossa di Clémente IV, gl'indumcnti, non chc tutti gli altri oggetti dcscritti 
nel verbale di ieri... Quindi per opéra di un falegname, si è resa aperta la delta 
cassa. I signori professori Dottor Gioaccliino Granati e Dottor Francesco Ludovico 
Mancini, assunti quali periti anatomici. a richiesta di esso signor Vescovo, hanno 
proceduto alla ricostituzione dello scheletro. Dopo di che, dctlo signor Arcivcscovo 
Vescovo ha fatto ai suddetti Professori le seguenti dimande : 1° Giudicano 
le SSVV. che queste ossa siano tutte, e di un individuo maschio? — I periti rispo- 
sero afTermativamentc. « — 2° Giudicano che possano esserc di taie che visse nel 
sccolo XIII? — Risposero atTermativamcnte. — 3° Hanno alcuna osservazione a fare 
opportunamente sullo scheletro? — Risposero. Corne elcmento d’identità e rico- 
gnizione del soggetto, riscontriamo, constatiamo cd osServiamo che la clavieola 
destra, sul suo tergo medio, otTre un callo osseo, con un angolo sporgente, risultat-o 
di frattura subita in etâ giovanile. — Dopo di che, i suddetti Professori hanno misu- 
rato l’altezza dello scheletro, chc risulté di metri 1,74. Intorno al cranio i medesinn 
Professori hanno dichiaralo, che l’osso frontale è molto sviluppato, e la circonfc- 
renza è di metri 0,533... » Ce procès-verbal porte la date du 22 juillet 1885. (C. Pinzi, 
op. cil., p. 257.) 

Parchemin renfermé dans un tube de plomb, déposé dans le nouveau cercueil de 
Clément IV. 

« Ad perpetuam rei memoriam. Ab incarnatione Domini anno MDCCCLXXXV. 
Pontificatus Leonis XIII, anno VIII, episcopatus nostri anno VI, die vero XXIIjulii. 
Ad Sanctae Mariae ad Gradus Viterbii erat vêtus sepulchrum Clementis IV PP. 


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CHAPITRE IV 


7i 


plète, il n’y a plus à désirer que la restauration intégrale du tom¬ 
beau 1 , — à laquelle, dit-on, l’administration publique est sérieu¬ 
sement disposée, — et sa translation dans l’église Notre-Dame 
de la Quercia*, où les Prêcheurs rendraient de nouveau à celui 

vita functi in hac nostra urbe, die XXIX novembris anno MCCLXVIII, Monumen- 
tum marmoreum aflfabre elaboratum, musivo opéré ornatum, una cum scpulchris 
Pétri Le Gros et Pétri De Vico Prefecti Urbis Romae, deferendum erat ad anti- 
quam aedem Beati Francisci Assisinatis, mox mutandam in Muséum vetustatis et 
bonarum artium operibus excipiendis. Quidam, quibus a Decuriali ordine, monu- 
menti translatio mandata fuerat, die XVIII maij currcntis anni, proprio marte exte- 
riorem arcam marmoream, interioremque ligneam recluserunt, ossaque Pontifïcis 
exturbata in novam capsulam commixta inseruere, reliquiis indumentorum, caete- 
risque sacris monilibus alibi repositis. Cui piaculo reparando, qui modo suprema 
potestate pollent, aedem Sancti Francisci divino cultui restitui, predicti pontifïcis 
sepulchrum inibi collocari, et ossa honorifice condi dccreverunt. Propterea, Archie- 
piscopo episcopo Viterbiensi, Apostolicœ Sedis spccialiter Delegato, tradita sunt per 
subscriptum Regium Administrum capsula ossa continens, reliqua sacrarum vcstium, 
anulus pastoralis, fibulae gemmis distinctae, coeteraque chirothecarum et rationa- 
lis emblemata in sepulchro reperta, itemque signum Apostolici Notarii roseae cerae 
impressum. In capsula vero, ex ])eritorum physicorum sententia, cxtant amussim 
quae sequuntur, scilicct scheletrum omnibus suis partibus integrum (confer acta). 
Quae omnia, in aedem Sancti Francisci delata, et ad normas ecclesiasticarum 
legum recognita, religiosc conduntur in nova area, labulis arboribus juglandis 
contexta, aliaque plumbea communita, ritibus exequialibus inter pontificalia abso- 
lutis, adstante Clero, Presidibus Societatum quibus a re catholica nomen, et subs- 
criptis viris praeclarissimis. Capsula lignea, itemque plumbea, signis Archiepiscopi 
Episcopi et Ecclesiae Curiae Viterbiensis, obsignantur. Lignea area, zona serica ad 
extremam oram signata, circumducitur ; plumbea vero in operculo has refert 
notas : Ossa Clementis PP. IV. Recognita et reposita die XXII julii, anno Donii- 
ni MDCCCLXXXV. 

« Actum Viterbii, ad Sancti Francisci Assisinatis, die et anno superius notatis. 

« f J. Baptista Archiep. Viterb. Dclegatus Apostolicus. Franciscus Arch. Rago- 
nesi p. Vie. Glis. 

« Can. Jacobus Bevilacqua Caer. Episcopalis. 

« Eutychius Parsi Can. Theologus. 

« Francesco Bongioannini Rappresentante il Ministcro délia Pubb. Istruzione. 

« Simon Medichini Doctor Promotor Fiscalis. 

«< Granati Doctor Joachim Pcritus Physicus. 

« Mancini Doctor Franciscus Peritus Physicus. 

« Fretz Carolus testis. 

« Joseph Signorelli testis. 

« Paulus Cancus Tabarrini p. Canccll. Episcopal. 

« Crispinus Doctor Borgassi No tari us Regius. » 

(C. Pinzi, op. cit., p. 258.) 

1 II y avait eu, en 1798, des premières dégradations extérieures faites au tombeau 
par les soldats révolutionnaires du général Berthier, celui qui, après avoir établi à 
Rome une ombre de république, avait fait frapper cette médaille ridicule : Ber¬ 
thier restitutor Urbis. — E Gallia salus generis hnmani. (Botta, Storia (Vital ., 
lib. XIII.) Mais le sarcophage lui-même n’a pas été ouvert. (Cf. Cristofori, le Tombe 
dei Papi in Viterbo, p. 33.) — En 18 iO, le comte de la Tour-Mau bourg, ambassadeur 
de Louis-Philippe près le Saint-Siège, fit quelques réparations au tombeau. L’ins¬ 
cription suivante en perpétue le souvenir : 

Clementis PP. IV natione galli anno MCCLXVIII 
tilulum hune reslaurandum curavit 
Stephanus de Fay, Cornes de la Tour Maubourg, 

Francorum regis apud S. Sedem Orator 
Anno MDCCCXL. 

* Le couvent de Notre-Dame la Quercia, qui rappelle aux Dominicains français 
tant de chers souvenirs, a été recouvré pour l'Ordre par le R me Père Frühvirth. (Cf. 
P. Mortier, Notre-Dame de la Quercia. Florence, 1901.) 


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72 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


qui les aima avec tant de tendresse le culte de leur piété liliale. 

La mort de Clément IV n’interrompit point les préparatifs de 
la croisade. En 1269, les Pères du Chapitre général, tenu à 
Saint-Jacques de Paris, s’en occupent avec une certaine anxiété. 

« Que les Frères et les Prieurs auxquels la prédication de la 
croix a été confiée, s’acquittent avec plus de zèle de leur mission. 
Si l'occasion se présente, qu’ils engagent les fidèles à laisser dans 
leurs testaments des legs en faveur de la Terre Sainte. De plus, 
qu’ils aient grand soin de prêcher partout que le départ du roi de 
France aura lieu la première semaine du mois de mai prochain, 
au port d’Aigues-Mortes. 

« En outre, chaque jour sans solennité, à la messe conventuelle 
après le Pater noster, les Frères en grande prostration réciteront 
le psaume Deus venerunt gcntes, et le célébrant dira les versets et 
les oraisons. Ces prières commenceront après Pâques 1 . » 

Les nouvelles les plus lamentables arrivées de Terre Sainte rem¬ 
plissaient d’horreur le monde chrétien et achevaient d’apitoyer les 
cœurs. Antioche avait succombé. Cent vingt mille chrétiens, réfu¬ 
giés dans ses murs, avaient été massacrés. Frère Chrétien, de 
l’Ordre des Prêcheurs, patriarche d’Antioche, voyant que la ville 
était perdue et croyant que, peut-être, les vainqueurs auraient 
pitié des pauvres femmes qui s’étaient consacrées à Dieu, réunit 
dans le monastère des Dominicaines les religieuses de Sainte- 
Claire. Ces vierges héroïques, résolues à tout souffrir plutôt que le 
déshonneur, se coupèrent le nez afin d’effrayer par cet horrible 
spectacle les soldats de Saladin. Ils les massacrèrent. Le patriarche 
était dans l’église. Debout devant le maître-autel, revêtu des 
ornements pontificaux, mitre en tête, crosse en main, il attendait. 
Il fut tué avec les quatre Frères qui l’assistaient. Plus de cent 
religieux de l’Ordre eurent le même sort 2 . 

Ces cruautés barbares, répandues par les fugitifs dans les pro¬ 
vinces d’Europe, favorisèrent l’élan vers la croisade. Elles aidèrent 
les Frères à secouer la torpeur des fidèles. Les promesses arri¬ 
vaient plus nombreuses, les offrandes plus larges. 


1 « Fratres et Priores, quibus crucis predicatio est commisse, commissionem sibi 
factam diligencius exequantur, et tam ipsi quam ceteri fratres, cum se facultés 
obtulerit, testatores inducant ad elemosinam faciendam, in subsidium Terre Sancte, 
et sint diligentes denunciare ubique in suis predicacionibus passagium domini 
regis Francie. Quod erit in prima septimana sequentis maii in portu de Aquis 
Mortuis. 

« Item, singulis diebus profestis in misse conventuali post Pater noster, cum 
prostracione, dicatur psalmus Deus venerunt Gentes, cum versiculis et orationibus 
ab illo, qui dicit missam, dicendis, et hoc incipiatur post Pascha. » (Acta Cap., I, 
p. 149. Chap. de Paris, 1269.) Ces prières spéciales après le Pater n'étaient point 
chose rare. 

* Cf. Fontana, Monumenta Dom., p. 25. 


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CHAPITRE IV 


73 


Il y eut bien pour Maître Jean de Verceil, dans cette prédi¬ 
cation de la croix, une pénible épreuve. 

Il avait désigné comme prédicateur, entre autres personnages 
célèbres, le Frère Barthélemy de Tours. Il lui avait même donné, 
comme au plus digne, la charge de vicaire général des Frères qui 
devaient s’embarquer avec saint Louis et suivre son armée. 

Frère Barthélemy, né à Tours, comme son nom l’indique, 
était un théologien éminent, Maître de Paris 1 . A ce titre, il jouis¬ 
sait d’une grande réputation. On prétend même qu'il suppléa 
quelquefois Frère Geoffroy de Beaulieu dans son ministère de 
confesseur du roi*. 

Le choix de Maître Jean de Verceil paraissait donc très justifié. 
Or Frère Barthélemy, sans doute dans un excès de zèle inconsi¬ 
déré, manqua gravement de discrétion et de prudence, en une 
affaire de testament. Que se passa-t-il au juste? On ne peut le 
dire, car les documents sont, au contraire, trop discrets. Ils 
laissent entendre que l’acte était très grave, qu’il en résulta dans 
l’Ordre un scandale très pénible; mais ils se taisent sur sa nature. 
Pour se disculper, Frère Barthélemy osa s’en prendre au Maître 
Général et rejeter sur lui toute la responsabilité de la faute. Jean 
de Verceil exigea une enquête. Son honneur étant en jeu, il fal¬ 
lait que cette question si délicate fût mise en pleine lumière. Cinq 
religieux furent chargés de cette commission : Frère Thomas 
d’Aquin; Frère Robert Kilwardby 3 , plus tard confesseur du roi 
d’Angleterre et cardinal; Frère Latino Malabranca 4 , de la famille 
Orsini, depuis cardinal. Tous trois étaient maîtres en théologie. 
Puis une contre-enquête fut faite par Frère Michel, Prieur de 
Lille, et Frère Lambert de Liège, un des plus fameux prédicateurs 
du temps. Frère Barthélemy était jugé par ses pairs; il ne pou¬ 
vait arguer de leur incapacité. Leurs dépositions furent acca¬ 
blantes contre lui. Au Chapitre de Milan 5 , en 1270, les Capitu- 


1 II est nommé le seizième dans le Catalogue des Maîtres, par Et. de Salagnac. 

* Echard, I, p. 248. 

* Ibid., p. 374. 

4 Ibid., p. 436. 

5 Le roi saint Louis écrivit aux Pères du Chapitre de Milan (1270) la lettre sui¬ 
vante, afin d’implorer les suffrages de l'Ordre pour le succès de la Croisade. 

« Ludovicus Dei gratia Francorum rex dilectis suis... magistro et deffînitoribus 
neenon... pr(i)oribus ceterisque fratribus universis in Capitulo gencrali fratrum Pre- 
dicatorum apud Mediolanum congregandis salutem et dilcctionem. Et si semper 
tenetur et in omni tempore diligere, qui amicus est, juxta sententiam sapientis, eo 
tamen tempore melius comprobatur exhibitione operis karitas et afTectio diligentis, 
quo plus urget dilecti nécessitas et utilitas persuadet amoris. Ecce nunc, karissimi, 
nobis iter transmarine peregrinationis ingressis onus incumbit fortioribus humoris 
importabile grave nimis. Hoc est onus, sub quo quasi gigantes sub aquis gemue- 
runt viri fortissimi, potentes a seculo, viri magni nominis et famosi. Hoc est onus, 
sub quo multo labore sudatum est hactenus atquc multis et magnis sumptibus 
laboratum, multa sanguinis effusione est pugnatum. Hoc est onus, sub quo labo- 


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74 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


laires, convaincus de sa culpabilité, lui imposent une sévère péni¬ 
tence : douze jours au pain et à l'eau, six psautiers à dire; de 
plus, il est privé de son sceau de Prédicateur Général, de toute 
voix dans l’Ordre, de toute prélature, à moins qu’un Chapitre 
général ne le réhabilite. On lui retire également la charge de 
vicaire général des Frères pendant la croisade 1 . 

Les croisés se réunirent à Aigues-Mortes. Saint Louis y atten¬ 
dit assez longuement que toutes ses troupes fussent arrivées. Ce 
n’est que le 1er juillet 1270 qu’il put lever l’ancre. Au lieu de 
faire voile vers la Syrie, où les chrétiens appelaient son aide à 
grands cris, il crut porter un coup mortel à la puissance musul¬ 
mane en réduisant Tunis. C’était une erreur d’appréciation poli- 


ravimus aliquociens, nos et nostri. ad hoc etiam totis conatibus cuni Dei adjutorio 
intendentes pro illius amore pariter et honore circa terre sancte subsidium decer- 
tare, qui pro nobis ibidem usque ad efTusionem proprii sanguinis, usque ad mor- 
tem crucis sua inefîabili pietate certavit. Ad hujus siquidem nostri consumatione(m) 
ccrtaminis et ad tanti oneris gravitatem nec proprias vires sufHcere nec scientiam 
vel potentiam nostram suppetere pro ccrto congnoscimus nec suffragari mérita, set 
magis refîragari delicta propria formidamus , de illius tamen confidentes auxilio, 
qui de se sperantes usquequaque non deserit, qui post nubilum dat serenum et 
post desolationem et fletum exultationem infundit. EfTundamus igitur corda nostra 
unanimiter, karissimi, coram illo, ut per ipse Deus adjutor noster in oportunitati- 
bus nunc adesse sua benignitatc dignetur, exurgat et conterat hostes crucis terram 
suam sanctam suo sacrosancto sanguine consecratam contaminantes assidue et eam- 
dem de manibus ipsorum potenter eripiat ad honorem sui sancti nominis et exul¬ 
tationem et gaudium sue christianitatis et ecclesie generalis. Pro hac autem nunc 
orare expedit incessanter, predicare pariter et pugnare spiritualibus armis illos 
precipue lidei agonistas, qui lorica fidei et castigationis induti, galea salutis amicti, 
gladio verbi Dei pariter accincti, scutum orationis opponunt ictibus adversorum, 
quique viriliter devantes cum Moyse manus suas, invisibiliter hostes vincunt et 
populum Dei pugnantem adiuvant efficaciter et defendunt. In hoc igitur, karissimi, 
vestre karitatis adjutorio confidentes rogamus et obsecramur universitatem ve- 
stram, in domino flexis genibus cordis et corporis, quatinus apud ipsum, qui nemini 
suppliciter deprecanti sue misericordie sinum claudit, instanter et fréquenter pre- 
cibus devotis, predicationibus et exortationibus fructuosis insistere nullatenus 
omittatis, nos nichilomnius in vestris communibus orationibus et beneficiis con- 
suetis oi*dinis habituri. Si valet vestra devota universitas atque universa sanctitas 
sanctaque humilitas sic est, esl. sicut volumus et optamus. » (Finke, op. cil., p. 73, 
n° 36.) 

Charles d’Anjou, roi de Sicile, adressa également une lettre très affectueuse au 
Chapitre de Milan. (Ibid., p. 74, n° 37.) 

1 II est curieux que les Actes du Chapitre de Paris, en 1269, ne disent rien de 
cette affaire, ni des enquêteurs. On ne les connaît que par le jugement des Pères 
de Milan, en 1270. « Fratri Bartolomeo Turonensi, quia ordinacioui Magistri de 
consensu suo facte et litteris suis preceptoriis non obedivit, et quia in facto cujus- 
dam testamenti qucdamfecit, unde est grave scandalum ordini subsecutum, et quia 
in facto illius testamenti, in excusacionem sue culpe magistrum ordinis inculpavit, 
sicut patuit nobis de prcdictis , per litteras dilectorum fratrum fratris Tliome et 
fratris Roberti, et fratris Latini, et iterum per litteras fratris Michaelis prions 
Insulensis, et Fratris Lamberti Leodiensis, inquisitorum super hiis deputatorum, 
injungimus ci XII dies in pane et aqua, et VI psalteria, et privamus eum sigillo 
predicatoris generalis, et quod voce in omnibus tractatibus ordinis sit privatus, et 
quod in Ordine non possit esse prelatus, nisi in omnibus hiis cum eo, per generale 
capitulum fuerit dispensatum. Absolvimus eciam eum a Vicaria quam ei commiserat 
Magistcr super Fratres qui vadunt cum eruce signatis ultra mare. » (Acta Cap., I, 
p. 155. Chap. de Milan, 1270.) 


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CHAPITRE IV 


75 


tique sur le but de l’expédition, une erreur pratique inconcevable 
de partir pour la Tunisie en pleine canicule. De nombreux 
Prêcheurs suivaient le roi, entre autres son confesseur, Frère 
Geoffroy de Beaulieu 1 . 

Dix-sept jours après, la flotte royale débarquait devant Car¬ 
thage. Un mois plus tard, dévorée par un soleil de feu, l’armée 
française avait fondu sans combattre, ou peu sen faut, et le 
25 août, lorsqu’arriva Charles d’Anjou, Louis IX succombait à la 
peste qui ravageait son camp. 

La grandeur d’âme du saint roi jette un rayon de splendeur 
sur cette effroyable détresse. Il expira, simple, bon, magnanime, 
comme il avait vécu, entre les bras des Prêcheurs. Élevé par eux, 
dirigé par eux pendant son règne, quelque chose de la noblesse 
de son caractère et de son éminente sainteté leur revient comme 
à sa source première. Frère Geoffroy de Beaulieu, qui avait reçu 
son dernier soupir, accompagna sa dépouille mortelle dans ce 
lamentable retour à travers l’Italie. Car, le roi étant mort, l’armée 
française ne pouvait rester devant Tunis. La croisade sombrait 
dans un nouveau désastre. 

Le 22 novembre, Philippe III, fils de saint Louis, et Charles 
d’Anjou débarquaient à Trapani. Ils portaient avec eux le corps 
de saint Louis. Malgré la tristesse d’un deuil aussi cruel, 
les populations, attirées par la renommée du défunt, dont la 
sainteté et l’indomptable courage étaient connus dans tout le 
monde chrétien, se pressaient sur le passage du cortège. On véné¬ 
rait les restes du saint roi, on le priait avec ferveur, et Dieu, 
disent les chroniques contemporaines, glorifia son loyal serviteur 
par de nombreux prodiges, en sorte que les joies du triomphe 
et les larmes de la défaite se mêlaient autour du cercueil. A 
Bologne, où le Bienheureux Jean de Verceil se trouvait, ce fut 
lui qui reçut en grande solennité le corps de saint Louis*. Il fui 
déposé, pendant le séjour qu’y firent les deux princes, dans 


1 Jean de Verceil assista-t-il à l'embarquement des troupes, comme le dit le Père 
Mothon, op. cit., p. 295? S'embarqua-t-il à Aigues-Mortes pour Pise? (Ibid.) 

* Jean de Verceil avait eu avec le bon roi des relations très amicales. Il reçut 
de lui trois épines de la sainte Couronne. 

« Questo essendo divenuto gratissimo al re di Francia ebbe in dono tre spine 
délia Corona dei Salvatore Nostro Gesu Christo Croccfisso, una délie quali la donô 
a questa Chiesa de S. Paolo di Vcrcelli, un altra al Convento de S. Eustorgio di 
Milano, conformi attesta il Canonico Marco Aureliano Cusano ne' suoi manoscritti 
(htoria di Vercelli, 1612. arch. de la Cathédr. de Verceil) e me raflermô in voce il 
Padre Inquisitorc Cicogna poco prima di sua morte; e la'terza la donô al convento 
e alla Chiesa di Savigliano del suo ordine. » (Carlo Bcllini, Sérié degli uomini e 
delle donne illustri delta Citlk di Vercelli, p. 18, au revers 1625-1672. Ms. arch. 
capitul. de la Cathédrale.)— Cf. Agostino délia Chiesa, Corona reale di Savoia. 
Coni, 1655. 


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76 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


l'église de Saint-Dominique 1 . Ne convenait-il pas que le Patriarche 
des Prêcheurs accueillit chez lui avec honneur celui qui avait 
aimé ses fils avec un si tendre dévouement? 

Le Maître suivit de près la dépouille du monarque. On avait 
assigné le Chapitre général de 1271 dans le couvent de Montpel¬ 
lier. Il s'y rendit en visitant sur sa route les couvents de l'Ordre. 
Le 24 mai, les sessions capitulaires furent ouvertes. C’était un 
Chapitre de Provinciaux. On y vit une réunion de personnages 
illustres : à la tête de tous, ne le cédant à aucun par son mérite, 
le Maître de l'Ordre lui-même, le Bienheureux Jean de Verceil; 
Frère Pierre de Tarentaise, Provincial de France, depuis Pape 
sous le nom d’innocent V, élevé également sur les autels; Frère 
Robert l'Anglais, Provincial d’Angleterre, depuis archevêque de 
Cantorbéry et cardinal; le Bienheureux Albert le Grand, ancien 
évêque de Ratisbonne; Frère Pierre de Conflans, Maître en théo¬ 
logie de la province de France, Provincial de Grèce, créé plus 
tard archevêque de Corinthe*; le Bienheureux Jacques de Vora- 
gine, Provincial de Lombardie, futur archevêque de Gênes 3 . 

Avec de tels collaborateurs, Jean de Verceil était à même de 
donner à la discipline et à toutes les œuvres apostoliques un 
vigoureux élan. 

Les nombreux et longs voyages occasionnés par la tenue 
annuelle des Chapitres généraux et provinciaux commençaient à 
être l’objet de discussions. On trouvait que la perte de temps 
était considérable, les frais dispendieux, les fatigues accablantes. 
Un premier essai eut lieu qui mettait un Chapitre général tous 
les deux ans et, entre deux, un Chapitre provincial 4 . Mais, l’année 
suivante , on ne continua point la constitution, qui resta caduque 
et sans effet. 

Toute l’Eglise avait les yeux sur Viterbe, où les cardinaux 


1 Ce détail est donné par le Père Mothon, op. cit., p. 305, mais sans indication de 
sources. 

* « Anno Domini 1271 in festo Pentecostes celebratum est Quinquagesimum 
Gapitulum generale apud Montempessulanum in Provincia Provinciæ sub Magis- 
tro Joanne de Vcrceilensi. In quo quidem mulli fuerunt viri prœclari, videlicet 
Fratcr Petrus de Tarantasia, Prier Provincialis Franciæ, postmodum archiepiscopus 
Lugdunensis, deinde Cardinalis opiscopus Ostiensis, ultimo Papa Innoccntius quin- 
tus ; frater Robert-us Anglieus Prier Provincialis Angliæ niagnus magister in theo- 
logia, postmodum Cantuariensis Archiepiscopus demum Cardinalis Romanæ Eccie- 
siæ; frater Albertus Magnus Teutonicus, summus philosophus, quondam episcopus 
Ratisbonensis ; frater Petrus de Confleto magister in theologia, postmodum archie¬ 
piscopus Corinthiensis. » (Taegio, Chron. ampliss. Ms. arch. Ord.) 

3 Galvanus de la Flamma, Chron., p. 100. Ed. Reichert. 

4 In capittilo de Capitule generali in fine dicatur sic : « Capitulum generale 
uno anno et Capitula provincialia alio anno et tertio iterum generale et sequenti 
anno Provincialia et sic deinceps alternatim per annos succedenles generalia et 
provincialia capitula celebrentur. » (Acta Cap., I, p. 158. Chap. de Montpel¬ 
lier, 1271.) 


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CHAPITRE IV 


77 


assemblés depuis dix-huit mois ne parvenaient pas à donner un 
successeur à Clément IV. 

Aussi on lit dans les Actes ces suffrages qui disent toute 
l’anxiété de l’Ordre : « Pour le vénérable collège des cardinaux 
et pour l'état de l'Eglise universelle, afin que Dieu daigne 
accorder un Pontife à l’Eglise, chaque prêtre célébrera deux 
messes du Saint-Esprit. De plus, les Frères, prêtres ou non, 
feront quelques prières spéciales, tous les jours, jusqu’à l’élec¬ 
tion du Pape 1 . » 

Lecture fut faite en plein Chapitre d’une lettre du roi de France, 
Philippe le Hardi, qui annonçait officiellement à l’Ordre la mort 
de son père : « Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Francs, 
à ses très chers dans le Christ, le Maître de l’Ordre des Frères 
Prêcheurs, les Définiteurs du Chapitre général, tous les Prieurs 
et Frères du même Ordre réunis à Montpellier, salut et sincère 
affection. 

« O vous tous qui passez, vous, dis-je, mes très chers, qui 
passez par la voie étroite de la pauvreté, comme des pèlerins 
dans cette vallée de misères, arrêtez-vous, et voyez s’il est une 
douleur pareille ou égale à notre douleur, car le Tout-Puissant 
nous a rempli d’amertume. Au début même de notre règne tem¬ 
porel, il nous a couronné de douleur, à ce point que, au milieu 
de tant d’angoisses et d’afflictions, nous ne pouvons contenir nos 
sanglots et nos gémissements. 

« Dernièrement, en effet, comme nous l’avons déjà annoncé à 
plusieurs de vos maisons, notre très illustre seigneur et père, 
Louis, roi des Francs, dont la vie innocente resplendissait comme 
un soleil parmi les étoiles du firmament, dont la mémoire est douce 
comme un parfum, dont la réputation, grande comme l’univers, 
charme et ceux qui racontent ses actes et ceux qui les écoutent, 
prenait la croix avec ferveur, et marchait avec puissance contre 
les barbares, ennemis du Christ. Atteint par la maladie, selon 
qu’il plut à Dieu qui voulait terminer son labeur sur terre, au 
moment où nous étions nous-même gravement frappé, il reçut en 
grande foi les sacrements de l’Église, et, ardent d’amour de Dieu, 
étendu sur un lit couvert de cendre, il rendit son âme au Créa¬ 
teur un lundi de l’an du Seigneur 1270, en la fête de l’apôtre 
saint Barthélemy, à l’heure où Notre-Seigneur Jésus-Christ, fils 
de Dieu, voulut mourir sur la croix pour le salut du monde. 
Nous ne pouvons l’écrire sans une poignante douleur*. » 

Et Philippe continue en annonçant aux Pères capitulaires les 

1 Acta Cap., I, p. 160. 

* « Philippus dei gracia, Francomm rex karissimis sibi in Christo magistro ordi- 
nis fratrum predicatorum et diftinitoribus capituli gcneralis ac univcrsis prioribus 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


18 

deuils accumulés sur la famille royale de France : mort de son 
frère Jean, comte de Nevers; mort de son beau-frère Thibaut, roi 
de Navarre; mort de sa femme Isabelle, reine de France; mort 
de sa sœur Isabelle, reine de Navarre. C’était un véritable nécro- 

et fratribus eiusdem ordinis apud Montempessulanum congregatis salulem et dilc- 
ctionem sinceram. 

« O vos omnes, qui transitis pei* viam, vos, inquam, karissimi, qui per arctam 
semitam paupertatis incedilis in hae valle miserie peregrinantes, attendite et videte, 
si est dolor noslro dolori similis aut equalis, quia amaritudine valde nos replevit 
Omnipotens. Nos in ipso commissi temporalis regiminis et corone primordio coro- 
navit dolore multiplici adeo quod inter varias pressuras et afflictiones amaras in 
arcto positi et vehementer consternati singultuosos ftetus et anxios prodere cogi- 
mur ululalus et planctus. Nuper enim sicut iam pluribus collegiis vestris expres- 
sius insinuasse reeolimus, inclite rccordacionis preclarissimus dominus et genitor 
noster Ludovicus Francorum rex illustrissimus, cuius nitidioris vite claritas velut 
solis splendor inter sidéra prefulgebat singulariter inter omnes, cuius memoria 
suaviter redolet. cuius fama circumquaque diffusa per orbem audientes delectat 
pariter et loquentes. postquam vivifiée crucis signaculo insignitus spiritus fervore 
se potenter accinxerat, et ad partes acceperat africanas ad errores infidelium bar- 
barorum radicitus extirpandos, quadam corporis inlirmitate gravatus, sicut deo 
placuit qui labores eius consumpnare féliciter in suo disponebat obsequio, nobis 
eciam egritudine laborantibus valde gravi, tandem christianissime susceptis omni¬ 
bus ecclesiasticis sacramentis in fide sincera, in dei dilectione et devocione fer- 
venti, anno domini m 0 .cc°.lxx°. feria II in festo beali Bartholomci apostoli hora 
ilia, qua dominus Jhesus Christus dei fdius in cruce pro mundi vita mori voluit, ad 
extremam horam venions cl super saccurn et cinerem accubans felicem spiritum 
reddidit altissimo creatori; quod tamen recitare non possumus absque doloris 
angustia vehementi. 

« Insuper frater noster Johannes, cornes Nivernensis, quem non solum afleclio 
et nature vinculum et bone indolis primordia et etate tenera magne discrecionis 
induslria cum caritate sincera reddiderant nobis carum; ac postmodum princeps' 
egregius karissimus noster sororius et amicus Theobaldus, rex Navarre illustris, 
qui tam laudabilis et tam potens cum pro fidei negocio strenue militantes ibidem 
et sue iuventutis florem gratissime deo in eius obsequium et sacrificium confcrentes 
subtracti fuerunt ab hoc vita, sicut domino placuit, qui, prout vult, ad se vocal 
subiectas sue potencie creaturas. 

« Nondum tamen minime luis contenta mundane huius plaga pestilencie nos 
reliquit. Nam Karissima uxor nostra Isabella, regina Francie, cuius deo et mundo 
amabilis vita erat in via predicta gravi corporis infirmitate detenta, postquam 
omnia devote susccperat ecclesiastica sacramcnta, demum die mercurii ante fes- 
tum purificacionis beate Marie virginis vita ni presentem finivit. Unde nostris prio- 
ribus doloribus dolores alii inculcantur, suspiria geminantur suspiriis et gemitus 
gemitibus cumulantur. Cumque predictorum domini genitoris, fratris atque uxoris 
corpora preciosa faciamus nobiscum, ut volumus et tenemur, ad loca sepultura 
deferri, sunt assidue in nostris oculis quasi clavi, fitque in nostris visceribus coti- 
die recens plaga. 

« Adhuc super hoc nostrorum dolorem vulnerum addidit dominus ncc pepercit. 
Concidit enim nos vulnere super vulnus. Nam plagam capitis inflictam nobis ex 
reverentissimi patris morte et in utroque latere de abcessu sororii atque fratris et 
in altéra corporis nostri parte ex ainissionc carissime coniugis, quinta plaga cordis 
non defuit amantissime scilicet mors sororis. Nam cum saltem quasi raptam de hoc 
inccndio et naufragio erutam, speraremus nobis ad tante calamitatis aliqualc sola- 
cium remansisse, karissimam sororem nostram Isabellam, reginam Navarre, que 
quasi stella splendida morum universitatc precellens resplendebat in orbe, ipsa 
tamen amisso prius amantissimo coniuge multis postmodum terre marisque concas- 
sata periculis et procellis afflicta, tandem proprii corporis egritudine pregravata, 
susceptis in fide sincera et devocione precipua omnibus ecclesiasticis sacramentis, 
die iovis ante festum beati Marchi evangeliste diem clausit extremum, migrans ad 
illius sponsi thalamum, quem semper desideraverat regina nobilis, regis regum. 

« O rex glorie, rex virtutum, terribilis in consiliis super filios hominum, ut quid 


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CHAPITRE IV 


79 


loge de princes et princesses du sang. Pour tous, Philippe implore 
les suffrages des Prêcheurs : « Ils ont été, pour vous, des amis et 
des bienfaiteurs, écrit-il; vous-mêmes vous les avez aimés pen¬ 
dant leur vie, ne les oubliez pas auprès de Dieu, gardez leur 
souvenir dans vos cœurs, et que, dans tout l'Ordre, leurs noms 
soient inscrits dans les livres nécrologiques et rappelés aux prières 
des Frères*. » 

De plus, le roi demande ces suffrages pour lui-même, pour sa 
mère, la reine Marguerite, et toute la famille royale*. Sa lettre 
est datée de Cluny, le jour de saint Jean devant la porte Latine, 
6 mai 1271. 

Les Pères de Montpellier furent vivement émus de ces doulou¬ 
reuses nouvelles 3 . Pour les défunts et les vivants du sang de 

me sic derelinquere voluisti, tam dilectissimi patris et aliorum necessariorum meo- 
rum subsidio et solacio destitutum et quasi omnes fluctus tuos super me totaliter 
induxisti? Numquid, domine deus, ut me penitus te indignum susceptis aliis a 
facie tua eiiceres et absortum in fluctibus huius maris et amaris deliciis demergeres 
in profundum? Aut pocius misericorditer tam ardenti tamque multiplici tribulacio- 
nis igné purgares, probares, et purgatum pariter et probatum salubriter cru dire s? 
Quantis mundane prosperitatis dulcedo misera respersa sit amaritudinibus et 
obcessa miseriis et quod omnis potentatus sit procul dubio vita? Ac denique sic 
instructum attraheres et abstractum erigeres ad te summum et solum bonum [ab 
omni genere] mortalium desiderandum singulariter pariter ct amandum. Sit nomen 
tuum ab omnibus et super omnia benedictum. 

« Sane quia in adversis huius mundi decet et expedit spiritum fortitudinis (non) 
habere nostramquc voluntatem divinis conformare beneplacitis ac de ipsorum 
amissione vel premissione carorum congruum in domino remedium consolacionis 
recipere, in conspectu domini preciosa esse speratur et creditur mors ipsorum, qui 
in eius fide et dilectione devote et fideliter obsequendo suas electas animas obtule- 
runt, et esse sanctum et salubre plurimum pro ipsis exorare defunctis, et nobis 
eciam valde necessarium in tante calamitatis articulo et suscepti regiminis onere 
implorare pia suflragia electorum, ad vestre caritatis habundanciam, de cuius pie- 
tate fiduciam in domino gerimus specialem, et quam experti sumus a pâtre tam 
felicis recordacionis predicto clarissimo domino, et pro genitore nostro, quem et 
vobis et vestris devotis ac familiaribus obsequiis iugiter adhcsisse [novimus], recur- 
rimus ex aflfectu cordis, humiliter deprecantes et obsecrantes attente, quatinus 
eamdem graciam, quam ad predictos caros nostros, dum viverent, habuistis, serve- 
tis in posterum et defunctis, ipsorum animas vestris devotarum missarum oracio- 
nibus et sufTragiis divine misericordie commendetis et eorum memoriam scriptam 
habentes in cordibus, et in libris memorialibus per totum ordinem conscrvare per- 
petuo ac fîeri solemniter et ordinare velitis. 

« Ceterum pro karissima domina matre nostra Margharita, regina Francie illus- 
tri, pro nobis et pro karissimis nostris fratribus, sororibus et liberis, ac totius statu 
prospero regni nostri, ut ad ipsum fideliter gubernandum actus nostros rex regum 
salubriter dirigat et disponat, ipsum attentis precibus altissimum studeatis inter- 
pretare devote. Quid autem super hiis ordinare duxeritis, nobis per vestras litteras 
intimarc curetis. 

« Datum apud Cluniacum in festo sancti lohannis ante portam latinam anno 
domini m°.cc°.lxxi°. »> (Litter. Encycl., p. 80, n° 21. Ed. Reichert.) 

1 Voir note ci-dessus. 

* Ibid - 

3 Maître Jean se leva-t-il après la lecture de cette lettre, et fit-il le beau discours 
dont on lit le résumé dans la Vie de Jean de Verceil par le Père Mothon? Ce 
Chapitre de Montpellier n’est point non plus, comme le veut l’auteur, le célèbre 
Chapitre des Larmes , qui eut lieu, à Paris, sous le priorat de Frère Pierre de 
Reims, en 1230. Cf. Vitæ Fratrum, p. 150. Ed. Reichert. 


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80 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


France, ils ordonnèrent des prières universelles. Mais quand il 
s’agit du roi Louis IX, le Chapitre hésita. Si grande était sa répu¬ 
tation de sainteté, que, avant tout décret de l’Église, sûrs de 
l’approbation générale, les Pères décidèrent d’inscrire son nom, 
— non pas dans un nécrologe, — mais dans le calendrier des 
saints, le lendemain de la fête de saint Barthélemy : « On écrira 
dans le calendrier, le lendemain de saint Barthélemy, de cette 
manière : Ce même jour est décédé le seigneur Louis, roi très 
illustre des Francs. Et on lira ces mots en même temps que le 
calendrier 1 . » 

L’Ordre devançait peu l’action de l’Église, car quelque temps 
après on commençait, par ordre du Pape Grégoire X, le procès 
de canonisation du saint Roi. 


1 <• Et ponatur in Kalendario in crastino S. Bartholomei sic : Eodem die obiit 
dominus Ludovicns illustrissimus rcx Francorum, et hoc pronuncietur quando 
Kalendc legantnr in Conventu. » (Acta Cap., I, p. 161.) 


BIBLIOGRAPHIE 


A. Shaube, Die Wechselbriefe Kônigs Ludwigs des Ileiligen, von seinem ersien 
Kreuzzuge , dans : Jarhrbücher für Nationalœkonomie und Statistik, XV. 
1898. 

Wallon, Saint Louis. Marne, Tours. 

E.-J. Davis, The invasion of Egypt by Louis IX of France and a Ilistory of 
the contemporary sultans of Egypt. 1898. 

II.-F. Delabordc, Mémoires de la Société de Thistoire de Paris et de l'Ile-de- 
France, XXIII. 1896 (Documents sur la canonisation de saint Louis). 

H.-F. Delaborde, Vie de Monseigneur saint Loys , de frère Guillaume de Saint - 
Palhus, confesseur delà reine Marguerite, éditée en français. 1899. 

M. Sepet, Saint Louis. 1898. 

Année dominicaine, ancienne édition, septembre (l p c partie). 

G. Pinzi, Storia délia città di Viterbo. Rome, 1889. 

C. Pinzi, Iprincipali monumenti di Viterbo . Viterbe, 1894. 

Francesco Cristofori, le Tombe dei Papi in Viterbo . Sienne, 1887. 

Feliciano Bussi, Istoria délia citta di Viterbo. Rome, 1742. 


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CHAPITRE V 


LE CONCILE DE LYON 


Les dix-sept cardinaux qui scrutinaient à Viterbe, depuis deux 
ans, neuf mois et deux jours \ au grand scandale de la Chrétienté, 
avaient fini par aboutir. Leur choix était tombé, le 1 er septem¬ 
bre 1271, sur l’archidiacre de Liège, Théobald Visconti, natif de Plai¬ 
sance. C’était, au dire d’un contemporain, Ptolémée de Lucques, 
un homme de grande habileté dans les affaires, d'instruction mé¬ 
diocre, mais de haute vertu, bien connu des pauvres auxquels ses 
aumônes allaient largement 2 . Il avait été formé à la piété et dirigé 
vers le sacerdoce par les Prêcheurs 3 . Aussi leur conserva-t-il, 
surtout sur le siège de saint Pierre, la plus tendre affection. Aidé 
de la faveur du cardinal Jacques Pecorario, son compatriote, il fut 
bientôt en vue, et, grâce à ses propres qualités, il eut à s’occuper, 
par ordre de plusieurs Papes, d’importantes légations en France, 
en Angleterre, en Belgique. C’était donc un personnage de mérite 
très apprécié. 

1 Le cardinal dominicain Annibaldi avait écrit au Maître Général et aux Pères 
du Chapitre de Milan, en 1270, pour implorer leurs prières, afin de hâter l’élection 
du Pape : « Dominus Hannibaldus Capitulo gencrali salutem... Porro quia in lon- 
gum deducta vacationis ecclesie dampnosa dilatio grave in populo scandalum et 
terribilem in clero, ut veremur, ofTensam provocat Creatoris, vobis, quos in unum 
congregavit Christi amor, negocium recommendamus sedentis in tristicia domine 
gentium et dolorosa suc viduitatis tempora deplorantis, rogantes et obsecrantes 
ac pro munere spcciali petentes, qui aures domini Sabaoth devota precum pulsatis 
instancia quatenüs, qui in suis sublimibus facit concordiam, Venerabilium fra- 
trum dominorum cardinalium corda concordet hactenus in electione discordium 
ad talem citô prefîciendum ecclesie sue sancte summum pontificem, qui iniquita- 
tem virtute valeat irrumperc, et corrigere sciât ut convenit, errorem spiritu leni- 
tatis... » (H. Finke, op. cit., p. 75.) 

* « Miræ vir in sæcularibus experientiæ, quamvis modicæ litteraturæ ; non pecu- 
niarum lucris, sed eleemosynarum in pauperes largitioni operam dans. » (Ptolém. de 
Lucques, Bistor. Eccl., lib. XXIII, c. iv. Ap. Muratori, Script. Rer. Ital., XI.) 

7 « E certificandosi col consiglio e direzione di piu prudenti, massime di reli- 
giosi di san Domenico, esser questa vocazione dcllo Spirito Santo, cosi casto e 
pudico corne veniva dal secolo, colla tonsura de’ Capelli, che e il primo gradino per 
sabre agli Ordini sacri si dedico’ ben di cuore, tuttavia giovanetto com’ era, allô 
stato cléricale, nell’ antico collegio di S. Donnino. » (P. Maria Bonucci, S. T. pos- 
tulatore délia Causa del B. Gregorio X, Istoria del Pontefi.ee ottimo, massimo , il 
B. Gregorio X. Rome, 1711, p. 9.) 

IL — 6 


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82 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Au moment où les cardinaux s’entendaient sur son nom, par 
mode de compromis 1 , Théobald Visconti était en Terre Sainte. 
Des délégués du Sacré-Collège lui portèrent le décret d’élection, 
qu’il accepta. Il prit le nom de Grégoire X. Parti immédiatement 
de Syrie, il abordait à Brindisi le 1 er janvier 1272, et se faisait 
couronner à Saint-Pierre le 27 mars. 

Un de ses premiers actes fut de nommer patriarche de Jérusa¬ 
lem et son légat a latere en Palestine Frère Thomas de Lentino, 
archevêque de Cosenza. Cet illustre Prêcheur avait reçu dans 
l’Ordre, au couvent de Naples, saint Thomas d’Aquin*. Sa tâche 
était rude, au milieu des discordes des chrétiens et des menaces 
des musulmans. Le Pontife, qui en avait constaté de ses yeux les 
difficultés, pensait que Frère Thomas de Lentino 3 arriverait à les 
surmonter, ou au moins à leur tenir tête. 

Mais, dès les premiers temps de son intronisation, Grégoire X 
eut le projet de réunir en un concile œcuménique tous les prélats 
et dignitaires de l’Eglise. La situation de la Chrétienté, tant au 
dedans qu’au dehors, exigeait un prompt remède. 

Le 31 mars 1272, quatre jours après son couronnement, le Pape 
lançait ses lettres de convocation. Ce n’étaient encore que des lettres 
préparatoires; car à cause des dissensions entre Guelfes et Gibe¬ 
lins, qui divisaient l ltalie 4 , il ne pouvait indiquer le lieu de 
l’assemblée. Il essaya, mais en vain, de se préparer un terrain 
pacifié. 

Maître Jean de Verceil fut un de ses plus actifs collaborateurs 
dans cette œuvre de pacification. Toute la Haute-Italie était en feu. 
Les partisans de la maison de Souabe, irrités du meurtre de Con- 
radin, dernier rejeton direct de la lignée impériale, faisaient à 
Charles d’Anjou et à ses Français une guerre implacable. En 
Toscane, où ce prince était vicaire du Saint-Siège et exerçait, de 
ce chef, son autorité 5 , les villes étaient en pleine révolte : Sienne, 
Pise, Florence, tant de fois interdites, tant de fois excommuniées, 
n’en continuaient pas moins la lutte. Pise avait même armé une 
Hotte pour envahir la Sicile et la Sardaigne au profit de Louis de 
Bavière, candidat à l’Empire 6 . Plus haut, Venise, toujours batail¬ 
leuse, guerroyait contre Gênes et Bologne : contre Gênes, par 
rivalité d’influence commerciale sur la mer; contre Bologne, pour 
des délimitations de frontière. Si l’on y ajoute les rivalités entre 
la plupart des villes lombardes, les haines des Guelfes et des 

1 Cf. Rainaldi, Annal. Eccl., 111, p. 276. 

2 Cf. Echard, I, p. 359. — Tome I de cet ouvrage, p. 316. 

3 Bull. Or<l., I, p. 503. Bulle d’institution, Gloria in altissimis Deo, 29 mars 1272. 

4 Rainaldi, 111, p. 301. B. Salvator noster. 

8 Ibid., p. 310. 

Ibid., p. 313. 


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CHAPITRE V 83 

Gibelins qui s’en disputaient le gouvernement, on pourra se ren¬ 
dre compte des hésitations de Grégoire X à réunir un concile sur 
un terrain aussi bouleversé, et de ses désirs d’y mettre la paix. 

Il commença par la Toscane. Son légat, l’archevêque d’Aix, 
avait mission de réconcilier entre elles et avec l’Église toutes ces 
populations en révolte. Il lui donna comme coadjuteur Maître 
Jean de Verceil. Nous n’avons pas la première bulle qui confère 
ces pouvoirs au Maître des Prêcheurs, mais elle est affirmée par 
le Pape lui-même dans un document qui a subsisté : « A notre 
cher fils, le Maître des Frères Prêcheurs. Confiant dans votre 
dévouement et votre habileté, nous avons commis à votre solli¬ 
citude le rétablissement de la paix en Toscane... 4 . » Il n’y a donc 
aucun doute sur cette légation. Le Pape tient tellement à ce qu’il 
continue ses efforts en faveur de la paix dans ces régions, qu’il 
ajoute : « Nous aurions bien voulu utiliser votre zèle à pacifier 
les Vénitiens et les Bolonais, car Nous sommes persuadé que 
votre intervention eût été heureuse ; cependant Nous ne voudrions 
pas, par ce nouvel emploi, empêcher le bien que vous avez com¬ 
mencé en Toscane. Si donc vous avez quelque espoir d’arriver, en 
Toscane, à un beau succès, choisissez quelques religieux prudents, 
ceux qui vous sembleront plus aptes à remplir cet office et en 
même temps que vous jugerez devoir être plus agréés des Génois, 
pour traiter avec eux de leur réconciliation avec Venise*. » 


1 Lettre de Grégoire X à Jean de Verceil. 

« Dilccto filio (lohanni) magistro Fratrum Predicatorum. 

« De tue devotionis sinceritate et circumspectionis industria confidentes, tracta- 
tum pacis in Tuscia tue sollicitudini commisimus prosequendum. Propter quod, 
licet inter Ianuenses et Venetos, necnon et inter ipso» Venetos et Bononienses 
desideremus admodum pacis fédéra reformari, ad quod personam tuam novimus 
fore perutilem, quia tamen nollemus, que per te in partibus Tuscie cepta creduntur 
utiliter propter ca impediri, deliberavimus providentie tue committere, ut, si te in 
eisdem partibus spes negotii tibi commissi cfficaciter promovendi detineat, aliquos 
religiosos viros circumspectos, quos adhoc magis ydoneos esse cognoveris et qui- 
bus cives Ianuenses verisimiliter vclint et sccure possint suas circa hec pandere 
volunlates, ad civitatcm Januensem studeas destinare super premissis cum maiori- 
bus de civitate ipsa et aliis, de quibus expedire viderint, tractaturos et indagatu- 
ros subtiliter ac relaturos fideliter, qualiter inter ipsos et niemoratos Venetos pos- 
sit concordia reformari, ut, te per ipsos et nobis per tuam rclationcm instructis, 
possimus, sicut proponimus, ambassatores et aliquos religiosos viros aptos ad hoc 
de singulis predictis civibus, si tibi videbitur, ad nostram presentiam advocare. 
Quorum ministerio inter civitatcs easdem pacem solidam iuxta nostra desideria 
previa divina gratia reformemus. Ideoque devotionem tuam rogamus et hortamur 
in Domino per apostolica tibi scripta mandantes, quatcnus circa premissa exposi- 
tum tibi nostrum beneplacitum, quod non solum religionis tue debito sed et votis 
luis congruere novimus, sic sollicite prosequi studeas, quicquid super eo actum 
fuerit celeriter rescripturus. Quod in hac parte nostris desideriis satisfiat, et tu pro 
tam pii prosecutione operis non solum pleniorem nostri favoribus habundantiam 
sed et desiderate divine retributionis premia non immerito consequaris. »> ( F. Kal- 
tenbrunner, Actensticke zur Geschichte der Deutschen Reiches Unter den Koni- 
gen Rudolf l und Alhrecht /..., p. 7. Vienne, 1889.) 

* Ibid. 


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84 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


En effet, Maître Jean de Verceil réussit en partie dans ses paci¬ 
fiques négociations. A sa demande, les Génois s'étant humiliés 
reçurent du Pape l’absolution 1 . Ce ne fut qu’une trêve. Repris 
bientôt d’humeur contre les Angevins, ils furent de nouveau sou¬ 
mis à l’interdit*. Les Pisans sollicitèrent également leur pardon. 
Il leur fut accordé. Frère Jean de Viterbe, Procureur du Maître 
Général, reçut ordre de les absoudre. Une bulle très détaillée 
énumère les fautes politiques de Pise : sa rébellion contre le 
vicaire de l’Église romaine, Charles d’Anjou; les secours donnés 
à Conradin et à ses partisans; les luttes incessantes contre le 
Saint-Siège, et, pour tous ces griefs, les nombreuses sentences 
d’interdit, d’excommunication, portées contre la ville et ses 
citoyens 3 . Clément IV l’avait même dépossédée de son arche¬ 
vêché 4 . Toutes les bonnes grâces du Saint-Siège lui sont rendues, 
et un peu plus tard, au mois de juin, Grégoire X rétablit son 
siège archiépiscopal 5 . 

A Florence, la résistance fut plus vive. Grégoire X écrit au 
podestat, au conseil et à la commune des Florentins : « Nous 
avions espéré trouver en vous des fils de la paix ; et, pour que 
cette paix si désirée reposât sur vous, Nous avions envoyé notre 
cher fils, le Maître de l’Ordre des Prêcheurs, porteur de proposi¬ 
tions pacifiques, capables de rendre la concorde à toute la Tos¬ 
cane, et spécialement la tranquillité à votre ville. Comme le mon¬ 
trent ouvertement vos procédés, non seulement vous fermez vos 
oreilles à nos salutaires avertissements et à ceux du Maître Géné¬ 
ral lui-même, mais, bien plus, vous attisez davantage le feu de 
votre iniquité par les vexations quotidiennes dont vous accablez 
les territoires voisins, par les meurtres dont vous vous rendez 
coupables, par les pillages auxquels vous livrez les biens qui ne 
vous appartiennent pas 6 ... » 


1 « Gregorius X supplicantibus Januensibus ad mentem révérais Fr. loanni de 
Vercellis magistro ordinis potestatem dat eos absolvendi a censuris... » (Andezeno, 
op. cit., p. 44.) — Cf. Rainaldi, III, p. 334. 

* Ibid. 

3 Ibid., p. 335, et Bull. Ord., I, p. 514. B. Occasions consilii, 21 mai 1273. 

4 Rainaldi, III, p. 334. 

# * Ibid. 

’ • Lettre de Grégoire X au podestat, au conseil et à la commune de Florence. 

« Potestati consilio et communi Florentinorum. 

« Sperantes in vobis pacis filios inveniri, ut super vos pax admodum desideranda 
quiesceret, per dilectum filium (Ioliannem) magistrum Ordinis Predicatorum vobis 
studuimus statum dare pacificum, ad generalem concordiam totius Tuscie dantes 
operam per eundem et ad tranquillitatem vestre civitatis specialiter intendentes. 
Vos autem, sicut vestri processus evidenter insinuant, non solum aures contra nos 
et ipsius magistn salubria monita obscuratis, sed cotidie inter vos ignem tanto 
maioris iniquitatis accenditis, quanto frequentius graviores in vestros vicinos mali- 
tias exercetis, nunc aliquos mortis exponendo dispendiis, nunc aliorum bona pro 
viribus destruendo. Et quod est nobis, si veritate nitatur, non indigne molestius, 


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CHAPITRE V 


85 


L'action de Jean de Verceil sur les Florentins resta stérile 1 . Le 
Pape lui-même, malgré le beau discours qu’il leur tint à son pas¬ 
sage dans leur ville, lorsqu'il se rendit à Lyon, ne put les con¬ 
vaincre*. C’étaient de vrais fils de perdition. 

Par contre, la paix entre Venise et Gênes 3 d’une part, Venise 
et Bologne d’autre part, préparée par les efforts du Maître et des 
Prêcheurs délégués par lui, put se conclure. Il y eut bien, chez 
les Bolonais, quelque velléité d’insoumission 4 . Mais si grande et 
si universelle était l’autorité de Jean de Verceil dans toute la 
Lombardie, qu’ils finirent par accepter ses propositions. Grâce à 
son influence et à celle de ses fils, un peu partout, en Italie, on 
se donnait la main. Étreintes loyales sur le moment, mais peu 
vives en réalité, dont la durée était à la merci de puissantes ran¬ 
cunes politiques. Quoiqu’il en fût extrêmement satisfait, Gré¬ 
goire X ne se faisait point illusion. Aussi tout en multipliant les 
absolutions, tout en s’efforçant de resserrer les liens si fragiles 
de ces unions d’un jour, il chercha, hors de l’Italie, un lieu plus 
calme et plus sûr pour le concile. Comme Innocent IV, il pensa 


in eam dicimini devenisse perversitatis insaniam, ut, si quando contigit in vestram 
deduci notitiam, quod aliqui eorum, qui nobiscum hactenus non paciflce ambula- 
runt, ad devotionem nostram et carissimi in Christo filii nostri (Caroli) regis Sicilie 
illustris redire proponant nobiscum pacem, nisi per vos staret, per consequens 
habituri, vos, ut viam obstruatis concordie, ipsos novis aggravetis molestiis et 
infestioribus gravaminibus molestetis, sicut in dilectis filiis nostris Ubaldino, bone 
memorie O(ctaviani) Sancte Marie in Vialata diaconi cardinalis germano, et aliis 
suis consanguineis per vos factum esse dicitur hiis diebus, cum, ipsis se de nostro 
beneplacilo cxponentibus ad regis predicti mandata et super hoc in manibus nos¬ 
tris pendente tractatu, vos prêter mandatum ipsius regis vobis de nostra voluntatc 
directum, ne dictos nobiles in personis aut rebus ofTendere temptaretis, contra ter¬ 
ras ipsorum, nulla diffidatione premissa, congregato exercitu hostiliter proccssistis, 
quamplures villas ipsorum consumentes incendio, bona illorum diripientes in pre- 
dam et nonnullos ex habitatoribus inhumaniter occidentes, non sine nostro et 
ipsius regis iniuria et contemptu. Nec hiis contenti, desiderantes, ut fertur, eos 
delere de terra, contra reliquam terram ipsorum dicimini iam exercitum indixisse. 
Quia vero, quanto magis per hoc a pacis actorc disceditis, tanto amplius inimico 
humani generis, pacis emulo, satori ac incentori discordie propinquatis, et quo 
magis salutis claudicatis a semitis, eo periculosius vos immergitis in pericula gra- 
viora, nos, qui ex officii debito errantes filios rcvocarc tenemur ab inviis et actus 
eorum dirigere in viam salutis et pacis, universitatem vestram monemus, rogamus 
et hortamur attente vobis nichilominus districte precipiendo mandantes, quatenus 
ab omnibus de cetero molestiis eorundem nobilium et bonorum ipsorum sic absti- 
neatis omnino, quod iterata vestra contumacia commissum, ut dicitur, in nos et 
regem eundem contemptum non aggravet nec nos cogat, iniurias et dampna eisdem 
iam illata nobilibus per nos et eundem regem durius vindicare. » ( F. Kaltenbrun- 
ner, op. cil., p. 9.) 

1 Le Chapitre général se tint à Florence cette même année 1272. 

1 Rainaldi, III, p. 333 et ss. 

3 « Joannes Dandulo, Thonisius Justinianus, Nicolaus Manigicro ducis nuncii cum 
legatis januensibus coram Gregorio Papa, qui ad passagium plurimum anhelabat, 
conveniunt, ut carcerati ulriusque partis, qui in ûrmatione treugœ detenti reman- 
serant debeant relaxari. (Andr. Dandolo, Historia VeneL, lib. X, c. vin. Cité par 
Rainaldi, III, p. 31213.) 

* Ibid. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


à la ville de Lyon. Mais là encore le terrain, sans être aussi 
volcanique que celui de l’Italie, était assez mouvant. Il y avait 
lutte entre les citoyens et les chanoines de la métropole. On s'était 
menacé d'abord, puis battu, puis poursuivi à outrance. Les cha¬ 
noines durement malmenés, assiégés dans leur cloître, chassés 
de la ville, avaient dû fuir et se réfugier à Saint-Just; ce qui ne 
les empêchait pas de s'insurger contre le Saint-Siège, en préten¬ 
dant élire, malgré lui, un archevêque f . Les choses en étaient là 
quand Grégoire X prit le gouvernement de l’Eglise. Voyant qu'en 
Italie les dissensions politiques rendraient impossible la célébra¬ 
tion paisible du concile, il tenta de mettre la paix dans la ville 
de Lyon. Pour réussir, il lui fallait un homme de haute valeur, 
sage et habile administrateur. Chanoines et bourgeois n’étaient 
pas faciles à réconcilier. Le choix du Pape tomba sur Frère 
Pierre de Tarentaise, alors Provincial de France. Ce personnage 
nous est déjà connu *. Émule de saint Thomas d’Aquin sur les bancs 
de l’école de Saint-Jacques, Maître de Paris, il jouissait de la plus 
grande réputation de science et de sainteté. En lisant les bulles 
que Grégoire X lui envoya à lui-même pour lui annoncer son 
élection, et aux chanoines de Lyon pour leur intimer l’ordre de 
l’accueillir non seulement comme archevêque, mais comme arbitre 
de la paix entre eux et les bourgeois, on sent la profonde estime 
du Pape pour sa personne, presque sa vénération 3 . 

Frère Pierre accepta le lourd fardeau. Il sut profiter habilement 
de la joie du peuple lyonnais à l’avènement de Grégoire X. Ce 
Pontife avait, en effet, résidé à Lyon; il était même chanoine de 


1 « Observandum dcnique durante intcrpontificio cives in clerum apertc rebel¬ 
lasse. Ii privilegiis sibi ah Innoccntio IV collatis frcti, irritati ob diverses tum 
Episcopi, tum Clcri Curias, quibus distrahebantur, et variis gravabantur incom- 
modis, iugum Ecclesiæ discutere dccreverunt. A Ganonicis vcro primum intentatæ 
minæ; dehinc in Claustrum inducti plurimi Nobiles, amici aut affines, lit rebelles 
ad Officium revocarent; sed evoluti omnis simulationis tegumento cives, Bressiœ 
et Sabaudiæ Nobiles advocant ; Urbis claves arripiunt. Turrim in ponte Araris 
sitam occupant, sese armis accingunt, et aperto marte Claustrum obsidcnt, vi 
capiunt, omnia diripiunt, Canonicos fugere cogunt, et apud Sanclum Justum præ¬ 
sidium quærere; ubi diversis velitationibus, imo et præliis ac assultibus hinc inde 
lacessiti, nihil non tentarunt utriusque Ecclesiæ Canonici, ut hos tumultus com- 
pescerent. Ac primo vicinorum Principum et Nobilium opéra usi sunt, sed frustra. 
Deinde Girardum Eduensem Episcopum , Lugdunensis Archicpiscopatus sede 
vacante, Administratorem advocant. Expositæ hinc et inde qucrelarum causæ; 
propositæ pacis conditioncs, electi sæpius arbitri, dataque sunt compromissa; sed 
hiis omnibus in cassum tentatis, tandem in Concilio Bcllæ Villæ anno 1269 Calcn- 
dis Decembris coacto, sententia Interdicti Ecclesiastici in Civilatem, et Excommu- 
nicationis in Cives lata est. Hincque cuin cives Eduensem Episcopum ciurasscnt, 
utpote qui apertc Capitulo faveret, Sanetus Ludovicus in Iurisdictionis sæcularis 
possessionem sese immixit, et Iudiecra declaravit Matisconis Ballivum. » ( Gallia 
Christ , t. IV, col. 148-149.) 

* Cf. t. I, p. 317. — Mothon, Vie du bienheureux Innocent V. p. 71 et ss. 
Rome, 1896. 

3 Cf. Mothon, Vie du bienheureux Innocent V, p. 71-72. 


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CHAPITRE V 


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la Métropole. Chanoines et bourgeois s’unirent, — au moins cette 
fois, —dans un même sentiment d’allégresse. Heureux de ces dis¬ 
positions favorables, l'archevêque leur offrit de prendre Grégoire X 
lui-même comme arbitre. Les deux partis acquiescèrent '. Et la 
paix se réalisa assez rapidement pour que, dès la fin d’octobre 1272, 
Grégoire X pût adresser à l’empereur Paléologue une invitation 
précise à se rendre à Lyon pour le concile*. 

Il tarda cependant jusqu’au mois d’avril suivant, pour lancer 
dans toute la Chrétienté ses lettres de convocation. Elles sont 
datées du 13 avril 1273 3 . 

En France comme en Italie, ce furent donc les Prêcheurs qui 
préparèrent les voies au futur concile. 

Pendant que le Pape appelait autour de lui les dignitaires de 
l’Eglise, Maître Jean de Verceil prenait son bâton de voyageur 
et se rendait à Bude, en Hongrie, où le Chapitre devait se célé¬ 
brer. C’est là qu’il reçut une bulle de Grégoire X, qui témoigne 
de la confiance de ce Pontife en sa prudence. 

Avant de commencer les sessions conciliaires, Grégoire X, en 
homme très sage, désirait se rendre un compte exact des réformes 
jugées les plus urgentes dans l’Église. Outre les lettres officielles 
de convocation adressées à tous les prélats indistinctement, il 
demanda à quelques-uns de rédiger par écrit un rapport motivé. 
Voici, du reste, la lettre envoyée personnellement à Jean de Ver¬ 
ceil : 

« Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à notre 
cher fils, le Maître de l’Ordre des Frères Prêcheurs, salut et béné¬ 
diction apostolique. 

« Nous envoyons en ce moment des lettres aux princes et aux 
prélats du monde pour la convocation au concile général. Parmi 
les sujets à traiter dans ce concile tient la première place la 
réforme des mœurs qui paraissent avoir singulièrement fléchi dans 
le clergé et le peuple, dont les fautes se sont accentuées... Dans ces 
lettres, Nous disons que nous ferons tous nos efforts pour présenter 
au concile un état vrai de la situation, afin que son examen soit plus 
efficace. Voulant donc satisfaire l’anxiété de notre désir et répondre 
à notre promesse, nous avons jugé bon, vu la grande confiance 
que nous avons en vous, de vous associer à notre travail. 

« Nous vous imposons, par ces lettres apostoliques, de rechercher 
avec soin, autant qu’il vous sera possible, ce qui peut déformer 
ou troubler en quelque manière la religion du Christ, dans le 
clergé séculier comme dans le régulier, dans le peuple chrétien 


* Cf. Mothon, Vie du bienheureux Innocent V, p. 83. 

* Rainaldi, III, p. 303. 

3 Ibid., p. 321. B. In litteris. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


lui-même, hommes ou femmes, parmi les infidèles, de quelque 
secte ou rite que ce soit. 

« Pour ce faire, vous prendrez, ou directement ou indirectement, 
les moyens qui vous paraîtront utiles, mais pas les moyens juri¬ 
diques, comme les interrogatoires sous serment; choisissez plutôt 
les conversations familières ou d'autres voies de ce genre. 

« Vous m’enverrez ensuite, par des personnes sûres, votre rap¬ 
port, dûment scellé; qu’il soit bien net, bien clair, avec, en regard 
de chaque abus, l’indication du remède. Ayez soin de remplir 
cette mission six mois avant le terme fixé pour l’ouverture du con¬ 
cile, afin que dans l’intervalle on puisse prendre connaissance 
du rapport, l’examiner sûrement, et préparer les remèdes à sou¬ 
mettre à l’approbation du concile. 

« Nous désirons que votre enquête soit conduite avec prudence et 
habileté, afin que personne ne puisse s’en croire offensé et qu’il 
n’en résulte aucun scandale 1 . » 

Cette lettre si grave et en même temps si honorable pour Jean 


1 « Gregorius Episcopus Servus servorum Dei. 

« Dilecto Filio... Magisiro Ordinis Fratrum Prædicatorum Salutem et Apostoli- 
cam benedictionem. 

« Dudum super Generalis convocationc Concilij ad uni versos Orbis Principes et 
Prælatos nostras sub certa forma Litteras destinantes, quia inter alia de quibus in 
ipso Concilio est agendum specialiter circa reformationcm morum, qui peccatis exi- 
gentibus in Clero et Populo videntur graviter deformati nostra versatur intensio 
mter caetera Prælatis ipsis niandavimus per easdem, ut usque ad tempus pro Con¬ 
cilio ipso congregando prælixum, per se aut alios Viros prudentes, et Deum 
timentes oninia quæ correctionis, et reformationis limam exposcunt subtiliter 
inquirerent, et in scriptis redacta fideliter deferrent in ipsius Concilij notionem. 
Et nihilominus in eisdem prædiximus litteris Nos sollers studium et eflicaceni 
daturos operam aliis modis et vjjs, ut eadem in examen ipsius Concilij devenirent 
per ipsum correctioncm, et directionem accommodam receptura. Volentes itaque 
prœmissa, prout magni Nobis desiderij dictât anxietas, cum omni diligentia effectu 
soUicitæ prosecutionis implcri ad hoc iuum ministerium ex multa confidcntia duxi- 
mus eligendum. Discretioni tuæ per Apostolica scripta mandantes, quatenus ea, 
quæ prout facultas aderit, sive in Clero cujuscumque Religionis, aut status, sivc in 
reliquo Populo Christiano utriusque scxus, sive Infideiibus cujusvis sectæ vel ritus 
conversantibus inter eos, quatenus per illos Christiana Religio intici potest, seu 
quomodolibet fermentari correctionis remedio indigere videntur, per te, ac alios 
Viros ad hoc ydoneos, non quidem per testes juratos, seu alios ordinaria inquisi- 
tione, sed alia investigatione, quæ per familiares collationes, et alios diversos 
indagandi modos cum Religiosis et aliis execrantibus maxime vitia, colentibusque 
virtutes adhibcri poterit, diligentius exquirens, ea singillatim distincta et apertc 
conscripta, nec non et consilia de remediis adhibendis ad correctioncm, et refor- 
mationem illorum sub sigillo tuo per aliquos fideles Nuncios ad præsentiam nos- 
tram mittas, in missione hujusmodi dictum tempus ipsius præveniendo Concilij per 
sex Menses, ut intérim haberi possit competens discussio, et plena deliberatio ad 
opportuna exquirenda, ut decct, antidota, circa ilia per approbationem ejusdem 
Concilij adhibenda. Volumus autem omni cautela, et diligentia providere, ut ad 
investigationem prædictorum talitcr procedatur, quod nulli per hoc irrogari possit 
infamia, nec adversus aliquem proinde scandalum suscitari. 

« Datum apud Urbemveterem quinto Idus Martij Pontificatus nostri anno primo. » 
(Reg. Litter. Gregorii PP. X. Anni I. Epist., 219. Bibl. Vatic.) 

Cette lettre a été publiée par J. Guiraud dans les Registres de Grégoire X. Il yen 
a également une copie aux Archives de l’Ordre. 


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CHAPITRE V 


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de Verceil partit d’Orvieto le H mars 1273. Elle lui fut remise à 
Bude, par les Frères venus au Chapitre général. 

L'œuvre était pressante. Le concile de Lyon devant s’ouvrir au 
mois de mai 1274, et le rapport devant être entre les mains du 
Pape six mois auparavant, il n’en restait plus que six également 
pour faire cette enquête officieuse. 

Maître Jean de Verceil la fit-il par lui-même? 

La réponse, pour beaucoup, reste douteuse. 

Cela'vient de ce que, à la bibliothèque Vaticane, se trouve un 
rapport très important, sur ce même sujet, signé par le vénérable 
Père Humbert de Romans, prédécesseur de Jean de Verceil. En 
sorte que nous avons, d’une part, la bulle qui donne commission 
à Jean de Verceil de faire ce travail, sans le travail exécuté par 
lui, et, d’autre part, ce travail exécuté par Humbert de Romans, 
sans la bulle qui le lui confie à lui personnellement. Sur quoi on 
tire, pour accorder les deux termes, cette conclusion : Jean de Ver¬ 
ceil a reçu l’ordre, Humbert l’a exécuté. Et l’on avance pour 
motif de l’abstention de Jean de Verceil ses absorbantes occupations. 

Ni la conclusion en faveur d’Humbert, ni l’abstention de Jean 
de Verceil, ni les motifs mis en avant pour la justifier ne me 
paraissent solidement établis. 

Qu’Humbert ait écrit un rapport sur les questions à traiter au 
concile de Lyon, cela est certain : son rapport existe, signé par 
lui. Mais qui lui a donné ordre de l’écrire? Ce peut être, d’abord, 
le Pape. Humbert avait occupé dans l’Église et occupait encore 
une place considérable; il n’y a rien d’étonnant à ce que Gré¬ 
goire X, cherchant des hommes capables, à tous points de vue, de 
le renseigner sur l’état de la Chrétienté, ait demandé personnelle¬ 
ment le concours éclairé d’un personnage dont la sagesse était 
universellement estimée. On m’objectera que la bulle pontificale 
intimant à Humbert l’ordre de faire ce rapport n’est pas dans ses 
registres 1 . A-t-on toutes les bulles écrites dans ce but? Il serait 
très téméraire de l’affirmer. Du reste, nous ne possédons pas 
davantage le document de Jean de Verceil enjoignant à Humbert 
de le suppléer dans ce travail, et il me semble que le rapport 
d’Humbert, ce document lui-même, est plutôt, de sa nature, un 
témoignage direct en faveur d’un commandement personnel du 
Pape. 

On ne l’attribue, en effet, à l’intervention de Jean de Verceil 
que pour un motif unique : ses occupations. Sans doute, le Maître 
de l’Ordre était extrêmement occupé. Il se trouvait en Hongrie; il 


1 Cf. J. Guiraud et L. Cadier, les Registres de Grégoire X et de Jean XXI, 
1271-1277. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


présidait le Chapitre; il visitait les couvents de la province; il 
devait revenir jusqu’à Lyon pour assister, l’année suivante, au con¬ 
cile. Six mois seulement lui restaient pour faire l'enquête et le 
rapport demandé par le Pape. Il me semble, bien au contraire*, 
que ce genre d’occupations servait à merveille et cette enquête et 
ce rapport. 

Il s’agissait, selon la volonté très explicite de Grégoire X, non 
pas d'enquête juridique, qui suppose un tribunal constitué et 
toutes les formes du droit, et qui par là même crée des occupa¬ 
tions nouvelles, assujettissantes, mais simplement de conversa¬ 
tions avec des personnes instruites, au courant des affaires ecclé¬ 
siastiques et politiques, des abus introduits dans le clergé sécu¬ 
lier, dans les cloîtres réguliers. 

Ces entretiens confidentiels, le Maître était à même, plus que 
tout autre, de les avoir, avec les Frères venus de toutes les pro¬ 
vinces de l’Ordre, pour le Chapitre général. Ces graves person¬ 
nages, qui connaissaient la situation de l’Église et de l’État dans 
leurs pays, pouvaient lui donner les renseignements les plus sûrs 
et les plus précis. En sorte que, en conversant avec eux, rien 
que pendant la tenue du Chapitre, Jean de Verceil possédait déjà 
une vue d’ensemble sur les réformes à opérer dans le monde entier. 
Et de plus, en visitant les couvents de Hongrie, d’Allemagne, 
d’Italie, de France, échelonnés sur cette route très longue de Bude 
jusqu'à Lyon, qu'il avait à parcourir, il pouvait, sans augmenter 
ses occupations, s'entretenir avec les religieux de l’Ordre et des 
autres Ordres, avec les prélats qu'il rencontrait, avec les princes, 
les seigneurs, les podestats des villes où il passait. Au lieu de 
nuire à l’enquête qu’il devait faire, son voyage et ses travaux 
ordinaires la rendaient facile et fructueuse. Et ce ne lui était pas 
chose bien difficile de rédiger par lui-même, au jour le jour, ou 
de faire rédiger par son secrétaire le résumé de ses observa¬ 
tions. 

Le motif invoqué pour expliquer l’abstention prétendue de Maître 
Jean de Verceil disparaissant, il me semble qu’il n’a pu se sous¬ 
traire à l’ordre du Pape, si honorable pour lui, et se décharger 
sur un autre d’un travail qui intéressait si gravement la sainte 
Église. 

Il fit son enquête, il fit son rapport, comme le lui imposait 
Grégoire X. De son coté, Humbert de Romans, par commission, 
ou du Pape ou de quelque autre dignitaire ecclésiastique, écrivit 
ses projets de réforme. Ils paraissent, du reste, tellement person¬ 
nels, qu’on ne pourrait mettre au bas la signature de Jean de Ver¬ 
ceil sans un document authentique. Et il serait bien surprenant 
que, si Humbert eût été le simple secrétaire du Maître Général, 


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CHAPITRE V 


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il ne l'eût point signalé expressément. A chacun ses œuvres 4 . 

Le rapport du vénérable Père, — retiré alors au couvent de 
Valence, — jette une vive lumière sur les idées de l’époque. A ce 
titre, comme il appartient à l'Ordre par son origine et qu’il eut 
au concile une influence, il m’a paru utile d'en indiquer les pen¬ 
sées principales*. 

Le mémoire d'Humbert se divise en trois parties : De la croi¬ 
sade contre les Turcs; Du schisme des Grecs; Des réformes à in¬ 
troduire dans l’Eglise romaine. 

Il réfute d’abord toutes les objections contre la guerre sainte; 
puis il réclame la présence en Orient d’une armée permanente, en 
force suffisante pour tenir tête aux Sarrasins. Mais il veut une 
armée honnête, non pas comme elle était composée jusqu’alors, 
de gens sans aveu, d’assassins, de mécréants de tous les pays. 
Pour subvenir aux frais de ce nouveau régime militaire, il indique 
quatre sources de revenus : la vente des vases et des ornements 
précieux qui encombrent certaines églises et sont superflus; l’ap¬ 
plication des rentes d’une prébende ou de plusieurs dans chaque 
collégiale; les revenus des petits prieurés où demeurent quelques 
religieux, d’ordinaire peu édifiants; la vente des abbayes détruites 
en grande partie, dont on ne peut espérer la restauration. 

On voit que le Bienheureux Humbert n’hésitait pas devant les 
moyens énergiques. Il atteignait ainsi un double but : tout en ali¬ 
mentant l’armée permanente en Terre Sainte, il allégeait l’Église 
des petits couvents, qui ont toujours été et qui seront toujours la 
pierre d’achoppement des Ordres religieux. 

Humbert passe ensuite à l’union de l’Église grecque et de l’Église 
romaine. C’était une des questions les plus importantes à traiter au 
concile. Il la résout avec cette liberté et cette franchise que con¬ 
naissent ceux qui ont lu ses autres œuvres. Si les Grecs ont des 
torts, les Latins ne sont pas sans reproche vis-à-vis d'eux. Qu’on 
exige des Grecs une foi absolument conforme à celle de Rome ; mais 
que, dans les rites qui leur sont propres, on garde ce qui ne con¬ 
tredit pas cette foi. Il faut éviter surtout d’envoyer parmi eux des 
Nonces apostoliques, dont la principale préoccupation est de s’en¬ 
richir à leurs dépens. Une fois l’union agréée de part et d'autre, il 
sera très utile que des mariages se fassent entre les seigneurs des 
deux Églises. Cette fusion du sang rendra plus stable, plus pratique 
et plus réelle, la fusion des âmes. Les Latins pourraient également, 


1 On prépare, croyons-nous, une édition du traité d'Ilunibert. A l’auteur de dire 
son avis sur cette question. 

* Cf. Echard, I, p. 141. — Rainaldi, III, p. 322-323. Note de Mansi, qui attribue à 
Humbert, par ordre de Grégoire X , le mémoire pour le concile et en donne le 
résumé. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


— et ce ne serait pas inutile, — apprendre la langue grecque. 
L'ignorance en est arrivée à ce point, dit-il, que, dans la Cour 
romaine, il n’y a peut-être pas un clerc qui puisse comprendre les 
lettres envoyées par les Grecs. On pâlit sur les livres de philoso¬ 
phie et de droit, et on n'étudie plus ni les langues ni la théologie. 

Quant à l’Église latine, les réformes que demande Humbert 
sont nombreuses et très foncières. Il trouve d'abord que les fêtes 
chômées sont beaucoup trop multipliées. Les ouvriers n'arrivent 
plus à gagner leur vie. Ou il faut les supprimer, ou à tout le moins, 
tout en maintenant le précepte de la messe, permettre le travail. 
On doit aviser à ce que l’élection du Pape se fasse avec plus de 
rapidité. Le dernier conclave avait duré si longtemps, que l'Église 
entière en demeurait scandalisée. 11 faut réduire le nombre des 
Ordres mendiants, et ne pas autoriser des congrégations de femmes 
au titre de mendicité. Que l'on fasse un choix plus sérieux pour 
les prélatures ; que les prélats de toute dignité diminuent leur train 
de vie, toutes çes pompes fastueuses qui ne sont point en rapport 
avec la pauvreté de leur Maître; qu’ils mettent un peu d’honnêteté 
dans leurs chancelleries, et, sous prétexte de droits, n'extorquent 
pas l’argent d’autrui. Si l'on veut entrer dans la réforme du clergé 
inférieur, la besogne .sera rude : les sept péchés capitaux y sont 
rois. Aussi ne veut-on pas des paroisses pauvres, qui restent 
abandonnées. 

Il y a aussi abus du pouvoir des Clefs. On confie souvent à des 
ignorants la faculté de lancer l’excommunication. Il en résulte les 
plus graves conséquences, dont la première est le mépris. Il serait 
bon de tenir, comme anciennement, les conciles provinciaux; bon 
également que la déposition des prélats fût rendue plus facile. 
Cette menace serait salutaire et les empêcherait de commettre tant 
d’excès. Le plus à plaindre, au milieu des désordres ecclésiastiques, 
de la base au faîte, c’est le peuple qui, laissé à lui-même, croupit 
dans l’ignorance de la religion. Humbert demande un petit livre 
où le peuple puisse apprendre ses devoirs. C’est la première men¬ 
tion, dans l’Église, d’un catéchisme. 

Finalement, le vénérable Père s’occupe de la grande question 
politique qui intéressait le monde catholique. A chaque vacance 
du trône impérial, c'étaient de nouvelles divisions, de nouvelles 
guerres. L'empire étant à l’élection, la stabilité, avec la paix qui 
la suit, ne pouvait exister. Pour arriver à cette paix générale, voici 
ce qu’Humbert propose : un empereur d’Allemagne avec succes¬ 
sion; puis, en Italie, deux rois avec succession également, qui se 
déclareront et demeureront les vassaux de l'empereur d Allemagne. 
Ils seraient élus par les évêques et les municipes d Italie, 1 un 
pour la Haute-Italie, l’autre pour le Midi. Mais tous, empereurs 


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CB APURE V 


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ou rois, pourraient toujours être déposés, dans les cas prévus par 
le droit, par le Pontife romain, qui demeurait ainsi la clef de 
voûte de l'édifice social, le chef suprême de la société chrétienne. 

Disons tout de suite que les vues si profondes et si justes 
d'Humbert de Romans eurent au concile, pour une grande partie, 
un succès pratique qui est leur plus bel éloge. 

Les Pères Capitulaires de Bude assignèrent le prochain Cha¬ 
pitre à Bordeaux, tout en laissant au Maître Général la faculté de 
le transférer dans la ville où le concile se réunirait f . Jean de Ver- 
ceil, son office rempli en Hongrie, s'achemina vers Lyon. Les 
routes étaient sillonnées par les prélats, abbés et docteurs, qui, de 
toutes les parties du monde chrétien, se rendaient dans la même 
ville. Car Grégoire X avait fait appel à tous les personnages qui, 
soit par leur dignité, soit par leur science, pouvaient donner un 
avis motivé dans les affaires qui allaient être mises en discussion. 
Il n’avait eu garde d’oublier les plus grands Maîtres des Prêcheurs : 
Frère Albert, qui, malgré sa vieillesse, n'hésita point à assumer 
les fatigues de ce long voyage r et Frère Thomas d’Aquin, que 
l’Eglise entière saluait comme son plus illustre docteur. 

Frère Thomas régentait alors au couvent de Naples. Ses plus 
grandes œuvres étaient terminées, philosophiques et théologiques, 
sauf la Somme théologique, à laquelle il travaillait toujours. 

Or, le 6 décembre, en la fête de saint Nicolas, Frère Thomas 
eut, pendant qu’il célébrait la sainte messe, un ravissement mer¬ 
veilleux. Le fait était assez ordinaire pour qu’on n’y prît point 
garde. Cependant, la messe terminée, le saint Docteur changea 
toutes ses habitudes. Il n’écrivit point, il ne dicta point. Etonné, 
son compagnon, Frère Réginald, lui dit : « Mon Frère, renoncez- 
vous donc à l’œuvre que vous avez entreprise pour glorifier Dieu 
et éclairer les esprits?... » Et Frère Thomas répondit : « Je ne 
puis plus! je ne puis plus! Tout ce que j’ai écrit me paraît mépri¬ 
sable! » 

Sa vision intuitive surnaturelle en était arrivée à ce point où les 
paroles manquent pour l’exprimer avec exactitude. Et, .comme le 
dit Frère Barthélemy de Capoue, le saint Docteur suspendit ses 
instruments d’écriture. 

Peu de temps après il prenait le chemin de Lyon. Voulant revoir 
une dernière fois le lieu de sa naissance et consoler les siens qui 
s’inquiétaient des nouvelles que leur avait transmises Frère Régi¬ 
nald, il passa par Aquino. Là une lettre de l’abbé du Mont-Cassin 
vint le trouver, qui l'invitait à monter à l’abbaye pour donner aux 

1 « Scquens capitulum generale in Conventu Burdegalensi in provincia Provincie 
assignamus, vel in loco ubi secundum exigenciam concilii Magister duxerit eligen- 
dum. *» ( Acta Cap., I, p. 171. Chap. de Bude, 1273.) 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


religieux l’explication d'un texte des Morales de saint Grégoire. 
Frère Thomas profite, dans sa réponse, de la longueur du jeûne et 
de l'office, pour s'excuser de ne point aller à l'abbaye; puis il 
résout, avec sa clarté ordinaire, les difficultés du texte proposé. 

Cette lettre est probablement le dernier écrit de saint Thomas 1 . 
Il se dirigea ensuite vers Terracine. Frère Héginald, tout en che¬ 
minant, lui dit : « Maître, vous allez au concile, il s’y fera beau¬ 
coup de bien pour l'Église universelle, pour l’Ordre, pour le 
royaume de Sicile. — Dieu vous entende, mon fils! — Et 
puis, vous et Frère Bonaventure, vous serez cardinaux. — N’en 
croyez rien, reprit le saint homme; moi je ne changerai jamais 
d’état 2 ... » Après quelques jours passés au château de Maenza, 
où résidait sa nièce, Frère Thomas, déjà atteint par le mal qui 
devait l'emporter, se rendit à l'abbaye cistercienne de Fossa-Nuova. 
Il sentait ses forces décliner, et, ne pouvant se transporter jusque 
dans un couvent de son Ordre, il voulut au moins mourir dans 
une maison religieuse. En franchissant le seuil de l’abbaye, il dit 
à son compagnon : Fili, hæc rcquies mea in seculum seculi / 
hic habitabo quoniam elegi eam! C’était le lieu de son repos. 

On était au mois de février. Le saint Docteur vécut encore un 
mois. Autour de lui, les Frères s'empressaient pour le. servir, 
heureux et honorés de lui rendre plus douce cette suprême hospi¬ 
talité. Ils lui demandèrent, en retour, de leur laisser un souvenir 
de sa présence, quelques commentaires lumineux sur les saintes 
Écritures. Et de son lit de mort, Frère Thomas dicta son expli¬ 
cation du Cantique des cantiques. Prêt d’aller à Dieu, son cœur 
se plut à contempler l'ineffable union créée par l’amour entre 
l’âme et Dieu lui-même. Le 4 mars, il demanda les derniers sacre¬ 
ments. Humble, doux et reconnaissant pour tous les soins dont 
on l’entourait, le grand Docteur vivait, malgré la souffrance, dans 
son habituelle contemplation. Au matin du 7 mars, il reçut le 
saint viatique et expira doucement. Il n’avait que quarante-huit 
ans 3 . 

Les Cisterciens ensevelirent l’illustre défunt dans leur église 
auprès du maître-autel. Or, à l’heure où Frère Thomas expirait 
à Fossa-Nuova, le Bienheureux Albert le Grand, alors âgé de plus 
de quatre-vingts ans, conversait à Cologne avec le Prieur du cou- 


1 Cf. Mois littéraire et scientifique , 28 février 1877. La lettre fut retrouvée à 
cette époque au Mont-Cassin. L’abbé Uccclli, en l’examinant, crut y voir l'auto¬ 
graphe même du saint Docteur. 

2 Cf. Acta SS. I Martii. Process. Canonizationis S. Thomæ Aquinaiis. 

3 On prétend que le saint Docteur fut empoisonné. Jean Villani, Jacques d’Acqui, 
à peu près contemporains, le disent. Mais comme à cette époque il était rare 
qu’un grand personnage mourût sans qu’on soupçonnât le poison d'avoir hâté sa 
fin, il est difficile de l'affirmer. 


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CHAPITRE Y 


95 


vent et Frère Albert de Brescia. Tout à coup le vieillard s'inter¬ 
rompt et se met à pleurer : « Hélas! s’écrie-t-il, Frère Thomas, 
mon fils en Jésus-Christ, la lumière de l'Eglise, vient de mourir! » 

C’était vraiment la lumière de l’Eglise, mais elle n’était point 
éteinte. Saint Thomas d’Aquin continue depuis sa mort, et conti¬ 
nuera jusqu'à la fin des temps, d’être, pour l’Eglise, ce soleil 
radieux dont il porte l’emblème sur sa poitrine. 

Maître Jean de Verceil, avec l’Ordre tout entier, pleura le plus 
grand de ses fils. 

En arrivant à Lyon, il eut la consolation de saluer, comme 
évêque d’Ostie, Frère Pierre de Tarentaise, que Grégoire X avait 
créé cardinal 1 le même jour que Frère Bonaventure, Ministre des 
Mineurs. Il devenait, par ce titre, doyen du Sacré-Collège. Aux 
approches du concile, cette haute dignité le mettait en première 
vue. 

Après trois jours de jeûne, le lundi 7 mai 1274, Grégoire X 
ouvrait en personne les sessions du deuxième concile œcuménique 
de Lyon. L’assemblée offrait le plus splendide spectacle : le Pape, 
quinze cardinaux, les deux patriarches latins de Constantinople 
et d’Antioche, plus de sept cents évêques, dont cinquante au moins 
appartenaient à l’Ordre des Prêcheurs, soixante-dix abbés et un 
millier de prélats de tous grades. Etaient présents, comme repré¬ 
sentants des pouvoirs civils, l’ambassadeur de l’empereur Rodolphe 
de Habsbourg, ceux des rois de France, de Naples, d’Angleterre, 
les grands-maîtres du Temple et de l’Hôpital. Jamais concile 
n’avait été si nombreux. Les trois personnages les plus éminents 
étaient sans aucun doute : les cardinaux Pierre de Tarentaise et 
Bonaventure, et Maître Albert le Grand. Tous les trois, et le Pape 
lui-même, ont été placés sur les autels. Grégoire X confia aux 
deux cardinaux, fils de saint Dominique et de saint François, le 
soin de faire le règlement du concile et de veiller à son observa¬ 
tion. Ils en devenaient ainsi les directeurs. Encore une fois Domi¬ 
nique et François s’unissaient dans une même étreinte pour le 
bien suprême de l’Église. De nombreux maîtres et célèbres doc¬ 
teurs des Prêcheurs avaient été appelés pour communiquer aux 
Pères du concile la lumière de leur savoir. Ils le firent sur toutes 
les questions, mais spécialement sur l’union des Grecs et des 
Latins, avec une si grande sagesse que tous étaient dans l’admi¬ 
ration. On peut dire que cette union fut, en très grande partie, 
l’œuvre des Prêcheurs*. 

Pierre de Tarentaise dirigea lui-même cet important débat. Il 
en fait foi dans une lettre à l’empereur Paléologue, alors que, 

1 Ech&pd, I, p. 350. 

* Cf. Mothon, Vie du bienheureux Innocent V, p. 100 et ss. Rome, 1896. 


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96 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


devenu Pape sous le nom d’innocent V, il lui envoya ses légats 
pour obtenir la ratification officielle de l’union des deux Eglises 1 . 
C’est lui qui reçut à Lyon les délégués de l’Église grecque; 
c’est lui qui, dans la troisième session conciliaire, prononça le 
discours sur les bienfaits futurs de l union; c’est dans son palais 
et sous sa conduite que, le Pape étant présent, eut lieu la séance 
décisive où les théologiens, grecs et latins, joutèrent savamment 
sur la primauté du Pape et le Filioque du Symbole. Prêcheurs et 
Mineurs, tous Maîtres en divinité, réduisirent à néant les subtilités 
des Grecs. 

Ils avaient entre leurs mains le traité de Frère Thomas d’Aquin 
contre les erreurs des Grecs. On le jugeait si important que Gré¬ 
goire X, en convoquant au concile le saint Docteur, lui avait 
expressément recommandé de l’apporter *. 

Convaincus par leurs adversaires, les Grecs, aux applaudisse¬ 
ments de tous les assistants, se déclarèrent prêts à s’unir avec 
l’Église domaine. La joie était universelle. Cinq jours après, 
29 juin 1274, fête des saints Apôtres Pierre et Paul, Grégoire X 


1 (Ex Archiv. Vatican., Regest. 29. A. cpist. n. 370). 

« Idem (Innocentius PP. V.) Eidem (Michaeli Palcologo). Quanto gaudio quan- 
taque letitia universalis ecclesia de unionis negotio inter latinos et grecos tuis lau- 
dabilibus promota studiis in Domino exultavit felicis rccordationis G. papa prcde- 
cessor noster dum adhuc pcregrinationem presentis vite perageret tibi nuntiis et 
litteris quamquam cxultationis huiusmodi magnitudo in re potior fucrit quam rela- 
tus expresserit. intimarc cura vit per alias exprimens litteras sue intenlionis existere 
legatum ad tuam presentiam destinare. Et quidem et nos quem tune de fratrum 
collegio existentem quasi cooperatorem huiusmodi salubre negotium contingebat 
de ipsius felici processu tuis directo studiis et sollertia procurato grande concepi- 
mus gaudium ad illud firmius solidandum intensum desiderium dirigeâtes. Cumquc 
dispositione divina fuissemus licet insufficientibus meritis ad apicem summi apos- 
tolatus assumpti non solum letitia de promotionis dicti negotii felicitate succrevit ; 
verum etiam onus idem prosequendi negotium suscepisse recognovimus incremen- 
tum cum iam illud in nobis specialis exquirerct studium promotoris. Et ideo pie 
intentionis proposito ut consultius debitum circa hoc nostri prosequeremur offîcii 
sollicitam operam adhibentes statum eiusdem negotii prescrutationis attente dili- 
gentia duximus recensendum : quo cum fratribus nostris pensato prudentius ea que 
per te acta sunt soliditate roboris plenioris compcrimus indigere. Ad quam celeri- 
ter obtinendam ut in aliis in quorum iminct mora periculum efficacius et quoad 
tuam magnificentiam favorabilius procedatur dilectum filium Hieronymum genera- 
lem Guidonem romanum et Angelum S. Francisci provinciarum ministros ac Gcn- 
tilem de Bectonio ordinis minorum fratres viros utique claros vere fidei claritate 
voluntarie paupertatis humilitate conspicuos humiles Christi pauperis sectatores de 
ipsorum fratrum consilio deliberavimus premittendos excellentiam tuam rogantes 
et hortantes in Domino quatenus pro nostra et apostolice sedis reverentia predic- 
tos nuncios benigne recipiens que ad premissam solidationem petierint studeas 
cum omni promptitudine adimplere opem nihilominus impensuros et operam ut ea 
etiam iu aliis efficaciter impleantur. Ex hoc enim tibi apud rctributorem bonorum 
omnium non sine laudis humane preconio et apostolici favoris augmento accrescet 
cumulus meritorum. Datum ut supra. » (Cité par Mothon, Vie du bienheureux In¬ 
nocent V , p. 318.) 

* S. Antonin, Chron., III, tit. XXIII, c. vu. « Anno Domini MCGLXXIV mandatum 
fuit sibi a Gregorio X ut ad concilium Lugdunense, tune celebrandum accederet..., 
secumque deferret librum, quem, de mandato Urbani IV. fecerat contra errores 
Græcorum. » 


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CHAPITRE V 


97 


célébra la messe dans la métropole de Saint-Jean. Latins et Grecs 
assistaient. L'épître fut lue dans les deux langues. Le cardinal 
Ottobono chanta l'évangile en latin; après lui un diacre grec, en 
grec. Puis tous les cardinaux, Frère Pierre de Tarentaise, comme 
doyen, faisant office de chantre, chantèrent en chœur avec les 
évêques le Credo; les chanoines répondaient. 

Après quoi, les Grecs, dirigés par Frère Guillaume de Moerbeck, 
des Frères Prêcheurs, savant orientaliste, et Frère Jean de 
Constantinople, des Frères Mineurs, chantèrent tous le même 
Credo . Quand ils en furent à ces paroles : Qui a Pâtre Filioque 
procedit, ils les répétèrent trois fois en grande solennité 1 . 

Une autre affaire sollicitait toute l'attention du concile. Maître 
Humbert l'avait signalée, dans son mémoire, en réclamant d'ur¬ 
gence que l’on prît les moyens les plus énergiques pour hâter 
l’élection du Pape. 

Il en avait indiqué deux, à savoir : de ne pas laisser aux car¬ 
dinaux la jouissance de leurs revenus pendant la durée de l’élec¬ 
tion; deuxièmement, si les scrutins se prolongeaient au delà de 
certaine limite, de leur adjoindre d'autres électeurs désignés 
d’avance par le droit. 

Grégoire X se montra, sur ce point, d’une sévérité qui faillit 
troubler le concile. 

Dépassant les idées du Vénérable Humbert, il prit, dans les 
constitutions des Prêcheurs, la rigoureuse détention qui séparait 
des autres Frères les électeurs du Maître Général et leur imposait 
d’élire au plus tôt leur supérieur, sous peine de ne point avoir de 
nourriture. D’après la loi dominicaine on enfermait les électeurs, 
sans nourriture, jusqu’à ce que l’élection fût faite. 

Le conclave imposé par Grégoire X et qui dure encore vient 
de là. 

De plus, tout en adoucissant la rigueur du conclave dominicain, 
le Pape exige qu’au bout de trois jours, si l’élection n’a pas abouti, 
on ne donne plus aux cardinaux qu’un seul plat à chaque repas, 
et que, cinq jours après, ils n’aient plus que du pain, de l’eau et 
du vin. 

Le moyen était rude, si l’on y ajoute toutes les prescriptions de 
détail que je ne puis rapporter 2 . Aussi y eut-il, parmi les cardi¬ 
naux, un cri de réprobation générale. Les esprits cependant se 
calmèrent peu à peu. Mais cette constitution subit de nombreuses 
vicissitudes. Je ne l’ai signalée qu’à raison de ses origines domi¬ 
nicaines. 

Il ne faut pas croire que le rôle presque prépondérant qu’exer- 

1 Cf. Labbe, SS. Concilia, XI, p. 958. 

* Ibid., p. 960 et 975-976. 

II. — 7 


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98 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


cèrent les Prêcheurs au concile de Lyon fit taire les rancunes des 
séculiers. L'effet fut tout à l’opposé. A la vue de ces nombreux 
évêques sortis de l'Ordre, de ces docteurs dont la science s'était 
révélée si éclatante, de ce cardinal-doyen, Pierre de Tarentaise, qui 
ayait.été avec le cardinal d’Albano, Frère Bonaventure, l’âme de 
ce concile, les prélats et clercs séculiers, comme frappés de stupeur, 
s’en allaient répétant non sans jalousie : « Ces Prêcheurs, comme 
ils sont devenus puissants 1 ! » La grandeur même des services 
qu'ils rendaient à l’Église les offusquait. Plaintes et criailleries 
arrivèrent jusqu'à Grégoire X : « Les Prêcheurs et les Mineurs, 
lui dirent leurs adversaires, attirent tout à eux. » 

Indigné, le Pape riposta vivement : « Pourquoi ne faites-vous 
pas comme eux? Vivez comme ils vivent, étudiez comme ils étu¬ 
dient, et vous aurez le même succès! Ils font à la fois l’office de 
Marie et de Marthe : avec Marie, ils demeurent aux pieds du Sei¬ 
gneur; avec Marthe, ils travaillent dans tous les ministères apos¬ 
toliques. » 

Mais les séculiers répliquèrent : « Ces Frères sont comme les 
ouvriers dont parle l’Évangile; ils n’ont encore travaillé qu’une 
heure, puisqu’ils sont nés d’hier, et on les met au même rang que 
nous, qui peinons à la tâche depuis le commencement de l’Église. 

— Allez au bout du texte, reprit le Pontife, et vous y lirez : 

« Les premiers seront les derniers, et les derniers les premiers 1 ! » 

Pour spirituelle qu’elle fût, cette réponse était peu satisfaisante. 
Maître Jean de Verceil aida Grégoire X, par sa condescendance, à 
apaiser ces rumeurs inquiétantes. Il avait autour de lui, tant pour 
le concile que pour le Chapitre général, les plus illustres repré¬ 
sentants de l’Ordre. 

Tous, même ceux qui étaient les plus élevés en dignité, s’esti- 


1 « Denique concilium ecclcsiœ apud Lugdunum in Galliis indicens (Gregorius X) 
italus ipse natione, voluit capitulum illius (Ord. Præd.) generale ibidem similiter 
eo anno qui fuit MCCLXXIII1 congregari. Et vidit omnis ecclcsia gloriam Ordinis; 
et obstupuerunt super eum multi . dicebantque : « Ecce quam grandis facta est 
novella Prædicatorum religio, quinquaginta annos vix habens! » (Sébastien deOlmedo, 
Chron. noüa. Ms. arch. Ord.) 

* « At vcro in mcmorato Concilio Lugdunensi quia plures prœlati et ecclesiarum 
Rcctores apud Pontiflcem Senatumquc Cardinalium ægre conqueri cœperunt quod 
Prædicatores scilicet et Minores omnia ad se traherent oporteretque ideo circa 
eorum statum aliquid i ni mu ta ri. Quibus tamen Papa primo quasi indignabundus 
simplicitcr respondit dicens : Ite et vos bene vivite et studiis litterarum intendite 
si vultis quæ petitis possidere. Iii cnim cum Maria sedent secus pedes Domini et 
cum Martha satagunt circa frcquens ministerium eius. Ipsisquc etiam Evangelicum 
illud improperantibus quia hi novissimi adhuc una ora non fecerunt et pares nobis 
facti sunt, obstitit pontifex in verbo Domini addens quia amen dico vobis erunt 
novissimi primi et primi novissimi. Ut intellexit idem Gregorius ordinem plus solito 
phisicis disciplinis ac scientiis secularibus indulgere, ait : Amodo Fratres Prædica¬ 
tores doctiores erunt non devotiores. Crescente tandem murmure clericorum in 
nos Gregorius paterne monuit Ordinem ut ex se in Capitulo aliquid ordinarent per 
quod clamores conquiescerent eorumdem. » {Ibid.) 


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CHAPITRE V 


99 


maient heureux de lui témoigner la plus respectueuse déférence. 
11 pouvait donc compter sur leurs lumières pour apprécier saine¬ 
ment et sagement la situation de l’Ordre vis-à-vis des séculiers et 
conjurer par de prudentes déclarations cette crise, qui, pour être 
une crise de puissance en ce qui regardait les Prêcheurs, n’en était 
pas moins redoutable. 

Le Maître réunit les Pères du Chapitre, et, toutes choses étu¬ 
diées, il fut décidé que l’on soumettrait aux cardinaux Pierre de 
Tarentaise et Bonaventure un projet de conciliation. Ces deux 
princes de l’Eglise avaient reçu commission de Grégoire X pour 
examiner, d’accord avec les Prêcheurs, les moyens les plus propres 
à calmer l’irritation des séculiers. 

L’acte pacificateur disait : 

« Quand les évêques prêcheront, les Frères s’en abstiendront, 
à moins que l’évêque ne leur en donne l’ordre ou la permission. 

« Dans leurs sermons, les Frères rappelleront souvent aux fidèles 
qu’ils doivent payer les dîmes et les autres redevances de droit à 
leurs églises paroissiales. 

« Les Frères, présents à des testaments, conseilleront aux testa¬ 
teurs de faire des legs à leurs paroisses. 

« Ils n’empêcheront, en aucune manière, qui que ce soit de 
choisir sa sépulture dans les églises paroissiales. 

« Les Prieurs auront soin de ne confier l’office de la prédication 
et de la confession qu'à des religieux capables, de bonnes mœurs 
et de science suffisante, avec l’approbation préalable des Frères 
les plus sages, comme l’exigent les constitutions de l’Ordre. 

« Les Frères protestent que, malgré le privilège qui les autorise 
à entendre les confessions, ils sont prêts, par déférence envers les 
prélats, à recourir à eux pour obtenir leur approbation, tant pour 
les confessions que pour tous les autres actes du ministère qui 
intéressent le salut des âmes, but unique de leurs efforts. 

« Si les prélats se réservent l’absolution de quelques cas, les 
Frères devront renvoyer à eux les pénitents. 

« Pour avoir la paix avec les recteurs des paroisses, les Frères 
avertiront les fidèles, tant en chaire que dans le confessionnal, 
qu’ils doivent se confesser, une fois l’an, à leur propre curé. 

« Au besoin, si les curés l’exigent, les Frères délivreront à leurs 
pénitents un certificat de confession par écrit ou de toute autre 
manière. 

« Si les Frères donnent la sépulture dans leurs églises, ils paye¬ 
ront la portion canonique établie par l’usage ou selon les compro¬ 
mis passés en beaucoup de lieux entre eux et les curés 1 . » 


1 « In Christo sibi karissimo fratri P. de Valctica, priori provinciali ordiifi^ pre 


jHru*, pre-» 


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100 


LE BIEN HEUREUX JEAN DE VERCEIl 


Le cardinal Pierre de Tarentaise ajouta lui-même au bas de ces 
articles si conciliants : « Les Frères pensent que ces concessions 


dicatorum provincie Provincie, frater Johannes, fratrum eiusdem Ordinis servus 
humilis, salutem in Domino sempiternam. 

« Ad vestram iam dudum pcrvenit noticiam, quod licet sanctissimus pater sum- 
nius pontifex ante concilium ac eo pendente multoruni prelatorum et clericorum 
pulsatus fuerit precibus importunis, ut circa statum nostrum aliquid in concilio 
immutaret, ipse tamen tamquam tocius sanctitatis amalor et actor eorum instan- 
ciam et exaudicionis graciam non admisit. 

« Quia tamen paterne nos monuit et induxit, ut per nos aliquid ordinaremus, per 
quod clamores conquicscerent eorumdem, qonnulla, ut nostis, in generali fuerunt 
capitulo ordinata et venerabilibus patribus dominis Hostiensi et bone memorie 
Albanensi, ad hoc a summo pontitîce deputatis, oblata de fratrum autenticorum 
utriusque ordinis, collacione prehabita diligenti, consilio et assensu, que tamen 
ceteris cardinalibus non fuerunt exhibita nec ostensa, quamquam ca pluries 
domino pape retulerint viva voce. Tandem quia concilio terminato non defuerunt, 
qui memoratum summum pontificem et dominos cardinales super premissis sepius 
infcstarent, nec sine nota domini pape et nostra ulterius subterfugii locus esset, 
per predictum dominum Hostiensem fuit exhibita domino pape et cardinalibus et 
coram cis lecta cedula continens infrascripta : 

« Ordinatum est in capitulo predicto, quod quando episcopi predicant, non pre- 
dicent ipsi, nisi forte de ipsorum episcoporum mandato vel licencia speciali. 

« Item. Quod fratres in suis predicacionibus fréquenter admoneant populum et 
inducant, quod décimas et alia iura reddant suis ccclesiis, sicut facere tenentur. 

« Item. Quod quando intersunt testamentis moneant et inducant testatores, ut 
ecclesiis suis parrochialibus faciant bona legata, sicut est deccns. 

« Item. Quod a sepultura ccclesiarum suarum parrochialium aliquos non aver- 
tant. 

« Item. Quod priores caveant diligentissime, ne committant offlcium predicacio- 
nis vel confessionum nisi fratribus ad hoc idoneis et moribus et scicncia approba- 
is, et hoc de consilio discretorum, sicut in eorum constitucionibus continetur. 

« Item. Dicunt fratres predicatores, quod quamvis eis liceat confessiones audire, 
tamen propter reverenciam prelatorum parati sint, ad cos habere recursum et 
ipsos requirere, ut ipsorum beneplacito tam in confessionibus audiendis quam in 
aliis ad fructus animarum spectantibus in populis sibi commissis se regant et 
fructum faciant, quem intendunt. 

« Item. Quod si prelati aliquos casus penitehciales sibi reservaverint in suis 
synodis, de illis se nullatenus intromittant, sed remittant confitentes ad ipsos. 

« Item. Pro habenda pace capellanorum et ad satisfaciendum eis, quod tam in 
predicacionibus publicis quam in confessionibus privatis monebunt populum et 
inducent, quod semel in anno confiteantur sacerdotibus suis, prout dicit constitu- 
cio Omnis utriusque sexus. 

« Item. Ut sciant capellani et certi sint de suis parrochianis, qui confîtentur fra¬ 
tribus, parati sunt fratres certiflcare capellanos sive per scripturam sive per ali- 
quem alium modum, sicut ipsi cum eis duxerint ordinandum. 

« Item. Quod quando aliquis eligit sepulturam apud fratres, de funeralibus sive 
mortuariis dabunt canonicam secundum diversas consuetudines terrarum atque 
locorum et secundum diversas composiciones, factas in multis locis inter parro- 
chiales sacerdotes et fratres eosdem. 

« Ista credunt predicti fratres posse sufficere, sed si aliqua videntur vobis addenda, 
parati sunt ordinare et facere observari, quidquam circa materiam istam mandabi- 
tis eis. 

« liane autem ordinacionem et oblacionem adeo dominus papa extulit, approba- 
vit et commendavit, tam coram cardinalibus quam alibi, ut firmiter suppono, qui- 
cumque ulterius contra nos eundem adierit circa premissa vel aliquod premisso- 
rum, pacietur repulsam, dummodo ordinata et oblata integrum ab eo sorciantur 
effectum. 

« Cum ergo ordini expédiât graciam domini pape et cardinalium conservare nec- 
non et cum prelatis et clericis pacem habere, de zelo vestro et discrecione gerens 
duciam pleniorem, dilectionem vestram alTectuose requiro et rogo ac vobis in 


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CHAPITRE V 


101 


suffiront; mais si Votre Sainteté juge utile d’y faire quelque addi¬ 
tion, ils se déclarent prêts à observer tout ce qui leur sera 
imposé *. » 

Maître Jean de Verceil, qui écrit ces détails au Provincial de 
Provence, Frère Jean de Valetica*, continue ainsi : « Cette ordon¬ 
nance et cette soumission complète transportèrent de joie le Sou¬ 
verain Pontife. Il les approuva; il en fît l’éloge en des termes si 
joyeux devant les cardinaux et ailleurs, qu’il me semble impossible 
désormais que quelqu’un puisse, avec succès, lui reparler de cette 
affaire, pourvu que nous soyons fidèles à notre propre ordonnance. 

« Aussi, comme l’Ordre est gravement intéressé à ce que nous 
conservions les bonnes grâces du Pape et des cardinaux et à ce 
que nous ayons la paix avec les prélats et les clercs, pleinement 
confiant en votre zèle, je vous prie affectueusement et je vous 
enjoins en rémission de vos péchés de faire observer avec scrupule, 
par les Prieurs et les Frères qui vous sont soumis, l’ordonnance 
susdite. Vous la porterez à leur connaissance dans le plus bref 
délai. Il n’y a pas lieu de se croire tellement surchargé par cette 
clause qui concerne les cas réservés; le recours à l’évêque se fait 
déjà presque par toutes les provinces 3 . » 


remissionem peccatorum iniungo, ut omnia premissa a prioribus et fratribus vestro 
commissis regimini faciatis exacta diligencia observari, ipsis eadem per vestras 
litteras, quam cito comode poteritis, intimantes. Nec eos gravare debet, quod 
requirendis episcopis et suis casibus reservandis eisdem superius est expressum, 
cum hoc fere in omnibus provinciis observetur de facto. 

« Nec caret pondéré quod supra dicitur requirere. Non enim necessitatem 
sequendi et obsequendi importât, quamquam hoc non sit omnibus divulgandum; 
nec eciam ex sequenti articulo debent molestari, quia licet nobis competat con- 
fessiones audire, et subditis parrochialium sacerdotum eorum assensu minime 
requisito vobis liccat confiteri; ut tamen vultum pecorum suorum curati agnoscant 
et servetur ordinacio concilii generalis, ut ad semel saltem in anno confitendum 
eisdem inducantur vel ab eis optineatur licencia aliis confitendi, consonat equitati; 
si tamen nostris monitis et exhortacionibus acquiescere recusarent, non ab hoc 
repellendi essent a nobis. 

« Quia insuper grave vidctur, ut capellani teneantur eukaristiam conccdere hiis, 
de quorum confessione sibi non constat, invitentur sacerdotes et ofleratur eisdem, 
quod parati sunt fratres ordinare modum, per quem certificari valeant de sibi con- 
fessis, et si non curaverint, erimus excusati. 

« Consentaneum est eciam racioni, ut in terris, in quibus solvi canonica de fune- 
ralibus consucvit, secundum consuetudinem vel tenorem composicionis solvalur, 
cum super hoc multa indulgencia nos defendat. A prestacione autem alicuius par¬ 
tis de legatis in multis casibus domini Clementis vel simpliciter domini Alexandri 
indulgencia totaliter nos tuetur. 

« Ceterum cum ex prcmissis et multis aliis favoribus nulla professio amplius, 
ut minus dicam, domino pape teneatur quam nostra. ipsum alTectuosius et fré¬ 
quences fratrum oracionibus commendetis. 

« Valete et orate pro me. 

« Datum Lugduni quarto non. novembris anno domini. m 0 .cc°.lxxiiii°. post conci- 
lium generale domini Gregorii pape decimi. » ( Lilter . Encycl p. 08, n° 27. Ed. Rei- 
chert. ) 

1 Ibid. 

* Elle fut adressée à tous les Provinciaux. 

3 Voir note ci-dessus. 


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102 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Et le Maître, qui prévoit dans l'Ordre de vives réclamations, peut- 
être des résistances, s'efforce d'y parer d’avance, en expliquant le 
sens précis des points les plus scabreux de l'ordonnance. 

« Les Frères, dit-il, ne doivent point se troubler de ce qui est 
imposé pour les confessions. Nous gardons le droit de confesser, 
même sans demander l’autorisation des curés; cependant il me 
semble conforme à l’équité que les curés connaissent la figure de 
leurs brebis et que, pour cela, on observe la constitution du con¬ 
cile général qui exige des fidèles qu’ils se confessent, une fois l’an, 
à leurs propres pasteurs, ou leur demandent de se confesser à 
d’autres. Mais si les fidèles ne veulent pas y consentir, il ne faut 
pas les refuser. 

« Il paraît aussi grave et difficile que les curés soient tenus de 
donner la sainte Eucharistie à des personnes qu’ils ne savent pas 
s’être confessées. Nos Prêtres seront donc disposés à délivrer un 
billet de confession, si on l’exige. 

« Il semble également conforme à la raison que, si les funérailles 
se font dans nos églises, nous payions aux curés la portion cano¬ 
nique d’usage. Aucun privilège ne nous en dispense. Quant au 
partage des legs qui nous sont faits, nous n’avons rien à craindre 
ni rien à accorder, car nous sommes abrités par les privilèges du 
Pape Clément et du Pape Alexandre. 

« Du reste, comme il apparaît par ce qui précède et par toutes les 
faveurs dont le Pape nous comble, aucun Ordre n’est aimé par 
lui plus que le nôtre, et c’est peu dire. Aussi veuillez le recom¬ 
mander plus affectueusement et plus souvent que jamais aux prières 
des Frères *. » 

Certes, Grégoire X avait lieu d’être satisfait de l’Ordre des Prê¬ 
cheurs. Nul ne pouvait accuser les Frères de manquer de condes¬ 
cendance. Ils venaient de la pousser jusqu’à ses extrêmes limites. 
Et je ne réponds pas qu’il n’y eût point parmi eux des mécontents. 

Peut-être moins menacés, mais suffisamment inquiets, les Mineurs 
adhérèrent pleinement aux déclarations pacifiques des Prêcheurs. 
Il fut donc possible à Grégoire X d’éviter aux deux Ordres des 
décrets conciliaires contre leurs privilèges et même contre leur 
existence. 

Le Vénérable Humbert réclamait, on s’en souvient, que les Ordres 
mendiants fussent réduits à un moindre nombre. C’était le vœu 
général, et beaucoup s’en prévalaient pour demander la suppres¬ 
sion de tous les Mendiants, Prêcheurs et Mineurs compris. 

Plus sage dans ses résolutions, le concile se contenta d’opposer 
une digue au flot montant des quêteurs. Il supprime radicalement 


1 Voir note p. 101. 


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CHAPITRE V 


103 


les Ordres fondés depuis le IVe concile de Latran et non confirmés 
par le Saint-Siège. Il supprime, par voie d’extinction, ceux qui ont 
été approuvés. Leurs maisons et leurs biens, selon le désir d’Hum¬ 
bert de Romans, sont affectés à la Terre Sainte ou à d’autres 
œuvres pies l . Exception absolue est faite pour les Prêcheurs et 
les Mineurs, dont le saint concile reconnaît l’évidente utilité; 
exception conditionnelle pour les Ermites de Saint-Augustin et les 
Carmes, dont le sort devra être fixé plus tard®. 

Tranquilles sur leur sort commun, Prêcheurs et Mineurs 
essayèrent de régler à l’amiable leurs différends de famille, car 
ils étaient loin d’un accord parfait. Sans doute, on s’aimait bien; 
mais comme on se heurtait partout, dans les chaires des églises 
et dans les chaires des Universités, dans les missions lointaines 
et dans les prédications quotidiennes à la cour romaine et à la 
cour des princes ; comme les besaces des quêteurs des deux Ordres 

1 « Parmi ces Ordres sacrifiés était celui des Servitcs de Marie. Mais ils avaient 
pour eux la Mère de Dieu et à leur tête saint Philippe Beniti. L’orale passa sans 
les détruire, mais non sans lutte. Cf. Vie des Sept Fondateurs de l’Ordre des Ser¬ 
viles de Marie, par le Père Soulier, ch. xxi. 

Ils furent approuvés par un Prêcheur, le pape Benoit XI, 11 février 1301. 

1 « Religionum diversitatem nimiam, ne confusionem inducerct, generale conci- 
lium consulta prohibitione vetuit. Sed quia non solum importuna petentium inhia- 
tio illarum postmodum multiplicationem extorsit, vcrum eliam aliquorum pra‘- 
sumptuosa tcmeritas diversorum ordinum, præcipue mendicantium, quorum non- 
dum approbationis meruere principium, elTrenatam quasi multitudincm adinvenit, 
repetita constitutione districtius inhibentes, ne aliquis de cætcro novum ordiiiem 
aut religionem inveniat, vel habitum novae religionis assumât. Cunctas alTatim reli- 
giones et ordines mendicantes, post dictum concilium adinventos, qui nullam con- 
firmalionem Sedis apostolicæ meruerunt, perpetuœ prohibitioni subiicimus, et 
quatenus processerant, revocamus. Confirmatos autem per Scdem eamdem, post 
tamen idem concilium institutos, quibus ad congruam sustciilationem reditus aut 
possessiones habere profcssio sive régula vel constitutiones quælibet interdicunt, 
sed per quæstum publicum tribuere victuin solet incerta meudicitas, modo subsis- 
tere dccernimus infrascripto : ut professoribus eorumdem ordinum ita liceat in ilia 
rcmanere, si velint, quod nullum deinceps ad eoruni professionem admittant nec 
de novo domum aut aliquem locum uequirant, nec donios seu loca quæ habent. 
alienare valeant, sine Sedis eiusdem lieentia speciali. Nos enim ea disposition! 
Sedis apostolicæ reservamus, in terræ sanctæ subsidium, vel pauperum, aut alios 
pios usus per locorum ordinarios, vel eos quibus Sedes ipsa commiserit, couver- 
tenda. Si vcro secus præfunctum fuerit, nec personarum receptio, nec domorum 
vel locorum acquisitio aut ipsorum cætcrorumque bonorum alienatio valeat ; et 
nihilominus contrarium facientes sententiam excommunicationis incurrant. Perso- 
nis quoque ipsorum ordinum omnino interdicimus, quoad extraneos, prædicationis 
et audiendæ confessionis officium, aut etiam sepulturain. Sane ad Predicatorum et 
Minorum Ordines quos evidens ex eis utilitas ecclesiæ universal! proveniens pcrhi- 
bet approbatos, præsentem non patimur constitutiouem extcndi. Cætcrum Carme- 
litarum et Eremitarum sancti Augustini ordines, quorum institutio dictum concilium 
generale præccssit, in suo statu manere coneedimus, donec de ipsis fuerit aliter 
ordinatum. Intendimus siquidem tam de illis, quam de rcliquis etiam non mendi- 
cantibus ordinibus, prout animarum saiuti, et eorum status cxpedire vidcrimus, 
providere. Ad hæc personis ordinum, ad quos constitutio prirscns extendijur, 
transeundi ad reliquos ordines approbatos liceutiam coneedimus generalem : ita 
quod nullus ordo ad alium, vel conventus ad conventum, se ac loca sua totaliter 
transférât, Sedis eiusdem permissione super hoc specialitcr non obtenta. » (Labbe, 
SS. Concilia, XI, p. 988-89.) 


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104 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


se cognaient aux mêmes portes et s’emplissaient aux mêmes 
sources, il arrivait que, oublieux de leur amour fraternel, Prê¬ 
cheurs et Mineurs se jalousaient, se disputaient, et quelquefois 
allaient jusqu’à se déprécier en public. 

Des faits regrettables s’étaient produits, qui réjouissaient leurs 
ennemis et scandalisaient les fidèles. 

A Marseille, toutes les têtes avaient pris feu. L’inquisiteur, Frère 
Maurin, de l’Ordre de Saint-François, s’étant rendu à la cour 
romaine pour quelques affaires de sa charge, deux prêtres, poussés, 
dit-on, par le Sous-Prieur des Prêcheurs et un de ses confrères, 
avaient porté contre lui, devant les tribunaux civils, les plus graves 
accusations. 

A les entendre, Frère Maurin, par ses procédés, mettait la ville 
sens dessus dessous et cherchait à la soustraire à Charles d’Anjou 
en faveur de Manfred, le prétendant de la maison de Souabe, que 
les Papes poursuivaient de leurs excommunications. Ces accusa¬ 
tions, tombées dans le public, avaient soulevé les passions popu¬ 
laires. Et comme les faits se passaient à Marseille, ils prirent 
d’énormes proportions. Si bien que le compagnon de l’inquisiteur, 
Franciscain de même, Frère Guillaume Bertrand, cita les deux 
prêtres à son tribunal et les condamna comme calomniateurs et 
parjures. Il cita également les deux Dominicains; mais ceux-ci, 
arguant de ce que la cause ne relevait pas de l’Inquisition, refu¬ 
sèrent de répondre. L’inquisiteur, irrité, les excommunia et fit 
publier par toute la ville cette sentence de déchéance. Les Domi¬ 
nicains en appelèrent au Pape. C’était à l’époque de Clément IV. Se 
mettant au-dessus des partis, le Pape rendit justice à chacun : les 
deux prêtres calomniateurs furent privés de leur bénéfice et incar¬ 
cérés; les Dominicains, qui avaient mis les mains à ces basses 
intrigues, durent demander pardon à l’inquisiteur et se rendre à 
Paris; Frère Guillaume, à son tour, qui n’avait pas respecté l’appel 
des Prêcheurs au Saint-Siège, et qui, par son imprudente sentence 
d’excommunication, avait causé ce bruyant scandale, fut sévère¬ 
ment blâmé l . 

Je prends cet exemple entre beaucoup d’autres, car ce ne fut pas 
le seul fait à regretter. 

Quelques jours après avoir infligé aux Frères de Marseille les 
pénitences susdites, Clément IV s’en prenait à ceux de Carcas¬ 
sonne, de Beaucaire et autres lieux de Provence. Il charge le 
Prieur et le Lecteur des Prêcheurs de Montpellier, le Gardien et le 
Lecteur des Mineurs, d’avoir l’œil sur les religieux de cette région : 
« On nous a rapporté de plusieurs côtés, dit Clément IV, que 

1 Cf. Bull. Ord., I, p. 474. B. Paupertatis altissime, 11 juin 1266; et B. Graves 
Fratrnm tuornm. (Bull. inéd.. I. 8 bis, n° 13. Ms. arch. Ord.) 


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CHAPITRE Y 


105 


quelques Frères se mordent en secret les uns les autres; que, 
môme dans leurs sermons aux clercs ou au peuple, ils se déchirent 
à belles dents 1 ... » 

Le baiser de Dominique et de François allait donc s’effaçant 
peu à peu. Aussi les Supérieurs Généraux des deux Ordres, Frère 
Jean de Verceil, Maître des Prêcheurs, et Frère Jérôme d’Ascoli, 
Ministre des Mineurs, le futur Pape Nicolas IV, voulurent le renou¬ 
veler. Unis au concile dans une même gloire, en la personne des 
cardinaux Pierre de Tarentaise et Bonaventure; unis également 
dans les mêmes travaux, puisque les docteurs des deux Ordres 
avaient participé aux mêmes joutes théologiques avec les Grecs; 
unis dans le même danger, puisque la menace d’extinction ou de 
suppression des privilèges les atteignait aussi rudement, ne con¬ 
venait-il pas de profiter de ces rapprochements providentiels pour 
resserrer les liens d’amitié et d’estime formés par leurs saints 
Fondateurs? Ils le crurent, et d’un commun accord ils rédigèrent 
la lettre suivante, telle que Jean de Verceil l’adressa aux Provin¬ 
ciaux de l’Ordre 2 . 


1 « Ægrc fcrimus et amaro merentium animo vobis admodum recensemus quod 
a multis nuper accepimus quosdam scilicet ex vestris Fratribus in tam illicitam 
prorupsisse licentiam ut invicem se occulte mordere, et quod est gravius, etiam in 
sermonibus ad clerum habitis vel ad plebem, verba elTunderc præsumpserint detra- 
ctoria in altcrutrius vestrorum ordinum... » (Bull. Ord., I, p. 476, 24 juin 1266.) 

1 « In Christo sibi karissimo fratri P. de Valetica, priori provinciali fratrum or- 
dinis predicatorum provincie Provincie, frater lohannes, fratrum eiusdcm ordinis 
servus inutilis, salulem cum sincere dilectionis alTectu. 

« Sacre religionis plantarium, ut fructus uberiorcs afFerat et divino gustui ofTe- 
rat dulciores, non solum convenit salutaribus monitis et exhortacionibus irrigari, 
verum id manum diligentis cultoris exquirit oportune discipline studio frutices 
infirmitatis humane, que in ipso interdum pullulant, sollicicius prescindentcm, ne 
si, quod absit, cuiusquam neglectu in ramusculos periculose succrescercnt, impedi- 
rent dampnosius, pro cuius profectu laboratum est diucius et sudatum. 

« Ecce, karissimi, divine pietatis immensités, que peccatores vcniens salvos 
facere neminem vult perire, et desiderans ofTerri sibi populum acceptabilem non 
habentem maculam ncque rugam, novissimis diebus beatissimos Dominicum et 
Franciscum tamquam diligentissimos operarios in mundum eodem tempore simili 
functuros officio destinavit. Quorum uterque fulgore sancti spiritus illustratus et 
calore succensus, ut sibi filii paterna imitantes vestigia nascerentur, ordinem insti- 
tuit, cuius professores potentes opéré et sermone, contra potcstates æreas sub 
assumptc professionis signis salutiferis colluctautes, hostium audacius repellentes 
insultus et deducentes ad nichilum spirituum potcncias malignorum ab crrore vie 
sue satagerent avertere peccatores et conversos in viam dirigere salutarcm. 

« Verum quia, si inter fratres utriusque professionis, qui discordantes debent ad 
unitatis fédéra reformare, alicuius turbacionis materia oriretur, in eorum perieu- 
lum, aliorum scandalum et animarum multiplex dispendium redundaret, venerabi- 
lis pater frater Ieronimus minister generalis prefati ordinis minorum et ego sanctis- 
simorum patrum vestigiis inherentes, qui semper in pacis vinculo utriusque ordinis 
professoribus procurarunt spiritus unitatem, quorum ex imposito nobis officio 
sumus, licet immeriti, successores, cupientes illis, per que possent incrementa vir- 
tuosarum arborum in ipsarum vel nostrarum religionum viridariis impediri, opor- 
tunis provisionibus communi paci ac famé consulere et aliorum profectibus provi- 
dere, communicato utriusque ordinis fratrum discretorum consilio, infrascripta 
duximus ordinanda. 

« Quoniam periculosum esse dignoscitur de sanctorum meritis disputare et ali- 


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106 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


« Pour que le jardin sacré de la religion produise des fruits plus 
abondants et plus exquis, il est nécessaire non seulement d’en 


quid amplius vel minus asserere de hiis quos Deus coronat, necnon et temerarium 
multitudini derogare, quicumque in derogacionem sanctorum altcrius ordinis vel 
gencralis vel universalis status ipsius scienter et publiée linguam suam presumpse- 
rit relaxare, severius puniatur et nichilominus dictum suum, prout priori et gar- 
diano loci illius (ipsius), ubi exinde scandalum fuerit exortum, videbitur, revocare 
vel alias emendare per suum prelatum cogatur. 

« Illud quoque summopere est cavendum, ne quis alicui novicio zelo attrahendi 
ad suum ordincm suadeat assumpte religionis egressum, et si quis sic illectus et 
attractus exierit, non recipiatur infra annum in ordine, cuius obtentu exivit, nisi 
de licencia illius ordinis, qucm reliquit. 

« Adhuc cum inter servos Dei, qui non est Deus dissensionis, sed pacis, aut 
nulle sint lites habcnde aut quam celerrime finiende, si inter fratres dictorum 
ordinum super nimia vicinitate vel impedimcntis locorum, per que loca eadem 
congrue edifficari non possunt, aliqua liligia sint cxorta, priores et ministri pro¬ 
vinciales, si super Hoc se duxerint requirendos, illuc infra duorum spacium pcrso- 
naliter accédant et postquam pcrvenerint, infra mensem ea concorditer studeant 
terminarc. Qui si in unam sentenciam concordare nequierint, très arbitros eligant 
infra mensem, qui questionem decidere teneantur, et quod très simul aut duo ex 
ipsis decreverint, firmiter observetur. Si vero predicti prior provincialis et minis- 
ter ex causis legitimis illuc commode non potuerint vel noluerint se conferre, 
committant aliquibus fratribus amatoribus pacis et concordie vices suas, qui pre- 
dicta iuxta formam scriptam infra pretaxatos terminos excquantur, et quidquid per 
eos vel arbitros electos ab ipsis ordinatun fuerit, robur obtineat linnitatis. 

« Et cum id, quod in Romana curia geritur, ad noticiam vicinorum et distan- 
cîum deferatur, ad communem oi*dinum famam servandam procuratores utriusque 
ordinis residentes ibidem ad instanciam aliquorum fratrum singularium aut con- 
ventus unius non moveant contra alium ordinem questionem seu a quocumque 
fratre moveri aut litteras impetrari permittant, nisi provincialis conquerencium 
cum conventu, cuius intererit, decreverit, an super illo, de quo agitur, velit inibi 
litigari, procuratori sui ordinis litteras super hoc direxerit spéciales. 

« Quia eciam ordinacionibus et inhibicionibus apostolicis est parendum, ne 
utriusque ordinis fratres ad constructionem monasterii, ecclesiæ vel oratorii locum 
præsumant accipere loco vicinum fratrum alterius ordinis infra. G. vel. 1. cannarum 
spacium, per sedem apostolicam pretaxatum, sine ipsorum licencia et assensu; 
rogamus tamen, quod ad talem graciam faciendain difficiles se non reddant, si ex 
disposicione situacionis loci nullum vel modicum eis preiudicium generatur. 

<• Preterea-, cum quis cavere debeat, ne alicui faciat, quod fieri sibi nollet, nec 
electionem sépulture alicuius persone apud fratres alterius ordinis, patris, matris, 
fratris et sororis personis dumtuxat exceptis, immutari nec legata eisdem relicta 
dimiuui per se vel per alium aliquis procurare présumât. 

« Attendant eciam siuguli, ne lionori sui ordinis improvide providentes in con- 
tencione et emulacione sermones preripiant vel impediant aliorum. 

« Insuper cum securius sit consilium et firmius iudicium, quod plurium senten- 
ciis approbatur, circa observacionem sentenciarum excommunicacionis et interdicti 
ab aliis quam a summo pontificc aut legatis sedis apostolice, quibus est deferen- 
dum simpliciter, prolatarum, que in dubium revocantur, inter fratres utriusque 
ordinis, collacione prehabita diligenti, requjsito eciam, si necesse fuerit, consilio 
sapiencium, quantum consciencia permiserit, uniformitas observetur. 

« Ceterum quia id, quod in tldei Christiane religionem committitur, in omnium 
noscitur iniuriam redundare, inquisitores heretice pravitatis nullus impediat vel 
perturbet, quin pocius et ipsi sibi mutuo et alii eisdem in prosequeione officii inde- 
fesse assistant» 

<« Cum igitur predicta velimus exacta diligcncia observari, et transgressores 
iuxta culparum exigenciam débita ulcionc puniri, de zelo vestro et discrecione 
gerens confidenciam pleniorem, dilectioni vestre in remissionem peccatorum iniungo, 
quatinus super predictis et aliis, que turbacionis discrimen consueverunt adducere, 
vestra suadeat diligencia cum efficacibus monitis et oportunis correctionibus taliter 
providere, ut ab inchoatis, si qua inveneritis, velocius et caucius recedatur. et 
similia nullus in posterum audeat attemptare. Et ut predicta in fratribus vestro 


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CHAPITRE V 


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arroser les plantes par de salutaires exhortations, mais de tailler 
les pousses sauvages que l'infirmité humaine développe outre 
mesure, de peur que, si Ton néglige ce soin, les sauvageons 
n’étouffent et ne détruisent le travail qui a coûté tant de sueurs. 

« Voici donc, très chers fils, que la bonté infinie de Dieu, qui 
venant sauver les pécheurs ne veut pas qu’il s’en perde un seul et 
désire se préparer un peuple saint, sans tache, sans souillure, a 
envoyé en ces derniers temps, à la même époque, deux ouvriers 
très actifs, les bienheureux Dominique et François, pour remplir 
le même ministère. Chacun d’eux, illuminé par le Saint-Esprit, 
rempli de son amour, voulant se constituer une famille gardienne 
et continuatrice de ses œuvres, a institué un Ordre religieux dont 
les fils, puissants en acte et en parole, luttent contre les forces 
adverses sous leurs étendards respectifs, refoulent les attaques des 
esprits mauvais, et, triomphant de leur perversité, ramènent les 
pécheurs dans la voie du salut. 

« Mais si, entre des Frères de même profession qui doivent mettre 
la paix autour d’eux, il s’élève quelque cause de discorde, il en 
résultera pour eux du danger, pour les fidèles du scandale, pour 
les âmes un dommage considérable. Aussi bien, le Vénérable Père 
Frère Jérôme, Ministre Général de l’Ordre des Mineurs, et moi, 
fidèles au souvenir de nos Pères très saints, qui ont voulu unir 
dans une même affection les Frères de leurs Ordres, et dont nous 
sommes, quoique sans mérite de notre part, par la charge qui 
nous a été imposée, les successeurs, désireux de donner une 
vigueur plus grande à nos deux Ordres, nous avons jugé utile, 
pour le bien commun de la paix et de notre renommée, après 
avoir pris l’avis des Frères les plus sages de chaque Ordre, de faire 
les ordonnances suivantes : 

« Article I. — Il est dangereux et téméraire de disputer sur les 
mérites des saints, d’accorder plus à celui-ci, moins à celui-là, 
encore plus de les déprécier. Si donc quelque Frère se permet, en 
public ou en particulier, ces témérités de langage, qu’il soit sévè¬ 
rement puni et que son Prieur ou son Gardien l’oblige à se 
rétracter. » 

Ce petit paragraphe, qui peut paraître singulier, a trait aux pré¬ 
tentieuses, violentes, interminables disputes sur la sainteté de 
saint François d’Assise. 


commissis régi mi ni optatum celerius sorciantur elTcctum, ad universos conventus 
vestre provincie transcription presencium vestri sigïlli roboratum munimine desti- 
netis, scicntes quod memoratus paler minisler generalis, eonsimiles litteras minis- 
tris provincialibus ordinis sui scripsit. 

« Valete et orate pro me. 

« Datum Lugduni, non. novembris anno Domini m°. cc°. lxxiiii 0 . *> ( Litter. Encycl., 
p. 100, n° 28. Ed. Reichert.) 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Ses fils, dans un excès d’amour plus passionné que rationnel, le 
plaçaient dans la gloire céleste bien au-dessus de saint Dominique, 
bien au-dessus de presque tous les saints. Quelques-uns préten¬ 
daient même que la pauvreté de François avait dépassé la pau¬ 
vreté du Christ. De là, des batailles sans fin entre docteurs, entre 
prédicateurs surtout, et chacun sait qu’au moyen âge, lorsqu’on 
avait quelque chose à dire, on le disait bouche ouverte! Parlant 
souvent sur les places publiques, en plein marché, aux pauvres 
gens des campagnes, les Frères, Prêcheurs et Mineurs, prenaient 
d’instinct leur langue un peu crue. Ces plaisanteries, qui piquaient 
au vif, tout en excitant le gros rire des assistants, entretenaient 
des rancunes scandaleuses. 

L’ordonnance susdite essaya vainement, — ai-je besoin de le 
dire? — d’y remédier 1 . 

« Article II. — On devra éviter d’attirer dans son Ordre, par un 
zèle inconsidéré, des novices déjà entrés dans l’autre. Le novice 
qui se sera laissé prendre à ce manège devra attendre un an avant 
d’être accepté, à moins d’avoir obtenu la permission de l’Ordre qu’il 
a quitté *. » 

Ces transfuges n’étaient point rares. De nombreuses bulles des 
Papes interdisent le passage d’un Ordre dans un autre, et dans les 
Actes des Chapitres généraux on relève souvent des défenses 
semblables. C’était une source de querelles. Car il est évident que 
ces sollicitations étaient intéressées. Derrière le novice que l’on se 
disputait, il y avait des avantages ou d’argent ou d’influence que 
l’on recherchait trop 3 . 

« Article III. — Entre les serviteurs d’un Dieu qui n’est point un 
Dieu de discorde, mais de paix, on doit fuir toutes les dissensions. 
Si par hasard il s’en présente, à cause du trop grand rapproche¬ 
ment des couvents qui empêcherait de se développer mutuellement 
à l’aise, les Prieurs et les Ministres provinciaux se transporteront 
sur les lieux, et, dans l’espace d’un mois, s’efforceront de trouver 
un arrangement. S’ils ne parviennent pas à s’entendre, ils choisi¬ 
ront trois arbitres et devront s’en tenir à leur sentence. Au cas 
où les Provinciaux ne pourraient par eux-mêmes traiter cette 


* Cette attitude fraternelle et batailleuse tout à la fois me rappelle un fait 
authentique qui m’a été raconté presque immédiatement après l’incident. 

Le T. R. Père M. Kaiser, Postulateur de l'Ordre, vit un jour deux gamins ita¬ 
liens qui se donnaient une ràclée bien conditionnée. Homme pacifique s’il en fut, 
le bon Père s’approche et veut séparer les combattants. L’un d’eux, le plus fort, 
sans cesser de faire aller les poings, tourne vers lui sa petite mine ébouriffée et lui 
dit : « Mais qu’cst-ce que cela peut bien vous faire! nous sommes frères! Siamo 
fratclli!... » Tels les Prêcheurs et les Mineurs! 

* Voir note p. 106. 

3 Bull. Ord., I, p. 491, B. Quo vos in Christo, 3 janvier 1268; p. 495, B. Lecta 
nohis, 6 juillet 1268. 


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CHAPITRE V 


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affaire, ils nommeront des délégués qui suivront le même mode 
d’accommodement 1 . » 

Grave question s'il en fut, au moyen âge. Comme les couvents 
se multipliaient, et, à raison du grand nombre de leurs habitants, 
exigeaient de vastes terrains, il arrivait que Prêcheurs et Mineurs 
se gênaient réciproquement. Chacun voulait s’étendre à volonté, 
convoitait le terrain voisin ; d'où des disputes qui n’étaient point 
édifiantes. Les Papes mêmes durent s’en mêler pour mettre la 
paix entre ces maisons rivales. Ainsi Clément IV avait accordé 
aux Prêcheurs que nul, religieux ou non, ne pourrait établir un 
couvent ou une église à moins de trois cents cannes de distance 2 , 
c’est-à-dire plus de six cents mètres 3 ; mais dans la suite il revint 
sur cette concession, qui avait paru nuisible aux intérêts des 
autres Ordres, et restreignit la distance de moitié 4 . 

« Article IV. — Ce qui se traite en cour de Rome est ordinai¬ 
rement colporté un peu partout. Afin d’éviter des indiscrétions 
capables de diminuer la bonne réputation des deux Ordres, leurs 
Procureurs Généraux résidant à la Curie s'abstiendront de pour¬ 
suivre devant le Saint-Siège les affaires qui leur seront déférées 
par de simples religieux ou des couvents particuliers contre l’un 
ou l'autre des deux Ordres, à moins qu’ils n’aient reçu, par écrit, 
un avis du Supérieur provincial. 

« Article V. — Les Généraux reviennent sur la distance à main¬ 
tenir entre les couvents et disent : « ... Nous devons obéir aux 
Ordres du Saint-Siège et ne pas bâtir nos maisons à moins de 
cent ou cinquante cannes d’éloignement. Cependant, s’il n’y a pas 
d’inconvénient réel, on pourra se faire facilement des concessions. 

« Article VI. — Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas 
que l’on fasse à vous-mêmes. D’après ce principe, les Frères ne 
feront jamais changer le lieu de sépulture que quelqu’un aura choisi 
dans les églises des deux Ordres, à moins qu'il ne s’agisse d’un 
père, d’une mère, d’un frère ou d’une sœur. Que personne non 
plus n’ait l’audace de faire réduire les legs laissés à l’un ou à 
l’autre des deux Ordres. » 

On se rencontrait parfois au chevet d'un même ami, d’un même 
bienfaiteur. Beaucoup de fidèles, comme Clément IV, partageaient 
leur affection entre les deux Ordres. Un jour, interrogé par un 
séculier qui désirait se faire religieux et restait indécis entre les 
Prêcheurs et les Mineurs, Clément répondit : « ... Nous laissons 
le choix à ta conscience. Tu sauras facilement que les observances 


1 Voir note p. 106. 

1 Bull. Ord., I, p. 466. B. Ad consequendam, 25 novembre 1265. 
3 La canne avait 2 ra ,23. 

* Bull. Ord., I, p. 495. B. Quia plerumque, 28 juin 1268. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERGEIL 


des deux Ordres sont différentes. Dans l'un le lit est plus dur, la 
pauvreté plus complète; dans l'autre, la nourriture est plus par¬ 
cimonieuse, les jeûnes plus longs, et, à ce que l’on dit, la disci¬ 
pline plus sainte. Nous ne préférons pas l'un à l’autre. Fondés 
tous deux sur une seule et entière pauvreté, ils tendent tous deux 
au même but, qui est le salut des âmes. Que tu choisisses l'un ou 
l’autre, tu es sûr d’entrer par une voie étroite dans la terre où 
coule le miel et qui n’a point de limite. Pense donc, réfléchis, vois 
ce qui te plaît le mieux; mais attache-toi à l’un de manière à ne 
pas séparer ton cœur de l'autre. Car un Prêcheur qui n'aime pas 
un Mineur est exécrable, et le Mineur qui hait ou méprise l’Ordre 
des Prêcheurs est exécrable et condamnable 1 . » 

Les deux Généraux réclament de leurs religieux cette même 
bienveillante neutralité. Qu’ils laissent leurs amis communs se 
décider eux-mêmes pour le choix de leur sépulture; qu'ils ne 
pèsent pas sur leurs dispositions testamentaires! 

<( Article VII. — Les Frères voudront bien s'abstenir de s’arra¬ 
cher les uns aux autres les prédications. » 

Cette défense n’a pas besoin de commentaires. 

« Article VIII. — Au sujet des sentences d’excommunication 
et d’interdit autres que celles portées directement par le Souverain 
Pontife ou ses légats, auxquelles on doit se soumettre sans con¬ 
teste, les Frères des deux Ordres s’entendront ensemble, avec le 
conseil des hommes les plus sages, pour tenir la même ligne de 
conduite. » 

Aujourd'hui ces préoccupations ne nous disent que peu de chose. 
Mais, à cette époque, c’était une question pratique de tous les 
jours, grosse d’ennuis et de difficultés. 

1 « Clemens Episcopus, Servus Servorum Dei, dilecto filio N... militi, salutem, 
et apostolicam Benedictioncm. 

« Quæris a Nobis consilium, quod apud te rectius poteris invenire; Si enim tibi 
Dominus inspiravit, relicto seculo, vitæ frugem appeterc mêlions, Dei Spiritum 
sicut nec possumus, sic nec volumus prohibere, præsertim cum filium habeas bene 
disciplinatum, ut credimus, qui tuæ domui sciet providerc. Quod si proposito non 
mutato sciscitaris ulterius, quem 1 ibi ex Fratrum Prædicatorum, et Minorum Ordi- 
nibus præeligendum credimus, id præeipuc conscientiæ tuæ relinquimus. Magis 
enim tu scire poteris utriusquc Ordinis observantias, quæ non sunt pares in omni¬ 
bus, sed in diversis articulis excedentibus, et cxcessæ. Alterius quidem illorum 
Ordinum lectus est durior, nuditas gravior, et, ut nonnulli judicant, paupertas 
profundior : Et alterius cibus parcior, longiora jejunia, et, ut quamplures autumant, 
sanctior disciplina. Neutrum ergo neutri præferimus, sed in una, et arctissima 
paupertate fundatos ad unuin tendere credimus, Salutem, scilicet, animarum. Et 
ideo sive hune, sive ilium elegeris, arctam viam aggredieris, et per portam intrabis 
angustam ad terrain mellifluam, et præ ceteris spaLiosam. Unde apud te pondéra, 
hoc diligenter adverte. quis magis animo tuo placeat., quemque speres melius por- 
taturum. Et sic uni conversacionc adhæreas, ut amore ab altero non recédas. Fra- 
ter enim Prædicator. qui Minores non diligit, est execrabilis. Frater Minor, qui vel 
odit Prædicatorum Ordinem, vel contemnit , est execrabilis,'et damnandus. Datum 
Perusii xiii kalendas Maii , Pontificalus nostri anno Secundo. » (Bull. Ord., I. 
p. 474.) 


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CHAPITRE V 


111 


L'interdit, en particulier, jouait un grand rôle dans les affaires 
politiques ou municipales, qui touchaient de près ou de loin aux 
personnes ecclésiastiques. Observer l'interdit jeté par un légat, 
par un évêque ou tout autre prélat ayant droit, c'est-à-dire fer¬ 
mer les portes de son église, s'abstenir des cérémonies du culte, 
de l'administration des sacrements, toutes mesures vexatoires qui 
blessaient au vif les fidèles en les privant des satisfactions que 
réclamaient leur foi et leur piété, c'était prendre position publi¬ 
quement pour son auteur. Si dans une même ville, comme il arri¬ 
vait presque toujours, il y avait des divisions, des luttes entre 
les citoyens, on s’exposait par là même à la haine et aux repré¬ 
sailles du parti le plus fort. Nous verrons plus loin, dans l'affaire 
de Strasbourg, sous Maître Munio de Zamora, combien les deux 
Généraux avaient raison de demander à leurs religieux de s'en¬ 
tendre sur l'observation de l'interdit. 

« Article IX. — Ce qui est commis contre la foi chrétienne est 
une injure pour tous les chrétiens. Personne n’empêchera donc ni 
ne troublera les inquisiteurs délégués contre l'hérésie; mais, bien 
au contraire, les Frères des deux Ordres, inquisiteurs ou non, se 
prêteront volontiers un mutuel concours contre les ennemis de la 
foi. » 

Ce petit paragraphe a trait à une situation extrêmement tendue 
entre Prêcheurs et Mineurs. Le Saint-Siège évitait de mettre des 
inquisiteurs des deux Ordres dans les mêmes provinces, mais pas 
assez régulièrement pour empêcher tout conflit. Ces gendarmes de 
l'Église n’étaient pas tous des saints; tous ne professaient pas ce 
désintéressement absolu qu’exigeait une si grave fonction. Des 
intérêts privés, des relations d'amitié, des influences personnelles 
pouvaient facilement intervenir pour ou contre dans les nombreux 
procès qui ressortissaient à leur tribunal. La porte était ouverte 
à deux battants à toutes les disputes. 

Aussi le Pape Clément IV, à propos de la discorde scandaleuse 
soulevée à Marseille, en 1265, interdit absolument aux Prêcheurs 
de citer à leur tribunal les Mineurs, et aux Mineurs de citer les 
Prêcheurs. Si l’un d’entre eux était suspect ou coupable d'hérésie, 
il fallait le dénoncer à son supérieur, ou au Saint-Siège. Tout 
procès d’inquisition entre les deux Ordres était nul et non avenu. 
Et si, à cause de cette sorte d’exemption, quelques Frères s’avi¬ 
saient de troubler le ministère des inquisiteurs, ils devenaient 
suspens ipso facto. La même peine atteignait leur supérieur immé¬ 
diat, s'il s’était montré négligent à les corriger 4 . 

1 « Ceterum ne similia presumantur in posteruni et scissura prædictorum ordi- 
num augeatur, prohibcmus omnino ne frater Predicator contra fratrem Minorem, 
vel frater Minor contra fratrem Predicatorem, ex commisso, vcl committendo in 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


La circulaire de Maître Jean de Verceil et de Frère Jérôme 
d’Ascoli se termine par une vive exhortation à la pratique de ces 
diverses ordonnances. Il est certain que leur effort était généreux, 
digne de toute louange, et que, si les Frères Prêcheurs et les 
Frères Mineurs, au lieu de se diviser, s’étaient unis plus étroite¬ 
ment, leur action, déjà si puissante dans l’Église, eût été plus 
fructueuse. Mais, après ce baiser de paix, Prêcheurs et Mineurs 
retournèrent à leurs œuvres et... à leurs batailles. 

Le concile de Lyon se ferma sur un acte de dévotion et de 
respect au Nom très saint de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 

Après avoir demandé que les églises soient traitées avec plus 
de révérence, que le silence y soit observé, que Ton en bannisse 
les conversations bruyantes, les réunions universitaires, les assem¬ 
blées communales, les discours profanes et même les foires et les 
marchés, le saint concile réclame un respect plus attentif et plus 
profond pour le très saint Nom de Jésus. Chaque fois qu’on le 
prononcera, surtout pendant la célébration de la Messe, on devra 
incliner pieusement la tête en signe extérieur d’adoration pour ce 
Nom, qui fait fléchir le genou au ciel, sur terre et dans les enfers*. 

Ce décret fut porté à la demande de Grégoire X. Lui-même 
voulut le rendre efficace et adressa à Maître Jean de Verceil une 
lettre où il lui recommande d’insister avec autorité auprès de ses 
religieux, afin que, dans leurs prédications, ils répandent partout 
cette pieuse pratique. Le bienheureux Père en écrivit à tous les 
Provinciaux. Il leur transmet la bulle du Pape et leur enjoint de 
s’y conformer 2 . 


poslerum inquisitionis officio hujusmodi, quantumque sciât aut estiraet cum reum, 
aliqua ratione procédât, scd vel eumdem superiori denunciet, quando crediderit, 
corrigendum , vel ad sedem Apostolicam référât, si maluerit et vidcrit expedire. 
Et si secus aüentatum fuerit, processum hujusmodi declaramus et decernimus non 
tenere. Ne tamen ex hoc malis detur audacia, clam vel palam officiuni inquisitionis 
perturbandi omnes fratres utriusque ordinis, qui scicntes hoc fecerint, ab omni 
Sacrorum Ordinum executione suspendimus et immediatus Prelatus eorum similiter 
si hoc sciens punire neglexerit, vel si afTectaverit ignorantiam. pena simili tenea- 
tur... » (Bull. Ord., I. p. 475. B. Pnuperlalis allissime, 12 juin 1266.) 

1 Labbe, SS. Concil., X. p. 994. 

* « In Christo sibi karissimo fratri P. de Valetica, priori provinciali fratrum 
ordinis predicatorum in provincia Provincie, frater Iohannes, fratrum eiusdeni 
ordinis scrvus inutilis, salutem in Domino sempiternam. 

« Noveritis me récépissé litteras sanctissimi patris summi pontiflcis in hec 
verba : 

« Gregorius episcopus servus servorum Dei dilecto filio magistro ordinis fratrum 
predicatorum salutem et apostolicam bencdictionem. 

« Nuper in concilio Lugdunensi duximus statuendum, ut ad ccclesias humilis et 
devotus ingressus sit et in eis quieta conversacio, Deo grata, inspicientibus placida, 
que considérantes non solum instruat, sed rcficiat convcnicntes ibidem. Nomen 
illud, quod est super omne nomen, a quo aliud sub celo non est dalum hominibus, 
in quo salvos fieri credenles oporteat, nomen videlicet Ihesu Christi, qui salvum 
faeit populum suum a peccatis eorum , exhibicione reverencie specialis attollant, 
et quod generaliter scribitur, ut in nomine Ihesu omne genu flectetur, singuli sin- 


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CHAPITRE V 


113 


Cette bulle est l’origine, dans l’Ordre des Prêcheurs, de la 
dévotion spéciale, toute familiale, au saint Nom de Jésus, qui devint 
rapidement une confrérie répandue dans le monde entier. Elle est 
demeurée le patrimoine de l’Ordre de Saint-Dominique l . 

Maître Jean de Verceil quitta Lyon vers la fin de Tannée 1274. 
Il pouvait rendre grâces à Dieu. Pendant le concile il avait vu 
l’iniluence de son Ordre si extraordinaire, si éclatante, qu’il avait 
jugé utile de la voiler discrètement. Et ce qui, sans aucun doute, 
avait réjoui davantage son cœur de supérieur et de père, fut de 
voir ses fils, même les pontifes les plus élevés en dignité, comme 
Frère Pierre de Tarentaise, et les docteurs les plus fameux, 
comme Frère Albert le Grand, donner les marques les plus évi¬ 
dentes d’une sainteté admirable. 

« Pourquoi me faites-vous tant de révérences? lui disait le car¬ 
dinal Pierre de Tarentaise, ne suis-je pas un de vos enfants *? » Et 
cet évêque irlandais qui le suppliait avec larmes de lui permettre 
de faire sa coulpe au Chapitre. Il en avait l’habitude dans sa ville 
épiscopale, où il ne manquait jamais d’accuser ses fautes devant 
les Frères, dont il conservait la direction tout en étant évêque. 
Le Maître ne le permit pas. Et le saint vieillard attristé fut pris 
de langueur et s'éteignit à l’infirmerie du couvent 3 . 


gulariter in seipsis implentes , specialiter dum aguntur missarum sacra misteria, 
gloriosum illud nomen quandocumque recoütur, flectant genua cordis sui, quod 
capitis inciinacione testcntur. Ideoque discrecionem tuani rogamus et hortamur 
attente per apostolica tibi scripta mandantes, quatinus tu et fratres tui ordinis, 
cum vos populis proponere contigerit verbum dei, populos ipsos ad premissa efli- 
cacibus racionibus inducatis, ita quod proinde retribucionis divine premium possi- 
tis merito promereri. 

« Datum Lugduni XII kal. octobris pontificatus nostri anno 111°. 

« Cupientes igitur honorem divinum extollere et apostolicis obedire mandalis, 
et proximos promovcre ad devocionis augmentum, dilectionem vestram requiro et 
rogo et eidem licet ex habundanti tenore prcsencium mando, quatinus beneplaci- 
tum memorati domini pape personaliter exequentes, ordinacionein eiusdem a pre- 
dicatoribus vestro commissis regimini faciatis cum oporlunis persuasionibus exacta 
diligentia predicari. 

« Valete, orate pro me. » 

« Datum Lugduni I1II non. novembris anno domini m°.cc 0 .lxxiiii°. post conci- 
lium generale Gregorii pape decimi. » ( Litter . Encycl., p. 95, n° 26. Ed. Reicherl.) 

1 L'Ordre de Saint-Dominique a sous sa garde et son administration canonique 
trois grandes confréries : le Très Saint Sacrement, le Très Saint Nom de Jésus et 
le Très Saint Rosaire. Ce sont ses biens de famille. 

* « Petrus aulcm cardinalis a Joanne Magistro nonunquum verbo et opéré reve- 
renter, ut par erat, humiliterque exceptus, eumdem, humilitatis et ipse virtute ful- 
tus, prohibere solebat dicens : » Vide, ne feccris, magister optime, conservus enim 
tuus sum et fratrum tuorum. » (Sébastien de Olmedo, Chron. Ms. arcli. Ord.) 

3 «« Inter eos auteni episcopos de Ordine Predicatorum assumptos qui in prefato 
Concilio Generali interfuere fuit unus frater Hibernus humilis et dévolus qui mul- 
tis annis rexit simul cpiscopatum et prioratum fratrum in civitate sua, et venienti- 
tibus ex more prioribus et provincialibus et visitatoribus ad conventum, intrabat 
cum eis et ipse capitulum, et sicut de justo scriptum est primo accusans se deinde 
accusantes et accusationes humiliter audiebat et reverenter penitentiam injunctam 
suscipiebat. Ilic venit Lugdunum ad concilium generale, cumque ibidem consistens 

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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


multis prccibus apud Magistrum Ordinis institissel quod culpe ejus sicul eeterorum 
fratrum in Capitulo audirentur, nec a Magistro in hoc exaudirctur : pulsari 
modica febre se scntiens ad infirmitorium fratrum mox venit et illic saqcte migrans 
in vigilia Domini ascendit in celum anno prefato Domini 1274. » (Taegio, Chron. 
ampliss. Ms. arch. Ord.) 


BIBLIOGRAPHIE 


M. Bonucci, Istoria del Pontefice Ottimo, Massimo, il B. Gregorio X. Rome, 
1711. 

De Colonia, S. J., Histoire littéraire de la ville de Lyon. 1728. 

P. Mothon, O. P., Vie du Bienheureux Innocent V. Rome, 1896. On y trouvera 
une bibliographie très complète sur ce personnage. 

P. Mothon, Vita del Beato Giovanni da Vercelli. Verceil, 1903. 

Année dominicaine , 7 mars. Ed. Jevain. 

Héfélé, Histoire des Conciles. 

Daumon, Histoire littéraire de la France , XIX. 1838. 

P. Piacenza, Compendio délia storia del B. Gregorio X , Papa. 1876. 

Hier. Rubeus, Vita Nicolai IV, papæ. Pise, 1761. 


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CHAPITRE VI 


LA DOCTRINE DE SAINT THOMAS 


Saint Thomas d’Aquin avait rendu son âme à Dieu, le 7 mars 1274. 
Avant de l’ensevelir, son compagnon de route, Frère Réginald, 
qui avait pour le grand Docteur une vive affection et une vénéra¬ 
tion profonde, lui enleva le cordon mystérieux dont les Anges 
avaient ceint sa chair virginale. Le fait s’était passé au château 
de San Giovanni, alors que, à peine vêtu de l’habit des Prêcheurs, 
Frère Thomas, enfermé par sa famille, avait dû subir, outre les 
assauts de l’amour des siens, les tentatives les plus criminelles 
contre sa vertu. Armé d’un tison enflammé, l’héroïque jeune homme 
avait chassé la malheureuse créature. Et des Anges, envoyés par 
Celui qui veillait sur l’honneur du futur docteur universel de 
l’Église, l’avaient prémuni à jamais de toute révolte des sens par 
ce symbole de combat 1 . L’athlète se ceint pour la lutte. 


1 « Qui cum propter dictam injuriam non posseut ipsum evcrtere, cogitaverunt 
per aliud genus impugnationis evincere quo turrcs concuti, saxa molliri et cedri 
Libani consueverunt tenipeslate sufTodi. In quo cunctos invenimus fmgiles, sed 
paucos præ diffîcultate victores. Nam miserunt ad ipsum solum existcntem in 
caméra, in qua sub tali custodia dormiebat, puellam pulcherrimam cultu meritri- 
cio perornatam, quœ ipsum aspectu, tactu, ludis, et quibus posset aliis modis alli- 
ceret ad peccandum. Quam cum vidisset pugil invictus qui sibi jam Dei sapientiam 
sponsam acceperat, cujus amore flagrabat et sentirct in se carnis insurgere stimu- 
lum quem semper tenucrat sub ratione subjectum hoc permittente providcntiæ 
divinœ consilio, ut gloriosior de certamine sibi triumphum exurgeret, accepto de 
camino in spiritu titionc, juvcnculam cum indignatione de caméra expulit, et 
accendens in spiritus fervore ad angulum cameræ signum crucis in pariete cum 
summitate titionis impressit, et prostratus ad terrain cum lacrymis a Deo petivit 
orando perpetuæ virginitatis cingulum quod servare sibi in pugna concesserat 
incorruptum. Qui cum hæc orando cum lacrymis subito obdormisset, ecce ad cum 
duo angeli cœlitus missi sunt qui asserentcs eum a Deo exauditum et de pugna 
tam difficili obtinuisse triumphum cingentes ipsum hinc inde in rcnibus dixerunt : 
Ecce ex parte Dei te cingimus, quod pelivisti, cingulo castitatis quod nulla poterit 
de cœtcro impugnatione dissoivi, et quod humanœ virtutis haberi non potest ex 
merito tibi conceditur divinæ largitatis ex dono. Cujus cinguli in se nunquam 
sensisse fracturam certum fuit, ut dicetur inferius et suorum confessorum in obitu 
attestationc compertum. Nam suam virginitatem quam in tam gravi pugna servavit 
invictam usque ad suum obitum sentire non potuit violatam... In qua constrictione 
angelici tactus cum dolorem sensibilem percepissct, excita tus est cum ciamore, et 


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110 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Celte précieuse relique, Frère Réginald ne voulut point la laisser 
aux moines de Fossa-Nuova. Il la porta à Maître Jean de Verceil. 
Celui-ci retournant en Italie, pour célébrer à Bologne, en 1275, 
le Chapitre général, passa par Verceil et déposa le cordon mira¬ 
culeux au couvent des Prêcheurs. On l'y conserva avec dévotion 1 
jusqu’à la suppression du couvent par Napoléon L‘ r , en 1802. L’un 
des religieux, le Père Benedetto Caramelli, dernier.Prieur de Ver¬ 
ceil, emporta la sainte relique. En 1821, le couvent de Chieri, près 
de Turin, ayant été rétabli par décret de Charles-Félix de Savoie, 
il y reprit la vie commune avec d’autres de ses confrères et fit don 
à cette maison de son précieux dépôt*. Il y est resté depuis, entouré 
des plus grands honneurs 3 . 

Mais Jean de Verceil avait la garde d’un dépôt encore bien plus 
précieux que ce cordon angélique, aussi saint fût-il. Frère Thomas 
d’Aquin léguait en mourant, à son Ordre et à l’Eglise entière, le 
trésor de sa doctrine. 

Voici ce qu’en écrivait, au lendemain de sa mort, la Faculté des 
arts de Paris : 

« Aux Vénérables Pères dans le Christ, le Maître et les Pro¬ 
vinciaux de l’Ordre des Prêcheurs et à tous les Frères réunis au 
Chapitre général de Lyon, le Recteur de l’Université de Paris, 
les Procureurs et les autres Maîtres régents actuels dans les arts, 
salut en Celui qui dispose toutes choses heureusement et gouverne 
avec sagesse l’univers entier. 

« Nous pleurons avec douleur la perte immense que vient de 
faire l’Eglise universelle et la désolation qui atteint l’Université 
de Paris, et nous avons choisi ces jours pour mêler nos larmes aux 
vôtres. Hélas! qui nous donnera les gémissements de Jérémie, 
pour redire notre stupeur, l’angoisse intime qui nous a saisis, comme 
frappés à mort? Nous l’avouons, à peine pouvons-nous l’exprimer. 


quærentibus ad quid clamasset revelare noluil donum divinitus sibi datum, sed 
mauifcstandum usque ad suuin obitum conservavit occultum. Quod tamcn suo 
socio Rayualdo revelavit qui ad laudem Dei et revelationem sancti pluribus reve- 
lovit ad cxemplum. O feli.x clausura carceris, in qua lanlus intelligentiæ splcndor 
illuxit ! O salutares compedes qui lot contulerunt contemplanti cœlestia libertates! 
O feli.x ex Victoria fortis in publia tentatio quam cum hostis concludere conabatur 
ad casum surrexit divina assistentia in triumphum ! O expressa matura indicia 
meritorum sanctitalis et vitæ . ut ex ulraque parte vitaî sensibilis impugnatus, 
pugil invictus, hinc deliciis, inde injuriis nec emolliri potuerit, nec allidi! O virilis 
pugil et invictus tyro, qui antiquo familiari devicto satellite, de tain difticili pugna 
insolitam reportavit victoriam, dignus de cœtcro reportare coronam! O felix viator 
et hospes sæculi qui factus est ex Victoria civis cœli, qui suos videre meruit divina 
dispensatione concives. Cui angeüca socielas dnm castitate cingitur non negatur 
qui meruit tieri puritate angelicus dum pugnavit de sua virginitate terrenus. »» 
(Frère Guill. de Tocco, Vita S. Thomæ Aquinalis , n° 11. Acta SS. I Martii.) 

1 Cf. Fr. Devrwcrders, Militia angelica D. Thomæ. Louvain, 1G59. 

2 Mothou, op. cil., p. 585. 

3 Ibid. Cf. Fr. Devrwcrders, op. ait. 


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CHAPITRE VI 


117 


L’amour nous ferme les lèvres, et la douleur qui nous étreint nous 
force à les ouvrir. 

« Nous avons appris par la rumeur publique que le vénérable 
Docteur, Frère Thomas d’Aquin, avait été ravi à ce siècle. Qui 
pourrait croire que la divine Providence a laissé s’éteindre cet 
astre du matin dont la lumière dissipait les ténèbres du monde, 
ou, pour dire avec plus de vérité, ce grand luminaire qui présidait 
au jour? Le soleil lui-même n’aura-t-il pas voilé l'éclat de sa 
splendeur en voyant l’Église privée d’une si brillante lumière? Et 
quoique nous n’ignorions pas que l’Auteur de la nature ne l’avait 
prêté au monde que pour un temps; cependant, appuyés sur les 
principes des anciens philosophes, nous pourrions dire que la nature 
elle-même paraissait l’avoir donné pour éclairer ses profondes 
obscurités. Mais à quoi bon ces phrases? Nous vous avions prié, 
au Chapitre de Florence, avec les plus vives instances, de rendre 
Frère Thomas à notre Université, et nos prières n’ont point eu de 
succès. Aujourd’hui, le souvenir de celui qui a été un Clerc si 
grand, un Père si grand, un Docteur si grand, ne nous laisse pas 
ingrats. Affectueusement attachés à lui, nous vous prions de nous 
rendre mort celui que nous n’avons pu posséder vivant; nous vous 
demandons, comme une faveur insigne, ses ossements précieux, 
car il est tout à fait indécent et indigne qu’un autre lieu que Paris, 
cette cité très noble de toutes les études, qui l’a instruit, qui l’a 
nourri, qui l’a tant aimé, et qui, dans la suite, a reçu de lui la 
nourriture ineffable de la doctrine, garde et conserve sa dépouille 
mortelle. Si l’Église honore avec raison les ossements et les 
reliques des saints, il nous paraît honnête et saint que le corps 
d’un si illustre Docteur soit entouré de vénération, afin que 
la mémoire de celui dont les écrits perpétueront parmi nous la 
gloire, demeure, près de son tombeau, dans les cœurs de nos 
successeurs, toujours plus vivante. 

« Dans l’espoir que vous ferez bon accueil à notre humble sup¬ 
plique, nous vous prions de vouloir bien nous communiquer les 
œuvres philosophiques que le saint Docteur a commencées à Paris, 
et qu’il a terminées depuis, en particulier, sur le livre de Simpli - 
dm y le De Celo et Mundo, Y Expositio Tymei de Platon, et le livre 
De Aquarum conductibus et ingeniis erigendis . Il nous avait pro¬ 
mis de nous les envoyer. S’il a composé d’autres œuvres ayant 
trait à la logique, nous les demandons à votre bonté, comme nous 
les lui avions demandées à lui-même avant son départ de Paris. 

« Vous connaissez les dangers auxquels nous sommes exposés 
dans ce monde mauvais; aussi nous nous recommandons frater¬ 
nellement à vos prières, afin que, dans votre Chapitre, vous ayez 
un souvenir spécial pour nous. 


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118 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


« Nous avons voulu mettre sur cette lettre les sceaux du Rec¬ 
teur et des Procureurs. 

« Donné à Paris, l’an du Seigneur 1274, le mercredi avant 
l’Invention de la sainte Croix 1 . » 

Cette lettre des Maîtres de Paris, dont on se rappelle l'intense 
jalousie, était à citer comme le plus noble hommage à renseigne¬ 
ment de saint Thomas d’Aquin. La célèbre Université, — qui ins¬ 
truisait toute l’Église, — lière d’un tel Maître, voulait posséder 
jusqu’à ses ossements. 

* « Venerabilibus in Christo patribus, magistro et provincialibus Ordinis fratrum 
predicatoruin ac universis fratribus congregatis in Capitulo gcnerali Lugduni rector 
Univcrsitatis Parisiensis et procuratorcs ceterique magistri Parisius actu régentes 
in artibus saluteni in eo qui salubriter uni versa disponit et sapienter toti providet 
universo. Singultuoso e la more totius eeclesic universale dispendium neenon et 
Parisiensis studii manifestam desolationem lacrimabiliter deplanginnis, et bis die- 
bus preelegimus in communi non immerito dcplorarc. Heu, quis det nobis, ut 
représentais possimus Jeremie lamentuni, quod supra solituni moduni in mentes 
deinceps singulorum inauditam ectasim causans et incxtimabilem stuporem addu- 
cens, démuni viscerum nostrorum interiora transfondit, et quasi letaliter cordium 
intima penetravit? Fatemur, quod vix valemus exprimera; amor cnim retrahit, sed 
dolor et vehemens angustia dicere nos compellit, ex communi relatu et certo 
rumore multorum nos scire. doctorem venerabilem fratrem Thomam de Aquino 
ab hoc seculo fuisse vocatum. Quis posset cstimarc divinam providentiam permi- 
sissc, stellam matutinam preeminentem in mundo, jubar in lueem seculi, immo, ut 
verius dicamus, luminare majus, quod preerat diei, suos radios retraxisse ? Plane 
non irrationabiliter judicainus solem suum rcvocasse fulgorem et passum fuisse 
tenebrosam ac inoppinatam cclipsim, duin toti ccclesie tanti splendoris radius est 
subtractus. Et licct non ignoremus conditorem nature ipsum toti mundo ad tem- 
pus speciali privilégié concessisse, nichilominus si antiquorum philosophorum auc- 
toritatibus vellemus inniti, eum videbatur simplicitcr posuisse natura ad elucidan- 
dum ipsius occulta. Et cur frustra nunc verbis lalibus immoremur? Eum, quem a 
vestro collegio gcnerali Capitulo vestro Florentie celebrato, licet requisissemus 
instanter, proh dolor, non potuimus obtinere, (amen ad tanti clerici, tanti patris. 
tanti doctoris niemoriam. non existentes ingrati, devotum habentes alTcctum, quem 
vivum non potuimus rehabere, ipsius jam defuncti a vobis ossa humiliter pro 
maximo munere postulamus, quoniam omnino est indecens et indignum , ut altéra 
[natioj aut alius locus, quam omnium studiorum nobilissima Parisiensis civitas, 
que ipsum prius cducavit, nutrivit et fovit, et postmodum ab eodem nutrimenta et 
inefTabilia fomenta suscepit, ossa hec humata et scpulta liabeat et detineat. Si 
enim merito ecclesia ossa et rcliquias sanctorum honorât, nobis non sine causa 
videtur honestum et sanctum, tanti doctoris corpus in perpetuum honorcm haberi. 
ut cujus famam apud nos scripta perpétuant, ejusdem perseverans memoria sépul¬ 
ture ipsorum in cordibus successorum nostrorum stabiliat sine fine. Ceterum spe- 
rantes quod obtemperetis nobis cum elTectu in hac petitione devota, humiliter 
supplicamus ut cum quedam scripta ad phylosophiam spectantia, Parisius inchoaU 
ab eo, que in suo rccessu reliquerit imperfecta, et ipsum credamus, ubi translatus 
fuerat, complevisse, nobis benevolcntia vestra cito communicari procuret, et spe- 
cialiter super librum Simplicii, super librum De celo et mundo; et Exposilionem 
Tymei Platonis, ac librum De Aqunrum conductibus et ingeniis erigendis; de quibus 
nobis mittendis speciali promissione fecerat mentionem. Si qua similiter ad logycam 
pertinentia composuit, sicut quando recessit a nobis humiliter petivimus ab eodem, 
ea vestra benignitas noslro communicare collegio dignetur. Et sicut melius vestra 
discretio novit, in hoc ncquain seculo pcriculis multis sumus expositi, fraternaliter 
precibus devotis exposcimus, ut in hoc vestro capitulo speciali alTeclu nos oratio- 
num vestrarum sull’ragio supportetis. Hanc autem litteram sigillis rectoris et pro- 
curatorum voluinius sigillari. Datum Parisius anno Domini MCOLXX°IV°, die 
mercurii ante Inventionem sancte Crucis. » (Denifle, Chartul. Univ. Paris., I, p. 504, 
n<> 447.) 


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CHAPITRE VI 


119 


Longtemps professeur, Jean de Verceil avait, de lui-même, 
l'estime la plus grande pour les études sacrées. C'est dire combien 
il avait apprécié l’incomparable enseignement de Frère Thomas 
d’Aquin, pendant les dix ans que le saint Docteur vécut sous son 
administration. 

Ce zèle pour l’étude se manifeste dans les Actes des Chapitres 
généraux. A celui de Montpellier, en 1264, les Visiteurs sont 
priés de se rendre compte par eux-mêmes de la régularité et de 
l’importance des leçons données par les Lecteurs, du nombre des 
Disputes 1 , de l’énergie des Prieurs à promouvoir le travail intel¬ 
lectuel, de l’ardeur des étudiants. Ils doivent en faire un rapport 
et le communiquer au Provincial et aux Définiteurs. S’il y a des 
négligences, il faut les punir sévèrement 2 . On rappelle, au Cha¬ 
pitre de Lyon, en 1274, que le règlement des études élaboré par 
Frère Thomas d’Aquin et quatre autres Maîtres, à Valenciennes, 
pendant le Chapitre de 1259, conserve sa pleine vigueur 3 . Et de 
plus, pour parer à de nouveaux abus et rendre à l’Ordre une acti¬ 
vité intellectuelle qui tendait à s’atténuer, les Pères du Chapitre 
de Lyon édictent quelques ordonnances de haute sagesse : 

« Les Lecteurs ne devront jamais être occupés à un ministère 
qui puisse nuire à leurs leçons. 

<c Les Provinciaux rechercheront les jeunes étudiants les plus 
ouverts à l’étude et les pousseront au travail. Cette même enquête 
sera faite, tous les ans, par les Visiteurs; on évitera d’envoyer 
aux Études générales 4 les jeunes gens incapables ou peu disci¬ 
plinés. 

« S’il n'y a pas, dans tous les couvents, de Lecteurs qui puissent 
donner des leçons en public, qu’il y ait au moins un religieux 
faisant des cours privés sur les Histoires 5 , —ou Livres Saints, — 
et la Somme des cas de conscience, afin que les Frères ne restent 
pas inoccupés. 

« Les Frères, réputés élèves d’avenir, ne seront point distraits de 
leurs études par des courses ou d’autres occupations. Ceux qui ne 
fréquenteront point les cours seront sévèrement punis. 

« A l’heure des leçons, que les Frères ne soient pas occupés à 
célébrer des messes ou à des affaires extérieures, à moins de grande 
nécessité. 

1 Cf. t. I, p. 547. 

2 « Visitatorcs in suis visitacionibus diligenter inquirant quid et quantum lectores 
in anno legerunt, quocicns disputaverunt, qualiter priores studium promoverunt, 
et quomodo fratres studio intenderunt, et hoc priori provinciali et difïinitoribus 
référant a quibus si qui circa premissa négligentes fuerint gravius puniantur. » 
(Acta Cap. j I, p. 130.) 

3 Cf. t. I, p. 563. 

* Ibid., p. 226. 

8 Ibid., p. 554. 


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120 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


« Les Prieurs voudront bien, s'ils en ont le loisir, suivre les cours 
comme les autres religieux. De même, les Lecteurs sans charge. 

« Que l’on choisisse, pour Lecteurs, des hommes vraiment ca¬ 
pables, dont on n’ait rien à craindre pour l’honneur de l'Ordre. 

« Aux Visiteurs de voir si les étudiants sont largement pourvus 
des choses qui leur sont nécessaires. 

« Partout où un Lecteur régentera un Studium solemne, il aura, 
sous lui, un Bachelier. Dans tous les couvents où se trouvera un 
Lecteur, on instituera un Frère comme répétiteur. Les répétitions 
sur les Questions et les Conférences auront lieu une fois par 
semaine 1 . » 

Par toutes ces ordonnances de détail, il est visible que les Pères 
Capitulaires voulaient que les études fussent vigoureusement pro¬ 
mues et que l’Ordre des Prêcheurs gardât la place d'honneur 
qu’elles lui avaient value dans l’Eglise. 

Presque à tous les Chapitres, on revient sur cette grave ques¬ 
tion*. Un petit point est à signaler, au Chapitre de Milan, en 1278 : 
« Les Bacheliers qui font des cours, hors de l'ordinaire, ne mon¬ 
teront point dans la chaire, par révérence envers les Maîtres 3 . » 

Jean de Verceil ne se contentait pas de donner à l’étude un 
essor plus énergique : il profitait de la science des Maîtres et des 
Lecteurs de l’Ordre pour éclairer la conduite pratique des religieux. 

En 1269, au Chapitre réuni à Paris, il y avait des personnages 
si illustres par leur savoir, que le Maître, heureux de l’occasion, 
proposa à leurs délibérations quelques cas de conscience dont la 
solution était douteuse. Outre les Définitcurs parmi lesquels on 
comptait sept Lecteurs et un Maître de Paris, les juges se nom¬ 
maient Frère Thomas d’Aquin, Frère Bonhomme, Frère Pierre de 
Tarentaise, Frère Barthélemy de Tours, Frère Beaudouin 4 et 
Frère Gilbert 5 , tous Maîtres de Paris. 


1 Frère Hermann de Minden donne la pratique de ces ordonnances dans une de 
ses lettres, en 1278 : <« Pro studentibus arcium Provincialis et ejus Vicarius. Ut 
modum noveritis, sccundum quem fratrem... lecturum in artes, cum suis studenli- 
bus tcnerc debetis, tenore presentium vos cupio redderc certiorem. Ad terminos 
namque vel extra terminos domus cmitLi non debent, nisi causa pcticionis dum- 
taxat duplicis, bladi videlieet atque vini, cxceptis festis majoribus, quibus dies 
festivi plures conjuncti sunt, aut vacationis tempore , permittantur exire, citius 
reversuri. Ipse vero qui lectoris officio fungitur, ad chorum non tenebilur nisi ad 
completorium assidue, et, in festis IX lectionum horis intererit cetcris, nisi cum 
ipso ex causa aliqua dispensetur... » (Finke, op. cit ., p. 106-107.) 

Frère Hermann de Minden était alors Provincial d'Allemagne. 

* Acta Cap., I, pp. 187, 106, 197, 202, 208. 209, 218. 

3 « Baccalarii autem qui legunt extraordinaire non ascendant cathedram. propter 
reverentiam magistrorum. » (Ibid., p. 197.) 

* Les trois personnages précédents sont connus; Frère Beaudouin de Maflix ou 
de Tournai, Flamand, dix-neuvième Maître de Paris. Cf. Echard, I, p. 217. 

3 Encore un Flamand, Frère Gilbert Van Egen, fils du couvent de Gand, Maître 
de Paris. Il mourut A Gand en 128.3. {Ibid., p. 391.) 


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CHAPITRE VI 


121 


Premier cas. — Une faute est cachée, connue seulement de l'ac¬ 
cusateur et de l’accusé. Le supérieur peut-il faire précepte formel 
à l'accusé de dire la vérité devant l'accusateur sur la faute dont 
il l’accuse 1 ? 


1 Le texte de celle discussion de théologie morale a été publié dans l'édition des 
Œuvres de saint Thomas, par Pellican, Paris, t. XX. Il y a un autre texte, 

manuscrit du xm e siècle, dans le Codex Iiutenensis, p. 170-171 (Areh. Ord.), que 
j’ai cru bon de publier intégralement : 

« Questiones que secuntur fuerunt proposile in capitule generaü Parisius ccle- 
brato anno Domini M°CC°LXIX. 

« Coram magistro ordinis fratrum predicatorum, et diffinitoribus inter quos fuc- 
runt V, (in cod. sic A) lectures et unus magister. Item coram magistris similiter con- 
gregatis, scilicet traire Thoma de Aquino, frntre Bonohomine, fratre Petro de Tha- 
rantasia, fratre Bartholomeo, fratre Caudamo (?) (Le texte lu par Echard, ms. de 
Saint-Victor, donne le nom de Frère Beaudouin. Celui de Caudamo est inconnu. 
C’est une erreur de copiste. Cf. Echard, I. p. 2i7), fratre Gabcrlo, qui omnes una 
voce responderunt ut infra sequitur. Prima questio fuit talis. Esto quod unus frater 
accusai alium quod sciri non potest vel quod nescitur nisi accusato et accusante 
nunquam prelatus potest precipcre accusato ut coram accusante dicat veritatem, 
et utrum accusatus debeat se perdere propter preeeptum. Quod si fecerit convinci 
poterit per duos, scilicet per prelatum et accusanteni, et ita publicabitur occultum. 
Responderunt doctores. Quod prelatus non teneretur precipere, et graviter peccat 
si preceperit, nec accusatus tenetur respondere, quia non tenetur se perdere nec 
difTammare (!) Secunda questio fuit utrum in dicto casu prelatus accusato debeat 
seorsum precipere ut sibi soli dicat veritatem. Responderunt doctores. Quod non 
débet precipere, ncc altcr tenetur respondere quia occulta relinquntur divino judi- 
cio, manifesta humano, immo in occultis non potest homo judex esse, et ita ncc 
procedcre n[e]c precipere ut judex, nec aller tenetur obedire. Tercia questio fuit si 
alius (?) (in cod. sic n’s ) accusai quod ipse solus scit nec potest probare, 
utrum prelatus debeat inquirc vel precipere ut in capitulo dicat veritatem coram 
omnibus, et utrum accusatus teneatur confiteri coram aliis propter preeeptum. Res¬ 
ponderunt doctores ut supra et multo forcius quod prelatus non débet precipere, 
et si preceperit graviter peccat, nec alter tenetur se pandere, sed dicat : probat 
quod dicit accusans, aliter peto iusticiam de indebita accusacione vel aliquid hujus- 
ipodi respondeat, vel taceat quia in occultis non est homo judex sed deus ut dic- 
tum est superius. Quarla questio fuit : Utrum commissa sub secrelo teneatur sub- 
ditus revelarc ad preeeptum prelati, et utrum prelatus debeat precipere hujusmodi ? 
Responderunt doctores. Quod si ex retencione sccrcti imminct scandalum, pericu- 
lum, vel ruine vel gravaminis, prejudicii alicujus dampni communitatis cui potest 
obviari per revelationem secreti, potest in hoc casu precipere, et alter tenetur reve¬ 
larc , quia majus malum preponderatur minori bono. Unde si majus scandalum 
sequitur ex observatione secreti quam ex revelatione non débet servari secretum 
maxime ubi exigitur per preeeptum, et quia juramentum non est vinculum iniqui- 
talis, ut dicit Augustinus, si secreti commissio vel promissio non debet esse vélum 
iniquitatis vel vclamen. Si autern ex observatione secreti nullum imminet pcriculum 
vel scandalum vel ad predictorum, non debet prelatus precipere, nec subdilus tene¬ 
tur vel debet propter preeeptum secretum revelare ubi nullum imminet periculum 
alicujus gravaminis ut supra, quia si imminet non infidelitatis, immo contra tldeli- 
latcm tenet secretum in grave prcjudicium aliorum. liée autem que dicta sunt de 
non precipiendo et non rcvelando secretum, intelligenda sunt, ut dicunl predieti 
magistri, ubi fama vel infamia non proeessit, quia ubi talis fama processit quod de 
jure ficret inquisicio in foro judiciali vel contencioso, potest prelatus precipere et 
inquirere et exigere juramentum. Quinta questio fuit talis. Aliquis dicit in confes- 
sione mala periculosa altcrius dans lincenciam (!) confessori ut ilia prelato suo 
denunctiet, tacito nomine ipsius confitentis. Item ex alia parte tradila caria una 
sub secreto occulte ipsi confessori in qua cadem continentur denunctianda que in 
questione supra dicta procedcre ad inquisicionem, tandem invenitur per confessio- 
nem delati sivc accusati vana fuisse denunctiacio. Post hec prelatus volons scirc 
unde habuerit ortum denunctiacio precipit ipsi confessori ut dicat a quo habue- 
rit litteram illam quia illam extra confessionem acceperat. Alter respondet. Licet 


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422 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Deuxième cas. — Dans le cas supposé, le supérieur peut-il 
ordonner à Uaccusé de lui révéler à lui seul la vérité sur la faute 
dont on l’accuse? 

A ces deux questions, les docteurs répondirent unanimement 
que le supérieur ne pouvait pas, sans péché grave, faire ces pré¬ 
ceptes à l’accusé, et que l’accusé, même coupable, n’était pas tenu, 
dans ces deux cas, de révéler sa faute. 

Troisième cas. — Un religieux révèle une faute qu’il a commise 
à un de ses confrères. Celui-ci seul la connaît; il ne peut citer 
d’autres témoins pour en faire la preuve juridique. Le supérieur 
peut-il lui ordonner, sous précepte formel, de dire en Chapitre ce 
qu’il sait? L’accusé, en ce cas, est-il tenu de confesser sa faute 
pour olTéir au précepte formel qu’on lui fait de dire la vérité? 

Unanimement les Docteurs répondirent que le supérieur, dans 
les deux cas, péchait gravement. Le religieux obligé de confesser 
sa faute au Chapitre devait se taire ou dire : Que l’accusateur fasse 
la preuve, sinon je réclame justice contre une accusation non 
prouvée. 

Quatrième cas. — Un supérieur peut-il exiger d’un religieux 
qu’il lui révèle ce qui lui a été confié sous secret? 

Les docteurs répondirent négativement. Un inférieur n’est pas 
tenu à révéler un secret, à moins que la déclaration de ce secret 
ne soit nécessaire pour empêcher un scandale ou un dommage 
considérable de la communauté; car alors le bien commun l’em¬ 
porte sur le bien particulier, et le secret doit être révélé. De même 


extra confessionem reccpcrit, sub secreto tamen recepit, si potest manifcstari per- 
sona scribenlis quin prodalur (?) pcccatum confessum, et persona confessa ilia que 
denunctiala erat, et hoc asserit in consciencia sua qua certum est sibi quod dicit. 
Queritur ulrum prclntus debeat precipcre et ille obedire, vel utrum prclatus 
debeat crcderc sic dicenti. Responderunt doclores quod non debet precipcre, liée 
ille tenetur obedire, non solum ratione confessionis quam rcvelarc se credcret (?) 
sed ratione eciam sccrcti sub quo accepit, et maxime in proposito non constat 
denunctiacio vera fuisse, nec timetur periculum vel aliud grave imminens. In tali 
enim casu non licet secretum extra confessionem commissum scu reccptum inqui- 
rere vel revelare. Fralcr Thomas diccbat quod si judicialiter accusans dicit se pro- 
baturum, vel obligat se ad penam tallionis, quod prelatus inquircre potest per pre- 
ceptum, et ille tenetur respondere sicul judici veritatem, quia uti secularis judex 
potest exigere juramentum, prelatus religiosus potest dare preceptum. Sed contra 
hoc obicitur quod in occullis non est homo judex sed solus Deus et juratus quod 
si alias jurât ad preceptum judicis de diccnda veritate non astringetur hujusmodi 
juramento dicerc de occultis veritatem, idest (?) de hiis que probari non possunt 
quia talia dicuntur in jure occulta quia probari non possunt. Igitur videtur quod 
talis non tenetur se pandere proplcr preceptum prelati, nec ille propter juramen¬ 
tum a judice requisitum. Unde in hac sententia non concordant alii magistri cum 
fratre Tlioma. Item alia questio fuit proposita taliter. Esto quod adsit factum evi- 
dens sed non scitur quis feceril, verbi gralia, furtum factum est in domo, vel domus 
combusta et hujusmodi uumquam prelatus inquirc potest per preceptum, vel ille 
qui fecit revelare. Respondit dictus frater Thomas quod potest prelatus precipere 
in genere, sic precipio ut qui hoc fecit, vel scit dicat ; et ille qui scit vel fecit tene¬ 
tur dicere. In hoc non concordant alii magistri cum fratre Thoma. » (Codex Rate- 
nensis, p. 170-171.) 


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CHAPITRE VI 


123 


la révélation du secret pourrait être exigée, si l'affaire faisait tel 
bruit ou était* si infamante, qu'elle pût donner lieu à une ins¬ 
truction judiciaire. 

Cinquième cas. — Un pénitent charge son confesseur de dénon¬ 
cer au supérieur la faute d'un autre religieux, qu'il prétend con¬ 
naître. Il lui donne même par écrit une dénonciation détaillée, 
mais en dehors de la confession. Enquête faite, le supérieur 
reconnaît la fausseté de l’accusation. Peut-il exiger du confesseur, 
en vertu de l'obéissance, qu'il lui révèle le nom du pénitent 
accusateur ? 

La réponse des docteurs fut négative, sauf une distinction de 
saint Thomas qui ne fut point admise. 

Sixième cas. — Un délit a été commis dans le couvent; son 
auteur est inconnu. Le supérieur peut-il, en Chapitre, faire ce 
précepte général : Que l'auteur du délit se déclare, ou que celui 
qui le connaît révèle son nom. 

Frère Thomas d'Aquin opinait pour l’affirmative; les autres théo¬ 
logiens, au contraire, prétendirent que le supérieur n'avait pas ce 
pouvoir. 

Tous ces cas de conscience, comme on a pu le voir, tendent à 
diriger l’autorité des supérieurs dans les circonstances les plus 
graves, celles qui intéressent l’honneur de leurs religieux. Les 
réponses des Maîtres couvraient cet honneur et garantissaient les 
inférieurs contre l'arbitraire de la délation. Maître Jean de Verceil, 
en faisant décider ces points délicats, mit certainement la paix 
dans plus d'une âme angoissée. Il arrêtait le supérieur à la porte 
de la conscience. 

C'était une réaction salutaire contre la mainmise de la commu¬ 
nauté sur l'individu. Il y avait alors une telle exagération des droits 
de la communauté, que ceux de l'individu étaient comme absorbés 
par eux. L’individu disparaissait, la communauté était tout. Cette 
prétention donna lieu à ces luttes de la conscience personnelle 
contre l’oppression impersonnelle du nombre. Ce n'est point le 
moindre honneur de Jean de Verceil d’avoir provoqué les déci¬ 
sions libératrices des Maîtres, ni la moindre louange à la science 
des Maîtres de les avoir données. 

A ce même Chapitre eut lieu une autre discussion non moins 
intéressante. Il s'agit de la propriété littéraire. Un religieux, Frère 
Jean Jurista de Colonia San Faustino, près de Viterbe, avait com¬ 
posé un traité sur les Sentences qu'il décorait du nom de Johan- 
nina de Colonia . Or il avait à Bologne, où il achevait ses études, 
un ami, étudiant comme lui, Allemand d’origine, Frère Jean de 
Cologne, en latin de Colonia . L’Allemand déroba un jour le manus¬ 
crit de son ami et le copia. Au Chapitre de Paris, en 1269, Frère 


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124 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERGEIL 


Jean de Colonia, l’Italien, qui ne savait rien de la fraude commise 
à son détriment, présenta son travail aux Pères Capitulaires pour 
le soumettre à leur examen. Il comptait sans Frère Jean de Colo¬ 
nia, l’Allemand. Celui-ci, avec une audace inouïe, prétendit que 
ce traité était son œuvre. L’altercation fut vive. Le Maître Géné¬ 
ral et les Capitulaires ne savaient à qui entendre. On fit un précepte 
formel à l’Allemand, un précepte formel à l’Italien. Chacun per¬ 
sista dans son dire. Bref, à bout de raisonnements et d’autorité, 
les Pères décidèrent de remettre la question à l’arbitrage des plus 
grands docteurs présents : Frère Thomas d’Aquin, pour l’Italien, 
assisté d’autres Maîtres; Frère Pierre de Tarentaise, pour l’Alle¬ 
mand , avec cinq autres Maîtres. Ils n’aboutirent pas davantage. 
Alors il fut ordonné, pour le bien de la paix, que le traité si 
âprement revendiqué serait publié sous le titre de Johannina, et 
sous le nom commun aux deux compétiteurs de Fr. Jean de Colonia, 
sans distinction de Colonia en Italie ou de Colonia en Allemagne. 
De cette façon la question de propriété demeurait indécise, et on 
ne faisait tort à aucun des deux adversaires. 

Il n’en reste pas moins évident que les Prêcheurs du xm c siècle 
professaient pour la propriété littéraire le plus grand respect. A ce 
titre, l’incident ne manque pas d’importance 1 . 

En 1271, Jean de Verceil recourait plus spécialement h Frère 
Thomas d’Aquin pour la solution de quarante-deux articles autour 
desquels les étudiants dominicains se livraient des batailles 
héroïques. Il s'agissait de l’action des Anges sur les corps célestes, 
du mouvement des astres, de la vie animale, de l’état des corps 
au jugement universel, et, pendant l’éternité, de certains phéno¬ 
mènes physiques après la résurrection, du lieu de l’enfer*; toutes 
choses qui, pour agiter tumultueusement de jeunes intelligences, 
n’avaient pas, au dire du saint Docteur lui-même, une portée très 
haute. Voici, en effet, ce qu’il répondit à Maître Jean de Verceil : 
« J’ai reçu, le mercredi avant Pâques, pendant la célébration de 
la messe, les lettres de Votre Paternité contenant de nombreux 
articles auxquels vous me donniez ordre de répondre... Le lende¬ 
main, mettant de côté toute autre occupation, j’ai écrit les réponses 
à chacun des articles, comme je le pensais. Toutefois je proteste, 
au début, que plusieurs de ces articles ne regardent pas la foi 
chrétienne, mais bien plutôt la doctrine des philosophes. Or il est 
très dangereux d’affirmer ou de nier des choses qui ne touchent 
pas la doctrine de la religion, comme si elles en faisaient partie. 


I Masetti, Monumentn et Antiquitates Veter. Discipl. Ord. Præd., I, p. 363. 

II sc trompe sur la date, car saint Thomas n’était pas à Paris en 1264 , — date à 
laquelle il assigne le fait, — mais bien en 1269. Cf. Echard, I, p. 272. 

1 Cf. S. Thomas d'Aquin, Opp., I, p. ccxxix et ss. Editio Leonina. 


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CHAPITRE VI 


125 


Car Augustin dit, au cinquième livre des Confessions : « Lorsque 
« j’entends un chrétien qui ignore ces choses, — c'est-à-dire les 
« opinions des philosophes sur le ciel ou les étoiles, sur le mouve- 
« ment du soleil et de la lune, — prendre telle ou telle opinion, je 
« supporte avec patience son opinion d’homme, et je ne vois pas 
« qu’elle lui nuise, puisque, ô Seigneur, Créateur de tout, il ne croit 
« pas de vous des choses indignes, quand meme il ignorerait la vérité 
« sur Tétât de la créature corporelle. Il n'en est pas de même s’il 
« pense que ces choses appartiennent à la doctrine religieuse et s’il 
« affirme avec ténacité ce qu’il ignore... » Il me semble donc plus 
sûr, conclut le saint Docteur, pour les choses que les philosophes 
admettent généralement et qui ne sont pas contraires à notre foi, 
de ne pas les affirmer comme des dogmes de foi, même sous le 
manteau des philosophes, ni, d’autre part, de ne pas les nier 
comme contraires à la foi, de peur que nous ne donnions ainsi 
aux sages de ce monde une occasion de mépriser la doctrine 
de la foi 1 . » 

Et Frère Thomas 2 , pour obéir aux ordres de Jean de Verceil, 
qui désirait calmer l'effervescence des jeunes philosophes domini¬ 
cains, répond à chacun des articles discutés. Il est difficile de dire 
quels étaient ces étudiants que les qualités des corps célestes ou 
leur mouvement mettaient en feu. Nous n’avons pas la lettre 
de Jean de Verceil pour nous renseigner, et celle de saint Tho¬ 
mas, qui lui est adressée personnellement, n’en parle point. 

Affirmer que c’est à Milan 3 me paraît bien aventureux, car il 
ne manquait pas en Italie et ailleurs de ces champions de la 
philosophie. 


1 « Paternitatis vcstræ litteras, feria quarta ante Pascha recepi, dum Missarum 
solcmnia agerentur, multos articulos intcrclusa schedula continentes; quibus sin- 
gulis michi respondenduni niandebatis... Quibus articulis statim sequenti die, 
sccundum formam a vobis traditam, prætermissis aliis occupationibus, secuudum 
quod michi occurrit respondere curavi. IIoc tamen in principio protestans quod 
plures horum articulorum ad fidei doctrinam non pertinent, sed magis ad philo- 
sophorum dogmata. Multum autem nocet, talia quæ ad pietatis doctrinam non 
spectant, vcl assercre vcl negarc, quasi pertinentia ad sacram doctrinam. Dicit 
cnim Augustinus in V Confessionum : Cum audio christianum aliqucm... ista (scilicet 
quæ philosophi de cælo, aut stellis, et de solis et lunæ motibus dixerunt) nescien- 
lem et aliud pro alio sentientem, patienter intueor opinantem hominem; nec illi 
obesse video, cum de te, Domine Creator omnium, non credat indigna, si forte 
situs et habitus creaturæ corporalis ignoret. Obest autem, si hæc ad ipsam pieta¬ 
tis doctrinam pcrtinerc arbitretur et pertinacius affirmare audeat quod ignorât... 
Unde mihi videtur tutius esse ut hæc quæ philosophi communes senserunt, et 
nostræ fidei non répugnant, ncque sic esse asserenda ut dogmata fidei, licct ali- 
quando sub nomine philosophorum introducantur ; neque sic esse neganda tan- 
quam fidei contraria ne sapientibus liujus mundi contemnendi doctrinam fidei occa- 
sio præbeatur. » (S. Thomas d’Aquin, Opp., I, p. ccxxix. Ed. Leonina.) 

2 Pâques tombait, en 1271, le 5 avril. Saint Thomas régentait encore à Saint-Jacques 
de Paris, qu’il quitta à la fin de l’année. (Ibid.) 

3 P. Mothon, op. cil., p. 467 et 469. 


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126 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Au Chapitre de Montpellier qui suivit, la réponse de saint Tho¬ 
mas eut son corollaire. On y lit cette ordonnance : « Nous aver¬ 
tissons les étudiants de ne pas s’adonner avec tant d’âpreté à 
l’étude de la philosophie; qu’ils dirigent plutôt leur ardeur vers 
la science théologique { ... » 

Un autre opuscule du saint Docteur est dû encore à la requête 
de Maître Jean de Verceil. C’est celui qui traite de la formule de 
l’absolution. Le Maître avait eu entre les mains un petit livre où 
il lui sembla que la doctrine, sur cette question, était au moins 
douteuse. Comme ce petit livre, sans nom d’auteur, courait parmi 
les étudiants, il jugea nécessaire d’avoir l’idée de Frère Thomas 
d’Aquin sur un sujet grave en lui-même et de pratique quotidienne. 
La réponse du saint Docteur forme l’opuscule De Forma pœnitcn- 
tiæ absolutionis. Elle fut commencée, d’après ce qu’il dit lui-même 
à là fin de son travail, le jour de la Chaire de saint Pierre : Vo- 
luntas autem Del fuit ut pro defensione potestatis Petro traditae 
in festo Cathedrae Pétri hoc opus de vestro mandato compilans 
laborarem 1 . 

Il y démontre que la formule de l’absolution n’est point seu¬ 
lement, comme le prétendait le petit livre, une formule dépréca- 
toire, mais bien une formule indicative par mode de sentence 
judiciaire. Le prêtre ne parle pas au subjonctif en disant : « Que 
Dieu vous absolve ! » Il parle à l’indicatif, et, en vertu du pouvoir 
qu’il a reçu, il dit, comme un juge qui prononce un acquittement : 
« Je vous absous ! » 

Après la mort de saint Thomas, Maître Jean de Verceil eut à 
défendre sa doctrine. Cela pourra paraître étrange, au premier 
abord, puisque, depuis tant de siècles, cette doctrine se confond 
avec celle de l’Église. Mais, de son temps, saint Thomas fut un 
révolutionnaire dans son enseignement, et, comme il arrive à 
tous ceux qui bouleversent les idées antiques, le convenu, ce qui 
est figé dans les esprits par des formules, il fut combattu. 

Il y avait alors, à l’Université de Paris et dans toute l’Église, 
deux courants intellectuels très distincts. L’un, fidèle à la tradi¬ 
tion doctrinale qui avait sa source dans l’enseignement de saint 
Augustin, se rattachait, par cet illustre Docteur, à la philosophie 
de Platon. 


1 «< Monemus studentes quod studio philosophie minus intendant, et in studio 
théologie se exerceant diligenter... ( Acta 'Cap., I, p. 159. Chap. de Montpellier. 
1271.) 

* S. Thomas d'Aquin, Opp., I, p. ccxxi. Ed. Leonina. — Il s’agit de la chaire 
de saint Pierre au 22 février, qui était fêtée dans toute l’Eglise comme chaire de 
saint Pierre à Antioche, tandis que celle du 18 janvier Quii Petrus- Romæ primiim 
sedit était une fête locale à Rome. (Cf. Mortier, Saint-Pierre de Home, p. 41. 
Tours, 1900.) 


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CHAPITRE VI 


127 


« Or, dit le Père Mandonnet 1 , dans les théories du chef de 
l’Académie, il y avait une force et une faiblesse. Très hautes et 
très lumineuses dans le domaine de la théodicée et dans la psy¬ 
chologie, ses idées étaient plus rares et plus vacillantes dans le 
domaine des sciences naturelles et positives. Elles manquaient 
d’une base scientifique solide. La théologie augustinienne étant 
empreinte de platonisme, elle en partageait les avantages et les 
inconvénients. Les avantages se faisaient sentir dans les hautes 
spéculations sur Dieu et sur l’homme. Les inconvénients étaient 
dans la méthode peu didactique, visant à la spéculation idéale en 
négligeant les données expérimentales de la science, et utilisant 
la raison et la foi sans définir suffisamment leur domaine... Dans 
le domaine même des doctrines, l’augustinisme médiéval professe 
la prééminence de la notion du bien sur celle du vrai et tend à 
définir la seconde par la première ; il maintient une primauté ana¬ 
logue de la volonté sur l’intelligence dans Dieu et dans l’homme. 
Dieu est, en conséquence, conçu comme le souverain bien, de 
préférence à l’être premier et nécessaire; son attribut radical est 
la bonté ou l’amour. C’est par l’acte de la volonté que l’homme 
atteint Dieu et, par suite, sa fin et sa béatitude dernière. De son 
côté, l’intelligence humaine n’accomplit son opération que sous 
l’action illuminatrice et immédiate de Dieu; et c’est dans les règles 
éternelles et la lumière immuable de la science divine qu’elle 
trouve le fondement de la certitude de sa connaissance. Cette 
prééminence accordée à la vie affective sur la vie intellectuelle 
d’une part, et la tendance, de l’autre, sinon à voir tout en Dieu, 
du moins à faire appel à son action illuminatrice directe, consti¬ 
tuent la base générale du mysticisme historique, et les théologiens 
augustiniens du xiu^ siècle lui appartiennent, soit pratiquement, 
soit théoriquement, à des titres divers, mais réels*. » 

Ce courant de théologie platonico-augustinien, le courant des 
mystiques, a eu pour représentants les plus illustres, à l’époque 
de saint Thomas, presque tous les Maîtres de l’Ordre des Mineurs : 
Alexandre de Halès 3 , Jean de La Rochelle 4 , saint Bonaventure 5 , 


1 Mandonnet, Siger de Brabant, p. 57. Fribourg, 1899. 

1 Ibid., p. 66. 

% A. Endres, Des Alexander Von Haies Lehen und psychologische Lehre, Histo- 
risches Jahrbuch, 1888, p. 24 et ss. 

4 H. Luguet, Essai d'analyse et de critique sur le texte inédit du traité de 
l'âme de Jean de La Rochelle. Paris, 1875. — T. Dominichelli, la Siimma de anima 
di Fraie Giovanni delta Rochelle. Pralo, 1882. 

5 W.-A. Hollenberg, Studien su Bonaventura. Berlin, 1862. — J. Richard, Etude 
sur le Mysticisme spéculatif de saint Bonaventure. Heidelberg, 1869.— M. Couail- 
hac, Doctrina de ideis divi Thomæ divique Bonaventuræ conciliatrix. Paris, 1897. 
— Feret, la Faculté de Théologie de Paris, II, p. 273. Paris, 1895. 


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128 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Roger Bacon 1 , Jean Peckam 2 et Duns Scot 3 . Malgré des diver¬ 
gences considérables sur des thèses particulières, ces personnages 
suivent tous le sillage augustinien. 

Parmi les séculiers et les autres religieux, il faut citer Guillaume 
d’AuvergneGérard d’Abbeville 5 , Henri de Gand 6 , et, quoique 
moins exclusifs, Godefroy des Fontaines 7 et Gilles de Rome 8 . 

Nous verrons que, même chez les Prêcheurs d , le courant mys¬ 
tique fut assez violent pour troubler l’enseignement doctrinal 
qui creusait, à côté, un lit si profond et si large, œuvre gigan¬ 
tesque des deux plus illustres Maîtres, Albert le Grand et Thomas 
d’Aquin. 

Au lieu de prendre cette méthode d’intuition affective, plus 
douce au cœur peut-être et plus légère à l’esprit, Frère Albert 
d’abord, puis, après lui et avec lui, Frère Thomas, préférèrent la 
méthode expérimentale et déductive d’Aristote. Voie plus rocail¬ 
leuse sans doute, sur laquelle le philosophe ne s’avance que tenant 
à la main l’instrument de précision qu’est la logique, mais aussi 
voie plus exacte dans ses procédés, plus sûre dans ses conclusions, 
plus précise dans ses limites, qui, du dernier des êtres étudiés 
humainement, conduit l’intelligence, pas à pas, toujours plus haut, 
jusqu'à l’Être suprême. 

« Par leur étude comparée de la philosophie d’Aristote et de 
Platon, Albert le Grand et Thomas d’Aquin n’eurent pas de peine 
à discerner la supériorité relative des deux Maîtres. Ils jugèrent 

1 K. Werner, Die Psychologie Erkenntniss und Wissenschaftlehre des Roger Ba¬ 
con. Vienne, 1879. — E. Charles, Roger Bacon. Paris, 1861. — Feret, op. cit., p. 329. 

2 F. Ehrlc, Ueher den Kampf des Augustinismus und Arislotelismus in 
18 Jahrhundert, Zeitschrift ftir Katholische Théologie. Inspruck, 1889. — Féret, 
op. cit., II, p. 313. 

3 E. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot. Paris, 1877. — J.-M.-A. 
Vacant, Etudes comparées sur la philosophie de saint Thomas d*Aquin et sur celle 
de Duns Scot. Paris-Lyon, 1891. — Feret, op. cit., III, p. 305. 

4 N. Valois, Guillaume d'Auvergne. Paris. — M. Baumgartncr, Die Erkenntniss - 
lehre des Wilhelm Von Auvergne, Beitrage sur Gcschichte der Philosophie des 
Mittelalters, IL Munster, 1893. — K. Werner, Die Psychologie des Wilhelm Von 
Auvergne. Vienne, 1873. 

8 M. de Wulf, Histoire de la Philosophie scolastique dans les Pays-Bas. Lou¬ 
vain-Paris, 1895. — Féret, op. cit., II, p. 247. 

6 F. Ehrlc, Der Augustinismus und der Aristotelismus in der Scholastikgegen 
Ende des 13 Jahrhunderts, Archiv. für Littéral, und Kirchengeschichte , V. — 
Féret, op. cit., II, p. 227. 

7 Cf. Archiv. Für Littéral, und Kirchengeschichte, II. 

8 Ibid. — Feret, op. cit., II, p. 165. 

9 Le Père Ehrlc nomme surtout Roland de Crémone, Robert Fitzaeker, Hugues de 
Saint-Cher, Pierre de Tarentaise et, au-dessus de tous, Robert Ivihvardby. (Ehrlc, Der 
Augustinismus, p. 605.)—Ne pourrait-on pas y ajouter le bienheureux Ambroise de 
Sienne ? Ce saint personnage, dont l’autorité fut si puissante, parait avoir incliné vers 
le courant mystique de l’Ordre. Il refusa le litre de Maître de Paris. Sa science, 
dit-on , en faisait cependant l’émule de saint Thomas. Cf. Année dominicaine, 
22 mars. Ed. Jevain. — Touron, les Hommes illustres de l'Ordre de Saint-Dominique, 
I, p. 4 41 et ss. 


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CHAPITRE VI 


129 


la méthode scientifique d'Aristote comme devant s'imposer. Ils 
maintinrent en outre son autorité dans le domaine des sciences 
naturelles et morales, et donnèrent une place complémentaire à 
Platon dans quelques-unes des spéculations sur Dieu et sur Pâme. 
C'est avec cette méthode et sur cette base philosophique qu'ils 
réorganisèrent le dogme augustinien pour lui assurer des assises 
plus fermes et une ordonnance plus systématique 1 . » 

Leur œuvre est connue 2 . Elle souleva, dans ses débuts, une 
véritable tempête. Tous les partisans de l’ancienne école s’unirent, 
séculiers et réguliers, pour lutter contre l’invasion d’Aristote. Ils 
avaient pour eux, du reste, des décrets pontificaux et conciliaires 
qui les favorisaient. 


1 Mandonnet, op. cit., p. 48. 

* Saint Thomas a-l-il lu Aristote dans le grec? Cette question a été très combat¬ 
tue entre savants. Cf. S. Thomæ Opp.. I, p. 317. Ed. Leonina. Bernard de Rubcis, 
auteur de cette dissertation, donne d'excellentes raisons pour prouver que le saint 
Docteur cultivait la langue grecque. Récemment , le P. A. Gardeil a présenté de 
nouveau de bons arguments. Cf. Revue Thomiste, septembre-octobre 1903, p. 427 
et ss. 

En tout cas, saint Thomas eut A sa disposition les lumières d'un helléniste très 
instruit, Frère Guillaume de Moerbeke, dominicain flamand, qui habita longtemps 
la Grèce. Il l'avait près de lui A Rome, lorsqu’il composa ses commentaires sur 
Aristote. « Fr. Wilhelmus Brabantinus Corinthicnsis — il devint archevêque de 
Corinthe — transtulit omnes libros naturalcs et morales philosophie de greco in 
latinum ad instantiam fratris Thomc. Item transtulit libros Procli et quedam 
alia. » (Bernard Gui, cité par Denifle, Archiv. für Litter., II, p. 226-227.) 

Et Ptolémée de Lucques dit de son cêté : <« Isto temporc — Urbani IV, 1261- 
1264 — Fratcr Thomas tenens studium Rome, quasi totam philosophiam Aristotelis 
sive naturalem, sivc moralem composuit, et in scriptum sivc commentum redigit, 
sed prccipuc Ethicam et Metaphysicam quodam singulari et novo modo tradendi. » 
( Histor. Eccles., lib. XXII, c. xxiv, apud Muratori, Rer. Italie. Scriptores, XI, 
p. 1153.) 

Roger Bacon dénigrait de son mieux la traduction de Frère Guillaume de Moer¬ 
beke : « Willielmus Flemingus... omnes translationes factas promisit immutare et 
novas cuderc varias. Sed eas vidimus et scimus omnino esse erroneas et vitanda9. » 
(Cité par Mandonnet, Siger de Brabant, p. 55.) 

On connaît scs raisons. Adversaire intransigeant de saint Thomas et de son école, 
il ne pouvait y trouver rien de bon. L'œuvre de Frère Guillaume a cependant obtenu 
de meilleurs suffrages. Sans être élégante, elle a le mérite d’être exacte. (Cf. A. Va¬ 
cant, les Versions latines de la morale à Nicomaque, antérieures au xvi« siècle. 
Amiens, 1885. — II. Lecontrc, Essai sur la Psychologie des actions humaines d'après 
les systèmes d'Aristote et de saint Thomas d'Aquin. Lausanne, 1883. — L. Schütz, 
Derhl. Thomas von Aquin, und sein Verstândniss des Griechischen, Philosophisches 
Jahrbuch, VIII, p. 271-283, 1895. — E. Rolfes, Die Texlanslegung des Aristoteles bei 
Thomas von Aquin und bei den Neueren. Jahrbuch für Philosophie und spekula- 
live Théologie , IX, p. 3, 1895. 

Qu’arriva-t-il A Frère Guillaume de Brabant, ou de Moerbeke, vers 1270? Voici 
ce qu’on lit dans un fragment de lettre : « Vcniens ad taie locum... inveni plénum 
gemitibus, refertum lacrymis, nudatum solatiis, fratrem Willelmum de Brabantia 
vobis nolum. Hic enim, ut asscrit, convenientibus in unum suggestione falsi, sup- 
pressione veri, precipitacione consilii, surrepeione facti de domo Lovaniensi in 
Mindam per vicarium est translatus, ubi sua compellitur suspendere organa..., 
expostulo precibus liumilibus, sicut possum, quatenus pro ipso provinciali Tcutho- 
nie velitis scribere verba duo, ad quorum suavem energiam sibi rccommendatum 
diligencius redire jubeat Lovaniam... » (Finke, op. cit., p. 77.) La lettre paraît adressée 
au Maître de l'Ordre. 

II. - 9 


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130 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Alors que la doctrine philosophique d’Aristote, faute de bonne 
traduction latine, était mal connue, elle effraya, par ses affirma¬ 
tions hardies, les intelligences ecclésiastiques. Dès 1210, le 
XX® Concile de Paris, à l’occasion d’Amaury de Chartres et de 
David de Dinant, lança contre elle ses anathèmes 1 . Cinq ans après, 
le légat Robert de Courçon édictait : « On ne lira pas les livres 
d’Aristote sur la métaphysique et la philosophie naturelle*... * 

En 1231 , Grégoire IX fait les mêmes prohibitions, avec cette 
réserve toutefois qui marque un progrès dans les idées péripaté¬ 
ticiennes; il dit : c Jusqu’à ce que ces livres soient expurgés 3 . * 
On entre-bâillait la porte. Albert le Grand et Thomas d’Aquin se 
chargèrent de cette correction chrétienne d’Aristote. Mais, malgré 
l’innocence baptismale qu’ils lui donnèrent, les Platoniciens de 
la vieille école s’insurgèrent contre eux : en tête, les Mineurs, 
comme toujours, quand il s’agissait de combattre leurs Frères 
jumeaux de Saint-Dominique. J’ai déjà dit combien ces derniers 
le leur rendaient largement. 

Roger Bacon, un des plus fameux Maîtres des Mineurs, ne 
pouvait supporter Albert le Grand. Partout où il en parle dans 
ses écrits, il laisse percer une sorte de jalousie dénigrante contre 
l’illustre Docteur 4 . Il en est comme obsédé; sa gloire l’offusque, 
son influence colossale dans le monde des étudiants l’irrite. « Il 
vit encore, dit-il, et il a, de son vivant, une autorité qu’aucun 
homme n’eut jamais en matière de doctrine, car le Christ lui- 
même n’est pas arrivé jusque-là, lui qui fut rejeté ainsi que sa 
doctrine pendant sa vie 5 . » 

1 Foret, La Faculté de Théologie de Paris, I, p. 203. 

2 « Non legantur libri Aristotelis de metaftsica et de naturali philosophin, nec 
summe de cisdem... » (Denifle, Chartul. Univ. Paris., I, p. 78, n° 20.) 

* « Qui in Goncilio provinciali ex certa causa prohibiti lucre, Parisius non utanlur, 
quousque examinati fuerint et ab omni errorum suspicione purgati. » (Ibid., p. 138. 
n° 79.) 

4 « Jam æstimatur a vulgo sludentium et a multis qui valdc sapientes æstiman- 
tur et a multis viris bonis, licct sint decepti, quod jam philosophie data sit Lati- 
nis, et composita in linguu latina, et est facta in temporc mco et vulgata Parisius, 
et pro auctore allcgatur compositor cjus. Nam sicut Aristoteles, Aviccnnæ et 
Averrocs allegantur in scholis, sic et ipse : et adhuç vivit, et habuil in vita sua 
auctoritatcm quod nunquam homo habuil in doctrina, nam Christus non pervenit 
ad hoc cum et ipse reprobatus fucrit cum sua doctrina in vita sua. » (Fr. Rogeri 
Bacon Opéra quædam haclenus inedita, p. 30. J.-S. Brcwer, Londres, 1859.) 

Et encore : « Sapientes famosiores inter Christianos, quorum unus est frater Albcr- 
lus, de ordine Predicatorum. » (Ibid., p. 14.) 

« Istc per modum authenticum scripsit libros suos, et ideo totum vulgus insanum 
allcgat cum Parisius, sicut Aristotclem, aut Aviccnnam, aut Avcrroem et alios ouc- 
tores. » (Ibid., p. 31.) 

Roger Bacon est cependant forcé* de louer l’immense savoir d’Albert le Grand : 

« Verc laudo cum plus quam omnes de vulgo studentium, quia homo studiosissi- 
mus est, et vidit infinita, et habuit expensum ; et ideo multa potuit colligerc in pelago 
actorum infuiito. » (Ibid., p. 327.) 

8 V. note ci-dessus. 


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CHAPITRE VI 


131 


On citait, en effet, dans l'École, les sentences d'Albert le Grand, 
comme celles des philosophes anciens. Il faisait autorité. C’était 
contraire à tous les usages 4 . 

Mais l’usage ne pouvait empêcher qu’Albert le Grand et Tho¬ 
mas d’Aquin ne fussent regardés, même par leurs adversaires, 
comme les sommités de la philosophie. Siger de Brabant lui- 
même , le chef de l’averroïsme parisien , si vivement combattu 
par saint Thomas, leur donne ce titre : Præcipui viri in philoso¬ 
phé Albertus et Thomas *. 

Malgré cette supériorité universellement reconnue, les Prêcheurs 
hésitèrent à les suivre ; plusieurs même voulurent leur barrer la 
route. 

Il y avait parmi eux des Maîtres formés par l'ancienne école 
platonico - augustinienne , qui ne voyaient pas d’un œil rassuré 
l’engouement des étudiants pour la philosophie péripatéticienne. 
Ils s’en tenaient encore à ces premières ordonnances capitulaires 
de Paris, en 1228, qui prescrivaient aux Frères d'étudier avec la 
plus grande réserve les livres des philosophes 3 . Les arts libéraux 
leur étaient interdits, à moins d’une dispense du Maître de l’Ordre 
ou d’un Chapitre général. Le premier titulaire de la chaire théo¬ 
logique à Saint-Jacques, Frère Jean de Saint-Gilles, partageait ces 
idées : « Lorsque certains élèves arrivent en théologie, écrivait-il, 
ils ne peuvent se dépouiller de leur science ; on en voit qu’on ne 
peut arracher à Aristote; ils mettent dans leurs études du métal 
pour de l'or, je veux dire des questions philosophiques. Il y en 
a qui connaissent bien la langue spirituelle, c’est-à-dire la théo¬ 
logie, mais ils la transforment en langue barbare, par leur philo¬ 
sophie corruptrice. Celui qui a appris la métaphysique veut tou¬ 
jours appliquer sa méthode à l'Écriture sainte. 

« De même les géomètres : ils ne parlent en théologie que lignes 
et points. Tels ceux qui revêtent un roi d’ornements sordides et 
lacérés; tels encore ceux qui jettent de la poussière en pleine 
lumière 4 ... » 

1 Mandonnet, op. cit., p. 60. 

* Ibid. 

3 « In libris gentilium et philosophorum non studeant etsi ad horam inspiciant. 
Scculares sciencias non addiscant, ne eciam arles quas liberales vocant, nisi aliquando 
circa aliquos magister ordinis vel capitulum generale voluerit aliter dispensare; sed 
tantum libros theologicos tam juvenes quam alii legant. » (Anal. Ord., 1896, p. 643.) 

4 « Quando taies veniunt ad theologiam, vix possunt separari a scientia sua, sicut 
patet in quibusdam qui ab Aristotelc non possunt in theologia separari ponentes ibi 
auricalcum pro auro, scilicct philosophicas questioncs et opiniones. Sunt aliqui qui 
bene linguam spiritualem didicerunt, id est theologiam, sed tamen in ea barbarizant, 
eam per philosophiam corrumpcntes. Qui enim mctaphysicam didicit semper vult 
in sacra scriptura metaphysice procedere. Similiter qui geometriam didicit semper 
loquitur de punctis et lincis in theologia. Taies induunt regem sordidis vestibus et 
laceratis; item spargunt pulvcrem in lucem, et inde nascuntur cyniphes. » (Hau- 
réau, Notices et extraits de quelques manuscrits latins, VI, p, 234, 251.) 


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132 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Frère Jean de Saint-Gilles n’était certainement point de l’école 
d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin. S’il avait été formé par 
ces illustres Maîtres, il est probable qu’il eût suivi leurs idées. 

Celles-ci avaient marché, depuis les ordonnances restrictives 
de 1228. Tellement, que le vénérable Humbert de Romans, témoin 
sous son magistère des résultats déjà merveilleux de l’enseigne¬ 
ment nouveau introduit par Albert le Grand et Thomas d’Aquin, 
ne craignait pas d’écrire : « Lâchez les rênes M » Les jeunes ne 
demandaient pas mieux. Quoi que purent dire les anciens, ils se 
lancèrent, — peut-être un peu trop, comme il arrive à des pou¬ 
lains le licol sur le cou, — à la poursuite des idées d’Aristote. 
Mais les divergences n’en existaient pas moins dans l’Ordre. 
Et certains mystiques, moins attirés par la science, ne se pri¬ 
vaient pas de dénigrer ces études profanes. Ainsi on se racontait 
des visions terrifiantes. 

Un Frère anglais, qui essayait de teinter de philosophie un 
discours qu’il devait donner aux écoliers, fut pris d’un léger 
sommeil. Et il vit le Seigneur Jésus qui lui présentait une bible 
toute souillée à l’extérieur : « Elle est bien salie, cette bible! » 
dit le Frère, et le Seigneur de répondre : « Elle est très belle 
au dedans, mais c’est vous, avec toutes vos philosophies, qui la 
souillez ainsi*! » 

Un autre Frère, lombard celui-là, encore étudiant, se deman¬ 
dait ce qu'il devait apprendre, ou la physique ou la théologie. 
Or pendant son sommeil, il vit un personnage qui tenait à la 
main le rouleau des morts 3 , et il lisait les noms des Frères défunts 
en ajoutant qu’ils souffraient beaucoup en purgatoire. Et le Frère 
lui en demanda la raison : « A cause de leur philosophie, » lui 
fut-il répondu. Il le crut et sut ce qu’il devait étudier 4 . 

« J’étais très ardent pour la philosophie, racontait un Frère; 
mais une nuit je me vis transporté au jugement de Dieu, et 
j’entendis quelqu’un dire : « Ce n’est point un religieux, c’est un 
philosophe ! » Et aussitôt le juge ordonne qu’on me dépouille de 
mes vêtements. Je reçus une dure discipline. Pendant quinze jours 
j’eus le dos et les membres comme brisés 5 . » 

Ces petits riens pieux, chuchotés entre Frères, sous le couvert 
d’un ascétisme plus simple et plus apostolique, faisaient peut-être, 
dans l’Ordre, à la méthode d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin 
un tort plus sérieux que les déclamations des Maîtres. 

1 « Laxandæ sunt habena* circa studium liujusniodi. » (Ilumbcrl de Romans, Opp. 
de Vita regulari , I, p. 435. Ed. Berthier.) 

2 Vitæ Fratrum, p. 208. Ed. Reichert. 

3 Cf. t. I, p. 600. 

* Vifæ Fratrum, p. 208. Ed. Reichert. 

« Ibid. 


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CHAPITRE VI 


133 


Vincent de Beauvais, ce grand travailleur, s'excuse, devant ses 
lecteurs, d'un certain apparat philosophique : « Plusieurs d'entre 
mes lecteurs, écrit-il, seront peut-être offusqués de ce que j'aie 
semé parmi mes chapitres quelques fleurettes d'Aristote, prises 
surtout dans ses livres de physique et de métaphysique. Je ne les 
aurais jamais cueillies moi-même, mais des Frères me les ont 
offertes et je les ai acceptées 1 2 ... » 

Le diable lui-même s’en mêlait. Ce bon Thomas de Cantimpré 
ne raconte-t-il pas qu'il voulut dissuader Albert le Grand de se 
livrer à ses recherches philosophiques. Il avait pris, pour le 
séduire, l'apparence d’un Frère très dévot-. Albert, en disant 
cette tentative au naïf chroniqueur, ne parlait-il pas en parabole? 

Dans le camp même de l’école péripatéticienne il y avait des 
dissensions. 

Quelques docteurs, Siger de Brabant en tête, prenant pour 
guide, dans leurs explications d'Aristote, son commentateur arabe 
Averroès, outraient et déformaient la pensée du Maître 3 . Comme 
ils avaient la prétention d’introduire leurs conclusions erronées 
dans les questions de foi, il s'ensuivit, sur les partisans d’Aristote, 
par conséquent sur l’école dominicaine, une sorte de discrédit. 
Quoique combattues par saint Thomas, les doctrines d'Averroès 
n'en paraissaient pas moins, pour les adversaires de la philosophie 
péripatéticienne, un fruit naturel de celle-ci. 

Telle était la situation dans l’Universilé de Paris, pendant les 
premières années du magistère de Jean de Verceil. Il y avait lutte 
ouverte entre les Platonico-Augustiniens séculiers et réguliers, 
dont principalement les Mineurs, et la nouvelle école théologique 
fondée par. Albert le Grand et Thomas d’Aquin ; il y avait dis¬ 
sension parmi les Prêcheurs sur ce même sujet : lutte extérieure 
et dissension intérieure compliquées par les excès des Averroïstes, 
dont les erreurs étaient une menace pour la foi catholique. 

On pouvait s’attendre à un coup d’éclat. 

En 1270, Etienne Tempier 4 , évêque de Paris, condamna, comme 


1 « Ego autem, in hoc opcre, vercor quorumdam legcntium animos refragari, quod 
nonnulos Arislotelis flosculos, prccipueque ex libris cjusdem physicis et metaphy- 
sicis quos nequaquam ego cxcerpscram, sed a quibusdam fratribus cxcerpta suscc- 
peram..., quod per diversa capitula inserui. » Spéculum, Prolog., cap. xvm. 

2 Cantimpré, Donuin universale de Apihus, p. 563. Douais, 1627. 

3 Sur ce personnage, cf. le très remarquable ouvrage du Père Mandonnet, Siger 
de Brabant et Vaverroïsmc latin, Fribourg, 1899. — ltenan, Averroès et VAverroïsme. 
Paris, 1867. 

* Etienne Tempier, né à Orléans, chancelier de l'Université de Paris, puis évéque 
en 1268. Il mourut le 3 septembre 1279. (Cf. U. Chevalier, Répertoire des sources 
historiques. — Denifle, Chartul. Univ. Paris., I, p. 438, 1 10, 112.) Il paraît qu’il avait 
l'humeur agressive et obstinée. *« Ex hoc... apparet canccllarium Stephanum liomi- 
nem pertinacis et obstinatæ mentis fuisse, mircque partim explicatur ratio ab ipso 
ann. 1277 inita in condemnatione 219 errorum. » (Ibid., p. 138, n° 3.) 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


juge de la foi dans son diocèse, treize propositions philosophiques 
qui lui parurent, avec justice, être contraires à la vérité chré¬ 
tienne 1 . 

De plus, pour couper court à ces dangereuses maximes, dont 
la source était dans les écrits et les commentaires arabes d'Aris¬ 
tote, l’évêque, en présence des Maîtres de la Faculté des Arts, 
réunis dans l’église de Sainte-Geneviève, en avril 1271, porta ce 
décret : « Nous statuons et nous ordonnons qu’aucun Maître ou 
Bachelier de votre Faculté ne posent et ne discutent des ques¬ 
tions purement théologiques, par exemple sur la Trinité, l’Incar¬ 
nation et autres matières semblables 5 ... » C’était signifier aux 
Maîtres de philosophie de s’occuper strictement et exclusivement 
des sujets qui leur incombaient, sans pousser des reconnaissances 
toujours aventureuses sur le domaine de la théologie. 

L’inquiétude était grande parmi les Maîtres des Prêcheurs. L’un 
d’eux, Frère Gilles de Lessines 3 , en appela directement au savoir 
d’Albert le Grand. Il lui envoya la liste des propositions con¬ 
damnées , en le priant de lui donner sur chacune d’elles un avis 
motivé. 

Pierre de Prusse 4 avait signalé déjà la requête de Frère 
Gilles de Lessines, mais sans en donner le texte intégral. Le 
Père Mandonnet eut la bonne fortune de retrouver la réponse 
d’Albert le Grand précédée de la lettre du Frère Gilles 5 . On est 
donc certain que la consultation portait sur les articles incriminés. 

1 « Isti sunt errorcs condcmpnali et excommunicati cum omnibus qui eos 
docuerint scienter vcl asseruerint a domino Slephano Parisicnsi cpiscopo , anno 
domini MCCLXX die mercurii post festum beali Nicolai hyemalis. 

1. Primus urticulus est : Quod intcllcctus omnium hominum csC unus et idem 
numéro. 

2. Quod ista est falsa vcl impropria : Homo intelligit. 

3. Quod voluntas hominis ex neccssitatc vult vcl eligit. 

4. Quod omnia que hic in inferioribus aguntur subsunt ncccssitati corporum 
cclestium. 

5. Quod mundus est elernus. 

6. Quod nunquam fuit primus homo. 

7. Quod anima, que est forma hominis sccundum quod homo, corrumpitur, cor- 
ruplo corpore. 

8. Quod anima post mortem se parut a non patitur ab igné corporco. 

9. Quod liberum arbitrium est potentia passiva, non activa, et quod neccssitatc 
movetur ab appetibili. 

10. Quod Deus non cognoscit singularia. 

11. Quod Deus non cognoscit alia a se. 

12. Quod liumani actus non reguntur providentia Dei. 

13. Quod Deus non potest darc immortalitatem vcl incorrupcioncm rei corrupti- 
bili vol mortali. *» (Dcnifle, Charlul. Univ. Paris., I, p. 486-487, n° 432.) 

2 D’Argentré, Collcctio jiidicioram, I, p. 175-178. 

3 Flamand d’origine. Cf. Ecliard, I, p. 370-371. 

* Vitu B. Alberti Magni, cap. 22. Cité par Denifle, Chartul. Univ. Paris., I. 
p. 487, note. 

5 Mandonnet, Siger de Brabant , appendice, Alberti Magni De Quindecim proble- 
matibus, p. 15 (Munich, Bibl. rog. Latins, 453). 


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CHAPITRE VI 


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Cependant, cette condamnation n’atteignait en aucune manière 
l’enseignement de saint Thomas. Tout au plus visait-elle les excès 
des études philosophiques. Elle n’était ainsi qu’un procès de ten¬ 
dance contre le péripatétisme en général. 

Et, de fait, l’Ordre des Prêcheurs en ressentit immédiatement 
le contre-coup. Au Chapitre général de Montpellier, en 1271, 
quelques semaines après la réunion de Sainte - Geneviève, les 
Pères essayent de brider les étudiants en philosophie : « Nous 
avertissons les étudiants de se livrer moins avidement à l’étude 
de la philosophie et de se consacrer avec plus de zèle à l’étude 
de la théologie 1 . » 

Et, au Chapitre de Bude, en 1273, Maître Jean de Verceil, ayant 
pris l’avis des Définiteurs, ordonne, en vertu de l’obéissance, de 
ne point étudier l’alchimie, de ne point l’enseigner, de ne point 
la pratiquer, et même, si les Frères ont en leur possession des 
livres sur ce sujet, ils devront les remettre au plus tôt à leurs 
Prieurs, et les Prieurs aux Provinciaux*. 

L’alchimie était réputée, au moyen âge, science ténébreuse, 
presque diabolique. 

On se racontait avec terreur, dans les couvents des Prêcheurs, 
qu’un Frère des plus élevés en dignité, lettré, éloquent, bien vu 
des grands seigneurs, avait quitté l’Ordre pour se livrer aux opé¬ 
rations clandestines de l’alchimie, afin d’enrichir un de ses frères 
selon la chair. 11 cherchait sans doute à fabriquer de l’or. Cet 
apostat se retira en Sardaigne, où les minerais sont riches et où 
il se trouvait plus en sûreté, parce que l’Ordre n’avait pas de 
maison dans l’île. Après un peu plus d’un an, il tomba gravement 
malade. Se sentant près de mourir et ne pouvant faire appeler 
un religieux, il dit aux deux clercs qui l’assistaient : « J’ai quitté 
mon Ordre par faiblesse, malheureux que je suis; mais j’ai gardé 
mon habit religieux; prenez-le dans mon vestiaire et mettez-le- 
moi au plus vite afin que je sois enseveli avec lui. » 

Les deux clercs le revêtaient de l’habit de l’Ordre, lorsque la 
chair du malheureux encore vivant fut tout à coup couverte d’une 
multitude de vers qui fourmillaient sur tous ses membres 3 ... » 

A Paris, parmi les Maîtres, l’agitation ne fit que croître. Siger 
de Brabant et ses disciples, de plus en plus audacieux, ne gar- 


1 •« Monemus studentes, quod studio philosophie minus intendant et in studio 
théologie se exerccant diligenter... » (Acin Csip., I, p. 159.) 

2 « Magister ordinis, de volunlate et consilio DiflinUorum, prccipit districte, in 
virtutc obedicncic, fratribus universis quod iu alchimia non studeant, nec doceant, 
ncc aliquatcnus operentur, nec aliqua scripta de sciencia ilia teneant, sed prioribus 
suis restituant, quam cito poterunt bona lide per eosdem priores prioribus Proviu- 
cialibus assignanda. » (Ibid., p. 170.) 

3 Vitæ Fratrum, p. 290. Ed. Reichcrt. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


daient aucune mesure. L’opposition même que leur faisait saint 
Thomas, comme Maître Albert, avivait leur hardiesse. Mais, 
d’autre part, Albert le Grand avait eu beau répondre, avec une 
certaine hauteur dédaigneuse, à Frère Gilles, que les propositions 
soutenues par les philosophes averroïstes et condamnées par 
l’évêque de Paris étaient indignes de véritables philosophes 1 ; 
saint Thomas avait eu beau réfuter magistralement leurs erreurs 8 ; 
les partisans de l'école augustinienne, heureux de profiter de ces 
dissensions entre péripatéticiens, s’acharnaient à les confondre 
dans leurs attaques avec les averroïstes. « Pour les théologiens 
augustiniens, Thomas d’Aquin était comme un allié, un fauteur 
des Maîtres es Arts et de leur enseignement philosophique 3 . » 

On n’avait pas pu l’atteindre directement en 1270, mais, à la 
première occasion, on ne manquerait pas de lui infliger, — et en 
lui à toute l’école nouvelle dominicaine, — un blâme injurieux. 

La mort de l’illustre Docteur n’arrêta point le coup qui le 
devait frapper. On dirait même qu’elle creusa plus profond le 
fossé qui divisait les deux écoles théologiques. Ce n'est point, en 
effet, la Faculté de théologie qui écrit à Jean de Verceil la belle 
lettre citée plus haut, pleine de louanges, de larmes et de regrets; 
qui lui demande, comme un suprême honneur et comme une con¬ 
solation vivement sentie, le corps du saint Docteur, mais bien la 
Faculté des Arts, les Maîtres en philosophie. Divisés comme ils 
étaient dans leur méthode et leurs principes, les Maîtres en théo¬ 
logie ne pouvaient s’unir sur sa tombe en un même sentiment de 
tristesse et d’admiration. 

Trois ans après la mort de saint Thomas, Etienne Tempier, qui 
gouvernait toujours l’Eglise de Paris, frappa de nouveau le péri¬ 
patétisme. Cette fois, le coup visait et atteignait la doctrine du 


1 Dans sa réponse aux questions de Frère Gilles de Lessines. 

« Quidam sophislice de scientia Dci, sicut de sciencia hominis disputantes, non 
intclli^unt dicta philosophorum. (Mandonnet, Siger de Brabant, append. p. 33.) 

« ünmino ergo ridiculosum est qtiod dicuuL. » (Ibid., p. 26.) 

« Absurduni est omnino hoc cpiod dixerunt in sccunda liccione. » (Ibid., p. 20.) 

« Non eiyo tantum sccundum theolo^os falsum est quod dicunt, sed etiam secun- 
duin philosophiam, — il s’agit de l'uni té de l'intelligence, — cujus causa dicti est 
ignorancia , quia multi parisienses non philosophiam sed sophismata sunl sccuti. » 
(Ibid., p. 20.) 

* iraint Thomas composa pendant son séjour à Paris, de 1269 à 1272 (Cf. Echard. 
I, p. 272), un traité contre I'averroïsme, en pleine lutte, par conséquent : De 
Unitate inlelleclus contra Averroislas. (Cf. S. Thoma* Opp., I, p. 236 et ss. — 
Ed. Leonina. — Denille, Chartul. Unie. Paris, I, p. 487. — Mandonnet, Siger de 
Brabant, p. 127.) 

Saint Thomas attaqua même en 1270. dans un sermon prêché devant l’Université 
de Paris, le 20 juillet, troisième dimanche après la fête des suints apôtres Pierre 
et Paul, les doctrines averroïstes. Cf. P.-A. Uccelli , 8'. Thonue Aquinatis et 
S. Bonavcnturæ Balneoregiensis sermones anccdoli , Modène, 1S69, p. 71.— S. Tho- 
mæ Opp., Ed. Fretté, XXXII, p. 676. 

8 Mandonnet, Siger de Brabant, p. 125. 


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CHAPITRE VI 


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Maître. On serait même tenté de croire que l’ancien Chancelier de 
T Université, dont l’humeur passait pour âpre et agressive, voulut 
porter un coup droit au saint Docteur, car son acte est daté du 
7 mars 1277, troisième jour anniversaire de son trépas. 

Etienne Tempier condamnait à la fois deux cent dix-neuf pro¬ 
positions prises pêle-mêle dans les problèmes philosophiques et 
théologiques *. 

Pour appuyer son œuvre, il déclare qu’il a consulté les 
hommes les plus graves. Quoique la condamnation tombât prin¬ 
cipalement et directement sur les chefs de l’averroïsme à Paris, 
Siger de Brabant et Boéce de Dacie*, l’évêque et les « hommes 
graves » qu’il avait consultés ne pouvaient pas ignorer que plu¬ 
sieurs des propositions réprouvées, une vingtaine, étaient ensei¬ 
gnées par Thomas d’Aquin et l’école dominicaine. S’ils passèrent 
outre, ils le firent en toute connaissance de cause. En frappant 
les commentateurs averroïstes d’Aristote, ils frappaient du même 
coup toute la doctrine péripatéticienne, ou du moins jetaient sur 
elle le discrédit 3 . L’intention était tellement visible que même des 
adversaires du saint Docteur s’en montrèrent contrariés et criti¬ 
quèrent vivement le procédé d’Etienne Tempier. Gilles de Rome 
écrivait qu’il fallait faire peu de cas de cette condamnation, car 
elle était l’œuvre de quelques têtes bornées 4 . Tout en l’approu¬ 
vant pour un certain nombre d’articles, Godefroy des Fontaines, 
peu suspect d’inclination pour les Mendiants, regrette, non sans 
vivacité, que l’évêque de Paris ait attaqué la doctrine de saint 
Thomas, parce que pareille attaque ne pouvait avoir de succès 5 . 

Un Frère Prêcheur fut d’avis différent. C’était un Anglais, qui, 
entré dans l’Ordre après ses études à Paris et à Oxford, devint 
professeur dans cette Université en 1248, puis Provincial 
de 1261 à 1272. Le 11 octobre de cette dernière année, Frère 
Robert Kilwardby montait sur le siège primatial de Cantorbéry 6 . 
Il se rattachait par ses études à l’école augustinienne. C’est dire 
qu’il était un adversaire déclaré de la nouvelle école dominicaine 
fondée par Albert le Grand et Thomas d’Aquin. Ses œuvres en 
font foi 7 . Il profita de la haute situation qu’il occupait et qui 


1 Denifle, Charlul. Univ. Paris., I, p. 543, n° 473. 

* Mandonnct, op. cil., p. 239 et ss. 

3 Ibid. 

* « Nihil esse curandum (de articulis condcmnatis) quia fueruut facti non convo- 
calis omnibus Doctoribus parisiensibus, sed ad requisitioncm quorumdam Capitu- 
sorum. »* S. Th. Opp., I, p. 269. 

5 D’Argentré, Collectio judiciorum, I, p. 216 et ss. 

6 Echard, I, p. 371-380. —H. Palmer, The Provincials of Lhe Frinr-Preachers or 
Black Friars of Engfond. Areh. Ord. XIII, 7. 

7 Echard, l. c., — Ehrle, Archiv. fur. Liller. und Kirchengeschichle, II, p. 236. 
Haurcau, Notices et extraits de quelques manuscrits latins, V, p. 116 et ss. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


ajoutait encore à son autorité personnelle, pour essayer, d’accord 
avec Etienne Tempier, de ruiner l’influence des deux illustres 
Maîtres. Cet accord paraît évident. 

Le 7 mars, Étienne Tempier condamne ses deux cent dix- 
neuf propositions; le 18, Robert Kilwardby en condamne trente, 
relatives à la grammaire, à la logique, à la philosophie naturelle 1 . 
Toutes ou presque toutes atteignent l’enseignement de saint Tho¬ 
mas sur l’unité des formes substantielles ou la formation des 
corps en général. En formulant cette condamnation, l’arche¬ 
vêque de Gantorbéry aggravait celle de l’évêque de Paris. 

L’union de ces deux prélats devenait, pour l’école péripatéti¬ 
cienne, une menace de mort. Et, pour comble de tristesse, la bles¬ 
sure la plus vive venait d’un Frère Prêcheur. 

Robert Kilwardby alla même jusqu’à accorder des indulgences 
de quarante jours à qui n’enseignerait pas les propositions qu’il 
avait condamnées*. 

Fort de cet appui, Étienne Tempier se disposait à lancer l’ana¬ 
thème contre les doctrines de saint Thomas, lorsque les cardi¬ 
naux qui étaient réunis pour l’élection du Pape, — 20 mai au 
24 novembre 1277, — lui signifièrent de rester en paix. Son zèle 
paraissait évidemment intempestif. Ce détail est fourni par le Fran¬ 
ciscain Jean Peckam, qui, succédant à Frère Robert Kilwardby 
sur le siège de Cantorbéry, avait pris également la succession, 
très enrichie par lui-même, de son animosité contre la doctrine 
de saint Thomas 3 . 

L’Ordre des Prêcheurs, si cruellement frappé dans son Maître 
le plus vénéré, ne pouvait se désintéresser de la lutte. 

Au Chapitre de Montpellier, en 1278, — le premier après les 
deux condamnations, — les Pères Capitulaires nomment deux délé¬ 
gués chargés de se rendre immédiatement en Angleterre pour 
faire une enquête sur ceux qui, parmi les Frères, dans leurs 
paroles ou leurs écrits, ont attaqué la doctrine du Vénérable Père, 
Frère Thomas. 

Ils qualifient ces actes de scandaleux pour l’Ordre. Ces délé¬ 
gués, Frère Raymond de Meuillon et Frère Jean Vigouroux, ont 
pleins pouvoirs, sur les supérieurs comme sur les inférieurs, pour 
châtier les coupables, les expulser de la province, les priver de 
leurs charges 4 . 


1 Denille, Churtul. Unir. Paris., I, p. 55$, n° 474. 

2 « Quicumque hcc clicla non sustinet, ncc docct, habet a Fralrc R. archiepis- 
copo XL dies de indulgencia. » (Denifle. Churtul. Univ. Paris., I, p. 560, note.) 

J Cf. Mandonnet, op. cit., p. 250. 

4 «* Injungimus dislriete fratri Raymnndn de Medullione et fralri Jolianni Vigo- 
rosi, leetori Montispcssulani, quod cum lestinacionc vadant in Angliam inquisituri 
diligenter super lacto fratrum qui in scandalum ordinis detraxerunt de scriptis 


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CHAPITRE VI 


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Évidemment Robert KiHvardby avait fait école. Longtemps 
professeur à Oxford, longtemps Provincial d’Angleterre, il avait 
formé à sa doctrine les Prêcheurs qui lui étaient soumis. Aussi, 
lorsque parut la condamnation, ou pour parler plus justement, la 
prohibition des articles incriminés, il y eut dans les collèges des 
Frères une violente poussée contre le péripatétisme de saint Tho¬ 
mas 1 . Son enseignement était attaqué, dédaigné. Se sentant à 
couvert sous l’autorité du primat de Cantorbéry, ses adversaires 
luttaient contre lui et son école, sans mesure. Ils oubliaient que 
si l’Ordre ne pouvait plus atteindre Frère Robert Kilwardby, à 
cause de sa dignité, pour lui imposer silence et le désavouer, il 
avait toute juridiction sur les détracteurs de saint Thomas, parmi 
ses membres, pour leur fermer la bouche. Maître Jean de Verceil 
n’y manqua point. 

Les deux délégués appartenaient à la province de Toulouse. 
Tous deux jouissaient de la plus grande réputation de science 2 . 
Leur intervention pacifia facilement les esprits, car il n’est plus 
question de cette effervescence locale. 

Au Chapitre de Paris, en 1279, on revient encore avec la même 
énergie sur ce grave sujet, mais d’une manière plus générale. 
Voici ce que disent les Actes : « Comme le Vénérable Frère 
Thomas d’Aquin, homme dont le souvenir ne peut périr, a gran¬ 
dement honoré l’Ordre par sa vié digne de louanges et ses écrits, 
on ne peut tolérer que quelqu’un se permette de parler ou de 
sa personne ou de ses écrits avec irrévérence, même si l’on ne 
pense pas comme lui. Nous enjoignons donc aux Prieurs Provin¬ 
ciaux et Conventuels, à leurs Vicaires et à tous les Visiteurs de 
punir ses détracteurs 3 . » 

Vencrabilis Patris fratris Thomc de Aquiuo; quibus ex nunc plcnam damus aucto- 
ritatem in cnpite et in membris, qui quos culpabilcs invenerint in predietis 
puniendi, extra provinciam emittendi, et omni officio privandi plcnam hubeunt 
potestatem. Quod si unus corum, casu aliquo légitime, fucril impedilus, altereorum 
nichilominus excquatur. Quibus priorcs de sociis competentibus quos ipsi ad hoc 
ofiicium excquendum idoncos judicaverint, teueantur quandocumque requisili fue- 
rint providere. »» ( Acta Cap., I, p. 199.) 

1 Robert Kilwardby affirme qu'il a pris l avis et reçu l'assentiment de tous les 
Maîtres d’Oxford, régents ou non régents : <« De consensu omnium magistrorum 
Oxonicnsium tam regenlium quam non regentium. »» (Mandonnet, op. cil., p. 251, 
note.) 

* Echard, I, p. 434 et ss. — Douais, Acta Capitul. Prov. passim., et Les Frères 
Prêcheurs en Gascogne, p. 441-442. 

3 « Cum Vencrabilis vir memoric recolcnde Fr. Thomas de Aquino , sua con- 
versacione laudabili et scriptis suis, multum honoraverit ordinem, nec sit aliquale- 
nus tolcrandum quod de ipso vel scriptis ejus aliqui irrcverenler et indecenter 
loquantur, etiam aliter sencientes, injunginnis prioribus provincialibus et conven- 
tualibus, et eorum vicariis ac visitatoribus universis quod si quos invenerint cxce- 
dentes in predietis, punire non postponant. » (Acta Cap.. I, p. 204, Chap. de 
Paris, 1279. — Cf. Douais, Essai sur VUrganis.ition des Etudes , p. 97 et ss. — 
Masctti, Monumenta et antiquitates., I, p. 138. — Mandonnet, Siger de Brabant , 
p. 251-252. — Denitle, Char tut. Unie. Paris., I, p. 500, note.) 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Ce n’était, dans FOrdre des Prêcheurs, qu’une infime mino¬ 
rité. La masse suivait avec ardeur la voie lumineuse ouverte par 
Albert le Grand et Thomas d’Aquin. 

On dit même que Maître Albert, ému des attaques dirigées 
contre son plus illustre disciple, voulut le défendre en personne. 

De Cologne, où il résidait, il se rendit à Paris, dans cette Uni¬ 
versité où nul n’avait égalé sa célébrité de philosophe. Et certes, 
ce ne dut point être un spectacle banal que de voir ce grand 
vieillard, — il avait plus de quatre-vingts ans, — s’asseoir parmi 
les Maîtres et soutenir de toute son autorité la doctrine de Tho¬ 
mas d’Aquin 1 . 

D’autres religieux, réputés les premiers d’entre les Maîtres, 
prirent également la défense du saint Docteur. C’est le commen¬ 
cement des innombrables ouvrages écrits sur les œuvres de 
saint Thomas. En tête, il faut placer Frère Gilles de Lessines, 
qui traita spécialement la question la plus battue en brèche De 
Unitate format 1 ', puis, Frère Richard Clapwel, un Anglais, qui 
reprit la lutte, un peu plus tard, contre Jean Peckam et Guil¬ 
laume de Mera, tous deux de FOrdre des Mineurs, avec son 
livre Contra Corruptorem S . Thomæ, et aussi De Unitate for¬ 
mat 3 . 

On tint peu compte, du reste, même en Angleterre, de la con¬ 
damnation de Robert Kilwardby, comme de celle d’Etienne Tem- 
pier. Un dominicain anglais, fervent disciple de saint Thomas, 
auquel on opposait cette dernière, répondit en plaisantant : « Oui, 
je la connais, mais elle n’a pas passé la mer 4 . » 

Le Primat d’Angleterre essaya d’excuser son zèle inconsidéré. 

Un Frère Prêcheur, Frcre Pierre de Conflans 5 , Bachelier de 
Paris, récemment nommé archevêque de Corinthe, attristé de son 
procédé peu honorable pour FOrdre, lui avait témoigné par lettre 
son étonnement et sa tristesse. La réponse est plutôt embarras- 

1 « Insonuit rumor (Colonia) quod scripta Fr. Thomæ Parisius impugnabantur, 
unde Fr. Albertus dixit se illuc vellc acccdere pro dcfensione illorura scriptorum. 
Fratres vcro dccrcpilum ætatis ipsius timentes, et longum viagium, dissuaserunt 
illi prædiclum iter per aliquod tcmpus... Finalitcr tamen dixit idem Albertus se 
velle Parisius omnino accedere pro defensione tam nobilium scripturarum, ci ivit 
Parisius, in eu jus societatc Fr. Ugo de Luca accessit... Cum vcro fuit Parisius dic- 
tus Fr. Albertus, facta convocatione studii gcncralis Parisieusis dixit quod ipse 
para tus erat in examine peritorum defendere scripta dicti Fr. Thomæ tanquam 
veritate fulgentia et sanctilatc... » (Acta. SS. I. Marlii , p. 71 i, n« 82). — Echard, I, 
p. 169. 

* Cf. Echard, I, p. 370 et ss. Le traité sc trouve à la Bibliothèque nationale, 
Lat. n° 15962. 

3 Echard I, p. 41-i, Bibliothèque nationale, ibid. — Hauréau, op. cil., V, p. 69-70. 

4 Guill. Occam, Dialogus, Pars. I, Tract. II, c. ix. — Hauréau, Histoire de la Phi¬ 
losophie scolastique, II, p. 98. 

5 Cf. Martène, Thésaurus anecdotum, II, p. 578. — Eubel, Hierarchia catholica , 
p. 228. — Deniflc, Chartul. Unie. Paris., I, p. 559. 


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CHAPITRE VI 


141 


sée. Robert Kilwardby s’abrite sous l’autorité des Maîtres d’Oxford, 
régents ou non régents, qui, consultés par lui, ont tous donné 
leur assentiment; il déclare, en outre, que, de fait, il n’y a pas 
condamnation proprement dite, excommunication comme pour des 
hérésies, mais simplement une défense d’enseigner ces proposi¬ 
tions dans l’Université, parce qu’il les juge ou fausses, ou con¬ 
traires à la bonne philosophie, ou très proches d’erreurs intolé¬ 
rables, ou même manifestement impies 1 . Qui l’aurait cru de saint 
Thomas? 

Maître Jean de Verceil et les Chapitres généraux surent, par 
leur fermeté, maintenir sa doctrine intacte, dans l'Ordre, et la 
faire respecter au dehors. 

Toute cette agitation tomba peu à peu *, et, lorsque les esprits 


1 a Scripsisti michi nuper, quod vencrabilis patcr dominas Stephanus, cpiscopus 
Parisiensis, vobis significavit quod ego de consensu omnium magistrorum Oxonicn- 
sium tain regentium quam non regentium articules Oxonie condempnavi quosdam 
in grainmaticalibus, quosdam in logicaübus, quosdam in naturalibus... Hoc igitur 
palemitati vestre significo quod dampnalio ibi facta non fuit talis, quomodo sole- 
bat esse expressarum heresum, sed fuit prohibitio in scolis delerminando vel legendo 
vel alias dogmatizando talia asserendi; tum quia quidam sunt manifeste falsi, tum 
quia quidam sunt veritati philosophice devii, tum quia quidam sunt erroribus into- 
lerabilibus proximi, tum quia quidam sunt apertissime iniqui quia fidei catliolice 
répugnantes. » (Ehrle, Archiv. Fiir Littéral, uml Kirchengesch ., V, p. 614-632.) 

1 Les Mineurs continuèrent la lutte. Ainsi, à leur Chapitre de 1282 , il est dit : 
Generalis Minister imponit ministris provincialibus quod non permittant multipli- 
cari Summam fratris Thomæ nisi apud lectores notabiliter intelligentes et hoc nisi 
cum declarationibus fratris G. de la Mara, non in marginibus positis, sed in qua- 
temis, et hujusmodi declarationes non scribantur per aliquos seculares. »> ( Constit. 
des Frères Mineurs, ms. du xiv« siècle. Cité dans les Analecla Bolland., XVIII, 
fasc. III.) 

Ce Frère Guillaume de Mcra avait composé un livre intitulé : Correctorium 
Thomæ. C’était un Mineur, Maître d’Oxford. Frère Richard Clapwel, des Prêcheurs, 
y répondit par son traité Contra Corruplorium Fratris Thomæ. Frère Jean de Paris, 
Poinlasne, par son traité Contra Corruptorem Fratris Thomæ. Ce dernier a été 
imprimé à Venise en 1516, sous le titre de Correctorium corruptorii S. Thomæ. 
(Cf. S. Th. Opp. Ed. Leonina, I, p. 268 et ss.) 

Deux ans après, en 1284, Jean Peckam , Mineur également, successeur de 
Robert Kilwardby sur le siège de Cantorbéry, renouvela et aggrava la condamna¬ 
tion première. Il cita même à son tribunal Frère Richard Clapwel, le défenseur de 
saint Thomas. Celui-ci refusa de comparaître en arguant de l'exemption de son 
Ordre. (Cf. D. Wilkins, Concilia Magnæ Britanniæ, II, p. 108. — D’Argcntré, Col- 
lectio judiciorum , p. 234 - 236. Begistrum epislolarum Joannis Peckam, III, 
Londres, 1885. — Wadding, Annales Minorum, ad aun. 1279 et ss. — Ferct, La 
Faculté de Théologie de Paris, II, p. 313 et ss.) 

Les deux Ordres en étaient arrivés, au dire de Jean Peckam lui-même, A des 
doctrines entièrement opposées : « Cum doctrina duorum ordinum in omnibus 
dubitabilibus sibi pene penitus hodie adversetur. » ( Begistrum Epislolarum, III, 
p.871.) 

Et un peu plus loin : « Cum doctrina unius ordinis sit tota pene contraria 
doctrinæ alterius, cxccptis fidei fundamentis. » (Ibid., p. 902.) 

Jean Peckam avait discuté et disputé à Paris avec saint Thomas. Un témoin dans 
le procès de canonisation de saint Thomas dépose ainsi : « Dixit testis se audivisse 
a pluribus Fratribus Prædicatoribus fide dignis, quod quando idem frater Thomas 
una vice disputabat Parisiis, ubi erat frater Johannes de Pizano, Ordinis Fratrum 
Minorum, qui fuit postea archiepiscopus Cantuariensis, quantumque dictus frater 


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142 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


plus calmes, sans parti pris, étudièrent les œuvres de Fillustre 
Docteur, elles parurent si lumineuses, si pures de toute erreur, si 
intimement fusionnées avec la foi catholique, qu’elles devinrent 
comme la doctrine même de l’Église. Il y a longtemps que les 
censures d’Étienne Tempier et de Robert Kilwardby sont retom¬ 
bées sur leurs auteurs. 


Johannes exasperarel cumilcm fenircm Thomam verbis ampiillosis et tumidis, 
nunqnain lamen ipso Frater Thomas restrinxit verbum humilitalis, sed semper cum 
duleedine et humanilate respondit. » (Acta SS. I. Mnrtii. Process. Inquisit. Cap., 
IX, n" 77, p. 712.) 


BIBLIOGRAPHIE 


P. Molhon, Vita del B. Giovanni da Vercclli , Verccil, 1903. 

François Devrwerders, Mililia angelica Divi Thomæ, Louvain, 1659. 

II. Deniflc, Die Univcrsitatcn des Mitlelalters bis 1400, Berlin, 1885. 

M. de Wulf, Histoire de la Philosophie scolastique dans les Pays-Bas, Lou¬ 
vain-Paris, 1895. 

Ilauréau, Notices et extraits de quelques manuscrits latins delà Bibliothèque 
Nationale, Paris, 1893. 

N. Valois, Guillaume d’Auvergne, Paris, 1888. 

Ilauréau, Grégoire IX et la philosophie d’Aristote, Paris, 1872. 

A. Van Weddingcn, Albert le Grand, le maître de saint Thomas d’Aquin, 
d’après les plus récents travaux critiques, Paris-Bruxelles, 1881. 

G. Von Hertling, Albertus Magnus, Beitrüge zu seiner Wurdigung, Cologne, 
1881. 

M. Thœmes, Commentatio litleraria et critica de sancli Thomæ Aquinatis 
operibus, Berlin, 1874. 

Renan, Averroès et l’averroïsme , Paris, 1867. 

S. Talamo, L’Aristotelismo délia scolastica, Naples, 1873. 

L. Grandgeorge, Saint Augustin et le Néo-Platonisme, Paris, 1896. 

O. Rottmannes, Der Augustinismus, Munich, 1892. 

C. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot, Paris, 1877. 

J. M. A. Vacant, Etudes comparées sur la philosophie de saint Thomas d’Aquin 
et sur celle de Duns Scot, Paris-Lyon, 1891. 

P. Mandonnet, Siger de Brabant et VAverroïsmc latin au X1IP siècle, Fri¬ 
bourg (Suisse), 1899. 


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CHAPITRE VII 


LES DERNIÈRES ANNÉES DU BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Pendant que les Maîtres de Paris et d’Oxford s’agitaient autour 
de la doctrine de saint Thomas, l’Ordre des Prêcheurs voyait un 
de ses fils monter sur la chaire de saint Pierre. 

Grégoire X était mort à Arrezzo, le 10 janvier 1276. Ses 
obsèques terminées, les cardinaux entrèrent en Conclave. C’était 
le premier ; il fut organisé et dirigé de tous points par Frère 
Pierre de Tarentaise, cardinal d’Ostie, et, à ce titre, doyen du 
Sacré Collège, selon la teneur et la rigueur de la constitution du 
Pontife défunt 1 . Il n’y avait que treize cardinaux*. Le 21 janvier, 
onze jours seulement après la mort de Grégoire X, le premier jour 
du Conclave et au premier scrutin, Frère Pierre de Tarentaise 
réunit tous les suffrages 3 . Il prit le nom d’innocent V. La loi du 


1 Cf. Labbc, SS. Concilia, XI, p. 975 et ss. 

Pour le lieu de ce conclave, cf. Molhon, Vie du bienheureux Innocent V, p. 130. 
* Ciaconius, dans les Vitæ et res gestæ Pontificum Itomanorum, donne leurs noms : 

1. Fr. Vicedominus de Vicedominis Placcntinus, Ordinis Minorum, Episcopus 
Card. Prænestinus. 

2. Joannes Petrus Juliani, Ulyssiponensis, Episcopus Cord. Tusculanus. 

3. Fr. Petrus Tarentasius, Burgundus, Gallus, Ordinis Prædicatorum, Episco¬ 
pus, Card. Osticnsis et Veliternus, S. Rom. Eccles. Major Pœnitentiarius. 

4. Simon Paltinerius, Patavinus, Prcsbyter Card. Sanctorum Silvestri et Martini 
in Montibus titulo Equitii, Prior Presbylerorum. 

5. Ancherus Pantaleo, Trccensis, Gallus, Prcsbyter Card. titulo S. Praxcdis. 

6. Guillelmus de Braio, Rhemcnsis, Gallus, Prcsbyter Card. titulo S. Marci. 

7. Simon de Bria, Senoncnsis, Gallus, Prcsbyter Card. titulo S. Cteciliæ. 

8. Joannes Cajctanus Ursinus, Diaconus Card. Sancti Nicolai in Carcerc Tulliano, 
Prior Diaconorum. 

9. Othobonus de Flisco, Genuensis, Diaconus Card. S. Hadriani in tribus Foris. 

10. Jacobus Savellus, Romanus, Diaconus Card. S. Ma rite in Cosmedin, alias 
Scola græca. 

11. Gottifredus de Alatro Henricus, Diaconus Card. S. Georgii in Velabro. 

12. Ubertus, Senensis, Diaconus Card. S. Eustachii. 

13. Mathæus Rubaeus Ursinus, Romanus, Diaconus Card. S. Mariæ in Porticu. 
J « Primo celebrato et publicato scrutinio... in humilitatem nostram Dei provi- 

dentia sive permissionc mirabili... iidem fratres nullo discordante unanimiter con- 
cordarunt... » (Bulle d’innocent V au roi de France, Fundamentum aliud. Citée 
par Mothon, Vie du bienheureux Innocent V, append. ni, p. 264.) 


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144 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Conclave portait ses fruits. Il n'était pas hors de propos de signaler 
que cette loi, si utile à Tliglise, calquée sur la législation des 
Prêcheurs, avait abouti à l'élection d'un Frère Prêcheur. 

Maître Jean de Verceil se trouvait occupé à la visite des cou¬ 
vents d'Italie. Le Chapitre général devait se tenir à Pise. Il est 
plus que probable que, voyageant dans la Toscane, il alla saluer 
le nouveau Pontife, dont il connaissait le profond dévouement 
pour son Ordre. Aucun document contemporain ne révèle cette 
touchante entrevue. On dit bien que, désireux de rentrer dans la 
solitude, le bienheureux Père sollicita d'innocent V l’autorisa¬ 
tion de laisser à un autre le magistère des Prêcheurs ; que le Pape 
ne voulut, à aucun prix, accepter une démission qui lui semblait 
préjudiciable aux intérêts de l'Ordre; que, vaincu cependant par 
les instances réitérées de l'homme de Dieu, il soumit le cas au 
jugement des Définiteurs du Chapitre de Pise, et que ceux-ci se 
refusèrent absolument à ratifier cette démission. Mais ces dires 
ne reposent que sur le témoignage de Michèle Piô, auteur du 
xvn e siècle, qui ne donne pas ses sources et qui, par conséquent, 
ne peut faire que médiocre autorité 1 . 

Les Actes du Chapitre de Pise, le seul tenu dans le court pon¬ 
tificat d’innocent V, sont muets sur cette question-. 

Innocent V adressa au Maître Général et aux Pères Capitulaires 
une lettre très affectueuse dans laquelle il donna à l’Ordre 
quelques conseils. 

Le premier regarde la multiplication des couvents. Au lieu de 
condenser dans de grandes maisons un nombre considérable de 
religieux, comme on l’avait pratiqué jusque-là, il y avait ten¬ 
dance à se répandre un peu partout en fondant de petites rési¬ 
dences. C’était le moyen peut-être de posséder plus de terrain et 
de faire des quêtes plus fructueuses, car chaque petite résidence 
devenait le centre de nouvelles influences; mais c’était certaine¬ 
ment le moyen le plus sûr de ruiner la discipline religieuse. Peu 
nombreux, les Frères ne pouvaient suffire à toutes les obligations 
de la règle. Le Vénérable Humbert avait dénoncé l'abus au con¬ 
cile de Lyon. Innocent V revient à la charge 8 . 

Il demande aussi un choix plus judicieux dans l’acceptation des 


1 « Rinunciô moite voile il Gcncralato, ma non fu csaudito, et Innoccntio Quiulo, 
per compiacerlo, comandando alli Definitori in un Capilolo, che l’assolvcssero , non 
lo volsero fare in conto veruno. » (Michèle Pié, Delta Vita degli Uomini..., 2» part., 
Pavie, 1613.) 

2 Cf. Acta Cap., I, p. 182 et ss. 

3 « Primum ut in locis multis aut minus insignibus vos domorum vaga et nume- 
rosa construclio aut construclarum etiam translalio non delectet : cum domos ves- 
tras célébrés et conventus talis locorum novitas viris bonis inconvcnienter evacuet 
et mentes vestras non modicum inquietet. »» (Bull. Ord., I, p. 543, B. In loco solli - 
citudinis, 10 mai 1276.) 


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CHAPITRE VII 


145 


novices. Ce n'est pas le nombre qu’il faut chercher, mais la qua¬ 
lité des postulants 1 . 

Il désire que la discipline soit maintenue plus rigoureusement; 
que le respect de la loi soit assuré ou vengé par de sévères péni¬ 
tences. C’est au bâton à punir l’insolence des pervers 2 . 

Maître Jean de Verceil, dont ces avis tombés de si haut sou¬ 
tenaient l’énergie, ordonna de les transmettre à tous les couvents 3 . 
De plus, après les sessions capitulaires, il adressa à l’Ordre une 
circulaire invitant les Frères à remercier Dieu de l’honneur 
insigne qui leur était fait par l’élévation de Pierre de Tarentaise. 
Il rappelle les humbles origines des Prêcheurs, ce germe si chétif 
qu’avait planté Dominique, et qui, devenu un arbre couvrant de 
ses rameaux la terre entière, produisait, après soixante ans de 
vie, ce fruit supérieur : un Pape. Le petit ruisseau de Prouille 
coulait maintenant à travers les terres les plus vastes, large, 
fécondant comme un grand fleuve : Ecce fons parvulus crevit in 
flumen maximum, et in aquas plurimas redundavit *! 

Lajoie du Maître fut courte. Après six mois d'un pontificat qui 
donnait à l’Église les plus belles espérances, Innocent V mourait 
à Rome, le 22 juin 1276 5 . Il n’eut point le temps d’offrir à 
son Ordre des témoignages durables de son dévouement 6 . 

Jean de Verceil se trouvait encore en Italie. Il était à Viterbe 
quand les cardinaux se réunirent pour choisir le successeur 
d’Adrien V, ce Pape qui, élu le 11 juillet, était mort le 18 août 
suivant. Il avait régné assez pour mettre la discorde dans l’Église. 
Opposant de la première heure à l’institution du Conclave, Otto- 
boni Fieschi, devenu Adrien V, avait déclaré aux cardinaux sa 


1 « Altcrum ut super fratribus recipicndis ad Ordincm vestra incauta maturités 
non labatur sed taies dcliberacione débita prcambula discretio vestra mores horum 
sufficicntiamque ponderans eligat admittendos qui vasa clcctionis in Domino fruc- 
tuosis operibus représentent. »> (Bull. Ord., I, p. 543, B. In loco sollicitudinis, 
10 mai 1276.) 

2 « Reliquum ut delinquentibus notabiliter et violantibus ipsius ordinis instituta 
vestra correctio non ignoscat, nec ipsorum excessibus vestra iudulgcat disciplina; 
sed cum mores interdum reatus vitient incorrecti sic virga corripiat et baculus 
puniat insolentes ut culpis eorum salubri providentia castigatis interiorcm in ipsis 
hominem consolentur. » (Ibid.) 

3 « Transcriptum litterarum summi Pontificis directarum Capitulo generali diffi- 
uitores et socii priorum secum ferant ad suas provincias et conventus. » (Acta Cap., 
I, p. 187, Chap. de Pise, 1276.) 

4 Litter. Encycl., p. 110. Ed. Reichert. 

3 n Hic licet multa facere proposuisset, morte preventus, non potuit adimplere, 
sed, proh dolor! in suo ortu exaruit llos decorus; cito namque tulit eum Deus. 
Obiit autem Romæ, sepultus in ecclesia Laterani A. D. MCCLXXVI, XXII die 
mense junii. >» (Bernard Gui, cité par Echard, I, p. 352.) 

« « Dictus est Innocentius Quintus et ita conticuere obstupucreque omnes. Non- 
dum enim crat annus sexagesimus a Prædicatorum ordinc condito. Innocentius 
tamen ita se gessit ut inter pontifices omnes fratribus suis minus eo induisent 
nullus, religionis augmento, magis quam indultorum supplemento inteutus. « 
(Sébastien de Olmedo, Chron. nov. Ms. Arch. Ord.) 

II. “ 10 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


volonté bien arrêtée de casser la constitution de Grégoire X. 
Aussi les cardinaux, que les ennuis du Conclave touchaient plus 
sensiblement que les dangers de l’Eglise, ne voulurent point se 
conformer à ses rigueurs. Mais les Viterbois ne furent pas de 
leur avis. Ils les enfermèrent de force et les menacèrent de ne 
leur procurer aucune nourriture. Le peuple, ameuté, se tenait sous 
les fenêtres du palais. Les cardinaux, pris de peur, essayèrent de 
le calmer. Ils rédigèrent un acte où ils déclaraient officiellement 
que la bulle de Grégoire X avait été cassée par Adrien V, et que, 
par conséquent, en les tenant enfermés, les Viterbois attentaient 
à la liberté du Sacré Collège. Faire l'acte était facile; le plus 
dangereux était de le lire au peuple. Ils en chargèrent l’arche¬ 
vêque de Corinthe. Il est probable que celui-ci n’eut pas l’audace 
d'affronter seul la colère des émeutiers. 

On lui adjoignit Maître Jean de Verceil et le Procureur général 
de l’Ordre, Frère Jean Verreschi. Ce dernier, Viterbois lui-même, 
pouvait espérer que ses concitoyens se montreraient dociles à sa 
voix. Il n’en fut rien. Les cardinaux avaient contre eux la masse 
des prélats et des officiers de la curie romaine. Tous ces employés 
de l’Église, à chaque vacance du Siège apostolique, avaient leur 
service supprimé, supprimés de même leurs émoluments. Si la 
vacance se prolongeait, cette mise à pied se prolongeait égale¬ 
ment. Et chacun sait que rien n’est plus puissant sur la volonté 
humaine que l'intérêt. Les employés de la curie voulaient un 
Pape au plus vite, pour toucher au plus vite leurs revenus 1 . 
La loi du Conclave n'avait nulle part de plus ardents et de plus 
fermes défenseurs. On le vit bien à Viterbe. 

Ils sortirent du palais avec l’archevêque de Corinthe, Maître 
Jean de Verceil et Frère Jean Verreschi, les députés des cardi¬ 
naux, comme pour leur faire honneur. Ils les accompagnèrent, 
sans dire mot, jusqu’au balcon d'où le prélat devait lire le mes¬ 
sage du Sacré Collège. Mais à peine l’archevêque de Corinthe 
ouvre-t-il la bouche, que, les premiers, donnant le signal de 
l’obstruction, ils poussent des cris pour couvrir sa voix. Le peuple, 
qui ne demandait pas mieux, se met à hurler de son côté. C’était 
un vacarme infernal. On menace l’archevêque, on lui arrache son 
papier, on le roue de coups 2 . 


* Rainaldi, III, p. 404. 

* « Johannes Episcopus, Servus Servorum Dei, universis, ad quos literæ illæ 
pervenerinl, salutem et apostolicam benedictioncm. 

« Crescit facile in immensum impunita tcmeritas, cum fréquenter indebita uni us 
impunitas in aliis ctiam ausum parère soleat ausus excessum. Quautæ autem auda- 
ciæ, quantæque teinerilatis fuerit iis diebus nonnullorum, ut dicitur, Prælatorum, 
ac aliorum inférions conditionis, et status, novissimæ vacationis Ecclcsiœ Rom an æ 
tempore, in Curia nostra præsentium, ac specialiter Scriptorum nostrorum et Pro- 


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CHAPITRE VII 


147 


Qu’advint-il, dans cette bagarre, de Maître Jean de Verceil et 
de son compagnon? La bulle de Jean XXI, qui relate ces faits, 
n’en parle point 1 . On peut affirmer, sans témérité, qu’ils reçurent 
quelques horions. La peur eut raison des cardinaux. Le 16 sep¬ 
tembre, Pierre Juliani, cardinal-évéque de Frascati, Portugais de 
naissance, était élu Pape et prenait le nom de Jean XXI 1 . C’était 
un homme lettré, versé dans la médecine , peu réfléchi, prompt 
à parler, de mœurs faciles, qui avait pour les réguliers des senti- 


curatorum, aliorumquc Curiam ipsam frequcntium, cflrænata præsumptio, ne dica- 
tur efTrænis insania, séries infrascripta, 11 e, subditorum culpas referre delcclabili- 
ter, videamur, succinclo sermonc pcrcurrat. Cum cnim Nos, et fralrcs nostri, 
Sanctæ Romanæ Ecclesiæ Cardinales, de quorum numéro tune cramus, convenis- 
semus in Viterbicnsi palatio, pro electione de Sumnio Ponlificc celebranda, et stu- 
deremus solertius obicem impedimenti submovere cujuslibet, ut, fa vente Domino, 
celcrius proveniret, quod exigebat mundi nécessitas, et ferveus nostrum, ac ipsorum 
fratrum, desiderium exquirebat, inchoataquc per Vilerbienses cives immanis arcta- 
tio, usque adeo toleranliæ metas cxcederet, quod nobis, et ipsis fratribus salutis 
dispendium minaretur, ac clectionis processui dispendiosam ingererct tarditatem; 
dicti Præiati, et alii, non solum ad nostra, et ipsorum fratrum perieula, quibus durius 
angebamur, compassionis non habucrunt elTeclum, sed a se potius omnis humani- 
tatis, et reverentiæ, debito reiegato, grassantes, in superiores suos crudeliter sae- 
vientes, satagendo iireverenter pci*sequi, quos reverenter prosequi tenebantur, 
Viterbicnses ipsos ad arctationem eandem aggravandam acerbius, instantius acccn- 
debant, et Apostolica doctrina contempta, plus sapere, quam oportet sapere ges- 
tientes imprudentius, seque rei, ad se non pertinenti, temere immisccntes, ncc 
verentes, quod, sicut scriptum est, bestia, quæ montem tetigerit, lapidabitur, in 
tantam prorupere temeritatis audaciam, ut in dubium auctoritatem, et iurisdictio- 
nem Collegii eiusdem Ecclesiæ revocarcnt, et de illis in derogationem ipsarum dis¬ 
putantes ubilibet, enervare, immo et evacuarc, pro viribus niterentur inanibus 
argumentis; falso insuper afTerentcs, Constitutionem felicis recordationis Gregorii 
Papæ prædecessoris nostri, super electione hujusmodi editam, per piæ memoriæ 
Adrianum Papam pricdecessorem nostrum, suspensam aliquatenus non fuisse. Id 
non sunt veriti nefariis ausibus disseminare per terram, et auribus ctiam Ofücia- 
lium civitatis ejusdem dolosis labiis inslillare, in clectionis, nostrum, et fratrum 
nostrorum, pcriculum, et evidens detrimentum. Cumquc ipsius Collegii consulta 
circumspectio dccrevissct, ut suspensionem hujusmodi, quantum, ut præmittitur, 
nonnullorum assertio in dubium diversimode rcvocabat, per vcnerabilem Fratrem 
nostrum Corinthiensem Archiepiscopum , et dilectos filios J... Magistrum , et 
J... Procuratorcm Ordinis Prædicalorum , facerent publicari ; dictiquc Archicpis- 
copus, et alii, velleut in loco ad hoc electo conunissionem super hoc sibi factam 
excqui reverenter; Procuratorcs, et alii, eandem sequentes Curiam, malitiose, ut 
exitus indicat, in loco convcnientes eodem, assumpto superbiæ spiritu, obturantes 
more aspidis aurcs suas, ejusdem Collegii literas, nostro, et singulorum eorundem 
fratrum sigillis munitas, testimonium de suspensionis ejusdem veritate reddentes, 
audire penitus contempscrunt : quinimmo exaltatis stolidc vocibus in clamores, ac 
aliis diversis strepitibus, tumultibusquc commotis, furori data licentia , lorisque 
insaniæ relaxatis, ut iniquitalem parèrent, qui dolum iniquum conccpcrant et dolo- 
rem, in eundem Archiepiscopum, qui literas easdem in manibus legendas assumpse- 
rat, nequiter irruentes, nonnullis ex eisdem literis sigillis manibus præsumptuosis 
avulsis, in eundem Archiepiscopum fustes inhumane jeeerunt, exsertis nihilominus 
gladiis, ut perderent innoccntem. » (Bull. Ord., I, p. 548.) 

1 Le Père Mothon dit que des soldats s’emparèrent du Maître et du Procureur 
et les conduisirent de force au couvent de Santa Maria dei Gradi. La bulle ne 
donne point ce détail. (Cf. Mothon, op. cil., p. 422. — Cf. C. Pinzi, Storia délia 
Città di Viterbo, II, p. 337 et ss.) 

J Jean XX, selon certaine manière de compter. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


ments plutôt tièdes 1 . Son premier acte fut de casser la bulle de 
Grégoire X sur le Conclave *. 

A vrai dire, cette élection se présentait peu rassurante pour les 
Prêcheurs. Placés en tête de ligne dans la lutte avec le clergé 
séculier, dont le nouveau Pape était un chaud partisan, ils avaient 
chance de recevoir les premiers coups. 

Cependant, contre toute attente, c’est aux supérieurs généraux 
des Prêcheurs et des Mineurs que Jean XXI confia, dès les débuts 
de son pontificat, une mission très grave. 

Il s’agissait de rétablir la paix entre les rois de France et de 
Castille. 

Alphonse X, roi de Castille, prince lettré 3 , habile dans le gou¬ 
vernement, ambitieux, longtemps, malgré le Pape Grégoire X, 
candidat à l’Empire, dont il disputa la couronne à Rodolphe de 
Habsbourg, avait marié son fils, Ferdinand de la Cerda, à une 
princesse de France, Blanche, fille de saint Louis. C’était son fils 
aîné, héritier du trône. Or, Ferdinand vint à mourir, laissant à 
sa veuve deux enfants : Alphonse et Ferdinand. L’aîné de ces 
princes devenait par là même, de droit, héritier de Castille. 
Mais Alphonse X ne l’entendit pas ainsi. 11 avait un second fils, 
Sanche, dont les qualités militaires avaient séduit l’armée. Le roi 
le proclama son successeur. Blanche de France fut renvoyée à 
Paris et ses deux fils gardés prisonniers. 

L’injustice était si criante que la reine de Castille, Violante, 
grand’mère des deux princes déshérités, quitta la cour et se retira 
près de son père, le roi d’Aragon. En sorte que, par cet acte incon¬ 
sidéré, Alphonse X se brouillait du même coup avec la France et 
l’Aragon. Pierre d’Aragon, qui avait les Maures sur les bras, ne 
put, à son regret, attaquer son voisin; mais Philippe le Hardi, 
roi de France, plus libre de ses mouvements, plus atteint égale¬ 
ment , car les princes dépossédés étaient ses propres neveux, 
déclara la guerre au roi de Castille. Ces luttes entre princes chré¬ 
tiens, au moment où l’union de toutes les forces militaires de 
l’Europe eût été si nécessaire contre l’insolence des Turcs, étaient 
pour le Saint-Siège une source de douleur. Les Papes y voyaient 
la ruine de leurs plus généreux efforts. 

1 « Hic gencralis clericus fuit, et precipue in medieinis : undc et quedam expéri¬ 
menta scripsit ad curas hominum, ac librum composuit qui Thésaurus pnuperum 
vocatur... Et quamvis magnus fuerit in scicntia, modicus tamen fuit in discretione, 
preccps cnirn fuit in verbo et minus cautus in moribus, et plus apparebat quia 
faciiis ad eum crat ingressus... religiosos parum dilexit... » (Ptolémée de Lucques, 
Hist. Eccl., lib. XXIII, cap. xxi. Ap. Muratori, Rer. liai. Script., XI.) 

2 Cf. Rainaldi, III, p. 403. 

3 II favorisa les philosophes arabes, lit traduire pour la première fois la sainte 
Ecriture en langue castillane, composer une histoire de l'Espagne et publier un 
code de lois, connu sous le nom de Las Partidas. 


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CHAPITRE VII 


149 


Aussi, à peine élu, Jean XXI résolut d'arrêter cette guerre fra¬ 
tricide. Il choisit pour arbitres entre les deux monarques Maître 
Jean de Verceil et Frère Jérôme d’Ascoli, Ministre des Mineurs 1 . 
La bulle qui les institue leur donne les plus larges pouvoirs. Afin 
de faciliter leur délicate mission, le Pape leur accorde le droit de 
casser toutes les conventions, tous les traités, tous les serments 
qui s'opposeraient à la conciliation désirée 2 . Ainsi armés, les deux 
nonces se mirent en route. On était dans les premiers mois de 


1 « Johannes Episcopus, servus servorum I)ei, dilecto (ilio Régi Franciæ illustri, 
salutem, et apostolicam bcnedictionem. 

« Habet infausti rumoris asscrtio, quod humani gcneris inimicus, pacis hostis, 
amator litium, zizaniæ scminator, inter te et carissimum in Christo (ilium nostrum 
Regem Castcllæ ac Legionis illustrem, materiam gravis dissensionis ingessit, usque 
adco Principes commovens diflidentes, ut inter se non juribus, sed viribus, non per 
justitiæ scmitas, quæ inter discordes media esset débet, sed polentia experiri 
decreverinl; nec viris pacificis, sed congressibus bcllicis exortam dirimere quæs- 
tionem. Profecto in auditu rumoris hujusmodi vehementer indoluit Romana mater 
Ecclesia, et eius pia viscera turbationis validæ turbo concussit; dum tam (idoles 
(ilios, tam devotos, quos optât ardenlius solidæ caritatis glutino copulari, sentit in 
utero eollidentes; dum Rcges tam inclytos, quos lidei Christianæ religio semper et 
promotores liabuit, et suorum hostium repressores, in tam gravi discordia positos 
intuetur. Rêvera et nos in stuporcm dedueimur, et non possunt mentes lidelium 
non mirari, dum tam Catholicorum Regum molimina, in blasphemos Christi dirigi 
consueta, in redemptos Christi sanguine præparantur : dum Principes tanta con- 
sanguinitatc conjuncti, qui deberent se potius nui lui s fulcire præsidiis, favoribus 
confovcrc, ac ilia, quæ pro temporum diversitate contingit emergere, quantumeunque 
gravia, quantumeunque difficilia, tractatibus ordinare domesticis. et familiaribus 
collationibus expedire, nec in talibus susurrorum uti consiliis, vel adhærere sug- 
gestionibus, quæ nequaquam de fonte caritatis émanant, sic noscuntur adinvicem 
adversari. Nimirum si diligenti meditationc discutitur, multum hæc Regis utriusque 
nomini detrahunt, multum famæ derogant, et honori. Quid enim putas, non tam 
loquitur, quam... Crucis hostis? Quid Orthodoxa* fidei æmulus nefario sermone dis¬ 
séminât? Quid submurmurat infidelis? Attendentes igitur tam dispendiosum mundi 
periculum, et specialitcr Terræ Sanctæ, cujus lacrymæ singulariter ad te clamant, 
cum tuamm potentia virium ab incumbcntibus sibi malis speret, faventc Domino, 
resurgendum, et cupientes in hac parte opportunum remedium adhibere, screnita- 
tem regiam monemus, rogamus, et hortamur attente, ac obtestamur per aspersio- 
nem Sanguinis Jesu Christi, quatenus attente recogitans, quod occasione turbatio¬ 
nis hqjusmodi, negotiorum Dci, quæ te principaliter expectant, et expetunt pro- 
motorem, executio impeditur, et convertens ad mansuctudinem, quod dispositum 
videtur ad iram, animum regium ad pacis bonum. et unitatem concordiæ habilites, 
et disponas, tanto proinde pacis actori, et eidem matri Ecclesiæ futurus acceptior, 
quanto te devotius ipsorum bcneplacitis conformabis. Ut autem quod in hoc desi- 
deramus avidius, facilius, et celerius valcat provenire, dilectos (llios Fratrcs Johan- 
nem Magistrum Prædicatorum, et Hieronymum Ministrum Minorum Fratrum, 
Ordinum, viros religionc conspicuos, probitatis exporta', ac meritis et fama pol- 
Icntes, et nobis, ac fratribus nostris, acceptes, latores præsentium, ad præsentiam 
regiam destinamus; quorum salutaribus monitis et persuasionibus in hac parte 
magnitudincm regiam acquicsccre cupimus, et promptis conscnsibus adhærere, ut 
actore illo, qui potest, quibuslibet dissidiorum vepribus radicitus amputalis , inter 
te ac memoratum Regem Castellæ optatæ pacis fœdera reformentur. Ceterum si 
quod forsitau inter te ac ipsum Regem supererit quæstionis, Scdis Apostolicæ soli- 
citudo non deerit, sed parata se offert, suis non parccndo laboribus, in iis, et aliis 
inter te, ac dictum Regem, pro viribus omnem fomilem dissensionis extingucre, 
ac unitatem studiis procurare solicitis, et fovere. Datum Viterbii, Idibus Octobris, 
Pontilicatus nostri anno... » (Bull. Ord., I, p. 549.) 

* Ibid., p. 551. 


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150 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Tannée 1277. Voyageant comme les représentants officiels du 
Saint-Siège, Jean de Verceil et Jérôme d’Ascoli durent en prendre 
les allures d’apparat. Ils avaient une suite nombreuse de clercs 
et de laïques, secrétaires ou valets. Les bulles pontificales leur 
ouvraient toutes les portes : archevêques et évêques, abbés et 
prieurs, doyens, prévôts, archiprêtres, recteurs des églises, 
exempts ou non exempts, même Cluny, même Cîteaux, et beau¬ 
coup d'autres, même les Ordres militaires devaient les pourvoir, 
à l’aller et au retour, et pendant leur séjour, de toutes les choses 
nécessaires et convenables à leur dignité. Voitures, chevaux, 
escorte étaient exigibles 1 . 

Bien accueillis à la cour de France, les deux ambassadeurs trou¬ 
vèrent Philippe le Ilardi disposé à accepter'des conditions de paix 
honorables. Son équipée de 1276 n’était peut-être pas étrangère à 
ces bonnes dispositions. Philippe s’était, en effet, avancé avec ses 
troupes jusqu'au pied des Pyrénées. Puis, à Sauveterre, on lui 
dit que, les vivres manquant et la mauvaise saison approchant, 
il valait mieux retourner à Paris. C’est ce qu’il fit. Mais cette 
promenade militaire assez humiliante pour la France n’avait pas 
relevé son prestige*. Le Castillan riait à Burgos. 

Maître Jean de Verceil et Frère Jérôme d’Ascoli se dirigèrent 
vers les Pyrénées. En passant à Bordeaux, le Maître présida le 
Chapitre général. Sa présence est certaine, quoique nous n’ayons 
pas sa lettre d’usage après les sessions capitulaires 3 . Dans les 
Actes du Chapitre une ordonnance personnelle en fait foi. 

« Le Maître ordonne, disent les Actes, que Ton célèbre la fête 
de la bienheureuse Marthe le VI des calendes d’août (27 juillet), 
que Ton inscrive cette fête dans les calendriers et les rubriques, 
et que les compagnons des Provinciaux emportent dans leurs pro¬ 
vinces l’office que le Maître lui-même a composé, afin que les 
Frères puissent le copier 4 ». 

Le jour même où le Chapitre général s’ouvrait à Bordeaux, 
16 mai 1277 5 , Jean XXI périssait à Viterbe, enseveli sous les 
décombres de son palais. 

Homme de vie mondaine, grand amateur de luxe, il s'était fait 


1 Ces détails sont fournis par une bulle ultérieure de Nicolas III ( Cum olirn . 
23 avril 1278, Bull, imd., Ms. arch. Ord., I, p. 12 bis , n° 32.) 

2 Cf. Ernest Lavisse, Histoire de France , III, p. 112. 

2 Cf. Liller. H ne y cl. Ed. Rcichert. 

4 « Ordinal magisler ordinis quod festum beate Marthe fiat VI kalendas Augusti 
et in kalciulariis et rubricis de ofticio inseratur, et ofticium dicli festi ordinatum 
per eumdem Magistrum socii provincialium ad suas provincias secum ferant, ut in 
capitulis provincialibus de eo fralribus copia prebcatur. *> (Acta Cap., I, p. 192.) 
Suit dans les Actes l’office composé par le Maître. Les leçons font longue mention 
de la Tarasque. Elles ont été modifiées depuis. 

6 Cf. Echard, I, p. xvn. 


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CHAPITRE VII 


151 


construire au palais de Viterbe un appartement selon ses goûts. 
Un jour qu’il en admirait 1 avec complaisance toute la richesse, 
il s’effondra sur lui. On le retira respirant encore. Six jours après, 
il mourait, peu regretté des moines, si nous en croyons Taegio. 

Cet auteur raconte que Jean XXI préparait contre les réguliers 
un document très grave, lorsque la main de Dieu le saisit*. Un 
Frère Mineur assurait même, que, au moment où le palais 
s’écroula sur le Pontife, il vit de ses yeux le diable, qui, avec 
un marteau puissant, frappait terriblement les murs 3 . Rancunes 
de moine, peut-être. 

Les nonces du Pape défunt avaient envoyé à la cour romaine 
un rapport sur leur séjour à Paris et les bonnes dispositions de 
Philippe le Hardi. Il arriva après la mort de Jean XXI. Les car¬ 
dinaux, réunis de nouveau pour l’élection pontificale, leur noti¬ 
fièrent de continuer les négociations. L’acte qui loue leurs efforts 
et les maintient en activité a été publié par Sbaralea, dans le 
Bullaire franciscain 4 . 

La vacance du Saint-Siège imposait cependant aux deux ambas¬ 
sadeurs une certaine réserve. Au lieu de franchir les Pyrénées, 
comme ils en avaient le projet, pour se rendre auprès du roi de 
Castille, ils restèrent dans le Midi de la France. L’attente fut un 
peu longue, car Nicolas Orsini ne fut élu pape que le 24 novembre 
suivant. Maître Jean de Verceil eut tout le temps de visiter pai¬ 
siblement les maisons de l’Ordre en Provence. Mais à peine élu, 
— six jours seulement après son exaltation, — Nicolas III reprit 
activement cette épineuse affaire. 

1 « Dum ludo vacaret. »> (Taegio, Chron. ampliss ., p. 13£). Ptolémée de Lucqucs 
dit simplement : « Tradunt omnes hislorici quod dum esset in caméra soins, quam 
ipse ædificavit prætcr palatium pontificale Viterbii, cum scmel intrarct cameram 
dictam, quod tamen sæpius contingebat eidem, rcspicicbat seipsum, ac totus sol- 
vcbatur risu, quasi glorians in seipso : et tune subito caméra cccidit super cum, et 
inter ligna et lapides collisus, VI die post casum expirât, sua intenlione frustratus 
quia credebat et sua sapientia conlidebat sicut ipse interdum dicebat longo temporc 
ista possc dignitate gauderc. » ( Histor. EccL, lib. XXIII, cap. xxiv. Apud Mura- 
tori. Ber. Ital. Script., XI.)— Cf. Rainaldi, III, p. 419 et ss. — C. Pinzi, Storia delta 
Cillà di Viterbo, II, p. 315. 

2 « Hic parum rcligiosos dilexit ; propter quod contra eos terribilcm promulgare 
disposucrat constitutionem, sed I)eus Omnipotens, qui adjutor pauperum est in 
tribulatione, viam ejus spinis sepivit, nam cum in Pétri Cathedra mensibus octo 
sedisset, seque semper victurum speraret et sibi ipsi vitam policeret idquc omni¬ 
bus predicaret, eccc subito, apud Vitcrbium constitutus pretioso thalamo quod 
ipse construi fcccrat, dum ludo vacaret, domus cadens, inter saxa obrutus, indeque 
cxtractus, sexta die post obiit, et sic justo Dei judicio, qui alios opprimere dispo- 
nebat, ipse oppressus occubuit. »> (Taegio, Chron. ampliss., p. 136. Ms. arch. Ord.) 

* « Quidam frater Minorum Viterbii in slrato suo quiesceus, subito fortiter 
exclamavit et accurrentibus fratribus ait : « Niger vir grandi malleo palatium Pa- 
pæ percutit. Orate ne corruat. « Tertio vero idem ccrnens exclamavit : « Et pala¬ 
tium corruit. » Et ipsa hora corruissc inventum est. » (Cf. Rainaldi, III, p. 420.) 

* Bull. Franciscanum, III, p. 275, n° 1. Il commence ainsi : « Adhibitum lau- 
dandæ sollicitudinis, » sans date. 


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152 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Il adressa, le 1 er décembre, ses lettres apostoliques à Maître 
Jean de Verceil et à Frère Jérôme d’Ascoli, pour exciter leur zèle 1 . 
Gomme il était question d une entrevue des ambassadeurs des 
deux rois avec ceux du Pape, et que ces derniers étant sur les 
frontières des deux royaumes ne pouvaient s’en écarter, Nicolas III 
leur adjoignit deux religieux : l’un, Frère Jean Verreschi, Procu¬ 
reur général des Prêcheurs; Fautre, Frère Benvenuto, de l’Ordre 
des Mineurs. Jean Verreschi devait se rendre près de Philippe le 
Hardi*, Benvenuto près d’Alphonse X 3 . Ils faisaient, en réalité, 
l’office de rabatteurs. C’était à eux qu’il incombait de décider 
ces deux princes à suspendre leurs armements et à envoyer leurs 
délégués près des nonces du Pape. Jean Verreschi réussit à calmer 
l’ardeur belliqueuse du roi de France. Il fut convenu que le roi 
ne ferait aucune levée de troupes jusqu’au 1 er mai 1278 4 . 

Frère Benvenuto eut moins de succès. Il avait affaire à un 
prince très rusé, qui voulait, avant tout, traîner les négociations 
en longueur. Tout ce qu’il put obtenir fut l’envoi de l’évêque 
d’Oviedo, très dévoué à la cause royale, auprès des nonces du 
Pape. Il était porteur des plus belles promesses. C’était peu. 
Jean de Verceil et Jérôme d’Ascoli, qui savaient que don Sanche, 
le fils cadet, cause de ces troubles, dont l’influence sur le roi et 
sur l’armée était toute-puissante, avait déclaré son intention for¬ 
melle de ne point céder le trône, ne se laissèrent pas prendre à ce 
jeu de patience. 

Il leur donnait cependant un peu de répit. 

Sur ces entrefaites, Nicolas III créa cardinal du titre de Sainte- 
Pudentienne le Ministre des Mineurs, Frère Jérôme d’Ascoli, 
compagnon de Jean de Verceil. Mais il le maintenait en même 
temps dans sa mission arbitrale 5 . 

De son côté, Jean de Verceil, dont le regard vigilant, quoique 
distrait par ces négociations politiques, ne quittait pas l’Ordre 
des Prêcheurs, avait sollicité l’autorisation d’aller à Milan, pour 
présider le Chapitre général. La réponse de Nicolas III, favorable 
du reste, à condition que cette absence ne nuisît point aux inté¬ 
rêts de la paix, arriva trop tard 6 . 

1 Bull. Ord., I, p. 555, B. Vocnlis nohis. 

* Ibid. , p. 553, B. Quanlo ex polestale, 2 décembre 1277. 

« Ibid. 

4 Gay, Regest. Nicolai III , p. 241 , B. Lilleræ %'estræ cirenmspectionis. 
23 avril 1278. 

6 B. Felicis recordnlionis, A avril 1278. Bull, ined., Ms. arch. Ord., 1, 12 bis. 
6 « Tu vero, Fili Ma^istcr, sicut memoratus Frater Joannes (Verreschi) petiit. 
ad generale Capitulum dicti lui ordinis quod instat accédas, nostram linilo codent 
Capilulo præsentiam celcritcr aditurus; hoc autem conscicntiis vestris committimus 
et eas exinde oneramus sperantes quod propter aliquam privatam occasionem 
nequaquam alicui discrimini tantum negolium exponetis. »» (B. Litteræ vestræ cir- 
cumspeclionis, 23 avril 1278.) 


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CHAPITRE VII 


153 


Le Chapitre de Milan fut présidé, au dire de Taegio, par Frère 
Munio de Zamora, Provincial d’Espagne. A quel titre? Il est 
assez difficile d'affirmer quoi que ce soit. Fut-il délégué par le 
Maître, qui l'aurait vu à son passage à Toulouse ou à Bordeaux, 
qui lui aurait donné ses instructions 1 ? Fut-il élu simplement par 
les Définiteurs? Aucun document ne donne ces renseignements , 
et toute réponse, par là même, est hypothétique. Le fait seul, 
dont les actes ne soufflent mot*, est révélé par la Chronique de 
Taegio 3 . 

Dans sa réponse à Jean de Verceil, Nicolas III lui disait, le 
Chapitre terminé, de venir le trouver. C'est qu'il avait à lui signi¬ 
fier une décision qui l'honorait grandement. Le 15 mai 1278, il le 
nomma Patriarche de Jérusalem. Deux religieux de l'Ordre furent 
mandés à Toulouse, pour porter à l'élu les lettres pontificales. Il 
devenait ainsi le successeur de Frère Thomas Agni de Lentino, 
qui était mort l’année précédente au couvent des Prêcheurs de 
Ptolémaïde 4 . Le Chapitre et le Prieur de l’église du Saint-Sépulcre 
avaient choisi comme Patriarche l'archevêque de Naples, Aiglero; 
mais le Pape, pour des raisons spéciales, s’était refusé à faire droit 
à leur demande. Il nommait, de son autorité propre, le Maître 
des Prêcheurs, « dont la science juridique, la dignité de vie, le 
caractère pacifique, l’honnêteté des mœurs, la sagesse dans les 
conseils, la prudence éprouvée, la sincère piété lui étaient une 
garantie de bonne administration pour l’Eglise de Jérusalem 5 . » 

1 Mothon, op. cil., p. 474. 

* Cf. Acta Cap., I, p. 194 et ss. 

* « Amio Domini 1278, in festo Penthecostes, cclcbratnm est Capitulum generale 
quinquagesimum septimum apud Mediolanum in provincia Lombardiæ sub Fratre 
Munio ne hispano, qui postmoduin fuit Magistcr Ordinis, Vicario propter absentiam 
Magistri Joannis qui tune lemporis occupatus fuit propter legationcm quamdam 
sibi a Summo Pontificc impositam. »» (Taegio, Chron. ampliss ., p. 137. Ms. arcli. 
Ord.) 

* « Vir profundi pectoris, alti consilii, virtulum elaritate conspicuus, ex e.\pe- 
rientia multa probatus, in cujus manibus alias virtus Altissimi statuin Terne Sanehe 
prædicUe direxit, dum inibi Bethlehcmitanus episcopus aucloritalc Scdis Aposto- 
Iicæ legationis munerc fungeretur. » 

Ces paroles sont de Grégoire X annonçant l’élévation de Frère Thomas de Len¬ 
tino au patriarcat de Jérusalem à Philippe le Hardi. (Cf. Echard, 1, p. 358.) 

Les Définiteurs du Chapitre de Pise, en 1276, avaient ordonné de transcrire pour 
tous les couvents la légende de saint Pierre martyr, composée par Frère Thomas 
de Lentino : « Volumus et mandamus quod legenda beati Pétri Martyria a vene- 
rabili patriarcha Ihcrosolimitano ad petilioncm Magistri Ordinis compilata in omni¬ 
bus convcntibus habcatur et ut .habcatur, priores provinciales sint super hoc 
diligentes. » ( Acta Cap., I, p. 188.) 

Les BoLlandistes ont publié cette légende, Acta SS. III Aprilis, die 29, p. 694 
cl ss. Ed. Paris, 1866. 

5 « Nicolaus Episcopus, servus servorum Dci. dilecto filio Fratri Ioanni, Electo 
Icrosolimitano, Ordinis Fratrum Prædicatorum Magistro, salutem et aposlolicam 
benediclionem. 

« Etsi omnium Ecclcsiarum cura injuncLum Nobis licet insufficientibus meritis 
officium Apostolatus indicat maxime, ut de ipsarum provisione utili, cum res exi- 


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154 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Il n’en fallait pas moins, en effet, pour diriger les chrétiens 
en Terre Sainte. Tout y était dans le trouble et la désolation. La 
princesse Marie disputait son royaume au roi de Chypre, et, pour 
venir à bout de son adversaire, avait cédé ses droits à Charles 
d’Anjou, roi de Sicile. C’est ce qui explique le choix des élec¬ 
teurs du Saint-Sépulcre. En demandant pour Patriarche l’arche¬ 
vêque de Naples, ils favorisaient l’intervention des Angevins 
contre Hugues de Chypre. D’autre part, les Ordres militaires, 
loin de s’unir entre eux contre les musulmans, se déchiraient à 
belles dents. Ces rivalités et ces haines faisaient la force de leurs 
ennemis. Tripoli venait de succomber. En pareilles conjonctures, 


jçit, sollicite cogitemus. Ad id tamcn circa venerandam sanctamque Ierosolimita- 
nam Ecclesiam speciali sollicitudine proscqucndum, non solum considcralio nos 
multiplicis suæ specialitatis inducit, sed et singularis, quein ad Terram Sanctara 
Pastoris Ecclcsiæ ipsius sollertiæ præsertim spiritualiter incumbentem ab olim 
gessimus et nunc plenius perere tenemui*, ac procul dubio pcslamus, afTectus. 
Quanto etenim eaindem Ecclesiam nostri pra'scntia Hcdemptoris coruscare fecit 
privilcpio Sanctitatis, quanto in illis partibus cœlestis Charismata pratiœ ampliavit 
uberius, quantoque amplius ex ipsius Ecclesiæ circumspecto repirnine non indigne 
spcralur totius Terne prædictæ promovenda directio, et redemptio procuranda ; 
tanto sinpularius Ecclesia ipsa Pastorc indiget, cuius sanctitatem vita redoleat, 
resonent verba doctrinam, ut exemplis œdificct, et vcrbis informet, cuius indus- 
triam præcedentium actuum ipsius recordatio suggérât, prœscntium evidentia cora- 
probet, et in futurum utraque conjecturam promittant. Sane dudum cadcm Ieroso- 
limitana Ecclesia per obitum bonæ mcmoriæ Thomæ Patriarchæ Ierosolimitani 
Pastoris solatio destiluta, et dilcctis filiis, Priore et Capitulo ipsius Ecclcsiæ Domi- 
nici Sepulcri, Ordinis Sancti Augustiui, Venerabilem Fratrem noslrum Ayplerum 
Archiepiscopum Neapolitanum in Ierosolimitanam Patriarcliam postulantibus, et 
Pastorem, ac postmodum Nobis decretum postulationis hujusmodi facientibus per 
spéciales suos Nuncios præsentarc, suppliciterque a Nobis petentibus, ut postula- 
tionem ipsam admittere dignaremur, Nos eodem examinato decrcto, postulationem 
ipsam variis circumstantiis attente pensatis non duximus admittendam, ac demum 
de ipsius Ecclesiæ Ierosolimilanæ ordinationc celeri , ne prolixioris vacationis 
exposita maneret incommodis, attentius cogitantes post vigilem quam ad ponen- 
dum ibidem approbatam idoneamque personam adhibuimus diligentiam, in te 
Magistrum Ordinis Fratrum Prædicatorum, de quo Nobis Iitteralis scientia, vita 
laudabilis, convcrsatio placida, morum honeslas, profunditas consilii, discretionis 
maturitas, et probata Religio, quæ in ipsius Ecclesiæ Icrosolimitanæ Pastorc 
opportuna fore præmisimus, pollicentur, noster animus requievit. Ideoque tam 
Gregi Dominico et eidem Ecclesiæ Icrosolimitanæ, quam etiam toti terræ præfatæ, 
cujus utilitatibus per expertam circumspectionis tuæ sollertiam tibi ad meritum, et 
divinæ retributionis præmium efficaciter consuli, Deo auctore, speramus, inten- 
dentes salubriter providere, de Fratrum nostrorum consilio et Apostolicæ potes- 
tatis plenitudine te ipsi Ecclesiæ Ierosolimitanæ in Patriarcham præfecimus, et 
Pastorem in Illo, qui dat gratias et largitur præmia confidentes, quod Ierosolimi- 
tana Ecclesia et Terra prædicta per tuæ cooperationis laudabile ministerium pra>- 
scrvabuutur a noxiis, et spiritualiter, ac temporaliter optatis proficient prospe- 
ritatis augmentis. Quo circa discretioni tuæ per Apostolica scripta mandamus, 
quatenus impositum tibi omis a Domino suscipiens reverenter curam et adminis- 
trationem eiusdem Ecclesiæ Icrosolimitanæ sic diligenter géras, et sollicite prose- 
quaris, quod ipsa Gubernatori circumspecto, ac fructuoso administratori gaudeat 
se commissam, et claræ famæ tuæ odor acceptus, exinde reddatur acccptior, ac ex 
laudabilibus suis actibus latius dilîundatur, et præter benedictionis æternæ præ¬ 
mium Apostolicæ benevolcntiæ gratiam plenius propterea conscquaris. 

« Datum Romæ apud Sanctum Petrum, idibus maii (15 maii 1278) Pontificatus 
nostri anno primo. » (Bull, ined., I, 12 bis, n. 5. Ms. arch. Ord.) 


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CHAPITRE VII 


155 


accepter le patriarcat de Jérusalem était chose presque héroïque 
pour qui voulait remplir son devoir. 

Jean de Verceil ne recula point devant la difficulté de la charge; 
mais intimement convaincu de sa propre indignité pour l’honneur 
attaché à ce titre, un des premiers de la chrétienté, il mit tout 
en œuvre afin de s’y dérober, en profitant toutefois d une si bonne 
occasion pour se retirer du magistère des Prêcheurs. Dans sa 
bulle d'institution, le Pape écrivait : « A Frère Jean, jadis 
Maître Général, — Fratri Joanni, quondam Magistro Generali. » 
Cette phrase, Jean de Verceil l’avait lue avec une joie profonde. 
De toute la lettre pontificale, c’est le seul passage qui lui tenait 
au cœur. Elu Patriarche de Jérusalem, il n’était plus Maître des 
Prêcheurs : le Pape lui-même en faisait foi. Il réunit immédiate¬ 
ment les Frères au Chapitre, donna lecture de la bulle pontificale, 
fit briser publiquement son sceau, insigne de sa charge, et déclara 
qu’il n’avait plus à s’occuper des affaires de l’Ordre 1 . 

Il n’entendait nullement par là accepter le patriarcat de Jéru 
salem. Cependant il fit attendre sa réponse au Saint-Siège. Elle 
partit un peu tardivement, pleine de respectueuse déférence, 
mais énergique dans son refus 4 . 

Le Pape s’en montra vivement contrarié. Il lui écrivit une lettre 
dont les termes sévères révèlent et son ennui et sa ferme volonté 
d’être obéi : « Nicolas, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, 
à notre cher fils, Jean, Patriarche élu de Jérusalem, jadis Maître 
Général de l’Ordre des Frères Prêcheurs, salut et bénédiction 
apostolique. Nous avons reçu votre lettre, par laquelle vous nous 
notifiez votre refus motivé du patriarcat de Jérusalem, et vous vous 
excusez du retard que vous avez mis à nous en faire part. Nous 
en sommes très surpris. Nous sommes étonné que vous, élevé dans 
l’obéissance et la discipline, chargé de former les autres à ces 

I »♦ Eodcm anno prcfatus pontife x Nicoiaus III fratrem Joanncm Magistrum 
Ordinis fecit Patriarcham Jerosolimitanum, quam dignitatem omnino acceptait» 
noluit. Et quia, in litteris apostolicis, dieebatur : Fratri Joanni quondam Magistro. 
statini ipsc Magister in medio Capituli, sigillum fregit et de cura ordinis se ulte- 
rius non intromisit... »» (Taegio, Cfiron. nmpliss .. p. 137. Ms. arch. Ord.) 

Où le Maître se trouvait-il à la réception des lettres apostoliques? Aucun document 
ne le dit, sauf la chronique de Sébastien de Olmedo, qui met cette scène à Paris, pen¬ 
dant le Chapitre de 1279. 

II se trompe évidemment, car à cette date et depuis longtemps le Pape le pour¬ 
suivait de ses instances pour lui faire accepter le Patriarcat. 

Voici le texte de Sébastien : «< A Nicolao autem III Romano ex Ursinis in patriar¬ 
cham Jérusalem designatus , delatis sibi litteris apostolicis apitd Parisius ibidem 
jam tertio capitulum cclebranli ( 1279), mox ut a tergo illarum legit in hune 
inodum : Dilecto Johanni de Vcrcellis Magistro Ord. Præd. patriarchæ Ilierusoli- 
mitano. se ob lnijusmodi verbum a gcneralatu absolution allegat, oxoneratumquo 
asseverat. » 

On ne peut rien affirmer sur ce sujet, si ce n’est que ce ne fut pas, comme dit 
ce chroniqueur du xvi c siècle, au Chapitre de Paris en 1279. 

1 Nous n’avons pas cette lettre. 


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156 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


vertus, vous ayez hésité si longtemps à obéir à l’appel de Dieu, 
quoiqu’il vous ait été transmis par un homme qui est cependant 
son vicaire. De quel droit exigez-vous l’obéissance de vos infé¬ 
rieurs, si vous-même vous ne savez pas obéir? Il est surprenant 
qu’ayant entrepris volontairement tant de travaux pour le service 
de Dieu, vous vous refusiez à ceux qui vous sont demandés en 
une charge plus élevée, sans doute, plus difficile peut-être, mais 
aussi plus méritoire. Et enfin nous nous étonnons, en troisième 
lieu, que vous, homme de conseil, de grande prudence, qui savez 
que l’état de la Terre Sainte et de l’Église de Jérusalem dépend du 
bon gouvernement de son pasteur, vous ayez, par vos hésitations 
et le retard de votre réponse, laissé la Terre Sainte et cette Église 
dans le trouble que cause toujours l’incertitude. Et de plus, pour 
ne pas dire davantage, votre conscience ne vous reproche-1-elle 
pas d’avoir abandonné votre Ordre sans gouvernement, sans 
autorité certaine? Combien pareille conduite est peu conforme à 
votre amour pour la Terre Sainte ! Combien il paraît indigne d’un 
homme réputé si religieux de ne point vouloir habiter des lieux 
que le Sauveur du monde a illustrés par sa présence ! Vous refusez 
de gouverner un pays où il a supporté pour nous toutes les dou¬ 
leurs, où il a répandu pour nous, en rémission de nos péchés, son 
sang précieux. Voyez vous-même si semblable attitude convient à 
votre réputation, à votre salut? Prenez garde! Il y en a qui chu¬ 
choteront tout bas, qui crieront tout haut : « Où est donc le zèle 
de Maître Jean de Verceil? » Nous estimons très louable le senti¬ 
ment de votre humilité, qui vous fait refuser cette dignité; mais 
votre action n’en sera que plus méritoire, si elle est soutenue par 
la puissance de Celui qui est la force des faibles. C’est pourquoi, 
de l’avis de nos Frères, nous n’admettons pas votre refus, et nous 
vous faisons savoir notre volonté expresse que vous acceptiez la 
charge de Patriarche de Jérusalem. Vous devez donc vous consi¬ 
dérer comme tel, et, malgré votre éloignement, prendre dès main¬ 
tenant le gouvernement de votre Église*. » 

Le ton de cette lettre est sec. On y lit clairement le méconten¬ 
tement de Nicolas III. 

Il est certain, d’autre part, que la situation était assez désagréable 
pour l’Ordre. Le bruit de l’élection s’était répandu; on savait que 
Jean de Verceil avait cessé de faire fonction de Maître Général; 
on savait par ailleurs qu’il refusait le patriarcat : l’Ordre avait-il 
oui ou non un chef ? 

Cette incertitude toujours pénible, souvent nuisible, dura près 
d’un an. Car Maître Jean de Verceil, malgré les reproches du 


1 Bull. Ord., I, p. 560-561. B. Liternrum tuarum, 1 er octobre 1278. 


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CHAPITRE VII 


157 


Pape et ses ordres péremptoires, ne crut pas devoir se soumettre, 
alléguant son indignité et son grand âge. Cette dernière raison 
avait réellement un poids suffisant : Jean de Verceil approchait 
de soixante-quinze ans. Accepter, à cet âge, la charge de Patriarche 
lui paraissait, non sans justice, une témérité scandaleuse. De nou¬ 
velles lettres du Pape, dit Fontana 1 , lui intimèrent le précepte de 
recevoir la consécration épiscopale. Leur succès fut nul. 

Traqué par cette poursuite pontificale, le Maître se décida à faire 
intervenir auprès du Pape Frère Latino Malabranca, neveu du 
Pontife et cardinal depuis peu. De l’Ordre des Prêcheurs, Frère 
Latino appréciait à sa valeur le gouvernement de Jean de Verceil, 
et il n’ignorait pas que les Frères avaient le vif désir de le garder 
à leur tête. Ces motifs, ces arguments, mis en avant par l’homme 
de Dieu, cette humilité si vraie, qui lui faisait fuir toute dignité 
ecclésiastique, l’influence affectueuse de son neveu eurent enfin 
raison de Nicolas III. Après un an de lutte pour imposer sa 
volonté, il rendit les armes et nomma à sa place un autre per¬ 
sonnage, Frère Élie 1 , qui n’était pas du même Ordre. Mais le 
Pape entendait bien que Jean de Verceil continuât à exercer sa 
charge de Maître Général 3 . 


1 Fontana, Sacr. Theatram Dom., p. 45, Rome, 1666. 

2 B. Ad Providam, 10 mai 1279. Bull, ined., Ms. arch. Ord. I, 12 bis. 

3 « Ioannes de Vercellis Magisler Gcneralis, in visitatione Ordinis occupatus, à 
Nicolao Papa III Ilierosolymitanus Patriarcha renunciatns est an. 1278 deditque 
eidem hujusmodi promotionis Apostolicas literas Romæ apud S. Petrum idibus 
Maij, quas cum rcccpissct Ioannes paruit, et coram congregatis Patribus se abso- 
lutum esse à Magisterio Ordinis publicè protestatus est, dolentibus cunctis propter 
tanti viri iacturam ab Ordine factam; scripsit tamen Pontifici Maximo se, utpote 
tali munere indignum, non posse oblatam sacrant præfccturam reciperc. Iterunt 
iniunxit illi Nicolaus ut demandatam dignitatem omnino suscipcret, datis aliis lit- 
teris Viterbij Kalcndis Octob. ejusdem anni. Restitit modestè Pontificis Maximi 
mandatis iterum Ioannes se annorum pondère gravatum, infirmum, regiminique 
animarum inhabilem , causa assignata : quibus rationibus non acquiescens Nico¬ 
laus, eidem in meritum obedientiæ, ut consecrationis munus suscipcret, et ad com- 
missam sibi Ecclesiam properarct, injunxit datis apostolicis lilteris II. Non. febr. 
anno 1279, pontificatus sui secundi. Nec tertio Pontificiis mandatis adquicvit 
Ioannes nam eidem per Cardinalem Fr. Latinum Ursinum illius Ncpotem ex 
Ordine nostro assumptum supplicem libellum porrexit, lachrymas, suspiria, queri- 
monias usque multas contincntcm, quo humiles preces exlnbebat, supplicans ut a 
se auferret onus, humeris suis importabile, quod verebatur ne se ad inferna depri- 
meret. Tanti viri humilitatem ac sanctitalem miratus Nicolaus, eum ab imposito 
onere libérait, atque Magistrum Generalem Ordinis confirmatum esse voluit, et 
in illius locum Hierosolymitanum Patriarcham quendam Heliam substituit. » 
(Fontana O. P., S. Theatr. Dom., p. 45.) 

Fontana se trompe sur les dates. Le 4 février, Nicolas III envoyait à Jean de 
Verceil la bulle qui le dispensait du patriarcat. 

« Eodem etiam anno fecit (Nicolaus III) Patriarcham Hierosolimitanum fratrem 
Joannent de Vercellis, Magistrum ordinis Fratrum Prædicatorum, virum famosum 
in toto orbe terrarum, magnæ sanctitatis, doctrinæ et magnæ scientiæ, et expe- 
rientiæ in regiminc, qui ordincm præfatum in magisterio XX annis fere, quia tan¬ 
tum in ipso vixit, gratiosissime rexit. Factus igitur Patriarcha suspenditur a magis- 
terii officio, ut in dicta dignitatc conscntiret. Modus autem suœ suspensionis singularis 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


La libération du Maître est datée du 4 février 1279 : « Nous 
n’avons pas l’intention, lui dit Nicolas III, de vous imposer une 
charge insupportable... Nous vous exonérons par ces lettres apos¬ 
toliques de toute attache avec l’Église de Jérusalem. Seulement, 
comme nous avons appris que, en lisant dans nos lettres: Au Frère 
Jean, jadis Maître des Prêcheurs, vous avez cru être absous de ce 
magistère et avez cessé d’en remplir les devoirs, nous vous déclarons 
que jamais nous n’avons eu l’intention, par ces mots, de vous 
enlever votre charge. Vous devez donc vous considérer comme 
Maître des Prêcheurs et agir comme tel... L » A cette décision, qui 
remettait les choses en leur premier état, Jean de Verceil ne pou¬ 
vait rien objecter. 

Débarrassé du patriarcat, il reprit le gouvernement des Prê¬ 
cheurs. 

Cette lutte entre le Pape et le Maître n’avait pas interrompu 
les négociations entre la France et la Castille. Pour arriver à en 
finir, le Pape nomma de nouveaux légats, qui devaient, avec les 


fuit quia iu rescripto provisions Palrinrchalus voeat cum olim Magistrum ordinis 
Prædicatorum, propter quam causam ipse cessavit ulterius ab officio; sed nunquam 
potuit adduci ut dicto Patriarchatui consentiret. Quod vidcns, Summus Pontifcx 
declaravit quod per illud « Olim » non inlcndcbal ipsum absolverc ab officio magis- 
tcrii... » (Ptolémëc de Lucqucs, llistor. Eccl., lib. XXIII, cap. xxvii. Ap. Muratori, 
Rer. liai. Script., XI, p. 1180.) 

1 « Nicolaus Episcopus, scrvus scrvorum Dei, dilecto filio Fratri Iohanni Maes¬ 
tro Ordinis Prædicatorum, salutem et aposlolicam benedictionem. 

« Sinccrus ad Pcrsonam tuam affcctus et pi us ad Icrosolimitanam Ecclcsiam ac 
Terram Sanctam zelus, et compassio nobis deliberantibus de providendo ipsi 
Ecclcsiæ suaserunt de te cuius præsentiam ex tuarum considcratione virtutum spe- 
rabamus rclevandis illarum necessitatibus Domino favente perutilcm, et promo- 
vendis utilitatibus opportunam cidem Ecclcsiæ, providere, ut te per nostram pro- 
visionem ipsius regimini præsidentc per tuam providentiam ctiam Terra eadem 
salubriter regeretur. Et quanto plenius tuis laboribus consulerctur utrique, tanto 
amplius tuis accrcsccrct meritis et mcrcedi. Tu vero Litteris Apostolicis super 
eadem provisionc reccptis onus dicti regiminis, excusationibus diversis excusons et 
postmodum aliis persuasiones continentibus ut cidem provisioni humiliter acquies- 
ceres ileralis excusationibus præmissis insistons necessitatem onus subeundi præ- 
dictum, cujus molcm tuis, ut dicebas, imparem viribus, verebaris tibi remitti mul- 
tiplicata devotæ supplication^ instantia petiisti. Cum itaque non fuerit nostri pro- 
positi te importabili onerare sarcina tuis supplicationibus annuentes tibi hujusmodi 
necessitatem de Fratrum nostrorum consilio præsentium auctoritate rcmittimus, et 
te ab injuncto tibi per eamdcm provisionem oncre dicti regiminis Ecclcsiæ memo- 
ratæ absolvimus ac fore dccernimus absolutum. Cæterum quia sicut intellcximus 
pro eo quod in prædictis et nonnulis aliis nostris Litteris post provisionem eam- 
dem de te facientibus mentionem nunc quondam, nunc olim Magister Ordinis Præ¬ 
dicatorum descriptus fueras tu suspicatus te a cura dicti Magisterii liberatum in 
humilitatis spiritu ab ipsius cxercitio destitisti, scirc te volumus quod nostræ 
intentionis non existit per verba præmissa, per quæ nec juris nécessitas id conclu- 
dit, te a cura Magisterii ejusdem absolverc, vel alias nisi demum consensu eidem 
provisioni sponte, vel nobis te ad id arctantibus præstito libcrare. Idcoquc, provi- 
sione ac dcscriptione huiusmodi nequaquam obstantibus illud excqui debes, et 
potes libéré, sicut antca poteras, et debebas. 

« Datum Romæ apud Sanctum Petrum, secundo nonas Februarii, Pontificatus 
nostri anno secundo. »> (Arch. du Vatican, Regest. Nicol. III , ann. II, t. I, 
epist. 24.) 


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CHAPITRE VII 


159 


premiers, pousser activement les pourparlers. Le cardinal Gérard, 
du titre des Saints-Apôtres, doit les rejoindre dans le Midi ; celui 
de Sainte-Cécile se rendre auprès du roi de France. De sorte 
que, en comptant Frère Jérôme d’Ascoli, créé cardinal depuis peu, 
trois princes de l'Église et Jean de Verceil, élu patriarche, s’occu¬ 
paient de cette affaire 1 . 

Les deux rois belligérants étaient invités par le Pape à envoyer 
leurs ambassadeurs à Toulouse, pour la Saint-Luc, 18 octobre 1278. 

Philippe le Hardi obéit; mais Alphonse X, sous prétexte que 
la ville de Toulouse dépendait de son adversaire, refusa. 

Avisé de l'attitude de ce dernier par ses nonces, le Pape en fut 
très irrité*. Il écrivit au roi de Castille une lettre, vive de ton, 
où il lui reprochait de mépriser l’autorité du Saint-Siège, de cher¬ 
cher par ses subterfuges à éviter son arbitrage, de nuire à la 
chrétienté en mettant obstacle à la croisade. N’est-ce pas faire 
injure au Saint-Siège que de refuser la ville de Toulouse parce 
qu’elle dépend du roi de France, comme si l’influence du roi de 
France pouvait agir sur les décisions apostoliques 3 ! 

Finalement, dans l’espoir de la paix, il accepte le choix d’une 
autre ville, agréable au roi de Castille, pour la réunion des pléni¬ 
potentiaires. Plus rassuré du côté du roi de France, le Pape le 
prie de se rendre à ses désirs 4 . Alphonse X choisit Bordeaux. Le 
cardinal Jérôme d’Ascoli, étant tombé malade, ne put assister à 
l’entrevue 5 . 

L’insuccès fut complet. Malgré les supplications du cardinal 
légat, Gérard de Parme, et de Maître Jean de Verceil, on ne put 
s'entendre, même sur une simple trêve. Du côté de la Castille, 
l’intransigeance était absolue. Les ambassadeurs se séparèrent plus 
ennemis que jamais 6 . 

Une bulle du Pape au roi de Castille dit toute son indignation 7 . 

Découragé pour l’heure, Nicolas III rappela ses légats 8 . 


1 B. Jacta per inimic.am, 15 juillet 1278. — B. Superseminata, 3 août 1278. 
( Bull. Ord,. ined., I, 12 bis. Ms. arch. Ord.) 

* B. Vestras recepimus litleras, 28 novembre 1278. (Ibid.) 

3 B. Etsi errantibus, 28 novembre 1278. (Ibid.) 

* B. Quant amare, 28 novembre 1278. (Bull. Ord. ined., I, 12 bis. Ms. arch. 
Ord.) 

* B. Digne quidem, 9 juin 1278. Ibid. — Cf. Rainaldi, III, p. 491. 

« Ibid . 

7 « Scribimus quoque magistro præfato (Joanni) quod ipse, qui prædictorum 
occasione tractatuum , jussionc superioris urgente , actualcm curam in nonnullis 
sui ordinis ad tempus non modicum necessario intermisit, circa curam eamdem 
ministerii sui debitum prosequatur. » (B. Homana mater Ecclesia, 9 juin 1279. Ibid.) 
— Cette même bulle fut adressée à Maître Jean de Verceil, car le Pape, tout en 
lui rendant sa liberté, voulait qu’il eût l’œil ouvert sur cette affaire, 10 juin 1279, 
(Ibid.) 

* Ibid. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


Maître Jean de Verceil, enfin rendu à sa pleine liberté, put 
présider le Chapitre de Paris, 21 mai 1279. Sa présence était 
plus que jamais nécessaire, car l’Ordre se trouvait, à cette date, 
en butte aux attaques violentes contre la doctrine de saint Thomas. 
Pour calmer les esprits en Angleterre, on décida d'y tenir le Cha¬ 
pitre l’année suivante 1 . 

Entre temps, le Maître, sur l’invitation de Nicolas III, se rendit 
à Rome. Le Pape voulait avoir un rapport exact de ce qui s’était 
passé dans les négociations entre la France et l’Espagne, afin 
d'interposer de nouveau sa médiation pacifique en toute connais¬ 
sance de cause. Jean de Verceil assista, comme ancien nonce, 
aux délibérations des cardinaux qui eurent lieu devant le Pape 2 . 
Ecrivant à l'archevêque de Tours, Nicolas III raconte longuement 
le détail de tout ce qui avait été tenté par le Saint-Siège pour 
rétablir la paix, son insuccès et ses tristesses ; il conclut en ordon¬ 
nant des prières extraordinaires à cette intention. A chaque messe, 
après que le célébrant aura dit : Pax Domini ..., et avant Y Agnus 
Dei, on récitera le psaume Lætatus sum in his quæ dicta sunt 
mihi y avec versets et oraison pour la paix. Pendant ces solennelles 
supplications de toute l’Église, le célébrant, ayant déposé les 
saintes Espèces sur la patène, se mettra à genoux, de même tous 
les assistants 3 . 

1 Cf. Acta Cap., I, p. 205. Chap. de Paris, 1279. 

2 « Quamquam autem ex præmissis idem concordiæ reconciliandæ ncgotium des- 
perationi viderctur expositum et adhuc humano iudicio vidcatur, nos tamen oculos 
mentis levantes ad montem, undc suppiicitcr petimus et fiducialiter expectamus 
opportunnm auxilium provenlurum, dictos très cardinales, et Magistrum ( B. Ioan- 
nem Vercellensem) ad Nostram duximus præsentiam revocandos, ut per ipsos ple- 
nius circumstantiarum eius conscios, instructione pleniori recepta, in illo proces¬ 
sus consultior haberetur. Et licet cum eisdem, et aliis Cardinalibus memoratis, 
pcrpenso consilio, et cum eodem Magislro in Curia Romana præsente, collatione 
habitis, ad sæpefatos Rcges charitatis et pacis vinculo unicndos, et Terræ præfatæ 
ncgotium promovendum, varia sint adinventa remedia, quæ instauler prosequi 
cœpimus, et continuata instantia, Deo auspicc, proscquemur, quia tamen de soli¬ 
cita quantumcumque adinventionc confidimus, quam de humili fidclium supplica- 
tione speramus, instar illorum, quorum cxempla præmisimus, pro tantæ tempesta- 
tis turbine sopiendo, ad ilium, qui mari, et ventis imperat et fit de turbatione 
tranquillitas, deliberavimus recurrendum. » (B. Salutaria, 20 février 1280. Rainaldi, 
III, p. 512.) 

3 « Inter alia devotorum suflfragia, quibus propter hoc in taudis sacrificio Domi- 
num lionorabunt, in singulis missarum celebrationibus, post dictum a célébrante 
Pax Domini rcsponsionemque secutam, antequam ipse cclebrans vel respondentes 
incipiant Agnus Dei, cum devotione débita in patcna duabus Eucharistiæ partibus 
collocalis, tcrtia quoquc cum oratione solita in calice mixta cum sanguine, ipsoque 
calice cooperto, illud eximii Citharædi Canticum : Lætatus sum in his quæ dicta 
sunt mihi, a vobis religionis clcricis, et aliis Iilteratis dici volumus cum oratione 
ac versiculis infrascriptis : ipso célébrante aliisquc præsentibus genua flectentibus, 
dum præmissa dicuntur... 

« Veraiculi autem et oratio dicenda post præmissum canticum cum Gloria Patri..., 
Kyrie eleison..., Pater noster : f. Domine, salvos fac reges. $. Et exaudi nos in 
die qua invocaverimus te. — f. Salvum fac populum tuum, Domine, et benedic hæ- 
reditati tuæ. Rege eos et extolle usque in æternum. — ÿ. Fiat pax in virtute 


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CHAPITRE VII 


161 


En réalité, les rois de France et de Castille étaient recommandés 
aux prières de la chrétienté. C'était, en même temps, stigmatiser 
leur coupable conduite. Mais Nicolas III avait encore un autre 
souci. Il était de cœur, pour les Frères Mineurs, ce que Clément IV 
avait été pour les Frères Prêcheurs. Encore enfant, dit-on, Fran¬ 
çois d’Assise l’avait pris dans les bras de sa nourrice, et, le regar¬ 
dant avec tendresse, avait prédit qu’il serait le protecteur de son 
Ordre. Comme cardinal, il s’était dévoué aux intérêts des Mineurs, 
dont il avait le patronage officiel. Devenu Pape, il confia cette 
charge au cardinal Mathieu Orsini, en lui disant, les larmes aux 
yeux : « Je vous donne ce que j’ai de meilleur, les délices de mon 
cœur, la prunelle de mes yeux 1 ! » 

Désireux de pacifier l’Ordre, qui lui était si cher, et d’imposer 
silence à ses détracteurs, il renouvela l’approbation de la règle 
franciscaine et en donna le sens authentique. Les Mineurs de 
toute distinction se disputaient sans cesse sur la pauvreté; à côté 
d’eux, leurs adversaires ou leurs émules, comme les Prêcheurs, 
profitaient largement de ces disputes familiales pour diminuer leur 
influence. Aussi le Pape exigea que Maître Jean de Verceil coupât 
court à toutes ces discussions bruyantes et scandaleuses, en adres¬ 
sant à ses religieux une lettre sur ce grave sujet. La voici : 

« Obligé par le devoir de ma charge d’assurer le progrès des 
Frères dans la vertu et de les préserver de tout scandale et de 
tout danger, je vous envoie cette présente circulaire. 

« Vous saurez que le seigneur Pape a publié dernièrement une 
constitution, où il déclare la règle des Frères Mineurs licite, 
sainte, parfaite et praticable. La plaçant au-dessus de toute cen¬ 
sure, il a ordonné, accordé, disposé, suppléé certains détails de 


tua : fi). Et abundantia in turribus luis. Domine, cxaudi orationem,... etc... Ore- 
mus : Largire, quæsumus, Domine, fidelibus tuis indulgentiam placatus et pacem, 
ut paritcr ab omnibus mundentur olTensis et secura tibi mente deserviant. 

« Per Christum. 

a Post hæc dicatur Agnus Dei... »> 

(Bulle Saluiaria, 20 févr. 1280. Cf. Rainaldi, III, p. 512.) 

1 a Observât porro Iordanus, ipsum inito pontificatu, cum Minoritarum cliente- 
lara Matthæo Rubeo Cardinali commendaret, singulare illud studium in S. Fran- 
cisci sodalitium egrcgic cxplicuissc : « Constituit, inquit, loco sui procuratorem 
ordinis Minorum Matthæum Rubeum Sanctæ Mariæ in porticu diaconum Cardina- 
lem subiectis verbis : Si bénéficia per nos tibi impensa magna inveniantur et 
multa; in nullo tamen sic e vicino dedimus tibi arrham ætemæ vitæ, sicut in eo, 
quod tibi modo committimus. Damus enim tibi, quod te in paradisum inducat, 
mérita scilicet sanctorum fratrum Ordinis huius : damus tibi melius quod habc- 
mus : damus tibi desiderium cordis nostri et pupillam oculorum nostrorum. Et 
hoc dicens non modo lacrymas fudit, sed etiam singultus vir tanta? maluritatis 
continere non valuit. Et extenta manu proprium anulum tradidit illi dicens : Tibi 
committimus ordinem fratrum Minorum; et ilia verba regulœ recitavit : Qui sit 
gubemator, protector, et corrector, et gubernatione, inquiens, et correctione tua 
non egent : sed pauperes, et imbecilles, et habentes impugnatores tua indigent 
protcctione defendi. « (Rainaldi, III, p. 518.) 

II. — 11 


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162 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


la règle, qu’il approuve dans son intégrité d’une manière ferme 
et perpétuelle. Il fait en outre le précepte, en vertu de l’obéissance, 
d’enseigner dans les écoles cette constitution au même titre que 
les autres constitutions, décrétales ou lettres apostoliques. Il éta¬ 
blit une méthode pour l’enseigner, sous peine d’excommunication 
et de privation d’office et de bénéfice, à savoir : cette constitution 
sera expliquée, telle qu’elle a été donnée, selon la lettre, sans 
gloses, sans concordances, sans controverses, sans opinions per¬ 
sonnelles de la part du professeur. Qu’il ait garde de ne pas en 
corrompre le sens littéral ! 

« Ordre à toute personne de n’importe quelle dignité, condition 
ou état, de la part du Souverain Pontife, de ne rien écrire, de ne 
rien définir, de ne rien prêcher qui soit contraire à ce qui a été 
établi, approuvé, expliqué et confirmé par lui dans cette constitu¬ 
tion, sous peine, pour quiconque en ferait un commentaire faux, 
ou écrirait des livres, ou prononcerait des discours contre cette 
constitution, d’être frappé d’excommunication, sans que nul pri¬ 
vilège et nulle exemption puissent l'en préserver. Cette excom¬ 
munication est réservée au Saint-Siège. De plus, ceux qui se per¬ 
mettront des attaques devront être dénoncés au Pape, afin d’en 
recevoir un châtiment capable de les réduire au silence. 

II est donctrès dangereux, comme vous le voyez, de discuter 
en ce moment avec les Mineurs, sur leur règle et leur état, de 
dire, par exemple, qu’ils possèdent en commun, ou en particu¬ 
lier; que ne rien posséder n’appartient pas à la perfection; qu’ils 
peuvent recevoir de l’argent eux-mêmes ou par personnes inter¬ 
posées. Pour toutes ces raisons, je conseille et je veux que vous 
fassiez transcrire cette lettre et que vous l’envoyiez au plus tôt à 
tous les couvents de votre province 1 . » 

1 « In Christo sibi karissimis prioribus et fratribus universis ordinis fratruin 
predicalorum in provincia Provincie constitutis fr. Bernardus servus eorum inuti- 
lis salutem cum profectu continuo gracie salutaris. 

« Noveritis me récépissé literas venerabilis patris magistri ordinis ad erudicio- 
nem nostram et cautelam in posterum in hec verba. 

« In Christo sibi karissimo fralri Bernardo , priori provinciali fratrum ordinis 
predicatorum provincie Provincie, fratcr Johannes, fratrum ciusdem ordinis servus 
inutilis, salutem et augmentum continuum celeslium graciarum. 

« Cum ex debito impositi micki ofhcii tencar fratrum profectibus providcre ac 
eos a scandalis et periculis preservare dilcctioni vestre presentem paginam desti- 
nare curavi. Noveritis itaque, quod domiuus papa nuper quandam constitucionem 
edidit, in qua regulam fratrum minorum licitam, sanclam, perfectam et observabi- 
lem, nec ulli palenlem discrimini pronuncians, plura in ea statuendo, ordinando, 
concedendo, disponendo, decernendo, declarando ac eciam supplcndo, ipsam regu¬ 
lam de apostolice potestatis plenitudine, approbavit, confirmavit et voluit existere 
perpétue firmitatis; in virtute obediencic districte precipiens, quod eadem consti- 
tucio, sicut et cetere constituciones vel decretales epistole Iegatur in scholis, cer- 
tum docendi moduin legentibus staluens sub pena excommunicacionis et privacio- 
nis ofticii et beneficii districle precipiens, ut cum eam legi contigerit, sicut prolata 
est, sic fideliter exponatur ad literam, ita quod nulle glosse super dicta constitu- 


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CHAPITRE VII 


163 


Cette circulaire adressée à tous les Provinciaux est datée de Rome, 
le 1 er dimanche de l’Avent. 

Jean de Verceil partit ensuite pour l’Angleterre, où il devait pré¬ 
sider, à Oxford, le Chapitre général 1 . En 1281, nous le trouvons 
au couvent de Saint-Eustorge de Milan. Son passage est signalé 
par la Chronique de Borselli : « Il vint à Milan, dit-il, et il fit 
manger à sa table les novices 1 ; » trait d’aimable simplicité qui 
révèle la bonté d’àme du saint vieillard. 

Sur ces entrefaites, le successeur de Nicolas III 3 , Simon deBrion, 
prit possession du siège de saint Pierre. Élu à Viterbe, le 22 fé- 


cione fiant nec concordancie vel conlrarietates seu diverse vel adverse opiniones a 
lectoribus inducantur, nec intellectus ipsius per legcntem depravetur vel distor- 
queatur ad aliud quam litera ipsa sonat. Insuper universis et singulis cuiuscurnque 
precminencie, condicionis aut status districte precepit, ne contra predictam regu- 
lam et statum predictorum fratrum seu per eum statula vel ordiuata, concessa, 
disposita, décréta, dcclarata, suppleta, approbata et confirmata, vel contra ali- 
quem predictorum dogmatizantes scribant, déterminent, predicent seu prave 
loquantur publice vel occulte, glossantes insuper constitucionem ipsam aliter, 
quam conccssum est, doctores sive leclores, dum docent in publico ex certa 
sciencia et deliberacione intellectum constitucionis, depravanter facientes quoque 
commentum, scripturas seu libellos, ac certa sciencia et deliberacione détermi¬ 
nantes in scolis seu predicantes contra predicta vel aliquid predictorum, non 
obstantibus aliquibus privilegiis vel indulgenciis aut literis apostolicis quibus- 
cumque dignitatibus, personis, ordinibus aut Iocis religiosis vel secularibus, gene- 
raliter vel singulariter, sub quacumque forma vel expressione verborum concessis, 
que noluit in premissis aliquibus quomodolibet sulTragari , excommunicacionis sen- 
tcncia, quam ex tune in ipsos protulit, innodavit, a qua per neminem nisi per 
Romanum pontificem possint absolvi. Insuper tam istos, contra quos excommuni¬ 
cacionis scntencia est prolata, quam alios, si qui fuerint, contra premissa vel eorum 
aliquid venientes, ad sedis apostolice voluit deduci noticiam, ut quos previsus mo- 
dus equitatis non arcet a vetitis, compescat vigor apostolice ulcionis. 

« Cum igitur periculosum sit fratribus regimini nostro commissis, ut ex premis¬ 
sis apparct, contendere cum minoribus de régula et statu ipsorum seu dicere, quod 
habeant aliquid in communi vel speciali, usu duntaxat excepto, aut dicere, quod 
nichil habere non sit de statu perfectionis aut quod pecuniam recipiant per se vel 
per interpositas personas, consulo et volo, ut transcriptum presencium conventibus 
vestre provincie celerius transmittatis. 

« Valetc et orate pro me. 

« Datum Rome dominica prima adventus. 

« Cum ergo per ea, que iu predicta litera continentur, possit evidenter haberi, 
quod intencio est summi pontificis et voluntas magistri ordinis, quod de hiis, que 
ad regulam et statum fratrum minorum pertinent, caute loquamur nec ad loquen- 
dum super hiis linguas nostras improvide extendamus, rogo et in rcmissionem 
peccatorum vobis iniungo, quatenus sollicite cavcatis, ne possitis reprehensibiles 
vel notabiles inveniri, cum de facili possetis excommunicacionis scntencia innodari. 
Propter quod volo, quod in singulis conventibus transcriptum huius litere habea- 
tur, ut melius fratres possint colligerc, circa que ipsos oporteat caulos esse. 

« Valete bene et orate pro me. 

« Datum Massilie in vigilia epiphanie anno Dom. m°. cc°. lxxx°. » 

(Litter. Encycl., p. 114, n° 32. Ed. Reichert.) 

1 Nous n’avons pu mettre la main sur les nouvelles lettres accréditant Jean de 
Verceil comme nonce près le roi de France et le roi d'Angleterre. (Cf. Mothon, 
op. cit., p. 487-488.) 

2 « 1281. Tune observantissime regebat ordinem Magister Joannes de Vercellis, 
unde veniens Mediolanum voluit ut novitii secum coniederent. »» ( H. Borselli, 
Chron. Ord., Ms. arch. Ord., lib. QQ, p. 509.) 

3 Nicolas III mourut en août 1280. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


vrier 1281, il reçut la tiare à Orvieto, le 23 mars suivant. Ce 
n’était point un inconnu pour Jean de Verceil. Français d'origine, 
légat en France près de Philippe le Hardi, sous le pontificat pré¬ 
cédent, Martin IV avait eu des relations familières avec le Maître 
pendant les négociations pour la paix avec la Castille. 11 était 
l ami des Prêcheurs et des Mineurs. On le vit bientôt. Le 10 jan¬ 
vier 1282 paraissait une bulle qui devait avoir dans l'Eglise les 
plus graves conséquences. Dans la plénitude de son pouvoir apos¬ 
tolique, Martin IV accordait aux Prêcheurs le droit de prêcher et 
de confesser, sans aucun contrôle des évêques et des curés. Il 
appartenait au Maître Général d’une part, aux Provinciaux d'ac¬ 
cord avec les Définiteurs des Chapitres provinciaux d’autre part, de 
donner à leurs religieux les facultés nécessaires. Instruction, exa¬ 
men, pouvoir, tout dépendait des supérieurs réguliers. Munis de 
leur autorisation, les Frères avaient donc le droit de prêcher et 
de confesser en tous lieux, sans passer ni par l'évêque diocésain, 
ni par le curé de la paroisse. Ils devaient simplement rappeler 
à leurs pénitents l’obligation qui leur incombait, selon le décret 
du IV® concile de Latran 1 , de se confesser une fois l’an à leur 
propre pasteur 2 . 

Ce cadeau si généreux de Martin IV était presque dangereux. 
Nous verrons bientôt à quelles luttes il donna lieu. 

1 Décret du IV e concile de Latran, sous Innocent III, 1215 : « Omnis utriusque 
sexus fidelis, postquam ad annos discretionis pervenerit, omnia sua solus peccata 
conflteatur fideliter, saltem semel in anno, proprio sacerdoti... » (Labbe, SS. Con- 
cil., XI, p. 172-173.) 

* « Martinus Episcopus, servus servorum Dei, dileclis filiis Magistro, et Provin- 
cialibus Prioribus Ordinis Fratruiu Prœdicatoruin, salutem, et apostolicam bene- 
dictionem. 

« Ad fructus uberes, quos in agro dominico, prædicando verbo pariter et exem- 
plo, confessiones audiendo, et per alia virtutum exercitia, sacer Ordo rester, et 
humiles ipsius Ordinis professores produxerunt hactcnus, et in futurum sperantur, 
Deo auspice, producturi, attentæ considérations aciem convertentes, ut Fratres 
ejusdeni Ordinis prædicationis et audiendi confessiones officia, eo liberius, et efli- 
cacius, exequi valeant, quo certius de ipsorum circa eadem aucloritate constabit 
fili Magister, per te, vobis vero Provincialibus Prioribus, cum Difûnitoribus, in 
Provincialibus vestris Capitulis congregatis, conimittendi, auctoritate Apostolica? 
Fratribus eiusdem Ordinis in sacra pagina cruditis, examinatis , et approbatis a 
vobis, prædicationis officium, audiendi vero confessiones, absolvendi confitentes, 
et iniungendi cisdem pœnitentias salutarcs, etiam Fratribus, alias idoueis : conce- 
dendi cisdem quoque sæpefati Ordinis Fratribus, quibus dicta officia per vos tali- 
ter commisse, sive conccssa fuerint, quod eadem libéré valeant exercere, plenam 
damus, et concedimus, auctoritate præsenlium, facultatem. Districtius inhibentes, 
ne quis Fratres ipsius Ordinis, quibus dicta officia taliter concedenda duxeritis, ut 
præmittitur, scu etiam committcnda, in exercitio, et executione officiorum ipsorum 
audeat quomodolibet impedire. Volumus autem, quod hii, qui Fratribus confite- 
buntur cisdem, suis Parrochialibus Presbyteris eonfiteri, saltem semel in anno. 
prout generale Concilium statuit, nichilominus teneantur, quodque iidem Fratres 
eos ad hoc diligenter et efficacitcr, secundum datam eis a Domino gratiam, exhor- 
tentur. Nulli ergo omnino hominum liceat banc paginam nostræ concessionis, et 
inhibitionis infringere etc. Datum apud Urbem Veterem IV Idus Januarii, Pontiü- 
catus nostri Anno primo. » (Bull. Ord., II, p. 1.) 


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CHAPITRE VII 


165 


Maître Jean de Verceil, avec sa vieille expérience, en eut le 
pressentiment. Au Chapitre général qui suivit,— Vienne, 1282, — 
loin de se prévaloir de ce nouveau privilège, les Pères recom¬ 
mandent aux religieux la plus grande prudence. Ils sont presque 
timides : « Que les prédicateurs et les confesseurs aient soin de 
rappeler aux fidèles l’obligation de se confesser une fois l’an à 
leur propre curé. De plus, bien que le Saint-Siège ait accordé le 
privilège de la prédication universelle, nous voulons, par révé¬ 
rence envers les Ordinaires et les curés, pour avoir la paix avec 
eux, que personne ne prêche dans leurs églises, s’ils le refusent 1 . » 
On peut dire que les supérieurs de l’Ordre faisaient preuve d’un 
esprit de conciliation à outrance, puisqu’ils cédaient eux-mêmes 
les droits qu’ils avaient du Siège apostolique. Je ne réponds pas 
que tous les Frères aient pratiqué ces conseils très désintéressés. 
Comme ils avaient souffert de nombreuses avanies de la part du 
clergé séculier, ils profitèrent largement de la bulle du Pape. 

Martin IV, du reste, entendait bien que la bulle ne restât point 
lettre morte et qu’elle fût respectée. 

Dans le diocèse de Passau, pendant qu’un Frère Mineur, — dont 
l'Ordre avait reçu le même privilège, — prêchait au peuple sur la 
place publique, le curé fit monter un de ses vicaires sur une 
estrade, et là, face au prédicateur, ce vicaire, pendant le sermon, 
criait à haute voix comme un appariteur : « Les Prêcheurs et les 
Mineurs n’ont pas le droit de prêcher, n’ont pas le droit de con¬ 
fesser sans la permission du curé 3 ! » 

Une autre fois, ce même curé fit à un Frère Prêcheur une scène 
encore plus violente. Pendant que le peuple réuni autour de sa 
chaire écoutait le sermon, il envoya son vicaire qui ordonna à tous 
les assistants de se retirer sous peine d’excommunication. On devine 
les disputes qui résultaient de pareils procédés, même parmi les 
fidèles, les uns tenant pour le curé, les autres pour les Frères. 
Ceux-ci en appelèrent au Pape. L’issue de la contestation n’était 


1 « Item. Eciam fratres diligenter et efticaciter, secundum datam eis a domino 
graciam, illos qui sibi confessi fuerint exhortentur, ut saltem semcl in anno suis 
presbiteris parochialibus contiteantur, prout statuit concilium generale, et summus 
pontifex ordinavit. Quamvis eciam a sedc apostolica predieandi sibi sit concessa 
potestas, ob reverentiam ordinariorum et rectorum ecclesiarum parochialium, et 
pacem cum eis habendam, volumus, quod prohibentibus ordinariis vel eciam re- 
ctoribus, ne in sua ecclesia predicent, a predicacione désistant. 

« Item. Cum ex favore prelatorum et clericorum tam in spiritualibus quam tem- 
poralibus ordini multum accrescat, iniungimus fratribus universis, ut ab eorum 
olTcnsis caveant, sentencias rite per eos latas observent, et interdum laycos moncant, 
ut que sibi iure debentur, persolvant, et per rcvcrenciam , humilitatem ac familia- 
ritatem captare studeant graciam eorumdem. » (Acla Cap., I, p. 218, Chap. de¬ 
vienne, 1282.) - 

2 Bull. Ord., II, p. 2. B. Exhibila nohis, 9 février 1282. 

2 Ibid. 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


pas douteuse, puisqu'il s’agissait de faire respecter une loi imposée 
par le Pape lui-même. Aussi, sa réponse est tranchante 1 . Il est 
probable qu’en bien des endroits ces mêmes chicanes se produi¬ 
sirent, aussi scandaleuses. Le décret du Chapitre de Vienne, cité 
plus haut, tendait à les diminuer. 

Des bords du Danube Maître Jean de Verceil n’hésita pas à 
convoquer le Chapitre suivant au couvent de Montpellier. La dis¬ 
tance était grande. Le bienheureux Père avait alors quatre-vingts 
ans, et, selon la règle de l’Ordre dont il était le rigide observa¬ 
teur, il voyageait à pied. Décidé à faire son devoir jusqu’à la der¬ 
nière minute, il quitta l’Autriche en visitant sur sa route les cou¬ 
vents d’Allemagne. Et c’était un spectacle touchant de voir ce 
saint vieillard, dont l’Église entière vénérait le noble caractère, 
marcher au milieu de ses fils, appuyé sur son bâton. On dit que 
le voyant affaibli, se traînant avec peine, les Frères le plaçaient 
par moments dans une litière qu’ils portaient sur leurs épaules 2 . 
Ils allaient ainsi, à petites étapes, de couvent à couvent, chargés 
de leur précieux fardeau. A son arrivée à Montpellier, le Maître 
se sentit défaillir. Il tint le Chapitre qui s’ouvrit le 6 juin 1283. 
Il y est surtout question de l’éducation des novices. On dirait 
qu’avant de finir son magistère, Jean de Verceil a voulu laisser 
à ses fils cette suprême recommandation comme un gage de vita¬ 
lité : « Nous voulons et nous ordonnons, disent les Actes, que les 
Prieurs veillent avec la plus grande sollicitude sur l’éducation 
des jeunes Frères, même après leur profession. Qu’on ne les fasse 
pas sortir du couvent, ni étudier les « arts », avant qu’ils ne soient 
parfaitement instruits de ce qui regarde l’office divin, la religion 
et les observances régulières. 

« Nous voulons et nous ordonnons qu’on observe avec plus de 
rigueur la loi sur l’admission des novices. On ne donnera qu’avec 
une raison vraiment légitime la dispense de l’âge requis par les 
Constitutions. Si quelqu’un se permet d’admettre des novices avant 
l’âge exigé, il sera privé de toute voix dans la réception des 
novices, jusqu'à ce que la pénitence soit levée par le Maître de 
l’Ordre, ou le Provincial, ou les Définiteurs provinciaux. De plus, 

1 Bull. Ord. t II, p. 2, et page 3. Bulle Exhibita nobis, adressée le même jour à 
l’évéque d’Olmutz pour lui ordonner de veiller à l'exécution des ordres du Pape. 

* Cf. Mothon, op. cit., p. 510. On serait heureux de lire le document. 

La Chronique d’Orvieto, écrite vers 1340, par Frère Thomas Caccia.dit, au contrairc t 
que, dans le cas de maladie, il consentait à voyager à cheval : « Fuit autem quam 
plurimum in scientia litteratus, prudens et sapiens, et sermocinando admodum gra- 
tiosus, boni sensus et capitis, magni consilii ac sanctœ vitæ et suœ religionis ama- 
tor qui et plures provincias sui ordinis visita vit quam aliquis predec essor suus et 
nunquam in itinere nisi actualem haberet infirmitatem aliquod animale ascendere 
voluit, in nullo parcens corpori suo... » (Fr. Thomas Caccia, Chron. brevis Mngis- 
Irorum Generalium, lib. 00., p. 15. Ms. arch. Ord.) 


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CHAPITRE VII 


167 


les Provinciaux y ajouteront la privation de toute voix; et si la 
faute a été commise depuis le dernier Chapitre de Florence (1281 ) 
le coupable aura douze jours au pain et à l’eau et autant de dis¬ 
ciplines, à moins qu'il n’ait reçu déjà d'autres châtiments 1 . » 

Après les sessions capitulaires, Maître Jean de Verceil adressa 
à l’Ordre sa dernière lettre. Elle est un pressant appel à la vie 
régulière, à la pratique des vertus religieuses d’humilité, de cha¬ 
rité fraternelle, de soumission, de modestie. Il demande que le 
silence, « dont l’observation a presque disparu, » reprenne une 
nouvelle vigueur. « Et je vous en conjure, dit-il en terminant, 
souvenez-vous plus fréquemment de moi dans vos prières, afin que 
vos suffrages suppléent aux nombreuses faiblesses de la condition 
débile où je suis réduit et me rendent capable de servir l'Ordre 
tant que j’en aurai le devoir 2 . » 

La (in de ce glorieux service approchait. Depuis plus de dix-neuf 
ans, Maître Jean de Verceil gouvernait l'Ordre des Prêcheurs. Il 
avait eu bien des joies, bien des gloires, bien des tristesses aussi. 
Malgré ses exemples personnels, malgré ses efforts énergiques et 
dans les Chapitres généraux et dans les visites canoniques, des 
religieux, nombreux déjà, fléchissaient sous le poids des obser¬ 
vances. Ses dernières années avaient été assombries par des deuils 
douloureux. 

En 1274, Frère Thomas d’Aquin était passé à un monde meil¬ 
leur 3 ; en 1273, Frère Raymond de Pennafort 4 ; en 1276, Frère 
Pierre de Tarentaise, devenu Innocent V 5 ; en 1277, Frère Paganus 
de Lecco 6 , inquisiteur en Lombardie, homme d'admirable sain- 


1 « Admoncmus et volumus quod priores circa instructioncm et informacionem 
fratrum iuvenum, eciam post ipsorum professionem, diligentem curam adhibeant, 
nec eos exponant discursibus, nec ad artes addiscendas eos exponant; nisi prius in 
divino officio instructi fuerint et in religione et in observanciis regularibus infor- 
mati. 

« Volumus et mandamus, quod constitucio de recipiendis noviciis arcius obser- 
vetur, et in eadem etate a conslitucionibus delerminata; sine causa valde légitima 
nullatenus dispenselur. Et si aliqui de cetero aliquem infra etatem a iure taxalam 
receperint contra iura, vel tali recepcioni consenserint cum cfTectu , sint privati 
vocibus in recepcione noviciorum, quousque per magislrum ordinis, vel per prio- 
rem suum provincialem et difflnitores capituli provincialis fuerint restituli. Et insu¬ 
per priores provinciales eos , quos invenerint in hoc amplius deliquisse, privent 
omni voce, prout viderint expedire, et nihilominus qui circa hoc deliquerunt a 
tempore generalis capituli Florencie celcbrati, xii dies in pane et aqua abstineant, 
nisi de hoc alias specialiter sint puuiti, et totidem in capitulo recipiant discipli¬ 
nas. » ( Acta Cap., I, p. 223, Chap. de Montpellier, 1283.) 

1 Litter. Encycl., p. 126-120. Ed. Reichert. 

3 7 mars 1274, à l’abbaye de Fossa Nuova. 

4 Saint Raymond mourut à Barcelone, presque centenaire, le jour de l'Épipha¬ 
nie, 6 janvier 1275. (Echard, I, p. 107, — Tome I er de cet ouvrage, p. 255 et ss.) 

8 Le bienheureux Innocent V mourut à Rome le 22 juin 1276. (Echard, I, p. 351. — 
Mothon, Vie du bienheureux Innocent V.) 

8 Le bienheureux Paganus était vénéré comme un martyr. Bernard Gui : « An- 
no MCCLXXVII, in natali S. Stephani protomartyris occisus est Fr. Paganus inquisi- 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


teté, et Frère Humbert de Romans 1 ; en 1279, Frère Robert Kil- 
wardby *, cardinal d’Angleterre; en 1280, Frère Albert le Grand 3 . 
Et je ne cite que les noms les plus illustres : la liste des saints et 
doctes personnages disparus sous le magistère de Jean de Verceii, 
tous les premiers compagnons de Dominique et de Jourdain de 
Saxe, ces héros des temps primitifs, serait trop longue; j'y inscris 
simplement, — et ce devrait être en lettres d’or, — les noms 
glorieux en leur virginale humilité de sœur Hélène 4 et de sœur 
Marguerite de Hongrie 5 . 

Ces grands morts faisaient dans les rangs des Prêcheurs des 
vides irréparables. 

Après le Chapitre de Montpellier, Jean de Verceii, toujours 
infatigable, voulut se mettre en route vers Bologne, où devait se 
célébrer le Chapitre suivant. Ses forces le trahirent. Non loin de 
Montpellier, le saint vieillard, exténué, dut demander l’hospitalité 
dans une abbaye cistercienne 6 . Il y fut accueilli avec la cordialité 
la plus dévouée. Mais, pressentant que son heure approchait, le 
bienheureux Père voulut finir ses jours chez les siens. Les Frères 
le transportèrent au couvent de Montpellier 7 . 11 y languit quelques 
semaines encore, édiGant les religieux par sa piété, sa foi, sa 
patience inaltérable. Le 30 novembre 1283, il rendit son âme 
à Dieu 8 . 

Ses funérailles furent un triomphe. Elles furent célébrées suc¬ 
cessivement par les Frères de l’Ordre, les Mineurs, les Augustins, 
les Carmes et le clergé séculier. De mémoire d’homme, dit 


tor, in Lombardia, de Conventu Cumano, instigantc quodam nobili Courado de 
Venusta, qui multis vulneribus confossus, tandem exemplo Salvatoris in laterc lancea 
perforatus est, tencns semper manus super pectus ad modum crucis... » (Echard, I, 
p. 361.) 

L'année suivante, au Chapitre de Milan (1278), les Pères firent celte ordonnance: 
« Volumus et ordinamus quod fratres in suis prcdicationibus fratris Pagani mar¬ 
tyrium populis studeant uunciare et tam ipsius quam aliorum miracula conscriban- 
tur. » (Acta Cap., I, p. 198. — Cf. Bull. Ord., I, p. 567.) 

1 Le bienheureux Humbert de Romans mourut le 14 juillet 1277. (Cf. tome 1 er de 
cet ouvrage, p. 415 et ss. — Echard, I, p. 141.) 

* Frère Robert Kilwardby mourut le 11 septembre 1279, à Viterbe : « Anuo 
Christi MCCLXX1X, Fr. Robertus, jam episcopus Portuensis, post adventum 
suum ad curiam graviter infirma lu s post paucos dies in Domino obdormivit. »» (Nie. 
Triveth., cité par Echard, I, p. 275.) 

a Albert le Grand finit ses jours à Cologne, le 15 novembre 1280. (Cf. Echard, I, 
p. 169.) 

4 Cf. t. I, p. 295. 

5 Ibid., p. 433. 

6 Mothon, op. cit., p. 518. 

7 Ibid., p. 518. 11 est difficile de croire que les Frères le portèrent en un tel étal, 
d'affaiblissement sur leurs épaules. 

8 « Præfuit aulem in magisterio quasi annis viginti et post multos labores decum- 
bens, in Conventu Montispessulani diem clausit extremum pridie kalendas decenv- 
bris anno Domini 1283. » (Bernard Gui, Calai. Map. Ord. — Echard, I, p. 210.) 


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CHAPITRE VII 


169 


Taegio, on n'avait rendu à un prélat de si splendides hommages 1 . 
Toute l’Eglise s’était unie pour honorer sa mémoire. 

Les Frères ensevelirent le corps de leur Père dans l'église con¬ 
ventuelle, au côté gauche du maître autel *. 

Il y reposa dans la paix, entouré de la vénération de ses fils, 
jusqu'en 1562. A cette date, les calvinistes, devenus maîtres de 
Montpellier, pillèrent le couvent des Prêcheurs et le démolirent 
de fond en comble. Il n'y a plus trace 3 de la sépulture de Maître 
Jean de Verceil. 

Mais ni l'Ordre des Prêcheurs, ni l’Eglise elle-même, n'ont 
oublié ce grand serviteur de Dieu. 

En 1903, le Pape Pie X, heureusement régnant, a élevé Jean 
de Verceil sur les autels. 

1 « Cum fratres super funus vigilias defunctorum solemniter decantassent, venit 
conventus fratrum minorum et fecerunt similiter. Post hos venit conventus fra- 
trum heremitarum idem facicntes, deinde venerunt fratres Ordinis Carmelitarum, 
qui et ipsi simile fecerunt, ultimo venit chorus secularium Clericorum idem facicntes 
et a seculo non est auditum ut pro prclato aliquo tam solcmnes exequie celebrate 
sint; sepultus est autem in ecclesia fratrum ad levam altaris majoris in sepulcro 
honorabili. » (Taegio, Chron. ampliss., p. 109. Ms. arch. Ord.) 

* Ibid. 

3 Voici un extrait des Mémoires du couvent de Montpellier , conservé aux 
Archives de l’Ordre, lib. M, p. 285 et ss. Ces mémoires ont été recueillis par le 
Père Pierre Gonet, du même Ordre et de la même province, au xvm« siècle. 

« L’an 1562, les Calvinistes estant dans Montpellier aussi bien que dans plusieurs 
autres villes de la Province supérieurs aux catholiques; ils sugerent et delibererent 
qu’il était necessaire de démolir et razer touttes les maisons religieuses, touttes les 
Eglises tant seculieres que religieuses, dont les unes étaient dans la ville et les 
autres dans les feauxbourgs ; on rapporte qu’il y en avait près de soixante très 
belles et très propres ; La deliberation ayant esté prise ils mirent la main à 
l’œuvre, et commencèrent par démolir les quatre grands convcnts des quatre Ordres 
Mandians situés hors les quatre portes de la ville ; le notre qui était comme 
jey deica dit à lantree du feauxbourg St. Guillien feut dabort dévaste par les 
rebelles, qui le pillèrent avant de le démolir; touts les Religieux en feurent hon¬ 
teusement chasses; touts les ornaments et toutte l’argenterie de l’eglise, touttes les 
chasses d’or et d’argent avec les Reliques qui y estoient enfermees, culevees, (Ga- 
riel fait mantion de ces ch&sses et de ces reliques , prima parte p. 325. Dans 
l’avvertissement posé au commencement de ces mémoires il est dit que Pierre Ga- 
riel était un célébré historien de la ville de Montpellier, docteur en droit canon et 
civil), touts les meubles des sales, des galeries, des officines, des chambres empor¬ 
tés, la biblioteque et les archives bruslees en partie; enfin tout le couvent et 
l’eglise démolis et razês; apres les première troubles dix ou douse Religieux du 
mesme convent estant revenus dans Montpellier par orde des Supérieure suit pour 
affermis la foy des catholiques, soit encore pour recouvrer une partie des biens et 
titres qu’on leur avoit enlevés, ils feurent contrains de ranter une maison particu¬ 
lière... » (Cf. A. Germain, le Couvent des Dominicains de Montpellier.) 


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LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCEIL 


BIBLIOGRAPHIE 


Anonyme (P. Mothon), Vie du Bienheureux Innocent V, archevêque de Lyon, 
primat des Gaules et premier pape de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Rome, 
1896. 

C. Pinzi, Storia délia città di Vilerbo, II. Viterbe, 1899. 

E. Lavisse, Histoire de la France , III. Paris, 1901. 

Fontana y Sacrum Theatrum Dominicanum. Rome, 1666. 

P. Mothon, Vita del B . Giovanni da Vercelli. Verceil, 1903. 

On trouvera dans cet ouvrage important une bibliographie complète sur 
Jean de Verceil et diverses dissertations intéressantes sur le lieu de sa nais¬ 
sance, ses écrits, son culte. 

Les Annales Minorum contiennent également des détails sur la légation 
commune de Jérôme d’Ascoli et de Jean de Verceil. 


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MUNIO DE ZAMORA 

SEPTIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L'ORDRE DES FRÈRES PRECHEURS 


1285-1291 


CHAPITRE I 

ÉTAT DE L’ORDRE 


La mort de Jean de Verceil laissa le suprême magistère vacant 
pendant dix-huit mois 1 . En 1285, 12 mai, veille de la Pentecôte, 
les Pères Capitulaires, réunis à Saint-Nicolas de Bologne, choi¬ 
sirent unanimement comme Maître Général Frère Munio de Zamora, 
Provincial d’Espagne *. 

Ce choix ne s’imposait pas par la renommée bruyante de l'élu, 
ni comme éloquence, ni comme enseignement. Frère Munio n'était 
point Maître de Paris; il n’avait point non plus la passion oratoire 
qui soulève les peuples. Mais c’était un homme de mœurs graves, 
austère de discipline, administrateur éclairé, prudent dans ses 
décisions, indulgent pour les personnes, et doué d’une fermeté de 
caractère qu’aucune adversité ne put ébranler 3 . 

Cette robustesse d’âme connue des électeurs motiva leur vote 4 . 

! D’après la Constitution,le Maître Général mourant après la Saint-Michel,ilny 
avait point de Chapitre l’année suivante. (Cf. Anal. Ord., p. 107, 1897.) 

1 Bernard Gui, Catal. Magist. Ord. — Echard, I, p. 399. — 11 avait été Définitcur 
pour le Chapitre général au Chapitre provincial de Léon, en 1275. (Anal. Ord., 
p. 421, 1898.) 

3 Taegio, Chron. ampl., I, p. 146. Ms. arch. Ord. — Sébastien de Olmcdo, Chron., 
p. 34. Ms. arch. Ord. — S. Antonin, Chronicæ, III, p. 685. 

4 Ce ne fut point du tout pour rendre hommage à la patrie de saint Dominique ; 
hommage tardif, d’après les historiens espagnols. Est-ce que saint Raymond de 
Pennafort n’était point Espagnol? Les Français pouvaient se plaindre au même 
titre, puisque, depuis la fondation de l’Ordre, ils n’avaient eu qu’un Maître Général 
de leur nation. De même les Italiens. Ce motif de race n’influa en rien sur l’élec¬ 
tion. (Cf. Castiglio, Délia Historia di S. Domenico, p. 513; Palerme, 1626. Traduc¬ 
tion du Père Tim. Bottoni.) 


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MUNIO DE ZAMORÀ 


En tous cas, elle le justifie pleinement. Il y avait, à la vérité, chez 
les Prêcheurs, des docteurs plus illustres et des orateurs plus 
puissants; auraient-ils gouverné l’Ordre avec plus de sagesse? Les 
Capitulaires ne le crurent pas. 

Munio avait pris l’habit en 1257, à l’âge de vingt ans 1 . Il en 
avait donc quarante-huit. C’est la plénitude de la maturité. L’expé¬ 
rience acquise permet de diriger les hommes avec sécurité, et la 
vigueur physique, que les premières atteintes des irréparables 
défaillances n’ont pas encore effleurée de leur souffle déprimant, 
laisse libre cours à toutes les initiatives de l’activité la plus hardie. 

Malgré ces précieux avantages, le gouvernement du nouveau 
Maître ne fut point paisible. 

L'Ordre des Prêcheurs semble fléchir sous le poids de sa propre 
grandeur. Tel, épuisé par une floraison exubérante, l’arbre s’incline, 
las de sa fécondité, tend ses branches défaillantes, et, courbé par 
l’impuissance, laisse tomber autour de lui, chétifs et inutiles, des 
fruits qu’il ne peut nourrir. 

Le développement de plus en plus expansif de l’Ordre était, 
pour lui, une cause de faiblesse. Les fondations, déjà très nom¬ 
breuses, se succédaient. Il n’y a point de Chapitres généraux, à 
cette époque, où l'on ne lise les autorisations accordées à telle ou 
telle province pour établir de nouvelles maisons *. Ces maisons, il 
fallait les remplir de religieux. Les postulants se pressaient aux 
portes, jeunes et vieux, et l’on admettait, sans discernement suffi¬ 
sant , ceux qui se présentaient, souvent des enfants, malgré la 
défense rigoureuse des Constitutions. D’après la loi, il fallait avoir 
dix-huit ans pour recevoir l’habit 3 . On passait outre, et il se trou¬ 
vait que dans beaucoup de couvents les novices étaient très jeunes. 
Il y avait à ce régime des inconvénients graves 4 . Comment faire 
observer la règle, imposer des pénitences austères, une discipline 
rigide à des enfants? Vis-à-vis d’eux, la loi devenait impuissante. 

Déjà, sous Jean de Verceil, l’abus avait paru si dangereux, que 
les Chapitres généraux s’en étaient émus. « Nous voulons et nous 
ordonnons, disent les Pères de Montpellier, en 1283, que l’on 
observe strictement la constitution concernant l’admission des 
novices. Que jamais, à moins d’une raison très grave, on ne dis¬ 
pense de l’âge exigé par elle. Si des religieux se permettent d’en¬ 
freindre ce point de règle, en donnant la dispense ou en y con¬ 
sentant, ils seront privés à l’avenir de tout droit de recevoir les 

1 Echard, I, p. 400. 

1 Acta Cap., I, p. 226 et ss. 

3 Anal. Ord., p. 54, 1897. 

4 « Districte injungimus quod notabiliter pueri aut insufücientes non recipiantur 
ad ordinem cum ex receptione laliurn habuimus multas turbationes. •> (Acta Capital. 
Prov., p. 560. Chap. d'Anagni, 1285. Ed. Douais.) 


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CHAPITRE I 


173 


novices,... et de plus, ceux qui se sont rendus coupables de cet 
abus, depuis le Chapitre général de Florence 1 , — tenu en 1281, — 
auront douze jours au pain et à l’eau, et douze disciplines en plein 
Chapitre, à moins qu’ils n’aient été punis antérieurement 2 . 

Malgré ces protestations et ces menaces, l’abus persista, et, avec 
lui, toutes ses conséquences désastreuses. 

Au-dessus des novices, dans cette foule de religieux qui peu¬ 
plaient les couvents, la ferveur ne soutenait pas tous les courages. 
Le nombre lui-méme, si favorable à la pratique de la règle domini¬ 
caine quand il est largement mesuré, devenait, par son excès, une 
cause de ruine. On ne travaillait point. Il est évident que la pré¬ 
dication ne pouvait suffire à tant d’apôtres. Allaient prêcher ou 
dans les Termes du couvent, ou au dehors, ceux qui étaient jugés 
plus aptes à ce ministère. Les autres Frères demeuraient forcé¬ 
ment dans la solitude de leur cloître. D’après la loi, ils avaient 
à quoi occuper avec fruit leurs loisirs : le chant de l’office divin, 
l’étude privée, les cours publics; devoirs impérieux qui, joints à 
l’observance de la discipline, peuvent amplement remplir une 
journée. 

On les trouvait trop austères et trop uniformes. 

Le silence était négligé, et si, comme au temps de saint Domi¬ 
nique, le diable se fût promené dans le couvent, il eût fait large 
profit. « Nous avertissons les Frères, dit le Chapitre de Bologne, 
en 1285, celui où fut élu Maître Munio, de ne pas fréquenter 
autant le locutorium, et nous ordonnons aux Prieurs et à leurs 
vicaires de veiller davantage à la pratique de cette règle 3 . » 

La pauvreté était malmenée. On rougissait même d’aller à pied, 
un bâton à la main, comme aux jours primitifs. Quelques-uns, à 
l’entrée des villes ou des villages qu’ils devaient traverser, con¬ 
fiaient leur bâton à un serviteur 4 . D’autres montaient à cheval et 
voyageaient confortablement 5 . Les Prieurs Conventuels et Provin¬ 
ciaux sont priés de les ramener à l’usage commun 6 , à moins d’une 
évidente nécessité. On devait, pour monter à cheval ou porter de 
l’argent en route, obtenir une permission par écrit, et la montrer 
à toute réquisition des supérieurs 7 . Sages règlements qui essayaient 
de barrer la voie; mais le courant devenait de plus en plus vio¬ 
lent : Quia admonitiones facte hactenus de non equitando vel 

* Ce Chapitre avait fait la même ordonnance, sauf les pénitences. ( Acta Cap., I, 

p. 16*.) 

2 Ibid., p. 223. 

3 Ibid., p. 229. 

4 Ibid., p. 233. 

5 Ibid., p. 232. 

6 Ibid., p. 256. 

7 Ibid., p. 262. 


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174 


MUNIO DE ZÀMORÀ 


pecunia non portanda a pluribus non servantur. Les Pères des 
Chapitres provinciaux, qui avaient sous les yeux le détail de la 
vie pratique de chaque couvent, qui en touchaient du doigt les 
infirmités, nous les révèlent avec plus de précision. 

En 1283, au Chapitre de Montpellier 1 , le Provincial, Frère 
Bérenger Notarii, écrivait à ses religieux : « L'abus trop fréquent 
du cheval, dont les Frères de notre province sont spécialement 
accusés, a porté les Frères les plus graves du Chapitre à réclamer 
contre lui un remède efficace. D’autant plus que cette année même, 
le Vénérable Père Maître de l’Ordre, d’heureuse mémoire 1 , et les 
Définiteurs du Chapitre général, m’ont vivement pressé de mettre 
un terme à un excès qui allait toujours croissant. Après avoir pris 
l’avis de plusieurs Frères très graves, je me suis décidé à inter¬ 
dire, en vertu de la sainte obéissance, à tout Prieur, de monter à 
cheval dans les Termes de sa Prédication ou d’en donner à un 
autre l’autorisation, à moins d’une absolue nécessité, dont seront 
juges les cinq religieux les plus anciens, présents dans le couvent. 
Et nous les prions de donner un avis sérieux et de conscience. 
En dehors de la Prédication — ou diète — ni le Prieur, ni aucun 
de ses religieux, ne pourront monter à cheval sans ma per¬ 
mission 3 . » 


1 Ou de Perpignan, en 1284. (Acta Cap. Prov., p. 271, note 1. Ed. Douais.) 

2 Jean de Verceil, qui venait de mourir. 

3 Lettre de Frère Berenger Notarii, Provincial de Provence. 

<« Littera provincialis. 

« In Christo sibi karissimis prioribus et fratribus universis ordinis fratrum 
Predicatorum in provincia Provincie constituas, frater Berengarius eorumdem 
servus inutilis, salutem et celestem gloriam promereri. Frequens equitationis 
excessus de quo fere in omnibus suis partibus nostra provincia est notata, multi- 
tudine religiosorum fratrum ducla zelo iuslicie in nostris capitulis hactenus concla- 
mante, dudum salubre remedium invocavit; et specialiter in isto anno, in nostro 
capitulo generali a venerabilibus patribus felicis recordationis Magistro ordinis et 
diffinitoribus extitit michi dictum ut tam effrenatus excessus qui non minuitur 
cotidic sed augetur, cautela remedii apponendi de finibus nostre provincie tollerc- 
tur. Quocirca habito super hoc multorum discretorum fratrum consilio diligenti, 
universitati vestre duxi tenore presencium in virtute obcdiencie districtius prohi- 
bendum, ne quis prior infra terminos sue predicationis equitet, vel tribuat alicui 
liccnciam cquitandi, nisi forte alicuius ncccssitatis arliculo requirente, de quinque 
fratrum qui prius habitum nostri ordinis susceperunt presencium in conventu con¬ 
silio et assensu, quos astringo ad üdeliter secundum Deum et conscientiam consu- 
lendum, pensata qualitate negocii et ordinis honestate. Extra vero predicationem 
suam nec equitet, nec etiam licenciam conférât equitandi, nisi de mea licencia spé¬ 
ciale Et ut aliquorum temeritas equitationis indebitæ assucla totalitcr arceatur, 
sub predicto precepto prohibeo ne quis aliorum fratrum infra terminos sue predi¬ 
cationis vel extra equitare présumât, nisi secundum modum qui superius est 
expressus , vel nisi frater in predicatione existens , qui tali esset necessitate pre- 
ventus, quod non posset ad conventum proprium pervenire, equitando faceret se 
deferri. In casu quo conventus aliquis seu persona taie dispendium vel taie pericu- 
lum pateretur vel in mora qua predictum periculum seu dispendium minime pro¬ 
babilité!' timeretur, volo ut de consensu conventus valeat dispensa», maxime si 
pro hujusmodi licencia obtinenda accessus ad me non fuerit oportunus, vel sine 
gravi periculo negocii iminentis dicta licencia non possit commode cxpectari. Nec 


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CHAPITRE I 


175 


Les transgresseurs reçoivent une punition exemplaire. Trois 
jours après leur rentrée au couvent, ils devront jeûner trois fois 
au pain et à l'eau pour chaque chevauchée qu'ils auront faite. Si 
les Prieurs n’exécutent pas cette ordonnance, ils subiront eux- 
mêmes la pénitence, ainsi que les visiteurs qui se montreront trop 
indulgents sur ce point 4 . 

Cet abus en amenait un autre. 

Un cheval exige des soins multiples dont les Frères n’enten¬ 
daient point se charger. Aussi conduisaient-ils avec eux des valets 
à gage. Il fallait les recevoir avec leurs montures dans les cou¬ 
vents, lès héberger et les nourrir. D'où ces défenses énergiques 
du Chapitre d’Avignon, en 1288*, pour la Provence; de celui 
d’Anagni, en 1285 3 , pour la province Romaine. 

Quelques Frères se permettaient de recevoir de l’argent et de 
le dépenser sans permission, de faire des prêts ou des contrats en 
dehors de l'Ordre, de déposer leurs fonds chez des séculiers, 
d’acheter et de vendre, toutes choses contraires à la pauvreté. Le 
Chapitre provincial de Rome, en 1280, les interdit expressément 4 . 
Réussit-il à les arrêter? Ceux d’Espagne luttaient depuis longtemps 
contre ce retour à la propriété. En 1275, au Chapitre de Léon, il 
est dit : « Aux Frères qui gardent en leur nom ou confient au 
dehors pour eux-mêmes ou pour d’autres des propriétés, des 
revenus, provenant d’héritages de famille ou de legs testamen¬ 
taires, moi, Jean, Prieur Provincial, de l’avis des Défîniteurs, je 
les prive de ces biens et je leur défends, en vertu de l’obéissance, 
de s’en occuper. De même, j’ordonne aux Vicaires et aux Prieurs, 
dans les deux mois, d’utiliser ces ressources pour le bien com- 


supra positum nccessitatis articulum, aut periculum, seu dispendium consequenter 
incertum sufücerc censeo, quod aüquis prior seu fratcr causa predicandi vel ad 
capitulum veniendi audeat equitarc ; quod expresse in virtute obediencie prohibeo 
quantum possum. Volo autem et in remissionem peccatorum iniungo, quatinus 
presens littera [Fol. 340 A] mox ut a priore, vel a subpriorc, vel a locum eorum 
tenente reccpta fuerit, legalur in capitulo coram omnibus fratribus cum campana 
capituli more solito convocatis ; et statim cum lecta fuerit, reddatur illi vel illis per 
quem vel per quos fuerit presentata, quam conventus Massiliensis conventui Gras- 
sensi, Grassensis vero Niciensi, Niciensis autem Cistaricensi, Cistaricensis Diensi, 
Diensis Valentino, Valentinus Avinionensi, Avinionensis Tharasconensi, Tharasco- 
nensis vero Arelatensi, per specialcm nuncium mittere teneantur. Et eadem littera 
per priorem Arelatensem vel eius socium mihi ad provinciale capitulum reporte- 
tur. Orale Deum pro me. Datum in Pruliano, anno Domini M°. CG°. LXXXIIII 0 . » 
(Acta Capitul. Prov., p. 271 et ss. Ed. Douais.) 

1 Acta Capitul. Prov., p. 280. Chap. de Perpignan, 1284. 

* Cum multi fratres jam incipiant garciones et scutiferos ducere et tenere, in 
notam suam et convcntuum dispendium et gravamen... » (Acta Capitul. Prov., 
p. 319. Ed. Douais.) 

a « Injungimus quod si aliqui fratres ex causa et de licenlia equitent, equos vel 
alia animalia ad domos hospitum nostrorum non deducant. » (Ibid., p. 560.) 

4 Acta Capitul. Prov., p. 546. Ed. Douais. On interdit souvent le luxe des vête¬ 
ments. (Cf. Ibid., p. 316. Chap. d'Avignon, 1288.) 


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176 


MUNIO DE ZAMORA 


mun. Ceux qui résisteront à cette ordonnance seront considérés 
comme propriétaires et punis en conséquence *. » 

Le dépôt personnel, toléré par les Constitutions*, insuffisamment 
surveillé, ouvrait la porte à tous les abus. On pouvait recevoir de 
l’argent pour l’achat de ses livres, pour le service de son 
vestiaire; on pouvait même garder en réserve pour des néces¬ 
sités futures, sauf la permission des supérieurs, une somme plus 
ou moins limitée. Qui ne voit d’ici combien il était facile d'élargir 
ce domaine et combien il était naturel, — trop naturel, sans doute, 
— que la bourse privée du religieux ne s’emplît outre mesure ! 
Tout y poussait : le désir inné de posséder, les dons reçus, l’am¬ 
bition des familles, et souvent, il faut l’avouer, l’avarice des supé¬ 
rieurs. Le religieux ne trouvant pas dans la caisse commune, trop 
rigoureusement fermée, ce dont il avait besoin, soit pour ses 
vêtements, soit même pour ses infirmités, il le demandait au 
dehors et amassait le plus qu’il pouvait. 

Les Chapitres généraux en témoignent, car ils ne cessent de 
protester contre les Prieurs qui ne donnent pas à leurs religieux 
tous les soins que comporte leur état 3 . Cet appétit de la propriété 
perce même dans l'administration du couvent. Il est certain que 
pour les supérieurs, aux prises chaque jour avec les difficultés de 
la vie matérielle, il était dur de ne pas accepter des propriétés, 
des revenus dont ils sentaient si vivement l’utilité. On les leur 
offrait, on les suppliait de les accepter, on les léguait au couvent 
par testament. A vrai dire, le refus était parfois héroïque, et plus 
d’un Prieur dut en éprouver d’amers regrets. Mais, jusque-là, 
c’était un bien défendu : moulins et terres, maisons de rapport 
devaient être vendus 4 . Je dis à dessein : jusque-là, car nous ver¬ 
rons bientôt la cour romaine se montrer très indulgente sur ce 
sujet. 

L’étude était encore moins respectée. Il n’y avait point, vis-à- 
vis d’elle, les mêmes scrupules de conscience. Aller contre la pau¬ 
vreté, c'était se heurter à un vœu, borne sacrée que la passion 
peut quelquefois franchir d’un bond, qu'elle essaye le plus souvent 

1 Anal. Ord., p. 419, 1898. 

2 Cf. t. I, p. 643. — Acta Cap., I, p. 247. 

« Volumus et ordinamus ut fratres extra domum et loca communia et in domo 
eciam pecunias diucius non teneant, sed eas ponant quam cicius in libris seu in 
aliis necessariis expendant. » (Chap. de Ferrare, 1290.) 

3 Acta Cap., I, p. 240. Chap. de Bordeaux, 1287. — Ibid., p. 256. Chap. de Fer- 
rare, 1290. — Acta Capit. Prov., p. 568. Chap. de Viterbe, 1289. 

* « Fratres non habeant molendina, vel domos, vel aliqua alia que habere pos- 
sessionum speciem vidcantur. » (Chap. de Palencia, 1291. Acta Cap., I, p. 263.) 

« Volumus et mandamus ut domos et possessiones quas fratres possident extra 
septa nostrorum conventuum constitutas de quibus non speratur quod nostris 
septis debeant applicari intra quatuor menses vendant... » ( Acta Capit. Prov., p. 552. 
Chap. d'Orvieto, 1282. Ed. Douais.) 


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CHAPITRE I 


177 


de tourner, mais que rarement elle fait oublier. Même sous la 
poussée la plus violente, la volonté hésite à passer outre, et cette 
hésitation, presque toujours longue et douloureuse, est encore un 
témoignage de respect et comme un remords anticipé. C’est que, 
au bout du vœu, il y a la faute grave, le sacrilège. Le péché ne 
peut se dissimuler à la conscience. 

La loi concernant l’étude, plus vague dans ses principes, moins 
précise dans son obligation, n’imposait pas de sanction ni si déter¬ 
minée, ni si rigoureuse. La conscience, par là môme, se trouvait 
plus à l’aise. Point de faute grave au bout de la transgression; 
point ou peu de scrupules, pour les religieux attiédis, à s’en rendre 
coupables. 

Beaucoup restaient dans le couvent, sans occupation, sans but, 
sans vie. Car rien ne tue la vie de l’âme comme l’oisiveté! Que 
faire entre les quatre murs d'un cloître, d’où les distractions mon¬ 
daines sont exclues, si ce n'est tâcher de les y introduire, s'en¬ 
nuyer, ennuyer les autres, et chercher à en sortir! 

Travaillez, étudiez, répètent sans cesse les Chapitres généraux, 
assistez aux cours! Et ils avaient bien raison. 11 faut avouer que 
leurs admonitions n’eurent pas plein succès sur un grand nombre; 
d’où la licence qui s’introduisit peu à peu dans les couvents, 
l’inobservance, l’insoumission, et ce laisser-aller qui, s’il devient 
général, inflige à une maison religieuse l'aspect misérable de la 
décadence. Je ne sais s’il y a quelque chose de plus lamentable. 
L'axiome du Philosophe est toujours vrai : Corruptio optimi 
pessima ! 

C’est à ces troubles intérieurs que s’adressent des menaces 
comme celles-ci : « Les perturbateurs de la paix seront changés 
de couvents et punis sévèrement 1 . » Cette peine est du Chapitre 
de Paris, en 1286. Et encore : « Comme les désordres croissent 
de plus en plus dans beaucoup de couvents, par manque de 
correction, nous ordonnons sévèrement aux Prieurs et à leurs 
vicaires, de corriger et de dompter les coupables f . » L'ordre était 
plus facile à donner qu’à remplir 3 . 

1 Acta Cap., I, p. 234. Chap. de Paris, 1286. 

* Ibid., I, p. 251, Chap. de Trêves, 1289, et avant, au Chap. de Montpellier, 
en 1283, p. 224. 

3 La correction des coupables se faisait cependant avec énergie. Voici le passage 
d'une lettre d'Hermann de Minden, Provincial d’Allemagne, chargeant le Prieur de 
Coire de punir un Frère gravement accusé : « Faciatis igitur districtam inquisitio- 
nem de ipso in loco vestro et precipue socios inquiratis sive principales ipsius in 
via, nec sufficit si dicunt quod nichil viderint dummodo ipsum, quod a prospectu 
mutuo reliquerint fateantur. Deinde ipsum Ber.per preceptum suspensioncm et 
excommuuicntionem cogatis de proponendis sibi capitulis dicere veritatem. Et si 
omnia deflciant, sit in testimonium contra ipsum quod ego audivi a fide dignis fra- 
tribus qui acceperunt ab hiis qui illud scelus audiverunt, manibus attrectaverunt 
oculis perspexerunt, ita ut ad correctioncm suam procedere minime dubiletis. Vice 

II. — 12 


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178 


MUNIO DE ZAMORA 


Ennuyés dans leur couvent, les Frères ne songeaient qu'à voya¬ 
ger. Et comme jamais un religieux ne sortait seul, on s’efforçait 
d'avoir un compagnon agréable, ayant les mêmes goûts, les mêmes 
faiblesses. Cette combinaison, selon le terme du temps, devenait 
une source de désordres. Les supérieurs sont avertis d’y veiller, 
de donner des socius avec discrétion; et les Frères, ainsi combinés, 
devront demeurer ensemble et ne pas se séparer 4 . Ces excursions 
au dehors ne manquaient pas d’agrément. Outre le poids des 
observances dont on était débarrassé, une liberté d’allure plus 
large, les satisfactions nombreuses d une hospitalité que l’on rece¬ 
vait aimable et généreuse un peu partout, tout un ensemble de 
vie très différente et moins monotone que la vie conventuelle 
excitait les désirs des imaginations désœuvrées. Et l’on voyageait 
beaucoup. Ainsi les Capitulaires de Provence nous apprennent 
que les religieux de cette province avaient l’habitude de faire des 
voyages fréquents dans la province Romaine. On allait souvent 
en Italie*. On allait ailleurs aussi, et beaucoup trop; car, au 
Chapitre de Marseille, en 1281, les Pères insistent pour que les 
Prieurs n’accordent aucune permission de voyage au delà de trois 
lieues, en dehors de la diète 3 . 

Frère Pierre de Dacie, un des hommes les plus remarquables de 
cette province, nous offre, dans le récit de ses relations avec la 
bienheureuse Christine de Stumbele, un tableau de mœurs reli¬ 
gieuses qui ne manque pas d'intérêt. 

En 1267, Frère Pierre, déjà prêtre, est étudiant à Cologne, 
sous Maître Albert le Grand. Il entend parler, entre Frères, d’une 
sainte femme du voisinage dont les états d'âme paraissaient extra¬ 
ordinaires. Très curieux de voir ces choses merveilleuses 4 , il 
désirait vivement avoir une occasion de la visiter. Un jour, il part 
comme socius du Frère Walter, confesseur de cette personne 5 . 


igitur mea sibi prohibeatis ecclesiam laycorum, porte aditum et egressum, omnc 
feminarum consorcium et colloquium; si quem babel ordinem sacrum, illius exequu- 
tionem non présumât et ad eos quos nondum habet ordines non ascendat, donec 
se de objectis probavcrit innocentein. Insuper disciplinis abstiuenciis orationibus 
et lectionibus emcndetur in melius ut unius castigatio interdicat ceteris licenciai» 
delinquendi. *» Cette lettre est de 1289. (Finke, Dominikanerbriefe, p. 135.) Autre 
lettre non moins sévère du même, p. 153. 

1 Cum insolencie crescant non modicum ex defectu correctionis in multis con- 
ventibus, et incauta combinacione ac fratrum combinatorum separacione, manda- 
mus et districtc injungimus prioribus et eorum vicariis quod insolentes corrigent et 
compescant, et discrète fratres combinent, nec fratres combinati se séparent, quiu 
ab invicem videantur et sibi possint testimonium perhibere. *» ( Acta Cap., I, 
p. 252.) 

* « Cum discursu nimio per provinciam Thuseie fratres nostre provincie specia- 
liter sint notati... »» (Acta Capit. Prov., p. 212. Chap. de Narbonne, î280. Ed. Douais.) 

* Ibid., p. 251. 

* Acta SS., V junii, p. 239. 

» Ibid., p. 210. 


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CHAPITRE l 


179 


Tous deux descendent chez le curé du pays. C’était un excellent 
homme, qui aimait les Frères et les recevait volontiers. Avec lui 
ils vont saluer Christine de Stumbele, la voyante. On reste auprès 
d’elle, on l’interroge, on prie avec elle. Comme le démon la pour¬ 
suivait de ses menaces et quelquefois la rouait de coups, on passa 
la nuit près d’elle en une sainte veillée. Quelques mois après, 
Frère Pierre revient avec un autre Frère, Maître des étudiants de 
Cologne. Le curé, pour leur faire plaisir, invite Christine à dîner 
avec eux. Après quoi, assis autour de l’âtre sous le grand man¬ 
teau delà cheminée, selon l’usage des Allemands, more Teutoni - 
corum { , on cause. Les visites se succèdent pendant deux ans, 
toutes pleines de suavité mystique. Une fois, ils étaient quatre 
Frères; ils s’assirent auprès du lit de la sainte femme, dirent leur 
office et prirent une légère collation *. On se retira ensuite chez 
le curé. Ce digne homme avait fait quelques invitations parmi les 
amies de Christine. Les Frères mangent en société. 

Une autre fois, Frère Pierre trouve près de Christine madame 
l’Abbesse de Sainte-Cécile, accompagnée de ses suivantes. Il dîne 
avec elle 3 . Le lendemain, comme il venait de dire vêpres'avec son 
socius, Frère Aldobrandini, arrivent deux autres Frères, étudiants 
également, Frère Beaudouin de Flandre et Frère Maurice de 
Revalia, fils de la province de Dacie. Madame l’Abbesse les invite 
tous à sa table, — car elle était comme une mère pour les Frères : 
Quia mater quasi Fratrum erat*. Le repas terminé, on profite du 
beau temps pour prendre l’air. Madame l’Abbesse avec six de ses 
filles et* des demoiselles de noble famille, dont plusieurs étaient 
jeunes, allaient devant; les Frères suivaient. On arrive au som¬ 
met d'une colline ; l’Abbesse s’assied sur un siège, comme tenant 
sa cour: Ante curiam suam super sedem resedit 5 . Autour d’elle 
les sœurs, les demoiselles, les Frères font cercle. Le curé, qui 
était de la promenade, dit alors : « Madame l’Abbesse, voici que 
nous avons ici quatre étudiants des Frères Prêcheurs de provinces 
diverses, instruits tous; demandez-leur de discuter devant vous 
une question théologique, comme ils le font dans leurs collèges. » 
Frère Pierre de Dacie craignait bien un peu que la discussion 
tournât à la dispute, comme il arrivait souvent 6 . Cependant, 
pour être agréable au curé, à madame l’Abbesse et à ses filles, 
avides de ces sortes de tournois, on commence la discussion. Le 
thème en fut proposé par l’Abbesse elle-même : « Le Seigneur 

1 Acta SS., V junii, p. 245. 

* Ibid., p. 243. 

1 Ibid., p. 247. 

« Ibid. 

» Ibid. 

6 Ibid . 


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180 


MUNIO DE ZAMORA 


a-t-il donné davantage à saint Pierre en lui confiant l’Église, 
qu’à saint Jean en lui confiant sa mère f ? » Et la dispute allait son 
train, quand une jeune fille accourut et cria, essoufflée, que le 
diable venait de jeter Christine dans une citerne... On rentra au 
plus vite 1 . 

Les sorties du couvent, comme on le voit, n’étaient point chose 
difficile à obtenir. On allait et venait assez librement; on demeu¬ 
rait dehors chez des amis; on vivait avec eux dans une familia¬ 
rité de bon aloi. Mais ce que de saintes gens, comme Pierre de 
Dacie, faisaient saintement, d’autres religieux, moins fervents, le 
faisaient d’une façon immodérée, imprudente et scandaleuse. 

On aimait surtout à se rendre au lieu où se tenait le Chapitre 
général. Malgré les défenses réitérées, malgré les menaces et les 
pénitences rigoureuses infligées presque chaque fois aux délirn 
quants, les Frères s’obstinaient à faire ce voyage. Qu’en espé¬ 
raient-ils? Peut-être se mettre en vue, se faire connaître, soutenir 
leurs causes personnelles, se défendre contre des attaques prévues, 
au besoin attaquer les premiers. Il n'y a pas ou peu de Chapitres 
où ne revienne comme un refrain une ordonnance de ce genre : 
« Nous défendons strictement à chacun des Frères de se rendre 
au Chapitre provincial ou général, ou dans les lieux voisins, sans 
une permission spéciale du Maître de l’Ordre ou du Provincial. 
Ceux qui s'y rendront devront être congédiés immédiatement et 
sévèrement punis 3 . » Trois ans après, une peine est taxée par le 
Chapitre de Ferrare. « Tous les coupables seront privés de voix 
active et passive pendant deux ans 4 . » Et pour preuve que cette 
peine ne sera pas lettre morte, à ce Chapitre même, elle est 
infligée pour un an à ceux qui y sont allés sans permission, plus 
trois jours au pain et à l’eau 5 . 

Ces désordres se manifestaient sous toutes les formes. On sent 


1 Acta SS., V junii, p. 217. 

* Ibid. 

3 Acta Cap., I, p. 240. Ghap. de Bordeaux, 1287. 

4 Ibid., p. 258. 

1 Ibid., p. 260. — Ces pénitences sont répétées et aggravées par les Chapitres 
provinciaux. 

« Cum ex discursu fratmm ad capiluluni sequatur multa admiratio hominum et 
conventuum dispendium et gravamen sequentes ordinationem capituli generalis 
prohibemus districte, ne aliquis frater qui non sit de corpore capituli ratione 
ipsius capituli venire présumât,... et quicumque facere presumpserit, ipso facto sit 
per duos annos voce privatus... Gratie etiam que ratione studii conceduntur, cis 
penitus sint substracte nec illo anno eis gratie alique concedantur... Illis autem 
qui sine licentia , contra ordinationem capituli generalis Burdegalis celcbrati ad 
loca propinqua venerunt, sicut ad Tharasconem vel Aurasicam sine Prioris provin- 
cialis vel Magistri licentia speciali injungimus VII dies in pane et aqua, VII psal¬ 
teria, VII disciplinas, VII litanias... Illis autem qui sine predicta licencia locum 
capituli intraverunt, predictam penitentiam duplicamus. »> ( Acta Capit. Prov., 
p. 320. Ed. Douais.) 


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CHAPITRE I 


181 


que l'esprit de discipline n'a plus la même vigueur. Ainsi, au 
couvent de Saint-Jacques de Paris, les étudiants s’étaient révoltés. 
11 y avait brouille entre les Frères de la province et les Frères 
des provinces étrangères l . Peut-être ne veillait-on pas avec assez 
de soin à n’envoyer à Paris que des élèves intelligents et régu¬ 
liers. Le Chapitre de Ferrare défend de prendre dans ce but des 
Frères de mœurs plus ou moins légères *. 

Les étrangers ne recevaient pas non plus de tous les Prieurs les 
mêmes témoignages d'intérêt. On s'en occupait moins, et beaucoup 
d’entre eux, laissés à eux-mêmes, quelquefois sans ressources 
suffisantes, souffraient de ce délaissement, si contraire à la vie 
commune. 

Le Chapitre de Vienne, en 1282, signale cet état dangereux. 
Car de la souffrance, et surtout de la souffrance illégitime, au 
murmure et à la révolte, il n'y a pas loin. « Comme tous les 
étudiants, aussi bien les étrangers que les indigènes, ne doivent 
pas être traités d’une manière inégale, nous prions les Provinciaux 
et les Prieurs conventuels qui possèdent dans leurs provinces et 
leurs couvents des Etudes générales d'avoir, pour tous les étran¬ 
gers comme pour les leurs, la même sollicitude, les mêmes atten¬ 
tions 3 . » 

Les troubles de Saint-Jacques viennent de cette cause. 

En tous cas, l’affaire était grave; car les Capitulaires de Bor¬ 
deaux prient le Maître Général d’envoyer au plus tôt un ou plu¬ 
sieurs Visiteurs avec pouvoir d’enquêter sur place, et, selon le 
résultat de leurs recherches, de punir sévèrement les auteurs des 
troubles, et même, s’il est nécessaire pour la paix de la maison, 
de les renvoyer dans leurs provinces 4 . 

Serait-il téméraire de rattacher à ces querelles intestines les 
deux faits suivants qui leur paraissent intimement liés? 

En 1287, les Pères du Chapitre de Bordeaux absolvent de sa 
charge Frère Guillaume de Hotham, Provincial d’Angleterre, et 
l'assignent à Saint-Jacques pour y enseigner. C’était un ancien 
étudiant de Paris, déjà Maître en théologie. On l’y envoyait donc 
comme Régent à l’école des étrangers. Or, nous venons de le voir, 
l’école des étrangers était en pleine effervescence. Peut-être espé¬ 
rait-on, en mettant à sa tète un personnage dont la renommée 
était universelle : Magnus magister in theologia, in toto ordine 
nominatus, dit de lui Bernard Gui 5 , calmer les esprits et paci- 

1 Acta Cap., I, p. 241. Chap. de Bordeaux, 1287. 

* Ibid., p. 258. Chap. de Ferrare, 1290. 

J Ibid., I, p. 219. Chap. de Vienne, 1282. 

4 Ibid., p. 241. 

5 Cf. Echard, I, p. 459. 


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182 


MUNIO DE ZAMORÀ 


fier 4e couvent. Frère Guillaume de Hotham fut-il retenu en 
Angleterre par des devoirs impérieux? Car il était grand ami du 
roi Edouard I er , qui employait ses lumières et son habileté dans la 
direction des affaires du royaume. Craignit-il plutôt les difficultés 
graves et pénibles qu'il allait rencontrer chez les étudiants muti¬ 
nés de Saint-Jacques? Toujours est-il qu'il ne quitta point l'Angle¬ 
terre et laissa la régence et le cours des étrangers sans titulaire. 
Le fait était unique dans les annales de Saint-Jacques. La deuxième 
chaire de théologie, celle qui avait pour élèves tous les Frères 
venus du dehors, tous les écoliers étrangers à l'Ordre, vaqua toute 
l’année scolaire. Il fallut évidemment à Frère Guillaume de 
Hotham les raisons les plus sérieuses pour imposer à l’Ordre une 
humiliation de ce genre. Il n’a pu agir à la légère, et désobéir à 
un commandement si impératif sans motifs proportionnés; car 
c’était un homme aussi grand par la piété que par la doctrine. 

Le Maître Général ne fut point satisfait de cette manière de 
faire. Au Chapitre suivant, — celui de Lucques, — les Pères 
s’expriment en ces termes : « Comme à cause de l’absence du 
Frère Guillaume de Hotham, qui n'a pas obéi à l’ordination faite 
pour lui au dernier Chapitre de Bordeaux, notre école de Paris 
est restée vacante pendant longtemps, non sans une grande con¬ 
fusion pour l'Ordre, ni sans danger, nous confions au Maître 
Général le soin de le corriger comme il le mérite. De plus, nous 
voulons et nous ordonnons que les Maîtres en théologie, Régents 
à Paris, ne quittent pas le couvent, ni pendant le temps des cours, 
ni pendant les vacances, si ce n'est pour trois semaines ou un 
mois tout au plus. Pour jouir de ces vacances, ils devront avoir 
la permission du Général ou du Provincial de France, motivée 
par une raison grave. Et toujours l'un des Régents demeurera au 
couvent 1 . » 

Nous avons vu que le Maître Général avait été chargé d'envoyer 
un Visiteur à Paris, pour mettre la paix parmi les étudiants. Quel 
fut ce Visiteur? Ne serait-ce point ce Frère Salvus, de la province 
Romaine, qui, au dire du Chapitre de Lucques, dut subir quelques 
avanies? On y lit, en effet, cette pénitence significative : « Tous 
les Frères qui manquèrent de respect, en plusieurs couvents, au 
Frère Salvus, vicaire du Vénérable Père Maître de l'Ordre, auront 
trois jours au pain et à l’eau, trois messes, trois litanies, trois 
disciplines. Ceux qui ne sont pas prêtres, au lieu de messes, 
diront sept psaumes, et les convers, cent Pater noster et Ave 


1 On sait qu'il y avait deux chaires de théologie et deux Régents à Saint-Jacques. 
Nous retrouverons bientôt Frère Guillaume de Hotham, devenu archevêque de 
Dublin et légat du Saint-Sicge. C'est un des hommes les plus marquants de l'époque. 
(Cf. Echard. I, p. 459. — Dcnifle, Archiv., II, p. 209.) 


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CHAPITRE I 


183 


Maria*. » On voit que même de jeunes étudiants, — les non 
prêtres, — avaient traité d’une manière inconvenante le vicaire du 
Général. Or, comme les troubles de Paris dataient de l’année pré¬ 
cédente, de même que la commission confiée au Général pour les 
réprimer, il semble bien que le Frère Salvus, envoyé en France, 
n’y fut pas reçu avec beaucoup d’égards. Cet état d'insubordina¬ 
tion, nouveau chez les Prêcheurs, est un indice certain d’un 
fléchissement dans la discipline. 

Du reste, la partie la plus haute de l’Ordre, qui en formait 
comme l'aristocratie, celle de l’intelligence et de l’éloquence, était 
atteinte d’une maladie dont les conséquences pouvaient être désas¬ 
treuses. C’est la maladie du titre. Avoir un titre, sortir du com¬ 
mun par le fait de ce titre, et bénéficier des privilèges attachés à 
ce titre, tel était, à l’époque où nous sommes, le rêve de beaucoup 
de religieux. Ce n’était certainement pas un signe d’humilité; et 
je suis convaincu que le symptôme le plus ordinaire de cette 
maladie extrêmement contagieuse était une suffisance mal placée, 
provenant, sans aucun doute, dans les esprits médiocres, du pres¬ 
tige intellectuel dont l’Ordre jouissait. Les grands docteurs qui 
avaient élevé l’enseignement des Prêcheurs à un niveau tel, que 
personne n'avait pu le surpasser, ni même l’atteindre, avaient 
attiré sur tous une gloire humaine dont, personnellement, ils 
méprisaient la vanité, mais qui était devenue la pâture des âmes 
vulgaires. On voulait en jouir, on voulait s'en parer; on voulait, 
dans la sphère mesquine de sa personnalité, en porter l’éclat, et 
paraître, aux yeux du peuple, un homme à part, privilégié, titré. 

Cette maladie du titre s'explique d'autant mieux, outre ces 
raisons intimes, que le milieu semblait le demander. Dans le 
monde, même dans le monde ecclésiastique, pour être quelqu'un, 
il fallait avoir un titre. Quiconque ne pouvait faire preuve de 
quelque quartier de noblesse, ou posséder dans l’Église une dignité, 
se trouvait perdu, confondu dans ce que l'on appelait les « petites 
gens », les roturiers ou vilains, partie basse de la nation, destinée, 
par son infériorité, à servir la partie haute, ou, tout au moins, à 
vivre à côté d’elle, ignorée et méprisée. L’état religieux a beau 
mettre à sa base l’égalité absolue devant Dieu, — ce qui est la 
vérité même, — il subit fatalement les influences du milieu qui 
l'entoure. Ses membres ne sont pas des abstractions métaphy¬ 
siques; ils vivent de la vie de leur temps et apportent dans le 
cloître les idées de leur temps. 

C’est pourquoi le désir du titre devint si universel et si irré¬ 
sistible. Au lieu de rester dans la masse des religieux, on voulait 
être noble. 

1 Acta Cap., I, p. 246. Chap. de Lucques, 1288. 


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184 


MUNIO DE ZAMORA 


Un seul titre, à proprement parler, était à la disposition des 
Frères, celui de Prédicateur Général. Nous avons vu, dans le pre¬ 
mier volume de cet ouvrage, quels en étaient les attributs 1 . Il 
est certain que le Prédicateur Général, choisi entre de nombreux 
concurrents, distingué par là même du commun, libre de prêcher 
en dehors des Termes du couvent, jouissant de l’honneur et dés 
avantages attachés aux grandes chaires, à même de rompre par 
ses voyages lointains la monotonie de la vie conventuelle, favorisé 
dans l’Ordre du droit d’assistance aux Chapitres provinciaux et 
de celui du sceau, était un personnage. Il émergeait au-dessus de 
la masse; il avait une situation à part; on devait compter avec lui. 

Aussi la poussée vers ce titre, d’autant plus envié qu’il était 
encore unique, devint-elle impétueuse. Les Chapitres généraux 
ont beau barrer la route, élever digue contre digue : le courant 
brise et emporte tout. C'était une véritable chasse à la prédica- 
ture. Et malheureusement, comme il arrive parfois, le titre n’allait 
pas toujours aux plus dignes. Le favoritisme s’introduisait dans 
les Chapitres provinciaux, chargés de conférer cet honneur. C’est 
ce qui nous explique, en grande partie, l’affluence extraordinaire 
des Frères à ces assemblées annuelles. On y allait pour soi, et on 
y allait pour ses amis. 

Le Chapitre général de Lucques , en 1288 , voulant manifester 
la désapprobation énergique de l’Ordre, dont de telles mœurs 
ravalaient l’honneur, dépose tous les Prédicateurs Généraux de 
la province de Lombardie, et ordonne que le Provincial et les 
Définiteurs fassent un choix nouveau, sans aucune partialité 2 . 

On voit d’ici les troubles que la jalousie, l’ambition, l’intérêt, 
toutes ces faiblesses humaines, pouvaient susciter dans les couvents.^ 

Eh bien ! cette maladie du titre était si violente et si répandue 
que, même après cette pénitence exemplaire, presque immédiate¬ 
ment, le Chapitre provincial de Lombardie institua d’un seul 
coup cinquante-deux Prédicateurs Généraux. C’était à Rimini, et 
le Chapitre était présidé par un saint, Frère Nicolas Boccasino, 
depuis pape sous le nom de Benoît XI 3 . 

Ce fait est d’autant plus extraordinaire, sous un tel chef, que 
plusieurs Chapitres généraux avaient déjà protesté avec indigna- 


* T. I, p. 515. 

* « Absolviinus omncs predicatores Generales de provincia Lombardie et injun- 
gimus Priori Proviuciali et Diflinitoribus capituli provincialis quod instituendos 
instituant absque omni parcialitatis nota. » (Acta Cap., I, p. 247. Chap. de Lucques, 
1288.) 

3 « In M. CG. LXXXVIII sub magistro Munione apud Lucam, fuit Capitulum 
Generale ubi omnes predicatores Generales Lombardie fucrunt absoluti ; et sub 
fratre Nicholao Trevisino apud Ariminum fuit capitulum provinciale ubi facti 
sunt LIl predicatores Generales. » ( Galvanus de la Flamma, Cronica, p. 103. 
Ed. Reichert.) 


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CHAPITRE I 


185 


tion contre le nombre excessif de ces personnages encombrants. 
Ce qui prouve combien le mal était profond et invétéré, puisque 
les meilleurs d’entre les Frères, les plus saints, n’avaient pu y 
porter remède. 

Sans remonter jusqu’aux premières admonitions, souvent répé¬ 
tées depuis, nous trouvons, sous Jean de Verceil, au Chapitre de 
Paris, en 1279, cet aveu et ce désir : « L’expérience démontrant 
que la multiplication des Prédicateurs Généraux est une source de 
nombreux inconvénients, les Provinciaux et les Déüniteurs doivent 
la modérer le plus qu’il leur sera possible 1 . » 

Deux ans après, pour faire un exemple, le Chapitre de 
Florence dépose tous les Prédicateurs Généraux de la province 
Romaine *. 

Celle de Provence ne fut pas plus épargnée. Deux Chapitres 
provinciaux, celui de Marseille en 1281, et celui de Carcassonne 
en 1282, présidés par de simples vicaires, avaient fait une promo¬ 
tion considérable. C’était contre le droit, car il fallait la présence 
du Provincial. Aussi l’hécatombe fut universelle. Tous sont absous, 
et avec eux dix Prieurs de la province 3 . Il est bon de signaler 
que le Chapitre général se tenait dans la province même, à Mont¬ 
pellier. Il nous insinue la raison de son acte énergique : « Nous 
avertissons le Prieur Provincial de Provence, les Définiteurs et 
les Prieurs conventuels, et tous les supérieurs de cette même 
province, et nous leur ordonnons de se montrer plus impartiaux 
dans leurs définitions, leurs corrections, leurs promotions. De 
sorte que, en témoignant à tous la même affection, ils évitent 
cette note de partialité. Si quelques-uns s’obstinent à faire le con¬ 
traire, nous prions le Maître de l’Ordre d’y porter un remède 
salutaire en les cassant de leur charge, en les exilant de la pro¬ 
vince, et, s’il le faut, en instituant dans cette province un Vicaire 
et des Visiteurs étrangers 4 . » 

De telles mesures indiquent un état grave, des abus choquants. 

Ce ne fut pas suffisant. Le nombre des Prédicateurs Généraux 
était tellement exorbitant, que trois ans après, au Chapitre de 
Bordeaux, on dut ordonner au Provincial de ne faire aucune pro¬ 
motion pendant deux ans 5 . Le Provincial 6 en fut navré : « Quel 

1 Acta Cap., I, p. 202. Chap. de Paris, 1279. 

2 « Absolvimus omnes prèdicatores Generales in provincia Tuscie. » Province 
de Toscane ou de Rome, c’était la même chose. {Acta Cap., I, p. 214. Chap. de 
Florence, 1281.) 

2 Ibid., I, p. 225. Chap. de Montpellier, 1283. 

* Ibid. 

6 Les Actes du Chapitre de Bordeaux, en 1287, ne font point mention de cette 
ordonnance. (Cf. Acta Cap., I, p. 237 et ss.) 

A celui de Paris, en 1286, il y a une admonition générale sur ce sujet. (Ibid., p. 233.) 

* Ce Provincial était Frère Bernard Géraud de Montauban. (Cf. Echard, I, p. 428. 
— Douais, les Frères Prêcheurs en Gascorjne, p. 380.) 


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MUNIO DE ZÀMORA 


dommage! dit-il aux religieux de sa province, nous avions de si 
bons sujets à présenter! » Toutefois il fait ses réserves pour 
l’avenir. Ces « bons sujets » n’ont que patience à avoir. Leur 
tour viendra bientôt*. 

Sans jugement téméraire, on peut affirmer que ce qui se pas¬ 
sait dans les provinces de Rome , de Lombardie, de Provence, 
se répétait partout, et partout devenait la cause des mêmes 
désordres. 

Plus haut que les Prédicateurs Généraux, au degré suprême, 
— car il n’y avait pas dans l’Eglise, en dehors de la hiérarchie, 
de dignité plus élevée, — se trouvaient les Maîtres en théologie. 

Ce n’était point un titre vain, facile à obtenir avec l’appui effi¬ 
cace d’un protecteur influent. Le Maître en théologie demeurait 
un personnage rare, qui devait gagner son grade par un mérite 
réel, public, laborieux. Il fallait, pour cette conquête difficile, du 
talent, des études longues et sérieuses, un an au moins d’ensei¬ 
gnement comme Bachelier dans l’Université de Paris*. C’était 
d’abord une fonction, non un titre; mais la fonction terminée, 
lorsque les Maîtres de Paris quittaient la régence, ils gardaient le 
titre et formaient l'élite intellectuelle du monde catholique. 

Quoique, dans l’Ordre des Prêcheurs, le Magistère ne fût enrichi 
d’aucun privilège f il n’en était pas moins hautement apprécié et 
ardemment recherché. Outre l’honneur qu’il conférait par toute 
l’Église, il ouvrait la porte à l’enseignement supérieur et plaçait 
ses titulaires en première vue. On n’était vraiment hors de pair, 
que si l’on pouvait mettre au bas de sa signature : Magister in 
sacra pagina . 

Les Prêcheurs avaient conscience de cette grandeur exception¬ 
nelle, peut-être trop; car il y avait une tendance très prononcée 
à se parer de ce titre pompeux, même dans le courant ordinaire 
de la vie. Au lieu de s’appeler Frère, comme tout le monde, on 
se faisait dire : Maître! C’était commun parmi les séculiers. Et 
les Chapitres durent intervenir pour rappeler ces dignitaires à 
l’humilité de leur profession religieuse. « Nous ordonnons stricte¬ 
ment que les Maîtres en théologie et les Lecteurs soient appelés 
du nom de Frères, ou de leurs propres noms, et ne soient jamais 

I « Proplcr immoderatam mullitudiuein Predicatorum Generalium de qua noslra 
provincia est notatu, de voluntate et auctoritate et consilio venerabilis prioris 
Magistri Ordinis et diffinitoruin capiluli Gencralis, anno Domini M. CC. LXXXVI. 
Burdegalis celebrati ordinamus quod usque ad duos annos immédiate sequentes, 
predieatores generales non fiant, et ideo licet multi boni sint oblati supercedimus 
ad presens. » (Acta Capitul. Prov. Burdegal., 1287. Ed. Douais. — Douais, les 
Frères Prêcheurs en Gascogne, p. 93.) 

II y a erreur, car le Chapitre général se tint à Bordeaux en 1287, immédiatement 
avant le Chapitre provincial de Provence. [Acta Cap., I, p. 237.) 

* Cf. Echard, I, p. 164. 


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CHAPITRE I 


187 


inscrits ou dans les scrutins, ou dans les listes des officiers du 
chœur, sous le titre de Maître ou de Lecteur *. » 

Cette interdiction, si facile à observer en apparence, eut peu 
ou point de succès. On devra la répéter plusieurs fois, et finale¬ 
ment lâcher la bride. 

Il était encore bien plus difficile d'empêcher les Frères d'étaler 
au dehors une certaine suffisance, trop naturelle, hélas! à 
l’esprit humain. Dans cet éblouissement doctrinal, ils oubliaient 
parfois l’humble condition de la vie dominicaine et se targuaient 
de leurs succès. C’est pourquoi, au dire de Sébastien de Olmedo, 
lorsque Frère Munio de Zamora fut élu, on le trouva, dans ce 
milieu intellectuel outré, indigne de cette haute fonction. A 
entendre quelques-uns de ces hommes savants, pour gouverner 
désormais l’Ordre des Prêcheurs, il fallait, de toute nécessité, être 
Maître de Paris 2 . Tout autre religieux, aussi habile et aussi saint 
fût-il, devait céder le pas et rester dans l’ombre. 

Les Prêcheresses elles-mêmes paraissent avoir subi quelques 
atteintes de cette tiédeur disciplinaire. Une curieuse lettre de 
Frère Hermann de Minden raconte avec esprit un petit écart des 
Sœurs de Saint-Lambert 3 . Elle est si intéressante, que je ne 
résiste pas au plaisir d’en faire jouir le lecteur. 

« Frère Hermann aux Sœurs de Saint-Lambert, qui ont de¬ 
mandé sottement la permission de manger sur l’herbe près de 
l’infirmerie. 

« J’ai appris ce que votre Discrétion, appuyée sur un profond 
conseil, a sollicité du Père Provincial Conrad. Filles de lumière, 
désireuses de fuir l’ombre tombante , vous demandez à ce que 
vous puissiez, selon votre bon plaisir, vous asseoir, dîner, col¬ 
lationner, boire, dans le pré susdit, qui est enclos de murs. 0 pru¬ 
dence louable ! O trouvaille digne d’être publiée, qui lave les 
femmes de cet affront qu’on leur fait de les croire peu ingénieuses ! 
Certes, elle vous est bien inférieure, la mère des fils de Zébé- 
dée, qui fut reprise de ce qu’elle demandait ce qu’elle ne savait 
pas! 

1 Acta Cap., I, p. 23i. Chap. de Paris, 1286. 

C’était le sentiment du bienheureux Humbert. « Item nominc Magistri, vel lecto- 
ris, vel doctoris, quantum in eo est, non debet permittere se vocari, sed solum nomine 
fratris. »» (Humbert de Romans, Opp., II, De officio Lectoris , p. 255. Ed. Ber- 
thier.) 

* « Si quidem inimicus homo supcrseminarc cepit zizaniam in agro Dni, nonque 
deerant qui Satlianam forsan imitantes potiusque charismata meliora émulantes 
nova molirentur... egrc ferentes aliis Munionem Ilispanum non Magistrum Bono- 
niensem non Doctorem Parisiensem, non eruditione cunctis prestantem regnare 
super eos. »> (Sébastien de Olmedo, p. 3i, verso. Ms. arch. Ord.) 

Cet auteur ne donne pas la source où il a puisé ce renseignement. 

3 Ce monastère était dans la dicte du couvent des Prêcheurs de Spire. Cf. Echard. 
I, p. x. 


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188 


MUNIO DE ZAMORA 


« Le Seigneur Jésus a planté, en effet, au commencement, un 
paradis de délices, dans lequel il plaça l’homme, qu’il venait de 
créer. Et il est dit souvent de lui qu’il se retirait avec ses dis¬ 
ciples aimés dans un jardin. On lit aussi dans les Cantiques que 
l’Epoux descend parmi les fleurs parfumées pour y cueillir des 
lis. On nous recommande même avec instance de contempler les 
lis des champs et de considérer que, sans travailler ni filer, ils 
sont vêtus de splendeurs plus riches que Salomon. 

« Ce lieu que vous sollicitez, si pur et si agréable, n’est-il pas 
comme le symbole de la Terre promise? La variété des fleurs, 
c’est le nombre gradué des mérites; leur suave parfum, c’est 
l’odeur pénétrante des vertus; le souffle léger du zéphir, c’est la 
grâce spirituelle ; le chant des oiseaux, c’est le concert des chœurs 
angéliques ! 

« La rosée qui, descendue des hauteurs, tremble en gouttelettes 
d’or aux touffes des graminées, n’est-ce pas le signe de ce don 
précieux qui, venu d’en haut, se repose sur les cœurs pacifiés et 
humbles? 

« Que dire de plus? A moins qu’un avis supérieur ne triomphe, 
celui-ci, le vôtre, comme celui d’Esdras, aura la couronne d’or, et 
tout le peuple dira : « Ainsi soit-il! Ainsi soit-il! » 

« Mais voici : quoiqu’il ne soit pas défendu de suivre cet 
avis, il est clair qu’on ne doit pas le faire. Tout autre souvenir 
mis de côté, songez que c’est dans un jardin que le premier 
Adam a été tenté, dans un jardin que le second Adam a été 
trahi. 

« N’est - ce point assez pour rendre plus prudents ceux qui 
vivent après eux? 

« Les vents ne soufflent pas seulement avec douceur des régions 
aimables du midi, mais bien plus souvent la tempête accourt 
du désert ou de l’aquilon, source de tout mal; elle secouera les 
quatre murs de votre maison, fera voler les tuiles du toit qui 
vous tomberont sur la tête et fermeront vos yeux à la lumière. 
Et puis, les vapeurs de la terre sont fécondes productrices de 
douleurs rhumatismales; aussi, au lieu du parfum des fleurs, vous 
serait-il plus utile de respirer l’odeur de l’encens que l’on répand 
autour des morts. En outre, votre jardin a ce privilège que les 
rossignols y sont muets, tandis que les moineaux y piaillent, les 
corbeaux y croassent, les chouettes y crient. On est plus exposé 
à y entendre le crocodile du Nil 1 que les chants de l’alouette. 

« Dans votre église, des armées de mouches, habituées aux saints 
offices, pullulent à ce point qu’on ne peut les chasser de l’autel 

1 Le couvent des Sœurs de Saint - Lambert était évidemment entouré de marais. 


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CHAPITRE I 


189 


ni à coup de balais, ni à coup de plumeaux. Mais, le temps étant 
favorable, elles iront au dehors, libres dans les airs, et, trouvant 
sur les tables dressées dans le pré une abondante nourriture, elles 
se diront : « Il fait bon ici! pillez! pillez! mangeons et buvons! 
« Nous périrons demain, s’il le faut ; mais gâtons le suave onguent 
« des bonnes sœurs! » 

« Que les bêtes de la terre, — même les plus puissantes, — 
aient pour vous des allures pacifiques, soit ! Qui cependant vous 
protégera de la fourmi au jet d’acide cuisant, de l’araignée qui 
court, du moucheron qui aveugle? Et si ces bestioles vous 
épargnent, au moment où vous direz : « Nous sommes en paix, 
nous sommes en sûreté ! » subitement tombera sur vous Frère 
Mengoze, — quelque nom populaire sans doute d’un grondeur 
perpétuel, — qui vous reprochera d’avoir perdu vos chaussures 
dans la rosée et mouillé vos vêtements. La Prieure saura bien 
par ses paroles et par ses coups vous convaincre que vous avez 
mal agi. 

« Donc, eu égard à toutes les malédictions qui tombent sur ceux 
qui sont au dehors, je vous conseille de ne point renouveler cette 
demande. Demeurez dans les trous des pierres, dans les cavités 
protectrices, comme les tourterelles dont les amours sont sans 
tache. 

« Cherchez plutôt à diminuer la sève de l’arbre qu’à le faire 
tleurir ! Adieu *. » 

1 « Frater Her(mannus) sororibus de sancto Lamperto, qui stulte petiverunt, 
quod liccret eis comedere in graminc iuxta infirmariam. Audivi, que a Conr(ado) 
pâtre provinciali vestra discrctio profundo fundata consilio postulavit, quatenus 
vobis tamquam lucis filiabus inclinatas umbras fugientibus prope posito mûris 
undique circumsepto licerct, cum liberet, sedere, pranderc, edere, bibere in pra- 
tcllo. O prudencia laudabilis et inventio predicabilis auferens opprobrium femina- 
rum, que putantur habere industrie parum ! Inferior vobis mater filiorum Zebedei, 
que correpta fuit, quod, quid peteret, ignoravil. Planlavit quidem dominas Ihesus 
paradisum voluptatis a principio, in quo posuit hominem, quem formavit, et Ihesus 
fréquenter in ortum legitur cum amabilibus discipulis convenisse. Sponsus quoque 
in canticis descendit ad areolam aromatum lilia collecturus. Nec minus sollicite 
agri lilia contemplari iubemur, quomodo non laborant nec lient et tamen ampliori 
quant Salomon gloria vestiuntur. Annon locus illc, quem petitis, lam serenus quant 
a me nu s future (?) promissionis instar obtinct. cum florum diversitas signât meren- 
tium varietatem, odor blande spirans famé rcdolentiam, auster levis spiritalem gra- 
tiam, garritus avium concent(um) ymaginat angelorum. Ros lapsus de altissimis 
colore aureo pendet in gramine, monstrans, quod omne donum irredibile desursum 
veniens super quiet (um) et humilem requiescat. Quid plura? Nisi forcior superve- 
niat, hec sentencia cum Esdra torquem auream reportabit et dicet omnis populus : 
fiat! fiat! Set ecce, quod hec (?) amplecti, quamvis lieeat, cum non expédiât, est 
in promptu. Nam obmissis parumper mediis primus Adam in orto temptabatur, 
secundus Adam in orto tradebatur, ut merito posteriorcs fore debcant ex agnitis 
periculis cauciores. Ad hoc cum venti non solum c dulci meridinno set e regione 
deserti vel ab aquilone, undc omne malum panditur, frequentius producantur. pos- 
sibile fieret, IIII angulos domus concuti et de tecto carbunculos cadere, qui illisi 
sedentium capitibus de oculis radios igneos exsufflarent. Et cum vapores terrei 
infirmantia reumata procréent, utilius esset quam fragranciam florum sentire olfactu 


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190 


MUNIO DE ZAMORA 


D’après tous ces témoignages, il est certain qu’il y avait dans 
l'Ordre des Prêcheurs, à l’avènement de Maître Munio et depuis, 
une dépression plus ou moins grave, selon les personnes et les 
couvents, dans l'ensemble de la discipline. L’esprit de l’Ordre se 
modifiait. Ce n'était point la décadence : la décadence s’entend 
d’un état contraire à la discipline accepté par le plus grand nombre, 
toléré par les supérieurs, devenu, par son universalité même, 
comme la loi définitive. Les Prêcheurs n’en étaient point arrivés 
à cette lamentable situation, tant s’en faut! 

La masse restait fidèle à la règle, et les supérieurs ne cessaient 
de protester de toutes manières contre la tiédeur et les scandales 
d’une minorité. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les Actes 
des Chapitres présidés par Maître Munio, et ceux des Chapitres 
provinciaux. Saint Dominique et ses plus illustres successeurs 
pourraient les signer sans rougir. Tous les points de discipline 
les plus menacés sont énergiquement défendus 1 . Dans ses lettres 
surtout, le Maître, qui a conscience de la gravité de la situation, 
qui sent ce glissement presque imperceptible, mais réel et pro- 

fragranciam tliuris in cxcqniis mortuorum. Ceterum cum locus vester hoc privile- 
gium prc cote ris mereatur, ut ibi filomene taccant, passeres si ngul liant, corvi cra- 
citcnt, noctui stridant, cicius ubi cocodrillus quam caladrius audirctur, postremo 
mille muscarum examina in templo vestro sacris assueta, sic ut scopis et llabcllis 
abigi nequeant ab altari, cum beneficio temporis ad auras liberiores avolare cepe- 
rint cibosque propositos invenerint : bonum est nos hic esse, inquient, exinanitc, 
exinamie, cum sororibus comedamus et bibamus, suavitatem perdamus unguenti, 
cras etenim moriemur! Esto, bestie terre pacifice vobis sint, ut majorum incursio 
non contristet, quis securus faciet de formica scilicet urentc, aranea currente, 
culice terebrante. Hiis insuper quiescentibus, cum dixeritis : pax et securitas, tune 
repentinus irruet frater Mengozus, murmurans phiscus, quod rore calceos destruxe- 
ritis, irrugiet Alheidis de Argentina, quod humare vestes infeceritis, priorissa, quod 
perperam egeretis, verbis et verberibus indicabit. Cum igitur cunctis, qui foris 
sunt, tam multiplex ve dicatur, consulo quod bec postulacio non adiciat, ut resur- 
gat. Moramini in foraminibus petre et in cavernis maccric, sicut turtures, que tho- 
rum nesciunt in delicto, arenciam magis quam virenciam requiratis ! Valete. » 
(Finke, op. cit., p. 105, n° 83.) 

1 Cf. Acta Cap., I, p. 227 et ss. Cf. Acta Capit. Prov. Ed. Douais. 

On insiste souvent dans les Chapitres provinciaux sur l'obligation d’avoir dans 
chaque couvent de sévères prisons. C’était le grand moyen, le plus pratique pour 
châtier les incorrigibles. 

« Injungimus stricte prioribus et eorum vicariis ut carcercs bonos et fortes fieri 
faciant intra très menses a notitia hujus constilutionis. Quod si hoc facere intra 
dictum tempus neglexerint, ex tune, quandiu non fecerint, in qualibet septimana 
jejunare unum dicm in pane et aqua teneantur. » (Chap. d’Orvieto, 1282, Acta Ca¬ 
pit. Prov., p. 551.) 

On y revient au Chapitre d'Aquila, en 1284. Quatre mois de délai sont accordés : 
« Faciant unum securum carcerem et fortes compcdes et cippum in quo possint poni 
et penitentias facere delinquentes. » (Ibid., p. 558.) 

En 1286, à Gaète, les Pères énumèrent ceux qui doivent être mis en prison : « In 
quibus delinquentes, pestiferi (moraliter) inunundi, percussores, infamatores, la- 
trones, criminatores, et qui minari in consuetudinem duxerint, arctius secundum 
sua mérita recludantur et acrius puniantur. » (Ibid., p. 563.) 

On se rappelle que les Frères étaient exempts de la juridiction civile comme 
clercs, de la juridiction ecclésiastique comme religieux. Il fallait bien que l'Ordre 
se fit justice et que les coupables fussent punis. 


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CHAPITRE 


191 


gressif, s’efforce d’agir sur les volontés pour les maintenir fermes 
dans l'observance. 

Après le Chapitre de Bologne, en 1285, où il venait d’étre élu, 
Maître Munio écrivit à ses (ils. Son premier mot est un hommage 
à la sainteté de ses prédécesseurs. Puis il demande avec instance 
une pratique plus sérieuse de la pauvreté, le culte de la cellule, 
l'attention au silence, et il termine par ces lignes qui trahissent 
les appréhensions de son âme : « Que le zèle de l’Ordre ressus¬ 
cite en vous! Car, je le dis, le cœur plein d’amertume, ce zèle a 
perdu, chez un grand nombre, sa première vigueur 1 . » 

Aucune de ses lettres capitulaires qui n’ait cette note de tris¬ 
tesse. On devine, à les lire, combien Maître Munio constatait avec 
douleur la presque inutilité de ses ferventes exhortations. Après 
le Chapitre de Trêves, en 1289, il disait : 

« Courage, Frères bien-aimés; attachez-vous aux exemples 
magnifiques de ceux qui vous ont précédés. Si, par la malice des 
temps, vous ne pouvez pas atteindre le sommet de leur perfec¬ 
tion, du moins, afin d'assurer votre salut, touchez la frange de 
leurs vêtements*. » 

On ne peut donc reprocher au Maître Général d’avoir laissé le 
mal envahir son troupeau, sans qu’il fit effort pour enrayer sa 
marche. 

Il voulut même, dans ce but, réaliser un projet agité depuis 
quelques années, dont il espérait un heureux résultat. 

L’Ordre s’étant développé dans des proportions extraordinaires, 
il se trouvait que les provinces, à cause de leur étendue et du 
nombre croissant des religieux, devenaient de plus en plus diffi¬ 
ciles à gouverner. Les Provinciaux ne pouvaient avoir une action 


1 Litter . Encycl., p. 131-132. Ed. Reichert. 

* Cette lettre est tellement belle, que je crois utile d'en citer une grande partie. 

« Ceterum sacre lectionis studio docilis ingenii vena dives applicetur assidue, diei 
bonc particulam non pertransiens ociose. Non vagetur inutililer animus per nume- 
rositatem voluminum, superiicialiter discurrendo, certo se ordinet ordine, si letos 
exitus vult habere. Quod est sapidius, quod valet melius, quod delectat et reficit 
amplius, congregetis de sparso scripturarum semine in horreum vestrc mentis, ut 
ex adype frumenti satiatus stomacus et refertus vcrbuni bonum eructuet, vitam 
tribuens, salvans animas, esurientes reficiens et indefectibilcm conferens salutem. 

« Ut igitur elîundatis, infundite, colligitc ut spargatis, impiété sagittis acucioribus 
pharetras ad auditorum corda salubriter vulneranda. Pateat omnibus intus et foris 
vos audientibus adquisita per diligenciam, infusa vobis per graciam sciencia de 
supernis. Parati sitis frangere panem petentibus et poscentibus reddere racionem... 
zclus domus Dei, qui, pro dolor! a multorum sinibus, quod sine amaritudine multa 
non refero, exulasse cernitur, omnes vos pariter comedat, ut dissimulacioni, ne 
dicam palliacioni seu defensioni parcentcs, Ordo noster in sue puritatis inuocencia 
et sanctitate et justicia diebus deserviat omnibus coram Deo. 

« Ad hoc, pacem et unitatem diligitc... 

« Sit scrmo vester sale conditus, sentcncia gravis, temperancia placidus, prudentia 
circumspectus, ad limam ante perveniens quam ad linguam... » (Ghap. de Trêves, 
1289. — Litter. Encycl ., p. 142-143. Ed. Reichert.) 


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192 


MUNI0 DE ZÀMORA 


directe, immédiate sur chaque couvent; et si la discipline fléchis¬ 
sait un peu partout, il est hors de doute que la cause en était, 
pour une part, dans ces difficultés administratives. 

Déjà, sous Jean de Verceil, des velléités de division s’étaient 
manifestées. Au Chapitre de 1283, à Montpellier, il est dit : 
« Comme beaucoup de provinces demandent à être divisées, et 
que la plupart n’ont pu, jusque-là, trouver le moyen convenable 
pour le faire, nous ordonnons que les Provinciaux s’entendent 
sur cette question avec les Définiteurs de leurs Chapitres et 
envoient l’exposé de leurs vues, sous le sceau des Provinciaux et 
des Définiteurs, au Chapitre général prochain, afin que l’on puisse 
procéder à cette division, si les moyens proposés sont prati¬ 
cables 1 . » 

Le bienheureux Jean de Verceil étant mort après la tenue du 
Chapitre, cette motion resta inefficace. Elle fut reprise au Cha¬ 
pitre de Paris, en 1286. Douze provinces, on s’en souvient, 
partageaient l’Ordre entier : huit provinces majeures, celles fon¬ 
dées par saint Dominique lui-même*, et quatre provinces, dites 
mineures pour les distinguer des premières, instituées sous Jour¬ 
dain de Saxe 3 . Le titre de mineures ne les mettait nullement en 
état d’infériorité : les droits étaient égaux. Les Capitulaires de 
Paris procèdent par voie de constitution. Ils déclarent, si l’ordon¬ 
nance qu’ils proclament est approuvée et confirmée par les deux 
Chapitres suivants, que toutes les provinces, sauf celles de Grèce 
et de Terre Sainte, seront divisées en deux, d’après le projet qui 
aura été adopté et soumis aux Définiteurs des Chapitres géné¬ 
raux par les provinces elles-mêmes. Si les provinces ne s’entendent 
pas sur la manière de procéder, deux Frères devront être délé¬ 
gués pour exposer aux Définiteurs la vraie situation, et le Cha¬ 
pitre, faisant la division de plein droit, imposera un nom aux 
provinces 4 . Bien plus, on était si pressé d’aboutir, que, quand 
bien même le Chapitre ne réussirait pas à terminer cette 
affaire délicate, le Maître Général pourrait la traiter de son auto¬ 
rité propre et partager les couvents entre les provinces nou¬ 
velles 5 . Au Chapitre suivant, celui de Bordeaux, il y a une res¬ 
triction. La loi n’est plus aussi universelle. On réserve la divi¬ 
sion obligatoire à cinq provinces : celles d’Espagne, de Provence, 


1 Acta Cap. f I, p. 224. Chap. de Montpellier, 12K3. 

* Au Chapitre de Pologne, en 1221. 

3 Les huit provinces majeures étaient : Espagne, Provence, France, Angleterre. 
Allemagne, Lombardie, Rome et Hongrie. 

Les quatre mineures : l)acie, Pologne, Grèce et Terre Sainte. Ces dernières furent 
fondées au Chapitre généralissime de Paris, en 1228. 

4 Acta Cap., I, p. 231-232. Chap. de Paris, 1286. 

8 Ibid., p. 232. Chap. de Paris, 1286. 


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CHAPITRE I 


193 


de Lombardie, de Rome et de Pologne. Les autres sont libres de 
la demander 1 . Cette ordonnance fut approuvée à Lucquesen 1288*; 
mais à Trêves, en 1289, on reprend tout par la base. La province 
d'Allemagne sollicite la division , sans résultat ni pour elle , ni 
pour les autres 3 . La chose était, en efTet, extrêmement épineuse, 
et peut-être qu’au moment où s'agitait dans l'Ordre, contre le 
Maître Général, un esprit schismatique très violent, il n'était pas 
prudent d’aigrir les volontés. Le projet de division resta lettre 
morte. 

Un genre d’abus assez grave attira l'attention de Maître Munio. 
On se rappelle que, chez les Prêcheurs, les supérieurs sont élus 
par les inférieurs. Ceux-ci, armés de ce pouvoir, qui leur livrait 
le choix des représentants de l’autorité, et par là même les sou¬ 
mettait à leur libre discussion, se permettaient de former, par 
avance, comme des syndicats d’élection. On s’entendait entre soi; 
on s’engageait même, ou par parole, ou par écrit, à faire élire ou 
échouer tel candidat. Quelquefois ces engagements étaient ache¬ 
tés par les intéressés ou leurs amis. C’était la pratique immorale 
de la corruption électorale, même de la pression administrative; 
car les prélats sont déclarés suspects en cette matière , comme 
leurs subordonnés. « La sincérité de l’Ordre, » selon l'expression 
du Chapitre*de Paris, en 1286, était menacée. Rien n'est plus 
dangereux, en effet, pour le respect dû à l’autorité et toutes les 
conséquences de la vie régulière qui découlent de ce respect, 
qu’une tache originelle. Si à la source du pouvoir les religieux 
voient une cabale, on peut prédire en toute certitude que, la 
plupart du temps, ce pouvoir sera méprisé. Du mépris à la révolte 
la distance est légère. En tous cas, jamais un pouvoir souillé dans 
son origine n’aura d’influence. C'est pourquoi Maître Munio 
s’efforce de sauver la « sincérité de l’Ordre ». Tout supérieur, 
tout inférieur qui se permettra ce mode illégitime d’élection, 
même pour un Sous-Prieur, sera privé du droit à élire et à être 
élu, jusqu'à ce que le Maître Général ou un Chapitre en décide 
autrement. De plus, le coupable recevra une pénitence sévère. 
Au Chapitre suivant, à Bordeaux, la peine de la privation de voix 
est fixée à trois ans; mais on y ajoute, pendant ces trois ans, le 
jeûne au pain et à l’eau tous les vendredis 5 . 11 est à croire que, 
malgré ces ordonnances, l’abus persévéra; car, à chaque Cha¬ 
pitre, elles sont répétées 6 . Les Visiteurs annuels doivent même 

1 Acla Cap., I, p. 237. Chap. de Bordeaux, 1287. 

2 Ibid., p. 213. Chap. de Lucques, 1288. 

3 Ibid., p. 2'»9. Chap. de Trêves, 1289. 

A Ibid., p. 235. Chap. de Paris, 1286. 

5 Ibid., p. 239. Chap. de Bordeaux, 1287. 

6 Ibid., p. 252. Chap. de Trêves, 1289. 

II. - 13 


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MUNIO DE ZÀMORA 


faire une enquête sur ce point dans chaque couvent, faire viser 
leur enquête par les Frères les plus anciens, — testimonio Senio¬ 
rum Fratrum, — et en porter le résultat au Chapitre suivant. 

Ces Seniorum Fratrum dont il est question, les Anciens, for¬ 
maient le Conseil conventuel. Les Chapitres généraux en parlent 
peu; mais il n’en est pas de même dans les Chapitres provin¬ 
ciaux, où l’on peut suivre le développement de ses attributions. 
C'est même chose assez curieuse de voir fonctionner ces Conseils 
conventuels, sans que les Chapitres généraux interviennent pour 
délimiter leur champ d’activité. Ils semblent dépendre unique¬ 
ment de la province. On soupçonne leur existence dès l'origine 
de l’Ordre. Ainsi, le Livre des Coutumes de Jourdain de Saxe 
mentionne expressément que, pour la réception des novices, le 
Prieur peut prendre l’avis des Anciens 1 . Cet avis est nécessaire, 
s’il s’agit de choisir le Sous-Prieur du couvent®. Un peu partout, 
dans les Actes des Chapitres généraux, ce Conseil des Anciens, 
des Discrets, — Seniores, Discreti, — apparaît en exercice, sans 
que l’on puisse déterminer s’il est obligatoire, de règle ou non, 
dans l’administration conventuelle. 

Heureusement, là comme toujours, Humbert de Romans apporte 
son lumineux témoignage. Il nous montre que, de fait, malgré le 
silence des Constitutions, il existait, dans chaque couvent, un 
Conseil, dont l’avis, en certains cas, était requis. « Il y a, dit le 
Maître, des choses moins importantes que le prélat peut régler 
sans aucun conseil; il y en a d’autres, plus graves, pour lesquelles 
il ne peut agir sans l’avis du couvent tout entier; enfin, quelques 
affaires de moyenne importance sont remises entre les mains de 
quelques Frères, afin que le couvent ne soit pas surchargé par 
ces sollicitudes quotidiennes, et que, d’autre part, le prélat ne 
soit pas exposé à les régler sans assez de prudence 3 . » Humbert 
distingue deux consultations différentes : celle du couvent tout 
entier, ou Chapitre, et celle du Conseil. Les membres du Conseil 
étaient désignés, — il ne dit pas par qui, — debent ad hoc assi- 
ynari Fratres. On devait choisir des hommes discrets, habiles, 
aimant le bien, pas entêtés, ayant quelque autorité sur les 
autres 4 . 

Leur office consiste, d’accord avec le Prieur, le Sous-Prieur et 
le Procureur, à entendre le relevé des comptes et à savoir ce que 
doit la maison et ce qu’on lui doit. 

1 « Recipiendi ad nos venientes secundum tempus quod discretio Prelati vel quo- 
rumdam seniorum providerit ducantur in Capitulum. » (Anal. Ord., p. 628, 1896.) 

* « Prior autem conventualis de Consilio discretorum Fratrum instiluat subprio- 
rem. » (Anal. Ord., p. 642, 1898, et p. 105, 1897.) 

3 Humbert de Romans. Opp., II, p. 285. Ed. Berthier. 

4 Ibid. 


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CHAPITRE I 


195 


Ils ont également h donner leur avis sur les constructions, le 
choix des officiers du couvent, leur absolution ou changement; 
sur l'admission des Frères aux ordres, à la prédication, à la 
confession ; sur leur envoi au dehors pour la prédication ou la 
quête; sur le choix du Socius et autres cas semblables. Mais, 
comme il y avait lieu de craindre que ce Conseil n’empiétât sur 
les droits du Chapitre conventuel, Humbert a soin d’en faire la 
remarque. Car, à cette époque, les affaires les plus graves dépen¬ 
daient du couvent tout entier 1 . 

Il semble que les attributions du Conseil conventuel étaient 
réservées, dans leur réglementation, au libre arbitre de chaque 
province. On ne peut donc établir une règle générale pour tous. 
Les Chapitres provinciaux de Provence, de 1240 à 1302, déter¬ 
minent toute une catégorie de décisions qui relèvent du Conseil 
des Anciens 2 . 

Elles ne sont, en réalité, que le commentaire pratique de ce 
que dit Humbert. Mais on sent que le Conseil affirme de plus 
en plus son autorité dans l’administration conventuelle. Rien 
d'important ne s’y fait plus sans son intervention. On peut pré¬ 
voir, sans erreur, que.cette intervention deviendra de plus en 
plus nécessaire et s’imposera comme une condition indispensable 
de droit. 


1 Ilumbert de Romans, Opp., II, p. 283. 

2 Douais, Acta Capilulorum Provinciatium Ordinis Prædicatorum. Toulouse, 1894. 
J'ai relevé dans cette publication les quelques cas suivants : 

1. Choix des religieux pour les Disputes publiques et permission de soutenir ces 
Disputes. (Chap. de Montpellier. 1240, p. 14.) 

2. Permission ù un religieux d’aller à cheval. (Chap. de Limoges, 1266, p. 121.) 

3. Degré d’une pénitence à infliger. (Chap. de Sisteron, 1270, p. 146.) 

4. Préceptes généraux donnés par les Visiteurs pour le bien du couvent. (Chap. 
de Narbonne, 1272, p. 169.) 

5. Permission à un religieux de se rendre au Chapitre provincial dont il n'est pus 
membre. (Chap. de Toulouse, 1274, p. 187.) 

6. Demande d'ordination par le Prieur, en faveur des étudiants ès arts et du 
Studium naturalium. (Chap. de Castres. 1279, p. 230.) 

7. Permission de sortir de la diète. (Chap. de Marseille, 1281, p. 231.) 

8. De même pour les étudiants pendant les vacances. (Chap. de Carcassonne, 

1282 , p. 262 .) 

9. De même pour les Lecteurs, en temps de vacances, et délai de ces vacances. 
(Chap. de Béziers, 1291, p. 323.) 

10. Permission à un religieux d’avoir à son service, pour ses voyages, un valet. 
(Chap. d’Avignon, 1288, p. 319.) 

11. Vente des livres. (Chap. d’Avignon. 1288. p. 319.) Et beaucoup d’autres cas 
plus ou moins importants. (Ibid., passim.) 


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MLNIO DE ZAMORA 


BIBLIOGRAPHIE 


Sur l’état de l’Ordre à cette date, je ne puis que renvoyer aux sources indi¬ 
quées dans le courant du chapitre, celte question n'ayant été traitée nulle 
part. 


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CHAPITRE II 


LA CAMPAGNE CONTRE LES PRIVILÈGES 


Le fléchissement partiel, que nous avons constaté dans la disci¬ 
pline, n’empêchait pas les Papes de combler l’Ordre de leurs 
faveurs. Au milieu des réclamations toujours renouvelées et tou¬ 
jours violentes des adversaires des Frères, ce fait, à lui seul, de 
la bienveillance et de l’estime du Saint-Siège prouve que les 
défaillances qu’on pouvait leur reprocher paraissaient choses de 
peu d'importance et n’enlevaient à l’Ordre, au dehors, aucun 
rayon de sa splendeur. 

Maître Munio exerça son ministère sous deux pontificats, rapides 
tous les deux, puisque ce ministère ne dura que six ans. Il l’inau¬ 
gura au moment même où Honorius IV montait sur le siège de 
saint Pierre 1 . Ce Pontife appartenait à l’antique race des Savelli. 
Cette descendance était pour l'Ordre pleine de promesses; car un 
Savelli ne pouvait oublier qu’Honorius III avait approuvé, aimé et 
protégé saint Dominique et son œuvre*. 

Dès le mois de septembre, il prend position en faveur des Prê¬ 
cheurs. L’évêque de Zamora avait interdit à son clergé d’appeler 
les Frères pour prêcher et célébrer la messe; à ses diocésains 
laïques de se confesser à eux, d’entendre leurs sermons, de se 


1 Élu le 2 avril 1285, couronné à Rome le 20 mai suivant. 11 mourut le 3 avril 1287. 

2 Sous le pontificat d’Honorius IV mourut, à Sienne, le bienheureux Am¬ 
broise Sansedonio. Retiré au couvent de Saint-Dominique de Sienne, il y conti¬ 
nuait son apostolat près de scs concitoyens. Un jour; en parlant avec une véhé¬ 
mence indignée contre les usuriers dont les pratiques odieuses ruinaient de nom¬ 
breuses familles, il sc rompit une veine dans la poitrine. Le lendemain, malgré le 
sang qui s’en était échappé en abondance, il reprit son discours. Le sang jaillit de 
nouveau, et cette fois, l'homme de Dieu, mortellement atteint, expira peu de temps 
après, 20 mars 1286. (Echard, I, p. 402.) 

Il fut canonisé par acclamation populaire ; à ce point qu’immédiatement après sa 
mort, Honorius IV commença le procès juridique de sa cause. Sienne l’adopta pour 
patron et célébra en son honneur une fête annuelle avec octave. En 1442, Eugène IV 
approuva officiellement ce culte populaire. La Congrégation des Rites le fit même 
inscrire au Martyrologe romain en 1597 : Sertis in Tuscia Beali Ambrosii Senensis , 
Ordinis Prædicatorum , sanctitate , prædicatione et miraculis clari. 


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MUNIO DE ZAMORA 


faire ensevelir dans leur église, le tout sous peine d’excommuni¬ 
cation. Bien plus, il n’avait pas craint, en pleine église, devant 
un public nombreux, de chasser brutalement de la chaire, où il 
prêchait, un religieux de l’Ordre. De malheureuses filles, dont tout 
le crime était de porter l’habit de l’Ordre et d’en suivre la règle, 
avaient été expulsées par lui de leur couvent; quelques-unes 
incarcérées, avec menace, si elles refusaient de se détacher de 
l’Ordre, de ne jamais y rentrer. Cet évêque batailleur reçut l’in¬ 
jonction de se rendre à Rome pour y recevoir une pénitence salu¬ 
taire f . 

Honorius IV jugea qu’il était utile, en face de tels excès dont 
l’Espagne n’avait pas le monopole 2 , de publier et de confirmer à 
nouveau les nombreux privilèges accordés à l’Ordre par lui et ses 
prédécesseurs 3 . A une guerre incessante, il fallait opposer une 
résistance opiniâtre. C’était le seul moyen de vaincre. Le silence, en 
pareil cas, eût paru une connivence avec l’ennemi. C’est pourquoi 
les Papes reviennent si souvent sur ces mêmes privilèges, les 
affirment sans cesse, pour qu’aucune apparence de désaveu ne 
puisse servir la cause adverse. Ces bulles répétées, qui semblent 
des coups de massue donnés périodiquement comme pour enfoncer 
plus avant dans le droit la législation nouvelle des Mendiants et 
la faire pénétrer de force dans les esprits, furent sollicitées par 


1 Bull. Ord., II, p. 7. B. Moleste ferimus, 17 septembre 1285. 

* En Alsace, pays qui faisait alors partie de la province dominicaine d'Allemagne, 
les choses tournèrent au tragique. 

Les Frères avaient tenté de s’établir à Zofingen. Ils avaient acheté une maison 
au comte de Vroburch, qui était grevée de charges assez lourdes, en faveur des 
Juifs. Ils auraient pu, petit à petit, payer leurs dettes; mais ils avaient compté 
sans les chanoines du lieu qui les forcèrent â partir. Leur église fut même détruite. 
Alors, Juifs et chanoines leur tirent une guerre sans merci. Les Juifs s’emparèrent 
de la maison, et les Frères durent se retirer dans les couvents voisins. Leur Pro¬ 
vincial, Hermann de Minden, dont les lettres précieuses racontent ccs détails, dit 
que les chanoines étaient encore plus acharnés que les Juifs. — Credere autem 
oportet propler atrocitalem persequutorum quod judei clementiores inreniantur 
canonicis... » ( Finke, Ungedruckle Dominikanerbriefe des IS Jahrhunderls , 
p. 117.) 

Ni les Juifs ni les chanoines ne firent grâce. Le Provincial eut beau envoyer des 
Frères aux grands rabbins de Mayence et de Worms pour entrer en composition. 
Aucun ne voulut d’accommodement. Ils exigèrent le payement total avant de lais¬ 
ser rentrer les Frères. Aussi les lettres d’Hermann de Minden sont pleines d’an¬ 
goisse. (Ibid., p. 123.) 11 sollicite les aumônes des autres couvents. (Ibid., p. 124.) 
Ce ne fut pas en vain. Les Frères de Bâle et de Fribourg parvinrent par leurs libé¬ 
ralités â payer les dettes de Zofingen. (Ibid., p. 126.) 

Mais les chanoines tinrent bon. Maître Munio lui-même, qui tenta de les désar¬ 
mer, n’y réussit pas (1289). Les Frères durent quitter la place. Bernard Gui, en 
efTet, dans sa liste des couvents d’Allemagne, dressée en 1303, ne signale pas le 
couvent de Zofingen. (Cf. Echard, I, p. îx. — Codex Cracoviensis, p. 107, ms. 
Arch. Ord., III-2, fin du xin« siècle.) 

De plus, à la date de 1294, Hermann de Minden notifie une nouvelle délimitation 
des Termes entre les couvents de Fribourg et de Colmar. Ils se partagèrent sans 
doute le territoire de Zofingen. (Ibid., p. 161.) 

3 Mare magnum. Bull. Ord., II. p. 9. B. Virtule conspicuos , 20 novembre 1285. 


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CHAPITRE II 


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le Maître Général. Il en sentait l’absolue nécessité. Pour le com¬ 
prendre, il faut bien se dire qu’à cette époque, pendant plus de 
cinquante ans, la question des privilèges fut la question actuelle, 
la plus grave dans l’Église. 

Aussi le Pape, qui entendait garder intacts ces privilèges et les 
imposer par son autorité même aux plus récalcitrants, n’accepte 
pas les compromis plus ou moins conciliants, arrachés par vio¬ 
lence 1 . Ils lui paraissent une trahison. De son pouvoir souverain, 
il les déclare tous illicites, invalides, à moins que ces concessions 
n’aient été agréées par le Général ou un Chapitre. C’était dire aux 


1 Traité passé entre les chanoines et les curés de Ralisbonnc et les Prêcheurs 
pour l’usage des privilèges. 

« Forma. compositionis inter fratres et clerum Ratisponcnseni. Il(enricus) Dei 
gratia Ratisponensis episcopus universis ha(n)c paginant cogniluris. Cuni inter liono- 
rabiles viros... prepositum..., dccanunt et capituluni neenon redores parrochiarum 
civitatis nostre ex parte una et religiosos viros... priorein et fratres ordinis Prcdi- 
catoruni civitatis prémisse ex parte altéra suborta discordia gravis esset super 
deportatione corporum eorunt ad parroehias propria?, qui apud fratres ipsos elige- 
rent sepeliri, quant deporlationcm dicti... prior et fratres reputabant libertati pri- 
vilegiorum suorum contrariant et pluriinum onerosant, nos tandem de consensu 
parcium earundem in nos tamquam arbilros et amicabiles conipositores compro- 
mittencium finem dissensioni imposuintus sub hac forma. Ordinavintus nantque, ut 
cives, qui infra muros Ratisponenses habent domicilia propria, in quibus habitant, 
et apud fratres memoratos elegerint sepeliri, printum deferantur ad parrochialent 
ecclesiant et ibi una pro eis inter primant terciam ntissa dicta ad fratrum ecclesiam 
referantur et hec deportatio loco canonice portionis habebitur, ut non alia requi- 
ratur. Quod si dcfunctorum parentes aut amiei corpora deportare noluerint aut ex 
aliqua causa nequiverint, si fratres ad id opérant non dederint, sed rcquisiti inno- 
cenciam suant per procuratorem suunt in choro nostro monslraverint, delicto 
nequaquam obnoxii tenebuntur. Alieni autem et extranei si in civitate predicta 
defuncti fuerint, non deportabantur quoquant, si alias apud memoratos fratres ele¬ 
gerint sepulturam. De personis autem, que begine vocantur, et begardis civitatis 
sepedicte apud fratres ipsos sepulturam eligentibus hoc voluntus observari, quod 
vel ad suas parrochiales ecclcsias deferantur vcl ipsis ccclesiis pro eisdent cano- 
nica portio persolvatur, salvis privilegiis ordinis iam prentissi. De pauperibus et 
de hiis, qui pro cottidiano victu opéra sua loeant, nichil petendum est, set pietatis 
inluitu remittendum. Preterea illecliones, quibus aliqui inducuntur, ne apud par- 
rochias proprias vel apud fratres cligant sepeliri, eflîcaciter prohibemus. Porro 
quod de articulo eleetionis sépulture dictum est, hoc sic aceipi volumus, quod non 
requiratur probatio captiosa vel ordine iudiciario instaurata, eo quod res dilatio- 
nem non capiat, set sufficit, si due vel très personc fide digne testiticantur coram 
plebano vel eius vicario se audisse a defuncto vcl defuncta, quando adhuc viveret, 
quod vellet apud sepedictos fratres sepeliri. Plebanus autem, si verbo simplici 
contentus esse noluerit, exigat a testibus, quod dicant sub conscientiarum suarum 
periculo veritatem, vcl extensa ntanu ad ecclesiam sine solle(m)pnitate alia pre- 
beant iusiurandunt. Si quis igitur saccrdotum prêter id , quod supra scriptum est, 
in celebrando moram traxerit, vel aliquid difficultatis ingesserit intlrmos, ad quos 
vocatus fuerit, terrendo, sacramenta dilTerendo vel linaliter opéré vel verbo cadeni 
negando aut aliter aftlictionem afflictis addendo pro eo, quod non eligerent apud 
parroehias proprias sepeliri, ipso facto in proxinto funere ius deportationis amit- 
tat, quoad fratres, nisi de dolo et, quod captiosc non fecerit, sc valeat excusarc in 
fratrum capitulo predictorum. Remisimus igitur iniurias, molestias pariter et otTen- 
sas, si quas fccerunt, sibi clcrus et fratres mutuo intulerunt, volcntes, ut paeem 
inter se tencant et in predicationibus verbis inveelivis apertis aut velatis se invi- 
cem non confundant. Alioquin presumptores clerici pastoralis baculi sentient 
punctionom et fratres in sui provincialis manibus directionis virgam comperient 
vigilantem. In cuius rei etc. » (Finke, op. vit p. loi, n° 142.) 


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MÜNIO DE ZAMORA 


évêques que lui, Pape, tenait plus à l’intégrité des privilèges de 
l’Ordre, que l’Ordre lui-même 1 . 

La mort l’empêcha d’en donner des preuves plus nom¬ 
breuses. 

C’est à lui que les Prêcheurs durent de pouvoir, malgré l’appro¬ 
bation officielle du Saint-Siège, modifier en certains points leur 
liturgie. Cette permission est à signaler, car elle eut, dans la 
suite, de nombreuses conséquences. On se rappelle que Maître 
Humbert avait organisé tout l’ensemble et tout le détail de la 
liturgie dominicaine : œuvre considérable et de première impor¬ 
tance pour l’unité même de l’Ordre. Trois Chapitres l’avaient 
acceptée*, et, de ce chef, elle avait force de Constitution et deve¬ 
nait obligatoire pour tous. Clément IV, sous le Bienheureux Jean 
de Verceil, sollicité par celui-ci, en avait fait une liturgie authen¬ 
tique de l’Église par son approbation 3 ; mais cette approbation 
liait les mains et ne permettait plus d’y toucher. Tout ce qui est 
officiellement confirmé par le Siège apostolique demeure immuable, 
à moins que ce même Siège n'autorise lui-même une modification 
quelconque. 

Or il arriva que, tout en respectant scrupuleusement l’œuvre 
de Maître Humbert, on sentit l’utilité de changer dans l’office 
quelques parties assez notables, entre autres des antiennes, des 
versets, des séquences. Ces désirs légitimes se heurtaient à la 
bulle de Clément IV qui barrait la route. Munio en référa au 
Pape. Honorius IV, dérogeant à toutes les habitudes de la chan¬ 
cellerie pontificale, autorisa l’Ordre à modifier successivement, 
par trois Chapitres généraux, les détails de l’office divin 4 , quoique 
cet office n'en restât pas moins anthentiquement approuvé par le 
Saint-Siège. On exige seulement que les livres primitifs soient 
gardés intacts. De cette façon, l’Ordre se trouvait plus à l’aise 
pour améliorer ce qui paraîtrait défectueux dans le corps de 
l’office. On en profita largement au cours des siècles; car bien 
des leçons, surtout, diffèrent actuellement, pour les mêmes fêtes, 
de celles éditées par Humbert 5 . 

Le 22 février 1288, un Franciscain était élu Pape et prenait le 
nom de Nicolas IV. Ce personnage, dont nous aurons bientôt à 
discuter l’attitude énigmatique envers Maître Munio, n’était autre 
que Jérôme Masci d’Ascoli, dans la Marche d'Ancône. Nous l’avons 


1 Bull. Ord., II, p. 9. R. Religionis fnvor., 19 janvier 1286. 

* Cf. t. I, p. 579. 

*Jhid., p. 580. 

4 Bull. Ord., II, p. 8. B. Meritis vestræ, lr r octobre 1285. 

8 II y a longtemps que ce privilège a disparu. Aqjourd'hui, aucune modification 
ne peut être faite dans l'office divin sans un décret de la Sacrée Congrégation des 
Rites. 


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CHAPITRE II 


201 


vu à l’œuvre avec Maître Jean de Verceil dans les négociations 
pour la paix entre la France et la Castille. 

Son élection au Siège apostolique ne manque pas d’originalité. 

Après la mort d’Honorius IV, les cardinaux se réunirent au 
palais pontifical de Sainte-Sabine, proche le couvent des Prê¬ 
cheurs. On se trouvait en été, époque où la fièvre romaine, cette 
malaria qui règne en maîtresse sur les sept collines, est souvent 
pernicieuse. Presque tous les conclavistes tombèrent malades; six 
succombèrent. La panique devint irrésistible. Ce fut un sauve- 
qui-peut général. Seul, le cardinal franciscain resta au poste. On 
dit que, pour conjurer l’épidémie, il ordonna d’allumer de grands 
feux dans le palais. Toujours est-il qu’il y attendit en paix, sain 
et sauf, le retour de ses collègues, au mois de février suivant. 
Outre son grand mérite, il est possible que ce courage peu com¬ 
mun ait contribué pour beaucoup à son élection. Il la refusa deux 
fois et n'accepta que vaincu par l’insistance des cardinaux 1 . 

Ses premières relations avec l’Ordre furent des plus heureuses. 
Quelques semaines après son couronnement il adressa au Maître 
Général et aux Définiteurs du Chapitre, qui allait se réunir à 
Lucques*, une lettre très paternelle, pour se recommander avec 

1 Cf. Baronius, ad ann. 1288, t. XXIII, p. 2i. Ed. Guérin. 

* C’est en cette année 1288, selon Echard, alors que Maître Munio se rendait à 
Lucques pour le Chapitre général, qu’il enjoignit à Frère Thierry d’Apolda de rédi¬ 
ger une vie complète de saint Dominique. Voici sa lettre, reproduite par M9 r Curé 
en tête de sa traduction de l’œuvre de Thierry d’Apolda : <« A son bien-aimé en 
Jésus-Christ, Frère Thierry d’Apolda, de la maison d’Erfurlh, province d’Alle¬ 
magne, Frère Munio, Maître de l’Ordre, quoique indigne, salut et accroissement 
continuel des grâces célestes. 

« Pour la rémission de vos péchés et pour l’augmentation de vos mérites, je vous 
enjoins d’entreprendre l’œuvre sainte de composer la légende de notre bienheu¬ 
reux Père saint Dominique, selon la grâce qui vous a été départie, grâce en laquelle 
j’ai grande confiance dans le Seigneur. Par cette tâche méritoire, vous montrerez 
que vous n’avez pas reçu les dons de Dieu en vain. Vous ferez surtout attention 
que les faits que vous raconterez soient parfaitement avérés, aussi complets que 
possible et pleins de charme. 

« Je veux que votre Prieur vous aide de ses secours, de ses conseils, de ses 
encouragements et de ses consolations, selon les circonstances. Adieu, priez pour 
moi. 

« Donné à Orvicto, aux ides d’avril (13 avriF. » 

( Livre sur la vie et la mort de saint Dominique, p. 1. Paris, 1887.) — Cf. Acta SS., 
I Augusti. Pour l’année, cf. Echard, I, p. 153.) 

Frère Thierry d’Apolda n’était plus jeune. Il avait alors plus de soixante ans, et 
sa vue était devenue faible, comme le témoigne la lettre de dédicace qu’il écrivit, 
son travail terminé, â Maître Nicolas Boccasino, alors Général de l’Ordre. En voici 
les principaux passages : 

« Patri tiliorum amabili Nicolao Magistro Ordinis FF. Prædicatorum Venerabili, 
Fr. Theodoricus de Teulonia? provincia, per prosperitatem præsentium meritorum 
pertingere ad æternorum præmia gaudiorum. Libellum quem de Pâtre divino 
Dominion et Ordine ab ipso institulo compositum sibi deferri vestra dignatio 
imperavit, in abjectis quidem schedulis et petiis primum jam seuex conscripsi 
propriis manibus oculisque caligantibus et compegi, de cujus materia proæmium 
vos instruet et docebit, reperto igitur ex chronicis tempore quo sancti hujus 
parentes extiterunt ea quæ circa ortum cl progressuni et exitum vitæ ipsius 


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MUNIO DE ZAMORA 


instance aux prières des Frères. Elle se termine par ces paroles 
significatives, qui lui enlèvent tout cachet de banalité : « Priez 
Dieu pour nous et pour l'Église, afin que nous puissions gou¬ 
verner sagement le troupeau dont la garde nous est confiée... et 
que tous, en particulier, vous ayez toute confiance en nous comme 
en un père bienveillant qui aime votre Ordre; car nous sommes 
disposé à le fortifier de nos faveurs, à le combler de nos bien¬ 
faits 1 . » 

En effet, au mois de juillet suivant, Nicolas IV publiait une 
bulle qui donnait à l'Ordre la liberté là plus absolue vis-à-vis 
des Ordinaires. 

Jusque-là, les Pontifes romains, tout en accordant aux Prê¬ 
cheurs des privilèges de détail dont l'ensemble les soustrayait à 
la juridiction des Ordinaires, n’avaient pas encore déclaré explici¬ 
tement par une formule précise et de droit universel qu'ils étaient 
exempts de cette juridiction. Ils l’avaient dit pour tel ou tel cas; 
en réunissant tous ces cas ensemble, il se trouvait que de fait, 
et pour leurs maisons, et pour leurs personnes, et pour leur 
ministère, cette exemption existait; mais on pouvait contester sa 
valeur, en rejeter les conséquences pratiques. Le fait arrivait à 
chaque instant. Les Frères arguaient solidement de la bulle 
d’Honorius III, celle qui confirme l’Ordre, et dans laquelle ce 
Pape déclare le « prendre avec ses biens et ses droits, sous son 
gouvernement et sa protection 1 ». A la vérité, c’était l’exemption 
universelle, discutable toutefois; car ces termes de chancellerie 
ne disaient pas la chose d’une manière positive. C’est pourquoi, 
dans la suite, tant de bulles durent entrer dans le détail et affir- 


gesla sunt secundum decursum temporis disponere curavi, ita lamon quod propter 
convcnientiam materne quæ postmodum acta sunt prirposui, et quæ ante postpo- 
sui subjungendo... Cupiens igitur stutum ordinis noslri plenaria certitudine non 
carerc, poslerisque nobilitateni avili generis intimare, patenue sauctitatis ingenui- 
tatem prout potui verbis simplicibus designavi, multa de verbo ad verbum sicul 
in exemplaribus reperi, posui, quandoque tamcn propter consequentiam aliquid 
imnuitavi. (.unique ex iis quæ ad manum habebam exemplaribus onmia consum- 
massem, allata sunt niihi ad pctitioneni meam quædam scripta quæ et pretio com- 
paravi, propter quæ opus præterilum ut ilia inserercm penitus dissipavi. Erant 
cnim ilia mapuc auctoritatis utpote dicta testium juratorum , quæ Papa Grego- 
rius IX approbavit, magnorumque meritorum et exemplorum sauctitatis præcipue 
expressiva. Pnevenit præterea me litera vencrabilis patris nostri Fr. Munionis 
tune Magistri ordinis , inihi istum laborem injungens et studium pi*o peccatis... 
Tandem dilectus pater noster Fr. Gerardus prior provincialis Teutoniæ rediens de 
Gapitulo Generali in Luca (anno MGCLXXXV1II) celcbrato, detulit quædam præ- 
clara gesta S. Dominici de Bononia, quæ ex ore Sororis Cæciliæ Romanæ, quam 
B. Domiuicus ad ordiuem receperat, couscripta sunt, quæ sieut vidit et audivit 
plena tide sincerissime enarravit, quæ usque ad ann. MCCXC religiosissimam et 
honestissimum vitam duxit. » (Cf. Echard, I, p. 45*. — Acln SS.. I Augusti.î — On 
voit, d'après cette lettre, que Thierry d’Apolda s'efforça d'ccrire la vie de saint 
Dominique d'après les documents les plus authentiques. 

1 Bull. Ord., II, p. I». B. Disponente. Il avril 128 S. 

2 Ibid., I, p. i. B. Xos altendentes, 22 décembre 1216. 


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CHAPITRE II 


203 


mer un à un tous les privilèges découlant de cette exemption pri¬ 
mitive; c’est pourquoi, également, ces privilèges furent si énergi¬ 
quement attaqués, et, dans la pratique, si souvent rejetés. 

Nicolas IV étant Frère Mineur, au courant, par sa profession, 
des difficultés nombreuses provenant de ces discussions intermi¬ 
nables qui entravaient la liberté de son Ordre comme celle des 
Prêcheurs, bien disposé d'ailleurs, selon qu’il l’avait écrit, en 
faveur de ces derniers, n’hésita pas à accueillir la supplique qui 
lui fut adressée par Maître Munio. Celui-ci voulait en finir une 
bonne fois avec ces démêlés continuels, qui entretenaient une lutte 
presque scandaleuse dans le sein de l’Eglise. « Nos immunités, 
lui écrivit-il, nos libertés, toutes accordées par vos prédécesseurs, 
sont foulées aux pieds. On les conteste partout; notre ministère 
est rendu impossible. Aussi nous supplions Votre Sainteté de 
pourvoir à cette situation 1 . » La réponse de Nicolas IV fut ce que 
demandait le Général. Au lieu de confirmer simplement, comme 
faisaient d’ordinaire ses prédécesseurs à leur avènement, les pri¬ 
vilèges de l’Ordre, il va plus à fond, à la source même de ces 
privilèges. Voici la teneur de cette constitution : « Considérant 
que vous pouvez d'autant plus vous consacrer efficacement et 
librement au culte divin et au salut des âmes, que votre état est plus 
paisible et plus tranquille; voulant, d’autre part, témoigner à votre 
Ordre notre bienveillance, nous exemptons, par faveur spéciale, 
vous, l’Ordre susdit, les églises, les oratoires, les maisons, les 
lieux que vous habitez ou que vous habiterez, de la juridiction et 
du pouvoir de qui que ce soit, et nous décrétons que, dès main¬ 
tenant, cet Ordre, avec ses personnes, ses églises, ses oratoires, 
ses maisons et autres lieux, est, pour le spirituel et le temporel, 
immédiatement soumis, sans aucun intermédiaire, au seul Pontife 
romain... 2 . » 

Cette bulle est du 28 juillet 1288. On ne pouvait rien désirer 
ni de plus précis, ni de plus décisif. C’est l'exemption totale, 
absolue. On pourra, dans la suite, modifier et restreindre tel ou 
tel privilège; mais aucun Pape ne touchera à cette base fonda¬ 
mentale qui porte la liberté apostolique des Prêcheurs. A ce titre, 
Nicolas IV a droit à toute leur reconnaissance. 

Du reste, il tint lui-même la main à ce que sa constitution ne 

1 Bull. Ord. f II, p. 2(V. B. Dum sollicite , 28 juillet 1288. 

1 « Volentcs quoque prérogative favoris et gratic vos et orilinem prosequi memo- 
ratum : Vos, et predictum ordinem, ac ecclesias, oratoria, doinus et loca vestra, in 
quibus habitatis et inhabitabitis, dum ea habitaveritis , cuin omnibus juribus et 
perlinentiis suis, a cujusvis alterius jurisdictione ac potestate omnimoda prorsus 
eximimus de gratia speciali, deccrnenles ex nunc eutndem ordinem, ac personas, 
ecclesias. oratoria, domus et loca prefata soli Romano Pontifici et Romane Eecle- 
sie, tam in spiritualibus quain temporalibus, absque ullo medio subjacere. » Jhill. 
Ord., II, p. 20.) 


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204 


MUNIO DE ZAMORA 


demeurât pas lettre morte. Le clergé du Mans, malgré cet acte 
d’autorité, persistait à molester les Frères. Ils s’en plaignirent au 
Pape, qui, voulant être obéi, adressa à leurs adversaires une 
lettre dont les termes assez vifs durent leur faire comprendre 
qu'il fallait se soumettre l . 

Il y eut cependant une nouvelle tentative de rébellion d’autant 
plus grave qu’elle venait de plus haut et qu’elle accusait, dans le 
clergé séculier, une volonté ferme, permanente d’arriver à ses fins. 

Il nous faut, pour comprendre la manifestation qui va être 
racontée, remonter quelques années en arrière. 

On se souvient que Martin IV, contre toute attente, avait 
accordé aux Prêcheurs et Mineurs, par sa fameuse bulle Ad 
fructus uberes 1 , le droit de prêcher et de confesser, sans aucune 
approbation préalable des Ordinaires ou des curés, à charge tou¬ 
tefois , pour les fidèles, de se confesser une fois l’an à leur curé 
respectif, selon que l’avait ordonné le quatrième concile de 
Latran 3 . L’émotion suscitée par ce privilège était loin d’être 
calmée. Des évêques, ceux de Reims et d’Amiens en particulier, 
n’avaient cessé d’entretenir l’agitation dans le clergé par leurs 
conférences 4 et leurs lettres de protestation 5 . Une dispute solen¬ 
nelle eut lieu, à la fin du pontificat d’Honorius IV, entre l’évêque 
d’Amiens, Guillaume de Mâcon, et Frère Jean de Saint-Benoît, 
Maître de Paris 5 . Guillaume se trouvait près d’Orléans, dans sa 
maison de campagne, quand l’idée lui vint de revendiquer une 
fois de plus les droits du clergé. 11 raconte lui-même l’incident 


1 Bull. Ord., II, p. 25. B. Si ud ilium, 6 octobre 1289. 

2 Ibid., I, p. 1. — Denifle. Chartul., I, p. 592, 13 décembre 1281. 

* Canon (Jmnis utriusque sexus. 

* Il y avait eu, û Paris, plusieurs réunions des Maîtres de l’Université et des 
évêques en décembre 1286. La première eut lieu le 6 décembre, dans la grande 
salle du palais épiscopal. On l'avait annoncée dans toutes les écoles. Aussi Maîtres, 
Bacheliers, étudiants, Prêcheurs et Mineurs s'y étaient rendus. 

L’archevêque de Bourges, Simon de Beaulieu, parla de la charité et prouva qu’on 
ne pouvait tolérer les privilèges des Mendiants sans aller contre la charité. Apres lui 
l'évéque d’Amiens, Guillaume de Mâcon, s’éleva avec violence contre ces mêmes 
privilèges. « 11 faut leur résister, s'écria-t-il, usque ad sanguinem ! » (Denifle, Char- 
lui. i’niv. Paris., Il, p. 8, n° 539.) 

Le lendemain, un dimanche, un Frcre Mineur fit le sermon dans l'église des Prê¬ 
cheurs et répondit aux arguments proposés la veille. « Du reste, ajouta-1 - il, nous 
n’avons point de Ministre Général qui vient de mourir, et le Maître des Prêcheurs 
( Munio de Zamora) est absent. Nous ne pouvons de nous-mêmes prendre de 
décision sur cette grave affaire. » 

Le lundi, 8 décembre, on fêtait chez les Mineurs la Conception de la Vierge; un 
Prêcheur yulonna le sermon. Aussi on disait autour d’eux, dans le camp de leurs 
adversaires'communs qui étaient au courant de leurs querelles familiales : Faeti 
sunt amici Herodes et Pilalus ipsa die! Ibid., p. 9.) 

La veille de saint Thomas, 20 décembre, nouvelle assemblée des évêques et de 
l'Université à Saint-Bernard. Nouveau discours de 1 évêque d Amiens, plus violent 
que jamais. (Ibid., p. 10.) 

8 Cf. Lettre de l’évêque d’Amiens à l’archevêque de Reims. (Denifle, Chartul., 
II, p. 13, n° 543. — Marlot, Metropolis Hemensis, II, p. 579.) 


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CHAPITRE II 


205 


dans une lettre adressée à son métropolitain, l’archevêque de 
Reims. 

« Je me trouvais, dit-il, à ma maison près d’Orléans, et il me 
parut utile de traiter cette affaire des privilèges devant les Maîtres 
et les écoliers d’Orléans, qui sont plus instruits dans le droit que 
ceux de Paris, et plus intelligents. Assistaient à mon discours 
toute la Faculté de droit civil et canonique, Frère Jean de Saint- 
Benoît, Maître en théologie, les Lecteurs des Prêcheurs et des 
Mineurs. Quand j’eus fini d’exposer mon opinion, Frère Jean de 
Saint-Benoît se leva et dit : « Le seigneur évêque d’Amiens a 
« dit beaucoup de choses qui sont bonnes et vraies, quelques-unes 
«qui sont douteuses, et certaines autres... (quædarn alia ...). 

« Dimanche prochain, nous répondrons à toutes 2 . » 

En effet, le dimanche suivant, Maître Jean réfuta pied à pied 
la thèse de l’évêque d’Amiens. Son sermon, recueilli par beau¬ 
coup de ses auditeurs, au dire de l’évêque 3 , fut transcrit par des 
notaires publics qu’il avait envoyés lui-même à dessein, entre 
autres Hubert de Saint- Valéry-sur-Mer. 

Il est extrêmement intéressant pour la partie historique de la 
question. Après un exorde insinuant sur les bienfaits et l’amour 
de la paix, Jean de Saint-Benoît rappelle les liens d’amitié qui 
l’unissent à son adversaire. « Les Ordres des Prêcheurs et des 
Mineurs, dit-il, ont toujours voulu la paix avec tous, surtout 
avec les prélats. En ce qui me concerne, cette paix je l’ai eue 
depuis de longues années avec le seigneur évêque d’Amiens. 
Nous avons été Bacheliers ensemble à la rue du Fouare; ensemble 
nous avons suivi les cours de la Faculté des arts, quoique l’un 
soit plus instruit que l’autre; ensemble, nous avons reçu le titre 
de Maître ès arts et enseigné comme tels. Nous nous commu¬ 
niquions souvent nos études; nous vivions dans une aimable 
familiarité. A son arrivée ici, du reste, l’évêque d’Amiens s’en 
est souvenu; il m'a fait avertir de sa présence et m’a reçu avec 
beaucoup de grâce et d’honneurs. J’ai donc tout lieu d’espérer 
que cette paix ne sera point troublée 4 . » On ne pouvait rappeler 
avec plus de délicatesse les relations amicales des jours déjà 
lointains des études universitaires. Mais Jean de Saint-Benoît 
n’en défendit pas moins ardemment contre son ami les droits de 
son Ordre, qui étaient pour lors ceux du Saint-Siège. 

1 Jean de Saint-Benoît ou d’Orléans, né à Saint-Benoît-le-FIeuri, le trente-neuvième 
Maître de Paris dans le Catalogue de Bernard Gui, reçut la licence vers 12S0. 
C’était un des Maîtres les plus célèbres du temps. Il régenta les écoles de l’Ordre 
à Orléans avec un grand succès. On ignore l’année de sa mort. (Echard, I, p. 404.) 

* Echard, I, p. 404. 

3 Ibid. 

4 Ibid. — Hist. littèr. de la France, XXVIII, p. 321. 


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MUNIO DE ZAMOHÀ 


L’évêque d’Amiens avait attaqué les Frères qui se livraient, 
indiscrètement peut-être, à l’étude des sciences libérales et sur¬ 
tout de la philosophie. Cette condamnation absolue, sans distinc¬ 
tion, était arriérée, à une époque où la Somme de saint Thomas 
commençait à faire loi dans l’Ecole. Aussi le champion domini¬ 
cain, tout en condamnant, lui aussi, ceux d’entre les Frères qui 
étudiaient ces sciences profanes plus par ambition et par vanité 
que pour mieux comprendre et mieux expliquer la théologie, 
réclame hautement pour tous, Prêcheurs et Mineurs, Frères du 
Sac 1 et Frères Barrés*, moines blancs 3 et moines noirs 4 , cha¬ 
noines de toute robe, le droit d'étudier la philosophie et toutes 
les sciences profanes qui doivent, comme des humbles suivantes, 
servir la divine sagesse qu'est la théologie 5 . 

Ce n’est point chose banale que cette revendication publique 
en faveur des sciences, faite par un Prêcheur contre un évêque. 

Maître Jean de Saint-Benoît, le terrain déblayé, aborde enfin 
l’irritante question des privilèges. Il le prend de très haut. « Il ne 
s’agit point, dans le cas, de Prêcheurs ou de Mineurs ; il s'agit, 
Seigneur évêque, de la puissance des Clefs. Le Pape a-t-il le droit, 
oui ou non, de donner à qui il veut, le pouvoir de prêcher et de 
confesser, sans l’approbation des Ordinaires? Là est toute la ques¬ 
tion. Ce droit étant admis, qu’avez-vous à reprocher aux Prêcheurs 
qui usent du pouvoir qui leur est légitimement accordé? Le 
Saint-Esprit, voyant l'état pitoyable où se trouvait l'Eglise, a sus¬ 
cité deux Ordres pour prêcher et confesser dans le monde entier. 
Ce privilège leur a été concédé par Grégoire IX, dont plusieurs bulles 
exhortaient les prélats à permettre aux Frères de prêcher et de 
confesser. Mais il leur fallait, à cette époque, l’approbation des 
Ordinaires, au moins par raison de convenance. Dans la suite, au 
temps où l’évêque d'Amiens était à Paris, une erreur très grave 
courait le peuple universitaire et le clergé : on disait que non seu¬ 
lement il fallait aux religieux l’approbation des Ordinaires, des 
prélats majeurs, mais, de plus, l’autorisation de chaque curé de 
paroisse, comme à Paris, celle du curé de Saint-Séverin, ou ici, 
celle du curé de Saint-Martin, ce qui est absurde, — quod est 
absurdum . — Depuis mon entrée dans l’Ordre, jamais je n'ai vu 
demander cette autorisation. La chose en vint au point qu’il y 
eut à Paris une réunion de Maîtres pour étudier et juger cette 
opinion. Parmi eux était Frère Thomas d’Aquin. Ils déclarèrent 
cette opinion erronée et en référèrent au pape Alexandre IV. Ce 

1 Fondés vers 12 »5. 

* Carmes, ainsi appelés de leur manteau bariolé. On le leur fit changer plus tard. 

3 Cisterciens. 

4 Bénédictins Clunistes. 

5 Echard, I, p. 10 4. 


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CHAPITRE II 


207 


Pontife confirma simplement la décision des docteurs. Une bulle 
officielle en avertit les séculiers et les réguliers. Pour que ces 
derniers pussent prêcher et confesser dans le monde entier, il 
leur suffisait de la permission des Ordinaires, des prélats majeurs, 
sans aucun recours aux curés de paroisse 1 . 

Clément IV s’aperçut qu’en donnant ce pouvoir aux Ordinaires 
ou prélats majeurs, il arrivait que les Frères avaient peine à 
exercer leur ministère. Libres d’accorder ou de refuser l’autorisa¬ 
tion de prêcher ou de confesser, les évêques ne se faisaient pas 
faute, pour satisfaire les prétentions de leurs curés, d'opposer un 
refus persistant à toutes les demandes. De sorte que la conces¬ 
sion du Saint-Siège, qui dans son esprit devait servir les inté¬ 
rêts des âmes et la paix de l’Église, devenait, pour les Frères, 
comme le retrait du privilège lui-même et les forçait à l'inaction. 
Ce n’étaient nullement les intentions du Pape. Aussi, pour parer à 
cet inconvénient, Clément IV, le grand ami des Prêcheurs, décida 
que les Frères ne devraient plus solliciter d’autorisation, même 
des prélats majeurs, si ce n’est pour absoudre des cas réservés 
aux évêques *. « Cette autorisation, nous l’avons eue toujours en 
cette ville d’Orléans et dans le diocèse, grâce à la bienveillance 
du seigneur évêque d’Orléans, qui nous protège, nous nourrit, 
nous défend, comme une poule ses poussins. Ainsi, il y a peu de 
temps, je lui ai envoyé mon neveu, qui avait enfreint un vœu 
assez peu grave, afin qu’il daignât l’absoudre. L’évêque eut l’ama¬ 
bilité de me le renvoyer pour que je l’absolve moi-même 3 . » 

Martin IV alla plus loin encore. Sans se soucier des réclama¬ 
tions des évêques et des curés, mais avant tout désireux du bien 
des âmes qu’il voyait compromis par les difficultés que faisaient les 
Ordinaires d’accorder les autorisations nécessaires aux Prêcheurs 
et aux Mineurs, il lança sa bulle Ad fructus ubercs. Désormais, la 
liberté de leur ministère était absolue. Us pouvaient prêcher, 
confesser dans le monde entier, en vertu des pouvoirs suprêmes 
du Souverain Pontife , sans aucune permission des prélats ; sauf 
pour les fidèles à se confesser une fois l’an à leur propre curé 4 . 

Les séculiers ne se tinrent pas pour battus. Cette confession 
annuelle leur servit de refuge. Que les fidèles se confessent aux 
Prêcheurs sans permission, soit! puisque le seigneur Pape le leur 
accorde; mais ils devront, dans l’unique confession annuelle à 
leur propre curé, redire tous les péchés accusés dans leurs con¬ 
fessions précédentes aux Frères. C’était prétendre, au fond, que 

1 Echard, I, p. 405. 

* Ihid. 

3 Ibid. 

* Ibid . 


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MUNIO DE ZAMORA 


tous les péchés, même ceux déjà absous par les Frères, devaient 
être de droit soumis au curé, aux Clefs paroissiales 1 . 

Je prétends et j’affirme, dit Maître Jean de Saint-Benoît, 
que cette doctrine est absurde : Unde dico absurdum et inconve - 
niens ... 2 . 

Aussi l’évêque de Paris, Ranulphe de Humblières, Maître en 
théologie, convoqua une assemblée des Maîtres de la Faculté de 
théologie, en novembre 1282. Quinze répondirent à l’appel 3 . Deux 
doutes furent proposés : Celui qui, vraiment pénitent, s’est con¬ 
fessé, a été absous régulièrement par un ayant-droit, est-il tenu 
de confesser de nouveau ses mêmes péchés déjà absous? Quelqu’un 
peut-il empêcher un pénitent de confesser de nouveau ses mêmes 
péchés déjà absous, ou d’autres péchés, à un autre confesseur? A 
l’unanimité, les Maîtres répondirent : Non, pour le premier cas, 
si le pénitent se rappelle la pénitence qui lui a été imposée; non, 
pour le second cas. L’opinion des prêtres séculiers était déclarée 
erronée. On tenta d’avoir d’autres signatures. Maître Arnulphe 
Le Bescochier sollicité d’apposer son sceau à la délibération des 
Maîtres, s’excusa, pour ne point déplaire à l’évêque d’Amiens, 
tout en protestant que la doctrine des Maîtres était la vraie et 
saine doctrine. D’autres, comme Maître Gervais et le célèbre 
Henri de Gand, s’esquivèrent par de subtiles distinctions, sans 


1 Echard, I, p. 405. 

* Ibid. 

3 « Universis présentes litteras inspecturis Rfanulphus) miseracione divina Pari- 
siensis cpiscopus, Magister Odo de Sanclo Dyonisio, eanonicus Parisiensis et deca- 
nus theologicæ facultatis, frater Gregorius, prior Vallis scolarium Parisiens, fra- 
ter Joannes de Alodio (des Alleux) ordinis fratrura Predicatorum, quondam Cancella- 
rius Parisiensis, Magistcr Guillermus de Monciaco, eanonicus Parisiensis, Magister 
P(etrus) de Joingniaco, eanonicus Parisiensis, Magister Albertus, Ordinis Cluniacen- 
cis, Prior de Monte Desiderii, Magister Adenulphus, prepositus Sancti Andomari, 
Magister Nicholaus de Pressorio, Archidiaconus in ecclesia Bajocensis, frater Drogo 
Pruvinensis, minister Provincialis Ordinis Frai ru m Minorum in Francia, frater 
Joannes de Furno, prior fratruin Predicatorum Parisiensium, frater Johannes de 
Sancto Benedicto, ordinis fratrum Predicatorum, frater Symon de Lans, ordinis 
fratrum Minorum, Magister Adam de Gulyn, Archidiaconus Lacedonçnsis, frater 
Hugo de Bilomio (Hugues de Billom ) Ordinis fratrum Predicatorum, frater 
Arlotus de Prato , Ordinis Fratrum Minorum , in sacra theologia doctores... »* 
(Deniflc, Chartul., I, p. 595, n° 510.) 

Tels étaient les quinze Maîtres qui curent à se prononcer sur les deux doutes 
précités. Il y avait parmi eux quatre Frères Prêcheurs, dont Jean de Saint-Benoît 
lui-même, et trois Frères Mineurs. 

Sur ces personnages, cf. Guérard, Cartulaire de Notre-Dame, IV, 15; III, 350; 
IV, 205. — Hist. littér. de la France , XXI. — Marlot, Metropolis Remensis, II. — 
Langlois, le Règne de Philippe III, dans Y Histoire de France d’Ernest Lavissc, 
III. 

Avant cette réunion de Docteurs, il y avait eu, également à Paris, comme un 
concile des évêques des provinces du Nord, pour dirimer cette même question. 
(Denifle. Chartul., I, p. 596.) 

* Chanoine de Senlis. Cf. Hauréau, Hist. littér. de la France, XXVI, p. 448-450. 
(1873.) 


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CHAPITRE II 


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oser toutefois contredire leurs collègues 1 ». Tel est, en résumé, le 
discours de Jean de Saint-Benoît. 

La riposte de Tévêque d’Amiens ne se fît pas attendre. Le 
dimanche suivant, qui était le 2 février, fête de la Purification 
de la sainte Vierge, il s’efforça de réfuter point par point la 
thèse de son adversaire 2 . Comme on le pense bien, ils ne purent 
s'entendre, chacun alléguant en sa faveur les autorités les plus 
respectables. Aussi l'évêque d’Amiens, dans sa lettre à l’arche¬ 
vêque de Reims, chante-t-il victoire : « Il n’y a pas un enfant 
dans toute la ville d’Orléans, dit-il, qui ne puisse répondre à 
leurs arguments! Un Frère Mineur a bien tenté de venir à la 
rescousse, pour appuyer la thèse de Maître Jean de Saint-Benoît ; 
mais il eût mieux fait de se taire, car ce qu'il a dit valait encore 
moins. » Malgré ces cris de triomphe un peu bruyants, l’évêque 
n’en avait pas moins quelque appréhension sur l’issue finale de 
la dispute. Ses idées seraient-elles acceptées à Rome, même en 
France, par tous les évêques? « Il faudrait, dit-il à l’arche¬ 
vêque , exciter un peu la torpeur de l'archevêque de Sens 
(Gilles Cornu). Dans le début, il était très froid sur ce sujet; 
il me semble, à présent, devenu à tout le moins tiède. On pour¬ 
rait se l’attacher assez facilement. Ceux de Narbonne, de Tours, 
de Bordeaux sont à tenir en éveil. Les évêques de votre pro¬ 
vince sont plus actifs; ils combattent virilement, celui d’Arras 
surtout 3 ... » 

C’est une campagne qu’entreprenait Guillaume de Mâcon; et 
parmi les évêques de la province de Reims les plus militants 
contre les privilèges des Mendiants, il eût pu s’adjuger le pre¬ 
mier rang. Il était leur commandant en chef. L’agitation qu’il 
excitait, pour défendre soi-disant le droit du clergé séculier, 
aboutit à une défaite 4 . 

En 1290, Nicolas IV envoyait à Paris deux légats, chargés de 
pacifier la querelle soulevée entre 1*Aragon et la France par la 
politique sicilienne du Saint-Siège. Ces légats étaient Benoît Gae- 
tani, cardinal-diacre de Saint-Nicolas in Carcerc Tulliano , et 
Gérard, évêque de Sabine. Confiants dans les intrigues quils 
avaient prudemment entretenues à la Cour romaine, l’archevêque 
de Bourges et l’évêque d’Amiens se hâtèrent — un peu vite — 

1 Echard. I, p. 403. 

5 Denifle, Chartul., II, p. 14. — Lettre de l'évêque d’Amiens à l'archevêque de 
Reims. 

Cette date de la Purification, tombant un dimanche, donne l’année de cette joute 
oratoire à Orléans. Ce fut en 1287; car, cette année-là, le 2 février fut un dimanche. 
( Ibid note.) 

3 Denifle, Chartul., II, p. 17. 

* Cf. Finke, op. cit p. 112, n° 11. Réponse très détaillée d'IIermann de Minden 
aux réclamations des séculiers. 

II. - 14 


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MUNIO DE ZAMORA 


de publier partout que les légats arrivaient avec le pouvoir et 
Tordre de révoquer le fâcheux privilège de Martin IV. La joie 
était grande chez les adversaires des Frères, injurieuse même; 
car, avant de connaître la décision des légats, ils jetaient Tinsulte 
aux Prêcheurs et aux Mineurs. 

Les légats réunirent un concile le jour de la Saint-Martin 
(11 novembre 1290). De nombreux évêques étaient présents. Ils 
furent invités à proposer aux délibérations ce qui mettait, 
à leur avis, le plus de trouble dans leurs diocèses. L’évêque 
d’Amiens se leva le premier et fit cette déclaration : « Ce qui 
trouble toutes nos églises, c’est le privilège accordé aux Frères 
pour les confessions, malgré la protestation de quelques Maîtres. » 
Et il donna leurs raisons. Après qu’il eut fini, l’évêque de Thé- 
rouane, un des plus jeunes de l’assemblée, prit la parole : 
« Évêques, mes frères, écoutez-moi! Je déclare que le seigneur 
évêque d’Amiens a parlé pour lui, mais nullement pour moi, à 
ce point que, si les Frères n’avaient pas la faveur du privilège 
papal, je croirais faire un péché mortel en les privant de leur 
ministère, parce que leur vie et leur doctrine les en rendent 
dignes. Puisque nous^ nous occupons si peu du salut des âmes, 
nous pouvons bien supporter cet inconvénient pour nos églises. » 

Pendant ces deux discours contradictoires, qui donnaient la 
note vraie de la situation, l'un arguant contre les Frères de 
l’ancien droit canonique, l’autre en appelant à la raison unique 
du droit nouveau, le salut des âmes, les deux légats avaient 
écouté sans dire un mot ni de blâme, ni de satisfaction. On ne 
savait ce qu’ils pensaient. Les Frères mêmes en furent inquiets et 
tâchèrent d’obtenir par leurs amis quelque renseignement positif. 
Ce fut inutile. 

Une nouvelle réunion conciliaire se tint la veille de Saint-André 
(29 novembre) dans l’église Sainte-Geneviève. Tous les évêques, 
tous les clercs de Paris y assistaient. On voulait connaître la 
décision des légats, dans l’espoir qu’ils révoqueraient le privilège, 
ou au moins qu’ils en donneraient une interprétation favorable 
aux vœux des séculiers. L’évêque d’Amiens, que ce silence 
irritait, se leva : « Seigneur Benoît, dit-il non sans humeur 
au cardinal Gaetani, pourquoi ne faites-vous pas droit à nos 
plaintes, en révoquant le privilège accordé aux Frères, puisque 
le Saint-Siège vous en a donné le pouvoir? » Et il parla longue¬ 
ment sur ce ton. Le légat, ainsi interpellé, fit faire silence, et 
répliqua avec une fine ironie : « Évêques, mes frères, je recom¬ 
mande à votre charité, de la manière la plus pressante, votre 
avocat et procureur le seigneur évêque d’Amiens. Il a, en effet, 
travaillé avec grande ardeur, en Cour de Rome, contre ce privi- 


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CHAPITRE II 


211 


lège, mais sans aucun succès. Aussi veut-il, à ce qu'il me semble, 
rattraper ici ce qu’il a perdu à Rome. Voyez-le, il est exténué 
par ses travaux et ses dépenses ! Je déclare donc, devant toute 
cette assemblée, que nous n’avons pas le pouvoir de révoquer le 
privilège ni celui de troubler les Frères contre qui vous aboyez, 
mais bien plutôt l’ordre de confirmer ce privilège. Nous ne trou¬ 
vons dans l’Église qu’un membre vraiment sain : les Frères! Hoc 
enim membrum solum sanum reperimus 1 . Nous voulons donc 
que le privilège demeure avec toute sa vigueur primitive. Je 
voudrais voir ici tous les Maîtres de Paris qui, dans leur fatuité, 
ont cru pouvoir interpréter à leur manière un privilège papal. 
Pensent-ils que la Cour romaine l’a accordé sans réflexion? Qu’ils 
sachent que la Cour romaine n'a pas des pieds de plumes, mais 
des pieds de plomb! Scire debent, pro certo, quod curia romana 
non habet pcdes plumeos, scd plumbeos 1 ! — Nous révoquons et 
nous déclarons nulles toutes les interprétations des Maîtres sur 
ce privilège. Ils en arriveraient ainsi, par leurs arguties, à inva¬ 
lider tous les privilèges que le Siège apostolique accorderait. » 

On sent déjà, dans ce discours autoritaire du cardinal Gaetani, 
le futur Pape Boniface VIII. Nous verrons plus tard qu’il chan¬ 
gea d’opinion et modifia lui-même le privilège en faveur duquel 
il se montrait si résolu en 1290. 

Les Maîtres de Paris ne furent point satisfaits. Humiliés par la 
verte semonce du légat, ils essayèrent de lui tenir tête. « Com¬ 
ment! disaient-ils, nous avons le droit de disputer sur les Evan¬ 
giles, et nous ne pourrions pas interpréter un privilège papal! » 
Maître Henri de Gand dirigeait la résistance. Les légats l’apprirent. 
Pour couper court à cette velléité d'insoumission, Gaetani enjoi¬ 
gnit aux Maîtres Jean de Murro, de l'Ordre des Mineurs, et 
Gilles de Rome, de l’Ordre des Augustins, de suspendre les cours 
d’Henri de Gand. 

Les Maîtres protestèrent. Ils vinrent, très nombreux, de toutes 
les Facultés, supplier le légat en faveur de leur collègue. « Vous 
autres Maîtres, leur répondit Gaetani, vous enseignez une doctrine 
fausse, ridicule, et vous troublez par là l’univers entier, ce que 
vous ne feriez pas si vous connaissiez l’état de l’Église. Vous 
trônez dans vos chaires, et vous croyez que le Christ se dirige 
d’après vos raisonnements! Mais non, mais non! mes frères. 
C’est à nous que le monde est confié, et nous devons penser, non 
pas à ce qui peut être agréable aux clercs, mais à ce qui est utile 
au monde... Vous croyez que nous vous avons en grande estime 
et considération. Détrompez-vous, car votre fatuité est connue. 

1 Hômische Qunrtalschrift, IX, 1893. p. ISO. 

* Ibid. 


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MUNIO DE ZAMORA 


La solution que vous attendez, la voici : Nous ordonnons, en 
vertu de l'obéissance, sous peine de privation de l'office et du 
bénéfice, que nul Maître, à l'avenir, ne prêche et ne dispute sur 
le privilège des Frères, ni publiquement, ni secrètement. Je vous 
affirme que la Cour romaine aimerait mieux dissoudre F Univer¬ 
sité de Paris que révoquer ce privilège. Nous n’avons pas été 
appelés pour acquérir la science, mais pour sauver les âmes. Et 
comme, par leur vie et leur doctrine, les Frères sauvent beaucoup 
d’âmes, leur privilège sera maintenu... » 

Ce petit discours fit son efTet. Les Maîtres, tête basse, reçurent 
avec componction la bénédiction du légat et rentrèrent chez eux. 
Il y eut bien un bon plaisant, Maître Eustache, boiteux d’allure, 
qui s’en allait répétant : « Ont-ils été forts, les arguments de nos 
Maîtres! Voilà dix ans qu’ils les forgent, et il a suffi d’une parole 
d'un légat pour tout renverser! Qu'auraient-ils répondu en Cour 
de Home si, chez eux, dans leur propre chaire, ils n'ont pas 
trouvé la moindre réplique à un cardinal!... » 

Et la foule, mise en joie par la défaite de l'évêque d’Amiens, 
le suivait en criant : « Vacunde ! Vacunde 1 / » 

En effet, Guillaume de Mâcon n'avait pas lieu d'être fier. On 
ne pouvait défaite plus humiliante pour lui qui, avant tout 
débat, avait chanté victoire sur les toits. Il aura sa revanche, et 
elle lui viendra de ce même Benoît Gaetani, dont la main venait 
de se poser si rude sur sa bouche. 

Il y avait encore d'autres sujets de litige avec le clergé séculier. 
On contestait presque partout, aux Frères, le droit à hériter. 
« Vous êtes morts, disaient les clercs, par votre vœu de pauvreté; 
comment des morts peuvent-ils prétendre hériter des vivants? » 
C’était un funèbre jeu de mots. 

Si le religieux ne peut rien posséder par lui-même, il peut rece¬ 
voir l'aumône de quelque manière que ce soit, aussi bien par tes¬ 
tament que de la main à la main. Aussi Nicolas IV, renouvelant 
et confirmant un décret précédent, déclare que les Frères peuvent 
acquérir, par héritage, tout ce qu’ils auraient pu acquérir s’ils 
étaient restés dans le siècle, sauf à garder intacte la loi qui inter¬ 
dit toute possession immobilière, en dehors de l’enclos conven- 


1 Tout ce récit de rassemblée de Sainte - Geneviève, en 1290, a été publié par 
Henri Finke, dans Rômische Quartalschrift, IX, 1895, d’après un manuscrit des 
archives de Soest, codex 28. Il démontre pleinement que la légation de Benoît 
Gaetani et Gérard ne date pas du pontifical de Martin IV, mais bien de celui de 
Nicolas IV. Mansi l’affirme également (Concilioriim Collectio, XXIV, 1071, 1072). 
Ce manuscrit est l'œuvre de Frcre Jacques de Soest {de Susato) en Westphalie, 
chroniqueur dominicain, mort en 1413. (Cf Ecliard, I, p. 774.) Où a-t-il puisé ces 
détails typiques de l'assemblée de 1290 ? C’est ce qu’il ne dit pas. Je n’ai pu trouver 
le sens de ce que l'on criait à l'évêque d’Amiens. Ducange ne donne pas ce mot, qui 
était une moquerie. 


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CHAPITRE II 


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tuel. On pouvait accepter ces propriétés, à charge de les vendre 
au plus tôt 1 . 

Maître Munio traita avec Nicolas IV une question d’ordre fami¬ 
lial qui ne manque pas d’intérêt, étant donné la législation actuelle 
sur ce même sujet. 

Nombreux comme étaient les Frères à cette époque, il arrivait 
souvent que, pour une raison quelconque, et même sans raison, 
l’un d'entre eux sortait de l’Ordre pour entrer dans un autre. On 
se faisait cistercien, franciscain, ermite de Saint-Augustin, attiré 
quelquefois par les religieux de ces Ordres, sous des prétextes 
plus ou moins sérieux, ou avec des visées ambitieuses. Beaucoup 
changeaient ainsi d’habit, sans demander aucune autorisation. 
De blanc, on se faisait brun ou noir à volonté; on portait coule, 
corde ou sandales, à son choix. 

Ce laisser-aller avait bien des inconvénients. Le premier, et non 
le moindre, était de soulever des discordes entre les Ordres diffé¬ 
rents 2 . Se jalousant toujours un peu, on trouvait déplacées et 
injurieuses ces attirances déloyales. Les récriminations ne pou¬ 
vaient manquer 3 . 

De plus, comment un religieux, profès solennel, qui par sa 
profession même s’était lié jusqu’à la mort à une règle, pouvait- 
il, de son plein droit, abandonner cette règle et en prendre une 
autre? Le vœu n’engage pas seulement à la vie religieuse en géné¬ 
ral, mais bien à tel état dans la vie religieuse, à tel Institut, à 
telles Constitutions. On ne promet pas simplement d’être reli¬ 
gieux, on promet d’être religieux de tel Ordre et d'en observer les 
lois. Cette volonté est formellement exprimée dans le texte authen¬ 
tique de la profession : aller contre, c’était reprendre ce que l'on 
avait donné et manquer à sa parole. 

Il est probable que ces Frères volages ne l’entendaient pas ainsi 
et croyaient être lidèles à leurs vœux, puisque, tout en changeant 
d'Ordre, ils demeuraient religieux. Le fond était sauvegardé; le 
mode seul variait. Les supérieurs et les Papes ne furent pas de 
cet avis. Cependant, dans le principe, il n'y eut pas de grandes 


1 Bull. Ord., II, p. 30. B. Cum olim, 9 novembre 1290. 

* C’est ce que le Pape Innocent IV faisait observer aux Mineurs. « Sane admi¬ 
rantes accepimus, quod vos, non absque olTensû rectitudinis, quæ in vestris débet 
actibus haberi continue, specialiter Praires Predicatores et eorum Ordini obligatos, 
fréquenter ad vestruin rccipientes Ordinem, unitatem spiritus in pacis vinculo non 
servatis. Verum cum ex hoc possit scissuræ et scandali exauriri materia... ** (Bull. 
Ord. $ I, p. 411. B. Quo vos, 21 avril 1244.) 

* Voici un fait raconté par les Annales des Dominicains de Colmar : « Puer cir- 
citer XV annorum factus Pratcr ordinis prædicatorum et in ordinc eorum annum 
et plus quam dimidium steterat in domo Columbariensi. In die sanctorum Inno- 
centium, de consilio quorumdam fratrum ordinis minorum et auxilio corumdem ac 
beginarum ipsorum , apostate... et se ad ordinem fratrum minorum transferebat. » 
{Les Annales et la Chronique des Dominicains de Colmar. Ed. Ch. Gérard, 1854.) 


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MUNIO DE ZÀMORA 


difficultés pour obtenir la permission désirée. Il suffisait, d'après 
les décrets pontificaux, de l’autorisation de son Prieur. Je sais 
bien que le Père Brémond, dans le tome huitième du Bullaire de 
l'Ordre, affirme que le Prieur dont il est question dans les décrets 
est le Maître Général. C'est une interprétation gratuite. Jamais, 
lorsqu'il s’agit du Maître Général, les Papes n’emploient ce terme 
équivoque. Innocent III et Honorius III s'en sont servi, à la vérité, 
au début de l’Ordre, quand saint Dominique n'était que le Prieur 
de Prouille* ou le Prieur de Saint-Romain de Toulouse*. Ce titre 
était alors parfaitement exact, et saint Dominique le garda jus¬ 
qu’à ce que le nom de Maître Général eût été choisi au Chapitre 
de 1221. Mais, depuis le développement de l’Ordre, alors que la 
chancellerie pontificale était habituée au style nouveau qui lui 
convenait, toujours elle donnait au supérieur de l'Ordre son 
titre officiel de Maître. Ce n'est pas à Rome qu’on néglige le pro¬ 
tocole; on serait plutôt porté à ajouter aux titres qu'à les dimi¬ 
nuer. 

Du reste, les Papes eux-mêmes donnent le sens strict de leur 
expression, son sens authentique. En 1258, le 5 mars, Alexandre IV 
adresse une bulle sévère aux Ermites de Saint-Augustin et de 
Saint-Guillaume, qui leur défend, sous peine d’excommunication, 
d’accepter parmi eux des Frères Prêcheurs sortis de leur Ordre 
sans la permission de leurs Prieurs : quatenus si quos Fratres 
ipsius Ordinis absque suorum Priorum pelita et obtenta licentia 
recepistis . — Et le Pape Urbain IV est encore plus explicite. C’est 
aux mêmes Ermites qu’il écrit, ou plutôt à l’évêque de Rieti, 
pour qu’il les oblige à observer le décret de son prédécesseur. Il 
paraît, d’après la bulle, que ces Ermites n’en continuaient pas 
moins, malgré la défense formelle du Pape, à recevoir les fugitifs 
des Prêcheurs 3 . Maître Humbert, alors Général de l'Ordre, avait 
porté plainte au Saint-Siège, et voici dans quels termes Urbain IV 
lui fait justice : « Le Maître et les Frères de l'Ordre des Prê¬ 
cheurs nous ont averti que notre prédécesseur Alexandre, d’heu¬ 
reuse mémoire, a interdit, par lettres apostoliques, aux Ermites 
de Saint-Augustin, ... de recevoir dans leur Ordre les Frères 
Prêcheurs, sans la permission de leurs Prieurs : sine suorum 
Priorum licentia 4 . » Comme le Pape parle dans cette même lettre, 
quelques lignes plus haut, du Maître de l’Ordre, il est évident que 
si cette permission de sortir lui eût été réservée, il aurait dit 
expressément : « sans la permission du Maître Général. » C'est ce 

1 Bull. Ord., I, p. 1. Bulle d’innocent III. Juslis pelenlium, 8 octobre 1215. 

* Ibid., p. 2. B. Religiosam vitam, 22 décembre 1216. 

3 Ibid., p. 426-427. B. Felicis recordationis , 7 juillet 1262. 

4 Ibid., p. 426. B. Felicis recordationis, 7 juillet 1262. 


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CHAPITRE II 


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qu’il ne fait pas. Il déclare nettement que ces religieux doivent 
obtenir l’autorisation de leurs Prieurs. Il ne s’agit donc en aucune 
façon, à cette époque, de l’autorisation du Maître Général. 

Clément IV l’affirme de même. 

Les Prêcheurs ne pouvaient se retirer que dans un Ordre plus 
sévère d’observance. Ce n’était pas ce qui plaisait d’ordinaire à 
ceux qui désiraient sortir. La plupart cherchaient plutôt moins que 
plus; car les religieux fervents n’ont pas souvent ces rêves de 
changement. On trouva un expédient. Au lieu de demander à 
entrer dans un Ordre inférieur, — ce qui aurait été refusé, — on 
allait d’abord chez des religieux plus austères ; puis, au bout de 
quelques mois, avant ou après la nouvelle profession, on passait 
dans l’Ordre désiré. Jean de Verceil en appela au Pape, qui, dans 
sa lettre de réponse, déclare explicitement que la permission de 
sortir de l’Ordre dépend des Prieurs. Cette lettre est adressée au 
Maître Général lui-même. Après avoir rappelé le moyen peu loyal 
dont se servaient ces religieux, Clément IV, parlant au Général, lui 
dit que les Frères, par cette manière hypocrite, arrivent à entrer 
dans des Ordres où jamais leurs Prieurs ne leur auraient permis 
de se retirer*. Si le Pape s’exprime ainsi en s'adressant au Maître 
lui-même, c'est évidemment qu’il était admis en droit et en pra¬ 
tique que le Prieur respectif de chaque religieux pouvait l’autori¬ 
ser à quitter l’Ordre, pour passer dans un autre plus sévère. Bien 
entendu, là comme ailleurs, ce que pouvait le Prieur local pour 
les religieux de son couvent, le Provincial le pouvait pour tous 
ceux de sa province, et le Général pour tout l’Ordre. 

C’est ce que proclame Nicolas IV, qui, afin d’arrêter ces émi¬ 
grations intempestives, inflige aux coupables, à la demande de 
Maître Munio, une peine qui dut leur être sensible. « Entre tous 
les privilèges, dit-il, accordés par le Siège apostolique à votre 
Ordre, il en est un qui défend expressément à tout religieux pro- 
fès d’en sortir sans la permission du Maître Général ou de son 
Prieur, au point que vous, Maître Général, et tous les Prieurs, 
avez le droit d’excommunier les délinquants. Cela n’empêche pas 
que plusieurs de vos Frères, déjà profès, sous prétexte faux de 
maladie et autres raisons alléguées hypocritement pour couvrir 
l’ambition qui les pousse à rechercher les honneurs et les préla- 
tures ecclésiastiques, passent dans d’autres Ordres, sans aucune 
autorisation *. » Et le Pape interdit absolument aux transfuges 
tout accès à ces dignités convoitées en dehors de l’Ordre. Ni béné- 


1 « Tune ad alios Ordines sibi ex privilegiis sedis apostolicœ interdictos , vel 
illos ad quos transferendi se licentiam prius ab eisdem Prioribus obtinere minime 
potuissent. » (Bull. Ord., I, p. 492. B. Mullæ snnt, 23 janvier 1268.) 

* Bull. Ord., II, p. 20. B. Inter cetera, 28 juillet 1288. 


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Î16 


MUNIO DE ZAMOUA 


(îce, ni prélature ne peuvent leur être conférés sans une dispense 
spéciale du Saint-Siège*. 

D’après ces témoignages authentiques, il est clair que l’on pou¬ 
vait, sans grande formalité, quitter son Ordre, puisque la per¬ 
mission du Prieur local suffisait. 

Toutefois, ce pouvoir accordé aux Prieurs par les Papes était 
un pur privilège, et nullement un droit découlant de leur fonction. 
Humbert de Romans, qui traite assez longuement cette question, 
en se plaçant au seul point de vue de la législation intérieure de 
l’Ordre, déclare que le pouvoir de licencier les religieux appartient 
au Maître Général et aux Provinciaux : au Maître Général, parce 
que chaque religieux fait profession à lui-même, et, de ce chef, 
est sa chose à lui, comme sa propriété*; aux Provinciaux, par 
participation, parce que ceux-ci, en vertu des Constitutions, ont 
sur leurs provinces la même autorité que le Général sur l'Ordre 
entier. Ces raisons sont excellentes, mais elles n’infirment pas la 
portée juridique des décrets apostoliques, et, ce que les Prieurs 
ne pouvaient pas, comme Prieurs, ils le pouvaient comme délé¬ 
gués du Saint-Siège. Les documents cités en font foi. 

On trouva bientôt que la facilité était trop large, et les Papes 
ne tardèrent pas à fermer la porte plus sérieusement. 

Jean XXII, dès l’an 1317, restreint cette faculté au Maître 
Général ou au Provincial des religieux 1 * 3 . Dix-sept ans après, 
Benoît XII, constatant que l’entrée de nombreux Mendiants dans 
les Ordres de Cluny et de Cîteaux était une cause de troubles, 
de scandales et de divisions parmi ces moines, interdit aux Men¬ 
diants l’accès de ces deux Ordres, à moins d’une autorisation 
explicite du Saint-Siège 4 . Cette fois, la porte de sortie n’est plus 
qu’entre-baillée. Chacun sait que plus tard elle fut solidement 
barrée, et que, pour quitter son Ordre, il faut aujourd’hui, sauf 
pour entrer chez les Chartreux 5 , une dispense formelle de la Curie 
romaine. 

Cette question en appelle une autre. A l’époque où nous sommes, 
l'Ordre avait-il le droit, sans recours au Saint-Siège, de chasser 
les religieux indignes en les sécularisant? 

1 Bull. Ord., II, p. 20. B. Inter cetera, 28 juillet 1288. 

* <« In ordinc prédicat orum soins inagister, cui liunt professiones oinncs, vel 
IVovincialis prior, cui data est ex Constitutionibus eadem potestas in sua pro- 
vincia quam habet magister in loto ordinc, possunt darc hujusmodi licentiam: vel 
alii eorum aucloritate. Et quamvis prior conventualis cum conventu possint reci- 
pere fratres, lamcn non possunt de obedicnliu Magistri vel Priori» provineialis, 
quibus acquisiti sunt, cos subtrahere præler eorum voluntatem... » (Humbert de 
Homans, Opp., I, p. 343. Ed. Reichcrt.) 

3 Bull. Ord., II, p. 131. B. Paci et tranquillitati, 14 février 1313. 

* Ibid., p. 219. B. Regularem vitam, î juillet 1335. 

5 Constil. Ord. Præd., n° 310, p. 160. 


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CHAPITRE II 


217 


Que l’Ordre ait eu le pouvoir de chasser les religieux indignes, 
il n'y a aucun doute, non seulement en leur permettant de se 
retirer dans un autre Ordre, mais même en les sécularisant d’une 
certaine manière. Le Livre des Coutumes de Jourdain de Saxe, 
ces Constitutions primitives qui remontent à saint Dominique lui- 
même, sont formelles sur ce point. Au chapitre de la faute très 
grave, elles s’expriment en ces termes : « La faute très grave con¬ 
siste dans l’incorrigibilité de celui qui ne craint pas de commettre 
des fautes et qui refuse d’accomplir la pénitence qu’on lui impose. 
De ce religieux indiscipliné, notre Père Augustin a ordonné, s'il 
ne s’en allait pas de lui-même, de le mettre dehors : De vestra 
societate projiciatur 1 ... On doit donc le dépouiller de l’habit de 
l’Ordre, lui donner des vêtements séculiers et le forcer à partir, 
pourvu toutefois qu’il ait eu jusque-là la tête saine et la pleine 
possession de son esprit*. » Telle était la loi. On la retrouve 
intacte dans les Constitutions de saint Raymond 3 . 

Comment procédait-on à l’expulsion du religieux? Chose éton¬ 
nante! ni les Constitutions, ni les Actes des Chapitres généraux 
ou provinciaux, ni même le Bullaire de l’Ordre, ne donnent sur 
cette procédure aucuns renseignements. Humbert lui-même, qui 
dirime les cas de conscience soulevés par l’application de la loi, 
n’en souffle mot. Ce n’est qu’en 1296, sous Boniface VIII, qu’il 
est fait allusion à cette affaire pour la simplifier 4 . 11 déclare que 
« les prélats de l’Ordre auxquels il appartient de corriger et de 
punir les Frères pourront le faire, en laissant de côté toutes les 
subtilités du droit et en jugeant selon les coutumes et les lois 
de l’Ordre ». D’après ce document, les juges ordinaires nous sont 
connus : ce sont les prélats de l’Ordre, c’est-à-dire le Maître 
Général, le Provincial et le Prieur, chacun selon l’étendue de sa 
juridiction. Mais un procès ayant des conséquences aussi graves 
ne pouvait être formé et jugé par une seule personne. Quels 
étaient, en pareil cas, les assesseurs du juge? Nous n’avons plus 
ici que des renseignements assez vagues. Ces assesseurs ne sont 
nommés nulle part. Il nous faut procéder par voie d’analogie. Le 
Chapitre général de Strasbourg, en 1296, confie aux Seniores, 
ceux qui formaient le Conseil conventuel, le soin d’assister le 
Prieur pour décider s’il faut mettre un religieux en prison 5 . En 
Provence, les Capitulaires provinciaux de Sisteron déclarent que 


1 Anal, ürd., p. 635, 1896. 

2 « Hic quidcm hahitu exutus et vostibus sccularihus imlutus ex ire compellen- 
dus est, si tamen usque ad horaiu illain sani capitis et integri senstis extitit. » 
(Ibid.). 

2 Anal. Ord., p. 60, 1897. 

* Bull. Ord., II, p. 47. B. Ad augmentum, 10 mai 1296. 

1 Acta Cap., I, p. 280. Chap. de Strasbourg. 


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218 


MUNî0 DE ZAMORA 


la pénitence à infliger au Sous-Prieur de Saint-Émilion, qui s’est 
approprié un sceau et a gardé un livre qu’il savait appartenir à 
un autre, doit être discutée et décidée par le Conseil des Anciens 1 . 
Si le Conseil des Anciens, ou Conseil conventuel, était requis pour 
ces cas de discipline ordinaire, à plus forte raison, me semble-t-il, 
devait-il être obligatoire quand il s’agissait de chasser un reli¬ 
gieux. Je crois, d'après ces insinuations, que les assesseurs du 
Prieur étaient les Pères du Conseil*. 

A en juger par ce que dit Humbert, en expliquant la règle de 
saint Augustin, on suivait, pour la procédure, la marche évan¬ 
gélique indiquée par ce saint docteur 3 : la conviction devant 
témoins, l’intimation de la peine; en cas d’insoumission, le ren¬ 
voi; car ce renvoi n’était prononcé que contre ceux qui refu¬ 
saient de subir la pénitence imposée, appelés dès lors les incor¬ 
rigibles. Ceux qui l'acceptaient, fussent-ils dignes de tous les 
châtiments, étaient condamnés à la prison, dans le couvent 
même. 

Expulsés de l’Ordre, les Frères pouvaient se retirer dans un 
autre Ordre plus austère, comme il a été dit, ou demeurer dans 
le clergé séculier. Mais ils y étaient en état de pénitence. Le 
ministère leur était interdit. Ils n'avaient la faculté ni d’ensei¬ 
gner, ni de confesser, ni de prêcher, sous peine d'excommunica¬ 
tion 4 . L’Ordre gardait sur eux pouvoir permanent. Ils restaient 
sous sa juridiction. Ce n’était donc pas une sécularisation stricte, 
au sens que nous lui donnons aujourd'hui, mais une pénitence, une 
peine déshonorante dont on espérait la conversion du coupable. 
Humbert est décisif sur ce point : « Doit-on, se demande-t-il, au 
cas où celui qui est à expulser sollicite d’être absous de l’Ordre, 
c’est-à-dire soustrait à son obédience, vraiment sécularisé, ou bien 
à être gardé, lui accorder l’une ou l'autre de ces faveurs? — Ni 
l'une ni l’autre, répond le Maître. Lorsqu’un berger chasse de son 
troupeau une brebis malade, il n’entend pas par là céder son droit 
de propriété sur elle; bien au contraire, s’il la chasse, c’est qu’il 
espère qu’elle guérira et qu’il pourra la remettre dans le bercail. 
Il en est de même pour ce religieux Si quelqu’un avait la sim- 

* Acta Cap. Prov., p. 146. Chap. de Sisteron, 1270. Ed. Douais. 

* Voici un précieux témoignage à l’appui. En 1288, le Provincial d’Allemagne, 
Hermann de Minden, trace à un Prieur la conduite à suivre vis-à-vis d’un reli¬ 
gieux dont il avait à se plaindre. 

« ... Si vero, de partibus, ubi conversatus est fama indecens de ipso aures ve- 
stras attigerit , ab indurato et subverso excutite manus vestras, ipsum ad alium 
ordinem licenciando , in quo statum suum ita teneat quod in nostrum ordinem 
non impingat. Quicquid inde vobis faciendum videbitur, discretorum fratrum con- 
silio tempcretur. » (Finke, Ungedruckte Dominikanerbriefe..., p. 116.) 

3 Humbert de Romans, Opp., I, p. 341. 

4 Bull. Orrf., I. p. 156. B. Justis petentium, 19 septembre 1245. 


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CHAPITRE II 


219 


plicité de le soustraire à l’obédience de l’Ordre, son acte serait 
invalide parce qu’il serait déraisonnable 1 . » 

Et ailleurs il dit encore : « L’expulsion n’est pas ordonnée uni¬ 
quement au bien des autres, de la communauté, mais au bien 
même des expulsés, afin que la confusion et les tribulations dont 
elle est la cause pour eux les fassent rentrer en eux-mêmes*. » 
L’Ordre avait même le droit de les appréhender de nouveau et 
de les réintégrer dans les couvents, surtout lorsqu’ils paraissaient 
réellement corrigés 3 . Quelquefois ces malheureux, que la con¬ 
science tourmentait, même au milieu de leurs crimes, imploraient 
comme une grâce d’être reçus dans les prisons de l’Ordre 4 . Hum¬ 
bert conseille de les accepter, pour mettre fin au scandale public 
de leur vie déréglée, sans toutefois leur rendre l’habit, et pourvu 
que la prison conventuelle soit rigoureuse 5 . 


1 Humbert de Romans, Opp., I, p. 342-343. Ed. Berthicr. 

2 Ibid., p. 342. 

3 Ibid., p. 341. 

4 Quelquefois les fugitifs ou expulsés de l’Ordre laissaient, en partant, soit de 
gré. soit de force, leur dépôt personnel. Hermann de Mindcn nous donne, dans une 
lettre, notification de l'usage qu'il avait fait, selon son droit, du dépôt d’un certain 
frère Théodoric de Suntheim, devenu apostat. 

« Sex marcas quas mutuo acceperant prior et fratres conventus columbariensis 
(Colmar) ab ipso Theoderico remisi, quibus III marcas superaddi de jam dicto 
deposito procuravi, novem marcas utilitatibus nostre provincie assignavi, duos 
marcas expendi in solucionem eorum que scienter contraxcrat debitorum, decem 
reliqui sororibus memoratis, quatenus si prefatus Theodoricus sui misertus redi¬ 
re! ad ordinem , sibi de vestitu et post ejus penitenciam de competenti breviario 
providercnt. Si autem ulterius in seculo moraretur, dictam pecuniam pro remcdio 
animarum parentum suorum simpliciter retinerent... » (Finke. op. cit., p. 122.) 

6 Humbert de Romans, Opp., I, p. 341. 


BIBLIOGRAPHIE 


Du Boulay, Historia (Jniversitatis Parisiensis, III. 
Histoire littéraire de la France, XXI, XXV. 

Henri Finke, Rômische Quartalschrift , IX. 1895. 
Feret, la Faculté de théologie de Paris, II. 1895. 
Ernest Lavisse, Histoire de France , III. Paris, 1901. 


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CHAPITRE III 


LE TIERS ORDRE DE SAIN T-DOM INIQUE 


Maître Munio n’eut point qu’à solliciter du Saint-Siège des lois 
qui régularisaient la sortie plus ou moins volontaire des religieux, 
las des observances de l’Ordre et désireux de s’en affranchir en 
tout ou en partie. Hors le cloître, mais s’y tenant fortement acco¬ 
tée, il y avait toute une catégorie d’âmes ferventes qui souhaitaient 
ardemment, au contraire, s’en approcher de plus en plus. On les 
appelait d'un nom général : les Frères et les Sœurs de la Pénitence 
de Saint-Dominique. Qu’ils aient existé avant le Généralat de 
Frère Munio, on ne peut en douter. En 1285, par conséquent 
l’année même où il fut élu, Munio rédige et publie une règle qu’il 
impose aux Frères et aux Sœurs de la Pénitence de Saint-Domi¬ 
nique. Son début établit clairement que « l’Ordre » existait depuis 
longtemps. Il ne fonde pas, il n’invente pas : il régularise une 
situation. Voici ses propres termes : « D’abord, afin que cet Ordre 
reçoive un accroissement continu et perpétuel 1 ... » La chose exis¬ 
tait donc avant lui; ce qu’il veut, c’est son développement, sa per¬ 
fection , d’où le règlement qu’il institue comme une base plus solide 
d’organisation. Cependant cette organisation avait déjà des lignes 
précises, déterminées, puisque le Maître donne aux Frères de la 
Pénitence le titre juridique d’Ordre. Ils avaient donc des lois spé¬ 
ciales, un gouvernement quelconque, reconnu authentiquement 
par le Saint-Siège, qui seul pouvait attribuer efficacement à une 
association pareille dénomination. Si Maître Munio n’hésite pas à 
donner ce titre d’Ordre à la Fraternité de la Pénitence de Saint- 
Dominique, c'est que ce titre était depuis longtemps consacré par 
la Curie romaine et en usage commun parmi les Pénitents eux- 
mêmes. 

Ces préliminaires établis, une question se pose d’elle-même : 


1 « In priniis, ut hic Ordo continuum et perpetuum de boni) in mclius recipere 
valeat incremcntum... »> (Federici, Istoria de* Cavalieri Gaudenti, II, p. 28. Venise, 
1787.) La règle s'y trouve tout entière. 


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CHAPITRE III 


221 


Quelle est l’origine des Frères de la Pénitence de Saint-Domi¬ 
nique? 

Je n’ignore pas que le terrain sur lequel je mets le pied est 
assez mouvant, dangereux même; mais comme il a été en partie 
débroussaillé par des explorateurs avisés 1 , nous pouvons avancer 
sans peur. Le chemin est suffisamment frayé. 

L'Ordre de la Pénitence de Saint-Dominique n’était point, au 
xiu c siècle, une spécialité des Prêcheurs, quelque chose qui leur 
fût propre, exclusif; il avait des racines dans le milieu qui l’en¬ 
tourait. Son existence a des attaches communes avec ce milieu, 
des dépendances, des affinités qu’il faut connaître, si l’on veut se 
faire une idée exacte de son histoire primitive. 

La société du xm« siècle, si profondément chrétienne, est mar¬ 
quée d’un signe très caractéristique, inconnu à peu près jusqu’à 
elle. Cette note toute spéciale est le piétisme laïque. A côté de la 
hiérarchie ecclésiastique, souvent contre elle, à tout le moins en 
dehors d'elle, se développe une ferveur évangélique qui, gagnant 
de proche en proche, constitue rapidement, entre fidèles, des liens 
étroits de parenté spirituelle. On se communique les mêmes idées, 
les mêmes aspirations; on se rattache par quelques pratiques 
religieuses communes, et l’association se forme comme d'elle- 
même, animée de sentiments identiques, poursuivant un seul 
but. 

Les causes de ce piétisme laïque, il faut l’avouer, n'avaient rien 
d’honorable pour le clergé séculier. Si les fidèles se détachaient 
de l’Église officielle, c’est que, malheureusement, beaucoup de ses 
membres, et surtout des plus haut placés, avaient perdu le zèle 
de leur état. Au lieu d'être parmi le peuple des modèles de con¬ 
tinence, de désintéressement, de pénitence, ils affichaient, avec 
une sorte de fatuité, le dérèglement de leurs mœurs, leur âpreté 
aux bénéfices, leurs allures luxueuses. Et les simples fidèles, 
scandalisés, cherchaient en vain dans les ministres de l’Évangile 
des hommes évangéliques. Le culte officiel, public, gardait les 
mêmes pompes fastueuses; on chantait toujours sous les voûtes 
des cathédrales le Credo apostolique; mais sous cet apparat, qui 
n’était qu’un trompe-l'œil, la vie chrétienne languissait et mena¬ 
çait ruine. Il se trouvait, par un revirement inouï, que les vrais 
disciples de l’Évangile n’étaient plus toujours ceux qui l’ensei¬ 
gnaient, mais bien les petits, les ignorants, ce menu peuple plein 
de foi, accroupi au pied de la chaire des docteurs. Parfois les 
fidèles valaient mieux que leurs prêtres. 

1 Entre autres et parmi les premiers, le R. P. Mandonnet, dans deux brochures 
importantes : les Origines de VOrdo de Pœnitentia (Fribourg, 1898), et : les 
Règles et le gouvernement de VOrdo de Pœnitentia au xui® siècle (Paris, 1902). 


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222 


MUNIO DE ZAMORA 


De là à la mésestime il n’y a qu’un pas. D’instinct, les chré¬ 
tiens, avides de la perfection, se détachaient du clergé et cher¬ 
chaient ailleurs un aliment à leur dévotion. 

Ces considérations ne sont point fictives. Il suffit, pour se con¬ 
vaincre de leur réalité, de parcourir les chroniques du temps. Au 
lieu de diminuer cette fâcheuse impression, elles ne fourniront 
que trop de raisons pour la confirmer et l’aggraver 1 . 

Cette mésestime des laïques pour le clergé séculier, cette désaf¬ 
fection progressive, devinrent, pour l’Eglise, un véritable danger. 
Toutes les hérésies du xin c siècle y ont de profondes racines. 

Ainsi, les Vaudois ne furent d'abord qu’une association laïque 
de fidèles, épris de la perfection chrétienne. Pierre Valdez, citoyen 
de Lyon, homme riche mais ignorant, se fait traduire les Evan¬ 
giles, y lit que pour être parfait, selon l’ordre du Christ, il faut 
vendre ses biens et en donner le produit aux pauvres; il le fait, 
parcourt les rues et les places publiques en récitant des versets 
de l’Évangile et groupe autour de lui toute une multitude d’adeptes. 
L’archevêque s’en émeut, lui interdit à lui et aux siens de prêcher 2 . 
Valdez en appelle au Pape Alexandre III. Dès l’abord, ce Pon¬ 
tife lui fut assez bienveillant. Au dire d’un chroniqueur, il approuva 
son projet de pauvreté volontaire et l’autorisa, ainsi que ses com¬ 
pagnons, à annoncer la parole de Dieu, si les prêtres le lui deman¬ 
daient 3 . Valdez et les siens étaient laïques. C’est la première 
requête de ce genre adressée au Saint-Siège. Les prêtres ne s’en 
souciaient guère; car ce piétisme laïque était, par son zèle aposto¬ 
lique, une condamnation publique de leur coupable inertie. 

Ces Pauvres Catholiques, comme on les appelait, n’eurent 
point assez de souplesse et vinrent se butter à la hiérarchie divine 
de l’Église. Ils s’y brisèrent et ne furent plus que des sectaires 
en révolte, dont les doctrines étaient perverties comme leurs mœurs. 
Sincères dans le principe, ils voulurent, comme tant d’autres, 
réformer l’Église sans l’Église, oubliant que des laïques, même 
animés des plus saintes intentions, n’ont aucune mission en dehors 
de l’Église. 

Vers la même époque s’établissaient dans la Haute-Italie les 
Pauvres de Lombardie, ou Frères Humiliés : Fraternité de péni- 


1 On peut lire, entre autres, le Bonum universale de Apibus, de Thomas de 
Cantimpré. Les Actes des Conciles généraux et provinciaux sont encore plus 
décisifs. 

* Lecoy de la Marche, Anecdotes d'Étienne de Bourbon, p. 292; Paris, 1877. 

3 « Valdesium amplexatus est Papa, approbaus votuin quod fecerat voluntariæ 
paupertatis; inhibens eidein ut vel ipse aut socii sui prædicationis oflicium præsu- 
înercnt, nisi rogantibus sacerdotibus. Quod præceptuni modico tempore observave- 
runt : unde ex tune facti inobedientes inultis fuerunt in scandalum et sibi in rui¬ 
nait!.»> (Anonyntus Laudunensis, Becueil des Historiens des Gaules, XIII.G82.— Monutn. 
Germ. Uistor., XXVI, 4*9.) 


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CHAPITRE III 


223 


tence, toute laïque également dans son commencement. Elle eut 
une origine assez curieuse. 

On sait que l’Empereur Frédéric I er , toujours en lutte contre le 
Saint-Siège, guerroyait sans cesse en Lombardie pour réduire ces 
populations et les lier à sa cause. Dans une de ses expéditions, il 
fit prisonniers quelques citoyens lombards, qu’il emmena comme 
otages en Allemagne. Touchés de la grâce de Dieu, ils profitèrent 
de cette adversité et résolurent de mener une vie pénitente. Vêtus 
d’un habit très pauvre, ils pratiquaient ensemble des observances 
assez rudes. L’Empereur en fut averti. Il les fit venir en sa pré¬ 
sence et brusquement leur dit : « Vous voici maintenant humi¬ 
liés! » Mis en liberté, ils retournèrent dans leur patrie, bien déci¬ 
dés toutefois à continuer leur vie de pénitence. C’est ce qu’ils 
firent. Rentrés dans leur famille, ils maintinrent leur costume de 
mendiants, ce bonnet spécial qui leur fit donner en Allemagne le 
nom de Berretins de la pénitence et le titre impérial d'Humiliés. Le 
peuple les désigna plutôt sous celui de Pauvres de Lombardie. 

Débuts excellents, comme on le voit, puisque ces Humiliés 
voulaient pratiquer la pénitence évangélique. Leur zèle alla plus 
loin aussi. Quoique laïques, mariés même, ils aspirèrent à l’apos¬ 
tolat. L’expérience des Vaudois , toute fraîche encore , détermina 
le Pape Lucius III à être inflexible. Ce ministère leur fut interdit, 
sous peine d’excommunication. Une fois de plus, le pouvoir hié¬ 
rarchique imposait sa volonté. Ces pieux laïques la bravèrent. Ils 
prêchèrent malgré le Pape, malgré les évêques, et, comme les 
Vaudois, de pénitents sincères ils devinrent des hérétiques*. 

Cette excommunication est de 1184*. 

Cependant, en 1201, un groupe assez important de ces Humi¬ 
liés, réconcilié avec l’Église, obtint d’innocent III la faculté de 
prêcher au peuple sur la pratique des bonnes mœurs et des 
œuvres de piété, réserve faite des articles de foi et des sacre¬ 
ments, dont il leur était défendu de parler, c’est-à-dire la théolo¬ 
gie 3 . Ces braves gens, simples d’étude, pouvaient faire de pieuses 
exhortations, encourager au bien, rien de plus. Le domaine des 
choses de la foi leur restait fermé. 

L’Église romaine , qui ne les voyait pas d’un mauvais œil, les 
poussa insensiblement à se transformer en Ordre religieux pro- 

1 « Hii accedentes ad Papam pctierunt hoc eorum prepositum confirmari. Quibus 
Papa concessit ut omnia eorum in humilitatc fierint et honestate, sed ne conventi- 
cula ab eis lièrent signanter interdixit, et ne in publie» predicare présumèrent dis- 
tricte inliibuit. Ipsi vero mandatum apostolicum contemnentes, facti inobedientes, 
se ob id excomniuuicari permiserunt. >» ( Monum . Germ. Histor., XXVI, 449.) 

* Tiraboschi, Vetera Humiliaiorum monum., II, p. 133. 

3 Cette formule : de articulis fidei et sacramentis ecclesie, était classique au 
moyen âge pour signifier le cours complet de théologie. Cf. Denifle, Archiv. fiir 
Litteratur und Kirchenyeschichte, I, 419. 


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224 


MUNIO DE ZAMORA 


prement dit. C’était pour elle une garantie. Elle fît entrer une 
partie d’entre eux dans la hiérarchie sacerdotale, dont les devoirs 
exigent une science plus élevée, et qui permet à ses membres le 
ministère apostolique. Ce fut même sur les Humiliés que fut tenté 
le premier essai de cette politique religieuse que le Saint-Siège 
continuera fructueusement dans la suite. Mais la Fraternité laïque 
n'est pas détruite , n’est même pas absorbée par l’élément ecclé¬ 
siastique. Le Pape procède par voie de segmentation. Il crée des 
Humiliés ecclésiastiques, religieux suivant leur règle en clôture, 
et laisse subsister en dehors, mais sous la dépendance des clercs, 
la Fraternité laïque primitive, le Tertius Ordo i 2 y comme il est dit 
pour la première fois*. 

On assiste, dans cette bulle 3 , à la formation d’un Tiers Ordre 
primitif. Ce n’est pas la Fraternité laïque qui procède d’un Ordre 
religieux, mais bien, à l’inverse, l'Ordre religieux clérical qui sort 
de la Fraternité laïque. Celle-ci précède celui-là et n’aboutit à lui 
que par une impulsion autoritaire de la Papauté, toujours en 
défiance, — et non sans raison, — vis-à-vis du laïcisme dévot. 

Nous allons voir la même œuvre, reprise sur un plan plus vaste 
et avec des éléments autrement précieux, produire le même résul¬ 
tat. Ce que les Pauvres Catholiques de Lyon n’ont pu faire, ce 
que les Humiliés n’ont fait qu’en partie, François d’Assise va le 
réaliser dans sa plénitude. Il arrive précisément à l’époque où se 
fonde par segmentation le Tiers Ordre des Humiliés. Il est poussé 
lui aussi par cet esprit de pénitence qui, avivé par les désordres 
des clercs et le relâchement des moines, tend à se substituer aux 
uns et aux autres. La pénitence 4 ! C’est le premier cri du Pauvre 
d’Assise à ses compatriotes, ce qu’il veut pour lui, ce qu’il dit à 
tout venant 5 . Vêtu d’une tunique grossière, une corde autour des 
reins, les pieds nus, François parcourt les rues d’Assise, les val- 

1 Les Templiers avaient une sorte de Tiers Ordre, depuis leur approbation. Il 
est dit, dans leur règle approuvée au concile de Troycs, en 1128 : « De Conjugatis. 
Fratres autem conjugatos hoc modo vobis habere permittimus ut si fraternitatis 
vestræ beneficium et participationcm unanimiter pctunt, utcrquc substantie sue por- 
tionein et quidquid amplius acquisiverint unitati communis capituli post mortem 
concédant et intérim honestam vitam cxerceant et bonuin agere fratribus studeant, 
sed veste candida et chlamide alba non incedant... » (Régula Comilitonum Christi, 
ex Cod. Monaccnsi [ Konigl . Hof. und Staatsbihiolhek] , publiée dans Uistorische 
Jahrbuch de Munich, vol. VIII, 4 e livraison, 1887.) 

2 Tiraboschi, Vetera Humiliatorum monum., Milan, 1766-17G8, II, p. 144.— Cf. MCil¬ 
ler, Die Waldenser und ihre einzelnen Gruppen, Gotha, 1886, p. 58 et ss. — Man- 
donnet, les Origines de VOrdo de Pœnitentia, p. 3. Fribourg, 1898. 

3 Tiraboschi, Ibid. 

4 « Anno Domini 1207 Franciscus... in habitu hercmitico modum penitencie est 
agressus. » (Anal. Franciscana, I, p. 2.) 

5 « Cœpit instinctu divino evangelicæ perfectionis annunciator existere, pœni- 
tentiamque simpliciter in publicum prædicare. » (Légende des « Très Socii *>, Acta SS., 
11 Octobr., p. 730 et ss.) 


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CHAPITRE III 


225 


lées de l’Ombrie ; quoique laïque, il prêche. On se groupe autour 
de lui; on l’écoute; plusieurs en rient, d’autres sont émus, 
s’habillent comme lui, le suivent et prêchent avec lui. Mais, ni 
chez François, ni chez ses disciples rustiques, aucune animosité 
contre la hiérarchie ecclésiastique, aucune marque de mésestime. 
Loin de là, le Pauvre du Christ se soumet d’abord à son évêque; 
c’est à lui qu’il confie son projet de pénitence; c’est lui qui le 
revêt de ce sac misérable, symbole énergique de son dépouille¬ 
ment absolu. Et dans ses pieuses exhortations au peuple, François 
recommandait souvent le respect des prêtres. 11 était en dehors 
de la hiérarchie sacerdotale, non contre elle. Comme il était plein 
de l’Esprit de Dieu, il avait pour l’Église, organe officiel et visible 
de cet Esprit, l’amour le plus profond et la soumission la plus 
absolue. C’était, selon la liturgie, un homme catholique (vir 
catholicus *). 

Cette note le différencie complètement des précurseurs de sa vie 
pénitente, Vaudois et Humiliés. 

« Qui êtes-vous ? demandait-on à ses premiers disciples, en les 
voyant accoutrés si pauvrement; qui êtes-vous pour prêcher, 
quoique laïques? — Nous sommes, répondaient - ils, les hommes 
de la Pénitence d’Assise 2 . » François leur avait donné son pro¬ 
gramme : « Allons par le monde et prêchons la pénitence plus 
par nos exemples que par nos paroles 3 . » 

Ce qu’il fondait, en 1207, c’était une vaste Fraternité de péni¬ 
tence comprenant les hommes et les femmes, les clercs et les 
laïques, sans distinction d’état ou de situation. 11 ne s’agissait 
point encore d’un Ordre religieux proprement dit. « A cette 
époque, disent les Trois Compagnons, la religion des Frères 
n’était pas un Ordre 4 . » C’est sous ce titre d 'Hommes de la Péni¬ 
tence que François et ses douze compagnons se présentèrent à 
Innocent III, en 1210, pour obtenir la confirmation officielle de 
leur genre de vie. Ils ne demandent pas au Pape l’institution d’un 
Ordre religieux; ils le prient d’approuver leur mode de pénitence 
personnelle et de leur accorder de la prêcher autour d’eux. Inno¬ 
cent, séduit sans doute par la sainteté extraordinaire de l’homme 
de Dieu, donna cette double approbation, mais avec cette réserve, 
qui était alors la règle ordinaire du Saint-Siège, que cette prédi¬ 
cation serait limitée à la pénitence seule. Déjà les Humiliés l’avaient 


1 « Franciscus, vir catholicus et totus apostolicus, Ecclesiæ teneri fidcm romance 
docuit, presbyterosque monuit præ cunctis revereri. » (Antienne des I w » Vêpres 
de l'office de saint François, Brev. Dominicain.) 

* « Conütebantur quod erant viri pœnitentiales de civitate Assisii oriundi. » 
(Légende des Très Socii, Acta SS., II Octobr., p. 585.) 

3 Ibid., p. 733. 

■* « Adhuc enim Religio fratrum non nominabatur Ordo. » (Ibid., p. 585.) 

II. — 15 


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MUNIO DE ZAMORA 


reçue dans ces memes conditions. « Frères, leur dit-il, allez avec 
le Seigneur, prêchez la pénitence à tout le monde 1 . » De plus, 
par une confiance toute spéciale en François, le Pape le délègue 
pour choisir et autoriser lui-même ces prédicateurs laïques 1 ; non 
toutefois sans s'efforcer de les rattacher par un lien officiel à la 
hiérarchie ecclésiastique. Il leur impose la tonsure cléricale 3 . Mais 
François ne distinguait ni clercs ni laïques pour sa prédication. 
Celui qui avait l'Esprit de Dieu, qui était doué d’une certaine élo¬ 
quence, était désigné pour prêcher, laïque ou non 4 . La Fraternité 
des pénitents demeurait telle que l’avait conçue le bienheureux 
Patriarche, aux premiers jours de sa conversion. Il pratiquait à la 
lettre, en le spécialisant à la pénitence, ce que disait saint Paul 
du christianisme en général : « Il n y a plus ni hommes ni femmes, 
ni circoncis ni incirconcis, ni esclaves ni libres, il n’y a que des 
pénitents. Omnibus tribuebat normam vilæ, dit la légende de 
Thomas de Celano 5 , et Jean de Ceperano : Omnibus vivendi regu - 
lam tribuit 6 . Les Trois Compagnons affirment de même que les 
hommes mariés, les vierges et les veuves suivaient les enseigne¬ 
ments de François et conformaient leur vie à la sienne 7 . Saint 
Bonaventure écrit : « Beaucoup de fidèles de l’un et l’autre sexe 
engagés dans les liens du mariage, entraînés par la ferveur de la 
prédication de François, s’astreignaient à la forme de vie pénitente 
qu’il proposait 8 . » Nous savons qu'en 1212, une compatriote de 
François, sainte Claire, éprise de cette pénitence, se mit sous sa 
direction et lui attira les prémices des Pauvres Dames. Dans son 
testament, sainte Claire déclare nettement les origines de sa voca¬ 
tion : « Le Père céleste daigna éclairer mon cœur et me porter, 
par l’exemple et la doctrine du bienheureux Père François, à faire 
pénitence 9 . » 

Au début, et pendant de longues années, de 1207 à 1220, 
l’œuvre de saint François fut donc uniquement une œuvre de péni¬ 
tence universelle. 

Aussi la règle primitive qui régissait cette Fraternité complexe 
avait une souplesse capable de tout embrasser. Il suffit d’en 

1 « Itc cum Domino, fratres, et sicut ipse vobis inspirarc dignabitur, omnibus 
pœnitentiam predicate. *> ( Légende des Très Socii, Acta SS., II Octobr., p. 736.) 

2 Ibid., p. 737. 

3 « Datisquc lonsuris bcato Francisco et aliis Fratribus. » (Ibid.) 

* « Quicumquc ex ipsis spirilum Dci habebat, et cloquentiam idoneam ad pra?di- 
candum, sive clericus, sive laïeus esset, dabat ei iicentiam prædicandi. » (Ibid., 
p. 738.) 

c Acta SS., Il Octobr., p. 694. 

6 Ibid., p. 593. 

7 Ibid., p. 737. 

8 Ibid., p. 751. Cf. Millier, Die Anfihuje des Minoriténordens and des Bussbrn - 
derschaften. Fribourg, 18S5. 

» Acta SS., II Aug., p. 747. 


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CHAPITRE III 


227 


parcourir les chapitres 1 , très courts, du reste, pour s'en con¬ 
vaincre. 

« Telle qu’elle était alors, dit le Père Mandonnet dans sa remar¬ 
quable étude sur les origines de ÏOrdo de Pœnitcntia, elle était 
applicable à toutes les catégories de personnes, et l’accession à la 
Fraternité n’impliquait, en aucune manière, un groupement ana¬ 
logue à celui d’un couvent. Au contraire, les Frères demeurent 
plus ou moins dispersés par le monde, et la règle prévoit, comme 
le cas général, celui où les Frères sont en service, ou engagés 
pour travailler chez des étrangers. Elle ordonne en outre que cha¬ 
cun, après son admission dans la Fraternité, demeure dans l’exer¬ 
cice de son état et dans son office. La vie de Frère Ægidius, le 
troisième compagnon de François, nous met sous les yeux le 
tableau vivant de cette première forme de vie franciscaine ; il est 
comme la traduction littérale de cette prescription de la règle 4 . 
Ainsi, non seulement la règle primitive était applicable aux per¬ 
sonnes vivant dans le monde, mais elle suppose encore que ceux 
qui l’embrassent restent communément dans leur condition sociale 
antérieure 3 . » 

C’est ce qui explique son extraordinaire diffusion. Pouvant faire 
pénitence chez soi, sans quitter son travail, ses obligations de 
famille, en s’astreignant seulement à certaines pratiques d’austé¬ 
rité, à un vêtement commun qui servait de signe extérieur de ral¬ 
liement, on se livrait en masse aux saintes influences de François 
et de ses disciples. De supérieur proprement dit, il n’y en avait 
point. Tout dépendait du saint Fondateur, dont l’action ne pouvait 
être que transitoire, au moment où il passait, pour ses pré¬ 
dications, dans les lieux habités par ses nombreux enfants. On 
se réunissait une fois par an, quelquefois deux, autour de la 
Madone de la Portioncule, souveraine reconnue et aimée des 
Frères. Là, François s’efforçait de resserrer, par ses exhorta¬ 
tions et son contact personnel, les liens un peu lâches qui grou¬ 
paient sa famille. C’était tout ; chacun se dispersait au loin, 
emportant dans son cœur la parole de l’homme de Dieu comme 
règle de vie. 

Pareil état ne pouvait continuer. N’y avait-il pas un danger 
sérieux à laisser libres de tout contrôle des laïques moitié religieux, 
réformateurs des mœurs, portés par là même, sans science suffi¬ 
sante, à censurer de haut les abus qu’ils trouvaient à côté d’eux et 
souvent au-dessus d’eux? De la réforme des mœurs aux agitations 
dogmatiques la distance est courte. Les Vaudois l’avaient rapidement 


1 S. Francisci Opéra, p. 54. Ed. Von dcr Burg. Cologne, 1849. 
* Acta SS., III April., p. 218. — Anal. Franciscana, III, p. 7i. 
a Mandonnet, les Origines de VOrdo de Pœnitentia, p. 23. 


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MUNIO DE ZAMORÀ 


franchie, quelques Humiliés de même. On pouvait, non sans rai¬ 
son, le redouter une troisième fois. Mais l’Église veillait avec une 
sollicitude maternelle sur l’œuvre de François. 

Il avait admis dans son immense Fraternité pénitentielle des 
clercs comme des laïques. Plus éclairés, plus habitués à la direc¬ 
tion des âmes, ces clercs furent les instruments dont le Saint- 
Siège se servit pour orienter la Pénitence franciscaine vers le but 
qu’il se proposait. « Allez prêcher la pénitence par le monde, 
avait dit Innocent III au bienheureux Patriarche. Lorsque le Dieu 
tout-puissant vous aura fait croître en nombre et en grâce, faites- 
le-nous savoir..., et nous vous accorderons quelque chose de 
mieux 1 . » Innocent était mort; mais son successeur, Honorius III, 
héritant de sa bienveillance pour François et continuant la poli¬ 
tique religieuse de ses prédécesseurs, crut que l’heure était venue 
de commencer l’organisation de son Ordre. On était en 1219. 
François partait pour son pèlerinage en Terre Sainte. Il laissait à 
la Cour romaine un ami dévoué qui nous est déjà connu, le car¬ 
dinal Hugolin, l’ami, à égal degré, de saint Dominique. Pendant 
son absence, ce cardinal, qui voyait les inconvénients de plus en 
plus notoires et de plus en plus dangereux d’une Fraternité uni¬ 
verselle de pénitence abandonnée à la dérive et pouvant servir 
de refuge aux pires sectaires, institua, d’accord avec le Pape, 
des supérieurs locaux, qui furent appelés Ministres *. On les 
choisit parmi l’élément clérical, de sorte que les hommes les 
plus instruits avaient, de ce chef, une direction prépondérante. 
C’était un premier pas. On en fit vite un second, comme si 
on eût voulu brusquer l’affaire et la terminer avant le retour de 
François. 

En effet, dans le courant de cette même année 1249, Hugolin 
réunit en monastère un certain nombre des Pauvres Dames : 
sainte Claire leur est donnée comme abbesse à Saint-Damien 3 . 
C'est le premier groupe conventuel, qui débute par les femmes. 
Puis, quelques mois après, toujours en l’absence du saint Fonda¬ 
teur, l'élément masculin est divisé. Le cardinal fait une sélection. 
Il groupe en couvents les Frères qui peuvent aspirer à la clérica- 
ture ou qui, dégagés des liens du mariage, désirent vivre en reli¬ 
gieux, sous une règle plus stricte 4 . C’était, comme pour les Humi¬ 
liés, le procédé de segmentation. Une partie des Frères de la Péni¬ 
tence se transformant en Ordre religieux, l’autre partie demeurait 

* Légende des Très Socii, Acta SS., II Oclobr., p. 736. 

2 Ibid., p. 739. — Müller, Die An fange, p. 58. 

3 Acta SS., II Au g., p. 742. 

* La bulle d’IIonorius III du 22 septembre 1220, exigeant une année de noviciat 
pour l'admission à l’Ordre des Mineurs, consomme l’œuvre séparatiste d’IIugolin. 
(Wadding, Annal. Minorum, ad ann. 1220.) 


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CHAPITRE III 


229 


dans le monde et ne formait plus qu’un rameau distinct : la Fra¬ 
ternité séculière, le Tiers Ordre. Aux Conventuels ou Frères 
Mineurs, on donna la règle primitive modifiée et complétée selon 
les exigences de leur nouvelle vie ; aux Pénitents séculiers, on la 
laissa telle quelle, jusqu’en 1221. Telle est l’origine du Tiers Ordre 
franciscain. Il vient tout entier de saint François, et cependant 
n’a pas été fondé par lui en tant que rameau séparé, inférieur, du 
tronc primitif. Il procède de lui, sans lui, puisqu’il était en Terre 
Sainte pendant cette organisation; même malgré lui, car à son 
retour, vers la fin de 1220, il manifesta son déplaisir. 

Pendant que les Humiliés et les Franciscains organisaient en 
Italie, par le même procédé de segmentation et sous l’impulsion 
autoritaire du Saint-Siège, leurs Fraternités séculières de pénitents, 
saint Dominique fondait en Languedoc l’Ordre des Frères Prê¬ 
cheurs. Sa méthode est toute différente. Ce n’est point une Frater¬ 
nité laïque de pénitents qu’il institue. Chanoine d’Osma, Maître en 
doctrine, l'homme de Dieu fait entrer son œuvre de plain-pied 
dans la cléricatüre. Il greffe son Ordre sur l’ancien tronc canonial, 
et s’il admet des laïques parmi ses membres, c’est à titre infé¬ 
rieur. Son œuvre est essentiellement ecclésiastique. Il procède 
aussi avec plus de sagesse administrative. Les éléments qu’il réu¬ 
nit autour de sa personne sont rapidement organisés, reliés entre 
eux par la règle de saint Augustin d’abord et des constitutions 
qui s’élaborent au jour le jour. On sent à la tête de l’entreprise 
un chef éclairé, habitué à la direction des âmes. De cet ensemble 
de faits qui constituent l’origine des Prêcheurs, on peut conclure 
immédiatement, sans crainte d’erreur, que la fondation du Tiers 
Ordre de Saint-Dominique n’a pas suivi la même marche que celle 
des Humiliés et des Mineurs. Ici la segmentation ne peut se pro¬ 
duire et n’a aucune raison d’être, puisque tous les éléments de 
l’Ordre sont réunis, dans le principe, dès la première heure, sous 
une règle cléricale. La Fraternité de la Pénitence dominicaine 
n’est donc pas un débris du grand Ordre, une partie violemment 
séparée du tout primitif. 

Il faut chercher ailleurs son mode de formation. 

La fondation des Prêcheurs, toute cléricale, était, comme je 
viens de l’insinuer, une réaction contre le piétisme laïque. Elle 
présentait aux âmes pieuses l’Évangile intégral : la hiérarchie 
sacerdotale, l’esprit apostolique et la pauvreté. Ce que les laïques, 
comme les Vaudois, les Humiliés, et même, à l’origine, les Péni¬ 
tents de saint François, proposaient pour la réforme de l’Église : 
la pauvreté, la prédication populaire, saint Dominique le prenait 
dans toute son ampleur, en y ajoutant, comme garantie pour la foi, 
le lien officiel de la hiérarchie catholique. Les âmes droites, 


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MUNIO DE ZAMORA 


éprises de la perfection évangélique et désireuses de la trouver 
dans l’union nécessaire avec l'Eglise, pouvaient donc, avec les 
Prêcheurs et sous leur direction, pratiquer elles-mêmes les lois 
évangéliques et les faire aimer autour d’elles. Tout en suivant le 
mouvement de réforme qui poussait les laïques à la pauvreté et à 
la pénitence, elles étaient sûres de marcher avec l’Église, puisque 
leurs guides faisaient partie de l’Église, du corps sacerdotal. 
C’était une grande sécurité. 

Aussi, partout où s’établit un couvent de Prêcheurs, il eut 
autour de lui sa clientèle d’amis, de fidèles, de dirigés. On prenait 
les Frères comme directeurs de conscience; on suivait leurs offices 
religieux; on se pénétrait de leurs principes spirituels. De là, à 
les imiter dans le vêtement et la manière de vivre, il n’y avait 
qu’un pas. Et comme, à cette époque, le désir de l’association, 
de la confraternité, possédait toutes les classes de la société, on 
s’unissait de soi-même pour prier, faire pénitence, servir Dieu, 
comme on s’unissait en corporations de métiers. De sorte que les 
couvents de Prêcheurs eurent autour d’eux, même sans le vou¬ 
loir , sans le rechercher, toute une famille de frères et de sœurs, 
vivant comme eux. C’est la marche humaine, naturelle des choses, 
j’allais dire fatale. C’est aussi, à mon humble avis, l’origine du 
Tiers Ordre de Saint-Dominique. Il s’est fondé de lui-même, par 
mode d'assimilation. 

Est-ce à dire que le saint Patriarche et ses fils n’y ont contri¬ 
bué en aucune manière? 

L’affirmer serait bien méconnaître tout à la fois leur sagesse et 
leur sens apostolique. 

Aucun document ne dit que saint Dominique ait eu l’idée de 
former, à côté de sa famille religieuse du dedans, une autre famille, 
en dehors, dépendante de la première ; qu’il en ait conçu le plan, 
organisé le fonctionnement. Le Tiers Ordre n’est pas sorti de sa 
tête comme un projet longuement mûri avec toutes ses pratiques 
et toutes ses conséquences. La raison en est très simple, c’est que, 
en réalité, il n’y avait pas à le fonder. La Fraternité de Pénitence, 
ou, pour employer le terme juridique du temps, VOrdo de Pceni - 
tentia existait, se développait, agissait dans l’Église, à l’époque 
où le saint Patriarche fondait, à Toulouse, le premier couvent de 
son Ordre*. En 1221, alors que les maisons dominicaines s’étaient 
considérablement multipliées, VOrdo de Pœnitentia avait une orga¬ 
nisation complète. 

Il est indiscutable qu’il doit son origine à saint François 
d’Assise. Nous avons dit plus haut comment l’homme de Dieu, 
au début de son apostolat, avait formé cette société de pénitence. 
Mais de ce que VOrdo de Pœnitentia vient de saint François, 


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CHAPITRE III 


231 


comme de sa source primitive, il ne s’ensuit pas qu’il fasse par¬ 
tie essentielle de l’Ordre franciscain 1 . La Pénitence dépassait la 
famille des Mineurs. Une fois l’idée de cette vie religieuse à domi¬ 
cile, chez soi, répandue dans l’Eglise par François, elle germa 
de tous côtés, sans se préoccuper de rester dans le champ des 
Mineurs. 

Il y eut des Pénitences de tout genre : la Pénitence de la 
bienheureuse Marie - Madeleine, fondée à peu près simultanément 
en France et en Allemagne (1225), qui ne comptait que des 
femmes; la Pénitence de Jésus-Christ, ou les Frères du Sac, 
fondée à l’époque du premier concile de Lyon (1215); la Pénitence 
de Saint-François, le vrai Tiers Ordre franciscain, plus restreint 
que YOrdo de Pœnitentia, dont il devient une espèce; la Pénitence 
de Saint-Dominique, partie également similaire de YOrdo de Pœni¬ 
tentia . 

L ’Ordo de Pœnitentia est un genre; les Ordo de Pœnitentia de 
tel ou tel titre, de tel ou tel saint, sont des espèces. Tous sont des 
branches du tronc primitif, de la souche mère qui fut la prédica¬ 
tion de saint François à ses débuts, avant la fondation définitive 
de son Ordre. 

Aussi le bienheureux Humbert de Romans, qui voyait agir 
sous ses yeux les Fraternités de Pénitence, alors très développées 
sous les dénominations les plus diverses, ne s’occupe pas de ces 
titres spéciaux; il fait un modèle de sermon non pas pour YOrdo 
de Pœnitentia de Saint-François, ou de Sainte-Madeleine, ou de 
Jésus-Christ, ou de Saint-Dominique, mais uniquement pour les 


1 Cela est si vrai, que YOrdo de Pœnitentia fut, pendant de longues années, 
entièrement distinct de l'Ordre des Mineurs, entièrement autonome, sans aucune 
dépendance juridique. C’était une suite des divisions occasionnées par la transfor¬ 
mation de l’œuvre de saint François en Ordre religieux conventuel. 

Je cite le Père Mandonnet, dont les études sur cette matière sont extrêmement 
intéressantes : « Quand un esprit conservateur du premier état de choses prévaut, 
les Pénitents entrent dans l’orbite d’influence des Frères Mineurs; quand l’esprit 
progressiste et ecclésiastique triomphe, ils en sortent de nouveau... 

« En conséquence de ce phénomène, les Pénitents sont en dépendance étroite des 
Mineurs depuis leur formation, avant 1212, jusqu’en 1221, date de l'avènement 
de Frère Hélie à l’administration générale de l’Ordre. De 1221 à 1228, durée du 
gouvernement d'IIélie, ils sont séparés et constituent un territoire neutre. Le 
gouvernement de Jean Parenti, favorable à l’esprit primitif, ramène les Pénitents 
de 1228 à 1231, dans la zone d’influence des Mineurs. De 123» à 1217, sous le nou¬ 
veau régime d'IIélie et celui de scs successeurs du parti conventuel, YOrdo de 
Pœnitentia est séparé. L’accession au pouvoir du mystique Jean de Parme, en 1247, 
ramène les Pénitents aux Mineurs jusqu’en 1257, année de sa déposition. Avec le 
régime modéré mais pourtant réactionnaire de saint Bonaventure, les Pénitents 
sont laissés à eux-mêmes, depuis 1257, et cette situation se prolonge jusqu'au 
moment où Nicolas IV, ancien Ministre Général des Mineurs, cherche à les repla¬ 
cer sous le gouvernement de ces derniers, en 1289, dans des circonstances et pour 
des motifs d’un Ordre nouveau... » (Mandonnet, les Règles et le gouverne¬ 
ment de VOrdo de Pœnitentia au xm c siècle, l rc partie, p. 126. Paris, Fisclibachcr, 
1902.) 


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MUNIO DE ZAMORÀ 


Frères de la Pénitence , quelque nom qu'ils portent, à quelque 
Ordre qu'ils se rattachent : Sermo ad Fratres de Pœnitentia. « Dieu, 
dit-il, ne veut pas la mort du pécheur; il lui donne le lieu et le 
temps de la pénitence. Il y en a qui prétendent ne pouvoir faire 
pénitence dans le monde et qui ne veulent pas entrer dans le 
cloître, soit parce qu'ils en redoutent les rigueurs, soit parce qu’ils 
sont mariés. La Providence est venue à leur secours et leur enlève 
toute excuse. Elle a, en effet, établi au milieu du monde un cer¬ 
tain moyen de faire pénitence qui est approuvé par le Saint- 
Siège, qui est enrichi par lui de grâces et d’indulgences. C'est ce 
moyen que pratiquent ceux que nous appelons les Frères de la 
Pénitence . 

« Quoique mariés, quoique vivant en plein monde pervers, ils 
évitent le péché ; ils fuient les situations qui sont causes de péché; 
ils portent, en signe extérieur de pénitence, un vêtement humble; 
ils pratiquent certaines observances conformes à leur état de péni¬ 
tents. Beaucoup d’hommes et de femmes, même du plus haut 
rang, surtout en Italie, ont embrassé ce genre de vie 1 . » 

On voit que le bienheureux Humbert ne distingue en aucune 
manière les groupes de Pénitents. Il ne fait allusion ni à une 
Fraternité franciscaine, ni à une Fraternité dominicaine : l’une et 
l'autre faisaient partie intégrante de YOrdo de Pœnitentia. La 
Pénitence de Saint-Dominique n'eut donc pas besoin d'être créée, 
instituée comme une nouveauté par saint Dominique lui-même 
Elle naquit spontanément du mouvement laïque pénitentiel qui 
emportait les âmes vers Notre-Seigneur Jésus-Christ. Rameau 
vigoureux de YOrdo de Pœnitentia } elle se fit Pénitence de Saint- 
Dominique en se plaçant sous l'ombre des couvents dominicains, 
sous la direction des Frères, en imitant leur genre de vie, en 
s'inspirant de leur esprit. Et je ne crois pas être téméraire en 
disant qu’à peine saint Dominique eût fondé une maison, il y eut 
à côté une Fraternité de Pénitence dominicaine, c’est-à-dire des 
âmes pieuses groupées autour de lui pour faire la pénitence comme 
lui et les siens. C’est en ce sens que l’on peut dire que le Tiers 


1 « Dédit ei Iocum pœnitentiæ... quia vero multi sunt qui dicunt quod non pos- 
sunt in seculo pœnitentiam agerc, nec religiones nolunt intrare quia non possunl 
sustinere proptcr continentiam, aut non possunt sustinere propter matrimonia, 
ccce providentia divina ad tollendam hujusmodi cxcusationem ordinavit ut essct 
in medio mundi quidam modus facicndi pœnitentiam, qui approbatus est a Domino 
Papa, et multis gratiis et privilegiis insignitus, quem assumunt fratres hi qui 
dicuntur de Pœnitentia ; qui licet uxores habere possint, et in medio pravæ et pcr- 
versæ nationis commorcntur, tamen cavent a peccatis, et ab officiis quibus sunt 
annexa peccata, et habitum huniilem in signum pœnitentiæ deferunt, habentcs certa 
statuta statui pœnitentiæ competentia... et multi magni genere tam viri quant 
niulieres, maxime in Italiæ partibus, hujusmodi statum vivendi assumpserunt. » 
(Sermones B. Ifumherti, p. 38. Venise, 1603.) 


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CHAPITRE III 


233 


Ordre remonte à saint Dominique. Il suffit de réfléchir à la marche 
naturelle des choses pour en être convaincu. 

La Pénitence de Saint-Dominique se rattache ainsi par simili¬ 
tude, comme toutes ou à peu près toutes les Fraternités de Péni¬ 
tence du moyen âge, à la Pénitence primitive de saint François, 
celle qu'il fonda d’abord, avant qu’il en sortît un Ordre religieux 
de Mineurs et un Tiers Ordre franciscain, dépendant de cet 
Ordre. 

Les Prêcheurs ne purent rester indifférents à ce mouvement 
pénitentiel qui leur amenait une nombreuse clientèle. C’était, 
pour eux, le moyen le plus facile de faire du bien dans le milieu 
où ils se trouvaient, de s’attacher les dévouements les plus abso¬ 
lus, de se créer des ressources matérielles abondantes. Toutes rai¬ 
sons légitimes d’influence dont leur zèle et leur sagesse ne se 
désintéressaient point 1 . 

La règle universelle qui régissait, au moins dans les choses prin¬ 
cipales, toutes les Fraternités de Pénitence, quelque nom qu’elles 
portassent et quels que fussent les caractères distinctifs de leurs 
divers rameaux, fut établie en 1221. Jusque-là, les groupes de Péni¬ 
tents suivaient les prescriptions qui leur avaient été faites de vive 
voix par saint François. Dans son Liber de laudibus Beati Fran¬ 
cisco Bernard de Besse écrit : « Pour la rédaction des règles et la 
forme de vie de ces Frères, le Seigneur Pape Grégoire, de sainte 
mémoire, alors constitué en moindre dignité et lié d’intime fami- 

1 « Parmi les Frères et Sœurs de la Pénitence ou Tiers Ordre de Saint-Domi¬ 
nique, il faut nommer à cette époque, avant et après la règle de Maître Munio, 
quelques saints personnages. 

La première tertiaire, au sens large du mot, selon la tradition de Bohème, serait 
la bienheureuse Zdislava. Née au commencement du xm e siècle, à Gablona, au 
diocèse de Lemberg, en Bohème, de famille très noble, elle se maria au puissant 
seigneur de Lemberg. Très pieuse, très fervente, elle s’attacha aux Prêcheurs, nou¬ 
vellement arrivés dans son pays. Saint Hyacinthe la confia à son frère le bienheu¬ 
reux Ceslas, qui lui donna l’habit de l’Ordre. Elle s’efforçait de suivre en tout le 
genre de vie des Frères, se faisait servir la même nourriture, assistait à leurs offices. 
C’est elle qui bâtit leur église, dédiée à Saint-Laurent, à Gablona. Elle mourut en 
1252. Sa mémoire vit toujours en Bohême, et la cause de sa béatification est intro¬ 
duite en cour de Rome. 

Cette sainte femme est bien le type des premières tertiaires de l’Ordre. 
(Cf. Fr. Raphaël Delaminetz, O. P., Paradisus consociatorum Tetralogiæ Mys - 
ticæ, 1667. — D. M. Marchcse, Il sagro Diario Domenicano, 1668. — Gcorgius Cru- 
gicrus, S. J., Sacerrimæ mémorisé inclyli regni Bohemise Coronæ, 1670. — Bohus- 
laus Rabbinus, S. J., Miscellanea hislorica regni Bohemiæ Decadis Iliber Sanctor. 
et Beator. Bohemiæ , Moraviæ, Silesiæ, Lusatiæ, tam eos qui publicis fastis aul 
ipso immemorahilis temporis decursu in censum Divorum veneruni, 1682. Très 
important comme recueil de documents sur la bienheureuse Zdislava.) 

Le bienheureux Albert de Bergame, mort en 1279; la bienheureuse Benvenuta 
Bojani, morte en 1292; la bienheureuse Marguerite de Castcllo, morte en 1320, 
représentent cette partie de la famille dominicaine soumise à la règle de la Pénitence 
de Saint-Dominique à domicile. 

On peut y ajouter la bienheureuse Christine de Stumbelc, la fille spirituelle de 
Fr. Pierre de Dacie, dont les relations avec l’Ordre étaient si intimes. 


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MUNIO DE ZAMORA 


liarité avec le bienheureux François, suppléait dévotement à ce 
qui manquait à ce saint homme dans la science de la composi¬ 
tion 1 . » 

Cette règle primitive vient donc de saint François et du cardi¬ 
nal Hugolin. Inconnue jusque dans ces derniers temps, elle a été 
retrouvée par M. Paul Sabatier, au couvent franciscain de Capis- 
tran, dans les Abruzzes, en mai 1901, et publiée sous le titre de 
Régula antiqua * Fratrum et Sororum de Pœnitentia . 

On y voit clairement que les Fraternités de Pénitence, en 1221, 
avaient leur gouvernement autonome, indépendant de l’Ordre des 
Mineurs. Il y est dit simplement qu’elles doivent choisir, autant 
que possible, un religieux quelconque, instruit, capable de diriger 
les Frères, d’assurer leur persévérance et de leur faire pratiquer les 
œuvres de miséricorde 3 . 

Il y eut bien quelques tentatives en 1228, et plus tard, de rat¬ 
tacher des groupes de Pénitents à l’Ordre des Mineurs 4 . Mais 
elles n’eurent, jusqu’à Nicolas IV, qu’un succès restreint et peu 
durable 5 . 

La Pénitence de Saint-Dominique, groupée à l’ombre des cou¬ 
vents des Prêcheurs, vivant de leur vie, s’administra, pendant 
toute sa période de formation, comme toutes les autres Pénitences. 
Elle n’avait point de règle spéciale; mais sous la direction offi¬ 
cieuse des Prêcheurs, en se conformant à leur esprit et à leurs 
observances, en prenant même leur costume à domicile, les Frères 
et les Sœurs suivaient la loi commune, primitive, de toutes les 
Pénitences 6 . C’est alors qu’intervint Maître Munio. Il jugea qu’il 

1 « In rcgulis seu vivendi formis ordinis istorum dictandis, sacræ mémorise domi- 
nus Papa Gregorius, in minori adhuc ofïicio constitutus, beato Francisco intima 
familiaritate conjunctus, devote supplebat quod viro sancto in dictandi scicntia 
deerat. » (Hilarius a Lucerna, Liber de Laudibus D. Francisci , p. 75. Rome, 1897. — 
Anal. Franciscana, III, p. 628. Quaracclii, 1897.) 

2 Opuscules de critique historique, fascicule I. Paris, 1901. 

3 Cf. Mandonnet, op. cil., p. 162 et 190. 

* Ibid. 

e On dirait que YOrdo de Pœnitentia a subi, en 1228, une influence dominicaine. 
La nouvelle règle, — qui n’est qu'une modification de la première, — introduit le 
chapitre des coulpes : élément qui ne se rattache en rien à l'Ordre des Mineurs. La 
législation franciscaine n’a pas cette pratique, qui, au contraire, est inscrite dans 
les Constitutions des Prêcheurs. (Ibid.) 

Pendant une grande partie du xm e siècle, jamais on ne donna aux Fraternités 
de Pénitence le titre de Tertius Ordo. Elles formaient un Ordre à part, indé¬ 
pendant, sans lien de dépendance nécessaire avec les Franciscains. (Ibid., p. 207 

et SS.) 

6 II y avait encore d'autres manières de se rattacher à l’Ordre, sans cependant 
en faire partie. Humbert distingue deux sortes d'Oblats ou Donnés. Les uns don¬ 
naient leurs biens au couvent tout en restant libres de leurs personnes dans le 
monde, à charge pour le couvent d’assurer leur existence. Les autres donnaient au 
couvent leurs biens et leurs personnes. Ils faisaient partie de la famille conven¬ 
tuelle, s’engageant A garder la chasteté et à travailler selon qu'il leur serait com¬ 
mandé. Mais l’engagement n’est définitif ni du côté du couvent, qui, si les Donnés 


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CHAPITRE III 


235 


était utile d’unir plus étroitement à l’Ordre les groupes de Péni¬ 
tents qui se réclamaient de lui, pour les maintenir avec plus de 
fermeté dans la voie droite. 

Il y avait, en effet, dans les nombreuses Fraternités originaires 
du mouvement franciscain, un courant antiecclésiastique dont 


ne mènent pas une vie honorable, peut les renvoyer, ni par conséquent du côté 
des Donnés, puisque les biens livrés par eux doivent, en ce cas, leur être restitués. 
Voici le texte d’Humbert : « Donatos autem vocamus vel quia rémanentes in sæculo 
sua dant domui in vita, vel etiam post mortem, et domus obligat se cisdem ad 
aliquod subsidium temporale, vel qui serviunt ad domum liabitaturi in ea obligant 
se ad castitatem, vel ad fidelitatem servandam domui, et serviendum cidcm secun- 
dum quod eis injunctum fuerit, et domus obligat se ad providendum in necessariis, 
ita tamen quod si malæ vitœ fuerint notabiliter, domus eis amplius non teneatur, 
et posait eos rcpellerc, nec ipsis amplius ex obligationc prædicta in aliquo tenea¬ 
tur. »> 

Ce décret fut rendu par Humbert pour le monastère de Prouille, où les Donnés 
étaient nombreux et administraient sous la surveillance des Frères les biens de la 
communauté. (Mamachi, Annal., App., p. 168-170.) 

En beaucoup d’endroits, surtout en Italie, ces Frères Donnés desservaient, sous 
la haute direction des Frères, les Hospices qui étaient adjoints aux couvents. Ces 
Hospices étaient destinés à héberger les Frères eux-mêmes dans leurs voyages et 
les pauvres de passage. 

Ainsi le Chapitre provincial de Sienne décrète en 1295 : « Cum fratres itinérantes 
non deceat in tabernis h os pi tari, injungimus Prioribus, quod assistant fîdcliter fra- 
tribus quibus Prior Provincialis committet procurationem domorum seu hospitio- 
rum in diversis castris hujus Provinciæ ad fratrum itinerantium hospitalitem. » 
(Acta Capit. Prov. Rom. Prov., p. 582. Douais.) 

En 1293, le couvent de Sainte-Marie dei Gradi, à Viterbe, reçoit une maison, avec 
jardin, enclos, même des meubles, pour en faire un hôpital en faveur des pauvres. 
(Masetti, Monum., p. 258.) De même à Pise en 1331. (Ibid., p. 257.) A Orvicto, 
en 1315. (Ibid., p. 258.) 

D'après un document de ce dernier couvent, voici la formule dont se servaient 
les Donnés pour s’offrir à l’Ordre et au service des Hospices. Il s’agit d’un certain 
Hugolin Compagni. Il se mit à genoux devant le Recteur de l’Hospice, Frère Pierre, 
et, scs mainsdans les siennes, il dit : « Ego olTero me et omnia bona mea dicto 
Hospitali prædictæ Ecclcsiæ S. Dominici et promitto eidem Fr. Petro Rcctori pro 
Hospitali recipicnti obedientiam et reverentiam dabitam et devotam. » Frère Pierre 
accepta au nom de Frère Pierre Nicolas, Prieur de l’église de Saint-Dominique. 
(Ibid., p. 218.) 

Ces Hospices se multiplièrent partout où il y avait un couvent de l'Ordre. 
Aussi, en 1339, le Chapitre provincial d’Arezzo décréta : « Ordinamus quod Priores, 
vel eorum vices gerentes intentiones testatorum circa hospitalia istius provinciæ 
cum cxacta diligentia faciant observare. » (Ibid., p. 259 et 264.) 

Ces Frères Donnés devaient, la plupart, faire partie de la Pénitence de Sajnt- 
Dominiquc. 

Il n’était pas rare, à cette époque, de voir des personnes pieuses se mettre sous 
la direction d’un religieux, faire vœu de lui obéir. Les Chapitres généraux défendent 
aux Frères de « tondre les femmes », sans réflexion. C’était une manière de les 
prendre sous sa direction. (Cf. B. Jordani a Saxonia, Opp., lettre XL1X, p. 99- 
Ed. Berthier.) 

Ainsi fît saint Nicolas de Trani. Il allait par monts et par vaux, de village en 
village, vêtu pauvrement, une clochette à la main, et répétait presque toujours : 
Kyrie, eleison ! II faut dire qu’il était Grec de naissance. C’était un appel incessant 
à la miséricorde divine. 

Or une jeune fille, attirée par la sainteté de l’homme de Dieu, voulut le suivre et 
lui dit : « Tondez-moi! » Nicolas ne voulut point, car elle lui paraissait trop jeune. 
Ce que voyant, elle se coupa elle-même les cheveux, et elle le suivait. Mal en prit 
au serviteur de Dieu. 

En jour, il entrait dans un village, sonnant sa clochette et disant de sa voix 


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MUNIO DE ZAMORA 


l’Église commençait à s’inquiéter. Soustraits alors à l’influence des 
Mineurs, — de 12S7 à 1289, — beaucoup de Pénitents se repre¬ 
naient à suivre une mystique laïque, sans science, sans mesure. 
Ils voulaient, comme tant d’autres abusés, réformer tout dans 
l’Église sans l’Église elle-même. Toujours le pur Évangile! ce rêve 
qui avait perdu les Vaudois et les Humiliés, et qui redevenait, 
avec les Fraternités, une réalité dangereuse. 

L’autorité ecclésiastique redoutait tellement ces associations de 
Pénitence, souvent indirigeables, qu’elle s’efforçait de les séparer, 
Ainsi, à Pérouse, vers 1260, le bienheureux Rainier, pieux ermite, 
ému des crimes que commettaient les Guelfes et les Gibelins dans 
leurs luttes fratricides, prend un sac pour vêtement, met une 
corde à ses reins, et, une discipline en main, s’en va par les rues, 
les places publiques, et prêche la pénitence. Toute une troupe le 
suit, s’habille de même, se flagelle jusqu’au sang. On va à Gênes, 
à Bologne, dans les villes de la Romagne. En route, la troupe 
grossit : c’est une véritable armée de disciplinants. A leur retour 
à Pérouse, le légat du Saint-Siège s’inquiéta de ces bandes mys¬ 
tiques. Il ne les désapprouvait point; mais, pour éviter des com¬ 
plications dangereuses, il leur ordonna de se diviser en trois 
groupes : l’un à la porte Saint-Ange, l’autre à la porte Saint- 
Pierre, le troisième à la porte Saint-Lazare. C’était les mettre à 
distance, pour pouvoir mieux les tenir en respect. Ces groupes 
formèrent les confréries de Saint-Augustin, de Saint-Dominique, 
de Saint-François, selon l’église qu’ils adoptèrent 1 . 

Le Saint-Siège n’était pas sans inquiétude en voyant s’agiter un 
peu partout cet esprit de réforme laïque. Le danger était d’autant 
plus grand que les Pénitents s’étaient multipliés, en Italie sur¬ 
tout, comme de l’herbe folle*. De là la règle de Maître Munio de 
Zamora. 

grave : Kyrie, eleison ! Derrière lui, la jeune fille tondue répétait de sa voix flûtée : 
Kyrie, eleison! 

Les gens de ce pays, qui la connaissaient, la regardent, puis, riant, se disent : 

« Mais c'est une telle! »» Ils se mettent à se moquer d’elle, et lui reprochent de 
suivre ce ribaud. Elle prit peur et accusa l'homme de Dieu. On conduisit Nicolas au 
syndic, et peu s'en fallut qu’on ne lui fît un mauvais parti. (Acta, SS,, I Junii, p. 234.) 

1 Cf. Constituzioni delle nobili ire Confraternitate di S. Agostino, S, Francesco 
e S. Domenico di Perugia, pp. 4 et 5. Pérouse, 1824. 

* Cette année même, deux laïques reprenaient la prédication vaudoise contre 
l’Église. Gérard Segarelli et Dulcino de Novare annoncent aux pauvres gens le 
pur .vangile. Ils sont vêtus d’une longue robe blanche et d’un manteau blanc ; ils 
ont une corde autour des reins; ils portent les cheveux longs et incultes; ils vont 
tète nue, pieds nus ; ils mendient. Ce sont les pauvres Apôtres du Christ : point 
d’église hiérarchique, point de Papes, ni d’évêques, ni de prêtres, encore moins de 
religieux. L’Eglise romaine est une prostituée, et ils en disent long sur la licence 
des mœurs qu’ils autorisent. On a le droit de satisfaire tous ses désirs. (Cf. N. Eme- 
rie, Dircctor. Inquisit., t. II, p. 12.) 

Toutes ces prédications laïques s’attaquaient immédiatement à l’institution divine 
de l’Eglise. 


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CHAPITRE III 


237 


Au lieu de laisser les Pénitents qui se rattachaient à l'Ordre 
des Prêcheurs à la merci d’une direction purement laïque , Munio 
les lie étroitement au grand Ordre. Il leur impose le gouverne¬ 
ment des Frères en tout ce qui est de la règle. C’est l’innovation 
la plus foncière de cette organisation hiérarchique. Désormais, 
dans chaque ville où se trouvera une Fraternité de Pénitence unie 
aux Prêcheurs, il y aura à sa tête un Maître ou Directeur, pris 
parmi les religieux prêtres 1 et désigné soit par le Général de 
l'Ordre, soit par le Provincial local. De plus, pour tout ce qui est 
de la règle, les Frères et les Sœurs de la Pénitence de Saint- 
Dominique, en quelque lieu qu’ils se trouvent, sont soumis à la 
direction et correction immédiate du Maître Général des Prêcheurs 
et du Prieur Provincial local. 

C'était la prise de possession par les prêtres de l’Ordre des 
Pénitents laïques. Ils devenaient une partie de la famille domini¬ 
caine et passaient sous son autorité directe. Par là même était 
réalisé en partie le vœu du Saint-Siège, qui s’efforçait de soumettre 
tout YOrdo de Pœnitentia à l’administration ecclésiastique, pour 
prévenir ses écarts. Maître Munio sauvait, par son institution, les 
branches de la Pénitence qui se rattachaient au tronc dominicain. 
Une fois sous le gouvernement des Frères, la Pénitence de Saint- 
Dominique était à l’abri de tous les excès d’un piétisme sans 
lumière et sans mesure. Et, de fait, il n’y eut point parmi les 
Pénitents dominicains de ces énergumènes dont nous aurons à 
nous occuper bientôt. 

La règle de Maître Munio comprend vingt-deux chapitres. Les 
quatre premiers traitent de l’entrée et de la persévérance dans la 
Pénitence dominicaine. 11 exige d'abord des postulants un certificat 
de vie honnête, de réputation sans tache, de foi non suspecte. De 
plus, comme il s’agit de faire partie d’un Ordre consacré par son 
fondateur à la défense et à la propagation de la foi, les postulants 
doivent avoir au cœur ce zèle ardent qui animait le bienheureux 
patriarche saint Dominique. C’est la caractéristique de la Pénitence 
dominicaine. Là, comme dans le grand Ordre, le but est nettement 
précisé. Toutes les observances pénitentielles seront dirigées de 

1 « Volumus autem quod in qualibet civitate et Castro ubi fuerint Fratres et 
Sorores hujusmodi, habeant in Magistrum et Directorem, aliquem idoneum Fratrem 
Saccrdotem de Ordine Prœdicatoruni, quem postulaverint a Generali Magistro vel 
Provinciali Provinciæ dicti Ordinis Prædicatorum, aut quem ipse Gencralis Magis- 
ter, seu Provincialis, per se vel alium, eisdem concedere et assignare decreverit. 
Volentes insuper et statuentes universos Fratres et sorores hujusmodi de Pœniten¬ 
tia Sancti Dominici ubicumque existant directioni et correctioni ipsius Gencralis 
Magistri Ordinis antedicti et Prioris Provincialis illius Provinciæ ejusdem Ordinis, 
pro eorumdem ampliori conservatione et promotione totalitcr subjacere quantum 
ad ilia videlicet quæ eorumdem vivendi modum et formulam conccrnere dignos- 
cuntur. u (Federici, Istoria de’ Cavalieri Gaudenti, II, Codex Diplôme, p. 35. Venise, 
1787.) 


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MUNIO DE ZAMORA 


ce côté apostolique. La Fraternité dominicaine n’est point simple¬ 
ment une manière plus facile de faire son salut, en se soumettant 
à certaines obligations d’oraisons et de mortifications; elle est tout 
d’abord un apostolat dans le monde, au foyer domestique 1 . 

Aussi doit-on, avant d’entrer dans la Fraternité, se libérer de 
tout ce qui pourrait être un obstacle à cette influence désirée. Il 
faut payer ses dettes et se réconcilier avec ses ennemis*. 

L’habit des Frères et des Sœurs était une tunique blanche et 
un manteau noir, avec capuce pour les Frères, le tout en étoffe 
modeste. On ne tolère qu’une ceinture en cuir. Pour être reçu, il 
fallait obtenir la majorité des voix des Frères déjà profès et être 
accepté par le Directeur de la Fraternité. Une fois profès, il était 
interdit de se retirer de la Fraternité, si ce n’est pour entrer dans 
un Ordre ayant les vœux solennels. Car il faut bien comprendre 
qu’en devenant tertiaire de l’Ordre on devient religieux, on quitte 
le siècle, comme dit la règle 3 . Ce n’est nullement une simple 
cérémonie pieuse, une inscription dévote sur un registre de sacris¬ 
tie, mais bien une entrée réelle, juridique, dans l’Ordre des Prê¬ 
cheurs. Un tertiaire n’est plus un séculier, c’est un religieux ayant 
sa règle à observer dans le monde. 

La preuve en est dans l’obligation qui lui incombe de réciter 
l’office divin, celui qui lui est propre, même pendant la nuit, les 
dimanches et fêtes, de la Toussaint jusqu’à Pâques, et pendant 
l’Avent et le Carême, toutes les nuits 4 . 

La règle est sévère pour les jeûnes et les abstinences : jeûne 
tous les vendredis, et bien entendu, chaque fois que l’Eglise l’or¬ 
donne. On ne permet l’usage de la viande que le dimanche, le 
mardi et le jeudi, à moins d’infirmité ou de faiblesse, à moins 
également que l’on ne soit en voyage ou que l’on ne célèbre 
quelque solennité 5 . Religieux, les Frères doivent fuir toute mon¬ 
danité : les banquets, les théâtres, les noces, les danses. L’obéis¬ 
sance les tient en laisse : ils ne peuvent sortir de leur ville, même 
en pèlerinage, sans l’autorisation de leur Directeur 6 . Les armes 


1 « Præmissa tamen diligcnti examinationc si sit (recipiendus) honcstæ vitæ, et 
bonæ famæ ac de hæresi nullatenus suspectus : Quinimmo tamquam S. Dominici 
singularis in Domino filius sit vcritatis calholicæ fidei juxta suum modulum æmu- 
lator et zclator præcipuus... » (Federici, Istoria de' Cavalieri Gaudenii, II, Codex 
Diplom., p. 28. Venise, 1787.) 

* Federici, op, cit., p. 29. 

* « Statuimus autem ut nullus frater nec soror hujus fraternitatis et ordinis, 
post talem supradictam professionem, de hoc ordinc egredi valcat, nec cisdem ad 
sæculum reverti liceat, sed bene possint libéré transire ad unam de approbatis 
religionibus tria vota solemnia profitentibus. » (Ibid., p. 30.) 

4 « Ad matutinas horas Dominicis diebus et festivis, a festo Omnium sanctorurn 
usque ad festum Resurrectionis Dominicæ, omnes surgant omni nocte. » (Ibid., p. 31.) 

8 Ibid., p. 32. 

8 Ibid. 


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CHAPITRE III 


239 


leur sont interdites, sauf avec la permission du Directeur, pour 
défendre la foi, et en cas de nécessité. 

Deux chapitres s’occupent des soins à donner aux confrères 
malades et des suffrages pour les défunts. On y sent toute la sol¬ 
licitude des Constitutions des Prêcheurs, tant les prières sont 
multipliées 1 . 

Au Directeur de la Fraternité, après consultation des confrères 
les plus anciens, d’expulser ceux qui se rendraient coupables de 
fautes graves et scandaleuses. Le Prieur laïque ne doit punir que 
les manquements à la règle. Nous avons déjà vu comment Maître 
Munio organisa le fonctionnement administratif de la Pénitence 
dominicaine : un Directeur pris parmi les Frères du grand Ordre 
et nommé d’office ; un Prieur laïque pris parmi les membres de la 
Fraternité, choisi par le Directeur d’accord avec les confrères les 
plus anciens. Cette hiérarchie reliait, comme nous l’avons dit, la 
Pénitence dominicaine à l’Ordre des Prêcheurs et la soumettait 
pleinement à son gouvernement Mais pour les Tertiaires comme 
pour le grand Ordre, ce gouvernement met la conscience à l’aise. 
Le principe de la dispense est formellement admis. Au Directeur 
pour les Frères et les Sœurs, au Prieur laïque ou à la Prieure 
pour leur Fraternité respective, d’accorder les adoucissements 
nécessaires ou utiles*. Et de plus, une sage ordonnance établit 
que la règle de la Pénitence, pas plus que les Constitutions des 
Prêcheurs, n’oblige sous peine de péché. Les fautes commises 
contre la règle doivent être accusées et corrigées au chapitre des 
coulpes, rien de plus. 

Telle est la règle que Maître Munio imposa aux Fraternités de 
la Pénitence dominicaine. Ancienne par son fond, qui n’est que la 
règle primitive donnée à ÏOrdo de Pœnitentia par saint François 
et le cardinal Hugolin, elle est nouvelle et spéciale à la Pénitence 
dominicaine par l’esprit particulier des Prêcheurs qui a modifié 
certains points, introduit certaines pratiques et surtout rattaché à 
l’Ordre le gouvernement des Fraternités 3 . 

A propos de cette règle si sage et si salutaire, quelques ques¬ 
tions se posent. 

D’abord, son auteur est-il bien Maître Munio de Zamora? C’est 
l’avis universel, mais il faut dire que cet avis n’a pour base que 
des documents du xiv* siècle. Il n’a pas été découvert, à ce qu’il 
me semble, de manuscrit du xin® siècle donnant la règle de Maître 
Munio. L’édition qu’en a faite Federici, dans son Istoria de 9 Cava - 


1 Federici, op. cil., p. 35. 

* Ibid., p. 39. 

* Cf. Mandonnet, les Règles et le gouvernement de l'Ordo de Pœnitentia..., 

p. 212. 


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MUNIO DE ZAMORA 


lieri Gaudenti a été prise sur le manuscrit du Père Thomas Caf- 
farini, auteur de la fin du xiv e siècle. Il est vrai que cet auteur 
déclare que les documents publiés par lui étaient très anciens. 
On ne peut donc avoir de doutes sérieux sur l'origine de la 
règle. Tous les historiens lui donnent le titre de règle de Munio 
de Zamora et la date de 1285. 

Un point plus délicat et de grande conséquence serait de savoir 
si Maître Munio a fait cette règle de lui-même, motu proprio , ou 
sur l'ordre du Pape Honorius IV. Si Honorius IV était intervenu, 
cette règle prendrait les proportions d’un acte pontifical intéres¬ 
sant non plus seulement la Pénitence de Saint-Dominique, mais 
tout YOrdo de Pœnitentia, qui serait passé de cette sorte sous la 
direction exclusive des Prêcheurs, au moins en majeure partie. 

Pour l'affirmer, il faudrait des documents contemporains expli¬ 
cites, car le fait est grave. 

Il y eut bien, en 1286, le 28 janvier, une bulle d’Honorius IV*, 
très courte, qui accorde un privilège, en temps d’interdit, aux 
Frères et Sœurs de la Pénitence de Saint-Dominique établis en 
Italie. 

Mais ces quelques lignes ne font aucune allusion ni à la règle 
de Munio, ni à une initiative quelconque du Saint-Siège. Elles 
prouvent uniquement que les Fraternités de la Pénitence de Saint- 
Dominique étaient nombreuses en Italie et avaient l’approbation 
du Saint-Siège. Leur donner un privilège, c’était évidemment les 
reconnaître juridiquement et leur témoigner des dispositions favo¬ 
rables. 

Que la règle de Maître Munio, qui groupait sous la houlette 
ecclésiastique et régulière ces brebis quelque peu vagabondes 
qu’étaient les Pénitents laïques, ait été bien vue, inspirée même 
par le Pape ; qu’il ait désiré et voulu la voir embrassée par toutes 
les Fraternités de Pénitence, cela est très probable, car la règle 
de Munio réalisait la forme stable, définitive, de tout repos, que 
le Saint-Siège cherchait depuis longtemps. Et, en ce sens, on 
pourrait dire que vraiment elle s'adressait à tout YOrdo de Pœni¬ 
tentia, non pas comme une obligation absolue, juridique, mais 
comme une invite et comme une direction officieuse. Elle servait 
de modèle et se proposait à toutes les Fraternités de Pénitence, 
même les plus nombreuses, qui florissaient en dehors de l'influencé 
dominicaine, comme un exemple de gouvernement. La règle de 
Maître Munio devenait ainsi le couronnement de l’œuvre péniten- 
tielle de saint François. Elle l’est restée. Tout ce qui est venu 

1 II, Codex Diplom., p. 28 et ss. 

* Bull. Ord., II, p. 10. B. Congruum existimantes, 28 janvier 1286. 


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CHAPITRE III 


241 


après a été calqué sur ces sages constitutions. Franciscaine dans 
son origine première, la Pénitence laïque a trouvé sa formule 
administrative ecclésiastique chez les Prêcheurs. Ce n’est pas la 
moindre gloire de Maître Munio de Zamora. 

Je n’ignore pas que l’on attribue au Tiers Ordre dominicain une 
autre origine. Et cette opinion, qui en soude la formation à la 
Milice de Jésus-Christ fondée en Languedoc, à ce qu’il semble, 
par saint Dominique, repose sur une autorité tellement respec¬ 
table, qu’elle ne peut être passée sous silence. Je vais donc l’expo¬ 
ser dans toute son ampleur, et en la mettant au point, en la res¬ 
treignant dans ses conclusions à ses justes limites, lui garder la 
valeur relative qui lui appartient. 

Le mouvement de piétisme laïque que nous avons suivi chez 
les Vaudois, les Humiliés et les premiers fils de saint François, 
était nettement ascétique. Ce que se proposaient ces Pénitents de 
robes diverses, c’était de réagir par leurs austérités contre la 
licence des mœurs. A côté de ce courant purement pénitentiel, et 
marchant parallèlement avec lui, il y avait, au xm e siècle, un 
autre courant, pénitentiel aussi par certains côtés, mais avant tout 
militaire dans son but. Laïques également, les associations, frater¬ 
nités ou compagnies militaires prirent un développement extraor¬ 
dinaire. Je ne parle pas, bien entendu, des Ordres militaires pro¬ 
prement dits, comme les Templiers, les Chevaliers Teutoniques, 
les Hospitaliers et autres, qui formaient de véritables Ordres reli¬ 
gieux. Les Fraternités militaires, dont il est question ici, étaient 
de simples associations entre laïques, mariés ou non, pour la 
défense de la foi, dans le pays qu'ils habitaient. Au lieu de se 
croiser pour aller guerroyer contre les Turcs, on se croisait pour 
résister à main armée, s'il en était besoin, aux hérétiques, pour 
défendre les droits des opprimés et maintenir par la force ceux 
de l’Église. 

Une de ces Fraternités, la première peut-être, fut fondée en 
Languedoc contre les Albigeois. Voici comment un témoin ocu¬ 
laire, Guillaume de Puy-Laurens, raconte cette institution : « Le 
vénérable évêque Foulques désirant que son peuple de Toulouse 
pût gagner les indulgences de la croisade comme ceux qui venaient 
du dehors, et par ce moyen espérant le rattacher plus solidement 
à l'Église, chasser les hérétiques et combattre les usuriers, obtint 
qu’on fondât à Toulouse, en l’an 1209, avec le secours de Dieu et 
l’appui du légat du Saint-Siège, une grande Fraternité. Les con¬ 
frères étaient munis de la croix ; à peu d’exceptions près, tous les 
citoyens s’y enrôlèrent par serment. Les bâtonniers de la Frater¬ 
nité furent Amaury de Châteauneuf, Arnaud son frère, Pierre de 
Saint-Romain et Arnaud Bernard, surnommé Endura, hommes 

II. - 16 


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242 


MUNIO DE, ZAMORA 


habiles, discrets et puissants. La Fraternité fit de rapides pro¬ 
grès*. » 

Telle est l’institution. Elle est attribuée à Foulques, évêque de 
Toulouse, l’ami dévoué de saint Dominique ; mais de l’interven¬ 
tion de saint Dominique dans cette affaire il n’est fait aucune men¬ 
tion. Y fut-il complètement étranger? 

A cette date, le bienheureux Patriarche parcourait le pays de 
Toulouse, prédicateur de bonne volonté, pour convertir les Albi¬ 
geois. Ses relations avec l’évêque étaient intimes. En 1206, trois 
ans avant la création de la Fraternité militaire, il avait obtenu de 
lui le don de Sainte-Marie de Prouille, et en 1215, six ans après, 
ce même évêque, rentré dans sa ville épiscopale avec l’armée 
triomphante de Simon de Montfort, se hâtait de reconnaître offi¬ 
ciellement saint Dominique et ses compagnons comme prédicateurs 
de son diocèse. On est donc en droit de penser qu’entre l’évêque 
et l’homme de Dieu il y eut, pour la formation de cette Frater¬ 
nité militaire destinée à assurer la tranquillité des apôtres des 
Albigeois, une entente préalable, à tout le moins un échange de 
vues. 

Raymond de Gapoue, vingt-troisième Général de l’Ordre, écri¬ 
vait, vers la fin du xiv® siècle, d’après des documents antérieurs, 
que saint Dominique avait fondé lui-même cette Fraternité de la 
Milice de Jésus-Christ. Voici ses propres paroles : « Ce que je 
vais dire s’appuie sur les recherches que j’ai faites, sur les témoi¬ 
gnages que j’ai recueillis dans les différentes parties de l’Italie et 
sur l’histoire même de notre bienheureux fondateur saint Domi¬ 
nique... Il réunit quelques laïques, qu’il savait remplis de la crainte 
de Dieu, et organisa avec eux une sainte milice, pour recouvrer 
les biens de l’Eglise, les défendre et résister aux injustices des 
hérétiques. Ce plan réussit. Ceux qui s’enrôlaient juraient de tout 
faire pour atteindre le but proposé, et, s’il le fallait, de sacrifier 
leur fortune et leurs personnes. Comme les femmes pouvaient 
quelquefois y mettre obstacle, saint Dominique leur fit promettre 
de ne jamais arrêter leurs maris et de les aider au contraire autant 
qu’il leur serait possible. Ces associés prirent le nom de Frères 
de la Milice de Jésus-Christ. Le saint Fondateur voulut les dis¬ 
tinguer des autres laïques par un signe extérieur et leur donner 
quelques obligations particulières. Il leur prescrivit les couleurs de 
l’habit de son Ordre* : les vêtements des hommes et des femmes, 
quelle qu’en fût la forme, devaient être noirs et blancs, comme 

1 Chronique de Puy-Laurens, ch. xv, p. 675. Ed. Toulouse, 1623. 

* L’Ordre n'étant point fondé en 1209, saint Dominique n’a pas pu en donner les 
couleurs aux Frères de la Milice. Mais il a pu très bien leur donner les couleurs 
qu’il portait comme chanoine d’Osma : le blanc et le noir, qui devinrent celles de 
son Ordre. 


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CHAPITRE III 


243 


symbole d’innocence et d’humilité. Il leur imposa un certain 
nombre de Pater et à!Ave, qui devaient remplacer les Heures 
canoniales, lorsqu’ils n’assisteraient point à l’office 1 ... » 

Ce témoignage est grave. Raymond de Capoue, né vers 1330*, 
avait pris l’habit de l’Ordre vers 1330. Il a donc connu en Italie, 
à Capoue, à Bologne où il enseigna, des religieux ayant vécu sous 
le gouvernement de Maître Munio, qui ne fut déposé qu’en 129*1. 
Ceux-ci touchaient à saint Dominique lui-même, dont ils avaient 
vu de leurs yeux les premiers disciples. Aussi, quand le bienheu¬ 
reux Raymond affirme que la Milice de Jésus-Christ, cette Frater¬ 
nité militaire créée en Languedoc, est l’œuvre même du saint 
Fondateur, il n’est point téméraire de croire et d’admettre que ce 
qu’il dit, il le tient d’une tradition orale toute vivante encore. 

Ce n’était même pas une simple tradition orale. Sous le géné- 
ralat de Raymond de Capoue, un dominicain de Sienne, Frère 
Thomas Caffarini 3 , composa une histoire des Frères et des Sœurs 
de la Pénitence de. Saint-Dominique dont il termina la première 
partie en 1402 4 . L’auteur déclare qu’il a fait ce travail sur des 
documents très anciens. Malheureusement les documents ne sont 
pas nommés. Taegio, qui a publié également le traité de Thomas 
Caffarini, d’après un autre manuscrit 5 , ne les nomme pas davan¬ 
tage. On sait seulement, sur le dire de l’auteur, que ces docu¬ 
ments, à la fin du xiv° siècle, étaient très anciens, qu’ils conte¬ 
naient la bulle de Grégoire IX : Egrediens hereticorum, du 
21 décembre 1234 6 , dans laquelle ce Pontife prend sous sa pro¬ 
tection les Frères et les Sœurs de la Milice de Jésus-Christ ; une 
règle de cette même Fraternité et celle imposée par Munio de 
Zamora 7 . Les Frères des couvents de Venise, de Sienne 8 et autres 
lieux avaient donc réuni dans un seul volume, comme se rappor¬ 
tant à une même Fraternité, les documents émanés du Saint-Siège 
ou de l’Ordre sur la Milice de Jésus-Christ et la Pénitence de 
Saint-Dominique. Ce fait, qui se passait dans les premières années 
du xiv® siècle, puisque les manuscrits étaient réputés très anciens à la 


1 Vie de sainte Catherine de Sienne, p. 65-66. Ed. Cartier, Poussielgue, 1867. 

* Cf. II. Cormier, Il Beato Raimondo da Capua, p. 6. Rome, 1900. 

* Frère Thomas Caffarini prit l’habit à Sienne vers 1360. Il eut avec sainte Cathe¬ 
rine les plus intimes relations, et fut un de ceux qui aidèrent le plus efficacement 
Raymond de Capoue dans son œuvre de réforme. Il mourut en 1130. (Cf. Echard, 
I, p. 780.) Il eut comme compagnon de labeur Frère Barthélemy de Sienne. 

4 . L’auteur le déclare lui-môme, comme on peut le voir dans le manuscrit de cet 
ouvrage provenant du couvent des SS.-Jcan-et-Paul de Venise publié par Flaminius 
(Ecclesia Veneta illustr. Decad., XI, p. 52. Ed. 1749). 

B Chron. ampliss., p. 25. Ms. arch. Ord. 

0 Donné à tort par le Bullaire de l’Ordre, le 22 décembre 1227. 

7 Taegio, Chron. ampliss . Ms. arch. Ord. 

8 II y avait aussi à Sienne, au couvent de Saint - Dominique, un manuscrit du 
traité de Frère Thomas Caffarini. 


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MUNIO DE ZÀMORÀ 


fin de ce même siècle, ne manque pas d’importance. Il indique 
que les Frères, à cette époque, étaient convaincus que la Milice 
de Jésus-Christ et la Pénitence de Saint-Dominique étaient une 
même Fraternité. Or, dans les premières années du xiv® siècle, 
on pouvait le savoir avec certitude. On touchait aux premiers con¬ 
frères. Ces documents écrits sont la base des affirmations de 
Raymond de Capoue, qui déclare avoir fait des recherches en Ita¬ 
lie sur ce sujet, outre les témoignages oraux qu’il a recueillis. Il 
est difficile de récuser l’autorité de cette assertion. Qui connaît le 
procédé ordinaire de Raymond de Capoue, ses scrupules de pro¬ 
bité historique, en sera convaincu 1 . Le fait d’une fondation de 
Fraternité militaire en Languedoc, pendant l’apostolat de saint 
Dominique, étant chose certaine, appuyée historiquement par le 
récit de Guillaume de Puy-Laurens; d’autre part, Raymond de 
Capoue affirmant, d’après les recherches qu’il a faites dans les 
couvents de l’Ordre, que cette fondation vient de saint Dominique, 
il me semble qu’on est en droit de l’attribuer au saint Patriarche, 
sans témérité, et que cette attribution est suffisamment prouvée. 
On objectera, sans doute, que Guillaume de Puy-Laurens ne 
nomme pas saint Dominique, mais seulement Foulques, l’évêque 
de Toulouse. Je l’accorde. Toutefois le chroniqueur ne dit pas que 
Foulques a fondé lui-même cette Fraternité; il se sert d’une 
expression qui paraît, au contraire, en rapporter la réalisation à 
un autre. « Il obtint, dit-il, qu’il fût fait à Toulouse une grande 
Fraternité*. » Et comme, à ce moment-là, saint Dominique prê¬ 
chait dans ce diocèse, d’accord avec l’évêque, quoi d’étonnant 
qu’il dirigeât ce projet d’institution qui cadrait admirablement avec 
ses idées personnelles? Guillaume de Puy-Laurens ne nomme que 
Foulques comme étant le personnage le plus en vue dans cette 
fondation ; ce qui n’implique en aucune façon qu’il en fût le pre¬ 
mier instigateur et le seul opérateur. Son récit et celui de Ray¬ 
mond de Capoue se complètent admirablement 3 . 

Du reste, la suite de l’histoire des Frères de la Milice de Jésus- 
Christ ne se comprend bien que si l’on admet son origine domi¬ 
nicaine. 

En effet, des provinces méridionales de la France, où elle se 
développa au point qu’en 1220 elle avait à sa tète un Maître Géné¬ 
ral, Frère Savaricus*, elle passa les monts et s’implanta dans la 


1 II suffît de lire la Vie de sainte Catherine de Sienne pour se rendre compte du 
soin minutieux qu'il apporte pour prouver ce qu'il avance. 

2 « Obtinuit Tolosie magnam fleri Confralriam. *> (Chron ch. xv, p. 675. 
Ed. Toulouse, 1623.) 

3 Les Bollandistcs eux - mômes trouvent cette coopération très vraisemblable. 
(Acta, SS., I Aug., p. *121.) 

4 En 1220, Frère Savaricus fait un accord avec Amaury de Mont fort pour guer- 


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CHAPITRE III 


245 


Haute-Italie. Gelle-ci était devenue le refuge et le centre actif de 
l’hérésie. Les soldats du Christ y avaient à lutter comme en Lan¬ 
guedoc. Les mêmes causes produisirent les mêmes effets. Or, 
en 1233, au dire de Salimbene, le chroniqueur des Frères Mineurs, 
au temps où la paix était à peu près générale en ce pays 1 , — 
chose si rare, que les peuples rappelèrent le temps de F Alléluia 2 ,— 
il se fonda à Parme un ordre appelé l’Ordre de la Milice de Jésus- 
Christ. Et cette fondation eut lieu dans l’église des Frères Prê¬ 
cheurs. L’enthousiasme populaire était tellement grand, que tous les 
citoyens s'unirent pour combler un fossé extrêmement profond qui 
longeait leur église et empêchait de tenir autour d’elle aucune 
assemblée. Ce fut à qui porterait de la terre et des pierres : Frères 
et Sœurs de la Milice, femmes et menu peuple, tout le monde 
s’en mêla, chantant avec allégresse le cri du jour : Alléluia 3 ! 

Pourquoi ce choix, très suggestif, de l’église des Prêcheurs? 

Outre la communauté dominicaine d’origine, qu’il indique avec 
la Milice fondée en Languedoc, il fut motivé par la personne 
même du fondateur de la Fraternité à Parme. Ce fondateur est un 
Frère Prêcheur très célèbre, dont le nom nous est déjà connu : 
Frère Barthélemy de Bragance. Salimbene l’affirme sans ambage. 
u Les Prêcheurs, dit-il, possédaient à Parme, au temps de cette 
grande dévotion de l’Alleluia, Frère Barthélemy de Vicence 4 , qui 
y fit beaucoup de bonnes œuvres. Je l’ai vu de mes yeux. C’était 
un homme bon, discret, honnête. » Et plus loin il ajoute : « C’est 
en cette année 1233, que fut fondée à Parme la nouvelle Religion 
de ceux que l’on appelait de la Milice de Jésus-Christ... par Frère 
Barthélemy de Vicence, de l’Ordre des Frères Prêcheurs, qui jouis¬ 
sait alors à Parme d’une grande situation \ » 


royer avec lui contre les Albigeois. (Fedcrici, Istoria de’ Cavalieri Gaudenti, II, 
Documenta, p. 4. Venise, 1787.) 

En 1221 , Ilonorius III charge son légat en Languedoc d’organiser la Milice de 
Jésus-Clirist, comme le demandait Frère Savaricus, Maître de l’Ordre. (Ibid., p. 5. 
B. Presenlatæ nobis.) 

1 Après le traité de San - Germano (1230) et les prédications pacifiques de Frère 
Jean de Vicence. (Cf. t. I, p. 208.) 

2 A l’an 1233, Salimbene écrit : « Inchoatum est alléluia. Fuit autem alléluia 
quoddam tempus..., scilicet tempus quietis et pacis..., et ego vidi oculis mois. » 
(Federici, Istoria de’ Cavalieri Gaudenti, I, p. 12.) 

* « Et tune fuit devotio magna Fratrum Prædicatorum. Et impletus fuit campus, 
et Milites, et populus, et dominæ, et aliæ muliercs portabant terram de glarea ad 
implendam borram quæ erat valde magna juxta Ecclesiam Fratrum Prædicatorum. » 
(Chronique de Parme, Muratori, Script, lier. Ital., IX.) 

4 C’est le môme personnage que Barthélemy de Bragance, né à Vicence. 

Les Bollandistcs ont attribué à tort cette fondation à saint Pierre martyr. 
(Acta SS., I Aug., p. 424.) 

8 « Tune in Parma, anno 1233, facta fuit nova religio, illorum scilicet, qui dice- 
bantur Milites Jesu Christi... Mediante Fratre Bartholomeo de Vicentia, de Ordine 
Fratrum Prædicatorum, qui tune temporis magnum locum habebat in Parma. » 
( Chron . de Salimbene , Istoria de’ Cavalieri Gaudenti, I, p. 42.) 


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MUNIO DE ZAMORA 


N’est-ce pas à tout le moins singulier qu’un Prêcheur institue à 
Parme la même Fraternité militaire qui existait en Languedoc? 
Elle lui est tellement identique, qu’elle porte le même nom : 
Milites Jesu Christi. A vrai dire, ces soldats de Jésus-Christ me 
semblent être proches parents des Prêcheurs, car leurs affinités 
avec eux sont continues. 

Institués à Parme par Frère Barthélemy de Vicence, en 1233, 
les Frères de la Milice sollicitèrent du Pape une approbation offi¬ 
cielle. Grégoire IX la leur accorda volontiers. D’autres fondations 
similaires avaient dû se produire un peu partout en Italie, où les 
Prêcheurs exerçaient un glorieux apostolat; car le premier docu¬ 
ment pontifical qui concerne la Milice s’adresse à tous les Frères 
établis en Italie : « Grégoire, évêque, à ses chers fils, les Frères 
de la Milice de Jésus-Christ, établis en Italie 1 . » Leur but y est 
nettement déclaré. Sous la direction du Saint-Siège et des évêques, 
auxquels les Frères promettent obéissance, ils doivent défendre 
la liberté de l’Eglise contre tous et poursuivre les hérétiques. 
Aussi le Pape les prend sous sa protection, afin que nul ne puisse 
les molester ni les contraindre à des guerres injustes 2 . Entre les 
mains de la papauté, cette Milice, fortement organisée, pouvait 
devenir un puissant secours contre les oppresseurs de l’Église. 
Répandus dans les principales villes d’Italie, les Frères, tous anciens 
soldats 3 , formaient le noyau le plus sûr des défenseurs des droits 
du Saint-Siège. En cas de lutte contre les prétentions du Saint- 
Empire, il y avait |Tavance, dans toutes ces villes, un parti guelfe 
dont l’action vigoureuse était capable d’entraîner les masses et de 
les liguer du côté de l’Église. Sans nul doute, Grégoire IX, qui 
guerroyait sans trêve ni merci contre Frédéric II, devina ce que 
le Saint-Siège pouvait attendre de ces Fraternités militaires à lui 
soumises. Les approuver et les attacher solidement à la chaire 
de Pierre était d’une excellente politique. Il n'y manqua point. 

Leurs relations avec l’Ordre des Prêcheurs s’affirment également 
de plus en plus. A la date du 18 mai 1235, deux ans seulement après 
la fondation, par Frère Barthélemy de Vicence, de la Fraternité 
de Parme, Grégoire IX lance deux bulles en sa faveur. Dans la 
première, il prend sous sa protection et celle du Saint-Siège les 
Frères de la Milice de Jésus-Christ ainsi que leurs biens; dans la 
seconde, qui est la plus importante, il charge Maître Jourdain de 
Saxe, Général des Prêcheurs, de les instruire, de les diriger de 

1 Bulle Egrediens, 22 décembre 1234. (Fcderici, Istoria de’ Cavalieri Gaadenli,11, 
Codex Diplom., p. 8.) 

* Ibid. 

3 Ibid. : u Cum de vana et sæculari mililia ad servitium Jesu Christi conversi. » 
— Salimbenc : « In qua non recipicbanlur nisi qui prius milites extitissent. » 
( Chron 1. c.) 


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CHAPITRE III 


247 


ses conseils, soit par lui-même, soit par le ministère des Frères. 
Voici cette bulle significative : « Nous prions votre discrétion, et 
nous vous ordonnons d’instruire dans la discipline nos chers fils, 
les Frères de la Milice de Jésus-Christ établis è Parme, dont le 
pieux dessein semble destiné à entraîner beaucoup d’âmes vers la 
béatitude céleste. Vous ou vos Frères, auxquels le Distributeur de 
toutes grâces a accordé le pouvoir de procurer le salut des fidèles,. 
vous les animerez à l'observance efficace de la charité, afin que 
par vos gracieuses exhortations ou celles de vos Frères, le nombre 
des membres de cette Milice augmente de plus en plus pour la 
gloire du Rédempteur 1 . » Jourdain de Saxe, Maître Général des 
^Prêcheurs, devient donc, d'après ce texte, le directeur de la Fra¬ 
ternité militaire de Parme. Elle est confiée à la sollicitude de 
l’Ordre. C’est à lui et aux Prêcheurs qu’il appartient de les for¬ 
mer à l’observance de leur règle. 

Cette règle, qui a pu la leur donner, si ce n'est leur fondateur 
à Parme, Frère Barthélemy de Vicence? Et lui-même, qui impose 
à cette Fraternité militaire le nom que portait celle créée en Lan¬ 
guedoc vingt-quatre ans auparavant, et qui fonctionnait encore 
sous ses yeux, l’a-t-il inventée de toutes pièces? Quoi qu’il en soit, 
— car aucun document ne permet d’affirmer sa ressemblance abso¬ 
lue avec celle du Languedoc, — on peut y relever un détail carac¬ 
téristique qui trahit son origine dominicaine, c'est la couleur du 
vêtement. 11 doit être blanc et noir : tunique blanche et manteau 
noir, tout comme pour les Prêcheurs. Ce trait de race n’est-il pas 
significatif? La Milice de Parme, à n’en pas douter, formait une 
branche laïque de l’Ordre de Saint-Dominique. Et comme cette 
Milice était répandue par toute l'Italie, l’Ordre se trouvait donc 
posséder, en dehors de lui, une famille assez nombreuse qui sui¬ 
vait de loin ses observances et se dirigeait d’après son esprit. 

Telle serait, selon Raymond de Capoue, l’origine du Tiers Ordre 
de Saint- Dominique. Ces Frères et Sœurs de la Milice de Jésus- 
Christ, fondés en Languedoc en 1209 par saint Dominique lui- 
même, sous l’impulsion de l’évêque Foulques, établis à Parme 
en 1233 par Frère Barthélemy de Vicence et de Parme en divers 
autres lieux, instruits et dirigés par Maître Jourdain et les Frères, 
vêtus de l’habit distinctif de l’Ordre, astreints à des pratiques 

1 « Gregorius Episcopus... Dilecto filio Fratri Jordano Gcnerali Magislro Ordinis 
Fratrum Prædicatorum. Experimentis... etc. Rogamus itaque discretionem tuam, et 
hortamur attente, mandantes, quatenus dilectos filios Fratres Miiitiæ Jesu Christi 
Parmen. quorum pium propositum multos provehi sollicitât ad Collcgia Beatorum, 
per te, ac Fratres tuos, quibus salutem posse procurari fidelium Distributor contulit 
omnium gratiarum, sacris disciplinis instruere ac eosdem studeas ad charitatis 
observantiam «fficaciler animarc, solitam sollicitudinem habiturus ut tuis et Fra¬ 
trum tuorum exhortationibus gratiosis predictœ miiitiæ numerus ad Redemptoris 
gloriam augeatur... » (Federici, Istoria de’ Cavalieri Gaudenti, II, p. 10.) 


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248 


MUNIO DE ZAMORA 


pénitentielles austères et à des prières assez absorbantes, vivant 
dispersés dans le monde, mariés ou non mariés, se transformèrent 
peu à peu en Frères de la Pénitence de Saint-Dominique. Trans¬ 
formation du reste très peu sensible, qui porta surtout sur leur 
caractère primitif, plutôt belliqueux. Encore faut-il ajouter que la 
règle de Munio de Zamora, tout en interdisant aux tertiaires le port 
habituel des armes, le leur permet s’il s’agit de défendre la foi, 
but premier de l’antique Milice de Jésus-Christ. En réalité, pour 
qui compare la règle de Munio de Zamora, en 1285, avec la règle 
de la Milice de Jésus-Christ, approuvée par Grégoire IX, en 1235, 
il apparaîtra évident que leurs points de contact sont nombreux. 
Accepter la règle de Munio pour les Frères de la Milice, c’était, 
continuer leur genre de vie, légèrement modifié dans un sens plus 
religieux, plus rapproché des observances de l’Ordre des Prê¬ 
cheurs. 

Ainsi, comme costume ils n’ont rien à changer, si ce n’est le 
port des armes 1 . Les jeûnes de la Milice comprenaient T Av ont, 
tout le Carême, les Quatre-Temps, les autres jeûnes de l’Eglise, 
les mercredis et les vendredis du Carême de Saint-Martin, — de 
la fête du saint à l’Avent. — Munio impose ces mêmes jeûnes, 
sauf le Carême de Saint-Martin, remplacé par le jeûne tous les ven¬ 
dredis de l’année. Pour l’abstinence, il n’ajoute que le lundi; de 
sorte que les tertiaires comme les Frères de la Milice devaient s’abs¬ 
tenir de viande les mercredis, vendredis et samedis de chaque 
semaine. Tous devaient dire l’office divin ou à sa place réciter des 
Pater nosler. Pour chaque heure de l’office du jour, la Milice disait 
sept Pater; pour chaque heure de l’office de la Vierge, sept 
Ave. Le nombre est le même dans la règle de Munio, sauf pour 
les Matines et les Vêpres, où il est augmenté. Mais il est bon de 
signaler cette obligation, pour les Frères de la Milice comme pour 
ceux de la Pénitence, de l’office de la sainte Vierge. C’est encore 
un trait de race dominicaine. Les Frères de la Milice devaient se 
confesser et communier au moins trois fois par an, aux fêtes de 
Noël, de Pâques et de la Pentecôte; Munio y ajoute une fête en 
l’honneur de la sainte Vierge, soit l’Assomption, soit la Nativité. 

Chaque règle exhorte vivement au respect vis-à-vis des prélats 
ecclésiastiques et à l’accomplissement de tout devoir envers les 
curés de paroisses. Frères de la Milice et Frères de la Pénitence 
doivent veiller à ce que les malades soient charitablement visités 
et reçoivent les secours de la religion ; ils sont invités à assister 


1 Pour le parallèle (le ces deux règles, cf. Federici, Istorin de’ Cavalieri Gaudenti, II, 
Codex Diplom., p. 12-16: Règle de la Milice de Parme approuvée en 1235 par 
Grégoire IX, et p. 28-36, Règle de la Pénitence de Saint-Dominique donnée par 
Munio de Zamora en 1285. 


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CHAPITRE III 


249 


aux funérailles des confrères. Munio complète cette invitation en 
ordonnant des suffrages déterminés. 

Ce rapide parallèle suffit pour mettre en évidence la ressem¬ 
blance, j’allais dire l’identité des deux règles. Et comme la règle 
de Munio n’est elle-même, comme nous l’avons vu, dans ses lignes 
principales, que la règle commune à toutes les Fraternités de 
Pénitence, à YOrdo de Pœnitentia tout entier, il s’ensuit que, 
dans la réalité, les Frères de la Milice de Jésus-Christ observaient 
la règle de YOrdo de Pœnitentia, Ils en étaient une branche mili¬ 
taire 1 . 

Cependant, exacte, à ce qu’il me semble, sur deux points : la 
fondation de la Milice de Jésus-Christ par saint Dominique et sa 
transformation postérieure en Pénitence dominicaine, la thèse du 
bienheureux Raymond de Capoue dépasse le but, en voulant prou¬ 
ver que les Fraternités de Pénitence sortent uniquement de la 
Milice de Jésus-Christ ainsi transformée. Cette transformation n’est 
en aucune manière l’origine du Tiers Ordre. 11 existait bien avant 
elle, bien avant la règle de Maître Munio*, alors que la Milice 
établie par Frère Barthélemy de Bragance était florissante à Parme 
et dans les principales villes d’Italie : Fraternités dominicaines de 
Pénitence et Milice de Jésus-Christ ont vécu longtemps côte à 
côte. Et ce n’est que plus tard, à une date très incertaine, mais 
qu’on doit reporter dans les dernières années du xm° siècle 3 , que 
toutes les Milices, devenues sans but pratique pour la défense de 
la foi, se sont fusionnées d’elles-mêmes, sans effort, comme natu¬ 
rellement, avec les Fraternités de Pénitence. La Milice de Jésus- 
Christ a grossi les rangs des Frères du Tiers Ordre ; elle ne les 
a point fondés. 

Si l’on veut en une formule précise le résumé de l’opinion exposée 
dans ce chapitre sur l’origine du Tiers Ordre de Saint-Dominique, 
je dirai : Le Tiers Ordre a été constitué d’une manière semblable 
aux Fraternités de Pénitence issues du mouvement franciscain, 
avec l’agrément et sous la direction de saint Dominique et de ses 
fils, par le désir spontané des âmes qui voulaient faire la pénitence 

1 Cela est si vrai que, dans la bulle au cardinal Romain, évêque de Porto, sur la 
fondation de la Milice de Jésus-Christ en Languedoc, llonorius III déclare que 
cette Milice est une Pénitence : « Supplicavit (Fr. Savaricus) ut signaculuni crucis 
quod defert, sibi et cjus sociis nominc Pœnitentiæ in remissionem suorum impo- 
nercs peccatorum... »> ( Federici, II, Codex Diplom ., p. 5.) 

* Nous avons vu plus haut que Maître Munio ouvre sa règle en parlant à des 
Fraternités déjà existantes de fait. 

* C’est ce qui explique pourquoi les couvents avaient réuni, dans les premières 
années du xiv e siècle, tous les documents concernant le Tiers Ordre et la Milice- 
La fusion était faite. Le bienheureux Raymond découvrant ces documents unis 
ensemble, entendant les Pères anciens déclarer que la Milice s'était transformée en 
Fraternité de Pénitence, en a conclu qu'elle était l'origine première du Tiers 
Ordre. 


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MUNIO DE ZÀMORÀ 


comme on la faisait dans l'Ordre des Prêcheurs. La Milice de 
Jésus-Christ est venue, dans la suite, se fusionner avec les Fra¬ 
ternités dominicaines, régies officiellement par la règle de Maître 
Munio. 


BIBLIOGRAPHIE 


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De Rubcis, De rebus Congregationis f sub titulo B. Jacobi Salomonii, Ord . 

Præd . commenlaria historica. Venise, 1751. 

Cornélius Flaminius, Historia Ordinis de Pœnitentia S. Dominici. Venise, 1749. 
Federici, Isloria de* Cavalieri Gaudenti. Venise, 1787. 

H. Tiraboschi, Ve ter a Ilumiliatorum monumenta. Milan, 1766-68. 

Fineschi, Memorie istoriche degli uomini illustri del convento di Santa Maria 
Nouella. Florence, 1790. 

B. Raymond de Capoue, Vie de sainte Catherine de Sienne , édition Cartier. 
Analecta Franciscana. Quaracchi, 1884-97. 

P. Sabatier, Begula antigua Fratrum et Sororum de Pœnitentia seu lertii 
Ordinis S. Francisci. Valence, 1901. 

P. Mandonnet, les Origines de V Ordo de Pœnitentia. Fribourg, 1898. 

— les Règles et le Gouvernement de /'Ordo de Pœnitentia au 

xin° siècle. Paris, Fischbaclier, 1902. 

K. Millier, Die An fange des Minoriten- Ordens und der Bussbruderachaften. 
Fribourg-en-Brisgau, 1885. 

Die Regel des Tertiarierordens (Zeitschrift fur Kirchengeschichte, t. XXIII, 
1902). 

Seraphicæ legislationis textus originales. Quaracchi, 1897. 


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CHAPITRE IV 


LA DÉPOSITION DE MAITRE MUNIO 


J’ai déjà fait pressentir que le gouvernement de Munio de Zamora 
ne fut point paisible. Nul cependant des Capitulaires qui le choi¬ 
sirent pour le mettre à la tête de l’Ordre ne pouvait prévoir le tra¬ 
gique dénouement qui allait troubler les Prêcheurs et semer parmi 
eux des germes féconds de discorde. 

A peine élu, Maître Munio fut attaqué. Au Chapitre de Bordeaux, 
en 1287, les Pères infligent une sévère pénitence aux Frères Hugues 
de Villasana, R. de Sancta-Feva, Jo. de Arenes, qui avaient osé 
diffamer le « vénérable Père, Maître de l’Ordre », en répandant 
d’odieuses calomnies. En France même on en était indigné; car, 
disent les Actes, ces faits ont été dénoncés au Chapitre par beau¬ 
coup de couvents de France 1 . Le Provincial, Frère Thomas de Luxé- 
mont, avait chassé de leurs couvents ces calomniateurs; ils devront 
en être exclus pour toujours, être privés de toute voix, de toute 
participation aux affaires de l’Ordre, jusqu’à ce qu’un Chapitre 
général en décide autrement. De plus, ils reçoivent comme châti¬ 
ment douze jours au pain et à l’eau, douze messes et douze disci¬ 
plines. 

Ce mouvement de révolte devait être assez étendu dans la pro¬ 
vince de France. On enjoint, en effet, au Provincial de faire une 
enquête parmi ses religieux et de corriger sans pitié ceux qu’il trou- 


1 « Quia mulli conventus Francie nobis suis lilteris intimarunt quod quidam 
fratres ejus proviucie acuerunt linguas suas in derogacionem famé vencrabilis fra- 
tris Magistri Ordinis, falso effundentes et disséminantes de ipso quedam de quibus 
idem Magistcr est omnino innocens et immunis ordinamus et volumus quod fratres 
Hugo(nem) de Villasana, R de Sancta Feva, Jo de Arenes, quos prior provincialis 
Francie propter hujusmodi linguarum suarum lubricitatem et detractionem de suis 
emisit conventibus, non redeant ad eosdem, et sint omni voce privati, nisi in sui 
accusacione, nec ad alios tractatus ordinis admittanlur, donec per Generale Capitu- 
lum fuerint restituti. XII insuper diebus abstinebunt in pane et aqua. XII Missas 
et XII disciplinas récipient. Et injungimus priori provinciali Francie, quod in sua 
provincia super quibusdam fratribus qui nobis de predicto excessu fuerunt delati, 
et eciam de aliis fratribus inquirat diligenter, et si quos invcnerit deliquisse, simi- 
liter vcl eciam gravius puniat si gravius cxcesserunt, ne tantus cxcessus remaneat 
impunitus. » (Acta Cap., I, p. 241.) 


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*252 


MUNIO DE ZAMORA 


vera coupables : « Il ne faut pas, disent les Pères, qu’un pareil 
excès demeure impuni. » 

Malheureusement aucun document contemporain ne donne le 
motif de cette insubordination. Il y a bien les allégations de Sébas¬ 
tien de Olmedo; mais cet écrivain est du xvi e siècle, et a la 
fâcheuse habitude de ne jamais indiquer ses sources. Voici ce qu’il 
dit : « On supportait avec peine que Munio, qui n’était pas Maître 
de Bologne, ni docteur de Paris, ni illustre par sa science, gou¬ 
vernât rOrdre 1 * ... D’autre part, ajoute-t-il, Espagnol de naissance, 
ayant toujours vécu en Espagne, le Maître n’avait pu se créer, à 
la Cour romaine, ces relations élevées si précieuses pour le gou¬ 
vernement de l’Ordre*. » 

Cette mésestime ne suffit pas à expliquer une campagne de 
calomnies. Les Actes de Bordeaux déclarent qu’il s’agit bien « de 
certaines choses qui atteignent la réputation du Maître et dont il 
est parfaitement innocent 3 ». 

Ces attaques d'intérieur, pour graves qu’elles fussent, désa¬ 
vouées, du reste, par la partie la plus saine de la province de 
France, n’étaient qu’un jeu en comparaison des événements dont 
il nous faut suivre les douloureuses péripéties. 

Au début du pontificat de Nicolas IV, Maître Munio avait mani¬ 
festé à l’Ordre les grandes espérances que cette élection laissait 
entrevoir. Dans sa joie de la présence d’un Frère Mineur sur la 
chaire de saint Pierre, il écrivait : « Je désire vous faire connaître 
et par vous à tous les Frères que le très saint Père et Seigneur, le 
Souverain Pontife, a déjà témoigné à notre Ordre une grande bien¬ 
veillance; et j’ai confiance que si Dieu prolonge ses jours, il le 
comblera de ses gracieuses faveurs... Aussi convient-il que tous 
les Frères supplient le Seigneur pour l’heureuse prospérité du 
Pape 4 . » 

Cette lettre venait après le Chapitre de Lucques, en 1288. Il 
n’y avait pas plus de trois mois que Nicolas IV était élu. 

Or, deux ans après, ce Pontife donnait ordre aux cardinaux 
Latino Malabranca, évêque d’Ostie et Velletri, et Hugues de Bil- 
lom, du titre de Sainte - Sabine, tous deux de la famille domini¬ 
caine, de faire démissionner Maître Munio 5 . 


1 «( Ægre fcrentcs Munionem Hyspanum, non Magistrum Bononiensera, non do- 
clorem Parisiensem, non eruditionc cunclis preslantem regnare super eos. » (Sébas¬ 
tien de Olmedo, Chron. nov., p. 34. Ms. arcli. Ord.) 

5 Ibid - 

3 « Acucrunt linguas suas in derogacionem famé Vencrabilis patris Magistri ordi- 
nis, falso effundentes et disséminantes de ipso quedam de quibus idem magister 
est omnino innoccns et immunis. » (Ada Cap., I, p. 24.) 

* Litter. Encycl., p. 139. Ed. Rcichert. 

B Voici la lettre de Nicolas IV : 

« Nicholaus episcopus, servus servorum Dei, Dilectis filiis diffinitoribus futuri 


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CHAPITRE IV 


253 


Latino Malabranca, de la race des Frangipani et Orsini, d'abord 
étudiant à l’Université de Paris, prit l’habit des Prêcheurs à Sainte- 
Sabine. Renvoyé à Paris pour y compléter ses études théologiques, 
il y obtint de grands succès, sans cependant être honoré de la 
dignité de Maître 1 . Lecteur à Rome, il devint Prieur de Sainte-Sabine. 
C’est là que les honneurs de la pourpre l’attendaient. Son oncle, 
le cardinal Jean Orsini, étant devenu pape le 25 novembre 1277, 
sous le nom de Nicolas III, il fut créé cardinal-évêque cTOstie et 
Velletri, au mois de mars suivant. Légat en Toscane, pour apaiser 
les dissensions entre Guelfes et Gibelins, il sut par sa douceur, 
son habileté et sa rare éloquence, rétablir la paix, au moins pour 
un temps. 

Le cardinal Latino, même après la mort de son oncle, garda 
dans le Sacré-Collège une influence prépondérante. Ce qui prouve 


capituli generalis ordinis fratrum Prædicatorum, proximo celebrandi, et univcrsis 
fratribus ipsius Ordinis in codem Capitulo congregatis salutem et apostolicam 
benedictionem. 

« Circa curam vestri ordinis solicitudinis apostolice adhibcre studium cupicntes 
Venerabili Fratri L. Osticnsi et Velletrensi episcopo ac dilecto filio nostro H. tituli 
Sanctæ Sabinæ presbytero cardinali circa pcrsonas omnes ipsius Ordinis cujus- 
cumque conditionis existèrent, ordinandi, disponendi, corrigendi, et reformandi et 
quædam alia faciendi, prout ad profectum ejusdem ordinis secundum Deum fore 
prospexerunt oporlunum, pridem per alias litteras nostras liberam facultatem con- 
cessimus in haec verba : 

« Nicholaus episcopus, servus servorum Dei, Fratri L. Osticnsi et Velletrensi epi¬ 
scopo ac dilccto filio H. Sanctæ Sabinæ presbytero Cardinali salutem et apostoli¬ 
cam benedictionem. 

« Gaudemus in Domino dum sedula considcratione perpendimus opéra virtuosa 
quæ ipse dominus virtutum et rex gloriæ per famulos suos fratres Ordinis Prædi¬ 
catorum ad sui nominis gloriam cuih multo animarum fructu multipliciter opera- 
tur. Cupientes autein ut idem ordo spiritualibus semper proficiat incrementis ac 
sperantes quod, auctore Domino, per circumspectionis Vestræ sollertiam, qui fuistis 
in ordine ipso diutius enutriti, ac de ipso ad statum Cardinalatus Assumpti, quique 
spiritu coheretis eodem vinculo caritatis astricti, multa ipsi ordini commoda pote- 
mnt provenire si super personas omnes ejusdem ordinis, cujuscumquc conditionis 
existant, absolvendo quos ab officiis quæ intra ipsum Ordinem oportuerit officiales 
quoslibetcumque seu prelatos prout ad profectum ipsius Ordinis serviendum fore 
videritis oportunum; nec non contradictores si qui fuerunt aut rebelles per censu¬ 
rant ecclesiasticam compescendi non obstantibus quibuscumque privilcgiis aut 
indulgentiis ipsi ordini vcl personis ejusdem sub quacumquc verborum forma 
concessis etiam si hiis oporteat in presentibus mentionem fîeri specialem, plenam 
et liberam auctoritatem presentium concedimus facultatem ; proviso quod circa 
ordinis regulam, seu statuta, nulla per vos innovatio fiat, nisi consensus Capituli 
Generalis acccdat juxta morcm in ipso hactenus approbatum. 

« Datum Romæ apud Sanctam Mariam majorem IX Kalend. Martii, pontificatus 
nostri anno secundo (21 février 1290). 

« Verum predicti cardinales nuper ex certis considcrationibus commissionem 
prædictam cjusque officium spontc ac libéré in nostris manibus resignaverunt 
nosque rcsignationem eamdem de fratrum nostrorum consilio duximus admitten- 
dam. 

« Datum apud Urbem Vcterem, II idus Aprilis; pontificatus nostri anno 
quarto. » (Codex Ruthenensis, p. 308-309. Ms. arch. Ord.) 

1 Taegio se trompe en lui donnant ce titre. Bernard Gui ne le cite pas dans le 
Catalogue des Maîtres de Paris. (Cf. Taegio, Chron. ampliss., I, p. 137. Ms. arch. 
Ord.— Echard, I, p. 436.) 


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MUNIO DE ZAMORA 


avec évidence qu'il avait un mérite personnel hors de pair. D'ha¬ 
bitude, en effet, les neveux des Papes durent, comme puissance 
efficace, autant que le pontificat de leurs oncles. Souvent même, 
l'oncle étant défunt, des réactions, parfois violentes, ont appris à 
plus d’un neveu que la pourpre familiale n’était point sans douleur. 
Frère Latino eut la confiance des nombreux successeurs de Nico¬ 
las III : Martin IV, Honorius IV, Nicolas IV et Célestin V. Cette 
confiance universelle est toute à sa louange 1 . 

Son collègue, Hugues de Billom, était un Français. Il appartenait 
à la noble famille des Aysselin d’Auvergne*. Né vers 1230, il 
entra dans l'Ordre des Prêcheurs, dès son adolescence, au couvent 
de Clermont, dont le château de ses ancêtres était peu distant 3 . 
Ses études furent brillantes. Successivement professeur dans les 
collèges de l’Ordre à Orléans, Angers, Rouen, Auxerre surtout, il 
devint Maître de Paris 4 et Régent à Saint-Jacques, en 1282 et 1283. 
Appelé à Rome, en 1285, par Honorius IV, il professa à Sainte- 
Sabine. Peut-être fut-il Maître du Sacré-Palais; on ne peut l'af¬ 
firmer 5 . Le 15 mai 1288, veille de la Pentecôte, Nicolas IV le 
créa cardinal du titre de Sainte-Sabine 6 . 

C’est aux Pères Capitulaires, réunis à Ferrare, en 1290, que 
s’adressèrent les cardinaux. Mais ils ne le font pas directement. 
Pas plus que le Pape, ils ne s’attaquent au Maître Général face à 
face. Ils agissent en détours. La commission qu'ils ont reçue de 
Nicolas IV, ils la transmettent à quatre religieux, et par ces inter¬ 
médiaires au Chapitre lui-même. On se demande pourquoi toutes 
ces hésitations. Voici la lettre des cardinaux : « Frère Latino, par 
la grâce de Dieu, évêque d’Ostie et Velletri, et Frère Hugues, 
cardinal-prêtre du titre de Sain te-Sabine, aux religieux Frère 
Salvo, Provincial des Prêcheurs de la province Romaine; Frère 
Jacques, Prieur de Sainte-Marie sur Minerve; Frère Alrado, Prieur 
de Strasbourg 7 ; Frère Jacques de Voragine, de l’Ordre des Prê¬ 
cheurs, salut éternel dans le Seigneur. 

1 Fontana, Sacr. Theatr. Dom. f p. 253. — Chron. Conv. Perusini, lib. QQ, p. 703. 
Ms. arch. Ord. 

2 Cf. Chapolin, Histoire des Dominicains..., p. 684. 

3 Echard, I, p. 451. 

4 Bernard Gui le met, comme rang de promotion, le trente-septième Maître. 

6 Echard, I, p. 451. 

6 Chron. Conv. Perusini, lib. QQ, p. 704. Ms. arcli. Ord. — Touron, les Hommes 
illustres de VOrdre de Saint - Dominique, I, p. 573. 

7 Les trois autres Frères étant de la province Romaine, on peut se demander 
pourquoi les cardinaux vont chercher, pour cette commission, le Prieur de Stras¬ 
bourg, qui n’était pas du Chapitre. Frère Alrado ne leur était pas inconnu. Il avait été 
envoyé en cour de Rome, en 1289, pour s’occuper des afTaircs du couvent de Zofingen. 

Hermann de Minden en fait foi dans une lettre du mois de février 1289. Finke, 
Dominikanerhriefe, p. 126.) 

C’était l’époque où le couvent de Strasbourg lui-même était dispersé et ses reli¬ 
gieux répartis dans des vicariats à Schlestadt et Hagucnau. (Ibid., p. 127.) 


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CHAPITRE IV 


255 


« Comme nous avons, par ordre du très saint Père, le Seigneur 
Pape Nicolas IV, à communiquer au Maître, aux Prieurs Pro¬ 
vinciaux et aux autres Frères de votre Ordre, une lettre spéciale, 
nous vous ordonnons, en vertu de l’obéissance, de présenter cette 
lettre à ceux à qui elle est adressée, que vous soyez ou trois, ou 
deux, ou même un seul. Nous défendons à tous les prélats et aux 
autres Frères de l’Ordre, en vertu de cette même obéissance et 
sous peine d’excommunication, de s’opposer en quoi que ce soit à 
l’accomplissement de votre mandat. 

« Donné à Rome aux Calendes de mai, année troisième du pon¬ 
tificat du Seigneur Pape Nicolas IV 1 (1 er mai 1290). » 

Ces quatre religieux ne pouvaient se soustraire à cette délicate 
mission. Les cardinaux arguant d’un ordre du Saint-Siège, il n'y 
avait qu’à se soumettre. C’est ce qu’ils firent. 

Ils se rendirent au Chapitre général de Ferrare 2 et commu¬ 
niquèrent à l’assemblée la lettre qui lui était officiellement 
adressée. 

En voici la teneur : « Aux Prieurs Provinciaux de l’Ordre des 
Prêcheurs réunis au Chapitre général, Frère Latino, évêque d’Ostie 
et Velletri, et Frère Hugues, cardinal-prêtre du titre de Sainte- 
Sabine, salut éternel dans le Seigneur. 

« D’après tout ce qui nous a été rapporté, de sources diverses, 
nous croyons qu’il convient à votre honneur et à votre profit que 
Frère Munio, Maître de l’Ordre, se retire du magistère qu’il occupe 
depuis un temps assez long 3 . Comme cette affaire peut être réglée 
convenablement par votre entremise, nous vous prions et nous 
vous engageons vivement dans le Seigneur à persuader à Maître 
Munio, pendant le Chapitre que vous allez célébrer, de demander 
lui-même humblement et avec instance à être absous de sa charge, 


1 « Permissione divina fratcr Latinus, Hostiensis et Vclletrensis cpiscopus, et 
frater Hugo, tituli S. Sabine prcsbiter cardinalis, religiosis viris fratri Salvo, pro- 
vinciali fratrum predicatorum Romane provincie, fratri Jacobo sancte Marie in 
Minerva, fratri Alrado Argcntinensi prioribus, fratri Jacobo de Voragine ordinis 
predicatorum, salutem in domino sempiternam. 

« Cum nos magistro, prioribus provincialibus et aliis fratribus ordinis vestri pre¬ 
dicatorum literas nostras destinemus auctoritate nobis commissa a sanctissimo 
pâtre domino Nycholao papa IV, vobis in virtute obediencie districtc prccipicndo 
mandamus, quatenus vos très seu duo vestrum aut unus easdcm literas secundum 
informéeionem, quam acepistis a nobis, hiis quibus mittuntur, sollicite presentetis. 
Omnibus prelatis et aliis fratribus ejusdem ordinis in eadem virtute sub pena 
excommunicacionis districte precipimus, ut nullus quomodolibet impedire présu¬ 
mât, quominus mandatum nostrum libéré adimplcre possilis. 

« Datum Rome Kalendis maii pontificatus predicti domini Nycolai pape IV anno 
tercio. » ( Litter. Encyçl., p. 148. Ed. Reichert.) 

* Deux des quatre délégués faisaient seuls, de droit, partie du Chapitre des Pro¬ 
vinciaux : le Provincial de Rome, Frère Salvo, et son socius, probablement le Prieur 
de la Minerve Frère Jacques de Folchiano. Les deux autres n’y purent accéder qu’à 
titre de mandataires du Saint-Siège. 

* Le temps leur avait paru long, car il n’y avait que cinq ans. 


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MUNIO DE ZAMORA 


et, séance tenante, vous le déposerez. Si, — ce qu’à Dieu ne plaise ! 
— il ne voulait pas demander volontairement son absolution, vous 
le déposeriez quand même, le plus honorablement possible, de 
manière à ce qu'on ne soit pas obligé de procéder contre lui d’une 
façon plus pénible'. » 

Cette lettre est vraiment extraordinaire. Deux cardinaux, sortis 
de l’Ordre, tous deux personnages de haut mérite intellectuel, de 
vie morale intègre, imposent à un Chapitre général de casser le 
Maître de l’Ordre, qu’il le veuille ou non, et cela sans alléguer 
une raison! Aucun motif à cette déposition n’est notifié à ceux 
qui doivent en prendre la responsabilité. Ce sont des rumeurs, des 
bruits, des délations qu’on laisse dans l’ombre, comme si on avait 
honte de les étaler en public. 

Les Pères du Chapitre.en furent indignés. Quatre actes succes¬ 
sifs témoignent officiellement de leur douleur et de leur vénération 
pour le Maître que l’on veut frapper. Ils adressent deux lettres 
aux cardinaux, l’une pour se plaindre de leur intromission dans 
le gouvernement de l’Ordre, l’autre pour protester de l’innocence 
du Maître Général. 

Voici la première : « Aux Vénérables Pères et Seigneurs dans 
le Christ, Latino, évêque d’Ostie et Velletri, et Hugues, par la 
grâce de Dieu cardinal-prêtre du titre de Sainte - Sabine, leurs 
humbles et dévoués Frères de l’Ordre des Prêcheurs, à savoir : 
Gilles, Provincial d’Espagne ; Bernard Géraud, Provincial de Pro¬ 
vence; Thomas, Provincial de France; Bertold, Provincial de Lom¬ 
bardie; Hermann, Provincial de Teutonie; Salvo, Provincial de 
Rome; Salomon, Provincial de Hongrie; Gilles, Provincial de 
Pologne; Guillaume, Provincial d’Angleterre; Salvo, Provincial de 
Grèce; Olivier, Provincial de Dacie; Rodolphe, Provincial de Terre 
Sainte, et tout le Chapitre général réuni à Fer rare : 

1 « Religiosis et vencrabilibus viris prioribus provincialibus ordinis predicato- 
rum in generali capitule congregandis permissione divina frater Latinus, Iïosticn- 
sis et Velletrensis episcopus, et frater Hugo, tituli sancte Sabine presbiter cardi- 
nalis, salutem in domino sempiternam. 

« Propter multa, que sentimus, queque multorum relacione fideli ad nostram 
noticiam pervenerunt, honestati et utilitati vestre omnino credimus expedirc, ut 
frater Munio, magister ejusdem ordinis, quiescat deinceps ab ofïicio magistratus, in 
quo non parvo jam tempore noscitur laborasse. Cuin igitur id per officii vestri 
solerciam convenienter possit exequucioni mandari, prudcnciam vestram rogamus 
et exhortamur in domino, salubri consilio suadentes, quatenus in generali capitulo 
proximo celebrando, eundem magistrum eflicaciter inducatis, ut predicto cédât 
officio suamque absolucionem petat liumiliter et instanter, vosque ipsam eidem in 
ipso capitulo impendatis. Si vero, quod absit, ipse ad cessionem seu absolutionis 
peticionem se voluntarium non exhiberct, vos nichilominus honesto modo , quo 
melius fieri poterit, ipsum codem ofïicio absolvalis et removeatis omnino, ita quod 
circa hoc non oporteat aliud fieri, quod forte minus ipsius magistri congruel 
honestati. 

« Datum Rome IV kal. maii pontificatus donfini Nycholay pape IV anno II1°. » 

( Litter . Encycl. , p. 149-150. Ed. Reichert.) 


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CHAPITRE IV 


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« Nous aurions une joie très grande, si Votre Paternité nous 
donnait des ordres que nous puissions remplir dans la paix; car 
nous sommes entièrement disposés à faire tout ce qui peut attirer 
votre bienveillance sur notre Ordre. Votre révérende Paternité doit 
déjà savoir qu’au reçu de vos lettres, avant même que l’on pût 
délibérer sur leur contenu, il y eut une telle explosion de rumeurs 
parmi les Frères, que nous avons été forcés de les lire publiquement 
devant tout le Chapitre. Ce furent alors de telles effusions de larmes, 
de tels gémissements, de tels cris de douleur, que si à l’instant 
même on eût reçu de Dieu l’annonce d’une mort immédiate, il 
n’y aurait pas eu plus de lamentations et de chagrin. 

« — Nous sommes devenus esclaves ! criaient les Pères ; nous 
sommes à la merci d’étrangers ! Et les hommes les plus éminents 
imploraient devant tout le Chapitre, le cœur angoissé, la permis¬ 
sion de passer dans un autre Ordre. Malheur à nous ! Pourquoi 
sommes-nous nés pour voir cette calamité et ce péril de notre 
Ordre ? » 

« Si vous aviez vu ce spectacle de vos yeux, vous n’auriez pu, 
nous en avons la conviction, contenir vos larmes, puisque vous 
êtes liés à notre Ordre par la charité fraternelle et un dévouement 
naturel. 

< C’est pourquoi, afin d'adoucir notre douleur, nous en avons 
appelé au Saint-Siège, convaincus que ce procédé ne pourrait vous 
être pénible, puisqu’il s’agissait de remédier à de telles blessures. 

« Nous supplions humblement Votre Paternité de garder à 
l’Ordre sa bienveillance; de ne pas tenter d’y introduire ces 
nouveautés qui troublent les âmes. Saint Augustin n’a-t-il pas dit 
qu’il ne fallait pas changer même une coutume utile, de peur de 
jeter la discorde 1 ?...» 


1 « Vcnerabilibus in Christo patribus ac dominis spiritualibus dominis Latino, 
Ostiensi et Velletrensi episcopo, et Ilugoni, dei gracia tituli sancte Sabine presbi- 
tero cardinali, sui humiles et dcvoti fratres ordinis predicatorum scilicet : Egidius, 
provincialis Ilyspanie, Bernardus Geraldi, provincialis Provincie, Thomas, provin¬ 
cialis Francie, Bertoldus, provincialis Lombardie, Hermannus, provincialis Theoto- 
nie, Salvus, provincialis Romane provincie, Salomon, provincialis Ungarie, Egidius, 
provincialis Polonie, Guillclmus, provincialis Anglie, Salvus, provincialis Grecie, 
Olivarius, provincialis Dacie, Rodulphus, provincialis Terre Sancte, et totum capi- 
tulum generale apud Ferrariam congregatum cum omni rcvcreneia débita et devota 
scipsos. 

« Nostris accresccret gaudium cordibus, si nobis per vestram paternitatem ilia 
exequenda mandarcntur, que possemus cum quiete fratrum nostri ordinis adimplere, 
cum noster affectus sit promptus ad vestra beneplacita adimplenda et ea facere, 
per que debcamus et valeamus erga ordinem vestram gratiam promereri. Sed nove- 
rit vestra reverenda paternitas, quod, cum accepissemus litteras vestras, antequam 
potuissemus super hiis dcliberare, innotuerunt rumores apud fratres, et ad eorum 
importunitatem coacti sumus litteras in capitulo legere. Et tune tanta fuit lacry- 
marum effusio, tan tu s gemitus, tantus dolor, a quibus clamantibuS sumus discri- 
mini expositi (et) dissipacioni, facti servi, multis cciam magnis fratribus clamanti- 
bus et licenciam transeundi ad alios ordines coram toto capitulo cuin multu ama- 

II. - 17 


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MUNIO DE ZAMORA 


On voit, d’après ce document, le trouble profond occasionné 
par cette malencontreuse tentative. 

Les Pères ne se contentèrent point de gémir. On avait accusé 
le Maître Général, sans toutefois rien préciser contre lui. Il fallait 
démontrer l’inanité de toute accusation. Un jugement public, officiel, 
s’imposait à la conscience des Pères Capitulaires. Pour le défendre 
avec autorité, et devant le Pape, et devant l’Ordre, on devait tenir 
en mains les preuves les plus convaincantes de son innocence. 
C’était le seul moyen d’avoir le droit de parler haut et ferme. Nul 
besoin, du reste, d’instituer un tribunal extraordinaire. Les Cons¬ 
titutions de l’Ordre donnent au Chapitre le pouvoir de corriger, 
et, s’il était nécessaire, de déposer le Maître Général. Il n’y avait 
qu’à s’en servir. On le fit avec une solennité rare. Les membres 
du Chapitre furent avertis qu’ils pouvaient et devaient en toute 
liberté, sans égard pour n’importe quel intérêt ou quelle dignité, 
soucieux uniquement de la correction et du salut de l’Ordre, ré¬ 
véler ce qu’ils savaient de répréhensible sur les Frères, même sur 
le Maître Général. Les fautes publiques devaient être dites publi¬ 
quement, les fautes secrètes secrètement. 

Maître Munio, heureux du zèle déployé par ses fils pour l’hon¬ 
neur et le bien de l’Ordre, intervint de sa propre personne. Spon¬ 
tanément, devant tout le Chapitre, il déclara soumettre sa conduite 
à l’examen public *. Les Pères s’y refusèrent. D’après les Consti¬ 
tutions, les Définiteurs ont seuls le droit de juger le Général. Il 
y allait de sa dignité. Mais les Définiteurs entendirent les déposi¬ 
tions de tous les Pères*. Après mûre délibération, il fut reconnu 
que le Maître était un homme vertueux, de grand mérite, d’une 
réputation sans tache, le modèle de son Ordre, zélateur ardent de 
tout bien, tant par son ardeur à poursuivre le vice que par son 
énergie à promouvoir la vertu 3 . 

Et les Pères du Chapitre, forts des dépositions juridiquement 


ritudine postulantibus, ita ut, si mors omnibus fuisset cclitus nunciata, non fuisset 
forsitan major doloris et meroris cxpressio, in tantum ut unusquisque nostrum 
eciam cum gcmitu in corde versaret. Vhe nobis! Ut quid nati sumus tantum videre 
nostri ordinis amaritudinem et jacturam! Ncc dubitamus, si vos ipsi vestris oculis 
vidissetis, non potuissetis lacrymas continere, cum fraterna cari tas, innata pietas 
vos alligaverit nostro ordini vinculo salutari. ldeoque ut tantum dolorem mitigare 
possemus, in vocem appellacionis crupimus, suspicantcs, quod vestra providencia 
moleste non fcrret, quod tantis vulncribus unguenta curaverimus apponere sani- 
tatis. Quare vestre patcrnitati humiliter supplicamus, qualenus benevolencie 
graciam ad ordinem conservetis, nec vobis placeat novitate aliqua ordini nostro 
admiracionem inducere, cum secundum Augustinum ipsa mutacio consuetudinis, 
eciam que utilitate militât, novitate conlurbat, fratribus eciam multis dulcius 
esset mori, quam novitati hujusmodi subiacerc. » (Lilter. Encycl., p. 150 et ss. 
Ed. Reichert.) 
i Ibid., p. 153. 
s Ibid. 

> Ibid. 


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CHAPITRE IV 


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reçues, rendant compte de leurs actes aux cardinaux, témoignent 
en ces termes de leur vénération pour le Maître indignement 
accusé : « Depuis son entrée dans l'Ordre, disent-ils, c’est-à-dire 
en l’espace de trente-trois ans, il n’a jamais mangé de viande; au 
couvent de Paris, où il resta soixante-treize jours, après le Cha¬ 
pitre de Trêves (1289), il fut présent, sans y manquer une fois, au 
réfectoire commun et aux Complies; dans les couvents où il s’ar¬ 
rêta quelquefois au passage, il à laissé la réputation d’un homme 
agréable à Dieu et aux hommes ; jamais dans les Chapitres géné¬ 
raux on n’eut à lui reprocher d'autres fautes que ces manquements 
légers, — réputés tels par la règle, — auxquels toute vie humaine 
est soumise. C’est le témoignage authentique que lui rendent les 
Pères qui ont été Défîniteurs en divers Chapitres, et tous, présents 
ici, l’affirment hautement et n'ont pas hésité à sceller de leur sceau 
leur déposition juridique, sauf Frère Jacques de Voragine, qui, 
ayant perdu le sien, a signé de sa propre main 1 . » 

Cette unanimité parmi les Pères Capitulaires les décida à s’op¬ 
poser énergiquement à l’entreprise des cardinaux. Il ne s’agissait 
pas seulement de la personne de Munio de Zamora; ce qui était 
enjeu dans cette pénible affaire, c’était la liberté même de l’Ordre. 
D’après ce qu’affirmaient les mandataires des cardinaux, ceux-ci 
prétendaient avoir reçu du Pape tout pouvoir sur l’Ordre et ses 
membres*. On était donc à leur merci. L’Ordre n’avait plus le 
droit de se gouverner et de s’administrer lui-même. Il était mis 
en tutelle. Pareille situation, qui devenait aux yeux de toute 
l’Église une déchéance, parut intolérable. D’un commun accord, 
les Pères inteijetèrent appel au Saint-Siège. 

« Cette prétendue commission du Pape, disent-ils dans la lettre 
qui avise l’Ordre de ce grave événement, les mandataires des 
cardinaux, requis par nous de la communiquer au Chapitre, s’y 
sont refusés. Tous ces procédés sont contraires au droit de l’Ordre, 
contraires à ses privilèges et à ses Constitutions, et lui portent un 
préjudice considérable. Aussi, bien résolus à en appeler de la pré¬ 
sence et de l’autorité des cardinaux Latino, évêque d’Ostie et 
Velletri, et Hugues, du titre de Sainte-Sabine..., nous nous sommes 
présentés devant notre Vénérable Père, Frère Munio, Maître de 
notre Ordre, et, étant témoins: Frère Jacques, Prieur de Milan; 
Frère Ardicon, Prieur de Reggio; Frère Brandan, Prieur de Mo- 


1 Litter. Encycl., p. 154. Ed. Reichert. 

* « Frcti ut dicunt auctoritate cujusdam commission^ sibi facte per sanctissi- 
mum Patrem dominum Nycholaum papam quartum, per quam asserunt sibi fore 
commissum, ut circa personas omnes ejusdem Ordinis ordinandi et disponendi et 
quedam alia faciendi liberam habeant potestatem. » Lettre des Pères de Ferrare 
à tous les religieux de l’Ordre pour leur annoncer l’appel du Chapitre au Saint* 
Siège. ( Litter . Encycl p. 156. Ed. Reichert.) 


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MUNIO DE ZAMORA 


dène.; Frère Frédéric, Prieur de Crémone, nous avons exprimé 
toutes ces vexations imposées à nous et à tout l'Ordre, et nous 
avons décidé de rédiger ainsi notre appel : 

« Nous, Frère Gilles, Prieur Provincial d’Espagne; Frère Ber¬ 
nard Géraud, Provincial de Provence, etc..., tous de l’Ordre des 
Frères Prêcheurs, croyant que nous et notre Ordre nous sommes 
injustement opprimés, et craignant de l’être plus encore dans la 
suite par les vénérables Pères et Seigneurs Latino, évêque d’Ostie 
et Velletri, et Hugues, cardinal-prêtre du titre de Sain te-Sabine, 
contrairement au droit de l'Ordre, à ses privilèges et à ses Cons¬ 
titutions, en notre nom et au nom de tous nos subordonnés, 
nous en appelons au Siège apostolique ; nous recourons ins 
tamment aux Apôtres, et nous mettons nous et chacun des 
Frères de l’Ordre sous la défense et la protection du Siège apos¬ 
tolique 1 2 ... » 

Cet acte solennel fut signé à Ferrare, dans le couvent des Prê¬ 
cheurs, l’an du Seigneur 1290, le 5 mai, qui était un samedi. Une 
lettre circulaire en donna connaissance à l'Ordre entier. Les Capi¬ 
tulaires ayant appelé au nom de tous les Frères, tous devaient 
être avertis. 

Le Chapitre de Ferrare se termina par un abus de pouvoir bien 
étrange de la part de deux des mandataires des cardinaux. Frère 
Salvo, Provincial de Rome, et Frère Jacques de Voragine, plus 
attachés à l'Ordre qu’aux injonctions des cardinaux, loin de rem¬ 
plir une mission odieuse pour leur Supérieur Général et dange¬ 
reuse pour la liberté de l’Ordre, avaient résolument participé à 
tous les Actes du Chapitre en faveur de l’une et de l’autre et signé 
l’appel au Saint-Siège. Cette attitude ne manquait point d'énergie 
ni d’indépendance ; car ils s’exposaient à la colère des cardinaux 
et du Pape lui-même*. On ne pouvait agir avec plus de désinté- 


1 « Nos fratres Egidius prior provincialis Hyspanie, B. Geraldi provincialis pro- 
vincie et ceteri qui supra, ordinis fratrum predicatorum, sencientes nos et ordinem 
nostrum, ut superius exprimitur, per venerabiles patres et dominos Latinum, 
Ostienscin et Velletrensem episcopum, et Ilugonem, Lit.'S. Sabine presbiterum car- 
dinalem, contra juris ordinem ac nostri ordinis privilégia et eciam instituta gravari 
indebite ac eciam in posterum aggravando, vice nostra et omnium subditorum 
nostrorum, quatenus de facto processerunt vel processerint in hiis scriptis ad 
sedem apostolicam appellamus et apostolos petimus, et instantcr petimus, ac nos 
et fratres singulos ordinis nostri nobis subditos defensioni et protectioni sedis 
apostolice duximus supponcndos. Per hanc autem appellacionem nostram nolumus 
nec intendimus appellacioni alicui propter dictum negocium per nos ad eamdem 
sedem interposite prejudicium aliquod generare vel ab ea recedere. Testes hujus 
instrumenti seu appellacionis fuerunt rogati supradicti fratres. 

« Actum Ferrarie in domo fratrum predicatorum anno Domini M°CC°XC° die 
sabbati V° exeunte maio. »> (Litter. Encycl p. 157. Ed. Reichert.) 

Cette déclaration laisse supposer que les Pères Capitulaires (per nos) avaient 
déjà appelé au Pape pour cette affaire {interposite, non interponende). Et par cet 
appel nouveau ils entendent ne retirer en rien ce premier appel. 

2 Les historiens espagnols se trompent donc absolument sur l'attitude de Frère 


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CHAPITRE IV 


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ressement. Leurs compagnons, Frère Jacques de Folchiano, Prieur 
de la Minerve, et Frère Alrado, Prieur de Strasbourg, n'eurent 
point la même dignité de caractère. Ils se refusèrent à signer l'appel : 
ce qui était leur droit. Mais ils allèrent plus loin. Sans commu¬ 
niquer au Chapitre les lettres pontificales leur conférant le pou¬ 
voir de déposer eux-mêmes le Maître Général, ils passèrent outre 
et le déposèrent. Cette déposition, faite sans mandat, n’eut aucun 
effet. Maître Munio n’en demeura pas moins Maître Général. La 
Cour romaine elle-même, pour désireuse qu’elle fût de cette déci¬ 
sion, ne la jugea pas légale 1 . 

Avant de se séparer, les Capitulaires, estimant que l’Ordre se 
trouvait en grand péril, firent deux ordonnances qui révèlent leurs 
angoisses. La première est un recours à la protection de la sainte 
Vierge. Jamais, dans les circonstances critiques où il avait failli 
sombrer, l’Ordre n’avait imploré en vain le secours de sa céleste 
avocate. Tous en avaient conscience, tous espéraient de son inter¬ 
vention l’heureuse issue de ces difficultés : « Pour le bon état et 
la conservation de notre Ordre, est-il décrété, afin que Dieu le 
garde des périls qui le menacent tous les jours, à moins d’une 
fête double* et au-dessus, tant à Vêpres qu’à Matines, on fera 
mémoire de la bienheureuse Vierge. De même on récitera son 
oraison à la Messe 3 . » En outre, afin de rendre encore plus déci¬ 
sive leur attitude en faveur du Maître Général, et plus éclatante 
leur protestation contre les intrigues schismatiques de quelques- 
uns, les Pères font cette ordination : « Nous voulons et nous ordon¬ 
nons que personne, soit par ses paroles, soit par ses actes, n’ose 
travailler à la division de l’Ordre, ou solliciter la déposition de 
n’importe quel prélat, ou encore le changement de l’état général 
de notre Ordre ; que ce soit par paroles, par écrits ou de quelque 
autre façon, directement ou indirectement, sans intermédiaire ou 
par l’entremise de personnages étrangers à l’Ordre. Celui qui sciem¬ 
ment aura désobéi à cette ordination, sera privé de toute voix, de 
tout grade, de toute prélature, de toute maîtrise, de tous les pri¬ 
vilèges de l’Ordre, et seul le Maître de l’Ordre et les Défini- 
teurs du Chapitre général auront le droit de les lui rendre. De 


Jacques de Voragine en l’accusant d’avoir contribué plus que personne à la dépo¬ 
sition de Munio. Il fut, au contraire, un de ses défenseurs les plus résolus. Cf. Aros- 
tégui, Histor. de la Prov. de Espana. Ms. arch. Ord. (1754) H-K. — Medrano, Uist. 
de la Prov. de Espana, I part., 1. VII. — Sébastien de Olmedo, Chron. nov. ord., 
p. 34. Ms. arch. Ord. 

1 « Irrita declarata in Curia Romana depositione per alios duos facta, persevera- 
vit Fr. Munio in Ordinis rcgiminc usque ad sequentem annum. » (Andczeno, Mémo¬ 
risé historicæ... ab anno 1216 ad ann. 1793 congestæ. Ms. arch. Ord., p. 52, XIII- 
411.) 

* Elles étaient alors extrêmement rares. 

3 Acta Cap., 1, p. 257. Chap. de Ferrare, 1290. 


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MUNIO DE ZAMORA 


plus, il devra recevoir la pénitence due à une faute grave 1 * . » 

Personne ne pouvait donc se méprendre sur la portée des actes 
du Chapitre. Ils accusaient un conflit des plus graves, — le pre¬ 
mier dans Thistoire de l'Ordre, — entre les Prêcheurs et le Saint* 
Siège. Aussi les Pères se séparèrent-ils en proie à une doulou¬ 
reuse anxiété. Qu’allait-il advenir après la clôture du Chapitre? 
Comment les deux cardinaux, assez durement malmenés, et Nico¬ 
las IV lui-même, prendraient-ils la protestation unanime des Pro¬ 
vinciaux de l’Ordre, cet appel énergique à la justice de l’Église? 
Tout était à craindre. 

Cependant, Maître Munio avait eu le cœur large. Ce n'est pas 
sans émotion qu’on lit, dans les Actes du Chapitre de Ferrare, les 
suffrages suivants : « Pour le Seigneur Pape, chaque prêtre célé¬ 
brera six messes, et chaque couvent, tous les mois, une messe de 
la sainte Vierge. 

« Pour le seigneur Cardinal Frère Latino, chaque prêtre célé¬ 
brera deux messes, une de la sainte Vierge, une de saint Domi¬ 
nique. De même pour le seigneur Cardinal Frère Hugues*. » 

Certes, on ne pouvait pousser plus loin la pratique du précepte 
évangélique : « Priez pour vos ennemis, pour ceux qui vous calom¬ 
nient, pour ceux qui vous persécutent. » 

Selon l’usage, Maître Munio, avant de quitter Ferrare, adressa 
à l'Ordre une lettre circulaire. C’est un appel des plus chaleureux 
à l’observance des Constitutions. Quelques lignes seulement font 
allusion aux rudes épreuves de l’heure présente : « Recherchez 
avant tout, dit-il, ce qui est honnête, ce qui est juste, ce qui est 
utile, afin que l’ennemi n’ayant rien de mal à dire contre nous 
soit confondu. Nous sommes, en effet, exposés aux morsures de 
la calomnie, placés comme une cible pour des flèches, donnés en 
spectacle au monde et aux hommes qui déchirent volontiers notre 
réputation. Marchons donc avec prudence, avec humilité; vivons 
en toute sincérité, parlons avec discrétion! Vous savez tous, par 
la dure expérience que nous en faisons, combien notre Ordre 
court de dangers, par les cabales mensongères de quelques-uns 3 ... >» 

Le caractère de Maître Munio s’affirme, dans ces adversités, 
admirable de grandeur et d'énergie. Fort de son innocence, il n’a 
pas hésité à demander des juges; en plein Chapitre, il a voulu 
que sa vie fût discutée, mise en lumière totale, passée au crible. 
Oublieux de toute rancune, il a recommandé aux prières de l’Ordre 
ceux qui le persécutaient, et si, dans sa circulaire à ses fils, il rap- 

1 Acta Cap., I, p. 257. Chap. de Ferrare, 1290. 

* Ibid., p. 259. — C’était l’usage, il est vrai; mais dans les circonstances ou l’on 
se trouvait, on aurait pu s’en abstenir. 

3 Litter. Encycl., p. Ii7. Ed. Reichert. 


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CHAPITRE IV 


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pelle ces tristes événements, c’est pour en tirer, à leur profit, une 
leçon de haute moralité. Mais, élevé par la Providence à la charge 
du magistère suprême des Prêcheurs, il entend en conserver la 
dignité et l’indépendance. Rien ne put le fléchir. 

Après le Chapitre de Ferrare, Maître Munio, cité à Rome par 
Nicolas IV, s’y rendit immédiatement 1 . C’était l’heure des grandes 
luttes. Il n’avait plus, pour soutenir sa résistance, la présence des 
Provinciaux ; il était seul, désarmé, devant un tribunal, le plus 
sacré pour lui, qu’il savait hostile. Le Maître n’eut point peur. Ne 
portait-il pas dans son cœur le témoignage de sa conscience, et 
dans ses mains l’appel de tout l’Ordre des Prêcheurs en faveur de 
sa liberté ! Ce spectacle ne manque pas de grandeur. 

Nicolas IV mit tout en œuvre pour briser la volonté de Munio. 
Il lui répugnait, — cela est visible, — de le casser d’office; rien ne 
fut négligé pour lui arracher sa démission. Le Maître fut inflexible. 
Qu’avait-il fait pour mériter un pareil outrage? Que lui reprochait 
le Pape? Le Pape ne le lui dit pas : <t Certaines raisons, déclare 
la bulle de déposition, nous ont convaincu que, pour le bon état 
de l'Ordre, vous devez vous retirer du magistère, parce que, vu 
ces raisons, vous ne pouvez exercer votre charge ni avec commo¬ 
dité, ni avec succès*. » C’est tout. Ces raisons, on ne les lui révèle 
pas; elles restent un secret. Qu’il y eût contre lui une faction, très 
minime comme nombre, Munio ne l’ignorait pas; mais qu’il ne 
pût gouverner l’Ordre facilement et avec succès, c’était une consé¬ 
quence contre laquelle protestait l’appel unanime du Chapitre de 
Ferrare. Et c’est pourquoi, fort de cet appui moral, sentant der¬ 
rière lui l’Ordre tout entier dans sa partie la plus saine et la plus 
nombreuse, il résista aux sollicitations pontificales. Nicolas IV 
pouvait le déposer de sa charge, puisqu’il avait sur lui l’autorité 
suprême; mais donner une démission qui aurait été l’aveu public 
de son indignité ou de son incapacité, jamais! 

Pour vaincre ce caractère intraitable, le Pape lui offrit l’arche¬ 
vêché de Compostelle. A la vérité, la compensation était belle. On 
le mettait à la porte chargé d’honneurs, et lui, que l’on jugeait, 
extérieurement du moins, insuffisant pour gouverner l’Ordre des 

1 « Te in nostra et Fratrum nostrorum præsentia personaliter constilutum monen- 
dum duximus vivæ vocis oraculo attcntius et hortandum præcipientes tibi ut pro 
quiete et statu prospero dicti Ordinis in Generali Capitulo ipsius Ordinis quod in 
proximo erat apud Palenciam celebrandum in manibus Diffinitorum futurorum in 
ipso Capitulo absolute ac libéré prædictum resignares ofticium, eique cedere curares 
omnino. » (Bulle de déposition de Maître Munio, Dudarn certis, datée d’Orvieto, le 
13 août 1291. Ms. arch. Ord., I, 15 bis. Cette bulle n’est pas dans le Bullaire.) 

* « Dudum certis emergentibus causis per quas statui Ordinis vestri expedire 
cognovimus quod tu, Frater Munio, olim magister ejusdem Ordinis, ab ipsius Ma- 
gisterii quiescere deberes offlcio, cujus curam ex causis ipsis nec commode crede- 
baris posse nec perfectibiliter exercere... » (Bulle de déposition, Dudum certis, 
p. 272, note 1.) 


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MUNIO DE ZAMORA 


Prêcheurs, on l’élevait à une dignité supérieure. Il n'avait donc 
plus lieu de craindre une déchéance peu honorable. Sa personna¬ 
lité était sauve. 

S’il ne se fût agi que de sa personnalité, Maître Munio, dont la 
modestie est louée par tous les chroniqueurs 1 , n'eût pas hésité à 
la sacrifier aux désirs du Saint-Siège, — fussent-ils injustes. — 
Mais c’était au Maître de l’Ordre qu’allait l’affront ; c’était l’Ordre 
des Prêcheurs, comme l’avaient senti et écrit les Capitulaires de 
Ferrare, qui était menacé dans son indépendance; et malgré toutes 
les promesses, malgré toutes les dignités que l’on faisait miroiter 
à ses yeux pour séduire son cœur et l’amener à merci, Munio 
resta inébranlable*. 

Du reste, si l’on en juge par la lettre adressée à Nicolas IV au 
nom de la province de Provence et par l’acte d’appel fortement 
motivé qui l’accompagnait, le Général de l’Ordre devait être 
convaincu qu’il pouvait compter sur l’énergie de ses religieux. 
Pareille conviction ne fut certainement pas étrangère à sa 
ténacité. 

Le Chapitre provincial de Provence s’était tenu à Pamiers, le 
jour de l’Exaltation de la sainte Croix, selon l’usage de cette pro¬ 
vince. Frère Bernard Géraud, Provincial, étant à la Cour romaine, 
il fut présidé par son vicaire, Frère Bernard de Trilia 3 . L’affaire 
de Ferrare était connue, l’entreprise des cardinaux de l’Ordre 
violemment réprouvée, les attaques contre le Maître Général éner¬ 
giquement combattues. Après les sessions capitulaires, où ces 
graves événements avaient été discutés et jugés, les Pères rédi¬ 
gèrent une lettre à l’adresse de Nicolas IV. Lettre très respectueuse, 
mais, au même chef, très libre d’allure et très ferme de ton. Elle 
tend à prouver par des arguments assez curieux que la concession 
par lui faite aux cardinaux Latino et Hugues d’exercer sur l’Ordre 
des Prêcheurs un pouvoir discrétionnaire de correction, de réforme, 
de changement dans les supérieurs, est contraire au droit, à la 
raison, à la profession des religieux : Juri non convenit, rationi 
obsistit, professionis nostre ordini contradicit *. 

« Nous avons appris, disent les Définiteurs de Pamiers, cette 
nouveauté inouïe, avec une telle stupeur, que le saisissement nous 
a coupé la respiration. Nos gémissements sont si violents, qù’à 
peine pouvons-nous vous écrire ces lignes 5 . » Mais ces gémisse- 


1 Ses lettres encycliques en font foi egalement. (Cf. Litter. Encycl ., p. 130 et ss. 
Ed. Reichert.) 

* « Hic renuit acciperc archiepiscopatum Compostellanum oblatum sibi a. D. Niclio- 
lao... et hoc dum esset Magister ordinis. » (Taegio, Chron. ampliss ., I, p. 146.) 

3 Acta Capit. Prov p. 331 in nota. Ed. Douais. 

4 Lettre des Capitulaires de Pamiers. (Acta Capit. Prov., p. 340. Ed. Douais.) 

» Ibid. 


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CHAPITRE IV 


265 


ments ne les empêchent pas de donner leurs raisons pour démon¬ 
trer à Nicolas IV que sa bonne foi a été surprise et que la con¬ 
cession octroyée aux cardinaux ne peut tenir 1 2 . 

Elle est contraire au droit; car jamais on n’a ouï dire qu’un Ordre 
régulier fût soumis à un cardinal, encore moins à deux. Ce qui 
répugne davantage à la nature elle-même, qui, en aucun cas, ne 
met deux têtes à un seul corps. A-t-on réfléchi aux inconvénients 
d’une situation si anormale? Si elle est imposée à l’Ordre pour 
corriger les fautes de ses membres, comment des cardinaux, absor¬ 
bés par d’autres soins, pourront-ils le faire avec justice et discré¬ 
tion? L’Ordre n’a aucun besoin de leurs services; il suffît, par ses 
supérieurs dont la vigilance et l’énergie sont notoires, à se cor¬ 
riger lui-même. N’auront-ils pas la prétention d’introduire dans 
l’Ordre des nouveautés contraires à ses lois et à son esprit? Qui 
ne voit d’ici ce qui en résultera de troubles et de discordes ! 

La concession pontificale ne va pas moins contre la raison. Ces 
deux cardinaux aujourd’hui sont des réguliers ; demain leurs 
successeurs dans les titres cardinalices dont ils jouissent peuvent 
être des séculiers. Succédant aux titres, ils prétendront succéder 
également à toutes les fonctions accordées à leurs prédécesseurs *. 
Et l'on verra cette chose monstrueuse : un corps régulier gou¬ 
verné par deux têtes séculières. Les têtes ne seront pas de la 
même nature que le corps! « Ne savez-vous pas vous-même, très 
saint Père, vous qui avez fait profession de vie religieuse, combien 
les séculiers comprennent peu les choses religieuses, et combien, 
par conséquent, il serait déraisonnable de leur soumettre la direc¬ 
tion des réguliers 3 ? » L’argument ad hominem était excellent. 
Nicolas IV, Frère Mineur et Général de son Ordre, ne pouvait 
ignorer cette impossibilité d’une administration de réguliers par 
des séculiers, quels qu’ils fussent. 

En outre, rien n’était plus incompatible avec les vœux des Prê¬ 
cheurs. « Chez nous, disent les Capitulaires, nous ne promettons 
obéissance qu’au Maître de l’Ordre ou à quelqu’un de ses délégués. 
On ne peut donc, d’après le droit commun, selon les décrets des 
Pères, exiger de nous plus que notre profession ne contient 4 . » 
Aussi, rappelant ce que Nicolas IV avait récemment accordé à 
l’Ordre, cette exemption totale qui lui garantissait une pleine in¬ 
dépendance vis-à-vis des séculiers, les Définiteurs l’adjurent de ne 

1 Je cite le document sans prétendre en justifier toute la teneur, au point de 
vue canonique. 

2 Les Pères connaissaient bien la Cour romaine, où personne ne renonce à un 
droit quelconque, attaché môme transitoirement à une dignité, à moins d'une 
volonté manifeste du Pape. Leurs craintes n’étaient pas illusoires. 

3 Acta C&pit. Prot\ , p. 342. Ed. Douais. 

* Ibid. 


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MUNIO DE ZAMORA 


pas lui enlever par cette concession de nulle valeur, puisqu'elle 
est obreptice, le bénéfice de la liberté. « Si jamais, ajoutent-ils, 
Votre Sainteté se refusait à exaucer nos supplications, quelle 
sache que la plupart d’entre nous, qui préféreraient la mort à cette 
servitude douloureuse, plutôt que de l’accepter, passeront dans 
d’autres Ordres 1 * * . » 

La cause personnelle de Maître Munio n’était pas oubliée dans 
la lettre des Pères de Pamiers. Voici le magnifique témoignage 
qu’ils rendent officiellement à l’intégrité de sa vie privée et pu¬ 
blique : « Nous savons de science certaine que le Révérend Père 
Maître de notre Ordre a eu une naissance honorable; qu’il est 
excellemment doué, excellemment prudent; en ce qui concerne 
l’Ordre, nous le savons de mœurs régulières, admirablement formé 
à la pratique des observances, pénétré de la crainte de Dieu, ca¬ 
pable de gouverner l’Ordre, selon que le prouvent les instances 
qui vous ont été faites par des hommes éminents pour le conserver 
au suprême magistère. Jusqu’ici, en effet, sous son administration, 
l’état de notre Ordre est régulier, paisible, tranquille, comme nous 
pouvons en juger par notre province, et d’après ce que nous avons 
entendu dire des autres provinces. Nous avons tout lieu d’espérer 
que cette prospérité continuera, si Votre Piété daigne consolider 
la situation du Maître et de l’Ordre lui-même*. » 

Après la déclaration unanime du Chapitre de Ferrare, cette 
protestation de confiance, d’estime et de respect, en faveur de 
Maître Munio, d’une des provinces les plus considérables par le 
nombre de ses couvents et la valeur de ses religieux 8 , ne laisse 
rien subsister des calomnies inventées et répandues contre sa 
réputation. On ne peut douter, en face d’affirmations si précises, 
de la parfaite dignité du Maître, et, par conséquent, du caractère 
injuste de la persécution dirigée contre lui 4 . 

Les Pères de Pamiers, que cette ténébreuse intrigue indignait, 
rédigèrent un acte d’appel énergique 5 * * contre les prétentions des 
cardinaux. 

« Au nom du Christ! Nous, Frères... dont les noms suivent avec 
os titres et dignités, faisant partie du Chapitre, considérant que 


1 Acta Capit. Prov., I, p. 343. Ed. Douais. 

* Ibid., p. 343. 

* Nous ne possédons malheureusement pas les Actes des Chapitres provinciaux 
des autres provinces de l’Ordre. Y eut-il d’autres protestations, d’autres appels? Il 

est impossible de l’affirmer. Mais, étant donné l'unanimité des Provinciaux au Cha¬ 
pitre de Ferrare, il y a tout lieu de le penser. 

* Il y avait, nous l’avons vu, des abus disciplinaires dans la province de Pro¬ 

vence; mais ces abus n'atteignaient pas la masse des religieux, et la province pos¬ 

sédait des hommes remarquables. 

8 Ma r Douais, qui a publié ce document, loin d’en être scandalisé, l’appelle 
un acte « courageux ». (Acta Cap. Prov., p. 344.) 


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CHAPITRE IV 


267 


les lettres de commission, d’autorité ou de pouvoir accordées par 
le très saint Père, le Seigneur Pape Nicolas IV, aux vénérables 
Pères Latino, évêque d’Ostie et Velletri, et Hugues, cardinal- 
prêtre du titre de Sainte-Sabine, sur les personnes de notre Ordre, 
dans le but de corriger l’Ordre entier, de diriger, de disposer, 
d’absoudre et de faire autres choses semblables, ont été sollicitées 
à raison d’une allégation fausse sur la déchéance de l’Ordre et la 
ruine de sa discipline, en supprimant la vérité sur le bon état de 
l’Ordre, comme il est facile de s’en convaincre par la renommée 
publique et l’évidence même du fait, puisqu’il est notoire que 
l’Ordre des Prêcheurs est en bon état d’observance régulière; con¬ 
sidérant que de telles lettres, obtenues de cette manière, sont 
milles de plein droit, car elles sont à titre gracieux et non de 
jugement judiciaire, nous déclarons que cette commission est de 
nulle valeur, et, par là même, que lesdits cardinaux ne peuvent 
ni ne doivent instruire aucun procès contre l’Ordre et ses membres. 
Et, pour empêcher toute procédure de leur part, ou contre l’Ordre, 
ou contre les personnes de l’Ordre, en notre nom à tous et au 
nom de toute notre province, nous en appelons au Siège apos¬ 
tolique 1 ... » 

On voudra bien observer que l’appel des Capitulaires Provin¬ 
ciaux de Pamiers, comme celui des Capitulaires Généraux de 
Ferrare, est dirigé exclusivement contre l’intervention des cardi¬ 
aux Latino et Hugues dans le gouvernement de l'Ordre. D’après 
le dire des Pères de Pamiers, ce sont ces cardinaux qui, pour 
avoir prêté une oreille trop complaisante aux calomnies d’une 
cabale, ont mis le Saint-Siège en fâcheuse posture. Si le Pape 

1 « In Christi nominc, amen. Nos taies et taies N. N. Spccificatis nominibus 
singulorum et offîciis qui erant de corpore capituli, attendentes quod littere com- 
missionis, auctoritatis seu potestatis, concesse a Sanctissimo Pâtre domino Nicho- 
lao Papa IV venerabilibus patribus domino Latino, Ilostiensi et Velletrensi epi- 
scopo, et domino Hugoni, tituli Sancte Sabine presbitero Cardinaü, super personas 
ordinis nostri, ut ipsum ordinem universum corrigendi, ordinandi, disponendi, 
absolvendi et nonnulla alia faciendi, fuerunt impetrate per suggestionem falsitatis 
de collapsu ordinis et negligencia discipline, et per suppressionem veritatis de 
bono statu ordinis et religione, sicut patet per famam publicam et ipsam eviden- 
ciam facti, quia predictus ordo noster, scilicet ordo Predicatorum, noscitur esse in 
bono statu et bona et débita observancia regulari ; et quod taies littere sic obtente, 
cum non sint judiciales set graciose, ipso jure sunt nulle, dicimus dictam commis- 
sioncm nullam esse, et ideo dictos dominos cardinales circa ordinem vel personas 
ipsius ordinis nullum processum potuisse facere, ncc possc, nec debere; et ne pro¬ 
cédant ad aliquem processum faciendum circa predictum ordinem vel personas 
ipsius ordinis, pro nobis omnibus et singulis et tota nostra provincia ad Sedcm 
Apostolicam appellamus et Apostolos instanter petimus. » ( Acta Capit. Prov., 
p. 314-345. Ed. Douais.) 

Le Chapitre délégua deux religieux, à titre de procureurs, pour porter son appel 
en Cour de Rome. A la marge du manuscrit dit de Toulouse contenant les Actes 
des Chapitres provinciaux de Provence, on lit : « Fr. Ber. Grandis Caturcensis et 
Fr. R. Gilaberli tune prior Castrensis, procuratores pro capitulo constituti iverunt 
ad Curiam Romanam et sine fructu vacui redierunt. » (Ibid., p. 344, note 3.) 


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268 


MUNIO DE ZAMORA 


avait connu la vérité sur Tétât réel des choses, jamais il ne leur 
aurait accordé ce pouvoir absolu, discrétionnaire, sur les Prêcheurs. 
Toute la protestation de l’Ordre va contre cette situation intolé¬ 
rable, conséquence odieuse d'accusations mensongères. 

Aussi bien, Nicolas IV n'en fut ni offensé ni surpris. Il était 
homme à comprendre ce langage, d'une liberté tout apostolique, 
qui semblerait hardi de nos jours, mais qui, à cette époque, n’avait 
rien d’extraordinaire. On ne craignait point de rappeler au Pape que 
son entourage pouvait ne pas lui dire toujours la vérité; et le 
Pape, — auquel les faiblesses humaines, loin d’être inconnues, 
apparaissent d’autant mieux qu’il est plus haut placé pour les voir, 
— ne trouvait pas mauvais qu’on les lui signalât. Des cardinaux, 
sortis de l’Ordre, lui avaient dit, sur la foi de délations injustes, 
que l’Ordre avait besoin d’être pacifié, corrigé, plus sagement 
administré, et lui avaient demandé tout pouvoir pour réaliser eux- 
mêmes ces améliorations. Nicolas avait tout accordé. Mais, dès 
que la lumière fut faite, dès qu’il eut reçu les protestations des 
Prêcheurs, il leur rendit justice. Jamais, en effet, les cardinaux 
n’exercèrent le pouvoir dont ils avaient un instant joui. Sur ce 
chef, l’Ordre eut raison contre eux près du Saint-Siège; l’appel 
indigné de ses Provinciaux et des religieux fut entendu. Aucune 
intrusion séculière ne vint entraver leur liberté de gouvernement. 
L’indépendance de l’Ordre était sauve 1 . 

Seul, Maître Munio fut sacrifié. Au fond, toute cette intrigue 
était dirigée contre sa personne. On avait dépassé le but en deman¬ 
dant trop; mais, tout en cédant sur un point, celui qui avait sou¬ 
levé les récriminations des Prêcheurs, il y avait toujours moyen 
d’atteindre le Maître Général. 

Vis-à-vis de lui, Nicolas IV se montra inexorable. 

Le Chapitre prochain de 1291 avait été fixé à Palencia. C’était 
en Castille, sur les terres de Don Sanche, ami de Maître Munio, 
presque dans le pays natal de ce dernier. Le roi avait fait les ins¬ 
tances les plus vives, au dire des Capitulaires de Ferrare, pour 
obtenir cette faveur, promettant de pourvoir lui-même magnifique¬ 
ment à toutes les dépenses nécessaires 1 . Dans les circonstances 
délicates où se trouvait Munio de Zamora, sujet de Castille, cette 
invitation pressante du roi et l’acceptation des Pères ne manquaient 
pas d’à-propos. A Palencia, le Maître était chez lui, sur une terre 

S 

1 Les deux cardinaux résignèrent ces pouvoirs extraordinaires, le 12 avril 1291. 
(Cf. B. Circa curam, p. 252, note 5.) 

Cette résignation eut donc lieu avant le Chapitre de Palencia et la déposition de 
Maître Munio. 

* « Capitulum Generale assignamus apud Palenciam in provincia Ilispanie ad pcti- 
cionem et instanciam domini regis Castelle qui promisit totum capitulum magnifiée 
procurare. »» (Acta Cap., I, p. 260.) 


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CHAPITRE IV 


269 


amie, à l’abri de toute agression. On pouvait espérer aussi que le 
Pape hésiterait à le frapper, pour ainsi dire, en face du roi dont 
il était le protégé, dont il serait l’hôte, et qui, à ces titres divers, 
considérerait peut-être comme un affront personnel le coup porté 
publiquement contre lui. 

Le Maître quitta la Cour de Rome sans avoir fait au Pape la 
moindre promesse de démission. Vainement Nicolas IV avait essayé 
de la lui arracher. Il partit pour Palencia sans dire un mot qui 
pût donner espoir au Pontife. 'Nicolas IV, qui avait appris à con¬ 
naître la ténacité castillane, peu confiant dans le succès de ses 
désirs, résolut d’en finir. 

Pendant que Munio s’acheminait vers Palencia, des courriers 
apostoliques s’y dirigèrent à la hâte, porteurs d’une bulle qui le 
déposait de sa charge. Qu’il donnât de lui-même sa démission ou 
qu'il la refusât; que les Définiteurs l’acceptassent ou ne l’accep¬ 
tassent pas, une fois les sessions capitulaires terminées, Munio 
n’était plus Général 4 . 

Il est visible que le Pape ne comptait pas du tout sur la bonne 
volonté du Maître, et très peu sur celle des Pères du Chapitre. Ces 
Pères n’étaient cependant pas les Provinciaux qui avaient inter¬ 
jeté appel, mais les Définiteurs élus par les provinces. 

De plus, prévoyant que cette déposition tapageuse allait susciter 
dans l'Ordre de violentes perturbations, le Pape, désireux de les 
atténuer et d’en surveiller les écarts possibles, désireux également 
que le successeur éventuel de Munio lui fût persona (/rata, adres¬ 
sait une autre lettre aux Définiteurs, leur ordonnant de fixer à 

1 Première bulle de déposition de Maître Munio, envoyée à Palencia. 

« Nicolaus, Episcopus, servus servorum Dei. Ad perpetuam rei memoriam. 

«« Certis imper emergentibus causis, propter quas statui Ordinis Fratrum Prædi- 
catorum expedire cognovimus, quod dilectus filius Munio, Magister ipsius Ordinis, 
a commisso sibi ejusdem Magisterii quiescat ofïicio : cujus curam ex causis ipsis 
nec commode posse creditur, nec profectibiliter exercere, Magistrum ipsum, in 
nostra, et Fratrum nostrorum præsentia personaliter constitutum, monendum 
duximus vive vocis oraculo attentius, et hortandum, præcipicntes eidein, ut pro 
quiete, et statu prospero dicti Ordinis in Generali Capitulo eiusdem Ordinis 
proxime celebrando, in manibus diffinitorum futurorum in ipso Capitulo, absolutc, 
et libéré hujusmodi resignet officium eique cédât omnino : Diffinitoribus ipsis nihi- 
lominus per alias nostras sub certa forma litteras iniungendo, ut resignationem, et 
cessionem hujusmodi, faciendam ab ipso, absque dilatione recipiant, et admittant. 
Verbum itaque nostrum effectum in hac parte habere volentes, ex nunc auctori- 
tate Apostolica de prædictorum Fratrum consilio, statuendo, decernimus, et sta- 
tuimus decernendo, ut sive dictus Magister resignaverit, et cessent, ut prœdicitur, 
sive non, et sive prœfati Difïinitores resignationem, et cessionem eandem duxerint, 
sive non duxerint admittendam, in omnem eventum, statim cum prædictum Capi- 
tulum fuerit celebratum , seu tempus, quo secundum Constitutiones sœpe dicti 
Ordinis terminari debet, effluxerit, sit ex ipso præfatus Magister ab hujusmodi 
officio Magisterii totaliter absolutus : quodque deinceps non ipse, sed alia persona 
idonea secundum Constitutiones assumatur easdem, ad memoratum Officium exer- 
cendum. Nulli ergo etc. Si quis etc. Datum apud Urbem Veterem II Idus Aprilis, 
Pontificatus nostri anno quarto. »» (Bull. Ord., II, p. 31.) 


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270 


MUNIO DE ZAMORA 


Rome le futur Chapitre général 1 . Sous ses yeux, il était sûr de 
diriger lui-même et l'élection et les actes capitulaires. 

Ni la bulle de déposition, ni celle qui fixait à Rome le futur 
Chapitre, ne purent être communiquées aux Pères de Palencia. A 
leur arrivée dans cette ville, les courriers apostoliques, arrêtés et 
dépouillés de leurs missives, se présentèrent les mains vides. 

Certes, le coup de force ne manquait pas d’audace. On ne pou¬ 
vait, sans encourir les peines les plus graves, attenter ainsi à la 
dignité du Saint-Siège. Quels furent les coupables? qui dirigea et 
exécuta cette action hardie? Nicolas IV, qui s'en plaint justement, 
ne le dit pas. Du reste, à Tépoque où il expédiait sa deuxième 
bulle de déposition, il n’avait encore que des renseignements assez 
imprécis. Le fait seul lui était connu. Évidemment ses courriers, 
étrangers à Palencia, n’avaient pu mettre des noms sur la figure 
de leurs agresseurs. Mieux que personne, peut-être, Don Sanche 
aurait pu éclaircir ce mystère; mais comme il n’en a rien fait, le 
secret est resté bien fermé. 

Quoi qu’il en soit, le Chapitre de Palencia, comblé d'honneurs 


1 « Nicolaus Episcopus, servus servorum Dei. 

« Dilectis Filiis... Magistro et Capitulo Ordinis Fratrum Prædicatorum in generali 
Capitulo congregatis salutem et Apostolicam benedictionem. 

« Speciosi fructus gloriosa opéra et salutaria sunt exempta , quœ sacri vestri 
Ordinis Professores in mcdio gcneralis Ecclesiæ produxerunt, qui spiritu sapicntiœ 
et intellectus implcti erudierunt plurimos ad salutem, propter quod Nos, qui vos 
et Ordinem ipsum sincera proscquimur in Domino charitate desideramus, ut vesti- 
giis inhærentes eorum, ac profîcientes in censura morum et regularis observantia 
disciplinœ, sicut novellæ olivarum in circuitu Mensæ Matris Ecclesiæ succrescatis, 
ut vitalis odor famæ vestræ ad anteriora procedens in conspectu considerationis 
nostræ, et ejusdem Matris Ecclesiæ digne valeat præsentari. Sane cum talia deceat 
esse vestra vestigia, quod recti, qui vos diligunt in Domino gratulentur, et omnis 
de vobis oblocutionis materia subtrahatur, Universitatem vestram rogamus mone- 
mus et hortamur attente vobis per Apostolica scripta mandantes, quatenus in hac 
congregatione vestri Capituli in proximo festo Pentechosten Deo propitio celebrandi 
habcntes ad invicem charitatem ea disponatis, et ordinetis per quæ ad ecclesiastica 
desideria cordibus vcstris erectis perfectæ humilitatis et obedientiæ sinceræ vir- 
tutcs in quibus Rcligio recta consistit solidentur in vobis et nostrum, et Aposto- 
licæ Sedis favorem digne mereri possitis. Geterum cum quibusdam considération i- 
bus ad vestram utilitatem tcndentibus suggerentibus Nobis vestram apud Nos 
habere velinnis præsentiam; discretioni vestræ tenore præsentium in virtute obe¬ 
dientiæ districte præcipiendo mandamus, quatenus in eodem Capitulo ordinare 
curetis, ut subsequens vestri Ordinis Generale Capitulum in eo loco conveniat, 
ubi tune Romana Curia residebit ; confidimus enim in æterni Regis clementia, quod 
Capitulo ipso in nostro constituto conspectu, plura bona pro sinceritate vestri sta¬ 
tus, et animarum salute poterunt exinde provenire. Exhortamur autem, quod die 
dicti Capituli in loco Curiæ celebrandi non expectato tempore quantum bono modo 
poteritis accelerare velitis, ut consumatio hujusmodi nostri propositi, quanto cele- 
rior, tanto magis fructuosa divina gratia coopérante succédât. Demum quæsumus, 
ut nostri memores existentes Nos tam gravi occupatos Ministerio, tôt injunctæ sol- 
licitudinis turbationibus involutos, quod supra vires opprimimur, et vix ulla quietis 
nostræ vacua curis hora relinquitur cotidianis obsecrationibus adjuvetis pro paej 
Ecclesiæ, pro salute ûdelium divinam misericordiam humiliter implorantes. 

« Datum apud Urbem Veterem IV Kalendas Maii Pontificatus nostri anno quarto. » 
{Bull. Ord. inéd. Ms. arch. Ord., I, 15 bis.) 


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CHAPITRE IV 


271 


par ce prince, ne fut pas troublé. Les Pères, n’ayant reçu aucun 
ordre du Pape, tinrent leurs sessions dans la paix, réglèrent les 
affaires purement familiales, sans qu’il fût fait, au moins dans les 
Actes officiels 4 , aucune allusion directe à la situation périlleuse 
de l’Ordre et du Maître Général *. S’il y eut dans le Chapitre d’ora¬ 
geuses discussions, elles sont demeurées secrètes, à moins qu’on 
ne veuille en soupçonner un écho dans l’absolution de sept des 
Provinciaux qui avaient rédigé l’appel de Ferrare. En y ajoutant 
les Provinciaux de Provence et d’Angleterre, morts depuis, il ne 
restait en activité que trois Provinciaux appelants. Comme ces 
sortes de dépositions arrivaient fréquemment, on ne peut en con¬ 
clure avec certitude à une hécatombe volontaire, motivée, expia¬ 
toire 3 . 

Les Pères se séparèrent donc, en apparence, dans le calme et 
la paix. Etaient-ils rassurés sur l’état de l’Ordre? Ils ne pouvaient 
ignorer la venue des courriers pontificaux. Si la teneur de leurs 
missives leur était restée inconnue , ils devaient au moins 
savoir que ces missives leur étaient adressées. De son côté, Maître 
Munio n’avait pas dû leur cacher les instances à lui faites par 
Nicolas IV pour obtenir sa démission volontaire. Tous ces faits 
étaient peu pacifiques et peuvent expliquer le silence des Actes 
sur cette situation compliquée. A moins d’agir dans la nuit, à tout 
hasard, les Pères n’avaient qu’à attendre. C’était le parti le plus 
sage. 

Ils n’attendirent pas longtemps. 

Les courriers pontificaux, rentrés à Rome, rendirent compte au 
Pape de l’échec de leur mission. Grande fut la colère du Pontife. 
Cette fois, toute hésitation disparut. Une bulle, rappelant 
les différentes phases de cette affaire et cassant d’office Maître 
Munio, lui fut expédiée sans retard 4 . Elle est datée d’Orvieto, 

1 Chose singulière, on ne possède pas la lettre encyclique de Maître Munio après 
le Chapitre de Palencia. (Cf. Litl. Encycl. Ed. Reichert.) 

* Us fixèrent le Chapitre suivant à Cologne, où il n'eut pas lieu. (Acta Cap., I, 
p. 264.) 

a II faut ajouter cependant que, malgré la défense ordinaire du Chapitre, les 
Pères d'Espagne rééliront le Provincial déposé , Frère Gilles. Cela parait une pro¬ 
testation motivée ; car, d'après la loi commune, un supérieur absous ne pouvait être 
réélu la même année. Il est donc très possible que les Définiteurs de Palencia 
n'aient pas approuvé la conduite de ceux de Ferrare, l'année précédente. Parmi 
eux se trouvait, du reste, Frère Etienne de Besançon, Définiteur de France, depuis 
successeur de Maître Munio, et, comme nous le verrons, peu favorable à sa per¬ 
sonne. 

4 Bulle de déposition de Maître Munio. 

« Nicolaus Episcopus etc. 

« Dilecto Filio Fratri Munioni olim Magistro Ordinis Prædicatorum etc. 

« Dudum certis emergentibus causis propter quas etc., verbis competenier muta - 
tis usque continentes. Verum sicut accepimus Cursores nostri, qui ad te et præfa- 
tos Diffinitores hujusmodi nostras Litteras deferobant, cum ad Civitatem Palenti- 
nam pervenissent, quorunidam, ut creditur, prœconcepta malitia procurante, iqju- 


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272 


MÜNIO DE ZAMORA 


le 13 août 1291'. Comme je l'ai déjà dit, dans cette bulle, le 


riose capti, et dctenti fucrunt, ac Litteris ipsis non absque nostra et Apostolicæ 
Sedis injuria et contemptu nequiter spoliati, ita quod ipsis Diffinitoribus non fue- 
runt eædem nostræ litteræ præsentatæ licet verisimiiiter prœsumatur, quod ad te 
pervenerit continentia , scu notitia earumdem. Nos igitur omnino volentes, ut ver- 
bum nostrum de absolutione tua debitum sortiatur efTectum, in virtute obedientiæ 
sub excommunicationis pœna, quam, si secus feceris, te incurrerc volumus ipso 
facto, tibi districte præcipiendo mandamus, quatenus de offîcio Magisterii supra- 
dicto te nullatenus intromittas, nec Magistrum te nomines, seu quomodolibet pro 
Magistro te géras. Et quia de præmissis intendinms plenius inquirere veritatem, 
ut mediante justitia castigare nocentes, et innocentes absolvere valeamus, sub 
eadem tibi dislrictionc præcipimus, ut in octava festivitatis Resurrectionis Domi- 
nicæ proximo venturæ personaliter Apostolico te conspectui repræsentes, facturas, 
et recepturus, quod circa te duxerimus ordinandum. 

« Datum apud Urbcm Veterem, Idibus Augusti, Pontificatus nostri anno quarto.» 
(Bull. ürd. inéd. Ms. arch. Ord., I, 15 bis.) 

1 Cette même bulle, avec les changements nécessaires, fut envoyée le même jour 
à tous les Provinciaux de l'Ordre. 

Bulle de Nicolas IV notifiant aux Provinciaux de l’Ordre la déposition de Maître 
Munio et en faisant l’historique. 

« Nicolaus, Episcopus, servus servorum Dei. 

« Dilectis Filiis... Priori Provinciali et eius vicesgerenti, et cetcris Fratribus 
Ordinis Prædicatorum in Provincia Terræ Sanctæ salutem et Apostolicam bcnc- 
dictionem. 

« Dudum certis emergentibus causis, per quas statui Ordinis vestri expedire 
cognovimus, quod Frater Munio, olim Magister ciusdem Ordinis, ab ipsius Magis¬ 
terii quiescere deberet offîcio, cujus curam ex causis ipsis nec commode credeba- 
tur posse, nec perfectibiliter exercere, ipsum in nostra, et Fratrum nostrorum 
præsentia personaliter constitutum monendum duximus vivœ vocis oraculo atten- 
tius et liortandum prœcipicntes eidem ut pro quiete et statu prospero dicti Ordi¬ 
nis in gencrali Capitulo ipsius Ordinis, quod in proximo erat apud Palentiam cele- 
brandum in manibus Diflinitorum futurorum in ipso Capitulo absolu te ac libéré 
prædictum resignaret offîcium, eique cedcre curaret omnino. Cumque dictus Frater 
Munio a nostra præsentia recessisset pergens ad dictum Capitulum Generale Nos 
per... Cursores nostros, tam ei, quam Diffinitoribus ipsis Littcras nostras direxi- 
mus inter cetera continentes, quod Nos verbum, quod dixeramus eidem de resi- 
gnationc, ac cessione hujusmodi efTectum habere volentes ex tune auctoritate 
Apostolica de prædictorum Fratrum consilio, statuendo decrevimus, et statuimus 
decernendo, ut sive resignaret, et cederet, ut præmittitur, sive non, et sive præfati 
Diffînitores resignationem cjus ducerent, sive non ducerent admittendam in omnero 
eventum statim cum prædictum foret Capitulum celebratum seu effluxisset tem- 
pus, quo debebat secundum Constitutiones jamdicti Ordinis terminari, eo ipso 
idem Frater Munio ab hujusmodi offîcio Magisterii esset totaliter absolutus, 
quodque deinceps non ipse, sed alia Persona idonea secundum Constitutiones as- 
sumeretur easdem ad memoratum offîcium exercendum, alias insuper Litteras con- 
fici fecimus ad perpetuam rci memoriam, quæ apud Sedem Apostolicam remanse- 
runt intentionem nostram super absolutione prædicta, nec non statutum et Decre- 
tum nostrum , quod ipse Frater Munio esset post terminationem dicti Capituli 
Generalis ab offîcio memorato totaliter absolutus expressius continentes. Præterea 
per alias nostras Litteras eidem Capitulo mandabamus, ut sequens Generale Capi¬ 
tulum , quod certis ex causis pro utilitate ipsius Ordinis volebamus in nostra præ¬ 
sentia celebrari in loco, in quo tune Apostolica Sedes resederit assignare deberent. 
Sane sicut accepimus Cursores nostri, qui prædictas Litteras nostras ad prædictos 
Fratres Munionem, Diffînitores, et Capitulum deferebant; cum ad Civitatem Palen- 
tinam pervenissent, quorumdam, ut creditur, præconcepta malitia procurante inju- 
riose capti et detenti fuerunt ac Litteris ipsis non absque nostra, et Apostolicæ 
Sedis injuria et contemptu nequiter spoliati, ita quod ipsis Diffinitoribus, et Capi¬ 
tulo non fuerunt hujusmodi nostræ Litteræ præsentatæ, licet verisimiiiter præsu- 
matur, quod ad dictum Fratrem Munionem pervenerit continentia, seu notitia 
earumdem. Nos igitur omnino volentes, ut verbum nostrum, et ordinatio de abso¬ 
lutione ipsius ac assignalione Capituli Generalis debitum sortiatur efTectum, vobis 


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CHAPITRE IV 


273 


Pape ne donne pas la raison de la déposition du Général. Il 
l’impose pour des motifs à lui réservés. 

On ne sait où l’injonction impérative de Nicolas IV rencontra 
Maître Munio. Il devait, vers la fin d’août ou plutôt dans le cou¬ 
rant de septembre, être occupé à la visite de la province d’Espagne. 
Déchu de sa charge, il l’interrompit pour reprendre, en qualité de 
simple religieux, le chemin de la Cour romaine ; car le Pape n’en¬ 
tendait pas laisser sans châtiment l’interception des lettres apos¬ 
toliques. Il y avait des coupables, et ces coupables il voulait les 
connaître. Munio, d’après le dire de la bulle de déposition, était 
soupçonné de connivence avec eux. Aussi devait-il se présenter en 
personne devant le Pape, dans l’octave de la fête de Pâques, pour 
se purger de cette nouvelle accusation. 

Il n’était pas le seul à être cité à la Curie. Les Définiteurs du 
Chapitre de Palencia reçurent une autre bulle qui leur ordonnait 


universis et singulis in virtute obedientiæ districte præcipiendo mandamus, quatenus 
ipsum Fratrem Munionem pro Magistro Ordinis vestri nullatenus habeatis, nec ullo 
modo in iis quæ ad Magisterii spectant ofticium parcatis, aut intcndatis eidem. 
Demum , quia provida considerationc duximus ordinandum ut proxime futurum 
ipsius Ordinis Generale Capitulum , et futuri Magistri electio in nostra prœsentia 
celebretur districte præcipiendo mandamus illis ex vobis, qui secundum antedictas 
Constitutiones ad hujusmodi Capitulum et electionem debent accedere, ut congruo 
tempore ad Romanam Provinciam in cujus partibus tempore ipsius Capituli cele- 
brandi Dco actore proponimus residere, ad locum videlicet in quo tune Apostolica 
Sedes resederit auxiliante Domino venire procurent. Non obstante quod ipsum 
futurum Capitulum in præterito Generali Capitulo esse dicitur in Provincia Tlieo- 
toniæ assignatum. Tibi autem Fili Prior Provincialis, seu vices Prions Provincialis 
gerens districte præcipimus, ut prœsentium Litterarum nostrarum tenorem, aut in 
Provinciali Capitulo si adhuc celebratum non est, aut saltem per Conventus omnes 
tuæ Provinciæ per te, vel per alios studeas publicare. 

« Datum apud Urbem Veterem Idibus Augusti Pontificatus nostri anno quarto. 

« In eodem modo. 

« Dilectis Filiis... Priori Provinciali vel ejus vices gerenti et cœteris Fratribus 
Ordinis Prædicatorum in Provincia Yspaniæ. 

« In eodem modo. 

« Priori Provinciali etc., pro Provincia Provinciæ. 

«< In eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Lombardiæ. 

« In eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Romana. 

« In eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Franciæ. 

« In eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Teutoniæ. 

« ln eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Angliæ. 

« In eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Daciæ. 

« In eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Poloniæ. 

« In eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Ungariæ. 

« ln eodem modo. 

« Priori Provinciali pro Provincia Græciæ. » (Bull. ürd. Ined. Ms. arch. Ord., 1, 
15 bis.) 

II. - 18 


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274 


MUNIO DE ZAMORA 


de comparaître avec Maître Munio. Le Pape espérait sans doute 
que les Défmiteurs, au courant peut-être du complot de Palencia, 
lui révéleraient les coupables. Cette bulle nous donne les noms 
des DéGniteurs : Frère Salvo, ex-Provincial de Rome 1 ; Frère Ni¬ 
colas de Salamanque, Définiteur d’Espagne; Frère Bernard de 
Trilia, DéGniteur de Provence; Frère Rambert de Bologne, DéG- 
niteur de Lombardie; Frère Etienne de Besançon, DéGniteur de 
France; Frère Hermann de Minden, DéGniteur de Teutonie; Frère 
Jean, DéGniteur d’Angleterre; Frère Michel, DéGniteur de Pologne ; 
Frère Jean de Castro Ferreo, DéGniteur de Hongrie; Frère Albert 
de Brescia, DéGniteur de Terre Sainte. 11 ne manque que les noms 
des DéGniteurs de Dacie et de Grèce 2 . 

De plus, comme par le fait de la déposition du Général, l’Ordre 
allait se trouver sans chef ; Nicolas IV y pourvut en instituant 
d’ofGce le Provincial de Rome 3 Vicaire Général de l’Ordre 


1 Cf. Masetti, Monumenta, p. 286. 

2 « Nicholaus Episcopus, servus servorum Dci. 

« Dilecto Filio Fratri Salvo Lucano Ordinis Prædicatorum olini Diffinitori Capi- 
tuli Gcneralis ejusdem Ordinis apud Palentiam celebrati pro Provincia Romana sa- 
lutem et Apostolicam benedictionem. 

« Cum Nos ad proxime præteritum Generale Capitulum Ordinis tui apud Palen- 
liam celebratum, in quo tu fuisse diceris Diffinitor diversas Apostolicas Litteras 
per... Cursores nostros duxerimus destinandas et sicut accepimus iidem Cursores 
nostri cum pervenissent ad Civitatem prædictam quorumdam ut creditur praæon- 
ccpta malitia procurante injuriose capti atque detenti noslrisque Litteris fuerunt 
nequiter spoliati. Nos tantam Apostolicæ Sedis injuriam nolentes sub dissimula- 
tione transire sed volontés super iis, et quibusdam aliis ad Ordinem prœdictum 
spectantibus plenius inquirere veritatem, præsentium tibi auctoritate in virtutc 
obedientiæ districte prœcipiendo mandamus, quatenus in Octava festi Resurrcctio- 
nis Dominicœ proxime venturi Apostolico te conspectui personaliter reprœsentes 
mandatis et beneplacitis nostris humiliter pariturus. 

« Datum apud Urbem Veterem Idibus Augusti Pontificatus nostri anno quarto. 

« In eodem modo. 

« Fratri Nicolao Salamantino Ordinis Prædicatorum olim Diffinitori Capituli 
Gcneralis ejusdem Ordinis apud Palentiam celebrati pro Provincia Ispaniæ. 

« In eodem modo. 

« Fratri Bernardo Priori Provinciali Provinciæ Provinciæ etc., pro eadem Pro¬ 
vincia. (Il y a erreur pour le titre dans le manuscrit.) 

« In eodem modo. 

« Fratri Ramberto etc., pro Provincia Lombardiæ. 

« In eodem modo. 

« Fratri Stephano Bisuntino etc., pro Provincia Franciæ. 

« In eodem modo. 

« Fratri Hermanno de Minda etc., pro Provincia Theutoniæ. 

« ln eodem modo. 

« Fratri Johanni Anglico etc., pro Provincia Angliæ. 

« In eodem modo. 

« Fratri Michaeli etc., pro Provincia Poloniæ. 

« In eodem modo. 

« Fratri Johanni de Castro Ferreo etc., pro Provincia Ungariæ. 

« In eodem modo. 

« Fratri Alberto Brixien. etc., pro Provincia Terne Sanctæ. » (Bull. Ord. Ined. 
Ms. arch. Ord., I, 15 bis.) 

3 Frère Jean de Polo. (Cf. Mas^tti, Monumenta , p. 239.) 


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CHAPITRE IV 


275 


entier 1 . De cette manière, il pouvait préparer lui-même la future 
élection qui devait avoir lieu dans la province Romaine. 

Le Pape ne s'en tint pas à ces mesures préventives. D’une 
ordonnance du Chapitre provincial tenu l’année même (1291) 
à Spolète, après ces faits regrettables, il ressort que Nicolas IV 
exigea une enquête officielle, afin de trouver les spoliateurs de 
ses courriers de Palencia. Il y est en effet ordonné : « sous peine 
grave, à tout religieux qui aurait conseillé ou commandé, qui 
saurait celui qui a conseillé ou commandé, ou préparé le vol des 
lettres que portaient les courriers apostoliques au Chapitre géné¬ 
ral de Palencia, dans le but d’en empêcher la présentation au 
Frère Munio, autrefois Maître de l’Ordre, et aux Définiteurs, de 
révéler les noms au Provincial, s’il est présent. A son défaut, 
cette révélation doit se faire dans les huit jours au Prieur du cou¬ 
vent ou à son vicaire *. » 

1 « Nicholaus Episcopus, servus servorum Dei. 

« Dilecto Filio... Priori Proviuciali Fratrum Ordinis Prædicatorum Romanæ Pro- 
vinciæ gerenti vices Magistri ejusdem Ordinis salutem et Apostolicam benedictio- 
nem. 

« Cum Frater Munio olim Magister Ordinis Prædicatorum auctoritate nostra sit 
ab ofBcio Magisterii absolutus, et secundum Constitutiones ipsius Ordinis alterius 
Magistri electio sit in futuro ejusdem Ordinis Gencrali Capitule, quod esse débet 
in festo Pentecostes, annuente Domino celebranda. Nos considérantes certis ex 
causis ipsius Ordinis expedire profectibus, quod idem Capitulum in nostra præsen- 
tia celebretur, ac disponentes tempore ipsius Capituli celebrandi actore Domino in 
Romanæ Provinciæ partibus residere auctoritate Apostolica ordinamus , alque 
decernimus, ut ipsum Capitulum in Romana Provincia videlicet in loco, ubï tune 
Apostolica Sedes resederit debeat celebrari, præsertim cum per Litteras nostras 
mandaverimus proxime præterito Gcnerali Capitulo, ut sequens Generale Capitu¬ 
lum in loco ubi tune Apostolica Sedes resederit assignare deberent, quamvis, ut 
dicitur, caedem nostræ Litteræ nequaquam fuerint ipsi Capitulo præsentatæ. Cum 
autem secundum Constitutiones prædictas mortuo, vel amoto Magistro ejusdem 
Ordinis, Prior Provincialis illius Provinciæ in qua celebrandum est sequens Capi¬ 
tulum Generale, vices Magistri Ordinis certo modo debeat obtinerc , quousque 
Magister ipsius Ordinis sit electus præsentium auctoritate committimus, et manda- 
mus , quatenus vices prædictas secundum modum in Constitutionibus meinoratis 
expressum prudenter, et efficaciter exequi studeas, ac si in proxime præterito Gene- 
raÙ Capitulo futurum Generale Capitulum in tua fuisset Provincia assignatum. 
Non obstante, quod assignatum esse in Provincia Theotoniæ perhibetur. Contra- 
dictores, si qui fuerint aut rebelles auctoritate nostra per censuram ecclesiasticam 
appellatione postposita compescendo. Denique volumus, et tibi eadem auctoritate 
mandamus, quatenus præmissam ordinalionem nostram de Capitulo celebrando ad 
Fratrum Ordinis tui studeas perferre notitiam, ut ii, qui secundum antedictas 
Constitutiones ad hujusmodi debent convcnire Capitulum præparare se valeant, et 
venire ad illud in tempore opportuno. 

« Datum apud Urbem Veterem Idibus Augusti Pontiflcatus nostri anno quarto. » 
{Bull. Ord . Ined. Ms. arch. Ord., I, 15 bis.) 

* « Monemus una monitione pro tribus omnes fratres et singulos, et districte 
precipiraus, quod quicumque procuravit vel ordinavit, vel scit aliquem vel procu¬ 
rasse , vel ordinasse, vel scit quod debeant ordinari vel induci aliqua ad procuran- 
dum vel ordinandum quod nuntii domini Pape caperentur, vel littere summi Pon- 
tificis interciperentur, vel a nuntiis tollerentur, ut ipse littere summi Pontificis 
quas ad Generale Capitulum celebratum Palentie dirigebat, non presentarentur 
fratri Munioni, olim Ordinis nostri Magistro, vel difflnitoribus ipsius Capituli 
Gencralis, priori provinciali, si presens fuerit dicat. Quod si prior provincialis 


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MUNIO DE ZAMORA 


Il est resté un curieux document de la citation en Cour romaine 
des Définiteurs de Palencia. 

C’était un long voyage, très dispendieux. Qui devait en payer les 
frais? Frère Hermann de Minden , le Définiteur d’Allemagne, pose 
la question à son Provincial. « Vous qui jugez la terre, écrit-il, 
faites-moi justice : puis-je réclamer les sommes que j’ai dépensées 
en allant à Rome, appelé par le Pape, pour y être crucifié de nou¬ 
veau, non à cause de mes fautes, mais comme compagnon des 
autres Frères, qui s’y sont rendus de toutes les provinces, sous 
prétexte d’un procès qui n’était pas le leur? j’y ai souffert péril de 
mort, bien que je n’eusse qu’à me laver les mains avec les inno¬ 
cents de l’accusation d’avoir dépouillé les courriers du Pape. Si 
mes prières ne sont pas justes, je ne demande rien. Mais, de droit 
commun, c’est aux Eglises à pourvoir leurs chanoines, aux abbayes 
leurs moines, qui sont envoyés à la Cour romaine 1 ... » 

Les Définiteurs s’étaient donc rendus à l’appel de Nicolas IV. 
L’entrevue avait été douloureuse, puisque Frère Hermann dit qu’il 
y a couru danger de mort. 

Nicolas IV n’eut pas la satisfaction de terminer cette cause qui 
le touchait au vif. 11 rendit son âme à Dieu, le 4 avril 1292. Son 
successeur ne reprit point le procès. Le secret de Palencia n'a pas 
été trahi. 


absent fuerit dicat priori suo vol ejus vicario intra octo dies a scientia nionitionis 
presentis; et ipse prior conventualis vel ejus vicarius priori provincial! fidcliter et 
cito nuntiare sub eadem districtione, vel quocumque alio modo congruo et honesto 
teneatur. » (Acla Capit. Prov., p. 575. Ed. Douais.) 

Le Définiteur romain, Frère Salvo, avait été également dépouillé, en route pour 
Palencia, des papiers de sa province. (Ibid.) 

1 Lettre du Définiteur d’Allemagne, Frère Hermann de Minden, à son Provincial. 

« Provinciali Provincic frater Hcrmannus. Mitto vobis et infra : Essct mihi 
super aurunt et topazion, si vos videre in capitulo generali impedimentis cessanti- 
bus meruissem. Verum quod negatur officio consortis, supplcbit aiTectio, que vos 
totum tenet, obtinct, amplcctitur, veneratur, eligit, diligit in me toto. Dcus cordis 
moi et pars mea novit, quanta cura satago, ut ad vos pcrtingal nummisma debitum, 
molesta mihi dilacione suspensum utinam non suspectum. Nam de dampno nil cu- 
rarcm, etiam si triplum contribucrem, set nollem viverc foretque mihi cum morte 
convertibilc, si iusticia, quam precaram habeo, sub amantis et amati opinione inci- 
peret titubare. Et infra : Pannum quoque tenuem de Argentina vobis misissem, si 
portitoris aut vectoris copiam habuissem. Aliud quoque vidi sompnium, videlicet 
cum vos afflaret Flandria texens et plectens subtilia locum apud vos, cum setis et 
sagis suis Theuthonia non haberet. Getcrum decernitc iusticiam, qui iudicatis ter- 
ram, utruin possim petere impensas, qui vocatus a domino papa ivi Romam iterum 
crucifigi non mcis demeritis set aliorum particeps futurus, qui ut causam non eau- 
sam habentes illuc de singulis provinciis acccsserunt. Horum gratia usque ad mor- 
tem perielitatus sum, licet lavarem inter innocentes manus meas super hoc, quod 
papales nuntios suis epistolis non privavi. Si preces equitate non nituntur, ncc peto 
nec repeto. Set iure communi ecclesie canonicis, ccnobia monachis ad curiam pro- 
fecturis tenentur in sumptibus providerc. Quod si non recipiatur parangariis cor- 
poralibus et angariis realibus vacuatus ad negotia similia vel dissimilia reperiar 
indevotus... Valete. » (Finke, op. cil., p. 158.) 


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CHAPITRE IV 


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BIBLIOGRAPHIE 


Touron, les Hommes illustres de l'Ordre de Saint-Dominique. 1744. 

Année dominicaine, février. Ed. Jevain. 

Medrano, Historia de la provincia de Espaiïa. Madrid, 1724. 

Castiglio, Historia generale di san Domenico. Palermo, 1616. 

R.P.Chapotin, Histoire des Dominicains de la province de France. Rouen, 1898. 
Grandjean, Benoît XI avant son pontificat. Rome, 1888. 


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CHAPITRE V 


LES RAISONS DE LA DÉPOSITION DE MAITRE MUNIO 


L'historique de la déposition de Maître Munio laisse sur l’âme 
un poids douloureux. 

Quelle en a été la raison déterminante? Ni le Pape dans sa bulle, 
ni les cardinaux dans leur lettre aux Pères de Ferrare, ne la 
révèlent explicitement. « Certaines causes qui ne permettent plus 
à Maître Munio de gouverner l’Ordre commodément et utilement, » 
dit Nicolas IV 1 ; « les bruits, dignes de foi, qui montrent que 
Maître Munio, pour l’honnêteté et l’utilité de l’Ordre, doit donner 
sa démission 1 , » écrivent Latino et Hugues de Billom. C’est tout. 
Pour l’historien, c’est peu. C’était même trop peu pour les Pères 
de Ferrare, chargés d’exiger du Maître une démission motivée en 
des termes si vagues, et, en cas de refus, de le déposer. 

Aussi à Ferrare, et plus tard à Pamiers, les Capitulaires 
scrutent la vie du Maître menacé, ses actes privés et publics, pour 
y découvrir quelque cas, même lointain, de déposition. On cherche, 
on enquête, on discute. Le résultat juridiquement constaté est tout 
à l’honneur de Munio. Ni sa vie privée, ni son administration ne 
sont jugés répréhensibles. Au contraire, à l’unanimité des Capi¬ 
tulaires, il est déclaré publiquement que Maître Munio était digne 
de toute louange. 

Cette enquête, nullement demandée par le Pape, ne fut faite 
qu’en raison des formules énigmatiques par lesquelles Nicolas IV 
exigeait la démission de Munio. En face de ces expressions vagues, 
les Pères, ne sachant à quoi elles se rapportaient, ne devinant pas 
pourquoi le Maître ne pouvait plus gouverner l’Ordre « ni com¬ 
modément ni fructueusement », crurent qu’il fallait étudier de plus 
près, plus à fond, les accusations dont il avait été l’objet. Et c’est 

1 « Cujus (ordinis) curam nec commode credebatur posse nec perfectibiliter exer- 
cere... » (B. Dudum cerlis, cf. p. 272 , note 1.) 

* <• Iloncslati et utililati vestre omnino credimus expedire ut frater Munio... 
quicsoat deinceps ab offioio magistrat us... » (('f. p. 250, note \.) 


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CHAPITRE V 


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ainsi que les Actes du Chapitre de Ferrare et plus encore ceux 
de Pamiers révèlent que les raisons mises en avant par le Pape 
pour casser Maître Munio se rapportaient à son gouvernement. 

Ces accusations étant certaines, puisque le Chapitre de Bordeaux, 
en 1287, les avait déjà jugées et qualifiées, les Pères étaient en 
droit de penser que « les causes » dont on gardait le secret se 
basaient sur elles 1 . 

Nulle part ailleurs on ne trouve d’autre jalon indicateur. 

Un seul écrivain pourrait diriger nos recherches, Bernard Gui, 
contemporain de Munio, qui professait alors en Provence. Il n’a 
pu ignorer ces faits retentissants, dont sa province, en particulier, 
reçut le contre-coup. Mais Bernard Gui garde sur ce sujet un si¬ 
lence complet. Il présente Maître Munio avec le plus grand res¬ 
pect : « C’était, dit-il, un personnage vénérable, d’âme si éner¬ 
gique qu’aucune adversité ne put l’abattre, quoiqu’il en eût subi 
de nombreuses*. » 

Les autres chroniqueurs ne sont pas plus explicites. Frère Gal- 
vanus de la Flamma, plus loquace d’ordinaire, relate le fait de la 
déposition, sans commentaires 3 . 

Aussi les historiens de l’Ordre, tous d’accord pour regarder 
Maître Munio comme une victime et vénérer sa mémoire, sont 
également d’accord tous pour ne pouvoir donner avec certitude une 
raison satisfaisante de sa déposition 4 . 

Serai-je plus heureux? Toutes recherches faites, — et j’avoue 


1 C'est ce qu'affirment les Pères de Pamiers dans leur acte d'appel au Saint-Siège. 
(Cf. p. 267, note 1.) 

2 « Hic fuit persona vcncrabilis : non frangebatur advcrsitate quacumque, cum 
ta mon multas perpcssus fucrit. *> (Echard, I, p. 391.) 

2 Chron., p. 103. Ed. Reichert. 

* Saint Antonin répète à peu près dans les mêmes termes l’éloge décerné A 
Maître Munio par Bernard Gui : « Fuit hic venerabilis valde..., nullis adversitatibus 
fractus quas non paucas perpcssus est. » ( Chronicæ , tert. pars., titul. XXIII, 
p. 68. Ed. Lugd.) 

Léarrdre Albert : « Fuit vir venerabilis et ad quæque peragenda intrepidus, nec 
unquam potuit a quacumque advcrsitate a proposito suo dimoveri, licet plures 
perpcssus sit. » (De Viris illustr. Ord. Præd., p. 38. Ed. Bol. 1517.) 

Touron : « Qui ne se serait flatté qu’un supérieur de ce caractère, chéri de Dieu 
et des hommes, toujours prêt à faire du bien A tous et incapable de vouloir du 
mal A ccux-mêmes dont il n’avait pas sujet d'être content, aurait fini des jours 
tranquilles dans une place qu'il n’avait point désirée, mais qu’il était si digne d'oc¬ 
cuper (p. 616)! Le Pape Nicolas IV, prévenu par de faux rapports contre la vertu 
ou la capacité de Munio, avait résolu la déposition de ce Général (p. 617). Munio, 
toujours semblable A lui-même, mais plus digne de respect dans l’adversité que 
dans les beaux jours de sa vie, soutint le coup sans faiblesse (p. 625). Cette con¬ 
duite du souverain Pontife parut assez extraordinaire;... chacun pensa et raisonna A 
sa façon , mais l’énigme n’a pas été encore expliquée... » (Histoire des Hommes 
illustres de VOrdre de Saint-Dominique. Paris, 1743.) 

Echard a la même note. Il attribue A quelques religieux, adversaires de Munio, 
l'opposition de Nicolas IV : « Cum Munionis æmuli quidam nescio quo spiritu moti 
apud Nicolaum IV ex ordinc Minorum assumptum prævaluissent... »» ( Scriptores , I, 
p. 399.) Et je ne cite pas les auteurs espagnols. 


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MUNIO DE ZAMORA 


ne pas les avoir ménagées, — je dois déclarer n’avoir découvert 
sur cette question aucun document positif nouveau. 

Il me semble, d’après ce silence même de tous les contempo¬ 
rains, que la rigueur de Nicolas IV contre Munio de Zamora a des 
origines complexes. Elle est une résultante. Ce n’est point exclu¬ 
sivement pour tel ou tel motif spécial, mais, comme le dit le Pape 
lui-même, « pour plusieurs raisons, » certis emergentibus causis, 
que la démission du Maître fut exigée. 

Munio ne plaisait pas à Nicolas IV. Et chacun sait que pour 
plaire ou déplaire, surtout aux grands de ce monde, nombreuses 
sont les causes. 

Voici, à mon humble avis, ce qui a pu exciter cette sorte d’ani¬ 
mosité du Pape contre le Maître des Prêcheurs 1 . 

Un premier motif pourrait être sa nationalité. C’est ce qu’insinue 
Sébastien de Olmedo 1 . Sans outrer ce sentiment d’antipathie de 
race, il est certain qu’avant l’élection de Munio et après, les Espa¬ 
gnols n’étaient pas en faveur à la Cour romaine. 

Alors que Nicolas IV n’était encore que le cardinal Jérôme d’As- 
coli, ancien Ministre général des Mineurs, il avait eu des rapports 
peu agréables avec la Castille. On se rappelle qu’il fut chargé, 
avec Maître Jean de Verceil, de faire la paix entre Philippe le 
Hardi et Alphonse X, à propos de la succession au trône dont le 
droit séculaire avait été violé au détriment des petits-fils de saint 
Louis. Cette légation si laborieuse n’avait point abouti, par la faute 
surtout de l’intéressé, Don Sanche, qui prétendait user de la fa¬ 
veur de son père, et qui, en effet, lui succéda. Or Munio de Zamora, 
alors Provincial d’Espagne, était l’ami de Don Sanche, comme le 
prouve toute la suite de ses relations avec ce prince. Il se trou¬ 
vait donc adversaire politique du cardinal Jérôme d’Ascoli et de 
Jean de Verceil, dans ce débat national. Il vit les légats à son 
passage à Toulouse, en 1278, lorsqu’il se rendait à Milan pour le 
Chapitre général dont il fut le président 3 : 


! L’opinion qui attribue l’attitude de Nicolas IV à l'animosité des Franciscains 
contre les Prêcheurs ne paraît pas soutenable. (Cf. Douais, les Frères Prêcheurs 
à Pamiers, p. 42. — Grandjcan, Benoil XI avant son pontificat, p. 241.) 

Il y avait, en efTet, alors, des discussions assez vives entre Mineurs et Prêcheurs, 
comme à Strasbourg et à Pamiers. Mais si Nicolas IV, Mineur de profession, s'était 
inspiré de ces luttes pour attaquer les Prêcheurs, c'est à l’Ordre même qu'il eût 
fait sentir sa défaveur. Etant Pape, ce lui était chose facile. Or Nicolas IV n'a 
pas cessé, pendant tout son pontificat, d’accorder aux Prêcheurs de nombreux et 
précieux privilèges. Son attitude vis-à-vis de Munio demeure donc toute person¬ 
nelle, et, par conséquent, n’a aucun rapport avec les démêlés locaux des deux 
Ordres. Il faut en chercher ailleurs les vrais motifs. 

2 C’est à propos de la démission, forcée peut-être, de Maître Aymeric de Plaisance 
que Sébastien de Olmedo donne cette opinion : « Ne forte curia in Galliis persévé¬ 
rante, eveniret Magistro Italo quod olim ea in Italia manente Munioni Hispano... » 
(Sébastien de Olmedo, Chron., p. 52. lib. XIV-26. Ms. arch. Ord.) 

3 Cf. Molhon, Vita fiel B. Giovanni da Verrvlli , p. 473. 


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CHAPITRE V 


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Évidemment, on ne peut conclure de ces faits à une animosité 
entre Jérôme d’Ascoli et Munio ; mais ils peuvent suffire à former 
dans les âmes une disposition peu favorable qui, développée par 
d'autres actes, s’enracine et produit, à l’occasion, ses effets. 

Après la Castille, F Aragon. Dans ce pays, soumis alors au Pro¬ 
vincial d’Espagne, puisqu’il n’y avait encore qu’une province dans 
toute la Péninsule, la lutte était vive, depuis longtemps, contre le 
Saint-Siège. Il s’agissait de la succession de Sicile. Quels que 
fussent les droits de la Maison d’Aragon, — ce dont je n’ai point 
à m’occuper, — il est certain que le Saint-Siège ne les admettait 
point, qu’il voulait imposer en Sicile la Maison d’Anjou, que toute 
la politique romaine, ouvertement francophile, s’opposait par les 
armes temporelles et spirituelles aux entreprises des Aragonais. 
Plusieurs Papes s’usèrent à cette lutte. Plus heureux, Nicolas IV 
finit par préparer les voies à une paix définitive qui couronnait les 
efforts de ses prédécesseurs. En 1290, au moment où il exigeait 
la démission de Maître Munio, les pourparlers pacifiques étaient 
engagés. La présence d’un Espagnol à la tête de l’Ordre des Prê¬ 
cheurs ne pouvait-elle pas déplaire à ceux de France qui traitaient 
avec le Pape? Munio avait, en France, des adversaires. Le fait 
est certain. Ne purent-ils pas profiter de l’occasion pour renou¬ 
veler leurs calomnies, — c’est ainsi que les Pères du Chapitre de 
Bordeaux (1287) avaient qualifié leurs accusations, — et tenter 
de renverser le Maître qui leur déplaisait? 

Rien ne le prouve assurément; mais la qualité d’Espagnol, à 
une époque où il fallait mieux être Français, n’était pas un bon 
point 1 . Et nous verrons dans la suite de cette histoire plusieurs 
Généraux cassés de leur charge pour un semblable motif. 

On ne peut pas dire que cette idée politique détermina Nico- 


1 Dans f Aragon, quelques religieux, ayant pris ardemment le parti du roi, 
s’étaient permis de braver l’interdit jeté sur le royaume par Nicolas IV. Excom¬ 
muniés de ce chef, ils implorèrent l'absolution. Voici la réponse du Pape. 

k Nicholaus Episcopus, servus servorum Dei. 

« Dilccto Filio... Priori Provinciali Ordinis Fratrum Prædicatorum in Ispania 
salutem et Apostolicam benedictionem. 

« Ad nostram noveris audientiam pervenisse, quod nonnulli Fratrcs tui Ordinis 
tam novitii quam professi pro eo quod Interdictum positum in Terra quondam 
Pétri de Aragonia per Scdem Apostolicam , aut auctoritate ipsius hactenus non 
servarunt aut præstando eidem Petro auxilium, consilium vel favorem latam in 
taies per dictam Scdem aut legatum ipsius excommunicationis sententiam incur- 
risse noscuntur, ac sic ligati divina officia celebrarunt, et se immiscuerunt eisdem, 
ac Minores, et Sacros etiam Ordines susceperunt, et celebraverunt in Ordinibus 
sic susceptis. Nos itaque pcriculis animarum dictorum Fratrum præcaverc volentcs 
absolvendi hac vice prædictos Fratres auctoritate nostra juxta formam Ecclesiæ 
per te, vel per aliquos Priores seu Fratres dicti Ordinis, quos ad hoc idoneos repu- 
tabis prius ab eis juramento recepto, quod deinceps Interdictum hujusmodi invio- 
labiliter observabunt ab omnibus excommunicationum sententiis in eos per dictam 
Scdem et per quoscumque alios hac occasionc prolatis et dispensandi cum eis, et 
eoruni quolibet super irrcgularitate, siquam exindc contraxerunt injuncta cuilibet 


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MUNIO DE ZAMORA 


las IV à écarter Maître Munio; il me semble cependant qu’on ne 
sera pas loin de la vérité en prétendant qu’elle le disposa à lui 
être défavorable. 

Or, à peine élu, Maître Munio avait fait un acte considérable, 
contre lequel Nicolas IV protesta publiquement. 

Peut-être sur l’avis du Pape Honorius IV, à tout le moins avec 
son approbation subséquente, comme nous l’avons vu, Munio de 
Zamora rédigea et imposa aux Frères et aux Sœurs de la Péni¬ 
tence, qui vivaient sous la direction plus ou moins officielle des 
Prêcheurs, une règle nouvelle. Au lieu de les laisser sous le gou¬ 
vernement des évêques, comme les autres Fraternités de Péni¬ 
tence, il les mettait d’emblée sous celui de l’Ordre. En sorte que, 
sous le titre de Pénitence de Saint - Dominique, il rattachait aux 
Prêcheurs, par un lien juridique, une fraction importante de YOrdo 
de Pœnitentia. C’était une innovation assez hardie. Ce faisant, Mu¬ 
nio de Zamora formait en réalité, d’une manière définitive, le Tiers 
Ordre de Saint-Dominique. Vaguement reliées jusque-là à l’Ordre 
des Prêcheurs, plutôt par les liens du cœur que par une soumis¬ 
sion obligatoire, les Fraternités dominicaines prenaient corps et 
ne faisaient plus qu’un avec le grand Ordre. 

L’innovation, je le répète, était hardie. Car depuis sa fondation 
par saint François, YOrdo de Pœnitentia, cette Fraternité laïque 
universelle, dont les membres remplissaient le monde, n’avait 
été soumis alternativement qu’à deux autorités : ou celle des 
Frères Mineurs ou celle des évêques ; j’entends soumission cano¬ 
nique imposée par l’Église ou reconnue par elle. 

Or la règle de Maître Munio créait dans YOrdo de Pœnitentia 
une étrange situation. A l’époque où elle parut, les Fraternités de 
Pénitence, quelles qu’elles fussent, étaient gouvernées par les 
évêques, de sorte que, au moment où les Fraternités dominicaines 
passaient sous le gouvernement de l’Ordre, les Mineurs se trou¬ 
vaient encore exclus du gouvernement des autres Fraternités. Les 
Prêcheurs avaient, de fait, un Tiers Ordre régulier, administré par 
eux; les Mineurs n’avaient plus rien du tout. 

Étant donné les rancunes sans cesse renaissantes entre les deux 
Ordres, il est permis d’affirmer, sans crainte d’erreur, que l’acte 
de Munio de Zamora troubla profondément les Frères Mineurs. Il 
était pour leur influence une menace très sérieuse. Car il y avait 
tout lieu de craindre que beaucoup de Fraternités indépendantes, 
attirées par la direction plus grave des Prêcheurs, n’acceptassent 


dictorum Fratrum propter hoc pœnitentia competenti devotioni tuœ plenam aucto- 
ritate præsentium concedimus facultatem. 

» Datum apud Urbem Vetercm Decimo Kalendas Augusti Pontificatus nostri Anno 
tertio. » (Bull. Ord. Ined., 1, 15 bis. Ms. arch. Ord.) 


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CHAPITRE Y 


283 


la règle de Maître Munio. C’eût été le passage d’une grande 
partie de l'Ordo de Pœnitentia dans le camp de saint Dominique. 

Or, quoique séparés du tronc franciscain par le gouvernement 
des évêques, les Frères de la Pénitence n’en étaient pas moins, 
comme origine primitive, de la race du Pauvre d’Assise. Même 
loin de leur houlette, les Mineurs persistaient, non sans raison, à 
regarder ces brebis errantes comme faisant partie de leur trou¬ 
peau. Les conduire à un autre bercail ou les inviter à y entrer, 
c’était leur ravir un bien de famille. Sous l’autorité des évêques, 
neutres en la question, ce bien restait inaliéné ; sous l’autorité des 
Prêcheurs, il passait à d’autres maîtres. 

Les Mineurs se trouvaient certainement, après la règle de Mu¬ 
nio, en état d’infériorité. Fondateurs de la Pénitence, ils n’avaient 
plus à eux aucune Fraternité, tandis que les Prêcheurs prenaient 
possession de toutes celles qui s’offraient à leur direction. Pareille 
situation ne pouvait plaire à l’Ordre de Saint-François. 

On le vit à Strasbourg. 

Deux ans après la publication de la règle de Munio, en 1287, 
le cardinal Jean Boccamaza 1 , légat d’Honorius IV en Allemagne, 
avait jeté l’interdit sur la ville de Strasbourg pour la punir de ses 
excès contre le couvent des Prêcheurs. Ceux-ci, obligés de fuir, 
s’étaient retirés dans les couvents de la région*. Loin de les 

1 Ne à Rome, archevêque de Monréale (Sicile) en 1278, cardinal-évêque de Fras- 
cati en 1285. Il mourut à Avignon le 10 août 1309. (Cf. Mazzuchilli, Scr. Ital ., II, 
3, 1384-1762.) 

* En 1283, l’année même de la mort du bienheureux Jean de Vcrceil, les magis¬ 
trats de Strasbourg demandèrent aux Mendiants, Prêcheurs et Mineurs, de s’enga¬ 
ger à observer les trois points suivants : 1° renoncer à tous les legs faits en leur 
faveur; 2° en cas de vente, ne plus exiger que le bien vendu leur serait rendu à la 
mort de l’acquéreur; 3° ne pas recevoir, sans le consentement des parents, des 
jeunes gens au-dessous de dix-huit ans. 

C’était une mainmise des pouvoirs séculiers sur les libertés religieuses. Les Frères 
Mineurs se soumirent, quoique de mauvaise grâce. Les Prêcheurs, une fois le texte 
des exigences de la Commune devenu public, refusèrent de les accepter, estimant 
qu'elles étaient odieuses pour l’Ordre, attentatoires à son honneur et à ses privi¬ 
lèges. 

On se disputa jusqu’en 1287. A cette date, sur la plainte des héritiers d’une 
femme qui avait laissé ses biens aux Frères, les magistrats voulurent les forcer à 
y renoncer. 

Le refus fut absolu. Pour vaincre leur résistance, on fit le blocus autour 
du couvent. Interdiction de porter aux Frères ou de leur vendre aucun aliment. 
Le légat du Pape, Jean Boccamaza, cardinal-évêque de Frascati, jeta l'interdit sur 
la ville. Il faut dire que Prêtres séculiers et Frères Mineurs faisaient cause com¬ 
mune avec la ville. 

On ne garda point l’interdit. 

L’affaire portée en cour de Rome, devant Nicolas IV (1288), y fut vigoureusement 
soutenue par le Provincial d'Allemagne, Hermann de Minden. 

Le Pape renvoya les parties devant l’évêque de Worms, chargé d’étudier la cause 
et de la juger. Il essaya de les concilier, mais inutilement, malgré la présence à 
Worms de Maître Munio. Finalement, le 12 mai 1290, l’évêque de Strasbourg, admis 
comme arbitre par la ville et les Prêcheurs, décida que ceux-ci ne pouvaient en 
conscience accepter les exigences des magistrats. Ils protestèrent bien un peu. Mais, 


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284 


MUNIO DE ZAMORÀ 


plaindre ou d’essayer d’adoucir la querelle, les Mineurs de Stras¬ 
bourg, unis aux citoyens, prêchaient partout que l’interdit du 
légat était de nulle valeur; que, par conséquent, on pouvait célé¬ 
brer et suivre les offices, administrer et recevoir les sacrements*. 

Ce qu’ils disaient, ils le pratiquaient. Autour d’eux les Frères 
et les Sœurs de la Pénitence, amis des Mineurs, s’agitaient et 
poussaient à la révolte contre l’autorité du légat. La réplique de 
ce dernier peint bien la situation. Il écrit aux Gardiens des Mi¬ 
neurs de Strasbourg, de Schelestadt, de Haguenau, d’Offen- 
bourg, pour leur reprocher cette attitude indigne vis-à-vis des 
Prêcheurs et de l’Église : « Vous n’hésitez pas, leur dit-il, à 
accepter et à introduire dans vos églises la foule très mêlée des 
Frères et des Sœurs de la troisième règle, quoique cette règle et 
ces réguliers ne vous regardent en aucune façon*. » Et dans sa 

battus à Rome et à Strasbourg même, ils laissèrent les Prêcheurs rentrer dans leur 
couvent, 1290. (Cf. pour tous ces détails Strassburger Urkundenbuch, 1879, II, n° 114 
et ss. — Finke, Ungedruckte Dominikanerbriefe. Paderborn, 1891.) 

Autorisation donnée aux Prêcheurs de Strasbourg, par le légat, de se retirer dans 
d’autres villes. 

« Quod fratres Argcntinenscs possunt se recipere alibi, Iohannes miseratione etc. 
Priori et fratribus domus Argentinensis etc. Licet de domo vestra in qua sedulum 
domino consuevistis impenderc famulatum, vis civium vos ejcccrit importuna ; 
volumus tamen quod finaliter sic Argcntinam dyocesim rclinquatis quominus dc- 
voti vestri optato in consiliis solacio pociantur. Scimus enim quod subducta luce 
tenebre terram et caligo didicit populos operire, et relegatis pastoribus hujus gregis 
lupus caulis ovium invigilat, deflcientibusque vere fidei prcdicatoribus herescs haud 
dubium pullulabunt. Quapropter, non obstantc contradictione cujuscumque in dyo- 
cesi predicta et aliis vicinis opidis secundum quod oportunum judicaveritis de con- 
silio prioris provincialis vestri vobis paratc convenientes vestro proposito mansiones 
in quibusdam cum altari portatili sine juris prejudicio alieni célébrantes, in quibus- 
dam tanquam ab apostolica sede missi primitus (?) et vocati oratoria et officinas 
alias exigentes. Quicunque vero vos reccperint et foverint tanquam Dei domcsticos 
et amicos, pax et benedictio super illos. Qui autem vos expulerint, vel cjecerint 
maxime timoré civium Argentinensium vel favore, nisi infra octo dies vos revoca- 
verint cum honore, quamdiu absentes fueritis loca eorum ex tune maneant et sint, 
auctoritate prescncium supposita interdicto. Et consules locorum eorundem hoc 
agentes seu consencientes excommunicationis sententiam incurrant, quam ex nunc 
prout ex tune in eos ferimus in hiis scriptis. Cooperatione enim et favore dampna- 
bili convincunt in criminibus criminosis. Nulli ergo etc. » ( Codex Ruten. Ms. arch. 
Ord., p. 182.) 

L’affaire de Strasbourg donna de nombreux soucis à Maître Munio et au Provin¬ 
cial d’Allemagne, Frère Hermann de Minden. Les Prêcheurs avaient quitté la ville; 
mais cinq monastères de Prêcheresses, situés sous les murs, eurent à subir toutes 
les vexations de la part des autorités et des Frères Mineurs. Les sœurs ne savaient 
quelle conduite tenir. Aussi Maître Munio leur écrivit pour les diriger et les sou¬ 
tenir en cette pénible circonstance. Cette lettre et celle adressée aux religieux 
dispersés ont été publiées par Finke avec celles du Provincial Hermann de Min¬ 
den. (Cf. H. Finke, Ungedrukte Dominikanerbriefe des 13 Jahrhunderts , pp. 138- 
140, etc. Paderborn, 1891.) 

Maître Munio tenta même, se trouvant à Worms, de réconcilier les Strasbour¬ 
geois et les Prêcheurs. Ses efforts furent inutiles. La réconciliation eut lieu plus 
tard. (Ibid., p. 147.) 

1 Cf. Mamachi, Annal. Ord. Præd., I, Append., p. 179, n° 107-108. 

2 « Litlera missa fratribus de penitcncia. Iohannes miseratione etc. Religiosis 
viris dilectis nobis in Christo Gardianis et conventibus Argentine, Slezstat, Hagenow 
Offcnburgcnsi ordinis fratrum minorum salutem in domino. Non sine gravi dolore 


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CHAPITRE V 


285 


lettre aux évêques d’Allemagne, sur ce même sujet, le légat 
répète la même affirmation : « Ces Frères et ces Sœurs de la Péni¬ 
tence, ou, comme on dit plus souvent aujourd’hui, de la troisième 
règle, fréquentent plus que de coutume les églises des Mineurs, 
quoique leur direction ne leur appartienne pas à eux plus qu'aux 
autres 1 ... » 

cordis acccpimus vos fratribus predicatoribus adeo fore molestos pariter et infes¬ 
tes quod cum pressuras civium Argcntinensium evadere vel saltem equo tolerare 
animo potuissent, de vestris predicacionibus publicis et familiaribus cum adversa- 
riis ipsorum consiliis adipisci nequiverint hactenus justicie complementum. Persua- 
dentibus enim vobis, ut dicitur, vel ex vobis aliquibus quod sententie nostre contra 
cives ipsos late, nullius vel parvi forent ponderis, et quod licite pseudo sacerdo- 
tum in Argentine celebrancium nisi sint interdicti et per nos excommunicati pos- 
sit populus insipiens audire divina, ex verbis enim hujusmodi involutis et cxpres- 
sis seu circumlocucionibus talibus ecclesie romane et nobis illatum est oppro- 
brium, ceteris periculum et plurimis scandalum procuratum. Adhuc nempe dictos 
fratres non erubescitis concidere vulnere cum in ccclesias vestras in nostrarum 
scnlentiarum prejudicium introducitis de tercia régula promiscui sexus multitudi- 
nem, ibidem et apud sanctam Claram ac alibi prebentes ecclesiastica sacramenta. 
Hanc regulam et ex ea regulares cum ad vos non pertineat nisi ministerium fratrum 
minorum, et minister fratrum de penitencia idem numéro dici possint supcrve- 
nicnte calamitate fratrum predicatorum, instanciu9 et constancius predicastis vix 
compositis, ne dicamus clausis hostiis celebrastis, ac si de illorum fletu vobis 
ridere liceat, qui flere cum flentibus, gaudere cum gaudcntibus debuistis. An 
excidere a memoria debuit vel potuit quod in primo sollempni edicto prohibuimus 
loci episcopo de nostro mandaté exequentc ne vos nec sorores sancte Clarc nostrum 
violaretis quomodolibet interdictum. Porro hec non solum fratrum predicatorum 
nova sed antiqua querela noscitur prelatorum, quod per ministros et fratres ac 
sorores predictas de penitencia usitato vel ut ficto sermone de tercia régula dica¬ 
mus , solvitur undique nervus ecclesiastice discipline. Quapropter huic morbo tam 
generale quam efficax remedium adhibentes juxta tenorem privilegii ipsorum fratrum 
de penitencia et sororum, quod sub sigillo curie Argentine perspeximus, ubi dici- 
lur nisi causam dederitis interdicto vel id vobis contingat specialiter interdici, 
ipsos fratres et sorores de penitencia sive de tercia régula , durante interdicti 
nostri sententia contra cives memoratos specialiter expresse interdicimus et sub 
pena excommunicationis quam monicione decem dierum premissa, ex nunc prout 
ex tune ferimus in hiis scriptis, prohibemus districte predictos fratres et sorores 
de penitencia ne quispiam sive apud vos sive alibi pressumat audire divina vel 
ecclesiastica recipere sacramenta nisi salutis proprie extemptores velint sibi judi- 
cium manducare. Ceterum sedulitate paterna circumspectionis vestre prudenciam 
commonemus quatinus attendentes quod vos una cum fratrum predicatorum ordine 
tanquam duo luminaria divina sapientia in lueem gencium destina vit, non sinatis 
sociale vobi9 lumen opprimi a potestatibus tenebrarum. Sed eadem fides et com- 
passio vel probet esse germanos, ut tollatur scandalum cum opprobrio diccncium, 
isti déclinantes in obligaciones alios cupierunt in necessitate ut consueta uterentur 
cum favore plebcjo libertate. Datum etc. » (Codex Ruten., p. 180-181. Ms. arch. 
Ord.} 

1 « Littera missa prelatis contra terciam regulam. Iohannes miseratione etc. 
Cum nuper propter facinus in karissimos nobis fratres predicatores domus Argen- 
tinensis a magistris et civibus Argentinensibus perpetratum, civitatem ipsorum 
inter alias graves et aggravatas sententias interdicto ecclesiastico subderemus, 
nostre sententie quidam multipliciter illuserunt. Nam fratres et sorores de peni- 
tentia, vel, ut super inducto utamur vocabulo de tercia régula plus solito se apud 
fratres minores, quorum non magis interest quam aliorum ingessere divinis et per- 
suasibilibus humane sapientie verbis tamquam cujusdam exempeionis specie pluri- 
mos sibi attrahere studuerunt. Profecto quibus hujusmodi temeritatis audaciam 
magis quam vobis et vestre negligencie imputemus [?]. Nam cum esset aliquando a 
nobis in vestros subditos lata excommunicationis et interdicti sententia prémisse 
persone apud dictos fratres minores, et apud sanctam Claram, vel alibi non sunt 


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286 


MUNIO DE ZAMORA 


Ainsi donc, en 1287, à Strasbourg, les liens se resserraient 
entre les Mineurs et les Frères et Sœurs de la Pénitence. Il n’y 
avait pas encore de dépendance officielle, puisque le légat pro¬ 
teste contre cette innovation ; mais, de part et d’autre, Mineurs et 
Pénitents, alliés contre les Prêcheurs, s’unissaient pour les des¬ 
servir. Loin de se soumettre à la règle de Munio de Zamora, les 
Pénitents d’Alsace réagissaient en faveur de l’Ordre de Saint- 
François. 

C’est un indice de la division que cette règle avait jetée dans 
YOrdo de Pœnitentia. Les Mineurs, menacés de voir les Fraternités 
passer toutes sous la direction plus disciplinée des Prêcheurs, — 
comme en témoigne la règle de Munio, — les ralliaient autour 
d’eux et couraient sus à l’ennemi commun. 

Il me semble que l’on peut dire, sans témérité, que ce qui se 
passait en Alsace, d’une manière plus violente et plus odieuse à 
cause des circonstances, se passait un peu partout dans les centres 
des Fraternités de Pénitence. En promulguant sa règle, Maître 
Munio avait forcé les Pénitents à opter entre saint Dominique et 
saint François. 

C’est en cette situation que Nicolas IV trouva YOrdo de Pœni¬ 
tentia, lorsqu’il monta sur le siège de saint Pierre, en février 1288. 

Or Nicolas IV, ne l’oublions pas, était Mineur de profession et 
avait gouverné l’Ordre des Mineurs comme Ministre Général. En 
cette qualité, il ne pouvait se désintéresser d’une question qui 
semblait toucher au vif l’Ordre de Saint-François. 

Que les Fraternités de Pénitence fussent soumises aux évêques, 
c’était chose admise depuis longtemps; et cette soumission, qui 
par sa neutralité ne brisait pas le lien d’origine familiale qui les 


veriti audire divina, et ecclesiastica suscipcre sacramenta, unde factum est ut jam 
in multis partibus Theuthonic soluto magis ac magis nervo ecclesiastice discipline 
pravi mucronem pontificum quo piacula resecari consuevcrant, nesciant formi- 
dare, quam enervatam comperiunt cum facilitate detestabili claudicare. Exper- 
giscimini igitur quorum est satagere ne vineam domini Sabaoth vulpes demolian- 
tur parvulc, providentcs ne malis per moras longiores convalesccntibus, adhibcatur 
sera et inefficax medicina ; sed cito rcmedium conveniens apponentes, non pacia- 
mini a prefatis personis auctoritatis nostre sententias violari. Ecce enim nos fratres 
et sorores de penitentia sive de tercia régula quorum habet concessio sicut vidi- 
mus sub sigillo curie Argentinensis quod tempore generalis interdicti possunt in 
locis privilegiatis audire divina et ecclesiastica recipere sacramenta, adjecto nisi 
causam darent interdicto, vel id ipsis contingat spccialiter interdici, in civitate 
Argentinensi expresse ac nominatim spccialiter interdicimus, constituentes et pre- 
cipientes firmiter sub pena cxcommunicationis ne quis eorum, durante nostro 
interdicto et causa civium Argentincnsium cum fratribus predictis présumât audire 
divina vel ecclesiastica recipere sacramenta. Universitati igitur vestre sub pena 
cxcommunicationis iate in hiis scriptis prccipimus quatinus premissam sententiam 
ubique sicut oportunum videbitur, ad requisitionem ipsorum fratrum predicatorum 
publicetis et eodem modo quatinus taies etiam nostras sententias in antea defen- 
datis nichil hésitantes quia privilegium meretur amittere qui concessa sibi abutilur 
potestate. Datum etc. » ( Codex Rulen., p. 181 . Ms. arch. Ord.) 


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CHAPITRE V 


287 


rattachait au tronc franciscain, n’avait pas de graves inconvénients. 
Mais que l’Ordre des Prêcheurs accaparât ces Fraternités, et, sous 
couleur de les discipliner, les fît siennes, c’était une usurpation 
que Nicolas IV se hâta de réprimer. 

Deux bulles, — les plus importantes parmi toutes celles qui 
furent publiées à cette occasion, — font une opposition nette à la 
règle de Munio de Zamora. 

La première est datée du 18 août 1289. 

Nicolas IV ne nomme pas Munio de Zamora; il ne fait aucune 
allusion à la règle promulguée par lui; il parle comme s’il igno¬ 
rait absolument l’existence de cette règle. Pour lui, elle n’existe 
pas. Et la preuve c’est que, sans le moindre égard pour elle, il en 
impose une autre : non pas une règle nouvelle, créée par lui de 
toutes pièces, mais la règle ancienne, celle de 1234, avec quelques 
modifications de haute importance qui achèvent de donner à ce 
document son caractère réactionnaire 1 . 

Ce retour obligatoire, pour tout l’Ordre de la Pénitence, à la 
règle primitive, est à lui seul une réprobation de la règle de Maître 
Munio. On passe dessus à pieds joints 3 . 

De plus, dans le texte même de la bulle, Nicolas IV rattache 
avec une jalousie visible YOrdo de Pœnitentia à l’Ordre des Mi¬ 
neurs. Il répète et proclame, à plusieurs reprises, que YOrdo de 
Pœnitentia a été institué, fondé, propagé par saint François 3 . C’est 
de lui que les Pénitents ont reçu la loi qui les dirige et qu’ils 
doivent observer avec fidélité. 

Aussi, pour resserrer les liens entre les Mineurs et les Pénitents, 
pour affirmer la dépendance originelle et normale des Pénitents 
séculiers vis-à-vis des Mineurs, le Pape remet les Fraternités sous 
leur direction et leur administration. C’est la nouveauté la plus 
grave de la règle de Nicolas IV, qui atteint au vif celle de Maître 
Munio. 

Il s’y prit à deux fois. 

Dans la bulle Supra montent, la première, où la règle est im¬ 
posée et détaillée, le Pape ne donne qu’un conseil : « Comme cette 
forme de vie a reçu son institution du bienheureux François, nous 
conseillons que les Visiteurs et les Informateurs soient pris parmi 
les Frères Mineurs, selon le choix qu’en feront les Gardiens de 

1 Cf. Mandonnet, les Règles et le gouvernement de f'Ordo de Pœnitentia, au 
xiii* siècle, 1™ partie, p. 208 et ss. Paris, Fischbacher, 1902. 

* B. Supra montem, Seraphicæ legislationis textus originales, ad Claras Aquas, 
1897, p. 76 et ss. 

3 « Ideoque gloriosus Christi Confessor beatus Franciscus hujus ordinis institutor 
viara accedendi ad Dominum verbo pariter et exemplo demonstrans, in ipsius sin- 
cerilate fidei suos filios erudivit, eosque illam profîteri constanter, tenere firmiter et 
opéré voluit adimplere... » (Ibid. — Sbaralea, Bull . Franciscanum, IV, p. 95.) 


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288 


MüNIO DE ZAMORÀ 


leurs couvents. Mais nous défendons qu’un laïque 1 soit Visiteur 
de la société*. » 

Or Maître Munio avait dit dans sa règle, quatre ans aupara¬ 
vant: « Les Pénitents seront gouvernés par les Frères Prêcheurs 3 . » 
Ne se fût-il adressé qu’à ceux qui vivaient plus ou moins sous la 
direction de l’Ordre, c’était diviser officiellement YOrdo de Pœni - 
tentia et s’en approprier une fraction. Nicolas IV y répond d’une 
manière générale sans faire aucune distinction. Il parle avec auto¬ 
rité à tous les membres de la Fraternité universelle de Pénitence 
et leur conseille de s’unir aux Mineurs. 

On le comprit si bien, que des résistances se manifestèrent 
bruyamment. Beaucoup de Pénitents, habitués à vivre sous le 
gouvernement des évêques, peut-être même ceux qui avaient 
accepté celui des Prêcheurs, se refusèrent à passer sous l’autorité 
des Frères Mineurs. 

Cette rébellion fut cause que Nicolas IV accentua davantage sa 
ligne de conduite. Au lieu de conseiller simplement la soumission 
aux Mineurs, il poussa énergiquement les Pénitents à l’accepter. 

« Il convient à la raison et à la justice, dit-il, en s’appuyant 
sur la fondation de YOrdo de Pœnitentia par saint François, que 
ceux qui professent cet Ordre, par révérence envers ce bienheu¬ 
reux Confesseur, soient dirigés par la doctrine de nos chers fils 
les Frères Mineurs, parce que cet homme de Dieu a été le fonda¬ 
teur de ces deux Ordres. C’est donc parmi eux qu’ils doivent 
prendre leurs Visiteurs et leurs Procureurs 4 . » 


1 Cette défense existait dans la règle de 1234; mais Nicolas IV est obligé de la 
répéter, parce que les Mineurs avaient parmi eux beaucoup de Frères lais , non 
prêtres, qui auraient pu prétendre faire ces visites. Le Pape veut que, tout en appar¬ 
tenant aux Mineurs, la direction de l’Ordo de Pœnitentia demeure ecclésiastique. 
(Cf. Mandonnet, op . cit., p. 220.) 

* « Quia vero præsens vivendi forma institutioncm a beato Francisco prælibato 
suscepit, consulimus ut visitatores et informatores de Fratrum Minorum Ordine 
assumantur, quos custodes vel Guardiani ejusdem ordinis, cum super hoc requisiti 
fuerint, duxerint assignandos. Nolumus tamen congregationem hujusmodi a laico 
visitari. » (B. Supra montent, Seraphicæ legislat 1. c.) 

3 Cf. p. 237. 

* Deuxième bulle de Nicolas IV pour rattacher les Fraternités de Pénitence aux 
Mineurs. 

« Nicolaus etc. 

« Universis Christi fidelibus præsentes litteras inspecturis salutem et Apostoli- 
cam benedictionem. 

« Unigenitus dei filius, cujus livore sanati sumus, et sanguinis fonte regenerati, 
solus suam fundavit Ecclesiam, et supra petram Fidei mox nascentis erexit, bea- 
toque Petro apostolorum principi æternæ vitæ Clavigero cœlestis, et æterni siinul 
Imperii jura commisit, dispersos Israël ad ovile suum ministcrio passionis indu- 
clos ligandi atque solvendi sibi, et in eo successoribus tradito principatu. Quare 
Romano Pontifici, ejusdemque principis in principatu hujusmodi successori hœ 
vigiliæ præcipuæ, et solcrtiæ sedulæ studio, et desideria non vacua imminent ex 
debito apostolicæ servitutis, ut ecclesiam ipsam novo semper fœtu multiplicet, et 
congrcgct illi gregem et disciplinis et regulis informatum. Nam humanæ naturæ 
conditio tamquam vas figuli subjecta frangitur, et facile reparatur; propterea siqui- 


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CHAPITRE V 


289 


Il me semble qu’on ne peut désirer une revendication plus nette 
et plus décisive des droits de la famille de saint François sur les 
Fraternités de Pénitence. 

« Mais, continue Nicolas IV, par malheur, des membres de ces 
Fraternités, des Pénitents, fils dégénérés et de l’Église et de leur 
Père saint François, se sont soulevés contre le conseil que nous 
avons donné de se soumettre au gouvernement des Mineurs; ils 
vont même jusqu’à dire que les Pénitents, qui suivront ce conseil 
et s’uniront aux Mineurs, ne pourront demeurer et sé sauver dans 
l’Ordre de la Pénitence. Ils s’efforcent par leurs paroles, leurs 
prohibitions et leurs mauvais traitements, d’empêcher les Pénitents 
d’adhérer à notre conseil. Ces présomptueux, nous ne pouvons les 


dem fidèles cjusdem Ecclesiæ, ut in azymis sinceritatis et veritatis alitos, vigilan- 
ter oportet cavcre, ne successoris ejusdem principis ordinationibus, vcl doctrinis 
minorando detrahant, vcl quoquomodo labiis dctractionis obsistant; cum secundum 
Apostolum ordinationi sit obvius qui potestati resistit. Cum itaque illc gloriosus 
heatus Francisais confessor eximius igné caritatis succensus, verbo et opère Apo- 
stolorum discipulus ad ampliaudam in domo Domini familiam, plenus spiritu verita¬ 
tis consurgens, ut ambulantium in tenebris pedes cruditionis sine litteris dirigeret 
in viam salutis æternæ; quemadmodum ordinem instituerai Pœnitenlium titulo insi- 
gnitum, in quo normam tradidit promerendi æterna : Nos ordinem ipsum oportu- 
nis favoribus prosequi, et ad cjus augmentum benignius intendentes, ut, quod in 
zelo ipsius confessons extiterit, incrementis augeretur virtutis, ejusdem ordinis 
professores adjcctione nostræ sollicitudinis rnagis ac inagis de virtute proficiant in 
virtutem, ordinem ipsum approbando, ordinationes nonnullas salutaris persuasionis 
nostris litteris in codem ordine duximus observandas, inter cætera cisdem fratri- 
bus paterno consulentcs afTectu, ut hujusmodi normam vivendi sequerentur, et 
sequendo amplecterentur camdem. Et cum naturalis persuadet ratio, et rationi 
æquitas acquiesçât, ut prædicti ordinis professores ob ipsius confessons reveren- 
tiam dilectorum filiorum nostrorum ordinis Minorum dirigantur, et regulentur do- 
ctrina, qui utriusque ordinis almus extitit institutor, de ordine supradicto Fratrnm 
Minorum visitatores et procuratores assumere procurent. Verum quia, proh dolor! 
nonnulli ex ordine prædicto Pœnitentium ecclesiæ et confessons ejusdem dégé¬ 
nérés filii adversus persuasioneni et consilium hujusmodi consurgentes, non metuunt 
affirmare , quod hujusmodi nostro consilio acquiescentes , illosque sequi volentcs 
salvari nequeunt in eodem ordine Pœnitentium , nec formidantes præsumptuosius 
agerc, in hac parte, callidis suggestionibus subvertunt ipsi consilio adherere cupien- 
tium volimtatcs, illudque adimplentes prohibitionibus præsumptuosis, et molesta- 
tionibus gravibus persequendo. Nos præsumptores hujusmodi nolentes conniventi- 
busoculis pertransire prohibemus, ne quis unus hujusmodi professionis, cujuscumque 
conditionis et status existât, ausu nefario præsumat impedire, quatenus omnes dicti 
ordinis Pœnitentium rerjulam observantes , qui hujusmodi nostruni cupiunt sequi 
consilium, illud adimplcant et sequantur : decernentes omniuo processus contra 
hujusmodi nostrum consilium adluerentes habitos, et habendos nullius existere flr- 
mitatis. Ceterum, quoniam cupimus vehementer hujusmodi nostrum salubre consi¬ 
lium adimplcri, omnes, qui illud susceperint et adimpleverint reverenter, Aposto 
licæ et nostræ bencdictionis gratiam amplius consequantur, et gaudeant privilegiis 
ejusdem ordinis Pœnitentium ab cadem sede concessis et in posterum concedendis. 
Impcdienles vero, quominus præmissum adimplcant consilium, quod ab hujusmodi 
impedimento désistant, per locorum ordinarios compesci volumus et mandamus. 
Non obstantibus quibuscumque privilegiis sub quacumque forma verborum obten- 
tis, per quæ eflectus præsentium posset quodammodo impediri. Et insuper volu¬ 
mus quod hujusmodi fratres nostro salubri consilio adluerentes debeant habere 
Ministros de sc ipsis juxta formam in prædicta régula comprehensam. Datum apud 
Urbem Veterem IV Idus Augusti, Pontificatus nostri anno tertio. » ( Sbaralea, 
Bull. Franciscnnum, IV, p. 167. 

II. - 19 


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290 


MUNIO DE ZAMORA 


tolérer. Ainsi donc, nous défendons à qui que ce soit, même aux 
plus élevés en dignité, d'avoir l'audace d’empêcher que tous les 
Frères observant la règle de l’Ordre de la Pénitence, qui auront 
le désir de suivre notre conseil, en soient détournés. Et nous décla¬ 
rons que les procès intentés contre eux ou qui leur seront intentés 
à ce sujet sont de nulle valeur. 

« De plus, désireux ardemment que ce conseil salutaire soit suivi, 
nous voulons que les Pénitents qui se soumettront aux Mineurs 
aient notre bénédiction apostolique et jouissent des privilèges 
accordés par le Saint-Siège ou qui seront accordés dans la suite. 
Quant à ceux qui voudraient les empêcher de suivre notre conseil, 
nous voulons et nous ordonnons qu’ils soient arrêtés dans leurs 
manœuvres par les Ordinaires 1 . » 

Quoique Maître Munio ne soit pas nommé et que sa règle n'ait 
l’honneur d’aucune mention, il est manifestement visé et atteint 
par ces déclarations de Nicolas IV. Le Pape ne fait point deux 
parts dans YOrdo de Pwniicntia : l’une soumise aux Mineurs, 
l’autre aux Prêcheurs; mais, bien au contraire, il rattache tout ce 
qu’il peut aux Mineurs, par ses conseils, ses privilèges et ses 
menaces. 

Il est visible que les Fraternités qui persisteront à ne pas se 
rallier aux Mineurs, — qu'elles restent sous la juridiction des 
évêques ou celle des Prêcheurs, — ne seront point regardées d’un 
œil favorable. 

Sans prétendre, — et peut-être en pressant les textes, le pour- 
rait-on, — que Nicolas IV par la promulgation de sa règle a, de 
droit et de fait, cassé celle de Munio; à tout le moins est-on en 
position d’affirmer que l’acte de Maître Munio déplut souverai¬ 
nement au Pape; qu’il manifesta publiquement et officiellement 
son déplaisir; qu’il considéra la mainmise de Maître Munio sur 
les Fraternités de Pénitence comme une usurpation, et qu'il s'ef¬ 
força d'en supprimer les conséquences en ramenant l’Ordre de la 
Pénitence sous l’autorité des Frères Mineurs. De sorte que Nico¬ 
las IV n’aurait pas approuvé la Pénitence de Saint-Dominique et 
aurait usé de son pouvoir pour la détruire. Ces conclusions me 
paraissent sortir des documents cités. Elles conduisent d'elles- 
mêmes à une autre, plus grave et plus personnelle à Maître Munio. 

La première bulle Supra montem, qui publie la nouvelle règle 
de la Pénitence et conseille le ralliement aux Mineurs, est datée 
du 18 août 1289; la deuxième, qui la confirme et en exige l'appli¬ 
cation, est du 8 août 1290. Ces dates sont suggestives. 

Entre le 18 août 1289 et le 8 août 1290 se déroulent tous les 


1 Cf. B. Unigenitus, p. 288, note 4. 


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CHAPITRE V 


291 


actes pontificaux qui imposent la démission de Maître Munio. La 
lettre qui donne pleins pouvoirs aux cardinaux date du 21 fé¬ 
vrier 1290. Elle commence la série des faits douloureux qui abou¬ 
tirent à la déposition du Maître, en 1291. 

Serait-ce une simple coïncidence ? 

L’affirmer me paraîtrait fermer les yeux pour ne point voir. 

Déjà mal disposé envers Maître Munio par sa qualité d’Espa¬ 
gnol, peu favorable à ses idées politiques, Nicolas IV se trouvait 
irrité contre lui par son ingérence dans l’administration de l’Ordre 
de la Pénitence. Comme, d’autre part, il y avait dans l’Ordre des 
Prêcheurs des protestations assez violentes, chez quelques-uns, 
contre la personne et le gouvernement du Maître, le Pape, froissé 
et mécontent, prêta l’oreille à ces réclamations et en profita pour 
écarter un supérieur dont les actes lui avaient déplu. Pas plus 
que l’origine espagnole de Maître Munio, son intervention dans le 
gouvernement de la Pénitence ne serait la raison unique, déter¬ 
minante de sa déposition, mais toutes les deux, — surtout son 
intervention, — auraient préparé le terrain, disposé le Pape à 
accueillir avec faveur les attaques dirigées contre lui dans l’Ordre 
même des Prêcheurs. La déposition de Munio serait donc une 
résultante de cette antipathie et de ce mécontentement grave de 
Nicolas IV, appuyée sur les attaques dont son gouvernement était 
l’objet. 

Il me semble que cette conclusion ramène les actes des uns et 
des autres à leur juste valeur et les met au point. 

Est-ce à dire que Maître Munio, d’après cet exposé, aurait mé¬ 
rité sa déposition et ne serait plus cette victime héroïque de l’ad¬ 
versité que tous les historiens de l’Ordre ont saluée et vénérée? 

Hâtons-nous de rappeler que la règle donnée par Maître Munio 
aux Fraternités de Pénitence reçut l’approbation du Pape Hono- 
rius IV, sous lequel elle fut publiée, en 1285. Il n’y a pas, à la 
vérité, une bulle explicite, directe, d’approbation; mais il y a 
l'équivalent : une bulle de privilège. On ne donne pas d’ordinaire 
un privilège à quelqu’un ou à quelque chose que l’on n’approuve 
pas. Et le privilège lui-même, qui est une faveur, ajoute à l’ap¬ 
probation sèche, officielle, un témoignage de bienveillance. S’adres¬ 
sant aux Frères et aux Sœurs de la Pénitence de Saint-Dominique, 
répandus en Italie, Honorius IV leur permet, en temps d’interdit 
général, d’assister aux offices et de recevoir les sacrements, sous 
certaines conditions 1 . Or cette bulle porte la date du 28 jan- 

1 « Honorius episcopus... univcrsis tam vins quam mulicribus do Pœnitcncia 
S. Dominici, sub habitu rcligionis Domino famulantibus, per Ilaliam constitutis, 
salutem et Apostolicam bcncdictionem. 

« Congruum existimantes ut vos qui sub rcligioso habitu gralum Deo impendere 


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292 


MUNIO DE ZAMORÀ 


vier 1286, quelques mois après la publication de la règle de 
Maître Munio. C’était l’approuver et la louer. Car, si le Pape 
n’avait pas été satisfait de l’intervention de Maître Munio dans le 
gouvernement de la Pénitence, il se serait bien gardé de favoriser 
les Fraternités qui s’étaient soumises à ce gouvernement. 

Ce qui avait paru bon et utile à Honorius IV, qui sortait du 
clergé séculier et par là même se trouvait libre de toute attache 
avec les Mineurs, sembla attentatoire et nuisible à Nicolas IV, qui, 
Mineur de profession, ex-Ministre Général de l’Ordre, vit dans l’acte 
de Maître Munio une usurpation du droit des Frères Mineurs. Il 
n’en reste pas moins vrai que la règle de Munio, ayant reçu l’as¬ 
sentiment bienveillant d’un Pape, ne constituait pas, en soi, un 
crime susceptible d’être châtié par une déposition offensante. Mais 
elle suffisait pour indisposer gravement le nouveau Pape francis¬ 
cain contre sa personne et le porter à accepter les dénonciations 
faites contre son administration. 

Nicolas IV, aigri par avance, a cru vraies et fondées les accusations 
de faiblesse disciplinaire portées contre Maître Munio. De cette con¬ 
viction, basée sur les rapports des adversaires du Maître, il partit 
pour exiger ou sa démission volontaire ou sa déposition d’office. 
Mais cette conviction ne prouve ni la justice ni la vérité des accu¬ 
sations elles-mêmes. Elle a été, de fait, la raison prochaine de la 
déposition du Maître; en réalité, d’après les témoignages juridiques 
du Chapitre général de Ferrare, cette raison était fausse, puisque, 
comme le déclarent les Pères de Ferrare, les accusations dirigées 
contre Maître Munio étaient fausses elles-mêmes. 

Nicolas IV, mal renseigné, trompé par les calomnies de quelques- 
uns, crut faire bonne justice et condamna un innocent. Car, entre 
les rapports qui lui furent faits accusant Maître Munio et les décla¬ 
rations authentiques, juridiquement prouvées, des Pères de Fer¬ 
rare qui protestent énergiquement de son innocence, il est difficile 
d’hésiter. Et Ton peut demeurer surpris de voir le Pape préférer 
aux témoignages des Capitulaires de Ferrare, qui étaient les Pro¬ 
vinciaux de l’Ordre, les dénonciations de quelques religieux sans 
mandat. 

C’est une raison de croire avec plus d’assurance que, outre ces 
accusations, Nicolas IV avait contre Maître Munio des griefs per- 


dieimini famulatum, opportuni favoris ^ratia prosequamur, auctoritatc vobis præ- 
sentium indul^emus ut tempore ^eneralis inlerdicti, lieeat vobis in ecclesiis in 
quibus ex indullo sedis apostolicæ celebratur, audire divina officia et ecclesiastica 
recipere sacramenta, dummodo causant non dedcritis intcrdicto. nec id vobis con¬ 
tinuât spccialitcr interdici. Nulli ergo... 

« Datum Rome apud S. Sabinam V kalcndas Februarii, Pontificatus nostri anno 
primo. »> (Bull. Ord., II, p. 10.) 


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CHAPITRE V 


293 


sonnels, comme celui de son intervention dans le gouvernement 
des Fraternités de Pénitence. 

Maître Munio a donc pu, en toute fierté légitime, refuser une 
démission qu'aucun de ses actes ne justifiait en lui-même. Inno¬ 
cent du chef d’avoir usurpé le gouvernement des Fraternités, 
puisque ces Fraternités étaient soumises aux évêques et que sa 
règle reçut l'approbation d'Honorius IV ; innocent du chef des 
accusations de mollesse coupable dans le gouvernement des Prê¬ 
cheurs, selon les déclarations formelles du Chapitre de Ferrare, 
sa mémoire demeure intacte, digne de la vénération que l’Ordre 
n’a jamais cessé de lui témoigner. 


BIBLIOGRAPHIE 


Touron, les Hommes illustres de l'Ordre de Saint-Dominique. Paris, 1743. 

R. P. Chapotin, Histoire des Dominicains de la province de France. Rouen, 1898. 
P. Mandonnet, les Dègles et le Gouvernement de /’Ordo de Pœnitentia au 
xm e siècle , I r ° partie. Paris, Fischbacher, 1902. 

Le Père Mandonnet doit, dans la deuxième partie de cette étude, traiter de 
la règle de Munio de Zamora. 


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ÉTIENNE DE BESANCON 

HUITIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

1292-1294 


CHAPITRE I 

ÉPILOGUE DE LA DÉPOSITION DE MAITRE MUNIO 

Le Généralat d'Étienne de Besançon 1 , qui dura un peu plus de 
deux ans, n'a de réelle importance que comme corollaire de celui 
de Munio de Zamora. 

De ses premiers pas dans la vie il n’est rien de connu, pas 
même l'année de sa naissance, ni la situation sociale de sa famille. 
On sait seulement qu’il est né à Besançon*. 

C’était un homme doué des plus éminentes qualités. Toutes les 
chroniques s'accordent pour louer son intelligence supérieure et 
plus encore sa rare éloquence. Bernard Gui, qui l’a connu, qui a 
vécu sous son administration, l’appelle vir facundus et gratiosus 
admodum predicator \ Le même éloge revient sans cesse après 
lui 4 . 


1 Sur le couvent de Besançon, cf. Chapotin, Histoire des Dominicains de la 
Province de France , p. 53. — Le tome I er de cet ouvrage, p. 47. — Ms. arch. Ord., 
lib. KL, p. 500-511. — Saint Antonin, Chron., III, p. 23, c. 9. — Anal. Ord., 
p. 207, 1891. 

8 Les chroniques envoyées par les Pères de Besançon au Maître Général de 
Marinis ne disent rien de plus et ne font que répéter le texte de la Chronique qui 
se trouve à la fin des Constitutions. Ont signé cette relation : le Père Jean- 
Baptiste Georget, Maître et Prieur, fils du couvent de Redon; le Père Louis du 
Gourd, Sous-Prieur, et le Père Thomas Canid, Maître des novices. (Lib. KL, Ms. 
arch. Ord.) 

3 Calai. Mag. ordinis. Cod. Cracoviensis, p. 81. Ms. arch. Ord. — Echard, I, p. 429. 

* Outre les quelques sermons laissés par Etienne de Besançon et qui se trouvent 
à la Bibliothèque nationale ( t. I de cet ouvrage, p. 667), on a de lui encore inédite 
une œuvre originale, comme une Somme des sentences et des exemples des saints 


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296 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


Etienne était Maître de Paris 1 . En 1291, au Chapitre de France, 
tenu à Dinan, il fut élu Provincial. L’année suivante, il devenait 
Maître des Prêcheurs. 

On se rappelle que Nicolas IV, voulant diriger lui-même le choix 
des électeurs, avait imposé d’office la ville de Rome pour la tenue 
du Chapitre général. Sous ses yeux, il était sûr d’avoir un homme 
tel qu’il le désirait. Quoiqu’il fût mort pendant la semaine sainte, 
les Pères se réunirent à Rome, aux fêtes de la Pentecôte. Le Pro¬ 
vincial de Rome, qu’une bulle du Pontife défunt avait nommé 
Vicaire Général de l’Ordre, présidait. C’était au couvent de Sainte- 
Sabine*. Y eut-il dans le sein du Chapitre de pénibles discussions? 
Je ne saurais le dire. Les chroniques enregistrent le fait de l’élec¬ 
tion, sans commentaires. 

L’Ordre était encore sous le coup de l’émotion violente qu’avait 
produite la déposition de Maître Munio. C’était la première fois 
que les Pères se réunissaient depuis ce grave événement. Ils étaient 
nombreux, Provinciaux et Définiteurs ; car le Chapitre revenait de 
droit aux Définiteurs, et les Provinciaux ne s’y trouvaient qu’à 
raison de l’élection. A ce titre, Frère Étienne était présent. Ces 
personnages qui, la plupart, avaient été mêlés aux affaires de 
Maître Munio, soit à Ferrare, soit à Palencia; qui avaient signé, 
quelques-uns, la protestation de l’Ordre et son appel au Saint- 
Siège contre l’ingérence des cardinaux dans son gouvernement, ne 

Ce travail est. intitulé : Alphabetum auctoritatum . ou encore : Liber de auctorita- 
libus sanclorum et philosophorum, ou bien Alphabetum narrationum. Il fut fait à 
l’usage des prédicateurs. On lit, en effet, dans le prologue : « Utile igitur et expé¬ 
dions niniis est viros prædicalionis, officio deditos, proximorum salutem per ter¬ 
rain discurrendo qmerentes , cxemplis talibus abundare quibus modo in praedica- 
tionibus communibus, modo in locutionibus familiaribus ad omiic genus hominum 
salubriter excitandum utantur. Legimus etiam devotum Prædicatorum Ordinis 
fundatorcm bcatum videlicet Dominicum hoc fecisse... »> A la fin de l’ouvrage il 
est dit : « Et qui hune librum lecturi sunt, orare dévote dignentur, ut horum com- 
pilator, cujus nomen in prologo continctur, corum orationibus adjutus, fincm lega- 
tum consequi mercatur. »> Ce livre fait donc partie des manuels de prédication 
composés par les Prêcheurs au xm« siècle. (Cf. Echard, I, p. 430.) Il se trouve 
à la Bibliothèque nationale. 

1 Une note marginale aux Actes du Chapitre de Rome (1292), où il fut élu, dit : 
« In hoc capitulo Fr. Stcphanus Bisuntinus clectus fuit Magister Ordinis. Erat 
Magister in thcologia egregius Parisius , ac doctor precipuus , et admodum tam 
cleroquam populo predicator gratiosus. » (Echard, I, p. 429. — Acta Cap., I, p. 265.) — 
Taegio, Chron. ampliss., I, p. 159 : « Ilic fuit Magister in theologia parisius, vir 
facundus et gratiosus admodum predicator. » (Ms. arch. Ord.) — La Chronique de 
Pérouse : « Iste fuit in sacra thcologia Doctor eximius et cloquentissimus sermo- 
cinator propter quam gratiam sibi a Domino concessam famosus fuit valde in toto 
regno Francie; et ut erat iu opinione clcri Parisiensis non inveniebatur tune tem- 
poris similis illi in sapientia doctus et in verbo gratiosus. » (Ms. arch. Ord., 
lib. QQ, p. 693.) 

De même Sébastien de Olmedo, Chron., p. 37 et ss. Ms. arch. Ord. — Chronique 
d’Orvieto, p. 16, lib. 00. Ms. arch. Ord. (xv* siècle). 

2 « Fr. Stephanus Bisuntinus de Burgundia, Prior Provincialis Franciæ,factus est 
Magister Ordinis Romæ apud sanctam Sabinam. sub 1292. » (Chron. de Pérouse , 
lib. QQ, p. 693. Ms. arch. Ord.) 


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CHAPITRE I 


297 


pouvaient oublier la gravité de la situation. Bien que Nicolas IV 
eût disparu, il n’en restait pas moins, à la Curie, des cardinaux 
et des hommes importants dans l'Église, prêts à juger leurs actes 
et à leur en demander compte. L’avenir de l'Ordre était entre 
leurs mains. Certes, il v avait lieu à réflexion. 

Au Chapitre de Ferrare et depuis, les Pères avaient déployé la 
plus louable énergie pour garantir à l’Ordre son indépendance et 
sauver l’honneur de son chef. Ce double devoir rempli, il leur 
parut qu’ils se devaient à eux-mêmes et à l'Ordre, dont les desti¬ 
nées étaient en péril, de chercher à pacifier les esprits. Il fallait 
donner satisfaction au Saint-Siège, tout en choisissant pour Géné¬ 
ral un homme capable d’en imposer par son autorité personnelle 
aux plus récalcitrants. L’élection devait faire la paix au dehors 
avec le Saint-Siège, la paix au dedans entre les Frères. A ce point 
de vue, le choix de Frère Étienne de Besançon était d'une par¬ 
faite habileté. Austère .de gouvernement, il plairait à la Cour 
romaine, puisque le Pape avait déposé Maître Munio, extérieure¬ 
ment du moins, pour son manque d'énergie; d’autre part, Maître 
de Paris très renommé, un des premiers de l'Université par sa 
science et son éloquence, il pourrait, sans crainte de contestations, 
commander à tout l’Ordre et se faire obéir même de ceux qui 
regrettaient son prédécesseur. A toutes les récriminations, il serait 
facile d’opposer le mérite hors de pair de l’élu. 

Les Pères le jugèrent ainsi dans leur sagesse, espérant que tous 
seraient satisfaits. Frère Étienne de Besançon fut donc élevé au 
magistère suprême, la veille de la Pentecôte, 24 mai 1292*. 

On lui attribue une rudesse de direction à laquelle l'Ordre était 
peu habitué. La tenait-il de son tempérament, ou lui fut-elle 
imposée par les difficultés qu’il rencontra sur sa route? Il est cer¬ 
tain qu’il prenait le gouvernement dans une situation très délicate; 
et, pour dompter cet esprit de révolte qui agitait l’Ordre en diverses 
régions, il fallait agir avec autorité. Toujours est-il que de lui seul 
il est dit : Rexit Ordinem in virga ferrea *. 

S’il était court de taille 3 , il n’en possédait pas moins une poigne 
solide. Ses actes le prouvent. 

La première lettre circulaire qu’il envoya à l’Ordre est un rap¬ 
pel énergique aux saines traditions. Il demande à tous le zèle de 
l’étude, une prédication sérieuse, appuyée sur l’exemple d’une vie 
sans reproche 4 . Vis-à-vis des prélats, le Maître, qui sait combien 


1 Echard, I, p. 429. 

2 Sébaslicn de Olmedo, Chron. Ord., p. 37. (Ms. arch. Ord.) 

3 Cronica Ordinis, p. 18. Ed. Rcichert. 

4 « Sit igitur in sane doctrine studio sollicitudo continua, quam déclarât schola- 
rum frequentia, assiduités celle, humilis interrogacio, collacio frequens non curiosa 
ncc tumultuosa, scd magis utilis et modesta. Sit proinde doctrine dilTusio fru- 


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298 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


la situation de l'Ordre est précaire, exige la plus grande réserve. 
Que l’on garde la liberté de l’Ordre, mais avec humilité, sans 
cette arrogance fâcheuse qui blesse l’autorité à laquelle on n’est 
soustrait que par privilège. Il y avait aussi une tendance à négli¬ 
ger le ministère des pauvres, des petites gens 1 . Cela provenait de 
la suffisance de plusieurs. On aimait mieux confesser les personnes 
riches, prêcher à un auditoire plus relevé et plus choisi. Outre le 
profit vaniteux que l'on en retirait, il y avait des avantages pécu¬ 
niaires auxquels on était trop sensible. Côté humain du ministère 
apostolique qui est de tous les temps. Encore fallait-il en suppri¬ 
mer les excès. 

En parcourant les Actes des trois Chapitres généraux qu’il pré¬ 
sida, ceux de Rome en 1292*, de Lille en 1299 et de Montpellier 
en 1294, il est facile de voir que Maître Étienne avait l’œil h 
toutes les défaillances. Ses admonitions sur la pauvreté, sur l'abus 
scandaleux des voyages inutiles, sur le choix judicieux des étu¬ 
diants à envoyer à Paris, sur la réserve à garder vis-à-vis des 
monastères de Sœurs, font foi de son ardeur à poursuivre les 
délinquants. Dur pour sa personne, il l’était également pour les 
autres 3 . Rarement il.accordait des dispenses, que, du reste, il ne 
prenait pas lui-même 4 . Simple dans sa manière de vivre, il dési¬ 
rait que l’Ordre conservât jalousement son austérité première, 
aussi bien dans les édifices 5 que dans la nourriture. A Milan, 
en 1292, un frère fut désigné pour remplir la fonction de Lecteur 
à la cathédrale. On offrit des honoraires assez élevés, afin que le 
cours fût public. Maître Etienne accepta la charge, mais ne voulut 
point de la rente annuelle, disant que saint Dominique n'avait 
pas eu cette façon de défendre la foi 6 . Souvent, on l’entendait 
s'écrier : « Que nous sommes loin de la ferveur de nos Pères! 
A quoi bon l’Ordre des Prêcheurs, s’il doit être aussi relâché que 
les autres 7 ! » 


ctuosa, ut curiosis vanitatibus abdicatis, ilia doccrc et prcdicarc curemus, que edi- 
flcent auditores et ad salutem proficiant animarum ncc in sancte scripture prejudi- 
cium et iudicium vanitatis crubescentcs et doctores catholieos in phylosophorum 
nominc gloricmur... »> ( Liller. Encycl., p. 158. Ed. Rcichcrl.) 

1 « Exindc vitetur et in confcssionibus audiendis notabilis acceplio personarum... 
sic et predientores eis qui magis indigent et qui rarius visitantur, habundancius 
predicent verbum Dci. » (Ibid.) 

* Acla Cap., I, p. 265 et ss. 

3 « Rigorem denique ordinis in cunetis manulcre restaurareque nitebatur, inci- 
piens ipse prinuts facere. »> (Sébastien de Olmedo, Chron., p. 38. Ms. arcli. Ord. 

4 « In licentiis et dispensationibus perrarus. in observanlia regularis disciplinée 
pervigil. » ( Ibid ^ 

5 « Sumptuosa edificia exhorruit; caméras destruxit. » (Ibid.) 

6 Sébastien de Olmedo, Chron., p. 38. Ms. areh. Ord. — La Flamma, Cran.. 
p. 103. Ed. Reichcrt. Celui-ci parle de la fondation de celte chaire, mais ne signale 
pas le refus des honoraires. 

7 Sébastien de Olmedo. Chron., p. 38. Ms. arcli. Ord. 


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CHAPITRE I 


299 


Le caractère d'Étienne de Besançon s'affirme nettement d’après 
ces dires. C’était un homme un peu âpre peut-être dans son 
commandement; mais il avait le sens profond de l’Ordre qu’il 
dirigeait, et si sa main parfois était lourde, c'est qu’il voulait 
peser sur les volontés pour les maintenir dans l’idéal de la voca¬ 
tion dominicaine. 

Son attitude envers son prédécesseur peut s’expliquer en partie 
par ce tempérament aux arêtes tranchantes. 

Si l’on en croit Sébastien de Olmedo, qui seul donne ces détails, 
la première entrevue de Munio de Zamora et d'Étienne de Besan¬ 
çon fut douloureuse. 

Cassé de sa charge et cité en Cour de Rome, Munio, qui avait 
reçu en Espagne la nouvelle de sa déposition, s’achemina vers 
la Ville éternelle. Il y rentrait simple religieux, disgracié, sans 
défense, à la merci de ses adversaires. Quand il arriva, Nico¬ 
las IV avait paru devant Dieu. On était aux fêtes de Pâques de 
l’an 1292. Le Chapitre général devant se tenir à Rome, pour 
la Pentecôte, il attendit la nomination de son successeur. Il 
devait, selon les lois de l’Ordre, y rendre compte de son admi¬ 
nistration. Sa présence auprès des Pères Capitulaires était pour 
beaucoup une tristesse. L’élection étant faite, il se présenta devant 
Étienne de Besançon pour s’accuser de ses fautes. Celui-ci l’inter¬ 
pella : « Désormais, lui dit-il, vous ne viendrez plus aux Chapitres 
et vous ne serez élevé à aucune dignité ! » — C’était la privation 
officielle de la voix active et passive. — « Retournez dans votre 
patrie, où vous vivrez sous la discipline de l’Ordre. Vous auriez 
dû fortifier l'Ordre qui vous était confié, au lieu de l’affaiblir 1 . » 
Le coup était rude. Munio, injustement frappé, se redressa : « Je 
n'ai point mérité, dit-il, d'entendre de pareilles choses, car j'ai 
souffert beaucoup pour l’Ordre*. » 

En effet, si la scène est authentique, il y a lieu de trouver 
Étienne de Besançon plus que sévère. 

Il voulait évidemment rendre la paix à l'Ordre; mais était-il 
nécessaire de traiter un innocent avec cette rigueur? Munio se 
retira au couvent de Palencia. 

En son absence, sous l’impulsion du nouveau Maître, le Cha¬ 
pitre tenta de disculper ceux qui avaient été les agents de sa chute. 


1 II y a, dans l'apostrophe d'Etienne, un jeu de mots cruel sur le nom de Munio, 
que seul le latin peut rendre exactement : « Mnnire namque juxta nomen tuum et 
non mollira dehuisscs commissum tibi Ordinem. » (Sébastien de Olmedo, Chron., 
p. 36. Ms. arch. Ord.) 

Aucun chroniqueur contemporain ne rapporte cette scène. Il est regrettable que 
Sébastien de Olmedo n'indique pas la source où il l’a puisée. 

* « Ego talia audire non merui qui pro ordine multa sustinui. » ( Sébastien de 
Olmedo, Chron., p. 36.) 


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300 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


Les cardinaux Latino et Hugues de Billom supportaient avec peine 
l’espèce d’ostracisme dont l'Ordre les avait frappés. Ils savaient 
que les partisans de Munio les accusaient de félonie vis-à-vis de 
leurs Frères. Aussi lit-on, dans les Actes du Chapitre de Rome, 
cette grave et significative ordonnance : « Comme à raison de la 
commission donnée aux deux Seigneurs cardinaux de l'Ordre et de 
l’appel qui a été fait et indiscrètement poursuivi contre elle, de 
grands troubles se sont produits parmi les Frères, nous vous fai¬ 
sons savoir que, d’après ce que nous avons appris et que nous 
tenons pour certain, les Seigneurs cardinaux de notre Ordre ont 
accepté cette commission avec une intention sainte et pure, pour 
le progrès de l’Ordre et l’amélioration de son état. Nous interdi¬ 
sons donc à qui que ce soit de parler, pour ce motif, contre les- 
dits cardinaux, qui sont nos protecteurs. Bien au contraire, nous 
devons prier instamment pour eux, puisque leur affection et leur 
dévouement à l’Ordre ne font qu’augmenter. Si quelqu’un a l’au¬ 
dace d’aller contre cette ordonnance, qu'il soit sévèrement puni 1 . » 

On aura remarqué que les Pères se tiennent quand môme sur 
une prudente réserve. Ils ne traitent pas le cas des cardinaux au 
fond; ils disent seulement qu’ils ont eu « une bonne intention »! 
En réalité, c’était peu. Et l’on est en droit de penser, devant cette 
justification officielle, publique, si superficielle, que, malgré cette 
bonne intention, leurs actes contre Munio de Zamora et la liberté 
de l’Ordre pouvaient paraître répréhensibles. Si Étienne de Besançon 
avait pu les disculper sur le fond môme des choses, il n’y eût pas 
manqué. C’eût été le moyen le plus efficace pour calmer les esprits. 
S’il ne le fait pas, c’est qu’il ne pouvait pas le faire. Cette atti¬ 
tude embarrassée dans la défense ne prouve-t-elle pas qu’il y 
avait un dessous que l’on ne voulait pas dire? 

Malgré l’appel à la concorde et ce blanc-seing accordé gracieu¬ 
sement aux cardinaux, les Frères, surtout ceux du Midi de la 
France, eurent peine à se calmer. Après le Chapitre de Lille, 
en 1293, Maître Étienne adressait à l’Ordre entier une sévère 
admonition. « Il faut veiller, dit-il, avec sollicitude, à ce que 
l’union des cœurs et la concorde régnent parmi nous. Qu’ils soient 
confondus au jugement dernier ceux qui se targuent d’ôtre les 
meneurs de partis et de divisions, qui cherchent à rallier autour 


1 « Cum ex commissione facta dominis nostris cardinalibus, et appcllatione coutra 
eam facta et prosecucione indiscreta, multa fuerit per ordinem turbacio subsc- 
cuta, notum facinius universis, quod ex hiis que certitudinaliter novimus et tene- 
mus pro firmo, domini cardinales nostri ordinis, sancta et sana intencione et pro 
ordinis promocione et status ejusdem rcparacione dictam commissionem sibi fa- 
ctam aeccptarunt, et ideo inhibemus districtius ne aliquis occasione predicla lin- 
guam suam contra prefatos dominos et patronos laxare présumât... » {Acta Cap.. 
I, p. 266.) 


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CHAPITRE I 


301 


d'eux des adhérents et des complices, au lieu de ramener à la paix 
et à l’union les opposants de toutes sortes 1 . » Peut-être le Maître 
avait-il crainte d’un schisme dans l’Ordre, du côté de la Provence 
et de l'Espagne. 

Frère Jean de Laterano, s’étant permis des attaques injurieuses 
contre le cardinal Hugues de Billom, avait reçu une sévère péni¬ 
tence, qu’il n’avait pas acceptée. Au Chapitre de Montpellier, 
en 1294, il est expulsé de sa province et assigné dans celle de 
Grèce, avec ordre de s’y rendre dans l’espace d’un mois. Il n'était 
pas seul coupable, paraît-il, car les Frères Hugues de Lausanne, 
Pénitencier à la Cour romaine, et Salvo, Définiteur au Chapitre, 
sont chargés de rechercher et de punir sévèrement ceux qui 
auraient commis les mêmes excès. Qu’ils les cassent de toute 
charge, et qu’ils les assignent au nom du Général dans d’autres 
provinces. 

Un Lecteur de Toulouse s'était même permis, disait-on, de chan- 
sonner les deux cardinaux, et ses chansons se fredonnaient dans 
les couvents. Ce poète frondeur, qui s'appelait Arnaud de Prato 2 , 
est livré par les Capitulaires à la vindicte du Général 3 . Ces quelques 
faits suffisent à établir que les amis de Munio de Zamora, trois 
ans après sa déposition, n’avaient point pardonné aux cardinaux 
leur ingérence dans cette question. 

A ce même Chapitre de Montpellier (1294), on lit cette 
pénitence : « Parce que le Prieur Provincial d’Espagne, Frère 
Nicolas de Salamanque, a permis inconsidérément à certains 
Frères de notre Ordre, c’est-à-dire à Frère Munio et à Frère 
Guillaume de Montecatheno, d’accepter l’épiscopat, l’un de Palen- 
cia, l’autre d’Urgel, nous le cassons de sa charge et nous lui 
imposons un jour au pain et à l’eau, et un psautier chaque semaine 
pendant un an 4 . » 

Malgré cette protestation, Frère Munio fut agréé par le Pape 
Célestin V, élevé sur le siège de saint Pierre au mois de juillet suivant 5 . 

1 Litteræ Encycl., p. 162. Ed. Heichcrt. 

2 Nomme Lecteur à Toulouse, eu 1292, au Chapitre de Brive. ( Acta, Capitul. Prov.. 
p. 360. Ed. Douais.) 

3 « Cum f. Arnaldus de Prato lector Tholosanus iu irreverenciam dominorum Car- 
dinalium ordinis nostri dicatur quasdam canciones linxisse, committimus vcncra- 
bili Patri magistro ordinis — quia ipse presens non est in Capitulo — ut de hoc 
inquirat diligenter et graviter puniat... » [Acta Cap., I, p. 276. Ed. Heichcrt.) — 
L'enquête démontra qu'il était innocent. (Cf. Acta Capitul. Prov., p. 390, note. 
Ed. Douais.) 

4 « Quia prior provincialis Ilyspanie Frater Nicolaus Salamanlinus quibusdam 
Fratribus ordinis nostri scilicet Fratri Munioni episcopatum Palentinum et Fratri 
Ciuillclmn de Montecatheno Crgellcusem ut épiscopat us recipcrent, dédit liccntiam 
inconsulte, ipsum iu penam suam ahsolvimus ab oflicio prioratus et cidem injungi- 
mus quod usque ad aunum abstinent una die pane et aqua, et uuum psalterium 
singulis dicat seplimanis. » [Acla Cap., I, p. 271.) 

s Pendant la vacance du Saint-Siège, Jacques de Voragine, nommé par Nicolas IV, 


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302 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


C'est ce qui parait le plus étrange. Frère Latino, tout-puissant 
auprès du Pape 1 , aurait pu, sur les instances du Général, faire 
casser l'élection. Pourquoi s’abstint-il d’intervenir, ou pourquoi 


archevêque de Gênes, fut consacré à Rome par le Cardinal Latino, le 13 avril 1292, 
qui était le dimanche in Alhis. On voit que Nicolas IV ne lui avait pas gardé ran¬ 
cune de son attitude favorable à Munio, pas plus que le cardinal Latino, contre 
lequel il avait résolument signé l’appel, avec tout le Chapitre de Fcrrare. (Cf. Echard, 
I, p. 455.) 

Il administra le diocèse de Gênes pendant six ans et sut par sa prudence, sa 
sainteté, la bonté inaltérable de son cœur envers les pauvres, calmer les dissen¬ 
sions haineuses qui ravageaient son peuple. 

Son œuvre la plus célèbre, et qui a popularisé son nom, est la Légende dorée. 

C’est une vie des Saints, jour par jour, remplie des détails les plus curieux sur 
la liturgie, les coutumes, les mœurs de son temps. Sa critique est nulle; mais on 
ne peut se dispenser de le lire si l’on veut connaître l’hagiographie qui a inspiré 
tout le moyen âge dans ses fêtes, ses cérémonies, jusque, et surtout, dans son 
architecture et scs œuvres d’art. Les sculptures des cathédrales ne sont que la tra¬ 
duction lapidaire de la Légende dorée, de même que les fresques et les miniatures 
qui décoraient les temples et les livres de chant. Les artistes l’ont feuilletée sans 
cesse. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire aux pieds des saints ou devant les 
scènes diaboliques qui composent le poème sacré des cathédrales, les actes de ces 
saints, les symboles des péchés, les caractéristiques du diable, ses apparitions, ses 
tentations, ses défaites et quelquefois ses triomphes, pour les retrouver en pleine 
vie, taillés dans la pierre par le sculpteur ou tracés et coloriés par le peintre ou 
le miniaturiste. Sous ce rapport, on ne peut comprendre les œuvres admirables de 
ces architectes, sculpteurs et imagiers, sans avoir sous les yeux la Légende dorée 
de Jacques de Voragine. C’est, du reste, un des livres qui ont été le plus copiés et 
imprimés. Scs éditions sont innombrables. Il a fait pendant de longs siècles les 
délices de nos pères, qui ont puisé dans ses pages, en toute foi et simplicité, des 
exemples efficaces de vertu et de confiance en Dieu. 

Jacques de Voragine, saint lui-même, est honoré par l’Eglise du culte des 
Bienheureux. Il mourut en 1209. (Cf. Echard, I, p. 451 et ss.) 

I Le chef réel du conclave fut le cardinal Latino. C’est lui qui proposa la candi¬ 
dature de Pierre de Mouron, qu’il connaissait et vénérait comme un saint. 

« Hic enim Dominus Latinus , vir fuit magnæ religionis et sanctitatis , et ex 
devotione specialitcr conjunctus fuerat fratri Pelro de Morrone, eidemque singu- 
lis anuis a tempore suæ notitiæ specialem eleemosynam transmittebat, suosque 
confratres, qui morabantur Ronue ubi claustrum habebant propc sanctum Petrum... 
Ex hac ergo familiari devotione et confidentia bonitalis fuit motus ad suadendum 
de ipso ut in summum assumeretur Pontiticem. ( Ptoléméc de Lucqucs , Histor. 
Eccl. , lib. XXIV, cap. xxx. Ap. Muratori, Rernm Ital. Script., IX. — Rainaldi, IV, 
p. i S i.) 

Frère Ptolémée ou Barthélemy de Lucqucs naquit dans cette ville. 11 y prit 
l’habit de l’Ordre. En 1272, il étudiait à Rome sous la discipline de saint Thomas 
d’Aquin. Cette même année, il le suivit à Naples, où il continua d’entendre ses 
leçons, jusqu’à ce que Grégoire X appelât le saint Docteur au concile de Lyon. Il 
dit lui-même de saint Thomas, dans son Histor. Eccl., lib. XXIII, cap. ni : « Qui 
sæpius confessionem cjus (Fr. Thonue de Aquino) nudivi et cum ipso multo tem- 
porc conversatus sum familiari ministerio, ac ipsius auditor fui. » (Echard, I, p. 511.) 
Il apprit à Naples la mort du saint Docteur. Ptoléméc devint, selon plusieurs auteurs, 
Bibliothécaire de la sainte Eglise. Il connaissait certainement à fond les archives 
du Saint-Siège, car il dit dans son Histor. Eccl., lib. XXII, cap. xxxi : « Et attende 
hic quod circa islam materiam est unus magnus sexternus qui in Archivis Romanæ 
Ecclesiæ contineri débet. » (Echard, I, p. 5il.) 

II devint évêque de Torcclli en 1318, et mourut en 1322. 

Ce personnage était donc contemporain de Célcslin V et de Bonifacc VIII. Ses 
renseignements, de ce chef, ont une grande importance. (Cf. Fontana , Sacrum 
Theutrum Dominicanum, p. 310.) 

Les Chapitres généraux ne cessent pas de recommander aux Frères l’élection du 
Pape. Au Chapitre de Rome, en 1292 : « Pro Venerabili collcgio Cardinalium et 


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CHAPITRE I 


303 


ne réussit-il pas? Peut-être les deux cardinaux de l’Ordre ne vou¬ 
lurent point poursuivre à outrance un homme dont ils avaient 
suffisamment attristé la vie et brisé l’influence. Munio prit pos¬ 
session de son siège. Il n’y restera pas longtemps. 

Le Chapitre de Montpellier étant terminé, Maître Étienne de 
Besançon visita la province de Provence; puis, ayant appris l’élec¬ 
tion de Célestin V, il se mit en route pour aller le saluer. A 
Milan, où il s’arrêta, il fit un acte de sévérité qui, si l'on en croit 
Taegio, lui porta malheur. On avait suspendu devant le tombeau 
de saint Pierre martyr un splendide lampadaire en fer, richement 
ouvré, dont les innombrables lumières illuminaient toute l’église. 
Etienne y vit un manquement grave à la pauvreté, et le fit enle¬ 
ver. Ce faisant, il restait pleinement dans l’esprit primitif de 
l’Ordre, qui interdisait le luxe, même vis-à-vis de Dieu. Or, 
raconte le chroniqueur, la nuit suivante, le bienheureux Pierre lui 
apparut, courroucé, tenant à la main une chaîne de fer dont il le 
frappa rudement. Le Maître, glacé d’effroi, sentit que ses jours 
étaient comptés 1 . 

Que le Maître ait fait disparaître cet objet de luxe, cela est très 
probable, et concorde parfaitement avec son caractère; quant à 
l’indignation un peu âpre de saint Pierre martyr, elle est très 
contestable. Ce n’est pas lui, si zélé de son vivant pour la pau¬ 
vreté, qui serait venu punir à coup de chaîne de fer un acte en 
tout conforme à ses principes. Le fait de l’enlèvement du lampa¬ 
daire est historique, la punition légendaire. Elle a dû être inven¬ 
tée par quelque Milanais, froissé de la disparition de cet orne¬ 
ment artistique. 

Quoi qu’il en soit, Étienne continua sa route. Arrivé au couvent 
de Lucques*, il tomba gravement malade et mourut le jour de la 

pro inslanti electione apostoliea, quilibet Sacerdos II Missas... Pro Domino Papa 
Nicholao IV, quilibet Sacerdos IV Missas. » (Acta Cap., I, p. 267.) 

A Lille, en 1293 : « Pro statu universalis Ecclesie et pro venerabili collegio Car- 
diualium et creacioue Summi Ponliücis , quilibet Sacerdos III Missas. »> (Ibid., 
p. 270.) 

La môme formule se répète A Montpellier, eu 129*. (Ibid., p. 275.) Au lieu de la 
messe, les clercs doivent dire les sept psaumes de la Pénitence et les Litauies; les 
couver», ccul Pater et cent Are Marin. (Ibid., p. 267.) 

1 « Finito autern capitulo generali apud Montempessulanum celebrato anno Do- 
mini 1294, Mcdiolanum veniens rolam quamdam ferream magnam lampadibus ple- 
nam ad scpulcrum beati Pétri Martyris dependentem totamque ecclesiani illustran- 
teru ammoveri jussit dicens illam paupertatem nostram deformare. Ipsa autern 
nocte vidit beatum Petrum Martyrem iratum ipsum eathena quadam ferrea percu- 
tienlem. Quo reccdente glacie frigidior elTeelus extenuari cepit. » ^Taegio, Chron. 
ampliss., I, p. 159.) Cette scène est tirée, dit l’auteur de la Chronique, de Fr. Ber¬ 
nard, c’est-à-dire Bernard Gui. Galvanus de la Flanuna n'en dit rien. 

* Le couvent de Lucques fut fondé, en 1236, par l'abbé des Cisterciens de Saint- 
Pan taléon , qui donna aux Frères la petite église de Saint-Julien avec un petit 
monastère annexe et l’église de Saint-Barthélemy, à laquelle était attaché un hos¬ 
pice. Les Frères Orlando et Ventura, du couvent de Pise, acceptèrent la donation. 
Frère Ventura devint le premier Prieur. En 1245, les Bénédictins de Saiut-Pontien 


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ÉTIENNE DE BESANÇON 


fête de sainte Cécile, 22 novembre 1294. Le lendemain, on l’ense¬ 
velit pieusement dans l'église, au côté gauche de l’autel majeur 1 . 

Sa mort fut pleurée par tous les gens de bien. En France, sur¬ 
tout, elle eut un douloureux retentissement. Frère Guillaume de 
Cayeux*, Picard, fils du couvent d’Amiens, alors Prieur de Saint- 
Jacques de Paris, en écrivit la nouvelle au Vicaire Provincial de 
Toulouse, dans les termes les plus émus 3 . 

donnèrent aux Frères l’église de Saint-Romain, martyr, qui les avoisinait, moyen¬ 
nant la redevance annuelle d’un denier. Les Frères leur achetèrent en outre quelques 
maisons proches de léglise, pour trois cent soixante-dix livres; puis, sur l’ordre 
d’innocent IV, ces mêmes Bénédictins, un peu récalcitrants, leur vendirent l’église 
de Sainte-Marie avec le jardin attenant, en février 12Î8, cent soixante livres 
comptant. L’cglise fut rasée, et, sur ce terrain ainsi arrondi, les Frères bâtirent 
une grande église et un couvent. L’église était terminée en 1280. On y transporta 
le corps de saint Romain, qui devint le titulaire du couvent. (Cf. Fontana, De 
Rom. Prov. Ord. Præd., p. 112.) 

1 « Ad curium iens adhortante cardinale Latino ut adoraret Ccleslinum papam 
nuper ex heremo vocatum obiit in conventu Lucano Prov. Romane mense novem- 
bri in die Cecilie Virginis, in craslino devote sépulture traditus intra ccclesiam ad 
levam majoris are, gcneralatus anno II, mense VI... 

« Et doluerunt super eum viri religiosi et qui erant ex Deo ulpote qui clono 
scienlie (unde nonnulla subtiliter scripsit vir subtilis et ingeniosus dictus) et dis- 
pensandi verbi 13ei gratia zelandequc religionis cura singulariter emicuit. >» (Sébas¬ 
tien de Olmcdo, Chron., p. 38. Ms. arch. Ord.) 

2 Voici ce que dit Bernard Gui de ce personnage, qui fut deux fois Provincial 
de France : 

« Frater Guillermus de Kayoco, Picardus, de conventu Ambiancnsi, bis; prima 
vice successif fratri Olivcrio; erat autem tune prior Parisiensis, anno Domini MCC. 
nonag. VI; prior provincialis fuit hac vice annis sex. Fuit autem absolulus per lit- 
teram a Magistro Ordinis fratre Bernardo de Juzico, paulo post capitulum Bono- 
niense, anno Domini MCCC1I... 

« Frater Guillermus de Kayoco prcdictus sccunda vice succcssit fratri Raymundo 
Romani, in capitulo provinciali Parisiensi ibidem immédiate electus et confirma- 
tus, anno Domini pretaxato MCCCVI. Prior provincialis fuit hac vice annis tribus; 
fuitque absolutus in Capitulo Generali Cesaraugustano, anno Domini MCCCIX. » 
(Echard, I, p. 507.) Cette deuxième élection fut faite après le Chapitre général 
célébré aussi à Paris. Il avait été pendant dix ans Prieur de Saint-Jacques, de 
1286 à 1296. {Ibid.) 

3 Voici quelques extraits de cette lettre, publiée intégralement par Ma* Douais, 
dans les Acta Capitul. Prov. Ord. Præd., p. 391 et ss. « Dudum enim super nostre 
religionis observanciam divina providencia signum salutis erexcrat et vinee quam 
dextera illius plantaverat virum prefecerat virtulibus insignem et meritorum gloria 
singularem, virum utique dcvocionc sanctum, sapiencia clarum, eloquio lepidum, 
discrccione precipuum, zelo fervidum et cunctarum virtutum merito Deo dilectum 
et hominibus graciosum. Sed heu! proh dolor! infandc mortis incursibus flos devo- 
cionis atterilur, lucerna quondam super candelabrum elevata sub modii obscuri- 
tate deprimilur; norma discrecionis infringitur ; zeli gladius in vagina redditur ; 
thésaurus donorum cclestium terris infoditur dum venerabilis pater frater Stcpha- 
nus, Magister nostri Ordinis, humanis rebus eximitur ac in cclestibus collocatur, 
Ut enim per prions Bononiensis ac ejus conventus litteras patentes acccpimus. 
memoratus nostri ordinis pater in conventu Lucano Romane provincie post fru- 
ctuosos labores quibus insudaverat supra vires, in festo sancte Cecilie aille horam 
nonam receptis prius humiliter ecclesie sacramcntis, post salutaria nionita quibus 
tilios quos orplianos rclinquebat inslruxit, ipsis coram positis et quantum lacrimc 
paciebanlur orantibus debilum nostre mortalilatis exsolvens impollutum spiritum 
reddidit crealori. In festo autem sancti Clementis de mane convenientibus prelatis 
variis populo conlluente mirabili cum magna cleri frequentia ad couventualis alta- 
ris cornu sinistrum honorihee fuit sépulture mandatus... » 

Cette lettre est datée de la quatrième férié avant la fête de saint Vincent, niar- 


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CHAPITRE I 


305 


Je ne sais si les Pères de Provence partagèrent ces sentiments 
de regret avec une si profonde douleur. Sur son lit de mort, en 
effet, Etienne avait cassé leur Provincial ! . On voit que jusqu’à la 
dernière heure il conserva la même énergie. 

Il serait curieux de savoir pourquoi, près de mourir, Étienne fit 
cette exécution. Frère Pierre de Mulceone était un homme très 
respectable, d'une charité sans bornes envers les malheureux et les 
pécheurs*. Commit-il le crime d’être favorable, comme toute sa 
province, à Munio de Zamora? C'est la conjecture la plus probable 
et qui, seule, explique la rigueur in extremis du Maître Général. 

De la sépulture d'Étienne de Besançon au couvent de Lucques, 
il ne reste aucun souvenir. Son tombeau a disparu. Les chroniques 
du couvent, même les tables nécrologiques, se taisent sur son nom. 
Peut-être ne serait-il pas téméraire d’attribuer ce silence au bou¬ 
leversement qui eut lieu dans l'emplacement du chœur des églises 
dominicaines au xvi° siècle. L'autel, au lieu de rester au fond de 
l'abside, fut porté en avant, et le chœur relégué par derrière. Au 
milieu de ces changements, les tombeaux durent disparaître, sur¬ 
tout ceux qui, comme celui d’Étienne de Besançon, se trouvaient 
à côté de l’autel majeur 3 . 

Pendant que le Maître expirait à Lucques, le même mois, 
Frère Latino Malabranca, cardinal-évêque d’Ostie, succombait à 
Pérouse 4 . Les difficultés de plus en plus graves qui se manifes¬ 
taient dans le gouvernement du Pape Célestin V ne furent pas 
étrangères au mal qui l’emporta. C’était lui, en effet, qui avait 
proposé et appuyé de toute son influence la candidature de l'ermite 
du Mont-Magella. Il en portait donc, devant le Sacré-Collège et 
devant toute l’Église, la responsabilité. Or, à vrai dire, cette élec¬ 
tion était empirique. Pierre de Mouron, dont les vues, très pro- 

tyr, c'est-à-dire le 19 janvier 1295. Elle fut lue au Chapitre provincial de Provence, 
tenu A la fête de saint Mathias (21 février 1295), dans le couvent de Carcassonne. 11 
s'agissait de remplacer le Provincial, Fr. P. de Mulceone, qui, malgré sa récente 
déposition , fut réélu immédiatement. C'était certainement une protestation. Ce 
personnage mourut, du reste, cette même année, après le Chapitre tenu A Castres. 
(Douais, Acta Capilul. Prov., p. 391.) 

1 « Post istud capitulum generale felicis mcmoric Pater frater Stephanus magis- 
ter ordinis nostri VIII visitato prius monasterio Pruliam, indc iter arripiens visi- 
tando conventus hujus provincie versus romanam curiam, cum pervenisset ad con- 
ventum Lucanum, intirmitatc decumbens migravit ad Dominum. Hic in lectu 
egritudinis ultime positus et morti propinquus absolvit a provincialatu provincie 
fratrem P. de Mulceone, sed mox fuit ad idem resumptus in sequenli festo bcati 
Mathic apud Carcassonam. » ( Acta Cap., I, p. 277. Ed. Ueicherl.) 

* « Vir mulccdinc pietatis et misericordie plenus erga miseros pcccatores et 
afflictos. •» (Douais, Acta Capilul. Proc., p. 391.) 

a Cf. Iib. OO et C. Ms. arcli. Ord. 

4 Son corps fut transporté à Rome cl enseveli d'abord dans la sacristie de la 
Minerve. Plus tard, au xvn e siècle, Nicolas Ridolü, Général de l’Ordre, le lit dépo¬ 
ser dans un tombeau de marbre, avec les restes de Frère Mathieu Orsini, cardinal 
de l'Ordre également, dans l'église de la Minerve, où on le voit encore aujourd’hui. 
Cf. Echard. I, p. 137.) 

II. - 20 


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306 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


fondes du côté de Dieu, étaient très courtes vis-à-vis des hommes, 
ne possédait que dans une mesure trop restreinte les qualités néces¬ 
saires au gouvernement. Il connaissait peu les hommes, leurs ambi¬ 
tions, leurs flatteries, leurs intrigues; encore moins était-il au cou¬ 
rant des affaires politiques très complexes où le Saint-Siège se 
trouvait mêlé. Un grand homme d’État aurait pu à peine s'y mou¬ 
voir à l’aise. L’homme de Dieu, plus habitué à la douceur de la 
contemplation et à l’austérité de la pénitence qu’à ces inextricables 
questions et au faste de la Cour romaine, se prenait à regretter la 
pauvre hutte où il avait vécu dans la paix. Il sentait lui-même 
qu’il y était plus à sa place que sur le siège de saint Pierre. On 
ne manqua pas, du reste, de lui en insinuer une conviction de plus 
en plus profonde, et, dit-on, le cardinal Gaetani, qui devait lui 
succéder, sut lui faire entendre avec douceur qu’il aurait le plus 
grand mérite à donner sa démission 1 . 

Les cardinaux qui l’avaient élu, choqués de ses allures, de ses 
faveurs envers le roi de Sicile, plus encore de la mise en nouvelle 
vigueur de la loi du Conclave déjà imposée par Grégoire X, qui les 
obligeait à élire le Pape avec rapidité, sous peine de rigoureuses 
privations, se détachèrent de sa personne. Sur ce sujet, Célestin fut 
inexorable. On sent aux trois bulles* qu’il donna pour confirmer et 
renouveler cette loi du Conclave, si nécessaire au bien de l’Église, 
que sa conscience était engagée. Et une conscience de saint n’est 
guère accessible aux petites vanités humaines. Il fallut donc se 
soumettre. Peu de jours après, Célestin, qui était resté à Naples, 
réunit, le 13 décembre, fête de sainte Lucie, les cardinaux. Il monta 
sur son trône, revêtu des habits pontificaux, la tête couronnée de 
la tiare, et, d’une voix ferme, il lut une déclaration solennelle 
qui annonçait à eux et à toute l’Église que, librement, pour les 
raisons graves dont il exposait la teneur, il renonçait à la dignité 
papale. Et le saint homme, se dépouillant des ornements pontifi¬ 
caux, reprit sa robe d’ermite, plus heureux certainement que le 
jour où, malgré ses larmes, on l’avait couronné de la tiare 3 . 

La démission de Célestin fut, pour Munio de Zamora, une source 
de nouvelles douleurs. Déjà blâmée par Maître Étienne de Besan¬ 
çon, qui la jugeait regrettable, son élévation à l’épiscopat fut atta¬ 
quée par Boniface VIII. 

1 « Benedictus (Gaetani) cum aliquibus Cardinalibus Cælcstino persuadât ut offl- 
cio ccdat quia, propter suain simplicitatem, licet sanctus vir et vitæ magni foret 
cxenipli, sæpius adversis confundebantur ecclesiæ in gratiis faeiendis et eirca re- 
gineni orbis. » (Ptolémée de I.ucques, Hisl. Eccl., lib. XXIV, cap. xxxiu.) 

2 Ilainaldi, Annal., IV, p. 

3 Tout entier ù ses rancunes gibelines, Dante n’a point compris celte sublime 
abnégation. Pour punir Célestin d'avoir favorisé, par sa démission, l’avènement de 
Boniface VIII, il l’a placé dans l’enfer, parmi les âmes médiocres, et il l’appelle : 

<• celui qui donna le grand refus ! » 


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CHAPITRE I 


307 


Benoît Gaetani avait pris ce nom en montant sur le siège de saint 
Pierre, le 24 décembre 1294, onze jours après l'abdication de 
Célestin V. Il était, par sa mère, de la famille des Conti, originaire 
d’Anagni, neveu d'Alexandre IV. Homme d'action, impérieux de 
caractère, violent contre l’obstacle, il dépassait souvent le but. 
Ses vues étaient larges, sa science très éclairée, son faste magni¬ 
fique. Nul peut-être, parmi les Papes, ne rêva pour le Saint- 
Siège une puissance plus grandiose. 

Sans doute que des plaintes contre la validité de l’élection de 
Munio à l'évêché de Palencia arrivèrent en Cour de Rome, peu 
de jours après son exaltation, car Boniface VIII s’occupa immédia¬ 
tement de cette pénible affaire. 

L’Ordre n’avait pas de Général. Comme Maître Etienne était 
décédé après la Saint-Michel (1294), le Chapitre d’élection se 
trouvait, de droit, remis à la Pentecôte de 1296. 

C’est pendant l’interrègne que le Pape s'en prit à Munio. Que 
lui reprochait-il ? 

Si l’on en juge par les bulles du Pape, l'élection de Munio 
n’avait pas été libre, mais imposée par la volonté royale. Chose 
contraire au droit canon, qui viciait le vote des électeurs et 
rendait l’élu, par sa complicité, indigne de la charge. Écrivant à 
l’évêque de Burgos au sujet de cette affaire, Boniface VIII s’ex¬ 
primait en ces termes : « Des témoignages dignes de foi nous ont 
appris une chose grave et de pernicieux exemple, une chose 
odieuse aux yeux du Seigneur, pleine d’abomination, digne de 
toute répression, contraire aux lois canoniques. Nous avons su, en 
effet, non sans une véhémente affliction, que Frère Munio, de 
l’Ordre des Prêcheurs, qui agit comme s’il était évêque de Palen¬ 
cia, aspirant, non sans une note d’ambition démesurée, à la 
suprême dignité épiscopale, avide de ce titre et de l’honneur tem¬ 
porel qui en découle, sans aucun égard pour la modestie de sa 
profession religieuse, a usurpé le siège épiscopal de Palencia, 
grâce à l’exécrable et détestable pression 1 et à l'horrible abus de 
la puissance séculière *. » 

Telle est l'accusation. Grave en lui-même, le crime, — car il y 


1 Document VIII, Appendice. 

1 II ne faut pas s’étonner outre mesure de ces expressions si violentes. Ce sont 
des termes de chancellerie communs À toutes les bulles de ce genre. Il ne faut pas 
oublier, d’autre part, que cette bulle est une bulle de citation. Elle ne juge rien. 
Le Pape a entendu dire toutes ces horribles choses, il les a crues ou du moins les 
a prises en considération : à l’accusé de se disculper. Cette bulle de citation est 
comme le réquisitoire d’un Procureur général qui entasse tous les témoignages 
contre l’accusé, mais sans décider au fond. C’est au juge ou au jury à les admettre 
oui ou non et à proclamer la culpabilité. Boniface VIII accuse Munio de Zamora; 
il ne peut affirmer que l’accusation est justifiée avant de l’avoir entendu, lui et les 
témoins à décharge. 


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308 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


avait crime 1 2 , — n'était pas atténué : Munio de Zamora, pour satis¬ 
faire son ambition, n’avait pas hésité à faire appuyer sa candida¬ 
ture à l’évêché de Palencia, par le roi Don Sanche, son ami. Ce 
crime, Munio de Zamora l’a-t-il commis? A-t-il recherché et obtenu 
l’évêché de Palencia à la faveur et par le moyen du pouvoir séculier? 

Des documents inédits, que l’on trouvera à l’Appendice, per¬ 
mettent de répondre catégoriquement : Non ! Munio n’a pas 
demandé l’évêché de Palencia; Munio ne l’a pas obtenu par la 
pression du roi. 

Le lecteur en jugera. 

Ces documents comprennent les divers procès-verbaux de l’élec¬ 
tion canonique de Maître Munio au siège de Palencia et de son 
acceptation. A leur lumière tout s’éclaircit. 

En voici la suite. 

Le lendemain de la Conversion de saint Paul 4 (26 janvier 1294), 
un mardi, les chanoines de Palencia se réunirent après la messe 
chantée en l’honneur du Saint-Esprit, dans leur salle capitulaire. 
Lecture faite des procurations de droit et des excuses de quelques 
absents, on s’occupa de l’élection d’un nouvel évêque. 

C’était un premier échange de vues. Il fut décidé qu’on se rever¬ 
rait le surlendemain jeudi, puis le samedi. Enfin, le S février, 
l’entente se fit. D’un commun accord, on résolut de s’en remettre 
au choix de deux délégués du Chapitre : Simon, archidiacre de 
Carrion, et Sanche Gonzalez, abbé de Fuzol. Les chanoines pro¬ 
testent qu’en adoptant ce mode d’élection par compromis, ils n’ont 
en vue que Dieu seul, qu’ils agissent dans la plus grande con¬ 
corde et en pleine liberté : Omncs de communi consensu spontanea 
voluntate, Deum habentes præ oculis 3 . 

Séance tenance, on allume une chandelle, et les deux électeurs 
se retirent pour délibérer. Avant que la chandelle fût éteinte, 
selon qu’il était convenu, ils déclaraient au Chapitre élire, pour 
évêque de Palencia, le vénérable Frère Munio, jadis Maître Géné¬ 
ral des Frères Prêcheurs. Le chantre entonne le Te Deum, et les 
chanoines se rendent en procession à l’autel du Saint-Sauveur, où 
on annonce au clergé et au peuple le nom de l’élu. 

« J’y étais, dit le notaire, Martin Rodriguez, qui a rédigé les 
procès-verbaux; j’ai vu et entendu, et je signe cet acte public de 
ma signature ordinaire 4 . » 

Ainsi donc, dans une seule séance, on choisit les deux élec- 

1 Ce crime était de pure discipline. Aujourd’hui cette discipline s'est profondé¬ 
ment modifiée. Presque partout, par la concession de l’Eglise, les évêques sont 
présentés et fortement appuyés par la puissance séculière. 

2 Cf. documents 1, II, III, Appendice. 

3 Ihid. 

* Documents I, II, III, ihid. 


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CHAPITRE I 


309 


teurs, et ceux-ci, avant que la chandelle allumée soit éteinte, 
élisent Maître Munio. Où trouver dans ces actes ordinaires, impré¬ 
vus, rapides, la pression du pouvoir royal? Les délégués ne savaient 
pas, avant la réunion, s’ils auraient à choisir l’évêque ; ils n’ont donc 
pas eu le loisir d’en conférer avec le roi et de recevoir ses ordres. 
Tout s’est passé, comme l’affirment les chanoines, en pleine liberté 1 * . 

Cette affirmation, qui certes a une valeur indéniable, ils la 
répètent à l’archevêque de Tolède. Il s’agit d’obtenir du métropo¬ 
litain la confirmation de l’élection. Six chanoines lui sont délégués, 
dont Simon, l’archidiacre, et Sanche, l’abbé de Fuzol, qui avaient 
choisi Munio a . Ceux-ci ne craignaient donc pas d’affronter l’arche¬ 
vêque. Ils vont à Tolède, la conscience tranquille. L’acte qu’ils 
lui portaient, au nom du Chapitre de Palencia, était signé de tous 
les membres de ce Chapitre. Aucune exception. Les chanoines 
insistent sur ce fait. Frère Munio*, disaient-ils, a été élu unanime¬ 
ment, canoniquement, de l’assentiment de tous, dans la paix et la 
concorde 3 . Aussi espèrent-ils que l’archevêque, heureux de cet 
accord, confirmera sans retard l’élection et voudra bien consacrer 
lui-même leur évêque. Cette requête est datée du 5 février 1294 4 , 
jour même de l’élection. 

S’il y a eu sur les chanoines une pression du pouvoir, il faut 
dire que tous l’ont subie, que tous l’ont dissimulée, puisque tous 
affirment que l’élection a été libre, canonique. 

Elle a existé cependant, cette intervention royale ; et si les cha¬ 
noines n’en parlent pas à leur métropolitain, c’est que, à bon droit, 
ils estimaient que cette intervention, à l’heure où elle s’est pro¬ 
duite, ne viciait nullement l’élection. C’est la clef de toute cette 
noire machination. La voici, documents en main. 

Munio de Zamora se trouvait alors à Palencia. Lui, qui avait 
connu tous les déboires des dignités humaines et dont les lèvres 
gardaient encore l’amertume de la lie de ce douloureux calice, se 
refusait à accepter l’épiscopat. Loin de l’avoir désiré, recherché, 
mendié à son souverain, comme le dit Boniface VIII 5 , il ne vou¬ 
lait à aucun prix en assumer la responsabilité. 

Le 6 février, lendemain de l’élection, un samedi 6 , les chanoines 
de Palencia se réunirent au couvent des Frères Prêcheurs. Etaient 
présents : le roi de Castille, Don Sanche, et la reine, les évêques de 
Cori et de Tuy, des barons, des chevaliers, tant de Castille que de 
Léon, Frère Munio et de nombreux religieux du couvent et d’autres 

1 Documents I, II, Appendice. 

* Document VI, ibid. 

3 Document VII, ibid. 

* 1293, vieux style. 

5 B. Rem gravem. Document VIII, ibid. 

8 Documents III et IV, ibid. 


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310 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


couvents de l'Ordre. Qu'on n’oublie pas que Palencia était une 
résidence royale. La présence du roi et de la reine n’a donc rien 
d’extraordinaire. L'archidiacre Simon, au nom du Chapitre, prit la 
parole : « Seigneur élu, Frère Munio, c’est à vous que je m’adresse; 
votre réputation célèbre de sainte vie et de science, et, comme il 
résulte des paroles du Souverain Pontife*, votre aptitude à être 
nommé évêque, ont fait que l’abbé de Fuzol et moi, nous avons 
pensé à vous, et nous vous avons élu pour évêque et pasteur de 
l’Eglise de Palencia. Nous vous prions donc de donner votre assen¬ 
timent. Et nous supplions Frère Nicolas, votre Prieur Provincial 
ici présent, de vous autoriser, et, s'il le faut, de vous contraindre 
par obéissance à accepter, afin que vous puissiez gouverner notre 
Église devenue veuve*. » 

Frère Nicolas, Provincial d'Espagne, ouï ce discours, se leva : 
« Seigneur archidiacre, dit-il, quoique l'élection faite par vous 
de la personne vénérable de notre Père, Frère Munio, soit pour 
le service de Dieu, le plaisir du roi et de la reine, l'honneur et le 
soutien de notre Ordre, et, sans aucun doute, le progrès et l’exal¬ 
tation de votre Église, cependant permettez-no us de prendre 
l’avis des évêques de Tuy et de Cori, des Prieurs et des Frères 
de notre Ordre 1 2 3 . » 

Et le Provincial quitta le Chapitre où l’assemblée était réunie, 
accompagné desdits évêques, des Prieursde Compostelle, de Léon, de 
Toro; des Frères les plus graves, Frère Corneille, Frère Pierre de 
Bavatello, docteur du couvent de Palencia; Frère André, du cou¬ 
vent de Pampelune; Frère Gutterio de Saldania; Frère Martin 
Dominici, Sous-Prieur de Palencia; Frère Gilles de Castro, doc¬ 
teur du couvent de Zamora et quelques autres 4 . 

Le Provincial demanda à chacun d’eux ce qu’il pensait de l’au¬ 
torisation. 

Evidemment Frère Nicolas, qui n'ignorait rien de la déposition 
de Frère Munio, était perplexe. Accorder l'autorisation ne serait- 
ce pas raviver toutes les haines? Et les avis, sollicités dans la 
crainte, se succédaient un à un, tous favorables. 

Un personnage vénérable comme Frère Munio devait être 
non seulement autorisé à accepter l’épiscopat, mais même, s’il le 
fallait, forcé par obéissance 5 . Devant cette unanimité, le Provin¬ 
cial s'inclina. 

1 Je ne sais A quelles paroles fait allusion l'archidiacre, peut-être A la proposi¬ 
tion de l'archevêché de Compostelle faite A Maître Munio par Nicolas IV, pour le 
décider A donner sa démission. 

2 Document IV, Appendice. 

3 Ibid. 

4 Ibid. 

5 Ibid- 


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CHAPITRE I 


311 


Il revint avec les évêques et les religieux dans la salle du Cha¬ 
pitre, et, prenant la parole, il dit : « Seigneur archidiacre, ce que 
vous m'avez demandé, me l’avez-vous demandé au nom du Cha¬ 
pitre de Palencia? 

— Oui. » 

Alors, s'adressant au doyen du Chapitre et aux chanoines : 
« Êtes-vous tous d'accord sur la demande faite par l'Archidiacre? » 
Tous affirmèrent l’unanime désir du Chapitre*. Il n'y avait plus 
qu’à donner l'autorisation sollicitée. Mais Frère Nicolas comptait 
sans la résistance énergique de Munio. Jusqu'ici il avait gardé le 
silence. Lorsqu’il vit que son élection était ratifiée par le Provin¬ 
cial, il se leva à son tour. Il allégua ses nombreux défauts, son 
incapacité, l’amour j^rofond qui l’unissait à l’Ordre *. Il supplia le 
roi et la reine, qui assistaient émus à ce débat, de s’interposer 
auprès du Provincial pour qu’il ne le contraignît pas d’accepter. 
Ses supplications furent vaines. Les princes, comme le Provincial, 
comme les évêques présents, comme toute l’assistance, le pres¬ 
sèrent, au contraire, de donner son consentement. Il fallut le pré¬ 
cepte formel du Provincial 3 . 

Telle est cette fameuse intervention du pouvoir séculier. Nous 
sommes loin de « l’exécrable et détestable pression et de l’hor¬ 
rible abus de la puissance civile » dont parle la bulle de Boni- 
face VIII. Nous sommes en présence d'un roi qui, heureux, comme 
souverain et comme ami, de l’élection de Munio, unit ses instances 
aux instances du Chapitre, du Provincial, de toute une nom¬ 
breuse assemblée, pour obtenir son consentement. Le vote est 
acquis; il ne s'agit donc pas d’influer sur la volonté des électeurs, 
mais de l'élu. Qui jamais oserait prétendre que de telles suppli¬ 
cations rendent une élection invalide, exécrable, digne de tous les 
châtiments? Elles sont tout à l’honneur du roi qui, en cette cir¬ 
constance, au lieu de commander, a laissé au Provincial pleine 
liberté de refuser l’autorisation ; à l’élu, pleine liberté de l’ac¬ 
cepter; elles sont tout à l’honneur de l’élu, parce qu'elles prouvent 
péremptoirement que Munio, loin d’oublier la modestie de sa voca¬ 
tion religieuse et de se laisser entraîner par une ambition désor¬ 
donnée, comme le prétend la bulle de Boniface VIII, a opposé à 
sa nomination la plus sincère et la plus vive résistance. Même les 
prières du roi, — cette pression amicale, — ne purent vaincre 
son. refus. Il ne céda qu’en vertu de l'obéissance. 

Tout est donc faux dans l’acte d’accusation de Boniface VIII. 
Il n’y a eu, pour l’élection de Munio à l’évêché de Palencia, ni 


1 Document IV, Appendice, 

* Ibid. 

* Ibid, 


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312 ÉTIENNE DE BESANÇON 

pression du pouvoir civil, ni recherche ambitieuse et criminelle 
de l’épiscopat. 

Le Pape, à n’en pas douter, a été trompé par les adversaires de 
Munio. Ils ont travesti l’intervention du roi. Au lieu de la mettre 
à son temps, après le vote, et de lui donner son vrai caractère 
d’intervention amicale, ils l’ont placée avant le vote, comme une 
influence toute-puissante, un ordre souverain, contre lequel les cha¬ 
noines n’osèrent s’insurger. Avec ces documents en main, on sai¬ 
sit sur le vif cette infâme machination. 

On comprend, dès lors, que Frère Nicolas de Salamanque, 
quoique perplexe à cause de la récente déposition du Maître, n’ait 
pas craint de lui imposer, par précepte formel, l’acceptation de 
l’épiscopat. 

Ses hésitations, sa prudence, les avis qu’il demande, montrent, 
avec évidence, qu’il voulait agir en sûreté de conscience. S’il 
y avait eu le moindre doute canonique sur la validité et l’honnê¬ 
teté de l’élection, Frère Nicolas 1 , d’après la conduite qu’il a tenue 
en cette affaire, aurait été le premier à la réprouver. Je ne sais 
même pas si on eût trouvé des Provinciaux capables de se rendre 
complices d’une si détestable intrusion. 

Il en résulte que Maître Étienne de Besançon, en cassant de sa 
charge Frère Nicolas de Salamanque pour avoir autorisé Munio à 
accepter l’épiscopat, fut, à tout le moins, très sévère 4 . 

Quoi d’étonnant, d’autre part, que l’archevêque de Tolède, lec¬ 
ture faite des actes de l’élection, l’ait confirmée? 

De ce personnage, qui, au dire de Boniface VIII, aurait été le 
troisième complice en cette intrusion abusive, nous avons un beau 
portrait. Il est même de la main de Boniface VIII. Écrivant à 
l’évêque de Burgos, pour lui intimer l’ordre de communiquer à 
T archevêque sa citation à comparaître devant lui, il dit : « Nous 
sommes vraiment étonné que notre vénérable Frère, l’archevêque 
de Tolède, métropolitain du lieu, que nous connaissons comme un 
homme avisé, habile, prudent, profondément instruit, grave dans 
ses conseils, austère de mœurs, ait confirmé cet intrus, — du 
moins est-il vraisemblable qu’il mérite ce nom, — alors qu’il aurait 
dû, au contraire, le réprouver comme un indigne 3 . » 

En effet, la conduite de l’archevêque, étant donné la calomnie 

1 II y eut un autre Frère Nicolas (le Salamanque, qui devint évêque de cette 
ville et mourut vers 1270. (Cf. Fontana, Sacrum Theatrum Dominicanum, 

p. 282.) 

s II fut cassé de sa charge au Chapitre de Montpellier, 1291. (Acta Cap., I, p. 275.) 
En 1299, le Chapitre provincial de Barcelone le nommait Docteur du couvent de 
Salamanque et Défîniteur au Chapitre général. (Acta Capitul. Prov., pp. 639, 655. 
Ed. Douais.) 

a Document VIII, Appendice. 


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CHAPITRE I 


313 


qui avait eu bon accueil à Rome, était extraordinaire. Et Boniface 
pouvait, à juste titre, se demander comment un personnage de vie 
si conforme à son caractère sacré s’était oublié au point de con¬ 
firmer une élection qu’il savait viciée dans sa source, contraire au 
droit canon, scandaleuse et condamnée par l'Église; comment, 
avant d’imposer les mains à un indigne, sa conscience, si honnête 
et si chrétienne, n'avait pas eu un soubresaut de révolte ? 

Avec Boniface VIII, il y a lieu de s’en étonner grandement; 
mais bien plus encore de ce que, devant ce mérite très connu et 
très apprécié de l’archevêque, Boniface VIII ait paru ne pas douter 
de sa culpabilité et l’ait poursuivi à outrance, comme un criminel 
avéré. 

S’il avait eu entre les mains les procès-verbaux de l’élection, tels 
que les a eus l’archevêque, il est hors de doute qu’il eût été le pre¬ 
mier à la confirmer. 

Le 10 février, le Chapitre de Palencia, heureux du consentement 
de Munio, déléguait à l'archevêque de Tolède six de ses membres 
pour lui porter les actes authentiques de l’élection canonique de 
l’évêque et lui donner, de vive voix, toutes les explications néces¬ 
saires. 

Ces délégués étaient les deux électeurs : Simon, archidiacre de 
Carrion 1 * ; Sanche Gonzalez, abbé de Fuzol, accompagnés de Pélage 
Pie tri, archidiacre de Alcor; Jean Fernandi, chantre de Palencia; 
Pierre Martini et Fernand Stéphani, chanoines de cette Église. Ils 
devaient présenter les actes et solliciter la confirmation de l’élu. 
Le procès-verbal de l’élection relate tout au long les incidents qui 
l'ont marquée, depuis la première convocation jusqu'au consente¬ 
ment de Frère Munio. Il donne pour raison de ce choix le mérite 
exceptionnel du candidat, sa prudence, sa discrétion, sa science 
éminente, ses vertus*. Il dit même comment l’un des électeurs, 
l'abbé de Fuzol, formula publiquement le décret d’élection : « Moi, 
Sanche Gonzalez, abbé de Fuzol, en mon nom et au nom du seigneur 
Simon, archidiacre de Carrion, et de tout le Chapitre de Palencia, 
en vertu des pouvoirs qui nous ont été donnés par lui, le Saint- 
Esprit invoqué, j’élis pour évêque et pasteur de l'Église de Palencia 
le vénérable seigneur Frère Munio, autrefois Maître Général de 
l’Ordre des Frères Prêcheurs. » 

L’acte dit aussi la résistance du saint homme, ses supplications, 
ses larmes, et enfin son obéissance au précepte formel du Pro¬ 
vincial. 

Tout est signé par les chanoines 3 . 


1 Documents VI et VII, Appendice. 

* Document VII, ibid. 

3 Ibid. 


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314 


ETIENNE DE BESANÇON 


Dans ce document, les chanoines ne font pas mention de la pré¬ 
sence du roi ni de ses instances personnelles. 

A cela rien d’étonnant, car ces instances n’avaient nulle im¬ 
portance canonique, tandis que celles du Provincial et son précepte 
formel donnaient au consentement de l’élu une nuance caractéris¬ 
tique. L’autorisation du Provincial était, du reste, selon les Consti¬ 
tutions de l’Ordre *, absolument nécessaire. Mais les chanoines, tout 
en se taisant dans un procès-verbal officiel, canonique, sur l’inter¬ 
vention amicale du roi, ne la dissimulent pas. Plusieurs autres actes 
en parlent en termes très explicites, comme pour en faire honneur 
à l’élu*. 

L'archevêque de Tolède, en présence de ces documents, n’avait 
qu’à confirmer l’élection. Il le fit, et il fit bien. Munio était, à tous 
points de vue, digne de l’épiscopat. 

Sa consécration eut lieu à Alcala de Henarès, le 7 mars 1294*. 
Nous avons le serment qu’il prêta à cette occasion : « Moi, Frère 
Munio, qui vais être ordonné évêque de la sainte Église de Palencia, 
en présence du Seigneur Jean, évêque d’Osma, et de Sanche Mar¬ 
tini, archidiacre de Talavera, vicaire général du Seigneur Gonzalez, 
archevêque de Tolède, je promets soumission, révérence et obéis¬ 
sance audit archevêque, primat d’Espagne, et à ses successeurs 
légitimes, selon les décrets des saints Pères et les statuts de 
l’Église de Tolède; en foi de quoi je signe cet acte, sur ce saint 
autel, de ma propre main, et je le scelle du sceau dont je me ser¬ 
vais comme élu, parce que je n’en ai point d’autre. 

« Fait à Alcala de Henarès, le 7 mars de l’an du Seigneur 1293 1 2 3 4 
(vieux style). » 

Ces faits si simples, si normaux, si édifiants, devinrent pour le 
vénérable Père une source de douleurs. 

Odieusement travestis par des ennemis, qui virent sans doute 
dans cette dignité une protestation contre sa déposition du Géné- 
ralat, ils lui furent imputés à crime. Cité en Cour de Rome 5 , il 
lui fallut subir, devant toute la chrétienté, l'affront immérité, 
déshonorant, qui s’attache à l’intrus. Il y alla tête haute. C’était 
la deuxième fois qu’il s’y présentait en accusé. Et, cette fois encore, 
l’accusé était un innocent. 

Boniface VIII l’a reconnu lui-même. 

Ses premières bulles à l’évêque de Burgos, écrites sous l’impres¬ 
sion dçs rapports calomnieux qu’il avait reçus 6 , semblent annoncer 

1 Acta Cap., I, p. 67. Chap. de Bude, 125 4. 

2 Document IV, Appendice. 

3 Nouveau style. 

4 Document V, Appendice. 

8 B. Bem gravem. — Document VIII, ibid. 

G pocument VIII, ibid. 


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CHAPITRE I 


315 


que des mesures rigoureuses vont être prises contre l’évêque de 
Palencia. Il n’en fut rien 1 . Non seulement Munio ne reçut aucune 
condamnation, aucune pénitence, mais, bien au contraire, le Pape 
le supplia de garder sa charge épiscopale. En voici la preuve. 
« Dernièrement, écrit-il, au Chapitre de Palencia, notre cher fils, 
Frère Munio, de l’Ordre des Frères Prêcheurs, jadis évêque de 
Palencia, pour de justes et nombreuses raisons, nous a supplié 
humblement et avec instance d’accepter sa démission. Nous donc, 
après beaucoup de supplications de sa part, voulant satisfaire 
aimablement son désir, nous avons jugé bon de l’accepter*. » 
Ainsi voilà un intrus, cité en Cour de Rome, qui, au lieu d’être 
jugé selon les saints canons et sévèrement puni, doit faire de 
longues et vives instances, pour que le Pape accepte sa démission. 
Il faut avouer que cette situation à rebours est bien étrange. Et je 
n’en vois qu’une explication. Boniface VIII a reçu Munio en au¬ 
dience ; il a écouté le véritable récit des faits ; il a appris ce 
qu’était cette intervention royale dont on avait mené si grand 
bruit, et, satisfait de ces déclarations d’un honnête homme, il veut 
le maintenir dans sa dignité. C’était laver, devant toute l’Église, 
son front humilié par la calomnie. 

Mais Munio, las de ces luttes sans cesse renaissantes, ne voulut 
rien entendre. La charge épiscopale lui tenait peu. Il ne l’avait ni 

I U y eut un corollaire général à cette affaire. Boniface VIII interdit à tout reli¬ 
gieux mendiant, surtout aux Prêcheurs et aux Mineurs, même aux Généraux de 
ces Ordres, d’accepter l’épiscopat sans l’avis explicite du Saint-Siège. (B. Quorum- 
dam oculos, 29 mars 1296, I, 17 bis. Ms. arch. Ord.) 

* Le texte de cette bulle n’est point au Bullaire de l'Ordre. 

« Bonifacius Episcopus, scrvus servorum Dci, ad futuram rei memoriam. 

« Nuper Dilectus films Fratcr Munio Ordinis Prædicatorum, olim Episcopus 
Palentiuus, ad nostram præsentiam accedcns, ex justis et variis oausis a nobis 
humiliter et suppliciter petiit ut cessioncm ejus admittcre dignaremur. Nos autcm, 
post multam ipsius instantiam volontés in hoc benigne annuere votis suis cessio- 
uem hpjusmodi duximus admittcndam. Cum igitur Palentina ecclesia per cessio- 
nem eamdem vacarc noscatur ad præsens, nosquc de salubri statu ipsius ecclesiu? 
sollicite cogitantes intendamus cidem, actore Domino, de persona idonea provi- 
dere, ordinationem seu dispositionem ecclesiœ supradictæ hac vice provisioni 
Sanctæ Sedis reservamus decernentes ex nunc irretum et inane, si secus in hac 
parte per quoscumque scientes vel ignorantes contra hujusmodi reservationem et 
decretum nostrum quovis modo contigerit attemptari. 

« Nulli crgo... 

« Datum Anagniæ quinto Idus Julii Pontif. nostr. anno secundo. » (9 juillet 1296.) 
(I, 17 bis. Ms. arch. Ord.) 

II est probable que les chanoines de Palencia n’étaient point satisfaits, puisque 
le Pape se réserve, en vue de la paix sans doute, de nommer leur évêque. Il fut 
nommé par lui le 18 mars 1297. (B. Sane super, I, 17 bis. Ms. arch. Ord.) 

Du reste, il était d’usage courant à la Cour romaine de protitor de la moindre 
occasion pour instituer d’office les évêques. Les cas semblables sont extrêmement 
nombreux. On ne peut donc pas conclure de cette institution d’office à une péni¬ 
tence infligée au Chapitre de Palencia. Partout, quand il y avait quelque difficulté 
pour l’élection des évêques, le Pape intervenait. 

Il faut remarquer que le Pape qualifie Munio d’ér éque de Palencia , « olim epi¬ 
scopus Palentinus. » Il ne dit plus comme avant son entrevue avec Munio : « Qui 
se gerit pro cpiscopo Palcntino. « (Cf. Document VIII, Appendice.) 


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316 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


désirée ni mendiée; il avait fait, au contraire, les efforts les plus 
énergiques pour l’éviter. A quoi bon rester à un poste dont l'hon¬ 
neur lui était un poids ? Il donna sa démission, librement, malgré 
le Pape. Certes, on ne peut attitude de plus haute noblesse. Il se 
retirait de la Cour romaine comme il y était entré, pur de toute 
tache, humble de cœur, mais avec une fierté de caractère qui le 
place à cent coudées au-dessus de ses calomniateurs. 

L’archevêque de Tolède, lui-même, put faire éclater son inno¬ 
cence. Et ce n’est pas la moindre preuve à l’appui de celle de 
Munio. 

Boniface VIII le poursuivit d’abord avec aigreur, non pas pour 
avoir confirmé l’élection de Munio, mais bien pour n’avoir pas 
déféré à ses ordres, en comparaissant devant lui. Dans une pre¬ 
mière bulle, il écrit à l’évêque de Burgos de notifier à l’arche¬ 
vêque de Tolède sa citation en Cour de Rome 1 . Il s’agit de juger 
sa conduite dans la confirmation de l’évêque élu de Palencia. 

Le Pape lui reproche, en termes véhéments, d’avoir agréé un 
intrus. Cette bulle fut lue devant l'archevêque de Tolède par un 
délégué de l’évêque de Burgos, le chanoine Ordonio Pétri, le lundi 
2 janvier 1296. Au nom de l’évêque de Burgos, il cita l’archevêque 
à comparaître devant le Pape dans les trois mois. Celui-ci n’en fit 
rien. Boniface VIII, qui professait pour lui la plus grande estime, 
avait cependant évité de le froisser outre mesure. En même temps 
qu’il mandait sa bulle de citation à l’évêque de Burgos, il adres¬ 
sait une lettre personnelle très courte à l’archevêque accusé, pour 
lui exprimer son désir de le voir à Rome *. Cette attention fut inu¬ 
tile. Estimant, sans doute, qu’il n’avait à se reprocher aucune 
faute, l’archevêque de Tolède ne bougea pas. Nouvelle bulle de 
Boniface VIII à l’évêque de Burgos, celle-ci terrible dans ses con¬ 
séquences : puisque l’archevêque de Tolède n’a pas obéi, dans le 
délai voulu; puisqu’il n’a même pas daigné envoyer à Rome un 
représentant pour expliquer ou excuser son abstention, il s’est 
rendu coupable de mépris pour le Saint-Siège, d’offense envers 
Dieu, de grave contumace. Boniface VIII lui inflige en punition 
les peines suivantes : privation du droit de confirmer et de consa¬ 
crer ses suffragants, privation du droit de conférer les bénéfices, 
prébendes et dignités ordinaires. De plus, ordre lui est signifié de 
se présenter, dans les quatre mois, devant le Pape, sous peine 
d’être cassé de sa charge 3 . 

Cette fois, l’évêque de Burgos alla lui-même porter la sentence 
à l’archevêque. 

1 Document VIII, Appendice. — B. Rem gravem, 18 octobre 1295. 

1 Document IX, ibid. 

1 Document X, ibid . 


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CHAPITRE I 


317 


L'entrevue eut lieu, le dimanche 28 octobre 129G, au bourg de 
Vecta, dans le diocèse de Tolède. Elle fut décisive. L'archevêque 
se décida à partir pour Rome. Il ne s’agissait plus, en effet, de la 
confirmation de Munio, mais d'une désobéissance formelle au 
Siège apostolique. Les explications qu'il donna à Boniface VIII 
apaisèrent complètement son irritation. Il fut reconnu que dans 
l’acte même qui lui avait été reproché d’abord, c’est-à-dire la con¬ 
firmation de l’évêque élu de Palencia, l’archevêque n'avait com¬ 
mis aucune faute : Tuam in hac parte innocentiam aperte nobis 
ostendere ... curavisii , . Quant à sa contumace, on accepta ses 
excuses 2 . Il est facile de voir, à la lecture de la bulle qui rend à 
l’archevêque tous ses pouvoirs, que Boniface VIII lui témoignait 
la plus grande bienveillance. 

De tous les accusés un seul fut donc frappé, le Provincial d’Es¬ 
pagne, Frère Nicolas de Salamanque. Il était, comme les autres, 
innocent du crime de complicité dans une intrusion épiscopale, 
puisque cette intrusion n’existait pas; mais Maître Etienne de 
Besançon ne lui pardonna pas d’avoir, en autorisant Munio à 
accepter l’épiscopat, ravivé dans l’Ordre les troubles suscités par 
sa déposition. En cela il pouvait avoir raison, et le Chapitre géné¬ 
ral avec lui. 

L’archevêque de Tolède trouva, à Rome, l’évêque démission¬ 
naire de Palencia. Munio s’était retiré au couvent de Sainte-Sabine. 
11 y vécut encore quatre ans dans la paix du cloître et l’oubli du 
monde. Tous ceux qui l’avaient persécuté le précédèrent dans la 
tombe. Il vit mourir Nicolas IV 3 , les cardinaux Latino Mala- 
branca 4 et Hugues de Billom 5 , son successeur à la tête de l'Ordre : 
Etienne de Besançon 6 . Ce n’étaient point des amis. Il leur par- 


1 Document XI, Appendice. 

2 Le Pape, au commencement de la bulle, rappelle l'intrusion prétendue de Munio, 
comme Thistorique de ses démêlés avec l’archevêque. 

3 4 avril 1292. 

* Fin de novembre 1294. 

5 Après la mort du cardinal Latino, — fin novembre 1294, — Hugues de Billom 
fut immédiatement créé évêque d’Ostie et Velletri par Célestin V. A ce titre il 
devenait doyen du Sacré-Collège. Fut - il contraire au cardinal Gaetani pendant le 
Conclave? Je ne sais. En tout cas, à peine élu, Boniface VIII lui lit de durs reproches 
en présence des cardinaux et le priva du pallium. Ce fut cependant Hugues de Bil¬ 
lom qui le couronna. « Hic Bonifacius VIII vocatus statim post suam creationem 
episcopum Ostiensem super quibusdam in præsentia cardinalium arguens durissime 
pallii usu privavit, et nichilominus ab eodem ante restitutioncm pallii coronatur. » 
[Chron. Nicol. Triveth. — D’Aclicry, Spicilegium, VIII, p. 667.) 

La brouille dura peu. Il mourut le 30 décembre 1297. Au Chapitre de Metz en 1298, 
il est dit : « Pro domino fratre Ilugone de Belonio quondam Ilosticnsi et Velle- 
trensi episcopo cardinali et primo Sancte Sabine Tit. presbylcro cardinali, quili- 
bet sacerdos III missas. » (Actn Cap., I, p. 291.) — Cf. sur ce personnage: Echard, 
1, p. 450. — François Duchesne, Histoire des Cardinaux français de naissance, 
p. 306. 

6 22 novembre 1294. 


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318 


ÉTIENNE DE BESANÇON 


donna et pria Dieu de leur faire miséricorde. Lui-même quitta ce 
monde le 19 février 1300 ! . Les Frères l’ensevelirent, sans aucun 
ornement pontifical, comme il l’avait expressément demandé. 
Même dans la tombe, il refusait ces insignes qui avaient été pour 
lui une nouvelle source de douleur*. Comme pour protester de la 
vénération de l’Ordre envers sa personne, les Frères lui firent l’hon¬ 
neur d’une pierre sépulcrale en mosaïque, qu’on admire aujour¬ 
d’hui encore dans l’église de Sain te-Sabine 3 . Le Maître y est re¬ 
présenté en habit de Prêcheur, sans que rien puisse révéler la 
dignité épiscopale dont il était revêtu. Sur lui, plus que sur tout 
autre, on peut réciter cette prière suprême de l’Église : Qu’il 
repose en paix ! Ce repos, Maître Munio l’a bien gagné. 

1 Dans le» Actes du Chapitre de Marseille, en 1300, il est dit : « Pro fratre Munione, 
quondam Magistro Ordinis hoc anno Rome dcfuncto undecimo Marcii auno Do- 
mini M.CC. Nonagcsimo IX quilibet sacerdos III missas. » On discute cette date, 
parce que des chroniqueurs ont varié ; mais je crois qu’il vaut mieux accepter 
celle des Actes : 19 février 1300. Style ancien : le onzième des kalendes de mars 1299. 
(Cf. Echard, I, p. 400. — Acta Cap., I, p. 298.) 

2 Voici le texte de Bernard Gui : 

« ... Postquam fuit a magisterio absolu tus, fuitque assumptus ad honorem epi- 
scopatus Palentini in Hispania. Tandem ad curiam evocatus, absolutus fuit ab honore 
cpiscopali a D. Bonifacio papa VIII. A. D. 1295, — ce fut en 1296, — maiisit autem 
in curia diu ibique manens in conventu Fratrum dicm clausit extremum coram 
positis fratribus et orantibus pridie Idus Martii A. D. 1299 (c'est une des va¬ 
riantes ) seplütusquc fuit in habitu solo Fratris et non pontificalibus, sicut ipse 
vivens ita fleri petiit et ordinavit. » {Cod. Iiulen. Ms. arcli. Ord.) 

3 »« Vixit tamen Munio quousque omnes sibi adversantes humiliâtes humique datos 
vidit conditusque est in pace honorifico valde tumulo quasi divorum , juxta aram 
videlicet Patris Dominici quœ est in medio templi ubi et corpus Dominicum rescr- 
vatur et apud quam corpora martyrum Alcxandri et sociorum reposita sunt. 
supra gradus presbyterii ad levam. Ejus sepulcrum quod et plurics inspicere 
libuit illesum et integrum perseveravit adhuc cum effigie et superscriptione... » 
En marge du manuscrit on lit : « In almam Urbem sub Clcmente VII invisere 
licuit. » (Sébastien de Olmedo, Chron. Ms. arch. Ord.) 

Munio fut donc enseveli, d’après ce témoignage, A gauche de l’autel majeur ou 
conventuel de Sainte-Sabine, dédié à saint Dominique, au-dessus des degrés du 
presbytère ou sanctuaire. 

Depuis Clément VII, Sixte-Quint bouleversa l’église de Sainte-Sabine. On mit 
le chœur par derrière , dans l’abside : les pierres tombales furent changées de 
place. Aujourd'hui celle de Munio de Zamora se trouve au milieu de la nef, tou¬ 
jours intacte; mais ce n’est pas le lieu de sa sépulture. 


BIBLIOGRAPHIE 


Touron, les Hommes illustres de VOrdre de Saint-Dominique. Paris, 1743. 
Année dominicaine , février. Ed. Jevain. 

Medrano, Historia de la provincia de Espaila de la orden de los Predicadores. 
Madrid, 1727. 

Castiglio, Historia generale di S. Domenico , etc... Palerme, 1626. 

R. P. Chapotin, Histoire des Dominicains de la province de France. Rouen, 1898. 


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LE 


BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 

(BENOIT XI) 

NEUVIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

1296-1299 


CHAPITRE I 

LES DÉBUTS DE FRÈRE NICOLAS 

En 1240, vivait à Trévise, dans le faubourg de Saint-Barthé¬ 
lemy, hors les murs, une famille peu favorisée des biens de la 
fortune, mais riche de foi et d'honnêteté. Le père, Boccacio Boc- 
casino, était notaire municipal*. Sa femme se nommait Bernarde*. 
11 avait un frère prêtre et curé de la paroisse de Saint-André. 
Cette même année, il leur naquit un fils, auquel fut donné le nom 
de Nicolas 1 * 3 . Peu de temps après, le père venait à mourir 4 , laissant 


1 Ces détails nous sont fournis par un manuscrit très ancien du couvent de Pé¬ 
rouse, aujourd'hui à l’Archivio Decemvirale, mais dont une copie se trouve aux 
Archives de l’Ordre, sous ce titre : « Brevis vita B. Bencdicti XI. P. M. Ord. Præd. 
desumpta ex vetustissimo codice qui constans ex suina pelle ac gallico characlore 
conscriptus Perusii in Bibl. Ord. Præd. asservatur. » (Arch. Ord., X, 518.) 

Voici le texte : « In ecclesia sancti Andreæ de civitate Trevisii fuit unus sacer- 
dos noraine presbyter Boccasinus qui habebat unum fratrem nomine Boccasium 
notarium. Iste Boccasius habuit unum fllium nomine Nicolaum qui natus fuit Tre- 
visi in contrata S. Bartholomei. » 

* Ce nom lui est donné dans le testament fait en sa faveur par un Frère du cou¬ 
vent de Trévise en 1216. (Cf. Scoti, Memorie del heato Benedetto XI. Trevigi, 
1737, p. 225.) Cet auteur a publié les documents les plus importants sur Benoît XI. 

a La date de 1210 est confirmée par Benoit XI lui-même. Il disait avoir pris l'ha¬ 
bit de l’Ordre à quatorze ans, avoir étudié quatorze ans, avoir enseigné quatorze 
ans, avoir été supérieur quatorze ans, avant d’être élu Général de l’Ordre. 11 avait 
donc alors cinquante-six ans. Comme il fut élu en 1296, il a dû naître en 1240. 
(Echard, I, p. 444.) 

4 II était mort en 1246, époque où le testament du Frère Caslellano est fait en 
faveur de sa veuve. (Scoti, op. cit., p. 225.) 


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320 


LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


à la charge de sa femme ses deux enfants en bas âge. Car Nicolas 
avait une petite sœur qui s’appelait Adelette 1 . Leur mère, pour 
gagner sa vie et nourrir sa famille, lavait le linge des Prêcheurs de 
Trévise. Nicolas, d’abord recueilli par son oncle, le curé de Saint- 
André , devint tout enfant, à cause des relations ordinaires de sa 
mère avec les Frères, un familier du couvent. C’était sa maison à 
lui. Intelligent, de mine éveillée et gracieuse, il avait toutes les 
sympathies. Aussi, dès l’âge de quatorze ans 4 , par exception à la 
règle qui en exigeait dix-huit, il reçut l’habit de l’Ordre. Lui- 
même en témoigne. Son entrée chez les Prêcheurs lui valut un 
secours pécuniaire que lui avait réservé un des Frères, dès 1246, 
alors qu’il n’était âgé que de six ans, mais déjà orphelin. Par son 
testament 3 , ce Frère laissait à dame Bernarde, femme de feu le 
notaire Boccasino, à Adelette et à Nicolas ses enfants, cinquante 
livres vénitiennes, avec cette condition toutefois que si Nicolas 
entrait dans l’Ordre des Prêcheurs, il aurait à lui seul la moitié 
du legs. Cette largesse n’était point inutile. A raison même de 
leur état de mendicité, les Frères avaient à pourvoir eux-mêmes, 
autant qu’ils le pouvaient, à leur vestiaire et à leurs livres 4 . Le 
petit Nicolas se trouvait donc en situation avantageuse 5 . Les sym- 


1 « Item reliquit domine Bernarde uxori condam Bocassii notarii et Adelette et 
Nicolao liberis ejus... »> (Scoti, op. cit. f p. 220.) 

2 Echard, I, p. 4(4. 

3 « Anno millesimo ducentesimo quadragesimo sexto indictionc quinta décima, 
die lune, secundo inlrante octobre, presentibus... Castellanus, novitius Ordinis 
Fratrum Predicatorum, lilius condam domini Guidonis de Colle sancti Martini 
judicis, nolens ab inlestato decedere, taie per nuncupationem suum condidit testa- 
mentum... Item (reliquit) sorori Boccasii notarii quinque libras venctianorum par- 
vorum. Item reliquit domine Bernarde uxori condam Boccasii notarii et Adelette et 
Nicolao liberis ejus quinquaginta libras venetorum parvorum, tali conditione quod 
si dictus Nicolaus intraverit Ordinem fratrum Predicatorum habeat de predicto 
legato medietatem » ( Liber anreus du couvent de Trévise, dans Scoti, p. 220.) Ce 
Liber nureus a disparu. Scoti a lu « Castellanus Novitius, Ord. Præd. », en faisant de 
novitius un nom propre. Ne serait-ce point une erreur? Il me semble plus naturel 
de lire : « Castellanus, novicius ord. Præd. » Avant leurs vœux solennels, les 
Frères devaient se libérer de leurs biens, sur lesquels ils n’avaient plus, après leurs 
vœux, aucun droit, sauf dispense. 

* Cf. t. I, p. 560 et 638. 

5 Tous les auteurs s’accordent sur l’humble condition de la famille de Nicolas 
Boccasino. Cependant , la qualité de notaire municipal suppose dans son père une 
certaine instruction, et permet de croire que sa situation n'était pas si infime que 
les historiens postérieurs le disent. Villani dit : « di povera nationc che quasi non 
si trovo parente. » (Muratori, XIII.) — Hermann Corner, Chronicon y II : « Fuit 
autem genitus de pauperculis parentibus sed honestis. » 

Francesco Pippino (Muratori, IX) : « humillimo loco natus. » Ces témoignages, à 
vrai dire, sont du xiv« siècle. Léandre Albert les a répétés dans De Viris illuslribus 
Ord . Præd. t Bologne, 1517, p. 39, où il dit : « parentibus obscurrissimis. » Et saint 
Antonin, Chron. y III, Lyon, 1527, p. 94 : « In seculo fuit vilissime conditionis. » 
Nicolas Mauro, jurisconsulte de Trévise, s’élève contre ces expressions qui lui 
semblent ne s’adresser justement à la famille de Nicolas qu’après la mort de son 
père. Comme il arrive souvent, une famille vit à l’aise du travail commun du père 
et de la mère; si l’un manque, le père surtout, la misère arrive vite. C’est le cas 


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GHAPITHE I 


321 


pathies qu'il s’attira, par sa science, la gravité de sa vie et ses 
manières aimables, lui valurent, comme nous le verrons, d’autres 
généreuses libéralités. 

Son entrée au noviciat coïncidait avec l’élection au Généralat 
du Bienheureux Humbert de Romans (1254). Il passa qua¬ 
torze ans aux études, soit à Trévise , soit à Venise ou à Milan, 
selon la coutume alors en usage de transporter les cours d’huma¬ 
nités et de philosophie de couvent à couvent. Nous le trouvons à 
Milan, faisant sa logique, en 1262 l . Il y fut assigné un des pre¬ 
miers, quand le cours s’y ouvrit cette même année. Après six ans 
de travail, où il put développer ses brillantes facultés, il devint 
lecteur 2 . Quatorze ans de sa vie furent employés dans l’enseigne¬ 
ment 3 . Où débuta-t-il? La réponse est assez incertaine. D’après la 
Chronique de Borselli, il aurait enseigné à Venise. « Tout le 
monde savait dans la province de Lombardie, écrit-il, la vision 
prophétique d’une religieuse de Torcelli. Cette sainte fille avait 
prédit que Frère Nicolas, alors étudiant, deviendrait Lecteur à 
Venise, Provincial, Maître de l’Ordre, cardinal et Pape 4 . » C’est 
sans doute pendant cette période professorale, à Venise, qu’il 


pour la famille Boccasino. Le père était notaire, le frère était curé, ce qui indique 
une aisance relative. Le notaire étant mort, sa femme se trouva sans ressources. 
(Cf. B. Benedicti XI, Vita per Nicolaum Maurum jurisconsullum Tarvisini. Ms. 
arch. Ord., X, 519.) 

C’est aussi l’opinion du F. Georgio Fafari de Trévise dans son ouvrage intitulé : 
B. Benedicti P. P. XI Vitu ex probatis carpsim auctoribus desumpta. Anno D. 1603. 
Ms. arch. Ord., X, 519.11 fait du père Boccasino un notaire impérial. C’est peut-être 
exagérer dans l'autre sens : « Quandoquidem pater ejus Boccasinus cum publicus 
esset imperiali auctoritate notarius... Illud postremo hujus rei non minimam iidem 
facit quod aedes in quibus B. Benedictus et genitus et nutrilus est quæ Fratribus 
Prædicatoribus hcreditario jure obvenerunt, certe, usque in haec ipsa tempora 
honestæ farniliæ significationem referre dignoscuntur. » 

Pour les origines et la généalogie de F. Nicolas Boccasino, consulter le ms. inti¬ 
tulé : Vita del Beatissimo Papa Benedelto XI, Domenicano da Trevisio, par F. Ber- 
nadino Perragali, du môme couvent, faite à la demande du Révérendissime Père 
Roccaberti, l'an 1677. Ouvrage très intéressant, à cause de ses nombreuses réfé¬ 
rences. (Ms. arch. Ord., X, 519.) 

1 « Hoc anno (1262) positum fuit studium logicae in conventu Mediolanensi et 
facti sunt studentes logicae quidam juvencs satis apti inter quos fuit F. Nicolaus 
de Trivisio qui postea fuit Papa. »> (Chronique de Borselli. Ms. arch. Ord., lib. 
QQ.) — En souvenir de son séjour à Milan, les Pères lui élevèrent en 1736, dans 
l’église de Saint-Eustorgc, une statue, avec l'inscription suivante : « Beato Bcne- 
dicto XI, P. M. Ord. Præd., in hoc cenobio ad sex annos litteris exsculto, ejus- 
demque post acceptum purpuræ honorem, hospiti pariter ac laudatori, hic ubi Sancti 
Pétri Martyris area, ab anno MCCXL erigebatur, muneribus ab ipso undique col- 
lcctis, exornala et aucta, novissime vero ad saccllum a sancti martyris capitc appel- 
latum XVI Kalendas aprilis translata, monumentum hoc, fratres ovantes posuere, 
anno MDCCXXXVI, pridie nouas octobris. *> 

* « Magne fuit memoric et acris ingenii, omnibus factus amabilis... fuit enim lit- 
teratus et magnus lcctor in ordine ac prolocutor pulcherrimus. » (Taegio, Chron. 
Ms. arch. Ord.) 

3 Echard, 1, p. 444. 

4 Borselli, Chron. Ms. arch. Ord., lib. QQ. 

11 . ~ 21 


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322 


LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


faut placer un épisode assez caractéristique raconté par quelques 
auteurs. 

Au dire de Villani, Frère Nicolas donna des leçons privées aux 
enfants de la famille Querini. C’était une noble maison vénitienne 1 . 
Saint Antonin, rapportant le même fait, ajoute qu’il se chargea 
de cette instruction pour subvenir aux nécessités de son indi¬ 
gence 2 . Il suppose, de ce chef, que ce préceptorat eut lieu avant 
son entrée dans FOrdre, ce qui est impossible, puisqu’il prit 
l’habit à quatorze ans. Étant Lecteur à Venise, la chose s’explique 
tout naturellement 3 . Du reste, cette fonction n’a rien d’insolite. 
L’Ordre, à la vérité, n’acceptait pas dans ses écoles privées, à 
l’usage des novices les plus jeunes et les plus illettrés, des élèves 
du dehors. Il n’y avait point d’externat régulier. Mais, Frère Nico¬ 
las en est une preuve lui-même, de petits enfants, plus ou moins 
dénués de fortune, plus ou moins amis du couvent, recevaient de 
la complaisance des Frères les premiers éléments de l’instruction. 
De là à prendre, par gratitude envers des bienfaiteurs ou pour 
d’autres motifs, des enfants à instruire, il n’y a qu’un pas. Que 
l’on veuille bien se rappeler que souvent, en ce temps de foi, des 
familles offraient au couvent des enfants de dix à douze ans, les 
oblats 4 , comme on les appelait, qui demeuraient avec les Frères, 
et, à l’âge requis par les Constitutions, faisaient leur noviciat. On ne 
peut pas supposer que ces enfants restaient inoccupés, sans cours 
élémentaire. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de voir Frère 
Nicolas consacrer quelques heures de son temps à l’éducation des 
enfants de la famille Querini. Qu’il l’ait fait pour se procurer 
quelques ressources supplémentaires, selon ce qu’écrit Villani et 
après lui saint Antonin, cela est très probable et parfaitement con¬ 
forme aux usages du temps 5 . Je l’ai déjà dit, quoique les religieux 
reçussent de l’Ordre tout le nécessaire, il y avait certaines choses, 
comme le vestiaire, les livres, etc..., pour lesquelles ils devaient 
se pourvoir. Chacun, selon son possible, avait son dépôt person¬ 
nel plus ou moins riche 6 . En donnant des leçons aux petits Que¬ 
rini, Frère Nicolas, dont les ressources étaient médiocres, augmen¬ 
tait son pécule légitime. 

Ses amis l’y aidèrent de leurs deniers. Il était Lecteur à Tré- 


4 « Nudrissi in Vinegia quando cra giovane clcrico a inseguare a fanciulli de 
fcignori da cha querino. » (Ap. Muratori, Scriptores , XIII, 399.) 

* o Venctias accessit pueros docens in grammaticalibus ut paupertatem suam 
Sustcntaret. » ( Chron III.) 

3 Non pas, comme le dit Grandjean, pendant scs études, ce qui serait tout à fait 
contraire aux usages de l'Ordre. (Cf. Benoil XI avant son pontificat, p. 228.) 

* Cf. tome I* r , p. 403. — Masetti, Monument» et antiquitates veteris disciplinée 
Otd. Prædicat., p. 56. Rome, 1864. 

B Quoi qu’en dise M. Grandjean, toc. cit., p. 229 j 

* Cf. tome I*r T p. 643. 


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CHAPITRE I 


323 


vise, en 1276; car, le 28 mai de cette année, une dame de la ville, 
Sophie, veuve de Jacques Rochetti, lui laissait en héritage une 
somme de cinq livres 1 * . Elle l’institua même son exécuteur testa¬ 
mentaire 1 . Quatre ans après, toujours à Trévise, un chevalier des 
Frati Gaudenti 3 , Pierre Calza, lui légua le nécessaire pour se pro¬ 
curer une chape et une robe tous les ans 4 . Ces libéralités succes¬ 
sives, tout en rendant témoignage à l’affection dont on entourait 
Frère Nicolas, nous sont également une échappée lumineuse sur 
les coutumes du temps. D’après ces faits, qui ne devaient pas être 
isolés, les religieux jouissaient, sans porter atteinte à la vie com¬ 
mune , de certains avantages pécuniaires personnels , même de 
revenus annuels fixes, dont l’usage déterminé leur était réservé 
à titre d’aumônes. En 1282, Frère Nicolas enseignait à Gênes 5 . Il 
devint, au dire de saint Antonin, Sous-Prieur et Prieur conventuel 6 . 
De sorte que, pendant sa carrière, il passa par tous les degrés de 
la hiérarchie. Au Chapitre provincial de Lombardie, tenu à Bres¬ 
cia 7 , en 1286, les Pères le choisirent comme Provincial. Il avait 
alors quarante-six ans. La province de Lombardie comprenait 
toute la Haute-Italie, les archevêchés de Gênes et de Milan, l’Émi- 
lie, la Romagne, l’archevêché de Ravenne, la Marche d’Ancône, 
le patriarcat d’Aquilée et toute la Vénétie. Elle comptait, à cette 
date, cinquante et un couvents d’hommes et de nombreux monas¬ 
tères de Sœurs. C’était donc une charge extrêmement importante 8 , 
et, pour honorable qu’elle fût, très difficile. Il n’avait pas seule¬ 
ment à diriger les Frères dans l'observance de la règle, chose 
qui, malgré certains fléchissements partiels, n’exigeait pas un 
déploiement extraordinaire d’énergie. C’est abuser des textes 
répressifs ou souvent préventifs des Chapitres généraux ou pro¬ 
vinciaux que d’y voir le témoignage évident d’une décadence uni- 


1 Scoti, p. 226. 

* Ibid. 

3 Cf. plus haut, p. 245. 

* Scoti, p. 226. 

« Ibid., p. 228. 

6 « In ordinc, per omnes dignitates gradalim ascendens, ex suppriore prior efTe- 
ctus, ex prioratu conventuali ad provincialem ascendens... » (Chron., III.) 

Bernard Gui avait déjà écrit : « In praelationis oflicio laboravit. » (Echard, I, 
p. 444.) 

Benoit XI a dit de lui-méme : « Ab olim Ordinem Fratrum Prædicatorum professi 
putabamus abjecti esse in domo Domini... sed... post ministeria varia in ordine pre- 
dicto nobis imposita, suscepimus Magistri Generalis oflicium. » [Bull. Ord., II, 
p. 77. B. Opéra divine, 1 nov. 1303.) 

7 « F. Nicholaus Boccasinus, Tarvisinus, prima vice, cui colleta sunt sufTragia in 
convcntu provinciali Brixiae apud S. Dominicum anno 1286. » (Caialog. Prefecto - 
rum Prov. Longobard. Ord. Præd. Ms. arch. Ord., lib. QQ, p. 571 bis.) — Cf. 
Jacques de Susato, Chron. Ms. arch. Ord., lib. QQ, p. 462. — Galvanus, dans sa 
Chronique, a écrit Fraxen, au lieu de Brescia (p. 102. Ed. Reichert). C'est plutôt 
une erreur de copiste. Cf. Taegio, Chron., p. 161. Ms. arch. Ord. 

8 II succédait au bienheureux Jacques de Voragine. 


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334 


LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


verselle*. On n’en était pas là, grâce à Dieu, en 1286. Et de ce 
que telle admonition frappe un abus, il ne s’ensuit pas que l’abus 
soit général. S’il y a des fautes particulières, les Pères, par leurs 
réprimandes, les signalent et les condamnent afin d'éviter qu’elles 
se multiplient. Noter la transgression, lui infliger un blâme, c'est 
déjà venger la loi et la défendre pour l’avenir. Les difficultés que 
Frère Nicolas pouvait avoir avec ses religieux sont de tous les 
temps et de tous les pays. 

A côté des couvents il y en avait de plus complexes et de plus 
délicates. Comme Provincial de Lombardie, Frère Nicolas se trou¬ 
vait Inquisiteur. Cette fonction, dont la gravité s’augmentait encore 
des dissensions politiques qui agitaient les villes lombardes, pesait 
de tout son poids sur le Provincial, qui, d’après l’institution du 
Saint-Siège, en avait la haute direction. 

En 1279, l’Inquisiteur de Lombardie, Frère Florio 2 , avait eu 
maille à partir avec les hérétiques de Parme. Une vieille femme, 
convaincue d’hérésie une première fois, par peur du bûcher, s’était 
convertie. Mais bientôt après, la Todesca, comme on l’appelait, 
tenace dans ses anciennes idées, avait de nouveau repris ses habi¬ 
tudes perverses. Frère Florio, qui, d’après certains témoignages 3 , 
ne paraît pas avoir été tendre pour les Patarins, la jugea une 
seconde fois, la condamna comme relapse, et la malheureuse, 
livrée au bras séculier, fut brûlée. Cette exécution, qui en suivait 
beaucoup d’*autres, exaspéra les hérétiques. Ils décidèrent de se 
venger. Le jour même du supplice de la Todesca, ils vinrent en 
foule, sous divers déguisements, comme pour assister au spec¬ 
tacle. Et subitement, pendant que le feu consumait sa victime, 
ils soulèvent par leurs clameurs le menu peuple, se précipitent en 
masse vers le couvent des Prêcheurs, enfoncent les portes, accablent 
les religieux de coups. L’un d'eux resta mort sur place. Il fallut 
céder à la violence de la sédition. L’Inquisiteur, échappé au mas¬ 
sacre, et les Frères quittèrent la ville 4 . 

Ces faits s’étaient passés avec la complicité plus ou moins 
ouverte des autorités municipales, qui n’avaient rien tenté pour en 
arrêter les fâcheuses conséquences. 

Outré de cette révolte, le cardinal Latino, alors légat de Nico- 


t Cf. Grandjean, Benoit XI avant son pontifical, p. 237. — La lettre de Nicolas IV 
à laquelle fait allusion cel auteur, adressée au Chapitre de Ferrare, n*a rien à voir 
avec ces abus partiels. Il s'agit de défendre aux Frères d'admettre aux offices des 
interdits ou excommuniés {Bull. Ürd., Il, p. 28. B. Processit, 0 mai 1290.) 

* Devenu prieur de Venise, il fut élu patriarche de Grado en 1295; mais il refusa 
cette dignité, malgré la volonté de Boniface VIII. (Fontana, Monumcnta Dom., 
p. 141.) 

3 Fontana, Ibid., p. 121. 

* Ibid., p. 121. 


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CHAPITRE I 


las III en Lombardie 1 2 , jeta l'interdit sur la ville de Parme. Il 
voulait, par cette mesure rigoureuse, amener les adversaires des 
Frères à résipiscence et en même temps effrayer ceux qui seraient 
disposés à les imiter. Il y avait, en effet, un peu partout dans les 
villes lombardes, une sourde irritation contre les Inquisiteurs 
pontificaux. L'un d’eux, Frère Pagano de Lecco, inquisiteur à 
Côme, conduisait en prison, accompagné de deux notaires publics, 
un chef d'hérétiques appelé Conrad de Novi. Les neveux du pri¬ 
sonnier attaquèrent le groupe, tuèrent l’Inquisiteur et ses asses¬ 
seurs* et délivrèrent leur oncle. Nicolas III les excommunia. De 
plus, une bulle du 29 novembre 1279 3 est adressée aux capitaines 
et recteurs des villes lombardes, qui leur prescrit de prêter main- 
forte aux Frères Anselme d’Alexandrie, Daniel de Guxano et Gui 
de Coconato, Inquisiteurs du Pape, afin qu'ils puissent s'emparer des 
coupables réfugiés à Bergame. L'empereur Rodolphe s'en mêla, et, 
peu de temps après, Conrad et ses neveux étaient sous les verrous 4 . 

Le cardinal légat crut donc nécessaire de faire un exemple. 
L'interdit, qui privait toute une ville de la solennité des offices 
liturgiques et supprimait en grande partie l'administration même 
des sacrements, répugnait sensiblement aux populations chré¬ 
tiennes. C’était pour elles comme une malédiction divine. Aussi 
cherchait-on, malgré des colères quelquefois légitimes, à y échap¬ 
per. C'est ce que firent les Parmesans. Ils promirent, sous cau¬ 
tion de mille marcs d’argent, de se soumettre aux décisions du 
Saint-Siège. Malgré ces bonnes dispositions, les Papes qui se 
succédèrent rapidement pendant ces pourparlers ne purent régler 
l'affaire, et, en 1286, sept ans après, elle était encore pendante 
devant la Cour romaine. Honorius IV s'en occupa dès son avène¬ 
ment 5 . La ville de Parme fut condamnée à réparer le dommage 
causé aux Prêcheurs 6 . Ceux-ci, quoique largement dédommagés, 


1 Fontana, Monumenta Dom., p. 116. 

2 « Hoc anno, in natali Protomartyris Stephani, Frater Paganus de Leuco, Inqui- 
sitor hereticac pravitalis in Lombardia, de convcnlu Gumano, procurante et insti- 
gante quodam nobili Conrado de Venusla, a crcdentibus hereticorum occisus est. 
Qui multis confossus vulneribus, tandem exemplo Salvatoris, lancea latcre perforato, 
semper tenons manus super pectus in niodum crucis, occubuit. In die vero Sancli 
Silvestri, cum ad conventum suum Cumanum esset allatus, apparuerunt vulnera 
ejus reccntia, et in conspcctu episcopi, et totius cleri, et populi, subito exivit rivus 
sanguinis de plaga lateris, et sanguis rubicundissimus crat, sicut agni. IIoc autem 
fuit mirabile, quod per sex dies, quibus illud sanctum corpus extitit non humatum, 
nunquam ejus vulnera horrorem incusscrunt, nec aliquantulum emiserunt fœtorem, 
sed semper reccntia et rubicunda permanebant. *> 

Ce texte est tiré du tome I er des Acta Capitul. general., fol. 369, Ms. arch. Ord., 
et inséré au Bullaire de VOrdre, I, p. 567. 

3 Bull. Ord., I, p- 567. B. Ilia vos . 

4 Rainaldi, Annal. Eccl., III, p. 479. 

3 Bull. Ord., I, p. 12. B. Olim sicut accepimus, 7 mai 1286. 

6 Ibid., p. 13,*note 1. 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


quoique rappelés avec instances par le municipe, ne voulaient à 
aucun prix rentrer dans la ville. Ils gardaient rancune aux Par¬ 
mesans. C’est alors qu'intervint le nouveau Provincial de Lom¬ 
bardie, Frère Nicolas Boccasino. Il se trouvait à Reggio. Les Par¬ 
mesans lui députèrent quelques-uns des principaux de la ville, 
pour le supplier de mettre fin à cette querelle 1 . Le Podestat, le 
capitaine et les conseillers de Reggio unirent leurs prières aux 
leurs. Frère Nicolas, qui désirait avant tout la paix, les accueillit 
avec bonté. L’entente fut facile. Séance tenante, il promit aux 
délégués que les Prêcheurs rentreraient dans leur couvent. Lui- 
même, le 21 février 1287, entra dans Parme avec les Frères. Il y 
fut reçu en grand respect. Le clergé, le peuple, massés sur sa 
route, suivirent le Provincial et les Frères à la cathédrale, où il 
donna un sermon; l’évêque parla après lui. Puis, les Frères furent 
conduits solennellement à leur ancien couvent. Le municipe y 
avait préparé un banquet dont la joie communicative acheva de 
rapprocher les cœurs. La réconciliation fut complète, à ce point 
que le municipe, de plus en plus généreux, décida de donner aux 
Frères mille livres impériales pour aider à construire leur église. 
Deux cents furent versées sur l'heure*. 

Ces faits nous font assister à un des nombreux épisodes du 
•même genre qui se passèrent, à cette époque, dans la Haute-Italie. 
Nul doute que l’heureuse issue de ces négociations ne fût l’œuvre 
du Frère Nicolas Boccasino. C’était un homme de caractère doux, 
débonnaire, pacifique. Il avait en horreur la discorde et cherchait, 
par de prudentes concessions, à calmer les esprits et les cœurs. 
Il était pour la politique d’apaisement : chose assez rare parmi les 
Inquisiteurs du temps, dont le zèle batailleur irritait parfois, non 
sans raison, les peuples soumis à leur autorité. Les chroniques 
s’accordent pour qualifier de conciliant le tempérament de Frère 
Nicolas 3 . Nous le retrouverons tel sur la chaire de saint Pierre, 
en des circonstances autrement graves que la sédition de Parme 
et la rancune des Prêcheurs. 

Il gouverna la province de Lombardie pendant trois ans. En 1 289, 
au Chapitre général de Trêves, il fut absous de sa charge. On se 
rappelle que le Provincialat n’avait alors aucune durée limitée 
par le droit. Son prédécesseur, Jacques de Voragine, avait exercé 
une première fois pendant dix ans (1267 à 1277), puis, une 


1 Annales Parmenses. (Perte, Monum. Germ. hist., XVIII, p. 688-693.) 
a Ibid., XVIII, p. 702. 

* Ferreto de Viccnce, Chron. — Muratori, Scriptores, IX, c. 1010 : « Benignus et 
mitis, jurgia oderat et pacem nmabnt. » — Villani, Ibid., XIII : « Huopio savio e 
di sauta vita c per la sua bonla e honesta vita... >► — Bernard Gui, Echard, 1, 
p. 4 45 : « Lucebat insuper in ipsius cxtcriori homiue venerapda humilités... multa 
benignitas... >» 


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CHAPITRE I 


327 


seconde fois, pendant cinq ans (1281 à 1286*); son successeur, 
Frère Berthold, n'occupa la charge, comme lui, que trois ans*. 
Frère Nicolas n’eut donc pas une action très marquée dans 
les douloureux débats sur Maître Munio de Zamora, qui eurent 
lieu entre ses deux Provincialats. Il était au Chapitre de Ferrare, 
sans doute à titre de Sodas du Provincial 3 . C’est tout ce que l’on 
sait de précis. Il résidait d’ordinaire au couvent de Trévise, si 
l’on en juge par un nouveau legs fait en sa faveur, le 3 jan¬ 
vier 1290. Sophie, veuve Rochetti, ajoute à son premier testa¬ 
ment un don de dix sous vénitiens et l’institue son exécuteur 
testamentaire 4 . 

Ce nous est une preuve de plus que l'usage du dépôt person¬ 
nel, réservé, n’allait point contre la règle. On comprendrait difli- 
cilement que Frère Nicolas, ancien Provincial, estimé de tous 
comme un saint religieux, eût gravement porté atteinte à la vie 
commune 5 . 

1 Cf. Galvanus, Chron., p. 101-103. Ed. Rcichert. 

* Ibid. 

3 Marlène. Thésaurus Anecdotorum, IV, c. 1815. — Echard, I, p. Uj. 

4 Scoti, p. 229. 

8 A ce propos, et pour mettre en pleine lumière la manière de faire des Frères 
à cette époque, il ne sera pas inutile de citer quelques-uns de leurs actes. Je les 
prends tous au couvent de Milan, dont, comme nous le verrons bientôt, la ferveur 
était grande. Ce couvent fut en partie bâti et meublé par les libéralités personnelles 
des religieux. 

En 1219, saint Dominique envoyait à Milan deux frères : Frère Jacques de Ari- 
boldi et Frère Rubaldo. Ils demeurèrent d’abord pendant un an chez les Chanoines 
de Saint-Nazaire (Galvanus, Chron., p. 23). Puis, le 15 mars 1220, on leur donna 
réglisc de Saint-Eustorgc. (Ibid.) Frère Jacques était encore prieur en 1222. Il en 
garda même le titre, même après avoir quitté la charge. (Ibid., p. 86.) En 1215, 
avec des ressources communes, on fait le grand dortoir; le chœur est orné d’un 
beau pavé; l’autel majeur, où reposaient les corps de saint Eustorge et de 
saint Magnus, surélevé. — Le Prieur, Frère Jourdain de Corne, qui lit exécuter 
ces travaux, sortit de l’Ordre. (Ibid., p. 91.) En 1262, sous le Prieur Jean de Operno, 
on construit le petit dortoir. (Ibid., p. 98.) En 1265, les camere (lieux d’aisance) 
sont changés de place et mieux organisés ( pro purgneione conventus). (Ibid., p. 99.) 
En 1268, le réfectoire est bâti; l’église extérieure, en dehors du chœur, est ornée; 
on y met les belles pierres A l’endroit où les Frères se placent pour le Salve lie- 
gina. Les fenêtres de l’église sont agrandies. (Ibid., p. 100.) En 1275 , on bâtit les 
salles de cours; l’infirmerie est organisée en cellules, more anliqno; on y fait un 
réfectoire et une cuisine pour les malades. (Ibid., p. 101.) En 1279, Frère Gualtcr 
de Brebia, simple religieux, fait exécuter la voûte au-dessus de l'autel de la 
Vierge et du bienheureux Jean-Baptiste ; Frère Lanfranc de Brcna fait bâtir une 
chambre sur le jardin, au bout de l'infirmerie. (Ibid., p. 102.) En 1286, le Prieur, 
Frère Jean Sarlor, fait décorer le pavé du cloître, et Frère Daniel de Gluxen, an¬ 
cien Inquisiteur, fait de nombreuses chambres à l'infirmerie. (Ibid., p. 103.) En 
1288, Frère Gabio de Crémone donne le crucifix qui est au milieu de l’église, 
au-dessus de la porte du chœur. (Ibid., p. 103.) 

En 1292, on pose près de l'autel quatre anges. (Ibid., p. 10i.) 

En 1297, on élève le campanile; les autels de l'église des fidèles sont exhaussés; 
la fontaine ou lavabo, qui sc trouvait dans le cloître, est placée dans le parloir des 
Frères : Lavalorinm quod erat in clauslro in locutorio ponitur. (Ibid., p. 101.) En 
1305, Frère Paul Manrius fait la chapelle des Anges. (Ibid., p. 106.) 

En 1315, Frère Bénigne construit la maison où l’on faisait la rnsure, et le dortoir 


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328 


LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


En 1293, au Chapitre de Brescia, il fut réélu Provincial de 
Lombardie 1 . De son administration pendant les trois années qu’il 
occupa cette charge, rien n’a été écrit. On trouve seulement à son 
actif de nouvelles libéralités : un habitant de Venise, dont il était 
le parrain, lui lègue, le 21 mai 1296, vingt sous vénitiens et une 
rente viagère de six sous pour son entretien 2 . Les Frères de Venise 
étaient institués ses légataires universels; mais Frère Nicolas 
devait veiller à ce que les biens légués au couvent ne fussent 
aliénés que pour un but utile. 

C’est dans cette dignité que l’élection des Pères capitulaires 
réunis à Strasbourg, le 12 mai 1296, vint le prendre pour le 
mettre à la tête de l’Ordre 3 . 

Quoiqu’il ne fût pas Maître de Paris, sa réputation de sagesse, 
de bonté et d’habileté dans le maniement des hommes et des 
choses justifiait largement leur choix. 


des hôtes. (Ibid., p. 108.) En 1319, le môme agrandit la sacristie. (Ibid., p. 109.) 

Tous ces détails nous sont fournis par un homme extrêmement rigide , d*une 
sévérité outrée. Frère Galvanus de la Flamma. Il n’a pour ces religieux qui, de leurs 
deniers privés, font ces libéralités au couvent de Milan, aucun mot de blâme. 
C’était donc chose reçue et d’usage ordinaire. 

1 Non 1292, comme le prétend Grandjcan, op. cil., p. 217. Les textes sont for¬ 
mels. 

Galvanus dit : « In MCCXCIIl sub Magistro Stcphano apud Insulas Flandrie fuit 
celebratum LXXII Capitulum Generale. Eodem anno, Capitulum provinciale fuit in 
Brixia, ubi frater Nicholaus Trcvisinus secunda vice fuit factus provincialis... » 

( Chron., p. 101. Ed. Rcichert.) — Taegio : « Hoc anno : (1293)... in capitulo pro- 
vinciali apud Brixiam celebrato clcctus est prior provincialis, F. Nicholaus de 
Trivisio secunda vice qui rexit annis tribus... » ( Cron . F. Bernardi, Chron. «m- 
pliss., I, p. 161. Ms. arch. Ord.) — De môme, le Catalogue Prefectorum Provincial. 
Longobard. ( lib. QQ, p. 571. Ms. arch. Ord.). — De môme Andczeno, Memoriæ his- 
ioricæ Prov. Lombardiæ, Ms. arch. Ord., p. 63 (xvn c siècle) : « 1293, F. Nicholaus 
Boccasinus... secunda vice eligitur Provincialis, Brixiæ. » 

2 Scoti, p. 232-233. 

3 Ce couvent avait été désigné au Chapitre de Montpellier (1294) (cf. Acta Cap., I, 
p. 227) ; sans doute pour parachever, par cet honneur et cette marque de haute sym¬ 
pathie, la réconciliation pacifique des Frères et de la cité alsacienne. Cf. p. 283, note 2. 

Bernard Gui, avant de donner les Actes du Chapitre, présente en ces termes le 
nouvel élu : « In isto generali capitulo fuit electus in magistrum ordinis venera- 
bilis semper et omni laude dignus pater ac verus israelita frater Nycholaus de 
Trivisio Lombardus, virtutum jubar, religionis spéculum, devocionc sanctus, zelo 
fervidus, sapiencia clarus, deo et hominibus graciosus. Luccbat insuper in ipsius 
exteriori homine vencranda humilitas, admiranda sanctitas, in vultu bénignités, 
mira in convcrsacione simplicités et composita maturités in incessu. »» (Acta Cap., 
1, p. 277. — Echard, I, p. 445.) 


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CHAPITRE I 


329 


BIBLIOGRAPHIE 


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Léandre Albert, De viris illustribus Ord. Prædicaiorum. Bologne, 1517. 
Ghirardacci, Istoria di Bologna. 1496. 

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Bologne. 

Campana, Vita delSS . Ponlefice B. Benedetto XL Milan, 1736. 

Antonio Scoti, Memorie del B. Benedetto XI. Trévise, 1737. 

Giorgio Lazari, B. Benedicti papæ undecimi in evangelium B. Malthæi com- 
mentaria necnon cum authoris vita . Venise, 1603. 

Lorenzo Fietta, Niccolo Boccasino di Trevigi e il suo tempo. Padoue, 1871. 
Léon Gautier, Benoît XI. Paris, 1863. 

Charles Grandjean, Benoît XI avant son pontificat. Rome, 1888. 

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F. Ferreton, Compendio délia vita del B. Benedetto XI. Trévise, 1903. 

Et les auteurs traitant de Boniface VIII. 


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CHAPITRE II 


AFFAIRES INTÉRIEURES DE L’ORDRE 


Nicolas Boccasino succédait à un homme dont la main un peu 
rude avait dirigé l’Ordre des Prêcheurs avec une verge de fer. Ce 
n’était point son principe d’action. Nous avons vu que, parmi ses 
éminentes qualités, on s’accordait à louer la douceur de son carac¬ 
tère. Malgré cette tendance débonnaire, qui devait surtout se 
manifester envers les personnes, il tint avec une rare fermeté à ce 
que l'austère discipline de l’Ordre ne reçût aucune atteinte. Il 
donnait, du reste, l’exemple. La Chronique de Borselli dit de lui : 
« Il gouverna l’Ordre deux ans et demi, dans la paix et l’humi¬ 
lité. C’était un homme qui aimait grandement et suivait exacte¬ 
ment la vie commune. Jamais, ni étant Provincial, ni étant Géné¬ 
ral , il ne monta à cheval. Il allait aux Chapitres à pied, un bâton 
à la main. Il mangeait toujours au réfectoire commun, prenant 
garde de n’être à charge à aucun couvent. Ses vêtements étaient 
de laine grossière et âpre; il portait des manches rapiécées avec 
des étoffes différentes 1 . » « Cette pauvreté est notre gloire, disait-il; 
ainsi nous accomplissons la parole de l’Apôtre : Labor exercetur , 
sollicitudo vitatur. Travaillons, mais n’ayons point d’inquiétude 2 . » 
Un supérieur de cette trempe pouvait parler haut à ses religieux, 
tout en leur témoignant individuellement la plus paternelle bien¬ 
veillance. Il présida trois Chapitres 3 , et, selon l’usage, après cha- 


1 « Hic in pacc et humilitatc rcxit ordincm annis duobus cum dimidio, magmis 
amator cl scctator communitatis. Nunquam cquitavit, ncc existons Provincialis, 
ncc Mapister Ordinis, scd ad omnia capitula ibat pedester cum baculo in manu. 
Continue comedebat in refectorio, nulli convcnlui oncrosus fuit. Vestes ^rossas et 
rudes porlavit, manicas lunicæ alio panno rcsarcitas habuit. » (Borselli, Chron. 
Mag. General. Ms. arch. Ord., X, 517. — Cf. Taegrio, Chron. ampliss., II, p. 1.) 

2 Sébastien de Olmedo : « In vcslilu et viclu tam domi quam extra rigorem et 
continentiam ordinis continue servare studuit et cum baculo in manu properabot 
ad capitula dicens : « Quia liæc est ploria noslra, sicquc juxla apostolum : Labor 
« exercetur, sollicitudo vitatur... » (Chron. nova, p. 41. Ms. arch. Ord., XIV-26.) 

3 Strasbourg, en 1296, où il fut élu; Venise, en 1297; Metz, en 1298. (Cf. Acta 
Çap., I, p. 277, 283. 287.ï 


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CHAPITRE II 


331 


cun d’eux, il adressa à l'Ordre une lettre d'exhortation. Dans les 
Actes des Chapitres, comme dans ses encycliques, on trouve la 
même attention à prévenir toutes les défaillances, à châtier toutes 
les transgressions. Il insiste sur la pauvreté, très menacée à cette 
époque 1 ; sur l'étude, dont la négligence peut avoir des effets si 
désastreux dans la vie intime du religieux et dans son influence 
auprès des âmes*; sur l’humilité, qu’il appelle la Maîtresse des 
vertus, Magistra 3 virtutum humiliias, et dont certains Frères, 
enflés de science, oubliaient la pratique; sur la discrétion de la 
langue, inquietum malum et facile lubricum qui, dans les cir¬ 
constances délicates où se trouvait l'Ordre vis-à-vis du Saint- 
Siège, et le Saint-Siège vis-à-vis de l'Église, pouvait devenir, par 
ses intempérances, une source de malheurs irréparables. Ces aver¬ 
tissements graves, le Maître veut qu’ils soient respectés. Que les 
supérieurs emploient d’abord la douceur pour se faire obéir; mais 
si elle est impuissante, ils ne doivent pas hésiter à prendre des 
mesures de rigueur. C’est bien là le principe de gouvernement de 
Nicolas Boccasino : la bonté d’abord, la force, s’il en est besoin. 
Ubi mansuetudo prius attemptata non sufficit, rigoris severitas 
attemptetur 5 . 

On agita de nouveau, dans les Chapitres qu'il présida, l'affaire 
de la division des provinces. Celle de Rome avait été scindée en 
deux parties, à la requête du roi Charles de Sicile, par le Pape 
Célestin V. Le roi y tenait sans doute beaucoup, puisqu’il se hâta 
d'obtenir cette séparation dans les quelques mois de pontificat de 
Pierre de Mouron. Comme il était chez lui et qu'il le tenait sous 
sa protection, il lui fut facile d'aboutir. Au point de vue politique, 
une province, située toute dans le royaume de Sicile, ayant son 
chef distinct, indépendant de la province Romaine, était certaine¬ 
ment plus apte au service royal. D’après la bulle de Célestin V e , 
les Frères eux-mêmes, au moins, à ce qu’il dit, la partie la plus 
saine, avaient instamment sollicité cette faveur. Le Provincial 
devant administrer à la fois tous les couvents de Toscane, des 
États Romains, de Campanie, de Sicile, il arrivait que, dans l’im¬ 
possibilité matérielle où il était de se rendre partout, ses visites 
devenaient de plus en plus rares; il connaissait peu les religieux 

t « Vigeat in vobis paupertatis amor. » ( Litler. fincycl., p. 166. 1296,) — 
« Paupertatis cvangelice amor revirescat in cordibus vestris. » ( Ibid., p. 168. 
1107.) 

* « Sacra lectio de manibus vestris non recédât, sed habcnles solacio sacros libros 
evagandi occasiones prescindilc... » (Ibid., p. 166.) 

3 Ibid., p. 168. 

* Ibid. 

5 Ibid., p. 171. (1298.) 

6 B. Clara Ordinis, l* r septembre 1294. Non insérée ou Bullairc de l'Ordre. (Cf. 
Fontana, De Iiom. Prov. Ord. Præd., p. 5. Rome, 1670.) 


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332 


LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


de Sicile, les laissait à l’écart ; et, comme conséquence, la ferveur 
et le progrès de cette partie de l’Ordre étaient fatalement menacés. 
Ces motifs d’intérieur, joints aux vues politiques du roi, eurent 
plein succès. Tous les couvents soumis au roi de Sicile formèrent 
une province indépendante de celle de Rome. A sa tête, en atten¬ 
dant la réunion d’un Chapitre provincial, Célestin plaça le vicaire 
du Provincial romain 1 2 * 4 , Frère Pierre de Adria. Ce Pontife ayant 
donné sa démission, peu de temps après, ne put achever l’œuvre 
de la division. Un bref de Boniface VIII, daté du 1 er mars 1295, 
l’établit pour toujours*. Les Pères Capitulaires de Strasbourg, en 
1296, ne firent donc qu’accepter le fait accompli et en inscrire 
officiellement le procès-verbal dans les Actes. L’Ordre comptait 
ainsi treize provinces. Celle de Sicile prenait rang immédiatement 
après celle de Rome 3 . 

Pour les mêmes raisons de bonne administration, plusieurs 
autres provinces sollicitaient la division. On s’accordait sur le bien 
fondé de cette réclamation; mais, dans la pratique, il y avait tant 
d’obstacles à vaincre ou à tourner, que, malgré l’insistance des 
intéressés, malgré même les décisions capitulaires prises à deux 
fois 4 , les provinces d’Espagne et de Pologne furent les seules à 
obtenir ce qu’elles demandaient. De l’Espagne, on fit deux parts : 
la Castille, le Léon, la Galice et le Portugal gardèrent le titre et 
le rang de province d’Espagne 5 ; l’Aragon, la Catalogne et la Na¬ 
varre prirent celui de province d’Aragon, et le rang après la pro¬ 
vince de Grèce 6 . La Pologne resta telle pour le royaume même, 
avec son rang après la province d’Allemagne; la Bohême et la 
Moravie formèrent la province de Bohême, placée après celle de 
Terre Sainte 7 . Mais cette division ne fut définitivement établie 
qu’après le Chapitre de 1301, à Cologne. Ce qui portait à quinze 
le nombre des provinces de l’Ordre. Elles se multiplieront de plus 
en plus, tant pour faciliter l’administration des couvents que pour 
satisfaire les exigences nationales dont la tendance devenait plus 
exclusive. Chacun voulait être maître chez soi. Les peuples se divi¬ 
sant et se subdivisant politiquement, il fallait suivre leur marche. 

1 Le Provincial romain était Frère Jean de Polo. (Cf. B. Cum nos .— Fontana, De 
Rom. Prov., p. 8.) 

2 B. Attendentes ab olim. (Ibid., p. 10.) 

2 « Cum dictus sanctissimus Pater (Bonifacius VIII) Romanam provinciam duxe- 
rit dividendam et mandaverit provinciam novam provinciam regni Cicilie nominari 
et eam immédiate ordinari, post Romanam provinciam; volentes ex nunc diclam 
ordinacionem exequi cum efTectu mandamus quod in locis constitucionum nostra- 
rum, videlicet... » ( Acta Cap., I, p. 279. Chap. de Strasbourg.) 

* Acta Cap., I, p. 278, Chap. de Strasbourg, 1296; de Venise, 1297, p. 282. 

8 Ibid., p. 287, Chap. de Metz; p. 295, Chap. de Marseille; p. 301, Chap. de Co¬ 
logne. 

8 Acta Cap., I, p. 287, 295 et 301. 

7 Ibid. 


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CHAPITRE II 


333 


Comme ses prédécesseurs, Maître Nicolas, dans Tintervalle des 
Chapitres, lit la visite de plusieurs provinces. De Strasbourg, où il 
avait été élu, il se rendit, de couvent à couvent, jusqu’à Venise, 
où le Chapitre devait se tenir en 1297. On ne le trouve avec cer¬ 
titude qu’à Milan, au couvent de Saint-Eustorge. Son passage est 
signalé par la Chronique de Borselli. Le Maître y fut extrêmement 
satisfait. Le couvent était nombreux; il comptait cent quarante- 
quatre religieux; et, ce qui dut lui être encore plus agréable, l’ob¬ 
servance y était en grand honneur 1 . Ce n’était pas, du reste, un 
cas isolé. A cette même date, les Frères de Rieti jouissaient d’une 
extraordinaire réputation de sainteté. En 1298, Boniface VIII se 
trouvait à Riéti, lorsqu’un tremblement de terre secoua avec vio¬ 
lence toute la ville et les alentours. C’était le deuxième dimanche 
d’Avent. Epouvanté, le Pape courut en hâte chez les Prêcheurs, 
sûr, disait-il, d’y être à l’abri de tout accident. Il ne se trompait 
point. Autour du couvent, de nombreux édifices tombèrent en 
ruines; le couvent demeura ferme sur ses bases, et le Pape, dont 
la frayeur était reconnaissante, disait à tout venant : « Ces Frères 
sont de si saintes gens, qu’il faut prendre l’un d’eux pour le faire 
cardinal 3 . » 

L'Ordre n’en demandait pas tant; « un grain de mil eût mieux 
fait son afTaire. » J’entends une sécurité plus grande dans son 
ministère apostolique. 

Les adversaires des Frères, séculiers et réguliers, n’avaient 
point déposé les armes. A force de persistance dans l’attaque, ils 
espéraient bien que, tôt ou tard, un Pape viendrait, qui ferait 
droit à leurs réclamations. Dès l’avènement de Boniface VIII, des 
dénonciations bruyantes arrivèrent en Cour de Rome. Les Pères 
du Chapitre de Metz, en 1298, s’en préoccupent. Avertis des ru¬ 
meurs menaçantes qui circulaient contre l'Ordre, ils ripostent en 
attaquant à leur tour. C’est la première fois que cette manière de 
procéder s’accuse. Puisque les adversaires des Frères accumulaient 
en Cour de Rome leurs griefs, il fallait en faire autant. Voici l’or¬ 
donnance : « Des plaintes ayant été portées en Cour de Rome par 
quelques religieux contre les Frères de notre Ordre, nous ordon¬ 
nons aux Prieurs Provinciaux de faire une enquête dans leurs 
provinces sur les torts causés à l’Ordre, par n’importe quels reli¬ 
gieux, dans ses privilèges et ses libertés. Ils examineront conscien¬ 
cieusement les dépositions qui leur seront faites et voudront bien 

1 « Hoc anno convenlus S. Euslor^ii Mediolani visilatus per Magistrum Ordi- 
nis, F. Nicolaum de Trcvisio, est inventas in ma^na observantia et numerus fra- 
Irum erat 14». » (Borselli, Chron. Ms. arch. Ord.) 

Tactfio met celte visite en 1298. alors que Maître Nicolas, devenu cardinal, ren¬ 
trait en Italie. (Cf. Chron., II, p. 1.; 

* Borselli. Chron. ad nnn. fïVti. Ms. arch. Ord. 


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334 


LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


communiquer au Procureur Général tout ce qu’ils jugeront grave 
et certain 1 . » C’est un véritable dossier criminel que l’on entend 
préparer, afin, s’il en était besoin, d’en tirer des documents pour 
se défendre. La tactique était excellente; mais elle indique que 
l’Ordre se lassait de ces attaques et que, à bout de patience, il 
n’hésiterait pas à entrer en lutte. 

Les religieux auxquels fait allusion l’ordonnance du Chapitre 
n’étaient autres que certains Frères Mineurs. 

Il y avait alors dans la famille de saint François une crise redou¬ 
table. La connaître est nécessaire; car, pendant de longues années, 
les Prêcheurs auront à s’en occuper et à en souffrir. 

On se rappelle que les Frères Mineurs, d’abord simples Frères 
de la Pénitence, avaient été divisés en trois parties, par les bons 
offices du cardinal Hugolin. De l’œuvre primitive de François, tin 
peu vague dans sa forme, il avait formé deux Ordres véritables : 
l’un de Frères, l’autre de Sœurs, réunis dans des couvents et y 
vivant sous une règle autorisée par le Saint-Siège. De plus, les 
Frères de la Pénitence, qui étaient restés dans le monde, en dehors 
du cloître, y continuaient, sous une autre règle plus adaptée aux 
conditions de la vie séculière, les pratiques religieuses qu’ils 
avaient reçues du saint Fondateur. Mais cette division ne s’était 
point faite sans souffrances ni sans récriminations. Des discordes, 
des révoltes dont je ne puis donner ici le détail, troublaient, depuis 
lors, la famille franciscaine. On ne s’entendait point sur le sens 
de la règle, cette pratique de la pauvreté que les Mineurs reven¬ 
diquaient comme un patrimoine. Les Zélateurs, c’est-à-dire ceux 
qui avaient vu de mauvais œil la réunion dans des couvents et 
qui préféraient l’ancienne vie dans des huttes ou ermitages sépa¬ 
rés du monde, affichaient une pauvreté excessive. Ils ne voulaient 
à aucun prix accepter des aumônes, qu’ils n’avaient pas quêtées 
de porte en porte, encore moins des donations à titre perpétuel. 
C’était, à leurs yeux, introduire dans l’Ordre des Mineurs la pro¬ 
priété, bouleverser, par conséquent, et détruire par la base l’œuvre 
de saint François. Ce double courant porta, à la tête de l’Ordre, 
des Ministres Généraux tantôt favorables aux Frères conventuels, 
tantôt enclins à suivre la voie plus rude, quoiqu’un peu glissante, 
des Zélateurs. A Frère Elie, le premier Vicaire des Mineurs, homme 
calme et avisé, succède Jean Parent, d’une mystique plus épurée 1 . 


1 Acta Cap., I, p. 290. Chnp. de Metz, 129X. 

1 « Cum autem insurrcxissel multiplex dubitatio circa contenta in recula, Gcnc- 
ralis ipse porlabat re^ulam in mauibus, asscrcns ipsam c lu ram et obscrvabilcm, 
cl ab omnibus ad litteram observaiulam, quod durum nimis quibusdam videbatur. 
Propler quod Papa Gre^orius fccit quamdam déclarâtioncm circa dubia exorla. 
Quod cernens minister Generalis Joannes ri^orcm scilicct aliqualiter remitti, renuu- 
ciavit Gcncralalui... » (Saint Anlonin, Chronicœ, III, p. 773.) 


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CHAPITRE II 


335 


Ce va-et-vient des idées franciscaines n’allait pas sans attirer l’at¬ 
tention des Pontifes romains. Ils ne pouvaient se désintéresser 
d’une question qui, vitale pour l’Ordre lui-même, avait sa réper¬ 
cussion sur l’Eglise entière. 

Ces Zélateurs, aux opinions outrées, recrutés en grand nombre 
dans un milieu populaire peu élevé, peu instruit, souvent laissés 
à eux-mêmes dans leurs ermitages, vivant sans culture intellec¬ 
tuelle, étaient exposés à susciter chez eux et autour d’eux des pas¬ 
sions religieuses d’autant plus difficiles à réprimer qu’elles sem¬ 
blaient avoir leur source dans l’austérité évangélique. Aussi les 
Papes ne les perdaient pas de vue. Ils ne cessent d’expliquer la 
règle de saint François et d’en imposer la pratique selon leurs 
explications 1 * . Non seulement les Mineurs peuvent recevoir des 
aumônes non sollicitées, mais ils ont même le droit d’accepter les 
donations et legs qui leur sont faits, soit entre vifs, soit par tes¬ 
tament. Et en cela ils ne deviennent nullement propriétaires. Les 
biens qui leur sont donnés sont la propriété de l’Eglise romaine 8 ; 
seul l’usage de fait leur en est accordé. Les Mineurs étaient les 
usufruitiers de l’Église. Quelquefois les bienfaiteurs, au lieu de 
donner aux couvents, donnaient à une tierce personne, ou encore 
à une université, à un hôpital, avec cette clause spéciale qu’on 
devait verser aux Mineurs une rente annuelle. De toutes manières, 
la propriété n’existait pas. On vivait d'aumônes manuelles, de 
rentes fixes, sans pouvoir revendiquer sur le fond un droit quel¬ 
conque. 

Les Zélateurs ne l’entendaient pas ainsi. Ils croyaient violer la 
pauvreté en acceptant ces donations 3 * * . Aussi, malgré les déclara¬ 
tions les plus nettes et les plus impératives des Papes, ils oppo¬ 
saient une résistance qui n’était pas sans orgueil. On en pouvait 
prévoir les fâcheuses conséquences. 

Lorsque, sous le pontificat de Grégoire IX, peu de temps après la 
canonisation de François d’Assise, Frère Élie, par ordre du Pape, 
commença la construction de la basilique d’Assise, il y eut, chez les 
Zélateurs, un premier mouvement de rébellion. Ce monument, 
élevé à la mémoire du Pauvre du Christ, que le Pape et le Frère 
Élie voulaient faire magnifique, leur fut un scandale. Il y allait 
de la pauvreté de l’Ordre, de l’honneur même de François. S’at¬ 
taquer à Grégoire IX, le vieil ami de François, leur plus dévoué 

1 Bullar . Francise., p. 68 : Bulle de Grégoire IX, Quo elongasti. 

1 « De rebus omnibus Ordini vestro conccssis vel concedendis... ad sedem apo- 
slolicam speclat proprietas. » (Ibid. : Bulle d’innocent IV, Quanto sludiosius, 1.(1247.) 
— Du même : B. Ordinem vestrum, I, p. 400.) 

3 Bulle d’Alexandre IV, Cum nos dileclis, II, p. 47. — Dans Wadding, Annal. 

Minorum, il y a la Declaratio super Regulam Fratrum Minorum, du même Pontife, 

ad annum 1257. 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


protecteur, était assez difficile : n’avait-il pas posé la première 
pierre de ses propres mains 1 ? Il y avait à craindre, du reste, 
qu’une tentative directe contre l’autorité du Saint-Siège eût des 
résultats pénibles. Frère Élie fut le bouc émissaire des Zélateurs. 
Chargé par Grégoire IX de la direction des travaux à Assise, il 
s’en acquitta en homme qui voulait répondre amplement aux désirs 
du Pape, en construisant une basilique monumentale. Grégoire 
avait engagé par une bulle les fidèles du monde entier à coopérer 
à cette œuvre par leurs aumônes*. Les pèlerins affluaient au tom¬ 
beau de François. Pour les inviter à être généreux, Frère Élie fit 
placer en avant des constructions une urne en marbre, où ils pou¬ 
vaient déposer leurs offrandes. Les Zélateurs crièrent au scandale. 
Frère Léon, ancien compagnon de saint François, s’en fut à Pé¬ 
rouse, raconte saint Antonin, consulter Frère Gilles. Les Frères 
du couvent l’entouraient, anxieux. Est-il permis, demandaient-ils, 
de garder cette urne? Et Frère Gilles, les larmes aux yeux, répon¬ 
dit : « Si quelqu’un de vous est vraiment mort au monde, qu’il 
aille la briser; mais, s’il vit encore, qu’il s’en garde bien, car il 
aurait à pâtir durement de la colère de Frère Élie. » Frère Léon 
comprit. De retour à Assise, il brisa l’urne scandaleuse. Mal lui 
en prit. Indigné de cette ferveur indiscrète, Frère Élie lui fit donner 
une sérieuse bastonnade et le chassa d’Assise 3 . 

Il y avait donc à cette époque, parmi les Zélateurs, des hommes 
très vertueux, d’anciens compagnons de la vie héroïque de Fran¬ 
çois, dont tout le tort était de ne pas vouloir accepter la ligne de 
conduite très sage que l’Église leur imposait. Au lieu de faire de 
la pauvreté évangélique un moyen pour atteindre la perfection, 
ils proclamaient que la pauvreté est la perfection elle-même. Ils 
eurent vite fait de trouver que les interprétations de la règle, don¬ 
nées par les Papes, étaient contraires à l’Évangile; qu’il était impos¬ 
sible, par là même, de s’y soumettre. Une fois sur ce terrain glis¬ 
sant, les Zélateurs ne purent plus s’arrêter. Grégoire X ayant déclaré, 
sur les instances de saint Bonaventure, en plein concile de Lyon, 
que les Mineurs pouvaient, en toute sûreté de conscience, avoir 
quelque chose en propre : Fratres tutà conscientiâ aliquid proprii 
habere posse, il y eut un tollé universel parmi les Zélateurs. 
Ceux de la Marche d’Ancône, en particulier, Pierre de Macerata 
et Pierre de Fossombrone à leur tête, décidèrent que « la sentence 
du Pape était dangereuse, contraire à la règle, et conduisait tout 
droit à l’apostasie 4 ». C’était nier au Pape l’autorité sur l’Ordre; 

1 B. Recolentes qunhler, Ricti, 21 avril 1228, citée par Palomes, Des Frères 
Mineurs et de leurs dénominations, p. 71. Palerme, 1901. 

1 B. Recolentes qualiter. (Ibid.) 

* Saint Antonin, Chronicæ, III, p. 756. 

* Rodulplic, Historia Seraphica, p. 180. 


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CHAPITRE II 


337 


nier également son droit absolu à l'interprétation de l’Évangile, 
base de son affirmation. C’est ainsi que des religieux, d'ailleurs 
fervents à l’origine, mais entêtés dans leurs idées mystiques, en 
arrivèrent rapidement aux extravagances de doctrine les plus ab¬ 
surdes et aux déchéances morales les plus perverses. A les entendre, 
le sacerdoce n’existait pas; hommes et femmes pouvaient se con¬ 
fesser entre eux et se donner le Saint-Esprit; le travail manuel 
était interdit; pour être agréable à Dieu, dans sa prière, il fallait 
se dépouiller de tout, même de ses vêtements. Ce qu’ils disaient, 
ils le pratiquaient dans leurs assemblées, où leur état de parfaite 
nudité symbolisait leur état de parfait détachement 1 . 

Les Inquisiteurs ne pouvaient rester indifférents en face de telles 
impudences. Leur zèle s’allumait à moins. On fit la chasse aux 
Fratricelles, comme on les appelait, partout où ils enseignaient 
leurs erreurs. Eux et leurs amis eurent k souffrir toutes les ava¬ 
nies et toutes les corrections que méritaient leurs idées et leurs 
mœurs. Ce ne fut point sans violentes protestations de leur part. 
Les Inquisiteurs du Languedoc, en particulier, rencontrèrent k 
Béziers, k Carcassonne, un peu partout, des oppositions très vives. 
A Béziers surtout, où était né et où avait habité Pierre Jean 
d’Olive *, le docteur des Fratricelles, il fallut toute l’autorité du 
Saint-Siège pour assurer leur sécurité. Encore, nous le verrons 
bientôt, ne réussit-elle pas longtemps. Pourchassés de toutes parts, 
les Fratricelles 3 et leurs amis ne se faisaient pas faute de répandre 
sur leurs adversaires, les Prêcheurs, dont le zèle ne leur laissait 


1 Cantu, Gli Eretici d’italia , I. Turin, 1865. — ltcrnino , Historia (lelle Ileresie, 
scc. XIII, ni. 

2 Pierre Jean cTOlivc naquit à Sérignan et prit l'habit des Mineurs dans le cou¬ 
vent de Béziers en 1250. C'était un esprit délié. Il composa divers travaux sur la 
théologie et la règle de saint François, dont il outrait le sens et la pratique. Ses 
ouvrages furent condamnés par cinq docteurs et deux bacheliers de son Ordre, 
en 1282. Malgré cela , grûcc à son habileté , il put continuer son enseignement 
parmi les Zélateurs, dont il devint le chef. Ses disciples se multiplièrent dans les 
villes du Languedoc. 11 mourut en 1297, réconcilié avec l’Eglise. La secte ne mou¬ 
rut pas avec lui et se propagea dans tout l’Ordre des Mineurs. Ses livres sont : 
les Quodlibela , édités à Séville sans date, à Venise en 1509; 1 Expositio in régu¬ 
lant S. Francisci, Venise, 1513, dans le Firmamento trium ordinum. Ses erreurs se 
trouvent indiquées dans Plessis d’Argentré , Collectio judiciorum, I, part, i, 

p. 226. 

Sur ce personnage et les Fratricelles, cf. AVadding, Annales Minorum .— Du Bou- 
lay, Historia (Jniversit. Paris. III. — Dauuou, article dans l'Histoire littéraire de la 
France,XXI. — Limhovch,ActaInquisitionisTholosanæ .—Saint Antonin,C/ironicæ,IlI. 

— Schmidt, dans Real Encyklopædie fiîr prolestantische Théologie und Kirche, IV. 

— A. Mobilier, Histoire générale du Languedoc , II. — Feret, la Faculté de Théologie 
de Paris, II. — Palomcs, Des Frères Mineurs et de leurs dénominations, Palcrme, 1901. 

— Cantü, Gli Eretici dTtalia, I. — llernino, Historia delle Heresie, III. 

3 La Chronique de Colmar signale, en l'année 1295, la sortie de l’Ordre des 
Mineurs de cinquante Frères âgés et Lecteurs : « Quinquaginta Fratres ordinis 
Minorum scncs alquc Lcclores de Ordine pariter recesserunt, diccntes fratres 
Minores de ordine S. Francisci simplicitcr reccssisso. » (Les Annales et la Chro¬ 
nique de* Dominicains de Colmar . p. 166. Ed. Ch. Gérard. Colmar, 1854.) 

Il - 22 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


aucun repos, les plus odieuses calomnies à la Cour de France, 
comme à celle de Rome. C’est à ces bruits révoltants que fait allu¬ 
sion l’ordonnance du Chapitre citée plus haut. Il y allait, en effet, 
non seulement de l’honneur de l’Ordre, mais même de son minis¬ 
tère dans l’Eglise. 

Les Fratricelles tombaient très mal. Boniface VIII ne ménageait 
point à l’Ordre de Saint-Dominique ses témoignages de sympathie 
et d’estime. Le 12 mai 1296, une bulle renouvelle le privilège 
général d’exemption déjà accordé, dans cette forme, par Nicolas IV. 
En voici le début, qui est une déclaration très nette des sentiments 
de Boniface VIII : « Parmi tous les Ordres que le céleste Agri¬ 
culteur a, dans sa bonté, fait croître dans le jardin de l’Église, 
nous avons toujours aimé le vôtre 1 2 d’un amour très sincère, alors 
que nous étions dans une situation inférieure, et nous n’avons rien 
omis de ce que nous pouvions faire pour favoriser son développe¬ 
ment. La suprême dignité apostolique, à laquelle nous avons été 
élevé, loin de diminuer cette affection, l’a plutôt augmentée. Aussi 
sommes-nous d’autant plus disposé à être utile à votre Ordre, que, 
grâce à notre charge, nous le pouvons plus efficacement 4 . » 

En effet, un mois après, Boniface VIII, reprenant un à un tous 
les privilèges accordés à l’Ordre par ses prédécesseurs, les faisait 
siens et leur donnait une nouvelle vigueur 3 . C’était une réponse 
aux calomnies des Fratricelles et aux criailleries sans cesse renou¬ 
velées du clergé séculier. L’Ordre se trouvait en sûreté, pour le 
moment, sous la chape pontificale. 

Son développement monumental ou lapidaire, si je puis parler 
ainsi, prenait alors l’essor le plus magnifique. C’était l’heure où, 
soutenus par les largesses des princes et des peuples, enthou¬ 
siasmés par leur foi, les Frères élevaient à la gloire de Dieu les 
splendides églises qui symbolisaient également leur prodigieuse 
influence. Sous cette poussée artistique, dont le courant devenait 
irrésistible, Maître Nicolas jugea bon de modifier dans les Consti¬ 
tutions un article qui n’était plus en rapport avec le mouvement 
créé dans l’Ordre et autour de l’Ordre par les architectes les plus 
fameux. Sans toucher à la loi qui exigeait, selon le vœu le plus 
cher à saint Dominique, des maisons humbles et médiocres, on 
supprima, au Chapitre de Venise, en 1297, les détails qui impo¬ 
saient certaines dimensions pour les édifices; qui interdisaient les 
voûtes dans les églises et les autres lieux réguliers, sauf le chœur 
et la sacristie 4 . Cette suppression fut approuvée par les deux Cha- 


1 C’est au Général et à l'Ordre entier qu’il s’adresse. 

2 B. Inter celeros. (Bull. Ord., II, p. 17.) 

2 B. Virtute conapicuos ou Mare magnum. (Bull. Ord., II, p. 48, 19 juin 1896.) 

4 Acla Cap., I, p. 283. 


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CHAPITRE II 


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pitres suivants, de Metz, en 1298*, et de Marseille, en 4300*. 
Depuis longtemps déjà les artistes de l'Ordre avaient négligé, 
dans leurs plans, ces restrictions primitives. A quoi bon laisser 
en théorie une digue que le flot avait couverte pour toujours? L'élan 
vers les grandes constructions religieuses n’en fut que plus 
magnifique 3 . 

En Italie, deux Frères convers, Fra Sisto etFra Ristoro, avaient 
jeté, à Florence, en 4279 4 , les fondements de Santa Maria Novella. 
Cette fondation est liée à une de ces pacifications politiques dont 
les Frères étaient, par toute l’Italie, les ardents et infatigables 
promoteurs. Florence, comme la plupart des villes italiennes, était 
divisée en factions guelfe et gibeline. Les émeutes, les insolences 
contre l'autorité du Saint-Siège, les assassinats s'y multipliaient 
de jour en jour. Nicolas III enjoignit à son neveu, le cardinal 
Latino Malabranca 5 , personnage qui nous est connu, de se rendre 
à Florence, en qualité de légat, pour tâcher de réconcilier les 
partis. Déjà, Frère Latino avait calmé les dissensions de Bologne 
et des Romagnes. Il se rendit donc à Florence avec une troupe de 
trois cents cavaliers. On était au 8 octobre 4279. Peuple et clergé, 
amis et ennemis le reçurent avec de grandes démonstrations de 
respect et de joie. Le municipe envoya même à sa rencontre le 
caroccio de la cité. Tout s’annonçait bien. Le jour de saint Luc, 
48 octobre, Frère Latino, prenant occasion de la bénédiction de 
la première pierre de Santa Maria Novella, convoqua le peuple, 
et ses paroles furent si éloquentes, que Guelfes et Gibelins se don¬ 
nèrent le baiser de paix. La construction de l’église dominicaine 

! Acta Cap., p. 287. 

* Ibid., p. 294. 

3 Maître Nicolas était favorable aux artistes. Étant de passade à Milan, il écouta 
avec bienveillance les projets des religieux du couvent de Saint - Eustorge. Ils 
voulaient élever à la mémoire de saint Pierre martyr un monument digne de lui 
et en rapport avec la dévotion toujours croissante des fidèles. Le culte du saint 
martyr, très populaire à Milan, s’était répandu dans tous les peuples catholiques. 
L’urne qui contenait ses restes paraissait è tous insuffisante. Au Chapitre de Venise, 
en 1297 , Maître Nicolas recommanda è l’Ordre entier le projet somptueux des 
Frères de Milan. Voici le texte des Actes : « Cum fratres nostri Mcdiolanenses pic 
ne fervenler desiderint quod corpus gloriosum bcali Pétri Martyris, apud eos 
humilius debito repositum ad ejusdem sancti gloriam et ad dcvocioncm fidelium 
excitandam honorabilius et decencius reeondatur ob qiiam causam disposuerunt 
sumptuosum opus ad hoc ydoncum consirucre quantocius habueriut facultatem, 
mandamus et imponimus prioribus et fratribus universis , quod suos familiares et 
alias personas sibi notas efficaciter moneant et inducant, ut ope ri sic necessario et 
meritorio manus porrigant adjutriccs. » (Acta Cap., I, p. 280.} 

Devenu cardinal et passant par Trévisc, au retour de sa légation en Hongrie, il 
donna vingt-cinq mille florins d'or à la commune pour construire l’église des Prê¬ 
cheurs, ce splendide monument de Saint-Nicolas de Trévisc. (Cf. Scoti, op. vit., 
p. 70 et 199.) 

* Cf. Marchese, Memorie..., p. 37. 

5 Tous ces détails sont rapportés par Villani, Chroniques, liv. VII, ch. vi. (Cf. 
Niccolo Machiavelli, Storie Florentine, lib. II.) 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


devenait ainsi, pour les Florentins, le témoin et le symbole de 
leur réconciliation. C’est parmi les pierres, les poutres, les maté¬ 
riaux de toute sorte qui encombraient la place de Santa Maria 
Novella que, peu de jours après, cette réconciliation fut de nouveau 
confirmée. L’allégresse était universelle. Aussi tous les citoyens, 
qui par ses aumônes, qui par ses bras, voulurent concourir à la 
construction de l’église 1 * . 

Elle est une œuvre exclusivement dominicaine. Fra Sisto et Fra 
Ristoro en conçurent le plan, en tracèrent les lignes, en posèrent 
les fondations. Tel ils en fixèrent le dessin, tel le réalisèrent Fra 
Pasquale dell’ Ancina, qui dirigea les travaux dès leur départ pour 
Rome, jusqu’en 1284; Fra Rainerio Gualterotti, qui lui succéda 
jusqu’en 1317, et Fra Jacopo Passavanti, qui eut le bonheur de la 
contempler dans toute sa beauté-, Santa Maria Novella est donc 
de pure race dominicaine; nul architecte séculier n’a touché ses 
pierres. Toute une noble lignée d'artistes, sortie de l'Ordre des 
Prêcheurs, l'a conçue, bercée, fait croître et grandir jusqu’à sa pleine 
maturité. Elle est leur fille. C’est là, sous ses voûtes fuvantes 
vers le ciel, dans l’ampleur de ses nefs où rien ne distrait le regard 
par un éclat d’emprunt, où rien ne choque par une richesse d'orne¬ 
ments inutiles, qu’on peut apprécier en toute son austère et majes¬ 
tueuse simplicité l’idée architecturale de l’Ordre des Prêcheurs 3 . 

A la même époque, emportés dans les hauteurs par le même 
souffle de sublime inspiration, d’autres Prêcheurs élevaient en 
Italie et dans les provinces au delà des monts des monuments 
qui, pour être inférieurs parfois à la Sposa, n’en accusaient pas 
moins un effort prodigieux de génie et d’activité. Je ne puis les 
citer; autant vaudrait faire l’histoire de chaque couvent. Mais que 
l’on parcoure les Memorie du Père Marchese, les reproductions 
originales des églises dominicaines françaises de M. llohault de 
Fleury, les ouvrages du Père Jonghe sur les Flandres, de Fontana 
sur la province Romaine, du Père Chapotin sur la province de 


1 Dans la suite, les dons de la République, des évêques dominicains sortis du 
couvent de Santa Maria Novella. de toutes les familles amies de l’Ordre, conti¬ 
nuèrent d'affluer. Frère Rcmi de Florence l'Ancien . dont l’éloquence était partout 
victorieuse, recommandait, en 1293, aux nouveaux Prieurs et aux gonfalonnicrs de 
la justice, les besoins de l'église. Un décret daté du 23 septembre 1293 dit : «« Eccle- 
siæ S. M. Novellæ conslructione et edificaciouc lib. 1200 f. p. (floren. parvorum) 
pcrsolvendæ in quatuor terminis pro anno futuro initiando in kalendariis januari 
proxime venturi. » 

En 1297, le 6 juin, autre décret : « Pro ecclesia S. M. Novellæ quæ de novo ref- 
ficitur et rehedilicatur lib. 1200 f. p. in terminio unius anni. » (Marchese, Memorie 
dei piu insiyni pittori, scultori e architelli dominicani , p. 53. Florence, 1815.) 

1 Elle fut terminée en 1357. 

3 Au xv® siècle, on fit un livre intitulé : De Pulchriludine Snnclæ Mariie ISorellse. 
Il est cité par Savonarolc, d'après Burlamachi, Vita di Fra (iirolano Savonarola, 
p. 70. Lucqucs. 1761. 


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CHAPITRE II 


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France, les innombrables monographies de couvents, déposées 
aux archives de l'Ordre, et Ton sera stupéfait de l'intensité de vie 
artistique dont les couvents dominicains étaient le perpétuel foyer. 

Je ne puis cependant passer sous silence une fondation chère à 
tout cœur dominicain. 

L'an 1279, Charles II d’Anjou, depuis roi de Sicile, mais alors 
comte de Provence, ému du désir de retrouver les restes mortels 
de sainte Marie Madeleine, fit exécuter des fouilles dans l’église 
de la bourgade de Saint-Maximin, où, d’après la tradition, on 
croyait qu’ils reposaient. Le succès fut complet; on retrouva le 
corps de sainte Marie Madeleine 1 . 

Heureux de cette invention, Charles d’Anjou convoqua les 
évêques d’alentour, le clergé, les religieux, les nobles et le peuple 
pour le 5 mai. On était en 1280, sous le pontificat de Nico¬ 
las III. Devant la foule accourue de toutes parts, il plaça le corps 
de la sainte, sauf la tête, dans une châsse précieuse en or, argent 
et pierreries. La tète fut renfermée, en 1283, dans un reliquaire 
d’or massif. Plus tard, alors qu’il était roi de Sicile, en 1293, il 
fonda en ce lieu, pour desservir l'église où reposaient ces restes 
vénérés, un couvent de Prêcheurs. Telle est l’origine du couvent 
royal de Saint-Maximin*. L’église, — comme les autres lieux 


1 Cf. Faillon. Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie Madeleine en 
Provence. Ed. Migne. — Rostan, Monographie du couvent des Dominicains de 
Saint-Maximin, 1273. 

2 Nous avons sur le couvent de Saint-Maximin , ses religieux et scs usages, des 
détails très précis. Le couvent, du reste, existe encore en grande partie; l’église 
et le cloître sont encore debout. Voici en quel état les trouva, en 1578 , le 
Père Séraphin ltazzi, qui lui-meme a visité les lieux consacrés par sainte Marie 
Madeleine. 

« Dans cette terre de Saint-Maximin, écrit-il, on compte trois cents feux. Il n’y 
a aucun prêtre ou religieux autre que les Dominicains. Ils baptisent, confessent, 
disent les messes. (En etTet, Boniface VIII leur avait donné toute juridiction sur 
la ville et ses habitants : B. Oh excellentiam , 7 avril 1295. Bull. Ord., II, p. 42.) 
Quarante religieux habitaient le couvent, — qui pouvait en contenir un bien plus 
grand nombre. — Le cloître est magnifique, voûté, vraiment royal. Le Chapitre 
est en rapport. Le réfectoire a sept travées. L’hospice, où sont reçus les étrangers, 
est vaste, avec une grande cuisine très commode, au milieu, et une cave propor¬ 
tionnée. Il y a deux dortoirs placés sur deux ailes du cloître: près de l’église, de 
grandes chambres qui servaient autrefois aux étrangers. En dehors du cloître, il y 
a un vaste jardin. L’église a trois nefs voûtées, avec neuf travées. L’abside, où est 
le maître-autel, est en pierre, comme les voûtes; sa longueur est de cent pas, 
— les miens, — et sa largeur de quarante. Autour de l'église, il y a neuf cha¬ 
pelles, une par travée. Dans la quatrième, A peu près au milieu de l'église, se 
trouvent les reliques principales. Le chœur est ouvert à l’ancien genre, c’est-à-dire 
devant l’autel; il y a près de cent stalles. Sur le dossier de chacune d’elles, il y a 
une peinture représentant un saint. L’orgue est sur la gauche du chœur. La sacris¬ 
tie est vaste et magnifique comme l’église. A l’autel majeur, au-dessus d'un bas- 
relief de sainte Madeleine , il y a une châsse fermée de plusieurs clefs qui sont, 
dit-on, chez le roi de France. Au dedans est le corps de sainte Madeleine, sauf la 
tète et un bras. La tète est enfermée sous triple serrure dans un chef d'or. On la 
voit très blanche sous un cristal, et l’on distingue très bien la parcelle de chair 
que toucha Notre-Seigneur dans le jardin, quand il apparut à sainte Madeleine 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


réguliers, — fut bâtie avec magnificence aux frais du roi et 
de ses successeurs. C'est là que les amis de Jésus, Madeleine, 
Maximin, Sidoine, Marcelle, attendent la résurrection glo¬ 
rieuse l . 

Gardiens du tombeau de Marie Madeleine, les Prêcheurs devin¬ 
rent en même temps les gardiens du lieu consacré par sa longue 
et mystérieuse pénitence. 

« Quand on sort de Marseille en se dirigeant vers les Alpes, on 
entre dans une vallée qui longe la mer sans la voir, parce que de 
hautes montagnes lui en cachent les flots; une autre chaîne se 
dresse à l’opposite de celle-là, et, contenue entre ces deux mu¬ 
railles, la vallée court vers un amphithéâtre abrupt qui semble lui 
fermer le chemin pendant qu'une rivière bordée d’arbres glisse 
sans efforts dans de longues prairies et arrose de sa fécondité mille 
habitations. Son nom est obscur comme ses eaux. Elle guide en 
quelque sorte le voyageur, et, après s’être épanouie dans une cam¬ 
pagne plus vaste, arrêtée par les monts, elle tourne tout à coup 
vers la gauche, s’enfonce dans des gorges resserrées, devient un 
torrent, et, s'élevant entre un dédale de cimes boisées et de som¬ 
mets dénudés, elle trouve enfin sa source près d’un plateau pai- 


aprcs sa résurrection et lui dit : Noli me tangere! Je l'ai vue plusieurs fois de mes 
yeux en 1578. J’ai mis au cou de la sainte un riche Agnns Dei que m’avait donné 
la Mère Théodosic Orsini, religieuse du monastère des Dominicaines d’Orvieto. 
A côté de la tète, on montre une ampoule de cristal pleine de la terre baignée du 
précieux sang du Seigneur sur sa croix, et emportée par Madeleine. On dit que 
tous les ans, le vendredi saint, quand on lit la Passion selon saint Jean, celte 
terre s’agite comme si elle bouillonnait. Ces deux reliques restent toujours unies 
et ne sont jamais portées hors de leurs chapelles. Il y a aussi, dans un bras d'ar¬ 
gent, un bras de sainte Madeleine. C'est lui qu’on porte dans les processions solen¬ 
nelles, sous un baldaquin entouré de jeunes gens de la ville, en armes. 

« Comme autres reliques : des cheveux de sainte Madeleine dans une ampoule de 
cristal; deux corps des saints Innocents; la tète de saint Sidoine, l’avcuglc-né de 
l’Evangile ; la tète de sainte Susanne, cette femme qui, atteinte d’un flux de sang, 
fut guérie en touchant le manteau de Jésus; la tête de sainte Marcelle, la servante 
de sainte Marthe; les corps de deux disciples de saint Maximin : Biaise et Sifroi; 
et enfin le corps de saint Maximin, premier évêque d'Aix , dans une chûsse très 
riche. » 

Tous ces personnages vinrent de Judée avec sainte Madeleine. 

Les monuments décrits, comme il les a vus, par Séraphin Razzi, sont tous de la 
fondation royale de Charles II de Sicile. 

Les Dominicains, à la suite du Père Lacordairc, ont repris possession d’une par¬ 
tie de leur ancien couvent, sauf l’église qui est devenue paroissiale. 

A l’heure où j'écris, de nouveaux persécuteurs menacent de les en chasser une 
deuxième fois. Que Madeleine se souvienne de l’antienne que nos Pères chantaient 
chaque soir en son honneur, après le Sa/re Regina : Intercède supplicans assidue 
pro nobis Jesu Domino Maria Magdatena ! (Cf. Scraphino Razzi, Vita e Laudi di 
Santa Maria Maddalena... Orvicto, 1859. Il y eut une première édition en 1587, à 
Florence; une deuxième à Naples, en 1733.) 

1 Bernard Gui, Fundacio conventus sancli Maximini , cité par Douais. (Acta Capi¬ 
tula Prov., p. 398.) — Bulles de Boniface VIII au Bull . Ord. f II, p. il, 42, 44. — 
L’abbé Albanès, le Couvent royal de Saint-Maximin. Marseille, 1880. — Les Actes 
des Chapitres généraux ne font pas mention de l’acceptation de ce couvent. 


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CHAPITRE II 


343 


sible, couronné d’un immense et solitaire rocher 1 ... Au centre 
de ces roches hautes et alignées, qui ressemblent à un rideau 
de pierre, l’œil découvre une habitation qui y est comme sus¬ 
pendue, et à ses pieds une forêt dont la nouveauté le saisit*... » 
C’est la Sainte-Baume. 

« La Sainte-Baume a été le Thabor de sainte Marie Madeleine. 
Plus heureuse que saint Pierre, qui disait au Seigneur, le jour de sa 
transfiguration : « Il nous est bon d’être ici, faisons-y trois tentes, » 
Madeleine a eu cette tente refusée au Prince des apôtres. Elle y a 
vécu solitaire, entre les pénitences de la grotte et les ravissements 
de la hauteur. Rien n’est changé là, non plus qu’au Thabor. La 
foi, respectueuse adoratrice de tous les grands souvenirs, habite 
encore les deux montagnes, et, de leur faîte immaculé, elle regarde 
en haut le Dieu qui les visita. 

« Trente ans, Dieu donna ce spectacle à ses anges pour en laisser 
le souvenir à tous les siècles. Trente ans, Marie Madeleine passa 
de la pénitence à la gloire et de la gloire à la pénitence, réunis¬ 
sant dans cette alternative la double vie qu’elle avait eue, celle de 
pécheresse et celle d’amie de Jésus. Au fond de sa grotte, derrière 
une grille vénérée, s’élève un roc où la tradition rapporte qu’elle 
priait, et qui seul, dans ce lieu partout humide, conserve une 
pieuse et incorruptible sécheresse. Au dehors, sur la saillie abrupte 
et la plus haute de la montagne, mais un peu à gauche de la 
grotte, est le point marqué par la tradition comme celui où Made¬ 
leine était enlevée chaque jour. Une chapelle appelée le Saint- 
Pilon en consacre le sol et y attire la vénération des pèlerins 3 . » 

Ce lieu vénérable entre tous fut confié également par Boni- 
face VIII, sur les instances de Charles II de Sicile, aux soins 
pieux des Prêcheurs 4 . En témoignage de reconnaissance pour le 
don qui était fait gracieusement à l’Ordre, le Pape accordait au 
roi le droit de patronage. Aucun Prieur ne pouvait être légitime 
qu’après que l’élu, librement choisi par les religieux, avait été 
agréé par le roi. On ne pouvait non plus l’absoudre de sa charge, 
sans son autorisation 5 . Le premier titulaire, présenté par Charles II 
et installé d’office par Boniface VIII, fut Frère Guillaume de Ton- 
neins 6 . C’était un vétéran du priorat. On le trouve, en effet, troi¬ 
sième Prieur d’Orthez, en 4257 7 ; sixième Prieur d’Agen, où il 


1 P£rc Lqcordairc, Sainte Marie Madeleine, p. 10-11. Paris, 1889. 

2 Ibid., p. 13. 

2 Ibid., p. 181-185. 

4 Bull Ord., II, p. U. B . Desideriis luis, 7 avril 1295. B. Oh excellentiam, p. Î2 
B. Cnm Ecclesiam, p. 14. 

5 Ibid. 

0 Ibid. 

7 Ecliard. I, p. 163, 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


était né et dont il était fils, en 1273; treizième Prieur de Bordeaux, 
en 1275; puis de nouveau à Agen, enfin à Marseille, en 1284. 11 
fut un des électeurs de Munio de Zamora au Chapitre de Bologne, 
en 4285 ! . Au dire de Bernard Gui, Frère Guillaume de Tonneins 
avait reçu de Dieu le don d'une éloquence persuasive et de rares 
qualités*. A peine institué Prieur de Saint-Maximin, pendant qu’il 
était encore à la Cour romaine où il avait dû se présenter, il fut 
cassé par le Pape. La raison est inconnue. Peut-être fut-ce à cause 
de son grand âge; car quatre ans après il mourait au couvent de 
Marseille, très âgé, dit Bernard Gui, et en pleine décrépitude 3 . 

Les Prêcheurs furent émus de la garde qui leur était confiée. 
Il leur sembla que la Providence avait choisi leur Ordre pour ce 
ministère, dans un dessein tout particulier. C’est avec humilité et 
joie profonde qu'ils reçurent, comme des mains de Jésus lui-même, 
le corps de Madeleine, cette femme qui avait arrosé de ses larmes 
ses pieds sacrés et fait tomber de ses lèvres le pardon qui a ramené 
vers lui tant de cœurs égarés. Madeleine et l’Ordre des Prêcheurs 
n’ont-ils pas entre eux de secrètes affinités? N’est-ce pas elle qui, 
pleurant son Maître bien-aimé et ne pouvant se résoudre à le 
croire disparu, avait mérité de le voir de ses yeux, d’entendre sa 
voix, de recevoir sur son front la caresse de sa main, et, radieuse 
de foi et d’amour, d’annoncer la première la résurrection du Sei¬ 
gneur? Aussi l’Église, dont le sens divin ne se trompe jamais, 
l’appelle Apostolorum Apostola. C’est le lien d’âme avec les Prê¬ 
cheurs, eux qui, les premiers aussi, créèrent dans l’Église l’apos¬ 
tolat universel. Et de plus, à qui s’adresse surtout cet apostolat 
des Prêcheurs? n’est-ce pas aux âmes que l’erreur a voilées de 
son ombre, que le vice a ternies de son souffle? Toutes ces plaies 
vives de l esprit et du cœur, ils doivent les panser de leurs mains. 
Qui, mieux que Madeleine, donnera à ces mains réparatrices le 
toucher délicat qui guérit sans froisser, qui relève sans humilier? 

Dès les premiers jours, les Prêcheurs comprirent la portée divine 
de leur nouvelle mission. Ils se précipitèrent vers la Sainte-Baume 
avec un élan de dévotion qu’il fallut modérer. Nous lisons dans 
les Actes du Chapitre provincial de Tarascon, en 1297, cette 
admonition significative : « Nous voulons et nous ordonnons qu’on 

1 « Electores Magistri Ordinis, (rater W. de Tonenes, prior Massiliensis et fra- 
ler Jo. Vigorosi inquisitor heretice pravitatis. »> ( Douais , Acta Capitul. Prov., 
p. 289.) 

2 Echard, I, p. -463. 

3 « Hic senex et debilis et decrepitæ jam ætatis obiit anno MCCXCIX in convcntu 
Massiliensi ubi lector et prior fuerat ante. » (Echard, I, p. 463.) 

Gf. Albanès, op. cil., p. 53. Cet auteur dit qu'il donna sa démission. Mais Ber¬ 
nard Gui s’exprime ainsi : « Antequam recederet de Homana Curia fuit absolutus 
et alius subslitutus. » Ces termes ne font aucune allusion A une démission volon¬ 
taire. (Echard. I, p. 463.) 


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CHAPITRE II 


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n'accorde à aucun Frère de se rendre à Saint-Maximin et à la Sainte- 
Baume, pour simple raison de pèlerinage, sans un motif sérieux 
et sans l'avis des anciens. Ceux qui auront la permission ne 
devront pas rester plus d’une nuit à Saint-Maximin et n’iront à la 
Sainte-Baume que si le Prieur de Saint-Maximin, ou son vicaire, 
le leur permet. Ils n'y passeront jamais la nuit 1 . » 

Cette défense suppose un courant de piété qu’il fallait endiguer, 
pour éviter des encombrements fâcheux et des voyages trop 
fréquents. 

Mais les Prêcheurs, qu’attirait invinciblement le souvenir de 
Madeleine, lui témoignèrent leur affectueuse reconnaissance d’une 
manière plus glorieuse. Non contents de veiller sur ses restes 
sacrés, avec un amour de plus en plus ardent et de plus en plus 
universel, ils la proclamèrent par acclamation la patronne de 
l'Ordre 2 . C’est à elle qu’ils confièrent ses destinées; c’est entre 
ses mains bénies, qui avaient touché le Christ, qu’ils déposèrent 
leurs angoisses et leurs espérances. A la date du 22 juillet, on 
peut lire dans le calendrier liturgique de l'Ordre ces mots, dont 
les événements que je viens de raconter donnent l’explication : 
Sanctæ Mariæ Magdalenæ Protectricis Ordinis nostri. 

Le corps de Madeleine est sous la garde des Prêcheurs ; l’Ordre 
des Prêcheurs, sous la garde de Madeleine. 

Je sais bien que le premier hypercritique vertu va sourire de 
ma naïve crédulité. Est-elle aussi naïve qu'elle en a l'air? Cette 
mission de Marie Madèleine, de Marthe, de Lazare, de tous ces 
amis de Jésus, en Provence, pure légende que tout cela ! Ce n’est 
pas ici le lieu de traiter cette question. On peut cependant ad¬ 
mettre, jusqu’à preuve du contraire, mais preuve réelle, positive, 
que l'apostolat des amis de Jésus, en Provence, est un fait suffi¬ 
samment prouvé. Et malgré les sourires incrédules, les Prêcheurs 
continueront de poser leurs lèvres avec respect, — comme faisaient 
leurs Pères, — sur la terre consacrée par la présence de la péche¬ 
resse pénitente de Béthanie. « Après la bienheureuse Vierge Marie, 
dit Humbert de Romans, nulle femme n’a reçu une grâce aussi 
grande que Madeleine pénitente ; nulle n’est aussi vénérée, en ce 
monde; nulle ne jouit, dans le ciel, d’une gloire plus éclatante 3 . » 


1 Acta Capilnl. Prov., p. 416. Ed. Douais. 

* Il n’y a, en effet, aucun décret officiel donnant A sainte Marie Madeleine le 
titre de protectrice de l’Ordre, dont elle jouit. 

3 « Tcrtium est consideratio pratiæ sanctæ Ma^dalcna 1 , quæ talis fuit cui post- 
quam conversa est ad penitentiam, facta est a Domino tanta gratia, ut post bealam 
Virginem non inveniatur mulier, cui in mundo major exhibeatur reverentia et in 
celo majorem habere ^loriani credatur juxta illud, Roman., 6 : Ubi abundnvit deli¬ 
ctum, superabundavit et gratia. » (Ilumbcrt de Homans, Sermones Humherli Rur- 
yundi..., p. 100, Sermo ad mulieres malas corpore, sive merelrices. Ed. Venise, 
1603.) 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


Une autre fondation, celle-ci de Sœurs Prêcheresses, fut acceptée 
par Maître Nicolas avec la plus grande faveur. 

Chacun sait que la canonisation de saint Louis eut lieu, sous Phi¬ 
lippe le Bel, entre deux orages : le premier, soulevé par les Colonna 1 
et les Fratricelles 2 , d’une part, et les prétentions de Philippe 

1 La famille des Colonna comptait parmi les plus puissantes du patriciat romain. 
Ses domaines étaient vastes, ses alliances élevées. Elle donnait la main aux Conti 
de la Campanie romaine, race qui avait fourni des Papes à l’Eglise ; aux Anni- 
baldi de la Maritime; aux seigneurs des environs d’Anagni, d’Alatri et de Feren- 
lino. Son fief principal était Palestrina, donl le château défiait les forces les plus 
imposantes. Fiers de leurs richesses, avides d’influence, les Colonna se résignaient 
difficilement à rester au second rang. Jacques Colonna, cardinal-diacre de Sainte- 
Marie in vin lata, et Pierre Colonna, cardinal-diacre de Saint-Eustache. n’avaient 
pas vu sans regret un Gaetani, dont la famille leur était inférieure à titre de 
cliente, élevé sur le siège de saint Pierre. Ne pouvant y monter eux-mêmes, iis lui 
avaient, malgré leurs répugnances, donné leurs voix. Mais ils espéraient que, sous 
son gouvernement, ils auraient une part d'influence prépondérante et ne seraient 
pas oubliés dans la répartition des largesses pontificales. Leur vole valait bien 
ces attentions rémunératrices. 

Ils furent déçus dnns leurs espérances. Leur révolte vient de U\. Ils attaquèrent 
l’élection de lfoniface VIII. Un libelle rédigé par les deux cardinaux, Jacques et 
Pierre Colonna, daté du jour de leur déposition, 10 mai 1297, déclarait au monde 
entier que Boniface VIII avait usurpé le siège de saint Pierre et n’était point Pape 
légitime. Toute leur argumentation, assez diffuse , se résume en cette assertion: 
Le Pape n’a pas le pouvoir de donner sa démission; par conséquent, la démission 
de Célestin V est nulle, et son successeur n'est qu’un intrus. De plus, Benoît Gae¬ 
tani a influencé très activement ce malheureux Pontife pour l'amener à renoncer à 
sa dignité. Ce deuxième grief, fût-il vrai, n’invalidait pas l’élection de son succes¬ 
seur. C’était le fait immoral d’un ambitieux, rien de plus. Il pouvait jeter une tache 
sur son nom, mais nullement s’opposer A ce qu'il prît la succession de celui qu’il 
écartait par ses intrigues. Toute la portée de l'accusation reste donc dans le droit 
à la démission. On le comprit si bien, et il était si facile d'y répondre, que les 
peuples chrétiens ne s’en émurent pas. Même les plus violents ennemis de Boni- 
face VIII ne hasardèrent que timidement, dans la suite, ce grief très peu fondé, et 
ne parvinrent pas à le faire accepter. En outre, puisque les Colonna avaient cette 
conviction, comment se faisait-il qu'ils eussent attendu leur brouille avec le Pape, 
pour la publier et en tirer parti? Car, enfin, ils avaient voté pour Benoit Gaetani. 
après la cession de Célestin V; ils l’avaient reconnu officiellement comme Pape: 
ils lui avaient prêté serment, l’avaient vénéré en face de tout le peuple et de toute 
l'Eglise , comme légitime successeur de saint Pierre. Leur protestation venait trop 
tard, pour ne pas paraître intéressée. Son succès fut médiocre. Elle eut le don, 
toutefois, d’exaspérer Boniface VIII. On pouvait s’indigner A moins. 

Le 23 mai suivant, fête de l’Ascension, en plein consistoire réuni dans la basi¬ 
lique de Saint-Pierre, Boniface dénonça à la chrétienté le libelle schismatique des 
Colonna. Il avait pu le lire de ses propres yeux; car leurs partisans l’avaient affi¬ 
ché sur les murs mêmes de la basilique et placé sur l’autel papal. Les deux cardi¬ 
naux furent de nouveau déposés, privés de toutes leurs dignités et de tous leurs 
bénéfices ecclésiastiques, excommuniés avec leurs parents et fauteurs, dont, en pre¬ 
mier lieu, Agapit, Etienne et Jacques dit Sciarra, les fils de Jean Colonna. Ils 
étaient déclarés infâmes, rebelles, inhabiles à toute dignité civile ou ecclésiastique, 
expulsés des Etats romains ; et quiconque leur prêterait appui serait passible des 
mêmes peines. Les deux bulles qui condamnent les Colonna sont écrites avec une 
violence qui donne la mesure de la colère du Pape. On sent qu’atteint dans son 
autorité même, Boniface veut, A tout prix, que l'on sache qu'il ne craint pas l'attaque 
et peut continuer A porter haut la tiare. Qui le lui reprocherait? Cette tentative 
schismatique conduisait droit aux plus lamentables troubles dans l’Eglise univer¬ 
selle. L’enrayer avec énergie était Tunique moyen d’empêcher un désastre. ( Cf. 
Rainaldi, IV, pp. 221, 231 et ss.) 

* Les Fratricelles, devenus de plus en plus extravagants, furent traqués par ordre 
de Boniface VIII et condamnés. 


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CHAPITRE II 


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le Bel sur les biens du clergé, d’autre part 1 ; le second, dont nous 
verrons plus loin les péripéties, qui aboutit à l’attentat d’Anagni. 

Après la mort du saint roi, Geoffroi de Beaulieu, son confesseur, 
qui avait reçu son dernier soupir, fut chargé par Grégoire X* de 
recueillir et d’écrire les actes les plus importants de sa [vie. Nul 
n’était plus apte à en tracer un fidèle portrait. Geoffroi avait vécu 
pendant plus de vingt-deux ans auprès du roi; il avait été son 
confident de tous les instants, le témoin de ses héroïques vertus. 
L’âme de son pénitent lui était ouverte toute grande. Aussi le récit 
qu’il composa est demeuré un des documents les plus riches et les 
plus authentiques sur la vie de Louis IX. Il fut la base des infor¬ 
mations juridiques faites au nom de Boniface VIII pour l’élever 
sur les autels 3 . Cette glorification de celui qui les avait comblés 
de bienfaits fut, pour les Prêcheurs, une vive allégresse 4 . Philippe 
le Bel voulut en perpétuer le souvenir par la fondation d’un mo¬ 
nastère de religieuses dominicaines au lieu même où son saint 
aïeul avait reçu le baptême. On sait que saint Louis, baptisé à 
Poissy, aimait à s’appeler Louis de Poissy, comme si le lieu de 
son baptême eût été pour lui le plus glorieux fief de noblesse 5 . 


Pour sc venger, ils s’allièrent aux Colonna. Il n’eut pas d’adversaires plus vio¬ 
lents et plus perfides. Presque toutes les calomnies portées contre lui sortent de 
leurs écrivains et défenseurs. (Cf. Bcrnino, Hisloria di tutte le Ileresie, sec. XIII, 
cap. xvi. — Saint Antoniu, Chron., III, titul. XXI. — Tosti, Storia di Boni- 
fazio VIII e de’ suoi lempi. Milano, 1848. — Mosheim, De Beguardis el Beyuini- 
bus. Leipzig, 1790.) 

Nous retrouverons encore ces énergumènes plus loin dans cette histoire. 

1 Philippe le Bel demanda au clergé, sans la permission du Pape, des subsides 
contre les Anglais. Après une vive opposition, ils furent accordés; mais les oppo¬ 
sants en appelèrent à Rome. Boniface VIII leur donna raison par sa bulle Cleri- 
cis laicos (20 mai 1296). C’est l’origine du premier différend. Il s'apaisa par les 
explications du Pape; mais la Cour de France, gouvernée par des conseillers 
hostiles au Pape , lui garda rancune. Nous le verrons plus loin. Dans ce premier 
différend, l’Ordre exempt de toute dîme, impiM, redevance, n'eut pas à interve¬ 
nir. (Cf. Dupuy, Histoire du différend d’entre le Pape Boniface VIII et Philippe le 
Bel... Paris, 1655. — Tosti, op. cit.) 

1 Bull. Ord.y I, p. 503. B. Claræ mémorisé, Viterbe, 4 mars 1272. 

» Cf. Acta SS., Aug. V. 

4 La fête de saint Louis fut introduite immédiatement dans la liturgie domini¬ 
caine, par trois Chapitres successifs : « De Sancto Ludovico confessore fiat festum 
simplex VIII kalcndas septembris... »» (Acta Cap., I, p. 289. Chap. de Metz, 1298.) 
Mais les leçons de l'office ne furent approuvées qu'au Chapitre de Paris, en 1306. 
( Acta Cap., II, p. 21.) 

L’office fut composé en entier par Frère Jean Arnaud de Prato, accusé, on s'en 
souvient , d'avoir chansonné les cardinaux Latino et Hugues de Billom. L’Ordre 
l’adopta. Il a depuis disparu du bréviaire. (Cf. Acta SS., Aug. V, p. 532-533.) 

La France accueillit avec enthousiasme la canonisation de saint Louis. (Cf. Join¬ 
ville, p. 408, n®* 760 et ss. Ed. Didot, 1881.) 

A Evreux, les Prêcheurs dont le couvent avait été fondé par le saint roi lui con¬ 
sacrèrent leur église, lu première de toutes. (Acta SS., Aug. V, p. 510.) — Cf. les His¬ 
toriens de la France, XX, p. 41-44. — Chapotin, Etudes historiques sur l’anc. prov. 
dominic. de France, le Couvent royal de Saint-Louis d’Evreux. 

5 Cf. Chapotin, Histoire des Dominicains,... p. 575. Les Historiens de ta France, 
XXIII, p. 520. 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


Pendant que Maître Nicolas tenait le Chapitre général de Metz, h 
la fin de mai 1298, Philippe le Bel lui proposa cette fondation. 
Elle fut bien accueillie. Le Chapitre accepta même que le monas¬ 
tère, royalement bâti et doté de revenus, demeurât pour toujours 
sous la juridiction de l’Ordre. La lettre du roi 1 au Provincial de 
France, Frère Guillaume 2 , pour lui annoncer ces bonnes nouvelles, 
en fait foi. 

Ce monastère de Prêcheresses devenait ainsi le mémorial visible 
des relations intimes de la famille royale de France et de l’Ordre 
de Saint-Dominique. Maître Nicolas, en l’agréant, ne faisait que 
continuer les traditions de ses prédécesseurs. 

Après le Chapitre, Maître Nicolas eut à s’occuper de l’arbitrage 
de Boniface VIII entre le roi de France et celui d’Angleterre. 
Déjà, en 1297, les cardinaux d’Albano et de Palestrina avaient tenté 
vainement de pacifier les belligérants. Philippe le Bel n’entendait 
point, du reste, se soumettre à l’intervention autoritaire du Pape. 
A l’assemblée de Creil, avant que les légats fussent autorisés k 
lire les bulles pontificales qui les accréditaient auprès des deux 
souverains, il avait fait déclarer que « le gouvernement du royaume 
appartenait au roi et à lui seul; qu’il n’y connaissait point de 
supérieur; qu’il n’était soumis à aucun homme vivant, quant aux 
choses temporelles 3 ». 

Aussi Philippe le Bel refusa-t-il nettement l’arbitrage de Boni- 
face VIII en tant que Pape; il consentit seulement à ce que, 

1 « Philippus Dci gratia Francorum Rex, dilccto nobis in Christo fratri Guillelmo 
Priori Provinciali Fratrum Prædicatorum in Francia, ac tolius Ordinis Vicario 
Gcnerali, Salutcm. 

« Cum nos in honorem gloriosissimi confessons, beati Ludovici, quondam regis 
Francorum, monasterium sororum inclusarum ordinis vestri apud Pissiacum con- 
strui faciamus bonis regalibus fundandum juxta inuniüccnciam regiam et dotandum, 
cujus monastcrii curam vencrabilis Pater fratcr Nieolaus tune magister ordinis, 
nunc vero sacro-sanctm Itomanæ Ecclesiæ Presbyter cardinalis de consilio ac con- 
sensu Dcfinitorum ac totius capiluli Generalis, anno Domini 1298, Methis celebrali. 
precibus nostris humililcr annuens dévote susccpit, eo modo quo alia monasteria 
talium sororum ordinis vestro sunt annexa... » (Marlène, Velerum script, et monu¬ 
ment. Colleclio, VI, col. 5 42. —Touron, les Hommes illustres de l'Ordre de Saint- 
Dominique, I, p. 667.) 

2 Frère Guillaume de Cayeux, alors Provincial de France. Il fut élu en 1296 et 
gouverna six ans la province. (Echard, I, p. 507.) Il est qualifié dans la lettre de Phi¬ 
lippe le Bel de Vicaire Général de l'Ordre. Cette lettre, en effet, est datée après le car¬ 
dinalat de Maître Nicolas, qui fut accepté le 15 janvier 1299 (style nouveau). La charge 
de Maître Général devenait de droit vacante. Le Chapitre général était assigné à 
Marseille. ( Acta Cap., I, p. 291.) — D’après la Constitution, la charge de Vicaire Géné¬ 
ral allait de droit au Provincial de la province où devait se célébrer le premier Cha¬ 
pitre; dans ce cas, elle revenait donc au Provincial de Provence. (Acta Cap., I, p. 183.) 
— Mais Frère Raymond Ilunaud, Provincial de Provence, étant mort le 10 mai 1299, 
n'avait pas encore de successeur. ( Acta Cnpitul. Prov. Ed. Douais, p. 431-434). — 
En pareil cas, la charge de Vicaire Général allait au Provincial dans la province 
duquel s’était tenu le dernier Chapitre. Comme celui-ci avait eu lieu à MeU, dans 
la province de France ( Acta Cap., I, p. 287), Frère Guillaume de Cayeux était de 
droit Vicaire Général de l’Ordre. ( Acta Cap., I, p. 183.) 

3 E. Lavisse, Histoire de France, III, p. 136. 


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CHAPITRE II 


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comme homme privé, Benoît Gaetani essayât de régler ses diffé¬ 
rends avec le roi d’Angleterre 1 . 

C’est dans ces conditions très délicates que Maître Nicolas et le 
Ministre des Mineurs, Jean de Murro, passèrent en Flandre pour 
y mettre la paix*. Le Maître, dont le caractère conciliant et doux 
parvenait à vaincre facilement les plus grands obstacles, prit-il 
sur le roi de France un fructueux ascendant 3 ? Les faits semblent 
l’affirmer; car Philippe le Bel et Edouard conclurent une trêve 
qui combla de joie Boniface VIII. 

En tout cas, le voyage de Maître Nicolas en France et ses rela¬ 
tions avec la cour lui permirent de se rendre compte du véritable 
caractère du gouvernement royal. Il connut de près Philippe le 
Bel et ses conseillers. Devenu Benoît XI, il s’en souviendra. 

Quelques mois après, le 4 décembre 1298, il était créé cardinal 4 . 

Boniface VIII avait pour Nicolas Boccasino la plus haute estime. 
Celui-ci, du reste, en pleine révolte des Colonna, en pleines 
diatribes des Fratricelles, qui, chacuns pour leurs raisons per¬ 
sonnelles, contestaient, devant l’Église, la légitimité de l’élection 
du Pape et, le traitant en intrus, s’efforçaient de détacher la 
chrétienté de son obédience, s’était hâté de faire affirmer, au 
Chapitre général de Venise, la soumission entière de l’Ordre à 
son autorité. On lit, en effet, dans les Actes, cette ordonnance : 
« Comme en vertu de notre profession, nous devons chercher et 
procurer de toutes nos forces la paix de l’Église, nous ordonnons 
strictement à tous les Frères, en vertu de l’obéissance, de ne 

1 E. Lavisse, Histoire de France , III, p. 136. 

* Pendant qu’il était en Flandre, Maître Nicolas visita l’abbaye de Saint-Tron. 
L'abbé l’invita à dîner. Or un moine dit au Maître : « Si vous ne voulez pas faire 
de peine à notre abbé, ne lui parlez pas latin, il rtc connaît pas bien celte langue. 
Parlez plutôt le français, il en sera ravi. »» Maître Nicolas se le tint pour dit. Il con¬ 
versa en français avec son hôte, et bon, enjoué, agréable comme il était, il eut 
\ite gagné toutes scs sympathies. On se sépara dans les meilleurs termes. Quelques 
années après, alors que Maître Nicolas était Pape, des moines de Saint-Tron 
vinrent à la curie pour traiter quelques alîaires de l’abbaye. Benoît XI, les rece¬ 
vant, leur dit en riant : « Vous êtes donc les envoyés de ce bon abbé qui ne sait 
pas le latin et qui m’a fait faire un repas si agréable 1 » Et il ordonna d’expédier 
rapidement l’afTaire qui les amenait. (Gesta nbbatiæ Trudonensium f Coiitinuûtio 
tertia, pars II. Pertz, Monumenta , X-* 11.) 

3 Cf. P. Funke, Papst Denedict, XI, pp. 1*, 15. 

4 Voici le texte de Bernard Gui, racontant le tremblement de terre de Rieti et 
la promotion de Maître Nicolas Boccasino : « Dominica l ad voulus , in festo 
B. Andreæ Aposloli, incepit vehemens terra* motus Reate et in vieillis parlibus, 
et diruit niulta ædificia et castra, et uiiam civilatcm funditus everlit noctu, et mul¬ 
tos peremit, et timorem non modicum papæ et cardinalibus, et cælcris qui Rente 
crant, incussit confugitquc Papa ad clauslrum FF. Pra*dicatorum qui in altiori 
et solidiori loco posili erant : ubi in prato claustri facto tentoriolo festinanter de 
subtilibus asseribus conquievit, hommes vero de noctc ibant et fugiebanl ad cam- 
pos sub divo manentes... In illis diebus, eademque licbdomadæ prima adventus 
Domini, pridie nouas mensis decembris Bonifacius papa assumpsit quatuor ad Car- 
dinalatum videlicet : ... et Fratrem Nicolaum de Trivisio Magistrus Ordinis Fratruni 
Prædicatorum. »> (Ecliard, I, p. -î 15.) 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCÀSINO 


prêter ni secours, ni appui d’aucune sorte, à ceux qui se sont in¬ 
surgés contre notre Seigneur, le Souverain Pontife Boniface et la 
sainte Eglise romaine; et nous enjoignons à tous de prêcher et de 
proclamer dans leurs discours publics et ailleurs, selon l’opportu¬ 
nité du moment, que le Seigneur Boniface est vraiment Pape, suc¬ 
cesseur de Pierre, vicaire de Jésus-Christ 1 . » 

On ne pouvait être plus explicite. Ce Chapitre était composé 
des Provinciaux de l’Ordre*. C’était donc l’Ordre entier qui pro¬ 
testait de sa fidélité au Saint-Siège. De retour dans leurs provinces, 
les Pères n’avaient qu’à imposer en toute rigueur, s’il en était 
besoin, la règle de conduite qu'ils s’étaient tracée. Et, de plus, 
par leurs prédications, par leur influence, les Prêcheurs devenaient 
les auxiliaires les plus puissants de Boniface VIII. 

Maître Nicolas les poussa hardiment dans cette voie. Après le 
Chapitre, dans sa lettre circulaire, il écrit : « Honorez au-dessus 
de tout le très saint Père et Seigneur Boniface, par la providence 
de Dieu Souverain Pontife, comme le véritable vicaire du Christ 
sur la terre et le successeur légitime du bienheureux Pierre, le 
chef des Apôtres. Tout ce qui peut attenter à sa dignité ou nuire 
à son autorité, détestez-le comme un mensonge et un sacrilège. 

« Dans la tribulation suscitée contre la sainte Eglise et son pas¬ 
teur, opposez-vous comme un rempart inexpugnable pour la mai¬ 
son de Dieu, jaloux de défendre, comme des fils dévoués et recon¬ 
naissants, l’honneur paternel et la majesté du Siège apostolique 3 . » 
L'élévation au cardinalat de Nicolas Boccasino était la réponse 
du Pape à ces fermes déclarations. 

Le jour même de sa promotion, Maître Nicolas arrivait au monas¬ 
tère de Prouille, pour en faire la visite. Il y demeura, dit Bernard 
Gui, quatre semaines et deux jours 4 . Déjà la rumeur publique 

1 « Admonemus quod cum ex ordinacione status nostri pacem ecclesie quaererc 
fovcre ac tucri pro viribus debeamus, districle precipimus fratribus universis in 
virtute obediencie, ne quis illis qui contra dominum nostrum summum pontificem 
dominum Bonifacium et sanctam Romanam ecclesiam se crexcrunt audcat occulte 
vcl manifeste impendcrc consilium, auxilium, vcl favorcm, mandantes nichilominus 
et districle injungcntcs, quod in predicacionibus publicis et aliis, cum fuerit opportu- 
nuni, predicent doceanl et constanter asserant, dominum Bonifacium esse vcrum 
Papam successorcm Pétri et Vicarium Jhcsu Christi. » (Acta Cap., I, p. 284.) 

Dans ce même Chapitre on ordonne des prières pour Céleslin V qui venait de 
mourir : « Pro Domino Fratrc Petro de Murronc quondam Papa Cclestino... » 
(Acta Cap., I, p. 2X5.) 

Le bienheureux Jacques de Voraginc venait également de mourir, après sept ans 
d'épiscopat A Gènes, employés, non sans succès, à pacifier son turbulent troupeau. 
(Cf. Echard, I, p. 454.— Touron, I. p. 593.) Son successeur, Frère Porchetta Spi- 
nola, de l’Ordre des Mineurs, recevait, un jour, les cendres des mains de Boni- 
face VIII, quand celui-ci, connaissant ses sympathies gibelines, lui dit : Mémento 
quia Gibelinus es et cum Gibclinis in nihilum reverteris . 

2 Echard, I, p. xvn. 

3 Lilter. Encycl., p. 169. Ed. Reichert* 

4 Echard, I, p. 445. 


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CHAPITRE II 


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parlait de son élévation au cardinalat. Le jour de Noël, il célébra 
la messe conventuelle. De toutes parts, lui arrivèrent des avis 
privés et officieux de sa nouvelle dignité. Il fit comme s’il ne 
savait rien. Le jour de l’octave de saint Jean, 3 janvier 1299, un 
samedi, il quitta Prouille et se rendit à Carcassonne. On ne s’en¬ 
tretenait que de sa promotion, dont l’annonce se faisait de plus en 
plus certaine. Il y passa douze jours, dans la même simplicité de 
vie, sans allusion quelconque à ce qui se disait autour de lui. En 
la fête de saint Félix, 14 janvier, il partit pour Narbonne. A peine 
entré dans Lézignan, le soir même, il fut rejoint par les courriers 
apostoliques qui lui remirent la bulle de Boniface VIII. La voici : 
« Boniface évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à notre cher 
fils, Frère Nicolas de Trévise, jadis Maître de l’Ordre des Frères 
Prêcheurs, élu cardinal-prêtre de la sainte Église romaine, salut 
et bénédiction apostolique. 

« Parmi les autres Ordres plantés dans le champ du Seigneur, 
nous avons jusqu’ici aimé, et nous ne cessons d’aimer l’Ordre 
sacré des Prêcheurs, toujours soucieux de pourvoir avec une sol¬ 
licitude paternelle à la prospérité et à l’accroissement de son état. 
Voulant donc honorer votre personne, que la renommée proclame 
digne de toute louange et riche de vertus, et en elle l’Ordre des 
Prêcheurs, dernièrement, sur l’avis et avec le consentement de 
nos Frères, nous avons décidé de vous nommer cardinal-prêtre de 
la sainte Église romaine. Nous vous donnons ordre d’accepter cette 
charge avec dévotion, comme venant de Dieu, et, toute autre 
affaire cessante, de venir au plus tôt en notre présence. 

« Donné à Rieti, aux nones de décembre, la quatrième année 
de notre pontificat (5 décembre 1298 1 ). » 

Cette lecture terminée, après mûre délibération, Maître Nicolas 
donna sa démission de Général des Prêcheurs, fit briser son sceau 
devant tous les assistants et accepta le cardinalat. 

Bernard Gui, qui raconte ces détails, était présent : Et qui 
vidit et audivit prebuit testimonium veritati 2 . 

Comme la plupart des cardinaux dominicains, Frère Nicolas 
Boccasino eut le titre de Sainte-Sabine. Mais, peu de temps après, 
Boniface VIII, qui avait en ses lumières une confiance très justifiée, 
le nomma cardinal-évêque d'Ostie, doyen, par là même, du Sacré- 
Collège 3 . 

L’Ordre des Prêcheurs, à vrai dire, se sentait très honoré de 
l’exaltation de son Maître Général. Dans les circonstances critiques 
où se trouvaient les Mendiants, assaillis de toutes parts par les 

1 Bull. Ord., II, p. 55. B. Inter ceteros, 5 décembre 1298. 

* Echard, I, p. 145. — Acta CapituL Prow, p. 428* Ed. Douais. 

* Echard, I, p. 446, 


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LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 


clercs séculiers, les Frères pouvaient espérer que leur ancien 
Maître Général, au courant plus qu’aucun autre des nécessités de 
l’Ordre, leur serait d’un puissant secours à la Cour romaine. Mal¬ 
gré cette joie et ces espérances, il y eut, au premier moment, un 
sentiment de stupeur et de regret. Depuis la déposition de Munio 
de Zamora, aucun Général n’était demeuré assez longuement à son 
poste. Cette suite de changements brusques avait de nombreux 
inconvénients, dont le premier, et non le moindre, était l’énerve¬ 
ment de la discipline. 

Aussi le Provincial de Provence, Frère Raymond Hunaud, an¬ 
nonçant aux religieux de sa province cette nouvelle importante, 
leur dit : « ... Nous avons entendu un bruit de joie et de tristesse... 
Le révérend Père et seigneur, Frère Nicolas, jadis Maître de l’Ordre, 
homme d’une piété remarquable, d’une douce et humble société, 
dont le gouvernement nous était si utile par sa sincérité, son 
caractère pacifique, son zèle pour l’observance régulière et l’effica¬ 
cité de ses corrections, est enlevé à l’administration de l'Ordre, 
non sans gémissements et sans tristesses de la part de ses fils, 
qu’il désirait emporter avec lui, par l’exemple de ses vertus, sur 
les hauteurs de la sainteté 1 ... » 

1 Voici le texte de lu lettre de Frère Raymond Ilunuud, d’après la publication 
qu’en a faite Mfl r Douais ; 

« Littera prions provincialis de Assumptione Magistri Ordinis ad (^ardinalatuni. 

« In Jhesu Christo sibi carissimis prioribus vcl corum vicariis et conventibus 
fralrum Ordinis Pricdicatorum Tholosano, Baioncnsi, Agennensi, Carcassoncnsi cl 
cetcris, fratcr Raymundus, fratrum ejusdem Ordinis in provincia Provincic servus 
indignus, Salutem et incrementa continua celestium gratiarum. 

« Auditum jocundilalis simili et tristicie audivimus, et sicut uudivimus sic vidi- 
nius quod refero per présentés. Rcvercndus nanique paler et dominus frater Ni- 
cholaus, condam Magistcr Ordinis, cujus religio laudabilis, conversalio dulcis et 
humilis, et prclatio perulilis eral nobis, ut pote in magna sinccrilate et tranquilli- 
tatc et rcligionis observancia et correctionis efticacia regentis ordinem, subditosque 
sibi tilios ad altiores virtutum insigniis et exemplis, nuper nobis quantum ad pre- 
sidenciam sui regiminis, est substraclus, non absque gemitu et tristicia filiorum. 
Crescentibus namque ejus sanclis merilis fameque preconiis circumquaque diflïi- 
sis, mater universalis et aposlolica, sacrosancta videlicet mater ccclesia que, ut 
indubitatc fide tenemus, Spiritu Sancto iu suis actibus et ordinationibus gubema- 
tur, dignum duxit eunulem patrem nostrum ad altiorem gradum honoris et oflicii. 
pro comnnmi utilitute universalis ecclesie et pro immenso honore et exaltationc 
nostri ordinis sublimare, assumons cuni et ordinans in presbiterum cardinalem. 
Littera cnini et bulla papali XIX kalcudas februarii rccepta, et in craslino michi 
et multis prioribus, lecloribus et aliis probis viris provincic in convcntu Narbo- 
nensi presentibus ad partem cum multa lacrimarum efTusione negocio communi- 
cato, ac eorumdem consilio requisito, utrum videlicet deberet oi*dinationem liujus- 
modi acceptare, vol posset ab ca absque pcriculo résiliée et pro rcvocatione ejus¬ 
dem ad pedes summi ponlificis supplicarc, ipse reverendus paler et dominus de 
unanimi consilio et supplicationc humili eorumdem raliones allegancium validas et 
diversas in capitulo nostro presentibus Ira tribu s et multis sollempnibus viris et 
donnais civitatis et ecclesie Narbonensis, cessit lotaliter ofticio Magistratus ac ibi¬ 
dem in conspeclu omnium sigillum oflicii fecit frangi et prefatc ordinationi 
Summi ponlilicis su uni prebens assensuni eam lacrimabiliter et lamenlabiliter 
acceplavit... 

« Datum Narbonc . in festo bcalorum Martirum Fabiani et Sebastiani, Anno 


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CHAPITRE II 


353 


Maître Nicolas, tout en acceptant la dignité cardinalice, ne 
devint point pour l’Ordre un indifférent. Nous le retrouverons, 
dans la suite de cette histoire, même sur le siège de saint Pierre, 
toujours dévoué à ses Frères, dont le souvenir ému ne le quittera 
jamais. 


Domini MCCXCVIII [ 20 janvier 1298, ancien style.) *» (Acta Capital. Prov., p. 429.) 
Cette lettre a déjà été publiée par Echard, avec quelques variantes signalées par 
Douais. ( Scriptores , I, p. 445.) 


BIBLIOGRAPHIE 


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Tosti, Storia di Bonifazio VIII . Rome, 1886. 

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Histoire littéraire de la France , XXI, XXVII, XXXII. 

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Faillon, les Monuments inédits sur Vapostolat de sainte Marie-Madeleine en 
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Duchesne Fastes épiscopaux de Vancienne Gaule. Paris. 

Houtin, Apostolicilé des Eglises de France. Paris. 


II. - 23 


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ALBERT DE CHIAVARI 


DIXIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L'ORDRE DES FRÈRES PRECHEURS 

1300 


CHAPITRE I 

BONIFACE VIII ET LES MENDIANTS 

L'élection du successeur de Nicolas Boccasino ne fut pas sans 
difficultés. Au lieu de laisser les Frères jouir de la pleine liberté 
canonique à laquelle ils avaient droit, on s'efforça, par une pres¬ 
sion venue de haut, de leur imposer un candidat. Évidemment la 
Cour romaine était inquiète ; elle craignait que le choix des Capi¬ 
tulaires tombât sur un religieux qui ne fût pas entièrement dans sa 
main. N’oublions pas que le Chapitre de Marseille, où se fit l’élection, 
se célébra le 28 mai 1300, c’est-à-dire à Fépoque où les relations 
de Boniface VIII et de Philippe le Bel commençaient à prendre 
une fâcheuse allure. Le Pape désirait donc vivement que le Maître 
des Prêcheurs échappât, par sa nationalité, à l’influence française. 
11 ne pouvait ignorer ou ne pas prévoir que Philippe le Bel deve¬ 
nant son adversaire, les Colonna et les Fratricelles feraient alliance 
avec lui, et que, par conséquent, le foyer de la rébellion contre 
son autorité et sa personne se trouverait à Paris. Dans ces con¬ 
ditions, il fallait soustraire au pouvoir royal le Maître de l’Ordre. 

Boniface VIII, dans sa bulle aux Capitulaires de Marseille, ne 
dit pas nettement ce qu’il désire. La chose était extrêmement 
délicate et vis-à-vis de l’Ordre et vis-à-vis de la France. Il se 
contente de les exhorter à choisir un supérieur doué des plus émi¬ 
nentes qualités : « Qu’il soit un homme zélé, de bon conseil, pru¬ 
dent et discret, habile à manier les affaires, de vie édifiante, doux 
de caractère, humble d’esprit, ardent au bien, pourchasseur éner- 


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ALBERT DE CHIAVARI 


gique du mal..., de manière à ce que, étant au-dessus des fai¬ 
blesses humaines, il puisse, par la finesse de son gouvernement, 
garder dans l’union de la paix les Frères de toute nation et de 
toute condition 1 . » Il n'y a que dans ces derniers mots que l’on 
devine l’inquiétude du Pape. 

Ce que Boniface VIII ne voulut pas exiger pleinement, le 
cardinal Boccasino eut mission de le déclarer aux Capitulaires. 11 
leur écrivit pour désigner lui-même le candidat sur lequel ils 
devaient réunir leurs voix. Sa lettre est inconnue; mais elle est 
attestée par Frère Galvanus de la Flamma, qui, entré dans l’Ordre 
depuis deux ans, se trouvait au couvent de Milan. Son témoi¬ 
gnage, pour un événement contemporain qui intéressait sa pro¬ 
vince, puisque le candidat du cardinal était Lombard, a une impor¬ 
tance décisive 2 . Il s’appelait Frère Albert de Gênes, du lieu où il 
avait pris l'habit de l’Ordre, ou de Chaviari, du lieu de sa nais¬ 
sance. Italien et Lombard, il offrait au Pape et au cardinal, — qui 
était Lombard lui-même, — toutes les garanties'désirables. C’était, 
par ailleurs, un personnage très remarquable, Bachelier de Paris, 
Lecteur pour lors au couvent de Montpellier 3 . Les chroniques s’ac¬ 
cordent pour rendre justice à l’intégrité de sa vie 4 , à son austé¬ 
rité, à son amour de l’observance régulière. D’autre part, le titre 
de Bachelier de Paris, qui témoignait de sa valeur intellectuelle, 
pouvait attirer la faveur des électeurs. Frère Albert de Chiavari 
était donc digne, à tous égards, de la charge suprême. Malheu¬ 
reusement la pression du cardinal Boccasino vint lui faire obstacle. 

Les Pères se réunirent à Marseille, le samedi avant la Pente¬ 
côte, 28 mai 1300. Ils étaient au nombre de vingt-neuf, dont neuf 
Provinciaux : Guillaume de Cayeux, Provincial de France, prési¬ 
dent du Chapitre en qualité de Vicaire Général; Bernard de Jusix, 
élu récemment Provincial de Provence ; les Provinciaux de Rome, 
de Lombardie, de Pologne, de Grèce, de Sicile, d’Angleterre et 
de Dacie 5 . Il manquait à cette élection les quatre Provinciaux 
d’Allemagne, de Hongrie, d’Espagne et de Terre Sainte. 


1 Bull. Ord., II, p. 60. B. Celestis. agricole, 11 avril 1300. 

* « In MCCC anno a conürinacione ordinis LXXXIII , apud Marsiliam, frater 
Albertus januensis baccalarius Parisius ad procuracionem et per litteras domini 
Nicholai Cardinalis fit Magisler ordinis. » ( Galvanus de la Elamma, Cronica Ordi¬ 
nis, p. 105. Ed. Rcicherl.) 

3 Acta Cap., I, p. 294. 

4 « Vir magne rcligionis, » dit la Cronica Ordinis, p. 19. Ed. Reichert (xiv« siècle). 
« Venerabilis paler et tocius lmmililatis ac observaneic régula ris spéculum. » 

(Acla Cap., I, p. 291 [xiv^ siècle J.) 

« Fuit eliani vir oximie sanctilatis qui numquam carnes comedit, nec equilavit, 
vestes grossas et abjectas plurimum dilexit et propter ejus sanctitatem, procu¬ 
rante F. Nicolao Trivisino Cardinali, electus est Magister Ordinis. » (Taegio, Chron. 
amplis s., II, p. 19 [xv« siècle .) 

3 Acta Cap., I, p. 29 4. — Echard, I, p. 463. 


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CHAPITRE I 


357 


On lut aux électeurs la lettre de Boniface VIII et celle du car¬ 
dinal Boccasino. L’émotion fut profonde. Toucher à la liberté 
canonique de l'Ordre, c’était toucher à la prunelle de ses yeux. 
Jamais les Prêcheurs n’avaient accepté d’intervention étrangère 
même la plus fraternelle et la plus dévouée, comme celle d’Hugues 
de Saint-Cher 1 , dans leur administration intérieure. A plus forte 
raison, prétendaient-ils garder leur indépendance quand il s’agis¬ 
sait du choix du Maître Général. Les Capitulaires avaient présent 
à l'esprit l’effet désastreux de l’ingérence des cardinaux Latino et 
Hugues de Billom dans la déposition de Munio de Zamora. L’agi¬ 
tation qui en était résultée durait encore. Etait-ce le moment de 
la renouveler? Décidément, les cardinaux de l’Ordre, même les 
plus vénérables, se croyaient le droit de le gouverner, alors que, 
par la dignité qu’ils avaient acceptée, ils lui devenaient étrangers. 
Pareille prétention était inadmissible. Le scrutin s’en ressentit. 
Frère Albert de Chiavari était présent comme électeur. Au pre¬ 
mier tour, malgré les désirs pressants du cardinal Boccasino, il ne 
fut pas élu. Les voix se répartirent sur le Provincial de Rome, 
Frère Jacques Tusingiani, qui en eut sept; sur Frère Raymond 
Romani, Lyonnais, Prieur de Saint-Jacques de Paris, qui en eut 
cinq, et sur d’autres personnages. En somme, les électeurs avaient 
perdu leurs voix. Son candidat n’en recueillit qu’un nombre insuf¬ 
fisant 2 . Les Frères s’en tinrent à cette démonstration. Frère Albert 
de Chiavari était digne de la charge du magistère; ils jugèrent 
que, justice faite par leur premier vote de la pression qu’ils 
réprouvaient, il y avait lieu de le choisir en toute liberté. Au 
second tour de scrutin, il réunit vingt-quatre voix sur les vingt- 
neuf. Encore les opposants se hâtèrent-ils de donner leur adhé¬ 
sion 3 . 

Albert de Chiavari prit immédiatement, selon le privilège de 
l’Ordre, la direction des affaires. Déjà, nous l’avons vu, la 

I Cf. t. I, p. 479. 

* « In ipso capitulo luit maxima turbacio vidcntes fratrcs quod per persouas 
extra ordinem constitulas ordo regerctur. Undc frater Jacobus Tusingiani prior 
provincialis Romane provincie habuit VII voccs. frater Raymundus Romani diocc- 
sis Lugdunensis, prior Parisiensis, habuit V voce», frater Robertus Bononicnsis 
habuit unam voeem, reliquas habuit frater Albertus et factum est secundum scru- 
tinium. » (Galvanus, Cronica, p. 103. Ed. Rcichert.) 

* « In secundo scrutinio viginli quatuor clcctorcs in fratrem Albcrtum januen- 
sem baccalarium Théologie Parisius, tune lectorem Montispcssulani existentem, 
qui unus de elecloribus preseus erat vota sua direxerunt, et ipsum rite et canonice 
in magistrum nostri Ordinis elegerunt, aliique onmes in eumdem consenserunt 
sabbalo sancto penthecostes, scilicet V K. junii IIII die maii computando a fine. 
Id est XXVIII maii. » ( Acta Cap., I, p. 294. — Bernard Gui, Calai. Mag. Ord., 
Echard, I, p. 463.) 

II est à remarquer que Bernard Gui ne souffle mot de la lettre de Boniface VIII, 
ni de celle du cardinal Boccasino, pas plus que du trouble qu’elles causèrent 
parmi les électeurs. 


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358 


ALBERT DE CHIÀVÀRI 


grave question de la division des provinces, réputées trop vastes 
pour l’administration d’un seul, avait fait l’objet de la sollicitude 
de plusieurs Chapitres généraux. Il faut croire que quelques 
Frères trouvaient cette sollicitude un peu lente, car ils en appe¬ 
lèrent au Pape pour activer la solution qu’ils désiraient. Boni- 
face VIII écrivit, en effet, aux Capitulaires de Marseille, pour leur 
exprimer ses désirs et enjoindre au futur Général de se rendre à 
la Cour romaine avec des religieux de bon conseil pour traiter 
cette affaire 1 . Le Chapitre n’attendit pas le résultat de ce voyage 
et continua le partage déjà commencé. Il confirma le vote émis 
en 1298, au Chapitre de Metz, qui divisait en deux les provinces 
d’Espagne et de Pologne 2 . Peut-être même, sans l’intervention du 
Pape, aurait-il étendu à d’autres provinces ses décisions. Mainte¬ 
nant que le Saint-Siège voulait s'occuper de la question, le Cha¬ 
pitre avait les mains liées. 

Y eut-il dans l’Ordre quelque doute sur le Provincial à qui, le 
Maître Général étant mort ou démissionnaire, la charge de Vicaire 
appartenait? Les Constitutions disaient qu’en cas de mort ou de 
démission, volontaire ou non, la charge de Vicaire Général allait 
de droit au Provincial dans la province duquel devait se tenir le 
premier Chapitre; à son défaut, c’est-à-dire s’il venait à mourir 
ou à démissionner, étant Vicaire Général, ou si cette province 
n’avait pas pour lors de Provincial, la charge de Vicaire Général 
revenait au Provincial dans la province duquel avait eu lieu le 
dernier Chapitre 3 . Le cas s’était présenté à la démission de Maître 
Nicolas. 

Frère Raymond Hunaud, Provincial de Provence, devenu de 
droit Vicaire Général, puisque le Chapitre était assigné à Marseille, 
dans sa province, était mort peu de temps après, avant l’élection 
du nouveau Maître. De droit également, Frère Guillaume de 
Cayeux, Provincial de France, dans la province duquel s’était 
célébré le dernier Chapitre, celui de Metz, avait pris sa succession 
provisoire à la tête de l’Ordre. Mais, dans l’intervalle, la pro¬ 
vince de Provence, réunie à Perpignan, le 12 juillet 1299, élisait 
un Provincial, Frère Bernard de Jusix. Élection parfaitement 
canonique, confirmée, selon les Constitutions, à défaut du Maître 
Général, par les trois religieux les plus anciens dans l’Ordre 4 : 
Frère Jean de Genest, qui comptait cinquante ans de vestition; 
Frère Raymond Severi, cinquante et un, et Frère Jean Vigorosi, 

1 Bull. Ord., Il, p. 60. B. Inter Religiones , 12 avril 1300. — Cf. Fonlana, Monnm. 
Domin., p. 119. 

1 Acta Cap., I. p. 287 et 295. 

3 Ibid., I, p. 183. 

4 Annal. Ord.. p. 107, 1897. 


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CHAPITRE I 


359 


Prieur de Saint-Maximin et Définiteur au Chapitre, près de qua¬ 
rante-neuf 1 * * . 

II se trouva donc que, avant le Chapitre d’élection du Général, 
la province où devait se tenir ce Chapitre avait un Provincial. 
Frère Guillaume de Cayeux devait-il lui céder à son tour la oharge 
de Vicaire Général? La question fut discutée par les Définiteurs de 
Marseille, et ils conclurent qu’en pareil cas la direction de l’Ordre 
revenait au nouveau Provincial de la province où devait avoir 
lieu le premier Chapitre 8 . Frère Guillaume de Cayeux aurait dû 
remettre sa charge à Frère Bernard de Jusix. 

Ce point d’hiérarchie déterminé, Maître Albert s’ocoupa de l'ob¬ 
servance régulière. On sent à ses décisions qu’elle lui tenait au 
cœur, et qu’au besoin il saurait la maintenir avec sévérité. Défense 
aux religieux, en voyage ou en visite, d’accepter des invitations 
pour le vivre ou le couvert chez des séculiers, s’il y a dans le 
pays un couvent de l’Ordre. C’était une constitution primitive qui 
allait s’ébréchant avec les années. Les coupables doivent être punis 
rigoureusement 8 . On rappelle à la pauvreté les Frères qui, oublieux 
de leur état, emploient pour leur chape des étoffes trop riches 4 . 
Aux Prieurs de veiller à ce que les novices ou les jeunes Pères, 
dont les allures sont légères, sortent peu du couvent, et, s’ils 
sortent, à ce qu’ils aient des compagnons sérieux. Il y va du 
déshonneur de l’Ordre et du scandale des séculiers 5 . Une péni¬ 
tence sévère atteint les religieux qui, selon le courant établi contre 
la Constitution, s’étaient permis de venir au Chapitre sans per¬ 
mission : trois jours au pain et à l’eau. De plus, pour essayer 
encore une fois d’enrayer cette habitude invétérée, il est décidé 
que ceux qui, dans l’avenir, oseront enfreindre ce précepte, 
recevront la plus humiliante discipline devant le Maître Général 
et les Définiteurs, et seront expulsés du Chapitre. 

Mais l’affaire la plus importante, celle qui troublait profondé¬ 
ment l’Ordre des Prêcheurs, comme tous les Ordres Mendiants, 
était l’attitude à prendre vis-à-vis de la bulle de Boniface VIII, 
Super cathedram. 

Nous avons vu que oe Pontife, alors qu’il n'était que cardinal, 
ayant été mandé à Paris comme légat par le Pape Nicolas IV, 
avait pris énergiquement le parti des Mendiants, qui était celui 
du Pape, dans les fameuses assemblées de l’Université. Bien loin 
de désapprouver les privilèges accordés par le Saint-Siège aux 


1 Acta Capitul. Proc., p. 434-435. Ed. Douais, 

a Ibid., I, p. 297, 302, 311. 

1 « Si qui aulcm inventi fucrint fccisso contrarium, per priorc» diclorum con- 
ventuum acrilcr puniautur. » {Acta Cap., I, p. 297.) 

4 Ibid. 

P Ibid. 


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360 


ALBERT DE CHIAVARI 


Prêcheurs et aux Mineurs, pour libérer leur ministère de prédica¬ 
tion et de confession de toute dépendance des Ordinaires diocé¬ 
sains et locaux, Benoît Gaetani s’en était montré officiellement, 
et non sans quelque rudesse, le chaud partisan et l’intraitable 
défenseurLes adversaires des Mendiants n’avaient pas subi sans 
froissement et sans murmure l’humiliante leçon qu’il leur avait 
infligée. En temps voulu, dans ses démêlés avec Philippe le Bel, 
l’Université saura prouver à Boniface VIII qu’elle n’oublie pas 
l’injure du légat Gaetani*. Cependant Boniface VIII avait pris 
soin de laver lui-même cette injure en changeant complètement 
de conduite vis-à-vis des Mendiants. Sa volte-face est parfaite. 
Déjà, en 1298, il avait donné force de loi perpétuelle à un décret 
qui interdisait aux Mendiants de prendre une maison nouvelle ou 
de laisser une fondation ancienne, sans l’autorisation expresse du 
Siège apostolique 1 2 3 . 

Maître Nicolas Boccasino s’était hâté de notifier aux Frères cette 
décision pontificale. Mais il ajoutait qu’il interdisait absolument 
de solliciter cette autorisation sans que le Général de l’Ordre fût 
averti 4 . On ne pouvait donc plus fonder un couvent sans la double 
permission du Général et du Pape. Cette législation privait sans 
doute les Frères des franchises quelque peu vagabondes dont ils 
jouissaient antérieurement; mais les astreindre à une réglementa¬ 
tion plus serrée n’était pas chose mauvaise. Brider Le cheval, c’est 
assurer sa course. Les Frères firent comme beaucoup de ces 
nobles bêtes, plus sensibles à la dureté du frein qu'à ses heureux 
effets : ils le rongèrent^ 

Entre temps, toutefois, Boniface VIII rassurait les Prêcheurs 
que des bruits fâcheux inquiétaient outre mesure. Que se passait- 
il dans l’entourage du Pape? Que disait-on un peu partout de ses 
dispositions envers les Mendiants? La bulle du 5 mai 1298 laisse 
entendre que leurs adversaires n’étaient pas sans espoir. Ils 
escomptaient, par avance, le décret depuis si longtemps attendu, 
qui supprimerait en tout ou en partie les Ordres nouveaux, ou, à 
tout le moins, les réduirait à l’impuissance. Boniface VIII coupa 
court à ces rumeurs méchantes, en déclarant que les Prêcheurs et 
les Mineurs n’étaient pas compris parmi les Ordres Mendiants que 


1 Cf. plus haut, p. 211. 

2 Décret d’adhésion de l'Université de Paris à l’appel au Concile contre Boni- 
face VIII. (Denifle, Charlul. Univ. Paris. II, p. 101, il 0 634.) 

3 Sextnm Decretalium , titul. XVII, lib. III. 

* « Cum dominus papa in VI libro Decretalium decreverit quod rcligiosi mendi- 
cantes nova loca non recipiant, nec reccpta mutent absque sedis nposlolicc licen¬ 
cia spcciali, inhibemus districtius ne aliquis frater pro hujusmodi licencia ad di- 
ctam sedem accedat vel quomodolibet procure!, magistro ordinis inconsulto. » 
(Acta Cap., I, p. 290.) 


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CHAPITRE I 


361 


le concile de Lyon, tenu sous Grégoire X, leur grand ami, avait 
décidé de détruire 1 . 

Cependant les Frères ne se trompaient qu’à demi sur les inten¬ 
tions du Pape, et leurs craintes ne manquaient pas de fondement. 
Un travail se faisait sourdement à la Cour romaine, qui allait 
bientôt les justifier. 

D’où vint le coup? Il est difficile de le dire. Les séculiers, clercs 
et Maîtres, ne cessaient de harceler la Curie de leurs réclamations. 
On savait que le Pape ne se montrait plus aussi intransigeant 
qu’autrefois ; qu’il accueillait avec déférence les requêtes motivées 
des évêques contre le privilège de Martin IV; que, par consé¬ 
quent, le terrain semblait s’améliorer en faveur des séculiers et 
permettait de pousser la campagne avec plus d’énergie. Aucun 
document ne donne une lumière décisive sur les agissements des 
ennemis des Frères. Toujours est-il qu’ils eurent plein succès. 

Boniface VIII lançait, le 18 février 1299, sa célèbre bulle Super 
cathedram. C’était la contre-partie de la thèse par lui soutenue, 
huit ans auparavant, à l’assemblée de Sainte-Geneviève, le 11 no¬ 
vembre 1290 2 . A cette date, malgré les objurgations d’un grand 
nombre d’évêques et des Maîtres de Paris, Benoît Gaetani avait 
déclaré que le privilège de Martin IV accordant aux Prêcheurs et 
aux Mineurs le droit de prêcher et de confesser, par délégation 
immédiate du Saint-Siège, sans aucune autorisation des prélats et 
des curés, était un droit nécessaire d’où dépendait le salut de 
l’Eglise. Huit ans après, devenu Pape, il déclare, au contraire, 
que ce privilège doit être supprimé pour la paix et le bien de 
cette même Eglise. Et il le supprime. 

Pour mettre d’accord ces deux actes contradictoires, on pour¬ 
rait dire qu’à l’assemblée de Sainte-Geneviève, le légat parlait et 
agissait en la personne du Pape Nicolas IV, continuateur du pri¬ 
vilège, et que, dans le cas, Benoît Gaetani donnait l’idée de son 
Maître et non la sienne. Je n’en serais pas surpris. Mais il y a 
une autre explication qui peut concilier les deux opinions succes¬ 
sives de Boniface VIII. En 1290, le privilège de Martin IV n’avait 
pas encore fait ses preuves. Accordé, le 10 janvier 1282 3 , il ne 
fonctionnait que depuis une huitaine d’années, tandis qu’en 1299 
il était loisible d’en juger les fruits. De sorte que Boniface VIII, 
mieux éclairé, pouvait, en parfaite connaissance de cause, porter 
un jugement différent et déclarer gue ce qu’il avait estimé, dans 
le principe, utile aux âmes et à l’Eglise, lui paraissait désormais 
nuisible. Martin IV et lui-même s’étaient trompés : l’un en don- 


1 Bull. Ord.j II, p. 55. B. Tenorem eujusdnm, 5 mai 1298. 

* Cf. plus haut, p. 211. 

3 Bull. Ord., II, p. 1. B. Ad fructus uberes. Cf. texte p. 164. 


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ALBERT DE CHIAVARI 


nant le privilège, l'autre en le défendant. La bulle Saper cathe- 
dratn est le mea culpa de Benoît Gaetani. 

Voici, en effet, ce qu’il dit : « Depuis longtemps, entre les pré¬ 
lats, les recteurs, curés et clercs des paroisses d’une part, et les 
Prêcheurs et les Mineurs d’autre part, sous le souffle haineux de 
celui qui aime à semer la zizanie, de graves dissentiments ont 
éclaté à propos des prédications, des confessions, des indulgences 
et de la sépulture des fidèles. Nous donc, agissant comme un bon 
père de famille, auquel les souffrances de ses fils sont une vive dou¬ 
leur, ayant de nouveau examiné sérieusement cette affaire, et de 
plus en plus convaincu des maux dont elle est la source, nous 
avons voulu, avec une paternelle sollicitude, Tarranger de telle 
sorte que sa solution fût salutaire et rapide. Après mûre délibé¬ 
ration, nos Frères consultés, pour l’honneur de Dieu, l’exaltation 
de la foi, la paix de l’Église et le bien des âmes, nous déclarons 
et nous ordonnons, par notre autorité apostolique, que les Frères 
des Ordres susdits pourront prêcher librement au clergé et au 
peuple dans leurs églises et leurs couvents et sur les places pu¬ 
bliques, excepté à l’heure où les prélats du lieu prêcheront eux- 
mêmes ou feront prêcher devant eux, à moins d’une permission 
particulière. 

« Dans les maisons d’Ktudes générales, où il est d’usage de prê¬ 
cher aux clercs, les Frères pourront le faire comme de coutume; 
de môme aux funérailles ; de même le jour où ils célèbrent quelque 
solennité propre à leur Ordre ; à moins qu’à la même heure 
l'évêque du lieu ou un prélat supérieur ne convoque les clercs en 
assemblée générale ordinaire ou extraordinaire. 

« Dans les églises paroissiales, les Frères ne prêcheront pas, si 
ce n’est après avoir été invités ou appelés par les curés, ou avec 
leur permission... 

« Nous déclarons et nous ordonnons par la même autorité que 
dans les villes et les diocèses où les Frères ont des résidences, ou 
encore dans les villes et les diocèses proches de ces résidences, le 
Maître, les Prieurs Provinciaux des Prêcheurs ou leurs Vicaires, le 
Ministre Général ou les Ministres Provinciaux et les Gardiens des 
Mineurs, devront se présenter aux Ordinaires du lieu, soit par eux- 
mêmes, soit par leurs délégués, afin de demander que les Frères 
qu’ils jugent capables de confesser et qu’ils auront choisis à cet 
effet puissent confesser les fidèles, leur donner des pénitences salu¬ 
taires, et les absoudre avec le consentement et la permission de 
ces mêmes Ordinaires... Le nombre de ces confesseurs sera cal¬ 
culé sur le chiffre des clercs ou du peuple. Si les prélats accordent 
la permission, les religieux la recevront avec reconnaissance, et les 
confesseurs désignés et agréés rempliront leur office. Si, par hasard, 


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CHAPITRE I 


363 


ces prélats refusent tel ou tel des candidats, on leur en présentera 
un autre. Si, de parti pris, ils les refusent tous, nous-même, de 
par la plénitude de notre puissance apostolique, nous accordons à 
ceux qui auront été légitimement présentés le droit de confesser, 
dans la mesure où le possèdent les curés, à moins que les prélats 
eux-mêmes ne communiquent de plus amples pouvoirs. 

« Les Frères auront la liberté de sépulture, c’est-à-dire qu’ils 
pourront ensevelir chez eux, dans leurs églises et leurs couvents, 
ceux qui le désireront. Seulement, afin que les curés, auxquels il 
incombe en droit d’administrer les sacrements, de prêcher, d'en¬ 
tendre les confessions, ne soient pas privés de leurs bénéfices, — 
puisque le prix du travail revient à l’ouvrier, — nous ordonnons 
que de tous les bénéfices qui arriveront aux Frères, funérailles, 
offrandes, legs, même avec usage déterminé, même pour les choses 
dont il n’est pas coutume entre clercs d’exiger le quart ou portion 
canonique, même pour les dons faits à l’article de la mort ou pen¬ 
dant le cours de la maladie qui aura causé la mort, les Frères 
donneront le quart aux curés des paroisses,.., sous peine, pour 
les Frères qui tâcheraient de frauder la loi, de quelque manière 
que ce soit, d’une terrible responsabilité au jugement de Dieu. Les 
curés, de leur côté, ne pourront plus exiger d’autres redevances, 
à n’importe quel titre 1 ... » 


1 Bulle du Papo Boniface VIII, Super cathedram. 

« Ordinacio Domini Bonifacii Pape VIII. 

« Bonefadus episcopus, servus servorum Dei, ad perpetuam roi memoriam. Super 
cathedram prccminencie pastoralis officii, divina disponente clemcncia, constitué, 
etsi multis et arduis que in amplum Romane Curie alveum undique confluunt quasi 
lorrentes, pregravemur negociis, curis exiteinur innumeris, cogitationibus plurimis 
distrahamur, circa id lamen ferventibus votis intondimus, vacamus inslancius ac 
operosc Bollicitudinis studium impertimur, ut ad divini numinis gloriam, exaltatio- 
nem catolice fklei et profectum lidelium animarum, prccisis radicitus dissidiorum 
vepribus et liligiorum anfractis omnino subductis, intor ecclosinrum antistites ad 
ouram et regimen gregis dominici deputatos, ceterasquc personas quas ordo cleri- 
calis includit, pacis tranquillitas vigeat, fervor caritatis exestuet, invalescat con- 
cordie imitas, animorum idemptitas perseveret. Scimus enim et ex evidencia facti 
colligimus quod nonnisi pacis in temporc benc colitur pacis actor, nec ignoramus 
quoi! dissentiones et scandala pravis actibus aditum préparant, rancores et odia 
suscitant, illicitis motibus ausum prebent. Ab olim si quidem inter prelatos et 
recto res seu sacerdotes ac clericos parochialium ccclcsiarum per diverses mundi 
provincias constitutos ex parte una, et Predicatorum ac Minorum ordinum fratres 
ex altéra, pacis emulo satore zizanie procurante, gravis et periculosa discordia exti- 
tit suscitata super predicationum fidelium populis faciendis, audiendis eorum con- 
fessionibus, penitenciis iniungendis cisdem et tumulandis dcfunctorum corporibus, 
qui apud fratrum ipsorum ccclesias sivc loca noscuntur eligere sepulturam. Nos 
autem, pii patris moro, laudabili moleste ferentes incomoda filiorum, rcduccntes 
ad exacte considérations examen, ac infra pectoris claustra sollicite revolventes 
quam sit plena periculis, quam honusta dispendiis, quamque in divine magestatis 
conspectu rcddntur exosa discordia supradicta ; et propterea intendentes paterne 
sollicitudinis studio illam prorsus evcllere et omnimode submoverc, nullis usquam 
futuris temporibus, actoro Domino, suscitandam grandi quoque desiderio cupientes, 
ut huiusmodi negocium quod potissime insidet cordi nostro flnem salubrem et cele- 
rem per apostolice soljercie studium consocjuatur ; diligenti curq frntribus nostris 


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364 


ALBERT DE CHIÀVARI 


La bulle se termine par des exhortations à la paix. 

Le clergé séculier était, en grande partie, victorieux. Désor¬ 
mais, comme il le désirait depuis longtemps, en dehors de leurs 
couvents, les Frères ne pouvaient prêcher dans les églises qu'avec 


delihcrationc prehabita super eo, ad honorcm Dei, cxaltationem fidei, quietum sta- 
lum partium predictarum ae salutis animarum fidelium incremenlum, de ipsorum 
fratrum consilio, apostolica auctoritate statuimus et ctiam oixlinamus, ut dictorum 
ordinum fratres in ccclesiis ne locis eorum et in plateis communihus libère valeant 
clcro et populo predicare ac proponerc verbum Dei, hora ilia dumtaxat excepta in 
qua locorum prelati predicare volucrint vel coram se velle[nl] facere sollempniter 
predicari, in qua predicare cessabunt, preterquam si aliud de prelatorum suorum 
voliuitate processerit ac licencia spcciali. In studiis aulem gencralibus ubi sermoncs 
ad clerum ex more fieri soient, in diebus illis quibus predicari sollempniter con- 
suevit, ad funera ctiam mortuorum et in festis specialibus eorumdem fratrum pos- 
sint iidem fratres et liceat eis libéré predicare, nisi forte ilia hora qua solet ad 
clerum in predictis proponi locis seu studiis verbum Dei, cpiscopus vel prelatus 
superior clerum ad se gencraliter convocaret, aut ex aliqua ratione vel causa 
urgente clerum ipsum duceret congregandum. In ccclesiis vero parochialibus fratres 
ipsi nullatcnus audeant predicare vel proponere verbum Dei, nisi fratres predicti 
a parochialibus sacerdotibus invitati vel vocati fortasis extiterint, aut de ipsorum 
beneplacito et assensu, seu petita fuerit licencia et obtenta, sive episcopus vel pre¬ 
latus superior vel cosdem fratres predicari mandaret. Statuimus etiam et ordina- 
mus auctoritate predicta ut in singulis civitatibus et dyocesibus in quibus fratrum 
ipsorum loca consistere dinoscuntur, vel in civitatibus vel dyocesibus, locis illis 
vicinis in quibus loca huiusmodi non habentur, Magister, priorcs provinciales Pre- 
dieatorum, aut eorum vicarii, et generalis Ministcr, aut provinciales ministri et 
custodes Minorum ordinum predictorum, ad presenciam prelatorum eorumdem 
locorum se conférant per se vel per fratres quos ad hoc ydoneos fore pulaverint, 
humilitcr petituri ut fratres qui ad hoc electi fucrint in eorum civitatibus et dyo¬ 
cesibus confessiones subditorum suorum sibi confitcri volencium audirc libéré 
valeant, et huiusmodi confltentibus, prout secundum Deum expedire cognoverint, 
penitencias imponere salutares ac eis beneficium absolutionis impenderc de bene¬ 
placito, licencia, gratia eorumdem ; ac deinde prefati Magister, priores provinciales, 
et Minister ac provinciales ministri ordinum predictorum eligere studeant personas 
sufficientcs et vdoneas, vite probate, discrètes, modestas atquc peritas ad tam 
salubre ministerium et officium exequendum; quas sic ab ipsis elcctis représentent, 
vel faciant presentari prelatis, ut de ipsorum licentia, gratia, beneplacito, in civita¬ 
tibus et dyocesibus eorumdem persone huiusmodi sic elcctc confessiones confitcri 
volencium audiant, et imponant penitentias salutares ac beneficium absolutionis 
impendant, prout superius est expressum extra civitatcs et dyocescs, in quibus fue- 
rint deputate ac per quas volumus et non per provincias deputari confessiones 
nullatenus auditure. Numerus autem personarum assumendarum ad huiusmodi offi¬ 
cium exercendum esse debet prout numerositas clcri et populi ac multitudo vel 
paucitas exigit eorumdem. Et si iidem prelati petitam licenciam confessionum 
huiusmodi audiendarum concesserint, illam prefati Magister, Minister ac alii cum 
gratiarum recipiant actionc, dictcque persone clecte dictum commissum sibi offi¬ 
cium exsequantur. Quod si forte iam dicti prelati, quamquam ex huiusmodi fratri- 
bus presentatis, cosdem ad huiusmodi officium nollent habere vel non duccrent 
admittendum eo amoto vel substracto, loco ipsius similiter cisdem presentandus 
prelatis possit et debeat alius subrogari. Si vero iidem prelati prefatis fratribus ad 
confessiones audiendas ut premittitur elcctis huiusmodi licenciam exhibere recusa- 
rint, nos ex tune ipsis ut confessiones sibi confitcri volencium libéré licitequc 
audirc valeant cisquc penitentias imponere salutares atque eisdem absolutionis 
beneficium impertiri, gratiose conccdimus de apostolice plcnitudinc potestatis; per 
huiusmodi autem concessionem nequaquam intendimus pci*sonis seu fratribus ipsis 
ad id taliter deputatis potestatem in hoc impenderc ampliorem, quam in eo curatis, 
seu parochialibus sacerdotibus est a iure concessa, nisi forsan eis ecclesiarum pre¬ 
lati uberiorem in liac parte gratiam specialiter duccrent faciendam. Huiusmodi 
quoque statuto et ordinationi nostris addicimus, ut fratres eorumdem ordinum in 
ccclesiis et locis suis ubilibet constitutis liberam, ut sequitur, habeant sepulturam. 


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CHAPITRE I 


365 


l'autorisation des curés; ils ne pouvaient confesser qu’en nombre 
restreint, régulièrement approuvés par l’évêque, tant dans leurs 
églises qu’au dehors ; ils gardaient la sépulture des fidèles, mais 
en payant la portion canonique aux curés. 

Le coup fut rude. Habitués depuis près de vingt ans à la liberté 


vidclicet quod omnes ad eam recipere valeant qui sepeliri clegerint in locis et 
ccclesiis mcmoratis. Verum ne parochialcs ecclesie ac ipsarum curati sive redores, 
qui ministrare habent ccclesiastica sacramcnta, quibus noscitur de iure compctere 
predicare, seu proponcre verbum Dei, et confessiones audirc fidelium, debitis et 
necessariis beneficiis defraudentur cum operariis mercedis exibitio dcbcatur, auclo- 
ritalc statuimus et ordinamus eadem , ut fratres ordinum predictorum de obven- 
tionibus omnibus, lam de funeralibus quam quibuscumque, et quomodecumque 
relictis, indistincte vel distincte, ad quoscumque certos seu determinatos usus, de 
quibus etiam quarta seu canonica portio dari ncc exigi consuevit vel debet de iure, 
neenon de datis vel qualitercumque donatis in morte seu mortis articulo aut infir- 
mitate donantis vel dantis de qua decesscril, quomodocumquc, directe vel indi¬ 
recte, fratribus vel aliis pro eisdem, quartam partem, quam apostolica auctoritate 
taxamus et etiam limitamus, parochialibus sacerdotibus et ecclesiarum rectoribus 
seu curatis larcin integraliter teneantur, facturi et curaturi, quod nec alii vel aliis, 
a quibus quarta huiusmodi minime debetur, ad ipsorum fratrum utilitatem vel 
commodum hujusmodi liant relicta aut in cos taliter data vel donata procédant, 
seu quod in morte seu ab infirmis huiusmodi dandum vel donandum fratribus ipsis 
existeret in eorumdem dancium vel donancium sanitatc sibi dari vel donari procu¬ 
rent, in quibus per ipsos vitandis intendimus ipsorum consciencias honerare, ut si. 
quod absit, per fratres ipsos dolo vel fraude quicquam in bac parte fortassis conti- 
gerit prêter id quod eos propterca dictis rectoribus, sacerdotibus et curatis teneri 
volumus, etiam districta ratio in extremi iudicii requiratur examine ab eisdem; 
ultra portionem autem hujusmodi nichil valeant parochialcs sacerdotes, redores, 
curati et prelati exigere supradicti, ncque illis amplius dicti fratres iinpcndere sint 
astricti, ncque ad id a quoquam possint aliquatenus cohcrceri. Nos enim ut in 
cunctis cqualitcr et pacifice , favente Domino , procedatur, universa privilégia, 
indulgencias, grntias, verbo, seu scripto, sub quacumque forma vel expressione, 
seu conccptione verborum a nobis vel predecessoribus nostris Romanis Pontifici- 
bus cuicumque ordinum predictorum conccssa, neenon consuetudines, conventiones. 
statuta, in quantum sunt premissis vel alicui premissorum contraria, penitus revo- 
camus, cassamus, vacuamus et irritamus, quinimo cassa, vacua et irrita nuuciamus 
et nullius prorsus existere firmitatis. Ceterum universos prclatos ecclesiarum cuius- 
cumquc preeminencie, status, vel dignitatis existant, ac saccrdotes parrochiales, et 
curatos sive rectores predictos tenore presencium rogamus et exhorlamur attente, 
nichilominus districte prccipiendo mandantes , quatinus pro divina et Apostolice 
Sedis reverencia predictos ordines et professores eoruin habentes afTectu beuivolo 
comendatos, fratribus ipsis non se difficiles, graves, duros aut asperos, set pocius 
favorabiles, propicios ac benignos, piaque munificencia liberales studeant exhibere, 
sic cos in predicationis officio et propositionibus verbi Dei ac omnibus aliis supra- 
dictis tanquam cooperatores corum ydoneos et laborum suoruin participes prompta 
benignitalc recipere ac alTectuose admittere non obmittant, ut proinde illis cterne 
bcatitudinis premium augeatur et animarum salutis increinenta felicius procuren- 
tur. Nec ipsos lateat quod si secus ab eis agi contingeret in bac parte, Apostolice 
Sedis benignitas que ordiues et professores eorumdem uberi favorc prosequitur et 
gerit in visceribus caritatis, contra eos non immerito turbaretur. Nec equanimiter 
pati posset quin super hoc provisions oportunc remedium adliiberet, ipsosque 
nichilominus celestis indignalio principis digna pro meritis rependentis, cuius obse- 
quia fratrum ipsorum sedulitas ofliciosa prosequitur minime preteriret. Nulli ergo 
omnino hominum liceat hanc paginam nostri statuti, ordinationis, concessionis, 
taxationis, limitationis, revocationis, vacuationis, cassationis, et irritationis infrin- 
gere vel ci ausu temerario contraire; si quis autem hoc attemptare presumpserit, 
indignationem omnipotentis Dei et beatorum Pétri et Pauli apostolorum eius se 
noverit incursurum. Datum Laterani, XII kl. marcii, pontifîcatus nostri anno VI. »» 
(Acta Capital. Prov. f p. -»42 et ss. Ed. Douais.) 


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366 


ALBERT DE CHIÀVAIII 


entière de leurs allures, sans autre contrôle que celui de leurs 
supérieurs réguliers, les Frères trouvèrent que les conditions nou¬ 
velles de leur apostolat étaient tyranniques. Ils ne ménagèrent 
pas, dans la franchise un peu crue de leur temps, leurs sentiments 
de réprobation. Ainsi, en marge du manuscrit de Bernard Gui, 
dit de Bordeaux, contenant la bulle Super cathedram, on lit, en 
regard des articles sur la prédication : « C’est Tensevelissement 
et renchaînement de la parole de Dieu, qui ne doit jamais être 
ni ensevelie ni enchaînée 1 * . » Plus loin, où il s’agit de la confes¬ 
sion, la même main a écrit : « Clôture des confessions, dégoût 
des confesseurs, dommage et détriment des pénitents*. » Et en 
face le décret sur les sépultures : « C’est une atteinte grave au 
droit de sépulture, l’esclavage des enfants de Dieu. On dirait 
aujourd'hui qu’ils ne sont plus fils de la femme libre, mais de la 
femme esclave 3 . » Comme conclusion de ses commentaires peu 
favorables à Boniface VIII, l’anonyme irrité ajoute : « La vie de 
l’Ordre est supprimée, elle fuit par toutes ces blessures 4 . » Et 
son regard suppliant se porte vers Dieu : « Cette bulle a été don¬ 
née, dit-il, l’an de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le libérateur des 
opprimés, le consolateur des affligés, l’intendant des Prêcheurs, 
l'avocat des pécheurs, qui vit dans les siècles des siècles, l'an, 
dis-je, 1299, ou pour ceux qui commencent à compter les années 
à partir de Noël, l’an 1300. Mais nous, qui ne connaissons pas 
d’autre Dieu que lui, nous attendons humblement qu’il nous con¬ 
sole, selon ces paroles du livre de Judith, vin, — lisez Habacuc, 
h, 2 : — « S’il tarde à venir, attends-le; il viendra, il ne tardera 
« pas... » Aussi le Psalmiste ajoute : « Les tribulations des justes 
« sont nombreuses ; mais le Seigneur, à qui honneur et gloire dans 
« les siècles des siècles, les délivre de toutes 5 . » 

On devine, à ces sentiments de douleur franchement exprimés, 
combien la bulle Super cathedram excita chez les Prêcheurs de 

1 « Sepultura et ligatura verbi Dei quod non débet abscondi nec alligari. » (Acta 
Capital. Prov., p. 441. Ed. Douais.) 

* « Punctura et clausura confessionum et proplexum tedium confeasorum et 
dampnum ac detrimenlum non modicum coniitcnlium. » (Ibid.) 

* « Gravis jactura et lesura scpulturaruin et servitus liberorum Dei, ita quod jam 
non videntur filii libère set ancille. » (Ibid., p. 446.) 

4 « Ex bac clausula vitalis habitus intcrcluditur, vulncralis omnibus supradi- 
ctis. » (Ibid.) 

* « Domini noslri Jhesu Christi liberatoris depressorum, consolaloris desolato- 
mm , et procuratoris Predicatorum et ndvocati peccatorum ac viventis in secula 
scculorum. Anno M.CC. nonag 0 IX 0 vel secundum illos qui incipiuut computatio- 
nem incarualionis cjus in Natali anno M°CC(>. Nos auteni qui alterutn Deum nes- 
cimus prêter ipsum expeelemus humiles eonsolalionem cjus juxla illud Judith vin 
(Hnbac. n, 2) : Si moram feccrit cxpccta cum, quia venions venict et non tarda- 
bit; et ideo in brevi subsequlum est, quia dicitur per psalmistam (Ps. xxxni, 20) : 
Multe tribulationes justorum et de omnibus hiis liberavit cos Dominus , cui «il 
honor et gloria in secula scculorum. Amen. *> (Ibid., p. 448-440.) 


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GHAPITHE I 


367 


véhémentes protestations. Au lieu de la paix qu’en espérait Boni- 
face VIII, ce fut, au contraire, un tumulte universel. Les Frères 
ne voulaient pas se soumettre à ses ordonnances. Cependant, aussi 
dures fussent-elles, elles venaient du Saint-Siège; l’obéissance 
s'imposait. Maître Albert de Chiavari intima nettement à l’Ordre 
tout entier sa volonté. « Nous avertissons tous les Frères, et nous 
les exhortons vivement à recevoir avec respect et à observer avec 
soin et obéissance la constitution du très saint Père, le Seigneur 
Pape Boniface, récemment publiée, touchant les prédications, les 
confessions et la portion canonique*. » Dans sa lettre encyclique, 
après le Chapitre, il revient sur cette grave question : « Sans la 
faveur bienveillante des prélats, écrit-il, nous ne pouvons pas 
remplir le but de notre institution, qui est le salut des âmes. Il 
faut donc éviter toute irrévérence vis-à-vis d’eux et des clercs, et 
bien plutôt fléchir leur hauteur de cœur par notre humilité, leur 
rigueur par notre amabilité, de manière qu’ils soient contraints, 
par cette modeste attitude et le besoin de notre service, de nous 
témoigner leur sympathie. 

« De plus, chacun sait que le très saint Père, le Souverain Pon¬ 
tife, a pour notre Ordre une affection spéciale, selon ce qu’il a dit 
et écrit publiquement à plusieurs reprises; selon môme les actes 
qui en sont la preuve, puisqu’il a confirmé nos anciens privilèges 
et nous en a accordé de nouveaux. Il ne faut donc pas croire trop 
facilement qu’il veuille maintenir longtemps dans la désolation des 
fils qu’il juge si utiles à l’Église et pour lesquels il proclame tant 
d'affection. Aussi cette ordonnance qu’il vient de publier derniè¬ 
rement sur les prédications, les confessions, la portion canonique, 
pour dure et pénible qu’elle paraisse, je veux, j’ordonne et j’en¬ 
joins strictement à tous de la recevoir avec respect et de l'obser¬ 
ver avec fidélité*... » 


1 Acta Cap., I, p. 297. Cliap. de Marseille. 

* « Porro quia sine favorc benivolo prclatorum îiustri eursum oflicii, quod pro 
animarum sainte esse dinoscitur institution , efficaciter implerc non possumus, 
omniuo deccl et expedit, ut prelalorum et tocius cleri omnem caveamus irreve- 
renciam et offensam quin pocius ad nos spectat, ut cordis corum altitudinem no- 
stra humilitatc flcctamus et rigorem benignitate frangamus, ut ea quain in vobis 
querunt, liumilitas, et ofücii nostri, quo carere non possunt, utilitas , eos ad fami- 
liaritatcm bcnivolam non solum alliciant, sed compcllant. 

« Postrcmo, cum Sanctissimus pater Sunimus Pontife.v ordinem nostrum spcciali- 
ter habcat in amplexu , secundum quod multociens dixit et publiée scripsit et 
clTcctu multiplici comprobavit, secundum quod antiquomm privilegiorum confir- 
macio et novorum concessio evidenter ostendunt, non est credcndum de facili quod 
(llios, quos tam neccssarios ccclesie Dei reputat, quos sibi tam caros asscrit ; diu 
velit in desolacione lenerc. Et ideo ordinacioncm ejus, quam de novo super con- 
fessionibus et prcdicacionibus et quarta porcionc reddenda curatis dicitur edidissc, 
quantumeumque gravis et aspera videatur, volo, mando et injungo districtc ab 
omnibus reverenter suscipi et üdeliter adimpleri. » ( Litter. Encycl. , p. 171. 
Ed. Reichert.) 


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368 


ALBERT DE GHIAVARI 


Cette lettre révèle Albert de Chiavari. Elle est d'une grande 
habileté. Vis-à-vis de ses religieux, il se montre très ferme et très 
impérieux. La constitution Super cathedram, étant un acte du 
Saint-Siège, devait être respectée et observée. Aucun doute ne 
pouvait excuser les velléités d'insoumission : Dura lex, sed lex! 
Mais, tout en donnant aux Frères un ordre absolu d'obéissance, 
le Maître ne craint pas de mettre en cause la personne même du 
Pape. Boniface VIII a déclaré maintes fois, a écrit qu'il aimait 
beaucoup l'Ordre des Prêcheurs : comment allier une affection si 
profonde et si publique avec des procédés qui, au jugement des 
Frères, ruinaient leur ministère? De deux choses l’une : ou l’af¬ 
fection du Pape est sincère, ou elle n’est qu'apparente. Si elle est 
sincère, « il ne pourra laisser les Frères en pareille désolation. » 
C’était acculer au mur Boniface VIII; car s’il persistait à mainte¬ 
nir son ordonnance, la preuve était faite, selon Albert de Chia¬ 
vari, que son dévouement si tendre pour l’Ordre n'était qu’un mot. 

Le dilemme, en réalité, n'avait pas de conclusions si inéluctables. 
Comme tous les religieux Mendiants, le Maître estimait que la 
constitution de Boniface VIII était dure et pénible, — gravis et 
aspera; — ne pouvait-on pas, à la Cour romaine, l'apprécier autre¬ 
ment et juger qu’elle n’était que juste? En ce cas, l’affection du 
Pape pour les Prêcheurs demeurait intacte, tout en admettant les 
réserves imposées par l’impartialité envers les prêtres séculiers. 
On peut aimer quelqu’un de préférence sans nuire à autrui. Là 
est le point faible de la lettre de Maître Albert. 

A distance, en dehors des passions de parti soulevées par une 
querelle qui durait depuis de longues années, et où les questions 
de personnes étaient mêlées aux rappels au droit, il nous est plus 
facile de mettre les choses au point. 

Séculiers et réguliers exagéraient leurs prétentions. Quand les 
séculiers soutenaient qu’eux seuls, d’après le concile de Latran, 
avaient le monopole des confessions et que les religieux ne pou¬ 
vaient confesser leurs paroissiens validement sans leur permission, 
ils oubliaient qu’au-dessus des curés, au-dessus des évêques, il y 
a le Pape qui, ayant juridiction immédiate sur chaque fidèle du 
monde entier, étant le propre curé de chaque fidèle, avait le droit 
de déléguer sa juridiction à qui lui semblait bon, sans passer, en 
aucune manière, par les juridictions intermédiaires. Et le délégué 
du Pape devenait, de ce chef, le propre curé de son pénitent. De 
leur côté, les réguliers avaient tort de considérer comme un droit 
immuable cette délégation. Qui délègue un jour, pour des motifs 
justifiés, peut retirer le lendemain son privilège. Il est certain que 
le privilège de Martin IV: Ad fruclus uheres, qui permettait aux 
réguliers de confesser en tous lieux, sans aucun contrôle de l’au- 


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CHAPITRE I 


369 


torité locale, pouvait paraître à quelques-uns excessif. Comme les 
religieux voyageaient beaucoup, ils avaient le droit, d’après ce 
privilège, connus ou inconnus, de s’installer au confessionnal du 
curé et d’entendre les confessions. On voit d’ici quels inconvénients 
résultaient fatalement de cette licence. Il était difficile de consta¬ 
ter avec certitude le caractère moral de ce Frère qui arrivait un 
beau jour dans une paroisse, se disait approuvé par ses supérieurs 
et se mettait à confesser. Bien des brebis galeuses, des religieux 
vagabonds, des suspens, des excommuniés, durent abuser de cette 
liberté démesurée. La validité même du sacrement, l’honnêteté de 
son administration, la conscience et le salut des âmes, étaient en 
jeu. 

En restreignant ce pouvoir trop lâche, Boniface VIII faisait 
œuvre de sagesse. Il exige que les sujets jugés aptes à confesser 
par les supérieurs des réguliers soient présentés à l’évêque du 
lieu. Celui-ci devait leur délivrer une patente qui les accréditait 
officiellement dans son diocèse. De cette manière, les curés savaient 
que le religieux qui venait dans leur paroisse était légitimement 
autorisé. En réalité, c’était, pour les Prêcheurs, le retour à leur con¬ 
dition primitive; car les Constitutions interdisaient de faire acte 
de ministère dans une paroisse ou un diocèse, contre la volonté 
du curé ou de l'évêque 1 . 

La restriction qui limite le nombre des confesseurs au besoin 
normal de la population, assez souple d’elle-même, devenait aussi 
une garantie. Elle permettait aux réguliers de faire un choix plus 
sérieux et de ne confier le ministère des âmes qu’à des hommes 
de science et de mœurs dignes. Les Constitutions des Prêcheurs 
ne se lassent pas d’attirer l’attention des supérieurs sur ce grave 
sujet*. Elles exigent des confesseurs sérieux, instruits, discrets, 
peu nombreux. Au fond, c’est ce que demande Boniface VIII. Il 


1 « Predicare non audeat aliquis in Dyocesi illius episcopi qui ci ne predicet inter- 
dixerit... » ( Cons lit. de saint Raymond, Annal. Ord., p. 166, 1897.) 

« Nullus Fratrum prædicct vel confessioncs audiat nisi de Prælati sui licentia 
speciali. Quicumque aulem habuit licenliam a Prælato suo audiendi confessioncs, 
non recipiat aliquem ad confessionem, nisi de licentia episcopi vel proprii sacer- 
dotis... » (Acta Cap., I, p. 70.) 

* a Nullus frater confessiones audiat sine licentia speciali Prioris sui. » ( Acta Cap., 
I, p. 5. Chap. de 1234.) 

h Quod fratres diligenter instruantur in officio audiendarum confessionum anle- 
quam fiant auditores e a ru ni. » (Ibid. Chap. de 1235.) 

« Admonemus priores quod confessores maturos ponant discretos et securos,... et 
confessores instruantur de confessionibus audiendis. » (Ibid., p. 9. Chap. de 1236.) 

« Priores non mittant ad prœdicandum vel ad confessioncs audiendas instituant 
nisi fratres discretos et maluros. » (Ibid., p. 12. Chap. de 1239.) 

« Priores in domibus nostris ubique confessores beguinarum instituant certos 
mat uros et paucos. » (Ibid., p. 26. Chap. de 1243.) 

Ces mêmes recommandations reviennent très souvent dans la suite. (Cf. Acta 
Cap., passim.) 

II. - 24 


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370 


ALBERT DE CHIAVARI 


y avait sans doute un certain laisser-aller, puisque les Chapitres 
généraux sont obligés de répéter, presque à chaque fois, leurs 
recommandations. Déjà, en 1257, le cardinal Hugues de Saint-Cher 
rappelait à l’Ordre l’importance d'un bon choix pour ce ministère 1 . 
Il n’était que l’écho des plaintes qu’il entendait autour de lui. On 
ne trouve donc pas dans la réserve imposée par le Pape un tel 
sujet de blâme; et le bon Frère qui s’écriait dans sa douleur : 
« C’est la fin des confessions, le dégoût des confesseurs et le détri¬ 
ment des pénitents! » poussait au tragique une décision discipli¬ 
naire, dont il était légitime d’attendre de salutaires résultats. 

En ce qui concerne la prédication, la bulle Super cathedram 
ne méritait pas non plus d’être qualifiée de « sépulture et enchaî¬ 
nement de la parole de Dieu ». Elle laissait aux Frères la liberté 
de prêcher chez eux et sur les places publiques, en tout temps, 
sauf Theure où l’évêque du lieu devait prêcher lui-même ou faire 
prêcher en sa présence. Cette restriction n’avait rien de très 
gênant, d'autant plus que nombre d’évêques n’étaient pas ardents 
à la prédication. Dans les églises paroissiales, Boniface VIII exige 
la permission de l’évêque ou du recteur — cela semble assez natu¬ 
rel, —sauf un mandat apostolique, comme il arrivait souvent. Là 
encore, le Pape ne faisait que ramener les Frères à leur condition 
primitive, puisqu’il leur était interdit, par leurs Constitutions, de 
prêcher dans un diocèse, sans l’autorisation de l’évêque. Si les 
évêques refusaient de parti pris cette autorisation, il y avait tou¬ 
jours le recours au Saint-Siège, qui, pour le bien générai de 
l’Église, ne manquerait pas d’intervenir. Boniface VIII ne dit-il pas 
dans sa bulle que, dans le cas où un évêque s'obstinerait à refuser 
tous les candidats présentés pour les confessions, ceux-ci auraient, 
de plein droit, comme délégués du Saint-Siège, les pouvoirs de 
confesser? La Cour romaine n’entendait donc pas laisser le minis¬ 
tère apostolique des Prêcheurs à l’arbitraire des évêques, mais 
seulement le réglementer. 

Ce qui causait aux Frères le plus de dépit, c'était la fameuse 
portion canonique. La lutte pour la liberté absolue de la sépulture 
durait depuis la fondation de l’Ordre. Nous en avons suivi, dans 
le premier volume de cet ouvrage, les péripéties tragi-comiques. 
Jusqu’ici, à part le décret d’innocent IV, dont l'exécution fut arrê¬ 
tée immédiatement*, tous les Papes avaient exempté les Mendiants 
de cette servitude. Ils entendaient que les fidèles, libres d’assister 
aux prédications des Frères, libres de se confesser à eux, libres 
de suivre les offices divins dans leurs églises, fussent également 
libres de s’y faire ensevelir. Ce n’était qu’une question d’argent. 

1 Cf. t. I, p, 482. 

2 ld. t p. 455. 


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CHAPITRE I 


371 


Les curés prétendaient, en tant que recteurs des paroisses, avoir 
un droit universel à tous les bénéfices de leur cure. Chacun sait 
que les funérailles sont un des casuels les plus rémunérateurs du 
curé. Les fidèles préférant se faire ensevelir dans l’église des 
Frères, ceux-ci percevaient le casuel. Boniface VIII ne leur enlève 
pas tout le revenu des funérailles, mais le quart, qu’ils doivent 
payer au curé de la paroisse. Seulement il aggrave cette servi¬ 
tude en l’étendant à ce qui, de près ou de loin, touche au cer¬ 
cueil : comme les legs, les dons, les messes. C’était ravir aux 
fidèles la liberté de disposer à leur gré de leurs biens propres; 
entrer, par conséquent, dans l’administration intime de ces biens. 
Il n’y avait pas que l’indépendance des religieux à être atteinte; 
celle des laïques était, au même titre, gravement compromise. On 
ne sera pas surpris de voir, plus tard, le décret de Boniface VIII 
supprimé. S’il s’était contenté d’exiger le partage du casuel direct 
provenant des funérailles, les Frères auraient eu, peut-être, mau¬ 
vaise grâce à s’en plaindre avec trop d’acrimonie ; mais cette obli¬ 
gation de donner aux curés le quart des aumônes que leur fai¬ 
saient, au lit de mort, leurs amis, parut très dure et très odieuse. 
J’ai peine à les en blâmer. Cette charge était vraiment, comme 
écrivait Maître Albert : gravis et aspera. 

On le vit bien vite. Alléchés par les concessions pontificales, 
les curés trouvèrent que le quart était portion médiocre ; il valait 
mieux, pour leur bourse, ou le tiers, ou la moitié, ou le tout. Les 
chicanes de sacristie, loin de s’éteindre, se rallumèrent de plus 
belle. Il fallut, pour couper court à cette rapacité, une nouvelle 
bulle du Pape. Elle est datée du 26 mai 1300. Boniface VIII 
déclare que, malgré toutes les tentatives du clergé séculier, les 
Frères ne sont tenus qu’à leur donner le quart 1 . Ces vexations 
quotidiennes irritaient les Frères et les disposaient fort mal à 
observer les autres prescriptions de la bulle Super cathédraux . 
Entre eux et Boniface VIII, les relations étaient tendues. 

Dans les Actes du Chapitre provincial de Carcassonne, en 1302, 
il est dit : « Comme nous sommes strictement tenus d’observer 
les constitutions papales, nous ordonnons à tous les Prieurs et à 
leurs Vicaires d’avoir soin, selon la nouvelle constitution du très 
saint Père, le Seigneur Pape Boniface, de présenter aux prélats, 
ou par le Provincial, ou par d’autres intermédiaires, des Frères 
instruits, exercés, de vie éprouvée, pour entendre les confessions. 
Que l'on écarte ceux qui ne sont pas jugés suffisants. De plus, 
suivant la teneur de cette même constitution, les Frères devront 
payer fidèlement aux recteurs des églises, pour le droit de sépul- 

1 Bull. Ord., II, p. 61. B. Nuper ut materia. 


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372 


ALBERT DE CHIAVARI 


ture dans nos cimetières, le quart de ce que ces sépultures rap¬ 
portent au couvent 1 . » 

Malgré bulles papales et décrets capitulaires, la lutte entre 
séculiers et réguliers persévéra. Nous rencontrerons encore ces 
champions inlassables sur notre route. 

Après le Chapitre de Marseille, Maître Albert se dirigea vers 
Rome, accompagné de quelques religieux, selon l’ordre qu’il en 
avait reçu de Boniface VIII, pour traiter avec lui de la division 
des provinces. Il s’en allait, comme autrefois saint Dominique, de 
couvent à couvent, à pied, prêchant à tout venant*. Arrivé au 
couvent des Frères, à Anagni, où se trouvait la Cour pontificale, 
il prit la fièvre. On était dans les plus fortes chaleurs du mois 
d’août, si pernicieuses dans la campagne romaine. Durant sa 
courte maladie, le Maître, rigide observateur de la règle, ne 
manquait jamais, après la légère réfection qu’il prenait, de réciter 
le psaume Miserere mei Deus z ! Il mourut la veille de la fête de 
saint Augustin, un samedi, 27 août 1300. Les Frères l’enseve¬ 
lirent dans leur église. Son magistère n’avait duré que trois 
mois. 


1 « Cum ad observanciam constitutionum papalium summopere teneamur, injun- 
gimus universis prioribus cl eorum vicariis quod juxta tenorem nove constitutio- 
nis sanctissimi patris nostri domini Bonifacii pape curam adhibeant diligentcm 
quod fratres ydonei, periti, litterali, vite probate, per priorem provincialem, vel 
vice ipsius per alios presententur prelatis pro confessionibus audiendis; ad quas 
audiendas fratres minus sufficientes nullatenus exponantur. Juxta tenorem etiam 
constitutionis cjusdem de hiis que obveniunt pro sepulturis in cimiteriis nostris 
solvant rectoribus ecclesiarum fideliter quartam partem. » [Acta Capitnl. Prov., 
p. 475. Ed. Douais.) 

* « Post electionem vcro Magisterii visitarc volens Summum Pontificem... ad 
ejus curiam profectus est continuatis dicbus prædicando sempcr. » ( Chronica Urbe- 
vetana, lib. 00, p. 18. Ms. arch. Ord., xiv« siècle.) 

3 « Cum autem Anauiam pervenisset, ubi romana curia rcsidcbat, infirma tus est 
et pluribus diebus decumbcns, post modicam refectionem quam sumebat nunquam 
pretermisit quin semper dicerct psalmum Miserere mei, Deusi relinquens exem- 
plum posteris... » (Ibid.) 

Bernard Gui écrit, ô propos de cette mort inattendue : « Sabbato Sancto Pente- 
costcs clcctus est ad laborem magisterii, et Sabbato a laboribus in domino requie- 
vit, anno magne indulgentic. » (Cf. Taegio, Chron . ampliss., II, p. 17. Ms. arch. 
Ord.) L'an 1300 était l'année du jubilé, le premier connu, l'année de la « grande 
Indulgence >». 


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CHAPITRE I 


313 


BIBLIOGRAPHIE 


Léandre Albert, De viris illustribus Ordinis Prædicatorum. Bologne, 1517. 

Du Boulay, Ilistoria Universitatis Parisiensis . Paris, 1665. 

Saint Antonin, Chronicæ . Nuremberg, 1491. 

Fontana, Monumenta Dominicart. Rome, 1679. 

Année dominicaine, août. Ed. Jevain, Lyon. 

P. Feret, la Faculté de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres . 
Paris, Picard, 1875. 

Lire les auteurs de droit canon. 


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BERNARD DE JUSIX 

ONZIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

1301-1303 


CHAPITRE I 

L’ÉLECTION 


Dans les circonstances difficiles où se trouvait l’Ordre, la mort 
d’Albert de Chiavari était un véritable désastre. Il eût fallu, pour 
tenir tête à l’orage suscité contre les Frères par la bulle Super 
cathedram, une direction énergique et suivie. Or il arrivait qu’en 
dix-huit mois l’Ordre avait eu quatre chefs différents : le Provin¬ 
cial de Provence, le Provincial de France, Albert de Chiavari et, 
cette fois, après sa mort, le Provincial d’Allemagne 1 * . La charge 
de Vicaire Général lui revenait de droit, puisque le Chapitre sui¬ 
vant devait se tenir à Cologne 8 . 

Le Maître étant mort ante feslum Michaelis, ce Chapitre res¬ 
tait convoqué pour la Pentecôte de 1301 3 4 5 . Ce ne fut nullement, 
comme l’a écrit M. Charles Grandjean*, une protestation de l’Ordre 
contre les entreprises de Boniface VIII, ni une dérogation aux 
Constitutions, mais simplement l’accomplissement strict de la 
règle. 

Du 27 août 1300 à la Pentecôte suivante, 2i mai 1301 3 , le temps 
était assez long. On pouvait, à l’aise, essayer par d’habiles 

1 Etait-cc le Provincial d’Allemagne? Au Chapitre précédent de Marseille, il est 
dit qu’on institue des vicaires en Allemagne jusqu’à l’élection du nouveau Provin¬ 
cial. Trois mois après était-il élu? A son défaut, le Vicariat général revenait au 
Provincial de Provence. (Acta Cap., I, p. 298.) 

* Acta Cap., I, p. 299. 

* Constilut. de saint Raymond . (Annal. Ord., p. 107-1897.) 

4 Benoit XI avant son pontificat, p. 210. 

5 Echard, I, p. xvn. 


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BERNARD DE JUSIX 


manœuvres, d’influencer l'élection. Repris sans doute des mêmes 
craintes d'une élection française, d'autant plus à redouter que ses 
relations avec Philippe le Bel se faisaient plus menaçantes, Boni- 
face VIII tenta, cette fois encore, de l'empêcher. 

Au lieu de laisser au Vicaire Général la suprême autorité sur 
l'Ordre entier, selon le droit constitutionnel des Prêcheurs, il le 
met en tutelle et lui impose comme supérieur le cardinal Bocca- 
sino. Jamais plus grave atteinte n’avait été portée à l'indépen¬ 
dance de l’Ordre. Cet acte est si important et si peu connu, que je 
le mets sous les yeux du lecteur ; 

« A notre vénérable Frère Nicolas, évêque d’Ostie et Velletri, 
le champ de toutes les vertus... 

« Frère Albert, jadis Maître de l’Ordre des Prêcheurs, étant 
décédé, il se trouve que l'Ordre lui-même n’a plus maintenant 
d'autorité suprême. Ardemment désireux que cet Ordre ne souffre 
en aucune manière de cette privation, et sachant combien vous 
avez de sollicitude et de zèle pour ce même Ordre, dont vous avez 
été le fils, et qu'autre fois vous avez gouverné, nous vous confions, 
par notre autorité apostolique, la garde et la direction de cet 
Ordre. Vous vous acquitterez de cette charge soit par vous-même, 
soit par d’autres, jusqu’à ce que le Maître Général soit nommé. 

« Nous n’entendons pas par là déroger au droit du Provincial 
qui, à défaut du Maître Général, prend la direction de l’Ordre; 
mais nous voulons que ce Provincial lui-même soit sous votre 
autorité et que vous puissiez corriger, changer, réformer ses actes, 
au besoin y suppléer i . » 

Ainsi, de par la délégation du Saint-Siège, le cardinal Bocca- 
sino devenait le supérieur de l’Ordre. Il avait sur lui tout pouvoir. 
A la vérité, le Provincial d’Allemagne portait le titre de Vicaire 
Général ; il pouvait même en exercer les fonctions, mais sous la 
surveillance du cardinal, qui avait le droit de casser ses actes ou 
de les modifier à volonté. De plus, ce pouvoir extraordinaire, le 


1 « Vencrabili fratri Nicolao Osticnsi et Velletrensi episcopo, a g mm virtu- 
tum... 

« Cum igitur olim frater Albertus, cjusdem Ordinis Magistcr, nuper debitum 
nature persolvit sicque Ordo ipse Magistri regimine carere noscatur ad præsens, 
nos nolentes quod idem Ordo propterca defcctum quomodolibet patiatur, ac gerentcs 
de tue circumspeclionis industrie et zeio quem ad eumdem ordinem geris cujus 
fuisti professer, cujusvc curam retroactis gessisti temporibus fiduciam in Domino 
spetialem curam regimen ipsius Ordinis Apostolica tibi auctorilate committimus 
gerendam per te vel per alium scu alios doncc de Magistro fucrit ordini memorato 
provisum. Per hoc autem potcslati... prioris provincialis qui... curam ipsius Ordinis 
cum caret Magistro gerere débet derogari ncquaquam intendimus sed volumus 
quod ipse provincialis prior sub tua potestate consistât, luque processus cjus cor- 
rigere, mulare, reformare, emcndarc, ac supplcre possis. »» 

« Dat. Anagnie VII1I Kalendas Octobr. Anno Sexto. » ( Arch . Valic. Reg. f 49, 
fol. 327, no 254.) 


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CHAPITRE I 


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cardinal était libre de le déléguer à qui bon lui semblait. L’Ordre 
n’avait plus de sauvegarde. 

Homme de Dieu, comme il était, le cardinal Boccasino accepta 
sans doute cette difficile mission, d'abord pour obéir au Pape, puis 
dans l'espoir de rendre service à ses Frères. Il eût pu se souvenir, 
cependant, de l'échec du cardinal Hugues de Saint-Cher, en pareille 
occurrence; de l'échec des cardinaux Latino et Hugues de Billom. 

Un seul acte de son omnipotence est demeuré connu. Et je suis 
convaincu que cette omnipotence ne lui avait été attribuée que pour 
le succès de cet acte. 

Les Pères capitulaires se réunirent à Cologne le samedi, veille 
de la Pentecôte, 20 mai 1301. Une lettre du cardinal Boccasino 
fut lue en leur présence, qui les exhortait à choisir, pour Maître 
Général, Frère Lambert de Lodi 1 . C'était encore un Lombard. 

L’élection d’Albert de Chiavari, dans ces mêmes conditions, 
n'avait été qu’orageuse; celle-ci fut réactionnaire. On sentait 
d’instinct que ce cas de récidive pouvait avoir de graves consé¬ 
quences pour la liberté des élections. Les Pères résolurent de pas¬ 
ser outre. Frère Lambert de Lodi fut évincé. Il y avait au Cha¬ 
pitre vingt-neuf électeurs, dix-huit donnèrent leurs voix à un 
Français*, Frère Bernard de Jusix, Provincial de Provence. Les 
autres se dispersèrent sur divers candidats, dont Frère Rambert 
de Bologne, Maître de Paris, qui avait eu des voix à l’élection 
précédente 3 . Même les opposants de la minorité, tout en choisis- 


1 « Verum destinarat Nicolaus Cardinalis quondam Magister littcras ad Capitu- 
lum quatenus ad Magislerium eligeretur non Rambertus Bononicnsis qui et alias 
ad generalatum Ordinis voces obtinucrat scd Lambertus Leodiensis. » ( Sébastien 
de Olmedo, Chron., p. 45. Ms. arch. Ord., XIV-26.) 

« Ad Patres in capitulo congregatos epistolam misit Card. Boccasinus exhortans 
eos ut eligerent magistrum Ordinis alterum ex sua provincia Lombardiæ F. Lam- 
bertum Laudcnsem virum alias tanta prefectura dignum. At Patres perpendcntes 
speciem coactionis induci in ordine, rejecto Lamberto... « (Fontana, Monuments 
Domin., p. 1>1.) 

* « Undecimus Magister Ordinis F. Bernardus de Juzico : hic fuit electus in cap. 
gen. Coloniensi A. D. M. CGGI Sabbato sanclo Pcntccostes, scilicct XIII kal. junii 
(et non julii, comme a écrit Echard) per viam scrutinii ; cum essent XXIX numéro 
elcctorcs a XVIII elecloribus nominatus, cœterisque omnibus consenticntibus in 
eumdem, factus est magister concorditer et in pacc. » (Echard, I, p. 491.) 

Taegio répète la même chose, à peu près dans les mêmes termes. (Chron. ampliss., 
II, p. 20.) 

3 Sur Rambert de Bologne, Taegio s’exprime ainsi : « Eodem anno (1302) Frater 
Rambertus Bononiensis, Magister in theologia Parisius, vir admodum doctus, et 
fama preclarus, qui in electione duorum precedentium Magistrorum plurcs habuit 
voces, per Dominum Papam Bonifacium VIII factus est cpiscopus Castellanus Vcne- 
tii9 sic dictus a loco ubi catlicdralis sedes est constituta. Nondum enim crat sedes 
patriarcalis, ci rca festum natalis Domini. Obiit autem ibidem scpultus in ccclcsia 
Fratrum. » 

Et parlant d’un Picard, Frère Vulfran, nommé évêque de Bethléem, à la demande 
du roi de Sicile, Taegio dit : « Vir parve stature scd virtutis magne. »» (Taegio, Chron. 
ampliss ., II, p. 28. Ms. arch. Ord. — Echard, I, p. 504. — Fontana, Sacrum Thea- 
trum Domin., p. 159.) 


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BERNARD DE JUSIX 


sant un Lombard, protestaient contre l’ingérence malencontreuse 
du cardinal. On peut dire que cette protestation fut unanime. 
Élire un Français, c’était faire échec à Boniface VIII. 

Le cardinal Boccasino eut à peine le temps de connaître le 
résultat négatif de son intervention. A la date du 13 mai, quelques 
jours avant l'élection, il était envoyé comme légat en Hongrie. Il 
est bon de signaler le passage suivant de la bulle d’institution, qui 
révèle la grande estime dont jouissait notre cardinal. « Quoique par 
la valeur éminente de vos conseils vous soyez très nécessaire au 
Siège apostolique, et que nous ne nous privions qu'à grand regret 
de la présence d’un homme aussi important, toutefois, eu égard 
l'urgente et inévitable nécessité de ce royaume..., nous vous 
envoyons comme légat en Hongrie, avec les mêmes pouvoirs pour 
la Pologne, la Dalmatie, la Croatie, la Serbie 1 , etc... » 

Il s’agissait de donner un roi à la Hongrie. Venceslas, fils du 
roi de Bohême, prétendait à cette couronne, d’une part, et, d’autre 
part, Charobert, petit-fils du roi de Sicile, Charles II d’Anjou, 
héritier direct par sa mère. Fidèle à la politique de ses prédéces¬ 
seurs qui favorisait les Angevins, Boniface VIII s’était déclaré 
pour Charobert. Mais les Hongrois, très peu Français, avaient, en 
grand nombre, pris parti pour la Bohême. Le conflit était aigu. Il 
ne m’appartient pas de suivre le cardinal Boccasino dans cette 
délicate et périlleuse légation, dont, malgré son habileté et son 
caractère pacifique, le succès personnel resta douteux*. Il fut, en 
réalité, battu en Hongrie, comme il venait de l’être au Chapitre 
de Cologne. 

Frère Bernard de Jusix, l’élu des Capitulaires, était né à Jusix, 
au diocèse d'Agen. Profès du couvent de Bordeaux, religieux lettré 
et prudent, il enseigna la philosophie à Périgueux (1269 3 ), la 
théologie, comme deuxième professeur, à Montpellier (1279 *). 
Deux ans après, il devient premier professeur de théologie à Ber¬ 
gerac, et le Chapitre de Marseille, qui l'institue, ajoute : Et dispu¬ 
te t°. On le jugeait donc capable de soutenir publiquement les 
thèses solennelles. La même note le suit à Agen, où il passe en 
1282 6 . Au Chapitre de 1284, à Perpignan, Frère Bernard était 


1 Bail. Ord., II, p. 61-62. 13. Quamcis unicersis, 13 mai 1301. 

2 Muratori, Her. liai. Script., IX, p. 1010. — Rainaldi, Annal. Eccles., ad. ami. 1301, 
1302 et 1303. — Thcincr, Monumenia historien Hungariæ, I, p. 385 et ss. — Pertz, 
Script. Jlerum German., IX, p. 660, 720, 732. — Memorie del Beato Benedeto XI. 
Trivigi, p. 67. — Ch. Grandjcan , Benoit XI avant son pontificat, p. 271 et ss. 
— L. Gautier, Benoit XI, p. 113 et ss. 

3 Acta Capital. Proc., p. 140. » IIoc anno (1269; tenebit (studium; conventus Petra- 
goricensis..., et huic studio assi^nanius pro lcctorc Fratrcm Ber. de Juzico. *» 

4 Ibid., p. 226. Chap. de Castres. 

& Ibid., p. 217. 

0 Ibid., p. 259. Chap. de Carcassonne. 


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CHAPITRE I 


379 


nommé Prédicateur Général 1 . L'année suivante, il retournait comme 
Lecteur principal à Agen*, où il demeurait jusqu'en 1290. A cette 
date, il est assigné au même titre à son couvent de Bordeaux 3 . Ce 
fut sa dernière chaire. U enseignait, sans relâche, depuis vingt 
et un ans. Cette suite assez mouvementée, puisque, pendant ces 
vingt et un ans, iLoccupa six postes différents, nous montre la vie 
des Lecteurs en action. Ils allaient de chaire en chaire, selon les 
besoins des couvents, sans être lixés par des attaches immuables. 
La monotonie, en tous cas, n’était pas à redouter. 

Une nouvelle vie commence, en 1292, pour Frère Bernard de 
Jusix. Après renseignement de la métaphysique, il aboutit à la 
pratique administrative. Les Pères de Bordeaux le choisirent 
comme Prieur. Il ne sortira plus du gouvernement. Confiants dans 
ses lumières et sa prudence, les Frères le chargent, sans interrup¬ 
tion, du soin de leurs intérêts : il est Définiteur provincial au 
Chapitre de Carcassonne, en 1293 4 ; Socius du Définiteur au 
Chapitre général de Montpellier, (1294 5 ), Prieur de Toulouse, 
cette même année, et Définiteur au Chapitre général de 1293 6 . 
La mort de Maître Etienne de Besançon empêcha la tenue de ce 
Chapitre. Mais Frère Bernard fut désigné par sa province, au 
Chapitre de Castres, en 1293, comme électeur du Maître Général 7 . 
Il concourut donc à l’élection de Frère Nicolas de Trévise, qui se 
fit à Strasbourg 8 (1296). 

Lorsqu’eut lieu dans la Provence, comme il a été dit plus haut, 
la grande hécatombe des Prédicateurs Généraux, en 1294, Frère 
Bernard fut un des rares privilégiés qui conservèrent leur titre 3 . 
Nous le retrouvons Définiteur au Chapitre de 1298, h Metz. Au 
retour, il lut, devant les Pères Capitulaires de sa province, réunis 
à Cahors, la lettre qui l’absolvait de sa charge de Prieur de Tou¬ 
louse. Cette lettre, il l’avait obtenue, à force d’instances, de 
Maître Nicolas de Trévise 10 . Son repos fut de courte durée. Le 


1 Acta Capitul. Prov., p. 278. Chap. de Perpignan. 

2 Ibid., p. 285. Chap. de Condom. 

3 Ibid., p. 332. Chap. de Pamicrs. 

4 Ibid., p. 372. 

5 Ibid., p. 381. 

« Ibid., p. 390. 

7 Ibid., p. 400. 

• Acta Cap., I, p. 277. 

9 On lit à la suite des Actes du Chapitre général de cette année, tenu à Mont¬ 
pellier : « Isti fuerunt retenti in officio gcneralitatis in provincia Provincic, omni¬ 
bus aliis predicatoribus gencralibus absolutis : Fratrcs Bercngarius Notarii..., Bern. 
de Juzico, etc... » (Acta Capitul. Prov. Douais, note 3, p. 389.; 

10 Voici ce qu'en écrit Bernard Gui, dans son Catalogue des Prieurs de Toulouse: 
« Bemardus de Juzico fuit XIX prior Tolosanus, præfuit unnis quatuor, fuit autem 
absolutus per litteram magistri ordinis, quam ipsemet procuravit et legit coram 
omnibus dicta diflinitione in cap. prov. Cadurcensi MCCXCVIII. Tempore sui prio- 
ratus fuit consummatum atque perfcctum æditicium magnæ illins domus cpiscopn- 


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BERNARD DE JUSIX 


vénérable Père Raymond Hunaud 1 étant mort le 10 mai 1299*, la 
Provence se trouvait sans chef. Le Prieur de Toulouse en avisa 
immédiatement les couvents de la province afin que l’on pût, sans 
retard, procéder à l'élection de son successeur. L’Ordre lui-même, 
par la démission de Frère Nicolas Boccasino, n’avait pas de 
Maître Général. En sorte qu’il fallait se hâter pour que le nou¬ 
veau Provincial pût participer au Chapitre d’élection qui devait 
avoir lieu à la Pentecôte suivante. Le 11 juillet de cette même 
année, deux mois seulement après la mort de Raymond Hunaud, 
le Chapitre de Provence se tenait à Perpignan; Frère Bernard de 
Jusix y fut élu Provincial, dans la paix et la concorde 8 . 

A lire les Actes des deux Chapitres provinciaux qu’il présida, 
il est facile de voir que Frère Bernard de Jusix tenait à ce que ses 
religieux fussent de vie grave et exemplaire. Il eut, le premier, à 
faire appliquer la bulle Super cathedram. « Nous ordonnons aux 
Prieurs de ne confier le ministère de la prédication et de la con¬ 
fession qu’à des Frères suffisamment instruits et de mœurs dignes 4 . » 
Il veut également que l’on prenne garde à ne pas irriter ou dépré¬ 
cier les Frères Mineurs. C’était alors un peu partout, et surtout 
en Provence, la levée des Fratricelles contre l’autorité ecclésias¬ 
tique. On était porté, peut-être par jalousie ou par représailles, à 
parler contre la règle des Mineurs, dont ces exaltés abusaient 
étrangement : <r Nous ordonnons à tous les Frères de ne rien dire, 


Iis... cum annexis, pro cujus constructionc D-H. Mascaro episcopus Toiosanus con- 
sulit mille libras Turonenscs. Item fccit pinnaculum quantum est supra parietem 
Ecclesiæ prominens clevalum et pariter consummatum. Item facta fuit magna ilia 
campana pro universitate studii Tolosani. Item una pars magni dormitorii. Dnus 
istc episcopus Toiosanus Hugo Mascaro magnus amicus et benificus tantus Fratrum 
obiit in Curia Rornana II die Decembris MCCXCVI; fuitquc ibidem apud Fratres 
noslros commcndatus. Tandem allatum est ejus corpus integrum sicut ipse ordina- 
verat adhuc vivens, et in ccclesia Fratrum Tolosæ juxta altarc majus ad dextram 
tumulatum, die lunæ sequenti Epiphaniam anni MCCXCIX, stylo nempe veteri, 
novo MCCC. *» (Echard, I, p. 491.) 

1 Voici les vers qu'un anonyme a écrits en marge du manuscrit de Bordeaux de 
Bernard Gui. Ils sont une preuve de la vénération affectueuse des Frères pour leur 
Provincial. 

« O Raymunde pater cura, set in Ordine frater, 

Tu lactans mater, sacians nos nectare crater 
O Raymunde pater, Hunaudi nomine frater 
Nos lactans mater, sacians quoque nectar cratcr 
Fama, genus, mores, sapientia, virtus, honores. 

Te magis dignum reddunt, cunctisquc benignum 

Dévia direxil, fratres de se bene rexit 

Nil quoque neglexit vigilans, inflrmaque vexit. » 

(Acla Capitul. Prov., p. 434. Ed. Douais.) 

Je ne donne pas cette poésie comme une merveille de bon goût. 

2 a Littera de morte Provincialis et vocationc electorum. » ( Acta Capitul. Prov., 
p. 431. Douais.) 

3 « In isto provinciali capitulo sabbato precedenti fuit electus frater Ber. de 
Juzico Burdegalensis concorditer et in pacc. » (Echard, I, p. 491.) 

4 Acta Capitul. Prov., p. 441. Ed. Douais. 


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CHAPITRE I 


381 


ni dans leurs leçons, ni dans leurs prédications, qui puisse rabais¬ 
ser la règle ou l'exposition de la règle des Mineurs 1 . » De sévères 
pénitences sont infligées à des religieux comme Frère Fontanier 
de Mirepoix et Frère Bernard de Condom, qui étaient venus au 
Chapitre sans permission et étaient repartis de même, à l’insu du 
Provincial : ils reçoivent sept jours au pain et à l'eau et la priva¬ 
tion de voix pour trois ans 4 . Ceux qui les ont imités, tout en se 
présentant au Provincial, ont cinq jours au pain et à l'eau et deux 
ans de privation de voix 3 . La vitalité de la discipline se montre 
active dans ces répressions énergiques. 

Élu Maître Général, Frère Bernard continuera cette œuvre salu¬ 
taire dans l’Ordre tout entier. Il a présidé trois Chapitres géné¬ 
raux : Cologne en 1301, Bologne en 1302, et Besançon en 1303. 
Son austère énergie s’y déploie toute grande. 

Maître Albert de Chiavari était mort, on s'en souvient, au 
moment où, arrivé sur la demande de Boniface VIII à Anagni, 
il allait traiter avec ce Pontife la question assez complexe de la 
division des provinces. Y eut-il de sérieux pourparlers entre le 
Saint-Siège et les compagnons du Maître défunt? Aucun document 
ne le signale. Dans sa lettre au cardinal Boccasino, où il lui 
donnait tout pouvoir sur l’Ordre des Prêcheurs, le Pape ne fait 
pas d’allusion à cette affaire importante. Il semble résulter de ce 
silence que, mis au courant par les compagnons de Maître Albert 
de la volonté efficace de l’Ordre d’aboutir aux divisions désirées, 
déjà commencées, Boniface laissa libre action aux Chapitres 
généraux. 

Dès celui de 1301, cinq provinces sont soumises au partage : 
celle de Pologne, dont une part devient la province de Bohême 4 ; 
celle d’Espagne, dont une part devient la province d'Aragon 5 ; celle 
de Provence, dont une part devient la province de Toulouse 6 ; celle 


1 Acta Capitul. Prov., p. 441. Ed. Douais. 

* Ibid., p. 442. » 

3 Ibid. 

* « Item hanc quod Provincia Polonie dividatur et dividimus ipsam in duas, ita 
quod Polonia sit una provincia et vocetur provincia Polonie et teneat locum in 
dextro choro post provinciam Theotonie. Bocmia vero et Moravia sint alia provin¬ 
cia et vocetur provincia Boemie et teneat locum in sinistro choro post provinciam 
Terre Sancte. Et hec habet tria capitula. » {Acta Cap., I, p. 301.) 

5 « ... Quod Provincia Hyspanic dividatur et dividimus cam in duas, ita quod Cas- 
tella, Legio, Gaïlcxia et Portugallia sint una provincia et vocetur provincia Hys- 
panie et teneat primum locum a dextris. Aragonia vero et Cathalonia et Na verra 
sint alia provincia, et vocetur provincia Aragonic et teneat locum in dextro Choro 
post provinciam Grecie. Et hcc habet tria capitula. » (Ibid.) 

6 « Inchoamus hanc. Quod provincia Provincie dividatur et dividimus eam in 
duas ita quod conventus Tholosanus, Carcassonensis, Appamiensis, Castrcnsis cum 
ceteris conventibus versus Lemovicam, Burdcgalam et Baionam cum monasteriis 
sororum inclusis sint una provincia et vocetur provincia Tholosana et teneat pri¬ 
mum locum in sinistro choro. Conventus vero Montispessulani cum conventibus 


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BERNARD DE JUSIX 


de Lombardie, qui se divise en Lombardie inférieure et Lombardie 
supérieure 1 ; enfin, celle d'Allemagne, dont une part devient la 
province de Saxe 2 . Au Chapitre de Besançon, en 1303, cette divi¬ 
sion est définitive 3 . L'Ordre comptait de ce chef dix-huit provinces. 
Cet état persévéra jusqu'au grand schisme d'Occident. 


Narbonensi, Biterrensi cum tribus conventibus de dominio regis Maioricarum et 
conventibus Amaliavi, Podiensi, Albenacii, Marologii, Alestensi, Nemausensi et 
conventibus ultra Rhodanum, cum monasteriis sororum interclusis, sint alia pro- 
vincia et provincia Provincie nominetur et tcneat locum in dextro choro post pro- 
vinciam Aragonic. » (Ibid., p. 303.' 

1 « Inchoamus liane. Quod provincia Lombardie dividatur et dividimus eam in 
duas, ita quod conventus Marchie Anconitane et Romaniolc cum Bononia, Mutina 
Regio, Parma et Fcrraria, et omnes conventus de patriarchatu Aquiliensi et Gra- 
densi, exceplo conventu Cumano, sint una provincia et vocetur Lombardia inferior, 
et teneat secundum locum in choro sinistro juxta provinciam Tholosanam. Omnes 
autem conventus de Archiepiscopatu Mcdiolanensi et Januensi, cum conventibus 
Papiensi, Placentino, Cumano sint alia provincia et Lombardia superior nominetur 
et teneat locum in dextro choro post provinciam Provincie. » (Ibid., p. 304.) 

ï « Inchoamus hanc. Quod provincia Thcotonie dividatur, et dividimus eam in 
duas, ita quod Austria cum adjacentibus conventibus, Bavaria, Suevia, Franconia, 
Renus usque Coloniam inclusive cum Brabaneia sint una provincia et vocetur pro¬ 
vincia Theotonic et teneat locum in dextro choro post Romanam provinciam. Misna 
vero, Turingia, Assia, Saxonia, Marchia, Sclavania, Frisia, Wesfalia, Celandia et 
Oglaudia sint alia provincia et nominetur provincia Saxonie et teneat locum in si¬ 
nistro choro immédiate juxta Boemiam. » (Ibid.) 

3 Cf. .4c/a Cap., I, p. 312 et ss., Cliap. de Bologne; p. 317 et ss., Chap. de Besan¬ 
çon. Voici le tableau Général des Provinces de l'Ordre à celte date, tel que la 
dressé Bernard Gui, et dans le rang où chacune sc trouvait après la division. 


Chœur droit 

1. Province d’Espagne : 10 couvents en 

Castille, 6 en Galice, 6 en Léon, 
7 en Portugal. En tout 29 couvents 
de Frères et 6 de Sœurs. 

2. Province de France : 58 couvents de 

Frères, 7 de Sœurs. 

3. Province Romaine : 38 couvents de 

Frères, 11 de Sœurs. 

4. Province de Sicile : 20 couvents de 

Frères, 4 de Sœurs. 

5. Province d’Allemagne : 49 couvents 

de Frères, 63 de Sœurs au mini¬ 
mum. 

6. Province de Pologne : 36 couvents de 

Frères, 3 de Sœurs. 

7. Province de Grèce : 6 couvents de 

Frères. 

8. Province d’Aragon : 19 couvents de 

Frères, 2 de Sœurs. 

9. Province de Provence : 28 couvents 

de Frères, 2 de Sœurs. 

10. Province de Lombardie supérieure : 
27 couvents de Frères, 5 de Sœurs. 


Chœur gauche 

1. Province de Toulouse : 25 couvents 
de Frères, 3 de Sœurs. 


2. Province de Lombardie inférieure : 

33 couvents de Frères, 13 de Sœurs. 

3. Province de Hongrie : 37 couvents 

de Frères, 3 de Sœurs. 

4. Province d’Angleterre comprenant 

l’Irlande, l’Ecosse : 89 couvents de 
Frères. Les couvents de Sœurs ne 
sont pas signalés. 

5. Province de Dacic comprenant le Da¬ 

nemark, la Norvège et la Suède : 
27 couvents de Frères, 2 de Sœurs. 

6. Province de Terre Sainte : 3 cou¬ 

vents de Frères, tous dans lTlc de 
Chypre. 

7. Province de Bohème : 22 couvents de 

Frères, 6 de Sœurs. 

8. Province de Saxe : 51 couvents de 

Frères, 9 de Sœurs. 


Le Maître Général, dans les Chapitres, avait à sa droite 10 Provinciaux et 8 à 
sa gauche. Cet état dura pendant tout le xiv« siècle et ne fut modilié que par le 


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CHAPITRE I 


383 


Faciliter le gouvernement par la multiplication des provinces, 
qui permettait aux supérieurs majeurs d’avoir une action plus 
directe sur leurs subordonnés, était une œuvre de sage habileté. 
Le Maître ne s’en contenta point. Il voulut que la discipline régu¬ 
lière, menacée en divers endroits, fût rigoureusement rétablie. Pour 
atteindre son but et manifester à tout l’Ordre sa ferme volonté, il 
ne craignit point de sévir, avec une rudesse de main qui rappelait 
la verge de fer d’Étienne de Besançon, contre toute une province. 

Que se passait-il dans la province d’Allemagne depuis quelques 
années? Mes recherches, je l’avoue, sont restées infructueuses. La 
punition est connue, la faute reste ignorée. Dans les Actes du 
Chapitre de Marseille, en 1300, sous Maître Albert de Chiavari, 
on lit : « Nous instituons vicaires dans la province d’Allemagne 
Frère Nicolas, ancien Prieur de Magdebourg, et Frère Hugues..., 
avec notre pleine autorité et l’autorité du Maître. Ils visiteront la 
province, rechercheront les abus, feront toutes les corrections qui 
leur paraîtront utiles pour la réforme et la paix de cette province. 
S’ils trouvent des excès graves et énormes, ils en prendront note 
et en feront part au prochain Chapitre général. Le Maître de 
l’Ordre institue les deux Frères susdits Vicaires Provinciaux de 
Teutonie, jusqu’à ce que la province ait un Prieur Provincial con¬ 
firmé et présent *. » 

Il y avait donc en Allemagne des abus extrêmement graves. 
En effet, les deux Visiteurs durent en rapporter au Chapitre de 
Cologne, de 1301, les plus tristes échos, car Maître Bernard y 
fait une véritable hécatombe de Prieurs et de religieux. 

Il commence par le Prieur de Cologne, dans le couvent duquel 
se tenait le Chapitre général : Frère Jacques de Sinsinge, cassé 
de sa charge, est privé de tout office ou dignité, du ministère de 
la prédication et des confessions, excepté celles des Frères, 
de toute voix, et de la prédicature générale pendant cinq ans; 
de plus, il est assigné dans la province de Hongrie avec, par sur¬ 
croît, vingt-cinq jours au pain et à l’eau*. Frère Ulfran, Prieur de 
Mayence, subit la même peine pour quatre ans, avec dix jours au 
pain et à l’eau; il est exilé au couvent de Trêves. Un des plus 
atteints fut Frère Armand, qui, privé de tout office et de toute 
dignité pour dix ans, suspens des prédications et des confessions, 
sauf celles des Frères, cassé de la Prédicature générale, condam¬ 
né à jeûner au pain et à l’eau une fois par semaine pendant un 


grand schisme. D’après les chiffres donnés par Bernard Gui, l'Ordre comptait de 
1303 & 1310 : 597 couvents de Frères et 1-U couvents de Sœurs. (Cf. Echard, 1, 
p. iv et ss. — Annal. Ord. Orbis Dominicanus, 1893 et ss.) 

1 Acta Cap., I, p. 298. Chap. de Marseille, 1300. 

* Ibid., I, p. 307. 


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BERNARD DE JUS1X 


an, est exilé dans la province de Dacie, où il a ordre de se rendre 
dans les trois mois, avec défense d’en sortir sans une permission 
expresse du Maître Général. Et la longue litanie des pénitences 
continue : les jeûnes au pain et à l’eau, les disciplines, les dépo¬ 
sitions , les exils atteignent une foule de religieux, supérieurs et 
inférieurs 1 . Des convers s’étaient compromis également. Un cer¬ 
tain Frère Talelong Nivel, du couvent de Colmar, est spécialement 
signalé au Provincial futur de Teutonie, afin qu’il soit châtié au 
plus tôt « comme Y a ordonné le vénérable Père Maître de l’Ordre* ». 
Le couvent de Colmar, du reste, fut un des plus sévèrement punis. 
Son Prieur avait été cassé, avait reçu vingt-cinq jours au pain et 
à l’eau et était exilé en Hongrie 3 . D’autres religieux se trouvaient 
condamnés à des pénitences plus ou moins rigoureuses 4 . Défense 
à tous les coupables de rentrer dans leurs couvents sans la per¬ 
mission du Maître Général. 

Une telle sévérité suppose, surtout de la part des supérieurs 
qui presque tous sont atteints, des manquements extrêmement 
graves. A raison même du nombre de Prieurs frappés, je croirais 
volontiers, faute de certitude, que ces manquements disciplinaires 
avaient rapport à l’élection du Provincial. Quoi qu’il en soit, les 
Pères de la province d’Allemagne, irrités de cette rigueur, firent 
sentir à Maître Bernard leur mécontentement. En 1302, le Cha¬ 
pitre provincial se tint à Bâle, où Frère Jean était Prieur et devint 
Définiteur. Cinq cents Frères assistèrent à ce Chapitre. On y lut 
une lettre du Maître de l’Ordre, dans laquelle il exhortait vive¬ 
ment les Frères à passer chez les nations barbares 5 . Il n’y en eut 
pas un seul qui consentît. Le chroniqueur ajoute avec tristesse : 
« Et cependant l’Ordre a été spécialement institué dans ce but 6 . » 

La rancune des Pères allemands peut seule expliquer une si 
lamentable défection ; car, à cette époque, d’innombrables mission¬ 
naires dominicains parcouraient le monde pour le conquérir à 
Jésus-Christ 7 . Un fait particulier est à noter dans ce Chapitre pro¬ 
vincial, qui donne une lumière sur les mœurs du temps. « Il y 


1 Acta Cap., I, p. 308. 

* Ibid. 

3 Ibid. 

* Ibid. 

5 Cette lettre est disparue. 

6 « In nativitatc bcate Marie virginis capiiulum provinciale fratrum Ordinis 
Prædicatorum fuit in Basilca, fratre Joanne existente Priorc atque definitorc so- 
lemniter celebratum. Quingenti fratres ad hoc capitulum pcrvencrunt et fuerunt 
ibi lecte liltere Magistri Ordinis ipsorum in quibus ortabatur eos suppliciter (sc) 
ultro eundum ad barbaras seu in Greciam. Et non fuit unus inter eos inventus qui 
hoc vellet facere ad quod ordo ipsorum fuit principaliter institulus. » ( Les Annales 
el la Chronique des Dominicains de Colmar, p. 190. Ed. Ch. Gérard et J. Liblin, 
Colmar, 1851.) 

7 Nous le verrons un peu plus loin. 


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CHAPITRE I 


385 


eut dans ce Chapitre, dit le chroniqueur, quatre-vingts frères con- 
vers ou bégards, qui, sans domicile, s’organisèrent en procession 
pour mendier leur nourriture *. » Ce devait être de ces Frères aux¬ 
quels les Chapitres généraux et provinciaux ne cessaient d’inter¬ 
dire de se rendre aux lieux où ils se célébraient. Les couvents 
n’étant pas assez vastes pour héberger ces multitudes, ils erraient 
dans les alentours, quêtant aux portes. L’usage en était commun 
aux autres Ordres, car le chroniqueur ajoute : « Chez les Ermites 
de Saint-Antoine, ces bégards n’étaient que soixante*. » Et par¬ 
lant du Chapitre des Frères Mineurs tenu l’année suivante à 
Colmar, vers la Saint-Urbain (25 mai), où il y avait cent cin¬ 
quante Frères, il signale trente convers ou bégards, qui, deux à 
deux, ou trois à trois, en procession, parcouraient les rues de la 
ville en sollicitant les aumônes des fidèles 3 . D’après ces dires, au 
temps des Chapitres, il y avait, dans les villes où ils se réunis¬ 
saient, de véritables invasions de moines. 

La sévérité de Maître Bernard atteignit les Prédicateurs Géné¬ 
raux. Cette maladie du titre, déjà si menaçante sous Munio de 
Zamora, prenait défrayantes proportions. Ce qui, dans le prin¬ 
cipe , était une fonction, une charge qui imposait au titulaire le 
devoir d'un ministère apostolique, très honorable sans doute, 
mais aussi très onéreux, devenait une dignité stérile, sans âme, 
que l’on ne désirait que comme une source de privilèges. Un peu 
partout, dans l’Ordre, la Prédicature générale était avidement 
poursuivie. Dans la province d’Espagne, en particulier, cette chasse 
au privilège devenait efTrénée. C’est le terme dont se servent les 
Actes du Chapitre de Cologne : « Le vénérable Père, Frère Albert, 
autrefois Maître de l’Ordre, disent-ils, avait ordonné aux Défi- 
niteurs du Chapitre provincial d’Espagne de faire le recensement 
des Prédicateurs Généraux de la province. D’après leur rapport, 
nous trouvons le nombre de ces personnages vraiment excessif. Il 
s’élève, pour la seule province d’Espagne, à cent soixante-dix. 
Aussi nous absolvons les Prédicateurs élus aux deux derniers 
Chapitres de Huesca et de Barcelone. Et comme, malgré ces 
dépositions, il en reste encore une multitude effrénée, nous 
ordonnons aux Provinciaux et aux Définiteurs d’Espagne et 
d'Aragon de garder autant de titulaires qu’il y a de couvents et 


1 « In hoc capilulo fuerunt conversi scu bcgihardi scu fralrcs non habcnlcs do¬ 
micilia LXXX in processionc mcudicantes ciharia. » ( Annales et Chronique des 
Dominicains de Colmar, p. ISO. Ed. Ch. Gérard et J. Liblin, Colmar, 1851.) 

1 « Apud Antonii hcrmitas LX fuisse tantummodo referuntur. » (Ibid.) 

3 « Capitulum Fratrum Minorum fuit circa Urbanum in Columbaria solemnitcr 
celebratum; comparuere illic centum quinquapinla fralrcs; Conversi eeu begihar- 
di XXX bini et terni in processionc Columbarium transcuntes clymosinam mendi- 
cabant. » (Ibid., p. 197-198.) 

II. — 25 


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BERNARD DE JUSIX 


de casser tous les autres. Ils choisiront selon le mérite des 
personnes, entre autres les Frères Maître Dominique 1 et Gilles 
de Arevalo*. » 

Au Chapitre de Barcelone, en 1299, les Définiteurs provinciaux 
avaient nommé d’un coup quarante-deux Prédicateurs Généraux, 
quoique le besoin ne s’en fît nullement sentir 3 . Maître Bernard, 
devenu Général de l’Ordre, vit probablement d’un œil moins 
indulgent ces promotions en masse ; car, lorsqu’il était encore Pro¬ 
vincial de Provence, Tannée précédente, au Chapitre de Marseille, 
il avait institué à la fois trente Prédicateurs Généraux 4 . L’acte 
énergique qui frappe ceux d’Espagne n’aurait peut-être pas été 
inutile à ceux de Provence! 

Par contre, il faut signaler, comme l’aîné d’une nombreuse 
famille, le premier privilège accordé par l’Ordre aux Maîtres en 
théologie. Jusque-là ces grands personnages, qu'ils s’appelassent 
Albert le Grand ou Thomas d’Aquin, avaient exercé leur charge 
sans que nulle faveur en rehaussât l’éclat. On estimait peut-être 
que toute faveur à côté n’ajouterait rien à la réalité glorieuse 
qu’était la science hors ligne exigée pour la dignité de Maître en 
divinité. Cependant il y avait une certaine anomalie à donner des 
privilèges aux Prédicateurs Généraux, dont la dignité était infé¬ 
rieure à celle des Maîtres, tandis que ceux-ci, les premiers dans 
toute l’Église, restaient les mains vides. On y pourvut avec 
justice. 

Il s’agissait de la loi du silence. La constitution primitive dit, 
en parlant des religieux mangeant en dehors du réfectoire, soit 
dans le couvent, soit à l’extérieur : « Tous les Frères, aussi bien 
les Prieurs que les autres, garderont le silence, à table, au dedans 
et au dehors, excepté le plus élevé en dignité, ou bien celui qu’il 
aura désigné pour parler à sa place ; mais alors il doit se taire lui- 
même 5 . » Les Maîtres estimèrent sans doute que, pouvant parler 
bien, il était dur de s’en priver et d’en priver leurs auditeurs; et 


1 Frère Dominique de Alquessa ou Alquesar, né à Saragosse et profès du cou¬ 
vent de cette ville, était Maître de Paris. Après avoir enseigné dans sa province 
pendant quelques années , il fut élu provincial d'Espagne en 1297. A ce titre il 
assistait au Chapitre de Cologne, en 1301, où les Prédicateurs Généraux de sa pro¬ 
vince furent absous et sa province elle-même scindée en deux. Il y donna sa dé¬ 
mission. II mourut à Saragosse, cette même année, pendant l'octave de saint Mar¬ 
tin, et fut enseveli dans le cimetière des Frères. (Echard, I, p. 492. — Léandre Albert, 
De Viris illuslribus, p. 138. — Deniflc, Archiv., II, p. 209.) 

* Acta Cap., I, p. 309, 310. 

* Acta Capitul. Prov., p. 654. Ed. Douais. 

* Ibid., p. 455. 

5 « Omnes Fratrcs ubique intus et extra in mensa silcntium teneant, tam priores 
quam alii, excepto uno qui major fucrit inter cos, vel alio cui pro se loqui com- 
miserit : et tune ipse taccat. » ( Constit. de saint Raymond, Annal. Ord., p. 50, 
1897.) . 


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CHAPITRE I 


387 


le Chapitre de Cologne ajoute à la constitution de saint Raymond 
ce petit mot, gros de conséquences : « Que tous se taisent, sauf 
les Maîtres en théologie. Exceptis Magistris in theologia i . » C’est 
la première fois que cette célèbre formule apparaît dans les Actes 
des Chapitres généraux. Nous l’y retrouverons souvent, comme un 
témoignage d’honneur et de gratitude à ceux dont la science émi¬ 
nente illustrait les maisons de l’Ordre. 

La question des études attira la vigilante attention de Maître 
Bernard. Ancien professeur émérite, il ne pouvait se désintéresser 
de ce qui, dans l’Ordre des Prêcheurs, est la source principale de 
sa vitalité. Il y avait des négligences coupables dans la formation 
intellectuelle des religieux. Les étudiants qui allaient à Saint- 
Jacques de Paris, ou qui suivaient les cours dans les Études 
générales d’Oxford, de Montpellier, de Cologne, ceux-là recevaient 
avec surabondance l’enseignement sous toutes ses formes. Mais 
ce n’était qu’une élite. Il restait dans les couvents ordinaires, 
même dans ceux où se trouvaient les Études de province, toute 
une masse de religieux qui, laissés quelquefois à leur indolence, 
sans impulsion énergique de l’autorité locale, s’occupaient peu 
ou point des sciences sacrées. Il en résultait que, parmi la mul¬ 
titude des Frères, il se rencontrait une foule assez flottante d’in¬ 
dividus peu instruits, peu éclairés, incapables de remplir, avec 
fruit pour les âmes et honneur pour l’Ordre, le ministère aposto¬ 
lique. C’est à cette torpeur intellectuelle de plus en plus envahis- 
. santé qu'il faut attribuer en partie les réclamations des évêques 
contre le privilège de Martin IV. On ne pouvait ignorer au 
dehors ce qui se passait dans les couvents ; du reste, il était facile 
déjuger l’arbre à ses fruits. Un religieux ignare, sans fonds de 
doctrine, est vite classé. Et si le fait se reproduit souvent; si plu¬ 
sieurs religieux du même Ordre se présentent au clergé et aux 
fidèles avec cette stérilité d’âme, qui est le déshonneur d’une vie 
apostolique, l’Ordre lui-même tombe dans la mésestime et le 
mépris. 

C’est ce que voulaient éviter à tout prix les Capitulaires provin¬ 
ciaux et généraux. 

Au Chapitre provincial d’Agen, en 1301, on lit cette ordon¬ 
nance : « Notre Ordre, chacun le sait, a dû sa renommée, dans 
le principe, à sa science théologique. Or, aujourd’hui, les Frères 
se montrent trop négligents dans l’étude et l’assistance aux leçons ; 
nous voulons donc et nous ordonnons aux Frères d’être plus fer¬ 
vents au travail et d’assister avec plus d’attention et de régularité 
aux cours et aux disputes. Ceux qui se montreront négligents, 

1 « In eodcm capilulo (de silentio) ubi dicilur, tune ipse taceat, addatur : exceptis 
magistris in Theologia. » (Acia Cap., I, p. 320. Chap. de Besançon, 1303.) 


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BERNARD DE JUSIX 


devront être punis par leurs Prieurs ou leurs vicaires et les Visi¬ 
teurs. S’ils sont encore étudiants, on leur enlèvera les privilèges. 
A l’heure des cours, les Prieurs ou leurs vicaires ne leur donne¬ 
ront jamais la permission de sortir du couvent, sauf pour une 
cause raisonnable 1 . » Cette ordonnance atteint tous les religieux 
non occupés ailleurs aussi bien que les étudiants. Elle revient à 
peu près dans les mêmes termes au Chapitre suivant de Carcas¬ 
sonne*. En Espagne, au ton des admonitions capitulaires, le dan¬ 
ger paraît avoir été plus imminent : « L’étude, disent les Pères, 
les leçons théologiques sont négligées d’une façon très dangereuse : 
periculosissime. Aussi nous ordonnons aux Frères, à moins d’une 
infirmité grave ou d'une grande nécessité, d’assister aux cours. 
Ceux qui, sans motif, s'en seront abstenus, ne boiront pas de vin 
le jour où ils y auront manqué. Et seuls, les docteurs du couvent 
pourront lever cette pénitence. S’ils ne le font pas, les Prieurs 
tiendront la main à ce qu'elle soit observée, sous peine de la 
faire eux-mêmes 3 . » 

Il n’y a donc rien d'étonnant à ce que Maître Bernard, au cou¬ 
rant de ce fléchissement intellectuel, ait tenté d'y remédier. Il 
trace, au Chapitre général de Besançon, un programme qui enlève 
aux étudiants toute occasion de négligence. Ce n’est point une 
nouveauté. Il ne fait, au fond, que remettre en vigueur le pro¬ 
gramme élaboré par saint Thomas d'Aquin et quelques autres 
Maîtres en 1259, au Chapitre de Valenciennes 4 . 

En voici les principaux articles : « En principe, ni pour l’office- 
ni pour aucune autre fonction, on ne doit entraver les études. Aux 
fêtes simples et au-dessus, les étudiants assisteront à tout l'office 
du chœur, à moins qu'ils ne soient chargés, aux mêmes heures, 
d’exercices scolaires. — Les fêtes simples, à cette époque, étaient 
des fêtes relativement solennelles 5 . 

1 « Cum propter scienciam sacre doctrine ordo noster ab inicio fama clarucrit, 
et nunc circa studium et audicnciam sacre pagine fratres inveniantur notabilitcr 
nimis négligentes, volumus et admonemus quod fratres studio diligenter inten¬ 
dant, ad lectiones et disputationcs sollicite veniendo; et qui circa hoc inventi fue- 
rint négligentes, per priores suos vcl eorum loca tenentes et per visitatores débité 
puniantur; et si studentes fucrint libertés eis studencium subtrahatur; nec priores 
ncc vicarii ad cundum extra, nisi ex causa rationabili, ipsos licentient temporc 
lectionum. » (Acta Capitul. Prov., p. 463. Ed. Douais.) 

* Ibid., p. 476. 

3 « Cum studium et lectiones thcologiæ periculosissime negligantur volumus et 
mandamus, ut omnes fratres, qui artes non audiunt, ad scholas qualibet die veniant, 
et diligenter audiant lectiones nisi infirmitatc vcl magna necessitate fuerint impe- 
diti, quod nisi feccrint, die qua a scholis defuerint vinum non bibant nec cum eis, 
nisi per doclorcs, aliquatenus dispensetur; et si sccus factum fuerit, per priores 
predictam penitenciam facere compellantur. Quod si priores eos non compulerint, 
ipsi eamdem penitenciam agere teneantur. » (Acta Capitul. Prov., p. 647. Chap. de 
Barcelone. Ed. Douais.) 

* Acta Cap., I, p. 99. 

5 Cf. t. 1, p. 58 i. 


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CHAPITRE I 


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« En tout temps, et chaque jour, les étudiants assisteront aux 
complies. On pourra les inscrire pour les fonctions d’hebdoma¬ 
daire, pour lire les leçons et les répons au chœur; de même, 
pour le service et la lecture des deux tables, au réfectoire. 

« A moins d’être chargés de quelque exercice scolaire, ils assis¬ 
teront aux funérailles. 

« Dans les couvents où la coutume en est établie, ils garderont 
à leur tour les cellules. 

« Du commencement des cours jusqu’au carême, on leur fournira 
des chandelles. Pour leurs autres nécessités, on fera pour eux 
comme pour les autres Frères du couvent. 

« Les étudiants des provinces étrangères jouiront au même degré 
des mêmes privilèges 1 . » 

Ces sages dispositions enlevaient aux Frères toute excuse. Ils ne 
pouvaient arguer, pour justifier leur paresse intellectuelle, des 
occupations du ministère apostolique ou des servitudes de l’obser¬ 
vance. 

A noter, dans les Actes des Chapitres tenus par Maître Bernard, 
outre le rappel à la discipline, l’institution du Vicaire Provincial. 
Les Provinciaux devant, tous les trois ans 2 , sortir de leurs pro¬ 
vinces pour se rendre aux Chapitres, il en résultait des inconvé¬ 
nients graves dans l’administration ordinaire. Ces voyages inter¬ 
minables les empêchaient de régler, en temps opportun, des 
affaires qui ne pouvaient attendre sans préjudice. Il fut décidé au 
Chapitre de Besançon 3 , en 1303, que, avant de sortir de leurs 

1 « Quia circa studcntes secundum constituciones nostras sic dispensandum est, 
ne proptcr officium vel aliud a studio retrahantur, volumus et declaramus, in qui- 
bus gcneraliter debeant occupari, scilicet quod in omni festo simplici et supra 
teneantur venire ad chorum, ad omnes horas et missas convcntuales, nisi tune in 
scolis actus scolasticos exerceant. 

« Item, omni tempore et omni die venire ad completorium teneantur. 

« Item poterunt notari ad epdomadariam, lectiones et responsoria, in choro. 

« Item, ad serviendum in utraque mensa in refectorio et ad lectionem mensc. 

« Item, ad sepulturas funerum et ad missas sepeliendorum teneantur interesse, 
nisi tune in scolis actus scolasticos exerceront. 

« Item, ubi est consuetum, in custodia cellarum valeant occupari. 

« Item volumus et ordinamus quod a principio studii usque ad quadragesimam 
provideatur studentibus de candelis. 

« Item, in aliis necessitabus sicut aliis fratribus conventualibus communitcr pro¬ 
videatur eisdem. 

« Item, volumus et ordinamus quod omnes studentes aliarum provinciarum quos- 
cumque modo assignati fuerint sive missi, eisdem libertatibus gaudeant pari 
passu. » {Acta Cap., I, p. 324.) 

On trouve dans les Acta Capitul. Prov. de Douais deux autres documents, pro¬ 
venant de Chapitres provinciaux de la même époque, qui reproduisent à peu près 
les mêmes ordonnances. ( Acta Cap . Prov., p. 674-675.) 

2 II y avait, en effet, un Chapitre de Provinciaux, puis deux de Définiteurs. 

3 A ce Chapitre assistèrent trois cents Frères. « In festo Pentccostes fratresOrdinis 
Predicatorum de Francia capitulum generale in Bisuntio celebraverunt ad quod 
fratres CCC numéro pervenerunt. » ( Les Annales et la Chronique des Dominicains 
de Colmar, p. 198. Ed. Ch. Gérard et J. Liblin. Colmar, 185S. 


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BERNARD DE JUSIX 


provinces, les Provinciaux institueraient un ou plusieurs Vicaires; 
de manière que, l’un venant à manquer, il y eût toujours dans 
les limites de la province un représentant officiel de l’autorité 1 . 

Il n'y a qu’une chose étonnante à cette ordonnance, c'est qu’on 
n’y ait pas pensé plus tôt. 

Je ne puis passer sous silence le nom d’un personnage dont 
Maître Bernard a consacré la mémoire en transportant ses restes 
vénérables à Avignon, son couvent d'origine. Vers l’an 1264*, 
naissait à Uzès, d'honorable et noble famille, un enfant que l’es¬ 
prit de prophétie saisit dès le berceau. Il s’appelait Robert. Encore 
adolescent, il recevait de Dieu des lumières extraordinaires; il 
connaissait les choses futures et les annonçait à ses camarades 
d’études. Il se fit prêtre. Peu après, en 1291, il abandonna tous 
les biens de famille qu’il possédait à Selon sur la Durance, et, 
pauvre volontaire du Christ, il se voua à la prédication. En 1292, 
sur un avis venu de Dieu, Robert entra dans l’Ordre des Prêcheurs, 
au couvent d’Avignon. Il était connu. Partout on parlait de ses 
révélations prophétiques. Les Pères n’en furent que plus sévères 
à l’admettre. Ils se demandaient, non sans inquiétude, quel esprit 
le dirigeait. Était-il un envoyé de Dieu? Avant d’être reçu à la 
profession, Frère Robert d’Uzès dut subir un examen public devant 
le Chapitre provincial de Provence réuni à Carcassonne, en 1293. 
Bernard de Jusix fut un de ses juges, en qualité de Définiteur 3 . Il 
lui montra certainement toute sa bienveillance. L’examen de Frère 
Robert eut plein succès. Ses réponses furent si hautement approu¬ 
vées, que les Pères du Chapitre, heureux du don merveilleux que 
la Providence accordait à l’Ordre, lui firent faire profession devant 
eux. De plus, chose inouïe dans les annales des Prêcheurs, ils 
insérèrent dans les Actes cette recommandation toute person¬ 
nelle : « Pour le Frère Robert d’Uzès, notre Frère, qui a fait pro¬ 
fession dans ce Chapitre provincial, le jour de sainte Marthe, — 
alors 27 juillet, — chaque prêtre célébrera une messe du Saint- 
Esprit, et chaque couvent une messe de la bienheureuse Vierge 
Marie 4 . » 

1 « Intendentcs cnsibus dubiis et contingentibus obviarc, volumus quod priores 
provinciales de suis provinciis rccedentes vices suas duobus aut pluribus succes¬ 
sive committant ita dumtaxat quod si unum corum mori contingerct altcr teneat 
vices cjus. » {Acta Cap., I, p. 321.) 

* L’année précise est inconnue. Mais en 1291, Robert était prêtre depuis quelque 
temps. En mettant son ordination à làge ordinaire de vingt-cinq ans, nous arri¬ 
vons à peu près pour sa naissance de 1264 à 1266. (Cf. Echard, I, p. 449.) 

3 Acta Capital. Prov., p. 372. Ed. Douais. 

4 « Pro fratre Rotberto de Usecia fratre nostro qui in presenti capitulo provin- 
ciali professionem fccit, scilicet in festo bcate Marthe, quilibet sacerdos I Missam 
de Spiritu Sancto, et quilibet conventus I de Beata Maria Virgine. » (Ac/a Capitul. 
Prov., p. 380. Ed. Douais.) 


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CHAPITRE I 


391 


Évidemment ces prières solennelles étaient demandées à toute 
la province, pour que le don du Frère Robert fût pour elle et pour 
l’Ordre entier une bénédiction. 

Elle fut courte, mais large en bienfaits. Frère Robert parcou¬ 
rut en apôtre la France, l’Italie, l'Allemagne, semant sur son 
passage la parole de Dieu et annonçant aux peuples, aux princes, 
aux rois et aux papes, — Célestin V et Boniface VIII, — ce que 
TEsprit-Saint lui révélait. On dit qu’il menaça de la part de Dieu 
le Pape Boniface 1 . Il assistait, en 1296, au Chapitre général de 
Strasbourg. Au retour, il s’arrêta à Metz, où il mourut, comme 
il l’avait prédit 2 . Les Frères l’ensevelirent dans leur cloître 3 . 

Cinq ans plus tard, Maître Bernard de Jusix, revenant du Cha¬ 
pitre général de Cologne, passa par Metz. Il venait réclamer pour 
le couvent d’Avignon les restes vénérés de Frère Robert d’Uzès. 
Posséder le corps d’un saint était alors le rêve des âmes chré¬ 
tiennes éprises de tout ce qui leur parlait de Dieu. Le Maître 
accompagna lui-même celui dont il avait eu, peu d’années aupa¬ 
ravant, à juger l’esprit 4 . C’est dire quelle estime il lui portait. 
Les Frères d’Avignon ensevelirent Frère Robert dans le cime¬ 
tière du couvent, mais en un lieu réservé. Plus tard, son culte 
s’étant merveilleusement développé, on dut le placer dans la sa¬ 
cristie, renfermé en une châsse d’honneur 5 . 

Parmi les admonitions sévères, publiées par Frère Robert 

1 Echard, I, p. 449. 

2 Bernard Gui raconte ces détails d’après ce qu’il a appris lui-même du compa¬ 
gnon du Frère Robert : « Hic frater Robcrtus migravit ad Dominum rediens de 
Capitulo generali Argcntinensi cclebrato anno Domini \ICC nonag. VI in con- 
ventu metensi... Vir fuit in etate florida plenus Spiritu Dci, cui multa Dominus 
rcvelavit et predixit futura, et evenerunt, diem et horam mortis suœ in inlirmitati 
qua obiit socio suo predixit, sicut ab codcm fratre audivi. » (Acta Capit. Prov., 
p. 380, note 5. — Echard. I, p. 449. — Année dominicaine, 4 juin. Lyon. Ed. Jc- 
vain. — Jean Mahuct, Prædicator. Avenion., p. 06 et ss. — Léandre Albert, De 
Viris illustrib., p. 227.) 

3 On raconte que pendant la cérémonie des funérailles, alors qu’on se rendait au 
tombeau, le corps du Bienheureux, s'échappant des mains des porteurs, s’éleva à 
une hauteur telle, que le sous-diacre ne pouvait l’atteindre avec la croix proces¬ 
sionnelle. On alla ainsi jusqu’à la fosse, le corps suivant en l’air, au-dessus des 
Frères. Il y descendit de lui-même. (Léandre Albert, De Viris illustrib., p. 27.) 
Cet écrivain ne l’a point vu. Bernard Gui, qui rapporte son ensevelissement à Metz, 
n’en parle pas. Ce prodige reste donc à tout le moins douteux. 

4 Les visions prophétiques de Frère Robert d’Uzès ont été écrites et imprimées. 
Elles comprennent deux livres. L’un est intitulé : Jncipil liber sermonum Domini 
Jhesu Christi, quos locutus est in servo suo. Il y a trente-quatre Chapitres. L’autre 
débute ainsi : Liber visionum quns dédit videre Dominus Jhesu servo suo. Il y a 
trente-huit Chapitres. Le tout a ét é édité à Paris par Jacques Faber, qui associa 
ces écrits à d’autres du même genre sous ce titre très vague : Liber trium virorum 
et trium spiritualium virginum. (Cf. Echard, I, p. 449. — Histoire littéraire de la 
France, XX, p. 500-502. — Fantoni, Jstoria di Avignone, II, p. 400-404. 1678.) 

8 Jean Mahuet, Prædicat. Avenion., p. 66 et ss. — Année dominicaine, 4 juin. 
Ed. Je vain, Lyon. 

Malgré ces témoignages de vénération, Frère Robert n’est pas encore béatifié. 


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392 


BERNARD DE JUSIX 


d’Uzès, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, je n'en cite qu'une 
seule, qui confirme ce qui a été dit dans ce volume sur le 
danger que faisait courir à l'Ordre des Prêcheurs la suffisance de 
quelques-uns: « Aux fils du chien aux couleurs diverses tu di¬ 
ras : En vous élevant, vous avez abandonné votre humilité pre¬ 
mière. Vous vous glorifiez dans la sublimité de votre science, 
parce que vous avez plus d'hommes instruits que les autres. Humi¬ 
liez-vous sous ma main souveraine; rendez gloire à mon nom, 
parce que c’est moi qui vous ai enseignés, qui vous ai fait sortir 
des ténèbres. J'ai donné à vos Pères l’esprit de science; je ne 
vous l'enlèverai pas, pourvu que vous confessiez en tout abaisse¬ 
ment que je suis le Seigneur, Maître de la science 1 . » 


I Liber trium virorum et trium spiritualium virginum, fol. 20. — L’éditeur a 
mis Filiis Caluli varicosi. Ce qualificatif n’a pas de sens. Je crois qu’il a mal lu le 
manuscrit et que le sens vrai est varii coloris. A cette date, à cause des deux 
couleurs de l’Ordre, on attribuait au chien vu en songe par la mère de saint 
Dominique des couleurs diverses. (Cf. Galvanus de la Flnmma, Chron., p. 1, « in. 
forma catuli vario colore depicti. » Ed. Reichert. ) L’expression me semble la 
même. Robert d’Uzès et Galvanus étaient contemporains. 

Comme curiosité, je note que Frère Robert düzès connaissait ce que l’on racon¬ 
tait de l’intronisation du Pape sur la Sedes stercoraria, sous le portique de Saint- 
Jean de Latran. Il dit en effet, au chapitre III des Sermonum, fol. 23 : « Duxit 
me Spiritus ad Laterancnsc palatium et posuit me in porticu ante sedes porpliy- 
rii, ubi dicilur probari papa an sit liomo etc... » 

II n’a pas l’air de mettre en doute cet usage, qui, on le sait, est une allusion 
fabuleuse à la fabuleuse papesse Jeanne. (Cf. Mortier, Saint-Pierre de Rome, p. 476. 
Marne, 1900.) 


BIBLIOGRAPHIE 


Léandre Albert, De Viris illuslribus Ordinis Prædicatorum. Bologne, 1517. 
Fontana, Monumenta dominicana. Rome, 1670. 

Ch. Grandjean, Benoît XI avant son pontifical. Rome, 1888. 

Année dominicaine, juin et septembre. Ed. Jevain, Lyon. 

V. Le Clerc, article dans YHistoire littéraire de la France, XX, 1842. 


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CHAPITRE II 


L’ATTITUDE DE BERNARD DE JUSIX ET DES PRÊCHEURS 
ENTRE BONIFACE VIII ET PHILIPPE LE BEL 


Il m’a semblé que, pour donner la physionomie intégrale de 1*at¬ 
titude de. Maître Bernard et de l'Ordre dans les démêlés de Boni- 
face VIII et de Philippe le Bel, qui bouleversèrent toute l’Eglise, 
il était nécessaire de tracer la silhouette des acteurs principaux de 
ce drame. Ainsi mis en éveil, le lecteur pourra apprécier lui-même 
les faits avec plus de securité 

Ce qu’était Philippe le Bel, il est assez difficile de l’aflirmer. Il 
n’a pas eu, comme saint Louis, la bonne fortune d’un chroniqueur 
loyal; et ses actes, par leur violence même, ont fatalement suscité 
des appréciations contradictoires. 

Nous avons de lui trois portraits : le premier, du moine Yves 
de Saint-Denis; le deuxième, de Guillaume de Nogaret; le troi¬ 
sième, de Geoffroi de Paris, tous contemporains. 

Le moine de Saint-Denis fait du roi de France, qui laissa arrêter 
et insulter Boniface VIII, une image de saint. Un peu plus, il lui met¬ 
trait au front le nimbe des Bienheureux : « Ce roi, dit-il, était très 
beau, suffisamment lettré, affable d’aspect, de mœurs très honnêtes, 
humble, doux, trop humble, trop doux, exact aux offices divins. 
Il fuyait les mauvaises conversations. Il pratiquait le jeûne, il 
portait un cilice, il se faisait administrer la discipline par son con¬ 
fesseur, avec une chaînette, cum quadam catenula . Simple et bien¬ 
veillant, il croyait que tout le monde était animé d’excellentes 
intentions; cela le rendait trop confiant; ses conseillers en abu¬ 
saient 1 . 5> Philippe était si dévot, qu’il refusa un lait de poule, 
quoique mourant, pour ne pas enfreindre le jeûne*. 

Nogaret dit de même : « Monseigneur le roi est de la race des 
rois de France, qui tous, depuis le roi Pépin, ont été religieux, fer¬ 
vents champions de la foi, énergiques défenseurs de la sainte Mère 


1 Cité par E. Lavissc, Histoire de France, III, p. 121. 
* Ibid. 


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394 


BERNARD DE JUSIX 


Église... Avant, pendant et après son mariage, il a été chaste, 
humble, modeste de tenue et de langue; jamais il ne se met en 
colère; il n'a de haine ni d’envie contre personne; il aime tout 
le monde. Pieux, compatissant à autrui, il cherche avant tout la 
vérité et la justice. Jamais sa bouche ne dit de mal de qui que ce 
soit. Sa foi est profonde, sa vie religieuse; il bâtit des églises, 
pratique des œuvres de piété. Beau de visage, d’aspect aimable, 
il est agréable à tous, même à ses ennemis, lorsqu’ils sont en sa 
présence. Dieu fait aux malades des miracles évidents par l’impo¬ 
sition de ses mains 1 ... » 

Philippe le Bel, thaumaturge! Mais, c’est Nogaret qui se charge 
du procès de canonisation!... 

Avec Geoffroi de Paris, l’auréole pâlit un peu. Ce chroniqueur 
est un troubadour qui, saisissant sur le vif les défauts et les vertus 
des grands, les décrit tels qu’il les a vus, tels surtout que les 
voyait le menu peuple. Ce ne sont plus ni les pieux récits d’un 
moine, ni les louanges intéressées d’un complice; dans les vers 
de Geoffroi de Paris, on entend le cri du peuple, ses propos sur 
le roi, ses tristesses et ses regrets. A l’en croire, Philippe le Bel 
était un personnage assez nul, indifférent aux affaires, sans carac¬ 
tère, facile à tromper. Il suivait en tout ses conseillers. Pourvu 
qu’il fit bonne chasse, le reste lui importait peu. 

« Et li roys si sonnait ses cors 
Par les forez, chaçant les pors 2 
Et les oisiax 3 qui sont volages, 

Et les Flamans prenaient ostages 4 . » 

Au lieu de s’occuper activement de la guerre de Flandre, Phi¬ 
lippe chasse. 

I « Dom. Rex est natus de progenic Regum Francorum, qui omnes a lempore 
regis Pipini, de cujus progenic dictus rex noscitur descendisse, fucrunt religiosi, 
ferventes, pugiles fidei, sanctæque matris ecclesiæ validi defensores, plures sehis- 
maticos ejecerunt, qui Romanam Ecelesiam occuparant, nec aliquis corum justiorem 
causam haberc potuit quam rex isle. Idem rex semper fuit in conjugio suo et ante, 
et post, castus, humilis, modestus ore et linguA, nunquam in co irâ, neminem odit, 
neminem invidet, omnes diligit, plcnus gratiû, caritativus, pius, misericors, verita- 
tem et jusliliam semper secutus, nunquam in cjus ore detractio, fervens in ilde, 
rcligiosus in vita, basilicas aedificans et opéra pictatis cxcrcens, pulccr visu et 
deeorus aspeetu, gratins (gratiosus) omnibus etiam inimicis suis, cum sunt in 
conspeclu cjus, apcrlaquc miracula Deus inflrmis per manus ejus ministrat. » (Afé- 
moir3 de Nogaret à Clément V : Dupuy, Histoire du différend d'entre le Pape Boni- 
face VIH et Philippe le Bel, p. 518. Paris, 1655.) 

II s’agit sans doute, par ces miracles, de la guérison des écrouelles. 

Dans un autre Mémoire, Nogaret ajoute encore quelques traits à ce tableau très 
flatteur : « Rex Franciae est persona humilis et benigna... timorata apud Dcuvn et 
homines, semper limcns peccare in agendis... vacans diebus singulis orationi et 
divinis officiis, vir magnac summacque paticntiac... » {Ibid., p. 438-39.) 

* Sangliers. 

3 Oiseaux. 

4 Cité par E. Lavisse, op. cit., p. 122. 


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CHAPITRE II 


395 


Après le désastre de Courtrai, on lui reproche vivement sa fai¬ 
blesse et son indolence : 

« Trahiz estes, chacun le pense, 

Par vos chevaliers de cuisine 
Qui sont delez 1 vous au coucher 
De vessie vous font lanterne 
Celx qui a droite et à senestre 2 
Sont entor vous ; et l’erbe peste 
Sire, vous font; et de crois 3 pile 4 . » 

Nous sommes un peu loin, avec ces on-dit populaires qui, sou¬ 
vent, donnent plus exactement la résultante de l'opinion et la 
vérité sur les personnes que les savantes appréciations des pané¬ 
gyristes, du roi parfait dont le moine de Saint-Denis et Nogaret 
ont gravé le portrait. Ce qu’ils appellent humilité, modestie, le 
peuple le nomme indifférence et faiblesse. Philippe, d'après l'opi¬ 
nion qui jugeait ses actes au jour le jour, aimait la chasse, et 
guère autre chose. Il avait un caractère d'une mollesse extrême, 
qui le livrait à la merci de ses conseillers. Il n’agit point de lui- 
même, il ne dirige pas les affaires du royaume. Une guerre ne 
parvient même pas à ranimer son énergie. Tel nous le peint 
Geoffroi de Paris. 

En résumé, si l’on veut avoir un portrait en pied de Philippe 
le Bel, d'après les croquis laissés par ceux qui l'ont connu, qui 
l’ont vu à l'œuvre, qui ont admiré ses actes ou pâti de ses défauts : 
le roi était un homme de grande foi, de mœurs honnêtes, adonné 
aux pratiques religieuses, peu intelligent, faible de caractère, et, 
de ce chef, facile à dominer. Il aurait fait, à la fin du xm e siècle, 
la figure d’un roi fainéant, sous la tutelle avisée et active des 
maires du palais. 

J’insiste à dessein sur ces coups de burin primitifs, avant d'en¬ 
trer dans les luttes de Philippe le Bel et de Boniface VIII, parce 
que, plus tard, ils nous donneront une lumière décisive sur ces 
événements, auxquels l’Ordre des Prêcheurs fut intimement mêlé. 

Non pas que j’ignore combien ce bellâtre doucereux, bigot, cou¬ 
rant sans cesse les « porcs » ou portant au poing le faucon, indif¬ 
férent aux affaires du royaume, est loin, très loin du prince astu¬ 
cieux, fier, violent et cupide, dont Boniface VIII et les Templiers 
essuyèrent les attaques, les affronts et les coups. Ce Philippe le 
Bel, deuxième manière, n’est certainement pas celui que les con¬ 
temporains ont vu. C’est un personnage de convention, tel qu’il 

1 Près. 

2 Gauche. 

2 Face. 

4 Ibid. 


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396 


BERNARD DE JUSIX 


ressort des actes de son gouvernement; une conclusion d’appré¬ 
ciateurs plus ou moins logiques. Car, en fin de compte, ceux qui 
ont vécu avec Philippe le Bel furent les témoins, les acteurs même, 
dans les deux drames qui ont bouleversé son règne. Ces drames, 
ils en ont suivi toutes les péripéties, ils y ont été mêlés, ils en ont 
même souffert comme tous les Français. Comment ces mêmes 
hommes peuvent-ils, comme Geoffroi de Paris, nous affirmer, 
devant de pareils actes d’énergie continue, de violence inouïe, 
d’acharnement contre ses ennemis ou ceux qu’il prétendait tels, 
que le prince qui concevait, commandait et dirigeait cette politique 
de casse-cou était d’un tempérament sans force, sans portée, sans 
vie? Cette note est unanime. Elle est, pour qui sait lire, dans le 
récit pieux d’Yves de Saint-Denis, sous les phrases apologétiques 
de Nogaret; elle remplit et domine l’écrit de Geoffroi de Paris, 
comme celui de l’auteur de la pièce intitulée : Un songe'. Ces 
documents primitifs en mains, il est difficile de se persuader que 
Philippe le Bel ait été un prince énergique, ardent à la lutte, 
intraitable dans ses prétentions. Malgré les tragiques événements 
dont ils furent témoins, ses contemporains l’ont jugé de toute 
autre manière. En saine critique, il me semble que leur jugement 
est le plus motivé, le plus authentique, le plus vrai. 

Les actes du gouvernement de Philippe le Bel n’offrent donc 
pas les éléments d’un portrait personnel; ils ne sont de lui que 
par l’estampille royale. C’est ailleurs qu’il faut en chercher la 
source, pour en établir avec justice la responsabilité. Elle revient 
entièrement à l’entourage du roi, à ces « maires du palais » qui 
s’appelèrent Pierre Flote, Guillaume de Nogaret, Enguerrand de 
Marignv. 

Pierre Flote est un juriste. Il a suivi les cours de Montpellier. 
Il descend en droite ligne, comme esprit, de Pierre des Vignes, 
l’âme damnée de Frédéric II. Il a du sang gibelin dans les veines. 
Impérialiste de doctrine, il saura, le moment venu, mettre au 
point les réponses civiles à opposer aux ordres ecclésiastiques. A 
la cour de France, il représente le droit indépendant, laïque, dans 
toute sa raideur. Philippe est le roi; Pierre Flote, le César. Ses 
arrêts sont cassants, hautains, dédaigneux. Un peu plus, on ver¬ 
rait le coup de botte du soldat, quoiqu’il ne fût qu’un légiste. 
Mais du légiste au soldat, pour la brutalité, il n’y a pas loin. La 
main de justice est aussi rude que le sabre. C’est Pierre Flote qui 
rédigea, surtout pendant les premiers démêlés, les actes de Phi¬ 
lippe le Bel contre Boniface VIII; c’est lui qui, devant le Parle¬ 
ment convoqué k Notre-Dame de Paris, le 10 avril 1302, attaqua 


1 Cf. E. Lavisse, op. cit., p. 122. 


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CHAPITRE II 


397 


de front l'autorité du Pape 1 ; c’est lui qui, en face du Pape lui- 
même, fit cette impertinente réponse : « Votre puissance est un 
mot, la nôtre une réalité 1 ! ». Du reste Boniface VIII, qui connais¬ 
sait tout le fond gibelin du chancelier de France, n’avait pas pour 
lui des sentiments très tendres. « Ce borgne a le diable au corps! 
écrit-il dans une bulle : Belial ille Petrus Fiole semividens cor - 
pore y menteque totalitér excaecatus 3 . » De part et d’autre on était 
un peu vif. Quand Pierre Flote fut tué à la bataille de Cour- 
trai (1303), Boniface VIII ne dut pas le pleurer beaucoup. 

Il est vrai que son successeur auprès de Philippe le fit peut-être 
regretter. Guillaume de Nogaret était encore un légiste de la même 
école provençale que Pierre Flote. En 1294, on le trouve juge 
mage de Nîmes et docteur en droit 4 . Sa fortune fut rapide. Astu¬ 
cieux, impérieux de caractère, actif et audacieux, il eut vite fait 
de s’emparer de la volonté molle et irrésolue de Philippe le Bel. 
On ne peut âme plus vile, plus hypocrite, plus brutale. Il est 
connu; lui-même a tracé son portrait. Ses interminables mémoires 5 
sont là qui disent tout son venin de dissimulation et d’effronterie. 
En voulant salir à outrance la personne de Boniface VIII, c’est sa 
vilenie à lui qu’il a étalée. Cet homme gouverna la France pen¬ 
dant dix ans, et pendant dix ans s’efforça, par tous les moyens 
en son pouvoir, d’avilir le Saint-Siège. Nous le verrons à l’œuvre; 
ses actes sont bien de lui; il en a revendiqué avec superbe toute 
la responsabilité. Il la garde 6 . 

Enguerrand de Marigny fut surtout un financier. Il débuta 
modestement comme écuyer d’Hugues de Bouville, puis devint 
pannetier dans la maison de la reine Jeanne. Il sut se faire agréer 
du roi. Normand de race, habile en affaires, il eut entre ses mains 
tous les fils secrets de la politique. Ses opérations d’argent ne 
plurent pas à tous; et chacun sait qu’il mourut, par ordre de 
Louis X, pendu au gibet de Montfaucon 7 . Dans l’affaire de Boni- 
face VIII et de Philippe le Bel, son action, si elle eut lieu, reste 
inconnue. 

Autour et au-dessous de ces premiers ministres évoluait une 
troupe de conseillers de second et de troisième ordre, dont il est 
impossible de fixer avec netteté la silhouette historique. On dirait 

1 Bulle de Boniface VIII, Verba delirantis filiæ, citée par Dupuy, Histoire du 
différend d'entre le Pape Boniface VJJI et Philippe le Bel..., p. 65. Paris, 1655. 

2 Ibid., p. 10 ( Historia peculiaris). J'avertis que la pagination ne se suit pas. 
Chaque partie de l'ouvrage est paginée à part. 

2 B. Verba delirantis: Dupuy, p. 65 (Documents). 

4 Dupuy, p. 615 (Documents). 

* Cf. Dupuy (Documents très nombreux). 

6 Cf. Histoire littéraire de la France, article de Renou, XXVII, p. 223 et ss. 
— R. Holtzmann, Willem von Nogaret. 1897. 

7 P. Clément, Trois Drames historiques. 1857. 


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BERNARD DE JUSIX 


que la faiblesse avérée du roi suscitait, près de lui, les ambitions 
les plus éhontées. Chacun voulait sa part d’influence : titre assuré 
d’ordinaire à une part de bénéfices. On le reprochait amèrement à 
Philippe le Bel, Cette valetaille de courtisans fut le malheur de 
son règne. Il allait les prendre n’importe où, même au dernier 
rang, même à l’étranger. « L’indignité des conseillers du roi et 
la faiblesse du roi pour ses conseillers indignes, tel est le cheval 
de bataille de tous les polémistes du temps, et de Geoffroi de 
Paris en particulier. 

« Li roi si est et dur et tendre 
Dur aus siens et douz as estranges 
France est tornée en serveté 
Car Français n’i sont escouté 
Qui sont nez de lor droite mère 
Ils sont au jour d’hui mis arrière *. » 


Parmi les Français, citons Gilles Aicelin, archevêque de Nar¬ 
bonne, frère du cardinal Aicelin de Billom, Pierre de Belleperche, 
Pierre et Étienne de Mornai, Maître Richard Leneveu et Maître 
Jean de la Forêt ; parmi les étrangers, Biccio, et surtout Musciatto 
de Franzesi, que les Français appelaient Monseigneur Mouche . 
Ils eurent les mains dans tous les tripotages financiers de l’époque 
et les intrigues les plus louches de la politique religieuse. La 
plupart de ces parasites de cour étaient clercs. C’est parmi eux, 
souvent pour récompenser des services d’honnêteté douteuse, que 
l’on prenait les évêques. Il se forma ainsi un épiscopat d’anti¬ 
chambre 2 , plus dévoué à la cause du roi qu’à celle de l’Église. 
Le gallicanisme sort de là. 

On voudrait voir, en contrepoids de ces influences d’en bas, 
quelque noble figure de grand seigneur, quelque caractère vrai¬ 
ment sacerdotal, essayer au moins d’arracher Philippe le Bel à 
ces entraves d’esclave. Les princes du sang eux-mêmes, ses 
frères, qui devinrent ses successeurs, sont emportés par le cou¬ 
rant ou perdus dans la foule. Leur action demeure inaperçue. 
Seul, Charles de Valois tentera quelque effort pour arrêter Noga- 
ret dans sa rage de diffamation contre la mémoire de Boniface VIII 
et fera pendre au gibet de Montfaucon le faux monnayeur Enguer- 
rand de Marigny. Mais ce prince était besogneux 3 ; ses dettes 
l’empêchaient d’agir, et quelques écus lui fermaient la bouche. 

1 E. Lavissc, Histoire de France, IH, p. 125. 

* « Par les Prélaz qui veulent plaire au roi, et tout son plaisir faire dcschict 
aujourd’hui Sainte Eglise. » (Roman de Fauvel. — E. Lavissc, op. cit., p. 240.) 

3 J. Petit, Charles de Valois. Paris, 1900. 


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CHAPITRE II 


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Homme médiocre, en résumé, « qui avait trop de filles à 
marier 1 . » 

D'autre part, jamais le pouvoir royal ne fut plus absolu. Les 
grands seigneurs, humiliés et abaissés par Blanche de Castille, 
avaient perdu leur prestige; s’ils souffraient du gouvernement, 
ils le disaient peu ou point. Aucune rébellion sérieuse n’eut lieu*. 
De parlement périodique, régulier, obligatoire, il n’est pas ques¬ 
tion. Le roi pouvait, en certains cas, dans les circonstances les 
plus critiques, réunir, où il voulait et quand il voulait, le clergé, 
la noblesse et le commun de ses sujets; il n’y était pas tenu. 
Cette consultation bénévole, pour sérieuse qu’elle fût, ne lui liait 
pas les mains. Les avis entendus, il demeurait libre d'agir à sa 
guise 3 . Il résulte de ces faits que la place était nette autour de 
Philippe le Bel, et que ses conseillers avaient toute franchise 
pour gouverner selon leurs vues. Il y avait bien un personnage, 
très considérable à l'époque, qui eût pu, avec un peu d’énergie, 
contrebalancer l’influence néfaste des Pierre Flote et des Nogaret. 
C’était le confesseur du roi. Philippe le Bel, au dire de tous les 
chroniqueurs, amis et ennemis, était un homme de grande foi et 
de piété exemplaire. Le point d’appui était solide. Pourquoi Frère 
Nicolas de Fréauville ne sut-il pas en profiter? Nous le verrons 
à l’œuvre. A force de vouloir être habile, il parvint, comme il 
arrive souvent, à mécontenter tout le monde et à s’attirer, par 
ses manœuvres maladroites, l'animosité de la Cour de France et 
de celle de Rome. 

Maintenant que le terrain nous est connu, nous pourrons avan¬ 
cer hardiment et suivre les péripéties de la lutte entre la France 
et le Saint-Siège. 

Je serai bref. Encore faut-il, pour apprécier l’attitude de l'Ordre, 
donner un raccourci des événements d’ensemble. 

Sur les reliques de saint Louis, Boniface VIII et Philippe le 
Bel s'étaient, comme par surprise, donné la main. Peu loyale 
et peu vive, l'étreinte ne fut qu’un rêve. Au fond, la politique 
française, devenue, sous la direction de Pierre Flote, une poli¬ 
tique entièrement gibeline, entendait bien poursuivre son œuvre 
en soustrayant le royaume de France, sans toucher aux choses 
de la foi, à la tutelle autoritaire du Saint-Siège. D’autre part, 
Boniface VIII, dont la viellesse se faisait de plus en plus irri¬ 
table et qui voulait garder intacte la puissance traditionnelle de 
ses prédécesseurs, prenait, au jour le jour, un ton plus cassant, 


1 E. Lavisse, op. ci7., p. 124. 

1 Ibid., p. 243 et ss. 

1 Ibid., p. 259 et ss. — Ilervieu, Recherches sur les premiers Etats généraux et 
les Assemblées représentatives pendant ta première partie du xiv« siècle. 1879. 


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400 


BERNARD DE JUSIX 


plus impérieux. L’obstacle l’exaspérait. Dans ces conditions, un 
choc était inévitable. 

Il se produisit, Bernard de Jusix à peine élu. 

En 1295, peu après son exaltation, Boniface VIII récompensait 
un de ses favoris, Bernard Saisset 1 , en créant pour lui l’évêché 
de Pamiers. On dit que le nouvel évêque, hostile aux Français 
comme beaucoup de Languedociens ses compatriotes, était un 
défenseur avéré de la suprématie pontificale ; qu’il en avait même 
établi et soutenu publiquement la doctrine à Paris. Il s’agit, bien 
entendu, de la suprématie qui, selon le droit international jusque- 
là en usage, conférait au Pape le pouvoir d’intervenir avec auto¬ 
rité dans les conflits des princes chrétiens et le gouvernement de 
leurs sujets. Comme cette doctrine est le nœud de la question 
entre Boniface VIII et Philippe le Bel, il faut brièvement en 
donner le sens. 

Il y a sur la terre deux puissances, comme il y a deux sociétés : 
la puissance temporelle, qui gouverne la société temporelle ; la 
puissance spirituelle, qui gouverne la société spirituelle. Mais, 
dans l’exercice de leurs fonctions, il arrive fatalement que ces 
deux puissances se rencontrent. Tout chrétien, roi ou sujet, est 
soumis au Pape, Vicaire de Jésus - Christ, pour le spirituel. Or, 
dans le gouvernement des peuples, combien de fois et en com¬ 
bien de manières le spirituel n’est-il pas en cause? Chaque fois 
qu’un prince, ou dans les lois qu’il impose, ou dans les actes 
qu’il fait, s’éloigne de la loi évangélique, et, par là même, com¬ 
met une faute spirituelle, il tombe de ce chef sous la juridiction 
du Pape. C’est au Pape qu’il incombe, en vertu de ses pouvoirs 
divins, de l’avertir, de le réprimander, au besoin de le punir. Il 
entre, par cette porte, de plain-pied, dans la direction suprême 
de tous les Etats catholiques. Si un roi, comme Philippe le Bel, 
fait de la fausse monnaie, le Pape a le droit de lui dire : « Tu 
commets une faute contre la justice, et tu dois cesser cette fabri¬ 
cation malhonnête ; » s’il entreprend une guerre manifestement 


1 Bernard Gui raconte en ces termes la fondation de l'évéché de Pamiers : 

« Notandum incidcnter quod hoc anno (1296) vel parum ante vel parum post, de 
Villa Appamiensi que nundum erat eivitas, dominus Bonifacius octavus papa fecit 
civitatem novam, procurante et promoventc viro venerabili ac memorie recolendc 
domino Bernardo Saysseti, abbate lune monasterii canonicorum rcgularium beati 
Antonini cpiscopi et martyria mansi Appamiarum; et instituit ibi inquisitorem 
novum hcrcticc pravitatis fratrem Ar“. Johannis Tholosanum Ordinis nostri; et 
divisit cpiscopatum Tholosanum per limita tores istos scilicct per dominum archi- 
cpiscopum Narbonensem et dominum Jordanum Fcrroli Carcassonenscm..Episcopus 
vero primus factus fuit per ipsum papam civitatis predicte prefatus dominus Ber. 
Saysseti. »> (.leta Capital. Prov., p. SOI. Ed. Douais. — Cf. Gallia christiana, XIII, 
Inst. 98.) 

M.-Ant. Thomas, les Hegistres de Boniface VIH, n°* 411, 412, 412 bis, 412 ter, 
412 quater. Paris, 1884. 


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CHAPITRE II 


401 


injuste, il a le droit de lui dire : « Arrête tes troupes, ou je 
t’excommunie; » s’il pressure son peuple d’impôts exorbitants, 
il peut prendre la défense des petits et s’efforcer, par son entre¬ 
mise paternelle, de soulager leur misère. Cette mainmise de la 
Papauté dans les affaires politiques, à raison des privilèges divins 
qu’elle a reçus du Christ, avait été acceptée comme un principe 
de droit public jusqu’à Philippe le Bel, non sans répugnance, ni 
parfois sans révolte ; mais, de fait, princes et peuples catholiques 
la comprenaient et s’y soumettaient. C’est en ce sens que Boni- 
face VIII entendait « que toute créature, pour être sauvée, doit 
obéir au Vicaire de Jésus-Christ 1 ». Il serait difficile à un catho¬ 
lique, même aujourd’hui, de le nier. 

Pierre Flote et les conseillers de Philippe le Bel ne voulaient 
à aucun prix de cette ingérence. Ils affirmaient que le Pape 
n’avait rien à voir dans les affaires du royaume et que le roi était 
absolument maître chez lui. C’était une erreur. Si Boniface VIII, 
par sa violence, son manque de souplesse, ses exagérations 
de style, eut des torts graves dans la forme, Philippe le Bel 
et ses conseillers eurent tort pour le fond. Boniface VIII a 
été mauvais diplomate; Philippe le Bel et les siens, mauvais 
catholiques. Il faut dire, à leur décharge, que les formules 
outrées dont Boniface VIII enveloppait ses justes revendications 
laissaient à entendre qu’il prétendait, non pas seulement à cette 
suprématie sur les affaires temporelles du royaume, ratione 
peccati, mais bien à un domaine réel, à une autorité complète 
sur la société civile. Il n’v aurait eu, dans ce sens, qu’une seule 
puissance : la puissance spirituelle ; et la puissance civile devenait 
une simple délégation de celle-là 2 . En France, les conseillers de 

1 B. Unam sanctam. — Dupuy, p. 56 (Documents). 

* Voici les textes les plus absolus des bulles de Boniface VIII. 

Dans la bulle Ausculta fili, du 5 décembre 1301, il dit : « Conslituit cnim nos 
Deus, licet insufficientibus meritis, super Rcges, et régna, imposito nobis jugo 
Apostolicæ servitutis, ad evcllendum, destruendum, disperdendum, dissipandum, 
ædificandum atquc plantandum sub ejus nomine et doctrina... Quare, lili carissime, 
nemo tibi suadeat quod superiorem non habes et non subes summo Hicrarchæ 
Ecclesiæ hiérarchisé, nam dccipit, qui sic sapit... » (Dupuy, Histoire du différend..., 
p. 48 [Documents].) 

Daus la fameuse bulle Unam sanctam, du 18 novembre 1302, il dit : 

«• In hac ejusque polcstate (Ecclesiæ) duos esse gladios, spiritualem vidclicet et 
temporalcm evangelicis dictis instruimur. Nam dicentibus Apostolis : ecce gladii 
duo hic, in Ecclesia scilicct, cum Apostoli loquerentur, non respondit Dominus 
nimis esse, sed satis. Ccrte.qui in potestate Pétri temporalcm gladium esse negat, 
male verbum attendit Domini proferentis : eonvcrlc gladium tuum in vaginam. 
Uterque est in potestate Ecclesiæ, spiritualis scilicet gladius et matcrialis. Sed is 
quidem pro Ecclesia, ille vero ab Ecclesia exercendus. Ille sacerdotis, is in manu 
regum et militum, sed ad nutum et patientiam sacerdotis. Oportct autem gladium 
esse sub gladio, et temporalcm auctoritatem spirituali subjici potestati. Nam, veri- 
tate testante, spiritualis potestas terrenam potestatem inslituere habet et judicarc, 
si bona non fnerit... Est autem hœc auctoritas (et si data sit homini et excrceatur 

II. — 26 


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402 


BERNARD DE JUSIX 


Philippe le Bel affectèrent de comprendre ainsi les déclarations 
de Boniface VIII 1 . Tous leurs actes, tous leurs discours, tous 
leurs mémoires relèvent cette prétention exorbitante. Et là, ils 
avaient beau jeu. Au fond, le diiîérend roule, extérieurement du 
moins, sur cette équivoque. Pierre Flote, Nogaret et leurs affi¬ 
dés en profitèrent outrageusement pour attaquer l'autorité légi¬ 
time du Saint-Siège. 

On comprendra, dès lors, que la thèse soutenue à Paris par 
l’évêque de Pamiers ait été considérée comme une bravade. Les 
conseillers du roi ne la lui pardonnèrent pas. Bernard Saisset 
avait les propos un peu vifs. On l'accusa de tenir des discours 
injurieux contre le roi, et même de former un parti contre la 
domination française en Languedoc. Il aurait dit de Philippe 
le Bel : « C'est un faux-monnayeur *, » ce qui était parfaitement 
exact ; et encore : « C'est un bâtard 3 , » ce qui était plus difficile 
à prouver. « Le roi ne s’occupe que de la chasse, disait-il; il a 
de mauvais conseillers,... la cour est corrompue. C’est une prosti¬ 
tuée 4 . Pierre Flote ne fait rien sans qu’on lui graisse la patte 5 . 
Dans le royaume des aveugles, les borgnes sont les rois 6 . » Pierre 
Flote, on s’en souvient, était borgne. Boniface VIII l'avait déjà 
remarqué. 

Toutes ces accusations n'avaient rien de bien grave. L’évêque 
n’aimait pas la cour de France, ni les Français. Il avait peut- 
être tort de le dire ; mais de là à une trahison effective il y a 


pcrhominem) non humana, scd potius divina, orc divino Pctro data, sibiquc, 
suisque successoribus, in ipso, qucm confessus fuit, petra flrmata, dicente Domino 
Petro : Quodcumque ligaveris etc... 

« Porro subessc Romano Pontiiici omnem humanam creaturam declaramus, dici- 
mus diffinimus et pronuntiamus omnino esse de nccessitate salutis. « 

Ces déclarations doctrinales de Boniface VIII ont été discutées et expliquées par 
d’innombrables canonistes et théologiens. Je ne puis entrer dans ce débat. Qu'il 
suffise de dire que toutes ont un sens très juste et très catholique, réserve faite de 
la forme exagérée que le caractère impétueux du Pape leur a donnée et qui a per¬ 
mis à ses ennemis de les retourner contre lui, non sans succès, avant et après sa 
mort. 

Clément V lui-meme, malgré ses désirs de plaire à Philippe le Bel et malgré les 
adjurations menaçantes de Nogaret, ne cassa point la bulle Unam sanctam. Il déclara 
simplement qu'elle ne changeait rien à l’état de choses primitif. Et cela est vrai. 
La bulle Unam sanctam a un sens catholique, qui a été, qui est, et qui sera toujours 
certain. 

(Bulle de Clément V, Meruit carissimi, 1 er février 1306. — Dupuy, p. 288.) 

t Tous les écrivains français de l’époque les prirent dans le mémo sens. Villani 
également. — Cf. Dupuy, p. 186 et ss. 

* Informations de Leneveu, archidiacre de Lisieux et de Jean, vidame d’Amiens, 
seigneur de Picquignv, chevalier, conseillers du roi et commissaires envoyés à 
Toulouse par Sa Majesté. (Dupuy, p. 633.) 

* Ibid., p. 639. 

* Ibid., p. 631. 

» Ibid., p. 639. 

6 Ibid., p. 640. 


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CHAPITRE II 


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loin. Il fut arrêté et conduit à Senlis, où il comparut devant le 
roi et une grande assemblée de prélats, barons et chevaliers. 
Pierre Flote prit la parole et sut, avec habileté, faire un résumé 
accablant de toutes les imputations recueillies par l'enquête 1 et 
arrachées souvent à la torture, à ce point qu'on voulait massa¬ 
crer le malheureux évêque sur place. On se contenta de l'enfer¬ 
mer. En pareil cas, à raison de l’immunité ecclésiastique qui 
couvrait tous les clercs et surtout les évêques, il n’y avait qu'un 
juge compétent : le Pape. C’était de droit ordinaire. L'évêque de 
Pamiers, ayant nié les accusations portées contre lui, devait se 
présenter au Pape et être jugé par lui. Le mettre en prison 
et l'empêcher ainsi de comparaître devant l’unique tribunal au¬ 
quel sa cause ressortissait, c'était, de la part du roi, empiéter 
sur les droits du Saint-Siège et méconnaître une loi de l’Eglise 
alors en pleine vigueur. Gilles Aicelin, archevêque de Narbonne 
et conseiller du roi, chargé de garder le prisonnier, le sentait si 
bien, qu'il tenta d’obtenir pour lui un sauf-conduit. On lui répon¬ 
dit durement : « Vous préférez donc la cause d’un traître à celle 
du roi ! » 11 n'était pas question de justice. 

Cependant ce prisonnier de marque était un embarras. Si faibles, 
en réalité, s’offraient les accusations à sa charge, qu'on craignit 
de Boniface VIII, son ami, une mise en liberté immédiate. Un 
conseiller du roi prit l’affaire en main. Il rédigea un réquisitoire 
où, négligeant les griefs assez légers relevés par l’enquête, il 
entassa les calomnies les plus odieuses et les plus infamantes. 
A l’entendre, Bernard Saisset est un blasphémateur, un simo- 
niaque avéré 2 ; il est fauteur des plus abominables hérésies : 
« Pour un prêtre, enseigne-t-il, la fornication n’est pas péché... 
Il a même dit et répété du Seigneur Pape Boniface : « C'est le 
« diable incarné 3 ! » Et le mémoire ajoute hypocritement : « Ces 
injures prodiguées à l’Eglise, au Saint-Père, le roi les a ressen¬ 
ties plus vivement que les autres, qui ne s’adressaient qu'à Sa 
Majesté 4 ... » Tout cela, pour justifier l’emprisonnement de l'évêque 
de Pamiers et exciter contre lui la colère du Pape. Ce mémoire 
n’est pas signé ; mais il suffit de le comparer avec ceux qui atta¬ 
queront plus tard le Pape lui-même, pour mettre au bas, sans 
crainte d’erreur, le nom de Nogaret. C'est le même procédé de 
calomnies et d’hypocrisies ; ce sont les mêmes formules haineuses. 
Le produit trahit l'officine. 


1 Dupuy, p. 653. 

2 Ibid. j p. 627 et ss. Divers actes du procès criminel fait à H., évêque de 
Pamiers. 

2 Ibid., p. 628. 

4 Ibid., p. 629. 


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BERNARD DE JUSIX 


Avisé de l’état réel des choses, peut-être las d’être harcelé par 
les conseillers de France, Boniface VIII répondit sèchement. Ber¬ 
nard Saisset étant évêque, le roi devait lui laisser la liberté de 
porter sa cause devant le Saint-Siège; de plus, Philippe recevait 
l’ordre de lever le séquestre des biens de l’évêché de Pamiers. 
Le Pape était dans son droit. Mais, comme il en avait coutume, 
au lieu de traiter simplement la question du fait, il dépassait 
le but. Le roi de France s’étant permis de léser les privilèges 
de l’Église, Boniface, par représailles trop hâtives, cassait et 
déclarait nuis tous les privilèges qu’il avait accordés à la Cou¬ 
ronne 1 . Déjà très vif, ce procédé fut aggravé. Le lendemain, 
5 décembre 1301, le Pape lançait sa bulle Ausculta fili*; bulle 
de principes, où il affirmait solennellement la suprématie du 
Saint-Siège et reprochait à Philippe le Bel d’empiéter sur ses 
droits souverains dans la collation des bénéfices, de fouler aux 
pieds les immunités ecclésiastiques, de spolier les biens de 
l’Église. 

Au premier jappement, comme on le voit, le vieux sanglier 
d'Anagni découd son adversaire. Mais les coups de boutoir furent 
toujours peu diplomatiques. Ceux-ci allaient avoir de terribles 
conséquences. Boniface en eut-il le pressentiment? Cinq semaines 
après, comme s’il eût voulu atténuer l’effet de ses déclarations, 
il mandait à l’archevêque de Narbonne d’instruire en France le 
procès de l’évêque de Pamiers. C’était trop tard. La meute du roi 
de France était déchaînée. 

La bulle Ausculta fili, prise à la lettre, dans son sens le plus 
absolu, par Pierre Flote et ses affidés, fut regardée comme un 
attentat à la dignité royale. On dit même que, dans son exaspé¬ 
ration, Philippe le Bel l’aurait fait brûler en présence de tous les 
nobles qui se trouvaient à Paris. Villani dit simplement que, lec¬ 
ture faite des lettres pontificales devant le roi, dans les premiers 
jours de février 1302, le comte d’Artois les jeta par mépris dans 
la cheminée, où elles furent consumées 3 . Un acte plus certain, 
plus odieux et plus dangereux pour le Pape, fut la falsification 
de sa bulle. Il fallait, à tout prix, soulever contre lui les pas¬ 
sions populaires. Cette bulle, très longue, très diffuse-, suscep¬ 
tible d’une interprétation juste , ne pouvait être comprise des 
masses. Quelques lignes concises, décisives, à la portée de toutes 
les intelligences, atteindraient le but. On les écrivit : 

1 B. Salvator mundi, 4 décembre 1300. Dupuy, p. 42 (Documents). — Cette bulle 
a été annulée par Benoît XI et Clément V. 

2 Dupuy, p. 48 (Documents). 

9 Cet acte même est contesté. — Cf. F. Rocquain, Bibliothèque de VEcole des 
Chartes, 1883, p. 393 et ss. — Haltzmann, Deutsche Zeitschrift für. Geschitswissen- 
schaft , 1896. 


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CHAPITRE II 


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«Boniface, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Philippe, 
roi de France : la crainte de Dieu et la garde de ses comman¬ 
dements. 

« Sachez que vous nous êtes soumis pour le spirituel et pour 
le temporel. La collation des bénéfices et des prébendes ne vous 
appartient en aucune manière. Si vous avez la garde de quelques- 
uns de ces bénéfices, pendant la vacance, par la mort des titu¬ 
laires, vous devez en réserver les fruits à leurs successeurs. Nous 
déclarons nulle, pour le droit, toute collation de bénéfices faite 
par vous, et nous cassons tout ce qui s’est passé dans ce cas, 
pour le fait. Ceux qui croiront autrement seront réputés héré¬ 
tiques... Au palais de Latran, le 5 me jour de décembre, l’an 7 de 
notre pontificat 1 . » 

Pareil style ne sort pas de la chancellerie pontificale. C’est 
une abominable parodie. Son succès répondit à l’attente de ses 
auteurs. Parler sur ce ton à un roi de France parut légitimement 
une prétention ridicule. L’opinion s’ameuta. Pour l’exciter davan¬ 
tage, on fit circuler une soi-disant réponse du roi : 

« Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, à Boniface, 
qui se dit Pape, peu ou point de salut. 

« Que Ta Très Grande Fatuité sache que nous ne sommes soumis 
à personne pour le temporel ; que la collation des bénéfices et des 
prébendes nous appartient par le droit de notre couronne, et que, 
pendant la vacance, les fruits de leurs revenus sont notre bien ; 
que les collations déjà faites ou que nous ferons sont valides, et 
que nous maintiendrons en leur possession ceux que nous avons 
nommés. Ceux qui croiront autrement sont des fous et des 
insensés. A Paris, etc*... » 

Malheureusement cettç pièce, — qui ne serait qu’une réponse 
de cuistre, — a bien été rédigée, comme la précédente, par 
l’entourage de Philippe le Bel. Et je crois que, sans aucun scru¬ 
pule, on peut la signer : Nogaret. Pierre Flote, tout en étant 
rude de langage et peu respectueux de la dignité pontificale, y 
mettait encore plus de courtoisie. 

Ces deux factums, répandus dans le public, y produisirent une 
indescriptible émotion. On crut à leur authenticité, dont sur le 
moment rien ne pouvait faire soupçonner la fraude. Tout le 
patriotisme national prit feu; et chacun sait qu’en France, une 
fois allumée, cette flamme brûle de belle ardeur. Boniface VIII 

1 Dupuy, p. 44. B. Scire te volumus. Cet auteur, panégyriste à outrance de Phi¬ 
lippe le Bel, ne conteste même pas l'authenticité de cette bulle. Tous les gallicans 
ont fait de même. 

3 Ibid., p. 44. Sciât ta a maxima fatuitas. 

3 Dans l’Histoire de France d'Ernest Lavissc. M. Langlois admet lui-même la non- 
authenticité de ces deux pièces. Cf. III, p. 149. 


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ne fut plus pour tous, même pour les gens d’Église, qu’un extra¬ 
vagant ambitieux. 

Les conseillers de Philippe le Bel se hâtèrent de mettre à pro¬ 
fit cet élan de loyalisme. 

En même temps qu’il envoyait au roi de France la bulle Au- 
sculta fdi, le Pape avait adressé à tous les évêques, prélats, cha¬ 
pitres et docteurs du royaume, une lettre où il les invitait à se 
rendre à Rome, pour le 1 er novembre suivant, afin de traiter avec 
lui les affaires de leurs églises. Il rappelait, dans cette missive, 
les abus commis par le roi contre les privilèges et la liberté des 
clercs, et promettait d’y mettre ordre f . Philippe le Bel prévint le 
coup. Le 10 avril, alors que l’effervescence causée par la fameuse 
bulle Scire te volumus atteignait son paroxysme, il réunit à 
Notre-Dame les trois ordres du royaume : nobles, clercs et gens 
du commun. Le roi ne dit mot; il était là pour en imposer par sa 
présence; mais comme toujours, selon une boutade reprochée à 
Bernard Saisset, il « ne savait que regarder les gens fixement, 
sans parler 1 2 ...; ce n’est ni un homme ni une bête, c’est une sta¬ 
tue 3 ». La statue était sur son trône, cela suffisait. Pierre Flote 
discourut. Il raconta les prétentions de Boniface VIII, comme si 
le roi tenait son royaume non pas de Dieu seul, mais du Pape! 
Et, prenant l’offensive, il fit un tableau saisissant des exactions de 
la Curie romaine, du népotisme effréné des Papes, de leur avidité 
des richesses. Il déclara qu’il fallait, coûte que coûte, garder les 
privilèges et les franchises du royaume 4 . L'assemblée était soulevée. 
Au nom de la noblesse, Robert d’Artois jura qu’elle était prête à 
verser son sang pour la défense et l’indépendance de la Couronne. 
Les députés des communes se rallièrent à la délibération de Pierre 
Dubois, avocat du roi à Coutances, hostile à Boniface. Or, comme 
le discours de Pierre Flote, cette délibération a pour objet la 
fausse bulle Scire te volumus 5 . Pierre Dubois a pu agir en toute 
bonne foi; mais Pierre Flote ne pouvait ignorer qu’il devenait 
publiquement le complice d’un faussaire. 

Le clergé était plus embarrassé. Obligé de choisir entre le roi 
et le Pape, il ne savait à quoi se résoudre. Il le savait d’autant 
moins que les bulles du Pape, — surtout celle que l’on avait 
fabriquée de toutes pièces à Paris, — paraissaient excéder ses 
pouvoirs. Hésiter en pareil cas, garder un peu de raison au milieu 
de la surexcitation maladive de l’ambiance, est tout aussitôt réputé 

1 B. Ante promotionem, 5 décembre 1301. Dupuy, p. 53 (Documents). 

2 Acte de Pierre Flote. Dupuy, p. 653 : « Item quod nihil omnino sciebat nisi 
rcspieerc hommes. » 

* Ibid. « Item quod non crat homo nec bestia, sed imago. » 

4 Chronique de Saint-Denis, II, chap. xlii, Paris, 1476. 

8 Dupuy, p. 44 (Documents) : « Quod autem Papa sic scribem... » 


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CHAPITRE II 


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trahison. Le patriotisme à fleur de peau n’admet pas de moyen 
terme. Déjà, on insultait les clercs; on criait à la traîtrise. Le 
clergé céda. Une lettre très respectueuse de ton, mais très enche¬ 
vêtrée d’idées et très trouble de sentiments, fut adressée à Boni- 
face VIII. Le clergé de France y racontait ses angoisses, ses désirs 
d’obéir à la convocation du Pape, son impossibilité de le faire. Il 
allait même, dans son ardent espoir dune paix sincère, jusqu'à 
supplier le Pape de retirer ses injonctions 1 . 

La réponse de Boniface ne se fit pas attendre. Dès la fin de 
juin, il envoyait la bulle Verba delirantis filiæ . C'est un réquisitoire 
violent contre la faiblesse de l’épiscopat français et les actes de 
l'assemblée de Notre-Dame. Pierre Flote y est pris à partie, et 
ceux qui, comme lui, détournent le roi Philippe de la voie droite... 
« Ce deuxième Lucifer tombera comme le premier, aussi puissant 
qu'il soit 2 . » Cette prophétie du vieux Pape parut se réaliser à la 
lettre. Quelques jours après, le 14 juillet 1302, Pierre Flote et le 
comte d’Artois étaient tués à la bataille de Courtrai. 

Philippe le Bel fut-il un instant désemparé par ce tragique 
événement? Écouta-t-il des conseillers plus modérés? On est tenté 
de le croire. La Cour de France subissait par la victoire des Fla¬ 
mands une profonde humiliation. Mobile de caractère comme il 
était, à la merci de qui savait le diriger, le roi accepta des propo¬ 
sitions d’accommodement. Le parti plus religieux l’emportait. Est-il 
téméraire d'en attribuer le succès, très passager, à l'influence de 
son confesseur? 

Frère Nicolas de Fréauville, originaire de Neufchâteau, en 
Normandie, prit l’habit des Prêcheurs au couvent de Rouen. 
Après des études brillantes à Saint-Jacques de Paris, il enseigna 
les sciences sacrées comme Sous-Lecteur et Régent à Cou tances, 
Orléans et Poitiers. Philippe le Bel le choisit pour confesseur. Il 
avait alors près de cinquante ans 3 . Frère Nicolas était réputé 
assez puissant sur son royal pénitent et peu favorable aux entre¬ 
prises gibelines de Pierre Flote et Nogaret; car on chercha à lui 
nuire en ruinant son crédit. Il fut accusé de livrer aux Flamands 
les secrets des délibérations du Conseil 4 . Philippe le Bel n’en crut 
rien et le garda. L’intervention probable du confesseur du roi, 
certainement celle de Robert, duc de Bourgogne, obtinrent que 
les évêques et abbés de France pussent se rendre à Rome, le 


* Lettre du clergé : Sanclissimo Patri ac domino suo carissimo. Dupuy, p. 67 
( Documents). 

2 Ecce Ego constitui te... Dupuy, p. 73 (Documents). Le Père Denifle met en 
doute l'authenticité de cette bulle à raison de son style. ( Chartut . Université 
Paris., II, p. 100.) 

2 Echard, I, p. 555. 

< Ibid . 


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BERNARD DE JUSIX 


1 er novembre 1302. Ils y allèrent au nombre de trente-neuf 1 . 
C’était peu. La plus grande partie s’était excusée et avait envoyé 
des représentants. Boniface VIII triomphait; il le croyait du 
moins. Aussi en profita-t-il pour aggraver encore ses déclarations 
de principes. On dirait qu’il veut, à tout prix, humilier le roi de 
France, le pousser à bout, et le vaincre dans ses derniers retran¬ 
chements. Boniface VIII manquait, il faut l’avouer, de finesse di¬ 
plomatique. Son procédé ne varie pas : coup de massue sur coup 
de massue. 

Dans l’assemblée française de Rome, il publia la bulle Unam 
sanctam *. De plus, après la dissolution de cette espèce de concile 
national, dont le succès fut si illusoire, le Pape manda en France 
comme légat le cardinal Jean Lemoine, Picard d’origine 3 , frère 
de l’évêque de Noyon, personnage très ami de Philippe le Bel. 
On dirait, à ce choix, que Boniface VIII voulut tenter quelque essai 
d’accommodement. Mais, si le délégué était par avance agréable 
au roi de France, il n’en était pas ainsi des réclamations qu’il 
avait à faire valoir. C’était en réalité l’ultimatum du Pontife. Tout 
ce qu’il avait dit dans ses bulles successives, tout ce qu’il avait 
exigé du roi, à diverses reprises, devait être dit et exigé de nou¬ 
veau par le légat. Boniface ne cédait rien, ni sur les principes, 
ni sur les faits 4 . La réponse du roi fut plutôt modérée 5 . Encore 
cette fois, mais pour la dernière, il avait subi l’influence de bons 
conseillers. Le Pape n’en fut point satisfait. Il déclara que les 
allégations et les promesses de Philippe le Bel étaient dérisoires 
et pleines de sous-entendus. Et il ajoutait en écrivant au légat : 


1 Dupuy, p. 86 (Documents). Il y avait en outre six abbés, dont ceux de Cluny 
et Citeaux. (Ibid.) 

* Son authenticité est incontestable, quoi qu'en ait écrit M. Mury, dans la Revue 
des questions historiques, XXVI, 1879, p. 91. — Cf. Desjardins, Etudes religieuses 
de la Compagnie de Jésus, 1880. — Berchtold, Die Bulle Unam sanctam, und ihre 
wahre Bekentung und Tragweste für Staat und Kirche, 1887. — P. Ehrmann, Die 
Bulle Unam sanctam, 1896. 

3 Le cardinal Jean Lemoine naquit à Crécy-en-Ponthieu, vers le milieu du 
xni« siècle. Il étudia à Abbeville, fut Maître en théologie de l'Université de Paris, 
Auditeur de rote à Rome. Il fonda à Paris un collège qui prit son nom et fonctionna 
sous ce titre jusqu'à la Révolution. Très versé dans le droit canon, il fit un Com¬ 
mentaire sur les Décrétales. Il mourut à Avignon en 1313; son corps fut transporté 
à Paris et inhumé dans le collège qu’il avait institué. Ce personnage, par un singu¬ 
lier privilège, était ami à la fois de Philippe le Bel et de Boniface VIII. 

C’est de lui que, dans un de ses mémoires, Nogarct raconte cette scène avec 
Boniface VIII en plein consistoire : «« Quoniam dominus Joannes Monachi Cardi- 
nalis zelo Dei motus dixit sibi in consistorio Anagniæ : Hoc quod facit (Papa) non 
est petere consilia, ut Romani debent Pontifices, sed exigere consensus ab invitis. 
Ex quo verbo idem Bonifacius in furorem versus clamare cœpit contra eum : Pi- 
charde, Picharde, tu liabcs caput Pichardicum sed per Deum ego piccabo te et 
faciam in omnibus velle meum... alibi loquaris pichardica quam coram me! » (Cité 
par Dupuy, p. 339 (Documents).] 

4 Dupuy, p. 90. Infrascripti sunt articuli [Documents].) 

5 Ibid., p. 92. 


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CHAPITRE II 


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« Les excuses du roi sont frivoles. Qu’il révoque immédiatement, 
qu’il révoque ce qu’il a fait, ou annoncez-lui et publiez que nous 
procéderons contre lui au spirituel et au temporel 1 . » 

D’autres lettres aussi acerbes de ton et aussi grosses de menaces 
furent adressées à l’évêque d’Auxerre et au comte d'Alençon*. Le 
Pape ne gardait plus aucune mesure. Peut-être ne crut-il pas à la 
sincérité des réponses du roi et soupçonna-1-il ses conseillers de 
vouloir le tromper par d’hypocrites déclarations. Il serait difficile 
de dire qu’il ne voyait pas juste. Il allait se heurter à Guillaume 
de Nogaret. 

Ce personnage prit, dès lors, la direction exclusive du conflit. 
Il commença par présenter au roi, devant une réunion de prélats 
et seigneurs, une requête contre le Pape. C’est le premier libelle 
diffamatoire à l’adresse de Boniface VIII, qui rappelle, presque 
mot pour mot, celui rédigé, trois ans auparavant, contre Ber¬ 
nard Saisset. 11 ne n’agit plus de traiter avec le Pape : « Ce Boni- 
face est un blasphémateur, un voleur, un simoniaque ; il a com¬ 
mis les crimes les plus énormes; il ruine les églises; il a usurpé 
le siège de saint Pierre, il n’est point Pape ; c’est un intrus, qu'un 
concile doit juger et condamner! Moi, qui ne suis qu’un âne, je 
dénoncerai à Balaam ce faux prophète, et je vous requiers, très 
excellent prince, Monseigneur Philippe, par la grâce de Dieu, roi 
de France, de faire luire à ses yeux, comme l’ange que Balaam 
rencontra sur sa route, l’éclair de votre épée... En attendant son 
jugement par un concile, il faudrait s’assurer de sa personne et 
l’enfermer 3 . » 

Tout le plan de Nogaret est dans ces deux mots : appel au 
concile et emprisonnement du Pape. Les choses vont se précipi¬ 
ter. Le 13 et 14 juin suivant, au Louvre, devant les trois ordres 
réunis, les comtes d’Evreux, de Saint-Pol et de Dreux, et Guil¬ 
laume de Plaisians, chevalier, ami de Nogaret, « effrayés des 
dangers que Boniface faisait courir à l’Eglise, » renouvelèrent la 
requête diffamatoire du mois de mars et l’appel au concile 4 . C’est 
la même violence de procédés; les mêmes calomnies y sont 
redites : crimes, vices, hérésies, qui faisaient de Boniface VIII un 
véritable monstre. Les Colonna et les Fratricelles y ont certaine¬ 
ment collaboré. Désormais il fallait, pour tout bon Français, 
appeler au concile ou passer pour un traître. Toute la question 
était là. Ce ne fut plus, à travers la France, qu’une chasse effrénée 

1 B. Litteras tuas, 13 avril 1303. Elle est adressée au lé^at Jean Lemoine, du 
titre des Saints-Marcellin-et-Picrre. Dupuy, p. 93 ^Documents). 

* Ibid., p. 97. 

3 Ibid., p. 56 et ss. (Documents). 

4 Ibid., p. 101 (Documents). — Cf. Contin. Guillelmi de Nangis. Ed. Géraud, I, 
p. 335 et ss. 


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BERNARD DE JUSIX 


aux adhésions. Avec leurs calomnies et leurs menaces, les émis¬ 
saires de la Cour firent office de rabatteurs. Complice ou crédule, 
peureux surtout, le clergé signa en masse l'appel au concile. Un 
pas de plus, c’était le schisme. La lettre envoyée par ordre du 
roi 1 à toutes les églises de France, aux chapitres, aux couvents, 
aux citoyens de toute condition, fut accueillie partout avec enthou¬ 
siasme. A ce point qu’en deux mois, août et septembre, Philippe 
reçut plus de sept cents actes d'adhésion 2 . Il y eut bien deci, de¬ 
là, quelques hésitations, vite dissipées par des lettres de protec¬ 
tion 3 . Car on pouvait craindre les représailles du Pape. Quelques 
refus furent opposés, entre autres dans six maisons de Cîteaux 4 . 
Mais l’immense majorité des clercs séculiers et réguliers se rangea 
du côté du roi, l’Université de Paris en tête 5 . Les Prêcheurs de 
France s’y mirent également. 

Alors que l’orage ne faisait que s’amonceler à l’horizon, Maître 
Bernard de Jusix avait essayé de garer son Ordre contre toute 
aventure. Sa situation personnelle vis-à-vis du Pape était d’au¬ 
tant plus délicate, qu’il savait parfaitement qu’il n’était point l'élu 
de son choix. Aussi, dès le Chapitre de 1301, — celui même où il 
avait pris le gouvernement, — il recommande instamment aux 
Frères une extrême réserve : « Quoique dans tous les temps, dit- 
il, vous deviez témoigner aux prélats des églises et aux autres reli¬ 
gieux respect et charité; en ce moment où les circonstances sont 
si graves, je vous prie, je vous avertis, je vous conjure dans le 
Seigneur de faire en sorte, autant qu’il est en vous, de garder la 
paix avec tout le monde, humblement et sans scandale. 

« S’il vous arrive d’avoir à parler en public ou dans l'intimité du 
très saint Père et Seigneur, le Souverain Pontife, faites-le, comme 
il convient, avec des lèvres prudentes, de façon que rien dans vos 
paroles ne soit contraire à la vérité ou à la justice, que rien ne 
sente l’irrévérence vis-à-vis de sa personne et de son caractère 
sacré*. » Les Chapitres généraux ne font aucune allusion aux 
événements malheureux qui se déroulaient autour d’eux. Il y est 
dit simplement, comme toujours, même à celui de Besançon en 
1303, alors que par toute la France les actes d'appel se multi¬ 
pliaient, de prier pour le Pape et la sainte Église. Chaque prêtre 
devra célébrer six messes pour le « très saint Père, le Seigneur 


1 Lettre Nuper nobis. Dupuy, p. 109 (Documents). 

3 Dupuy, p. 111. 

3 Ibid., p. 113. Lettre Cura prelalos, J 5 juin 1303, et celle donnée aux Mineurs de 
Touraine, en août. 

* Ibid . 

5 Ibid., p. 117. 

6 Litteræ Eneycl., p. 177. Ed. Reichert, — Taegio, Chron. ampl., II, p. 25. Ms. 
arch. Ord. 


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CHAPITRE II 


4il 


Boniface VIII; chaque couvent de même 1 ». Que Ton se rappelle 
qu'à cette date, 26 mai 1303, Boniface était atrocement 
traité, à la cour de France et dans tout le royaume, de simo- 
niaque, de criminel infâme, d'intrus et d’antipape qu’il fallait 
enfermer et juger, et l’on conclura, sans erreur, que le Maître 
Général et le Chapitre de Besançon ne partageaient point cette 
manière de voir et regardaient toujours Boniface VIII comme 
légitime successeur de saint Pierre, digne de tout respect. En 
dehors de France, ces calomnies intéressées étaient généralement 
mal accueillies et notées comme elles le méritaient. 

L'Ordre de Saint-Dominique, dans la personne de son chef et 
des membres du Chapitre général, qui en représentaient officiel¬ 
lement toutes les provinces, demeura donc fidèle à Boniface VIII. 

Il n’en fut pas de même en France. L'irrésistible courant qui 
emportait pêle-mêle vers le roi clercs et laïques, nobles et rotu¬ 
riers, séculiers et réguliers, y roula les Prêcheurs. 

Le premier en vue était le confesseur même de Philippe le Bel, 
Frère Nicolas de Fréauville. Suspect à la Cour de France, auprès 
des conseillers qui trouvaient sans doute qu'il était souvent un 
obstacle à leurs débordements, il fut, comme nous lavons vu, 
mais sans succès, accusé de trahison; suspect à la Cour de Rome, 
qui, de son côté, ne comprenait pas que son influence sur la 
conscience de son royal pénitent ne pût contenir de si déplorables 
écarts, il fut cité par Boniface VIII, dès le 13 avril 1303, avant la 
rupture définitive, à comparaître, dans les trois mois, en sa pré¬ 
sence*. 

Au ton de la citation, qui devait lui être intimée par le légat, 
on sent que de graves accusations pesaient sur le confesseur du 
roi. Lui fut-elle faite officiellement? On l'ignore. Le légat, qui ne 
se voyait plus en sûreté dans le royaume, et dont la mission paci¬ 
ficatrice n’avait plus d’objet, se hâta d’en sortir 3 . Frère Nicolas, 
resté, malgré le Pape 4 , confesseur de Philippe le Bel, signa l’appel 
au concile 5 . 

Les Prêcheurs de Paris, même avant d’adhérer pour leur propre 

1 « Pro Sanctissimo Pâtre domino papa Bonifacio VIII et bono statu universalis 
ecclesie, quilibet sacerdos VI missas et quilibet conventus VI missas. » (Acta 
Cap., I, p. 325. Ed. Reichert. ) 

* *« Cœterum fratri Nicolao, Ordinis Prœdicatorum olim confessori Regis ejusdcni 
ex parte nostrâ districte præcipias ut infra trium mensium spatium... pcrsonalitcr 
nostro se conspectui repraesentet, recepturus pro meritis, aut suam si poterit inno- 
centiam ostensurus, ac pariturus nostris bcneplacitis ac mandatis; alioquin contra 
eum spiritualiter et temporaliter... procedemus. » (Bulle Per processus, adressée 
au cardinal Lemoine, 13 avril 1303. Dupuy, p. 99.) 

3 Nicole Gilles, Annales de France, cité par Dupuy, p. 199. 

* Echard, I, p. 555. 

5 Son nom est le quatrième dans les signatures de l'acte d’appel de Saint-Jacques 
de Paris. 


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BERNARD DE JUSIX 


compte, s’étaient faits les défenseurs du roi. Le 24 juin, une foule 
immense s’assemblait à la Cité, dans le jardin du palais royal 1 . Clercs, 
moines et bourgeois y étaient venus; les moines un peu malgré 
eux, car le chroniqueur dit « qu’ils s y rendirent en procession, 
par semonce ». L’évêque d’Orléans discourut en faveur du roi; 
puis un. clerc de la Cour lut les actes officiels d’appel au concile, 
en latin et en langue vulgaire. C’était une sorte de referendum 
populaire. Deux Prêcheurs et deux Mineurs prirent la parole. 
L’un des Prêcheurs, Frère Renaud d’Aubigny, s’exprima ainsi : 
« La vérité n’a cure de flatterie ni de vilainie. Je ne parle pas 
ici pour flatter le roi, ni pour dire vilainie au pays. Je parle pour 
exprimer les sentiments du roi. Or, sachez que ce qu’il fait, il le 
fait pour le salut de vos âmes. Puisque le Pape a dit qu’il veut 
détruire le roi et le royaume, nous devons tous prier les prélats, 
comtes et barons, et tous ceux de France, qu’ils veuillent main¬ 
tenir l’état du roi et du royaume. » 

Frère Renaud disait au peuple, sans se douter d'aucune fraude, 
la calomnie inventée de toutes pièces par Nogaret dans la fausse 
bulle Scire te volumus . Son zèle, qu’il eût pu modérer, lui valut 
de devenir confesseur de Philippe le Bel, après que Frère Nicolas 
de Fréauville eut été créé cardinal. 

Tout le couvent des Prêcheurs de Saint-Jacques de Paris signa 
l’appel. On lit, dans cette liste de cent trente-deux religieux appe¬ 
lants, les noms les plus vénérables, comme ceux de Frère Jean 
des Alleux, ce chancelier de Notre-Dame de Paris, qui, pour évi¬ 
ter le lourd fardeau de l’épiscopat, s’était réfugié à Saint-Jacques 
et avait pris l’habit de l'Ordre*; de Frère Jean de Montlhéry, un 
des plus fameux prédicateurs parisiens 3 ; de Frère Durand de 
Saint-Pourçain, fils du couvent de Clermont, futur Maître du 
Sacré-Palais, évêque du Puy et de Meaux 4 ; de Frère Hervé de 
Nédellec 5 , bientôt après Provincial de France, et que nous retrou¬ 
verons à la tête de l’Ordre. Des étrangers même, parmi ceux qui 
étudiaient ou enseignaient à Saint-Jacques, unirent leurs signa¬ 
tures à celles des Français. De cette unanimité, de cette adhésion 
à l’appel des hommes les plus instruits et les plus graves, on est 
en droit de penser que, comme il est arrivé plus d’une fois, le 
conflit entre le roi et le Pape, grâce aux calomnies.et aux ma¬ 
nœuvres hypocrites de Nogaret et de ses complices, ne se présen- 

1 Contin. Guillelmi de Nanyis. Ed. Géraud, p. 336. — Recueil des Historiens des 
Gaules, XXI, p. 641. 

* Echard, I, p. 499. 

3 Ibid., p. 268. 

4 Ibid., p. 586. 

8 Ibid., p. 533. — Cf. Histoire littéraire de la France, XXVI, p. 434 et ss.; 
XXVII, p. 394. Article d’Hauréau sur plusieurs de ces personnages. 


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CHAPITRE II 


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tait pas avec netteté et que les consciences, ballottées entre des 
devoirs incertains, pouvaient hésiter. La preuve en est dans la 
réserve finale que les Prêcheurs de Saint-Jacques, tout en adhé¬ 
rant au roi, proclament hautement 1 . Ils protestent que leur acte 
d’appel n’a de valeur que sauf l’obéissance à leur Ordre, la révé¬ 
rence et l’honneur de l’Église romaine, la vérité de la foi catho¬ 
lique*. A cette clause, fermement exprimée, on devine les per¬ 
plexités et les angoisses des signataires. On dirait même qu’ils 
attendent une direction du Maître Général; qu’ils s’en réfèrent 
à son autorité : salva sui Ordinis obedientia. Cette direction, 
Maître Bernard ne la donna point. 11 avait été mandé à Paris par 
le roi. Nous le savons par une lettre des Pères de Montpellier. 
Ceux-ci, comme tous les religieux de France, eurent à prendre 
un parti. Amaury, vicomte et seigneur de Narbonne, et Denis de 
Sens, clerc de la Cour, exposèrent devant les Frères réunis au 
réfectoire les raisons qui avaient décidé le roi, les prélats, les 
religieux de tous Ordres, même de celui des Prêcheurs , les barons 
et nobles hommes, à convoquer un concile et à en appeler à ce 
concile des sentences du Pape Boniface. Ces raisons, quelques 
jours auparavant, le jour de sainte Madeleine, Guillaume de Plai- 
sians les avait fait valoir lui-même avec succès au couvent des 


1 L'acte est du 26 juin 1303. — Cf. Dupuy, p. 120 (Documents). 

2 *« In nomine Domini, Amen. Anno ejusdem millesimo treccntcsimo tertio, indi- 
ctione prima, vicesima sexta die mensis junii, pontiiicatus Domini Bonifacii Papæ 
oclavi anno nono, tenore præscntis instrumenti publici, noverint universi quod in 
præsentia mei Notarii et testium subscriptorum ad hoc specialitcr vocatorum et 
rogatorum, fratres Rcginaldus de Albigniaco, locum tenens prioris, vel superioris 
convcntus Fratrum Prædicatorum Paris. Joannes de Allodio quondam Cancellarius 
Paris. Petrus de Caudeto, Nicolaus, confessor domini Regis, Wibcrtus ejus socius, 
Joannes Paris, etc. etc... de conventu dictorum Fratrum Prædicatorum in Capitulo 
ejusdem conventus hora tertia congregati, auditis expositisque sibi et plenius intel- 
lectis provocationibus, et appclationibus ex parte excellentissimi Principis Domini 
Philippi Dei gratia regis Franciæ illustris, ac rcvereiidorum in Christo Patrum domi- 
norum Archiepiscoporum, Abbatum, et Priorum ac Baronum Regni Franciæ, quorum 
nomina in publicis instrumentis confectis super hoc plenius continenlur ex certis 
causis et sub certis modis in eisdem instrumentis seriosius expositis, et contentis, 
ad sacrum congregandum Generale concilium, vel ad futurum verum et legitimum 
Summum Pontificem, vel ad ilium vel illos ad quem vel quos de jure foret appel- 
landum pro se, et sibi in hac parte adhcrentibus, seu adhærere volcntibus inter- 
jectis, ne dictus Bonifacius Papa'octavus motus, seu provocatus ex eis contra 
prædictum Regem Prælatosque et Ecclesias, subditos et adhærentes, parentes et 
amicos quomodo procederet, aut procedi facerct, excommunicando, suspendendo, 
interdicendo, deponendo, privando, vel alias quovis modo, quocumque colore 
quæsito, sua aut alià auctoritatc quâcumque, prout in eisdem instrumentis publicis 
plenius conlinetur, provocationibus, et appellationibus antedictis adhæserunt. Et 
ex abundanti ex eisdem et sub eisdem modis et verbis similiter appcllarunt, salva 
Sui Ordinis obedientia, reverentiaque et honore ecclesiæ Romanæ ac fidei Catho- 
licæ veritate, supponentes se et sua, et statum suum protectioni dicti sacri congre- 
gandi concilii, et pradicti veri et legitimi futuri Summi Pontilicis, non recedendo 
ab appellationibus supradictis, sed eis potius adhærendo. Actum Parisius.... » (Cité 
par Dupuy, p. 121 [Documents].) 

L'original se trouve aux Archives nationales, à Paris, J. 479, n° 226. 


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BERNARD DE JUSIX 


Mineurs. Les Frères refusèrent leur adhésion 1 , alléguant qu’ils 
ne pouvaient la donner que sur Tordre positif de leur Prieur Géné¬ 
ral , qu’ils disaient se trouver à Paris où le roi l’avait appelé : 
ex vocatione regia de ipso facta. Leur refus déplut souveraine¬ 
ment aux deux délégués. Ils résolurent de demander à chaque 
religieux son avis personnel. Interrogé le premier, Frère Jean 
Gobi 1 , Prieur du couvent, répondit qu'il persistait dans son refus. 
Les autres religieux, questionnés à tour de rôle, firent de môme. 
Cet interrogatoire fini, le Prieur, qui était un homme déterminé, 
défendit à ses religieux, en vertu de l’obéissance, de ne plus ré¬ 
pondre un mot sur cette affaire aux deux délégués. Ceux-ci ripos¬ 
tèrent en intimant aux Frères, au nom du roi de France, de quit¬ 
ter le royaume dans les trois jours 3 . Cet acte de bravoure, que 
Ton voudrait plus multiplié, eut lieu le 28 juillet 1303. Il est tout 
à l’honneur des Pères de Montpellier. Car aucun mot d’ordre ne 
vint ni du Maître Général, ni du Provincial. 

1 L'évêque de Maguclonne dont dépendait Montpellier, loin de défendre les Frères, 
adhéra avec fracas. Voir son acte : Cum personam', Dupuy, p. 164 (Documents]. 

* Il avait été nommé Prédicateur Général au Chapitre de Marseille, en 1300, et 
tenait la charge de Prieur depuis un an. — Cf. Douais, Acta Capitul. Prov ., p. 455 
et 470. 

* Acte des Prêcheurs de Montpellier. 

« Novcrint universi quod cum nobilis vir dominus Almaricus Vicecomes et do- 
minus Narbonæ, et discretus vir dominus Dionysius de Scnon. Clericus doni. 
nostri Regis Franciæ requisivisscnt ex parte dicti dom. Regis Priorcm et Fratres 
Prædicatores inferius nominatos conventus Montispessuli existentes in refectorio 
eorundem, ut convocationi et congregationi Concilii Gencralis et appellationi per 
dictum dom. Regcm, Prælatus, et rcligiosos tam Ordinis eorundem Prædicatorum, 
quam aliorum ordinum, et alias Ecclesiasticas pcrsonas, Baroncs, et nobiles de 
Franciâ factæ, ut prædicti domini Almaricus et Dionysius dicebant, cxpositis erp 
nobilcm virum dom. Guillclmum de Plasiano militem dom. de Vicenobrio, in 
domo Fratrum Minorum Montispessuli, die festo B. Mariæ Magdalenæ proximc 
præterito, assentirent et adhærerent : responderunt Prior et Fratres prædicti 
dictis dom. Almarico et Dionysio quod non consentirent, ncc adhærerent præ- 
dictis convocationi et congregationi et appellationi, nisi de exprcssâ voluntate 
et asscnsu Prioris Generalis totius Ordinis, quem dicebant se credere esse Pari- 
sius ex vocatione regia de ipso facta. Quam quidem rcsponsionem dicti dom. 
Almaricus et Dionysius ingratam et insufficientem esse dixeruut, nec eam admi- 
serunt. Et iterum ipsi domini A et D. dixerunt eisdem Priori et Fratribus, vocando 
primo ad se proptcr hoc dictum Priorem, se velle statim corda et voluntates 
singulorum eorumdem super præmissis secretc ad partem et singulariter per- 
scrutari. Et tune dictus Prior requisitus ut iterum responderet, dixit se non aliter 
respondere nisi ut supra responderat; deindc alii Fratres prædicti requisiti, idem 
dixerunt et responderunt quod supra. Quibus responsionibus factis idem Prior 
præcepit Fratribus prædictis in et sub virilité sanctæ obedientiæ, ne amodo dictis 
dominis Almarico et Dionysio super præmissis de aliquo singulariter nec aliter 
responderent. Et præfati domini Almaricus et Dionysius in continenti præcepcrunt, 
ex parte dicti domini Regis, præfatis Priori et Fratribus, qui infra triduum proxi- 
mum exirent, et exivissent totaliter Franciæ regnum, dicendo eis quod sub vcl in 
protectione regia ex tune non essent, imo ipsos ab eadem potius cxpellebant. 

« Nomina vero Prioris et Fratrum prædicatorum sunt haec : Frater Joannes Gobi 
Prior, Frater Guillclmus de Melgorio, Petrus David, Paulus Arnaudi, etc... 

« Acta fucrunt hæc in Montispessulo, in refectorio conventus prædicti Fratrum 
Prædicatorum, anno Dominicæ Incarnationis 1303, scilicct 5 kal. Augusti (28 juillet). « 
(Cité par Dupuy, p. 154-55 [Documents].) 


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CHAPITRE II 


415 


Bernard de Jusix passa-t-il par Paris pour aller, de Besançon , 
où il avait tenu le Chapitre général, dans la province d’Alle¬ 
magne dont il commença, bientôt après, la visite? Aucun docu¬ 
ment ne permet de l’affirmer. Il y a même tout lieu de croire 
que le Maître se déroba à la perfide invitation du roi de France. 
Un petit mot de la Chronique de Colmar l’insinue. Elle dit, en 
effet, à l’année 1303, après avoir relaté le Chapitre général de 
Besançon, tenu à la Pentecôte précédente : « Dans l’Octave de 
saint Jean-Baptiste (24 juin), le vénérable Frère Bernard, Maître 
de l’Ordre des Frères Prêcheurs, vint à Colmar 1 ; » or le Maître se 
dirigeait vers T Allemagne, où il allait faire la visite canonique. En 
partant de Besançon pour Colmar, il tournait le dos à Paris. 
Quant au Provincial de Provence, qui était alors Pierre de Godin 4 , 
Bachelier en théologie, son silence peut s’expliquer de ce chef 
que, à cette date, après le Chapitre de Besançon, la province de 
Provence, qui venait d’être divisée en deux, se trouvait dans Tin- 
décision de pouvoirs qui accompagne d ordinaire le partage des 
juridictions. Quoi qu’il en soit, les documents ne font mention 
d’aucune direction de l’autorité, ni supérieure, ni inférieure, dans 
cette grave affaire. Les couvents étaient laissés à leur propre liberté 
d’action. 

Malheureusement, il y en eut peu à imiter le courage de celui 
de Montpellier. Dans la province de France, celle qui tenait le 
plus près au roi, la défection fut universelle. Le Provincial, Frère 
Raymond 3 , qui avait signé l’appel avec les Frères de Saint-Jacques, 
crut devoir exposer aux religieux de sa province les motifs de sa 
conduite. Il eût mieux fait de se taire; car ces motifs, publiés au 
grand jour, sont loin d’illustrer sa mémoire, pas plus que celle 
du Prieur de Saint-Jacques, Frère Bernard, qui prend sa large 
part de responsabilité : « Nous n’avons pas voulu, disent-ils, 
nous singulariser au milieu de tant et de si grands personnages 
qui ont signé, ni nous glorifier dans notre opinion personnelle. Je 
vous en avise, afin que, après mûre réflexion, vous agissiez de 
manière à ne pas encourir la colère du roi 4 . » 

1 « In octava S. Johannis Baptiste vcnit venerabilis Frater Bernhardus Magister 
Ordinis Fratrum Prædicatorum in Columbariam. » ( Les Annales et la Chronique des 
Dominicains de Colmar, p. 198. Ed. Ch. Girard et J. Liblin. Colmar, 1854.) 

2 Douais, Acta Capital. Prov., p. 456-467, notes. 

2 Et non Rucho, comme a lu Dupuy, dans les signatures de l’acte d'adhésion de 
Saint-Jacques, p. 121 (Documents). 

* Lettre du Provincial de France : 

« Universis Prioribus, supprioribus (et non superioribus , comme a lu Dupuy) 
eorumque vicariis, ac cæteris Fratribus Ordinis Fratrum Prædicatorum in Pro- 
vincia Franciæ constitutis, ad quos præsentes litteræ pervenerint, frater Raymun- 
dus Fratrum ejusdem Ordinis in dicta Provincia Prior Provincialis indignus Salu- 
tem et profectum in gratia sàlutari. 

« Serenissimus princeps et amantissimus dominus Philippus Dei gratia Rcx Fran- 


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BERNARD DE JUSIX 


Ici le mot d’ordre est donné, et en termes très explicites : il ne 
faut pas s'exposer à la colère du roi ! C’est franc ; mais, en vérité, 
dans une affaire où Tunité même de l’Église était en cause, disons 
en toute franchise également : Est-ce digne? Il y avait des excuses 
très plausibles à le faire ; il n’y en avait aucune à mettre en avant 
un pareil motif, surtout de façon à influer sur la décision des 
autres couvents. La plupart,* en suivant l’exemple du Provincial et 
des Frères de Saint-Jacques, ont bien soin de s’abriter sous leur 
autorité. A leur décharge, il faut dire que tous entendent que rien 
dans leur acte d’appel ne doit porter préjudice à la foi catholique 
et au respect dû à l’Église romaine. C’était bien le moins, pour 
peu qu’ils ne voulussent pas être schismatiques, et il n’y a pas 
dans cette réserve un tel motif de louange. 

D’après la lettre du Provincial de France, on est encore plus 
en droit de penser que Maître Bernard de Jusix ne se rendit pas 
à l’invitation de Philippe le Bel. Peut-être, soupçonnant le guê¬ 
pier où il allait tomber en s’aventurant à Paris, préféra-t-il 
s’abstenir. S’il y fût passé, sa présence n’aurait pu rester ina¬ 
perçue; et, comme Français d’origine, il eût été circonvenu par 
l’entourage du roi. Avoir la signature du Maître des Prêcheurs 
n’était point chose à négliger. Il ne l'a pas donnée, cela est cer¬ 
tain ; il n’a même pas fait un geste pour indiquer aux religieux la 
route à suivre. S’il l’eût fait du côté du Pape, le Provincial n'au¬ 
rait pu aller contre et manquer à l’obéissance. Cette conduite eût 
soulevé des protestations qu’on cherche en vain. Maître Bernard 
pratiqua, dans cette circonstance difficile, la politique de l’absten¬ 
tion 1 . Elle n’est pas la plus brave. 


corum illustris, Prælati de regno Franciæ, ejusdemquc regni Barones, reverentia 
Sanctæ Matris Ecclesiæ et lidei catholicæ veritate servalis, prius deliberationc 
matura digestis consiliis, et variis traclutibus itératis, ex certis causis et propter 
graves articulos, qui vobis per alios poterunt plenius explicari, pctunl convocalio- 
nem sacri concilii Gcneralis, et ad hoc, quantum adeos attinet, laborare intendunt. 
Et ne fortassis intérim gravamen aliquod per Summum Pontificem inferatur eisdem. 
ad ipsum sacrum Concilium, seu futurum Summum Pontificem legitimum succes- 
sorem, seu Collegium Cardinalium, ad ilium, vel ad illos, ad quem, vel ad quos de 
jure spcctare poterit, pro se sibique adhærcntibus, appellarunt, Universitate Pari- 
siensi et collegiis, tam religiosis quam secularibus dictœ petitioni conscnlicntibus 
et adhærentibus appellationi prædictæ. Ego insuper Frater Bernardus Prior Fratrura 
nostrorum Paris, ejusdemquc loci coiivcntus hoc ipsum fecimus, ne inter tôt et 
tantos singularitas in nobis apparcat, vel ne videamur oculis quasis reciprocis in 
sensu proprio gloriari. Quod utique vestræ diseretioni significare curavi, ut et vos 
aperto considcratiohis oculo sic agatis, ne indignationem domini nostri regis incur- 
rere, nec ab aliquo alio possitis merito reprehendi. Valete et orale pro me. Datum 
Paris, feria tertia post festum Magdalenœ (25 juillet 1303). >» 

Cette lettre est commune au Provincial et au Prieur de Saint-Jacques. Mais le 
Provincial seul ayant le droit de renvoyer à toute sa province, il en prend par 
conséquent toute la responsabilité. (Dupuy, p. 153-54.) 

1 Peut-être faut-il attribuer à la situation périlleuse de l'Ordre et aux angoisses 
de Maître Bernard l'ordonnance faite au Chapitre de Bologne, en 1302, de recourir 
à la protection de la sainte Vierge. On y dit, en effet : « Ordinamus et volumus 


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CHAPITRE II 


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Disons encore, pour expliquer l’adhésion presque universelle des 
Prêcheurs et des autres Mendiants aux violences de Philippe le 
Bel, qu'ils étaient toujours sous l’impression de vive irritation cau¬ 
sée par la bulle Super cathedram. A tort ou à raison, comme 
nous l’avons vu, les Frères ne pardonnaient pas à Boniface VIII 
d’avoir restreint leurs privilèges. Ils s’étaient désaffectionnés de 
sa personne. Ce sentiment d’aigreur rancunière, exploité habile¬ 
ment par les amis de Nogaret, prépara le terrain. Les esprits mal 
disposés, froissés dans ce qu’ils estiment un droit, sont toujours 
enclins à accepter d’emblée les calomnies qui déprécient l’autorité 
qui les a frappés. Ce que racontaient les Colonna sur leurs propres 
divisions avec Boniface VIII, ce que disaient les conseillers du roi 
sur ses prétentions vis-à-vis de la Couronne; toute cette semence 
de haine, tombant dans une terre déjà remuée, germait vite et 
touffue. Je n’excuse pas, j’explique les faits. 

Le roi tenta, sans grand succès, de recueillir des adhésions à la 
convocation d’un concile, dans les États voisins 1 . De plus, il inter¬ 
dit à tous les clercs, séculiers ou réguliers, de sortir du royaume sans 
sa permission*. C’était empêcher toute réunion des évêques auprès 
du Pape. Il y allait de la peine capitale pour quiconque désobéirait : 
Sub pœna capitali et amissione bonorum 3 . On pense bien que Boni- 
face VIII ne manqua point de riposter aux attaques schismatiques 
de Philippe le Bel. Toute son autorité était en jeu. Oii dirait que la 
gravité exceptionnelle de la situation le rendit plus maître de lui- 
même. C’est le Pape, menacé dans sa suprême dignité, qui, fort de 
son droit, se place avec une souveraine majesté au-dessus des vio¬ 
lences des passions. Ses deux bulles, les dernières avant l’attentat, 
tout en reprochant vivement au roi sa conduite, et non sans raison, 
car elle mettait en cause l’unité de l’Église, gardent une certaine 
sérénité. Philippe le Bel, qui porte par ses actes le poids de terribles 
excommunications, n’est pas encore officiellement déposé. Le Pon¬ 
tife garde l’espoir d’un retour au bercail de la brebis égarée. Il l’in¬ 
vite à revenir, la presse d’y rentrer 4 ... 

Ce n’est point la brebis qui pénétra dans le bercail, mais le loup. 

Pendant que les émissaires de la Cour recueillaient en France, 
par persuasion ou par menace, les adhésions à l’appel du roi, 
Guillaume de Nogaret s’acheminait vers l’Italie pour remplir la 

quod pro conservacionc et bono statu Ordinis dicatur in vesperis antiphona Sancta 
Dei Genitrix; in Matutinis vero, Sub tuum présidium, cum versiculo Ora pro nobis, 
et collecta, Protégé, domine, famulos... » (AcJa Cap., I, p. 315.) Cette ordonnance 
fut renouvelée au Chapitre de Besançon, en 1303. (Ibid., p. 321.) 

1 Dupuy, p. 127 (Documents). 

* Ibid., p. 131. 

* Ibid. 

4 B. Nuper ad âudientiam, 15 août 1303 (Dupuy, p. 166 ). — B. Super Pelri solio, 
8 septembre 1303. (Ibid., p. 182 [Documents].) 

II - 27 


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418 


BERNARD DE JUSIX 


seconde partie de son programme, qui était, on s’en souvient, de 
s’emparer du Pape. 11 avait, pour complices et pour guides, le 
banquier florentin, Mouche, qui entretenait de secrètes intelli¬ 
gences avec ceux qui, dans les domaines du Saint-Siège, lésés par 
Boniface VIII ou traités durement par lui, ne cherchaient que le 
moyen de se venger, et surtout Jacques Sciarra, fils de Jean 
Colonna, réfugié en France, dont la haine féroce ne reculerait 
devant aucune infamie. On eut vite fait de grouper une troupe 
d’aventuriers, clients des Colonna, et de bandits, exilés pour leurs 
crimes. Des mécontents, des jaloux de la famille Gaetani, enri¬ 
chie aux dépens de ses voisins, firent l’appoint. Le coup de main 
fut décidé. Boniface VIII se trouvait à Anagni, dans le palais 
pontifical, avec sa Cour. Il ne se doutait de rien. Le 7 septembre, 
à l’aurore, la petite troupe de Nogaret, forte de trois cents cava¬ 
liers et d’hommes d’armes à pied 1 , pénétra dans Anagni, la ban¬ 
nière fleurdelisée du roi de France déployée, avec, pour pendant, 
le gonfalon de Saint-Pierre. Et les hommes d’armes criaient : 
« Vivent le roi et Colonna! » En passant, ils emportent d’assaut 
le palais des Gaetani*, s’emparent du marquis, neveu du Pape, et 
mettent tout au pillage. Nogaret, Sciarra et une partie de la bande 
pénètrent par la cathédrale dans lé palais pontifical. Au bruit et 
aux clameurs des assaillants et des familiers de la Cour, Boniface 
comprit. Il s’assied sur son trône, revêtu des ornements pontificaux, 
tenant la croix dans sa main 3 . Les cardinaux, épouvantés, s’enfuient, 
son neveu le premier, le cardinal François 4 , qui prit les habits d'un 
valet. Deux seulement lui restent fidèles, et, debout à côté du 
Pontife, attendent les scélérats : le cardinal-évêque d’Ostie, Frère 
Nicolas Boccasino 5 , et un Espagnol, Pierre, cardinal-évêque de 
Sabine. Nogaret et Sciarra arrivent dans la salle. Ils accablent 
d’injures le vieillard, le menacent de mort. On dit même que Sciarra 
lui donna un soufflet 6 . Boniface VIII ne dit que ces mots en langue 
vulgaire : « Voici mon cou! Voici ma tête! Eccovi il collo ! 


1 Dupuy, p. 187. 

1 Mémoire de Nogaret. (Dupuy, p. 247 [Documents].) 

* Dupuy, p. 402 (Documents). 

4 Mémoire de Nogaret, p. 311. (Dupuy [Documents].) 

* Ibid., p. 313. — B. FLagitiosum scelus. (Ibid., p. 499). 

6 Aucun document contemporain ne le dit. Benoît XI laisse cependant entendre 
qu*ils portèrent la main sur lui : « Manus in eum injecerunt impias. » (B. Flagi- 
tiosum scelus, 7 juin 1304. Dupuy, p. 233 [Documents].) 

Ce texte peut s’entendre simplement de la violence qui fut faite à Boniface VIII 
et n’implique pas nécessairement des voies de fait. Voici ce qu’écrit saint Anto- 
nin : « Domino autem disponente ob dignitatem apostolicæ sedis nemo ex inimicis 
ejus ausus fuit mittcrc in eum manus. » ( Chron III, tit. XXI, p. 259. (Ed. Lyon, 
1586.) 

La Chronique contemporaine de Saint-Denis, toute favorable à la cour de France, 
dit : « Quand ceux de la ville virent ce, si mandèrent aux Romains qu’ils receus- 
sent leur Pape, lequel leur fut rendu, et cust été féru deux fois d’un des chevaliers 


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CHAPITRE II 


419 


Eccovi il capo 1 / » Nogaret lui reprocha tous ses crimes prétendus. 
S’il faut en croire ses nombreux mémoires, ce parleur intarissable 
discourut à perte d’haleine. Mais sa fatuité est telle, qu’on ne peut 
avoir aucune confiance dans ses tirades à effet 2 . 

Boniface VIII, prisonnier dans son propre palais, fut gardé à 
vue par ses agresseurs. S’emparer de sa personne avait été chose 
assez facile; que faire maintenant d’un vieillard de quatre-vingt- 
six ans? Le conduire en France, à travers l’Italie, était impos¬ 
sible. Les populations se seraient soulevées à un si lamentable 
spectacle. Pour l’immense majorité des Italiens, Boniface était 
toujours le Pape, le Vicaire de Jésus-Christ. On le vit rapide¬ 
ment. Dès le surlendemain de l’attentat, le 9 septembre 3 , les 
habitants d’Anagni, irrités contre ces étrangers qui avaient pé¬ 
nétré de force dans leur ville, s’ameutent aux cris de : « Vive le 
Pape! Mort aux étrangers! » En un clin d’œil, Nogaret et les 
siens, pressés, bousculés, sont forcés de s’enfuir 4 . La bannière 
fleurdelisée de France, plantée comme un symbole de victoire sur 
la papauté au-dessus du palais pontifical, fut traînée dans la 
boue. Ebranlé par ces tragiques événements, le vieux Pape se 
laissa conduire à Rome. Il y mourut 3 peu de temps après, le 
11 octobre. 

Frère Nicolas Boccasino, dont l’intrépidité mérite les plus 
grandes louanges, l’avait accompagné. Cardinal-évêque d’Ostie, 
doyen du Sacré-Collège, il lui appartenait de diriger le futur con¬ 
clave. En des circonstances aussi graves, c’était un périlleux 
honneur. 

Pendant que ces faits déplorables se passaient en Italie, Maître 
Bernard de Jusix mourait au couvent de Trêves, dont il faisait la 
visite, le 17 septembre 1303 6 . Bernard Gui, qui vivait sous son 
administration, attribue à l’austérité rigide de sa vie cette fin pré- 

tle la Colonne, n'cust été un Chevalier de France qui le contresta... >» (II, chap. lui. 
Paris, 1476.) 

Villani ne parle pas non plus du soufflet. — Cf. Dupuy, p. 187. 

1 Ibid., p. 195 (Documents). 

2 Ibid., p. 239-248 et ss. 

3 Ibid., p. 248, Mémoire de Nogaret. 

4 Un Colonna fut même blessé. « Ce chevalier Colonne fut féru au visage en se 
retirant. » ( Chronique de Saint-Denis, II, chap. lui. Paris, 1476.) 

8 La Chronique de Saint-Denis dit méchamment : « Après mourut le dit Boniface 
d’un flux de ventre, et cheut en frénésie, si qu’il mangeait ses mains, et furent 
ouïs tonnoires et foudres non apparens aux contrées voisines... » (II, chap. lui. — 
Dupuy, p. 191.) 

6 « Cum autem prœfuisset Ordini annis duobus et mensibus quatuor, obiit in 
Conventu Trevirensi provinciæ Theutoniæ anno Domini MCCCIII. » ( Cronica Or - 
dinis, Ed. Reichert.) — « Prefuit autem in magisterio duobus annis et mensibus 
quatuor, et in labore magisterii desudans, in conventu Treverensi Prov. Theuto¬ 
niæ positus migravit ad Dominum XV Kal. Octobris in festo S li Lamberti die mar- 
tis anno D. 1303. Sepultus in crastino. » (Taegio, II, p. 21. Ms. arch. Ord.) 

« Ex hac luce subtrahitur in conventu Treverensi Theutoniæ mense Septembri, 


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420 


BERNARD DE JUSIX 


cipitée : « A force de travaux et d’abstinences, écrit-il, Maître 
Bernard en vint au point qu’il pouvait à peine prendre quelque 
peu de nourriture. Il succomba de faiblesse 1 . » Les Frères l’ense¬ 
velirent le lendemain. 


XV Kal. Octobris, ob miniam corporis maceralioncm ... Erat enim famis sitisquc 
toleranlissimus ut pote Ordinis velox et indefessus peragrator. » (Sébastien de 
Olmedo, Chronica, p. 47. Ms. arch. Ord., XIV, 26.) 

1 « Hic prœfuit magisterio duobus annis mensibus quatuor. Cum visitaret pro- 
vinciam Teutoniæ, propter labores et abstinentias, ad tantam debilitatcm devenit 
ut vix cibum sumere posset. Tandem præ debilitate deficiens in bona ætate et 
devotione existens, obiit in Convcntu Trevirensi provinciæ Teutoniæ XV Kal. 
Octobris, in festo S. Lambertis die martis (erat Litter. Dom. F) fuitque sepultus 
in crastino, anno MCGGIII. » (Echard, I, p. 492.) 


BIBLIOGRAPHIE 


Pierre de la Palud, De causa immediala Ecclesiæ potestatis. Paris, 1506. 
Dupuy, Histoire du différend d'entre le Pape Boniface VIII et Philippe le Bel. 
Paris, 1655. 

A. Baillet, Histoire des démêlés du Pape Boniface VIII avec Philippe le Bel. 
1718. 

Tosti, Storia di Bonifazio VIII e de suoi tempi. Milano, 1848. 

P. Clément, Trois drames historiques. 1857. 

E. Boutaric, la France sous Philippe le Bel. 1861. 

M.-A. Thomas, les Registres de Boniface VIII. Thorin, Paris, 1884. 

Rocquain, la Cour de Borne et l'esprit de la Réforme avant Luther. 1895. 

A. Baudrillart, Des idées qu'on se faisait au xiv® siècle sur le droit d'interven¬ 
tion du souverain Pontife dans les affaires politiques (Revue d'histoire et de 
littérature religieuse , 1898). 

Ehrmann, Die Bulle Unam sanctam. 1896. 

R. Holtzmann, Wilhelm von Nogaret. 1897. 

J. Petit, Charles de Valois. Paris, 1900. 

Ernest Lavisse, Histoire de France depuis les origines jusqu'à la Révolution, 
t. III. Langlois, Paris, 1901. 

Et toutes les Histoires de l’Église. 


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AYMERIC DE PLAISANCE 

DOUXIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

1304-1311 


CHAPITRE I 

LES FAVEURS DE BENOIT XI 


Onze jours après la mort de Boniface VIII, les cardinaux, 
réunis au Vatican, choisirent au premier scrutin, pour lui succé¬ 
der, Frère Nicolas Boccasino 1 . Doyen du Sacré-Collège, il présidait 
lui-même le conclave 2 . 

L'intrépidité dont il avait donné la preuve à Anagni, la haute 
estime que lui méritaient ses vertus, et, sans doute, son rare 
esprit de conciliation, attirèrent sur sa personne les suffrages una¬ 
nimes de ses collègues. Il avait su, par la dignité de sa vie, se 
mettre au-dessus des partis. Ni serviteur du roi de France, ni 

1 22 octobre 1303. 

1 11 reste, à Trévise, un curieux souvenir de son élection. Sur le campanile du 
couvent, on lit cette inscription : 

« Fratri Nicolao Boccasino Tarv. Ord. Prædic. et S. Theolog. Map. Hic in Card. 
Host. assumptus, ex Pannonia leg. rcdicns civit. mod. pro construcndo hoc augu- 
stiss. templo XXV millia aureos florenos benigna erogavit manu. Non multo post in 
locum Bonifacii VIII Pont, uno omnium Patrum consensu sufleclus anno MCCCIII. 
XV kal. octobr. (novemb.) Summus Pont, creatur et Benedictus XI nuncupatur. In 
hujus perpetuum Assumptionis monim. Tarv. cives nundinas quæ ad D. S. Michaelis 
celebrari consueverant, ad diem S. Lucæ consuerunt indicendas. Ipsc vcro cmce 
ac tabulis argenteis plenarioquô jubilaeo cunctis complctoria tribus diebus Do- 
mini. Resurrectionis in hoc templo audientib. perpetuo patriam munificentiss. 
donavit. 

*« Obiit Perusii Ann. MCCCIV, id. Jul. Pontilicatus sui mensc IX. Multis claruit 
miraculis. » 

J’ai relevé cette inscription dans un ms. des Archives de l'Ordre, X, 517. 

D’après elle, l’élection de Benoit XI aurait eu lieu le jour de saint Luc, 18 octobre, 
tandis que Benoit XI affirme dans une bulle avoir été élu le 22, le xi des calendes 
de novembre. (Bull. Ord., II, p. 19.) 


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4Î2 


AYMERIC DE PLAISANCE 


ennemi des Colonna, Frère Nicolas Boccasino avait défendu, 
dans la personne de Boniface VIII, la majesté divine du Siège 
apostolique, sans qu'il y eût, de sa part, en cette douloureuse 
circonstance, aucune vue intéressée. Chacun le savait. Aussi bien 
à Paris qu’à Rome, il jouissait d une réputation d'intégrité et de 
douceur telle, que tous, amis et ennemis de Boniface, comptaient 
sur son impartial jugement. 

Se placer à cette hauteur, en pareil déchaînement de violences 
et de haines, n’est certainement pas le fait d'une âme ordinaire. 

Il ne craignit pas, cependant, d'affirmer publiquement sa recon¬ 
naissance envers le Pape défunt. Boniface VIII l'avait créé cardi¬ 
nal, l’avait comblé de bienfaits, lui avait témoigné, par des 
légations importantes, une confiance illimitée ; le premier acte de 
Nicolas Boccasino fut de l'en remercier en prenant, comme Pape, 
le nom de Benoît. Boniface VIII s'appelait Benoît Gaetani. 
C'était dire, avec une grande délicatesse, qu'il gardait à sa mé¬ 
moire outragée un culte filial. A lui seul, ce nom était un pro¬ 
gramme. 

Les fêtes de son couronnement terminées 1 , Benoît XI se sou¬ 
vint de l'Ordre des Prêcheurs. Son exaltation au souverain Pon¬ 
tificat coïncidait avec la mort de Maître Bernard. La famille 
dominicaine était en deuil. Il n’apparaît pas que la lin prématu¬ 
rée de Bernard de Jusix ait excité chez le Pape des regrets bien 
amers. Il avait été élu, on s'en souvient, par réaction contre la 
pression du cardinal Boccasino et malgré ses instances en faveur 
d'un Lombard. Le Pape n'oublia peut-être point l'échec du car¬ 
dinal. Dans sa première lettre adressée à l'Ordre, — du moins 
celle qui est connue, — il n'a pas un mot de sympathie à la mémoire 
du Maître défunt ; il s’occupe immédiatement d'une question 
administrative. Elle devait lui tenir au cœur; car, couronné le 
27 octobre, il écrit sa bulle le 4 novembre. Il était d'usage, 
d'après ce document, que le Procureur Général, le Maître étant 
décédé, donnât sa démission et attendît, dans l’inaction, la nomi¬ 
nation de son successeur. Tenant ses pouvoirs du Maître Général, 
le Procureur, estimait et l'Ordre avec lui, que sa disparition les 
supprimait. Leur valeur durait ce que durait celui qui les avait 
accordés. 

Il y avait, à ce système, de graves inconvénients. Par le fait, 
comme l'autorité revenait de droit au Provincial dans la pro¬ 
vince duquel devait se célébrer le prochain Chapitre, il arrivait 
que ce Provincial, souvent très éloigné, ne pouvait traiter les 
affaires engagées en Cour de Rome. Et chacun sait qu'en Cour 


1 Le couronnement eut lieu le 27 octobre, cinq jours après l'élection. 


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CHAPITRE I 


423 


de Rome, comme ailleurs, il faut, pour réussir, ne négliger ni 
les personnes ni les choses. Par la démission du Procureur, toutes 
les questions restaient en suspens. Benoît XI jugea bon de remé¬ 
dier à cette lacune. Sa bulle Ad sacrum Ordinem { , du 4 novembre 
1303, ordonne au Procureur Général de demeurer à son poste et 
d'en remplir les fonctions. Il appartiendra au futur Maître de le 
changer, s’il le croit utile; mais, jusqu’à son élection, le Procu¬ 
reur garde son titre et ses pouvoirs. 

L’irritante question des privilèges fut de nouveau la grande 
actualité. Dès le 6 novembre 1303, on put s’apercevoir que 
Benoît XI ne continuerait pas aux Mendiants les rigueurs de 
Boniface VIII. A Toul, comme en de nombreux endroits, le clergé 
séculier, fort de la bulle Super cathedram, pressurait Prêcheurs 
et Mineurs. Prédications, confessions, tout leur devenait impos¬ 
sible ; et si quelque paroissien, dévot aux Frères, s’avisait de leur 
laisser ses biens ou de choisir leur église pour lieu de ,sa sépul¬ 
ture, les clercs séculiers accouraient, bulle en main, pour extor¬ 
quer une large part des bénéfices. Les Frères en appelèrent à 
Rome. Du premier coup, Benoît XI prit position. Il écrit à l’abbé 
de Saint-Mansuit de Toul, à l’archidiacre de la cathédrale et au 
doyen de Saint - Gengoux, qu’ils aient à laisser en paix les Prê¬ 
cheurs et les Mineurs ; que leurs entreprises contre eux sont 
injustes et odieuses; qu’il casse tous les arrêts et toutes les sen¬ 
tences portés à leur préjudice, nonobstant la bulle de Boniface VIII, 
dont ils outraient l’application 2 . Il fit plus. 

C’est à la bulle Super cathedram qu’il s’attaque. 

On sent que l’acte de Boniface VIII pesait à son cœur de Men¬ 
diant ; qu’il l’avait subi, mais non accepté; qu’à lui, comme à 
Maître Albert de Chiavari, comme à tous les Frères, il paraissait 
dur et pénible, gravis et aspera. 

Le 17 février 1304, Benoît XI abrogea la constitution Super 
cathedram. A cette date, l’Ordre n’avait point encore de Maître 
Général. Il était sous l’autorité provisoire du Provincial de Tou¬ 
louse, où devait se tenir le Chapitre d’élection, et du Procureur 
Général, Frère Pierre Bonaguida, d’Orvieto 3 . 

Sa bulle Inter cunctas * rend aux Prêcheurs et aux Mineurs les 
privilèges accordés par Martin IV. A peine y trouve-t-on quelques 
légères restrictions. Elle débute d’une manière peu agréable pour 
Boniface VIII. « Ce Pontife, dit-elle, crut, en publiant sa consti- 


1 Bull, inèd., Ms. arch. Ord. I, 18 bis. Cette bulle nest pas au Bullaire de 
V Ordre. 

* Bull. Ord., II, p. 78. B. Dudum felicis, 6 novembre 1303. 

3 Masctti, Monumenta, p. 375. 

4 Bull. Ord., II, p. 88, 13 février 1301. 


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424 


AYMERIC DE PLAISANCE 


tution, mettre la paix en tous lieux, unir dans une étreinte cor¬ 
diale et éternelle les séculiers et les réguliers. Son illusion fut 
profonde, son échec désastreux. Au lieu d’une accolade univer¬ 
selle surgirent, dans tous les diocèses, des conflits plus nom¬ 
breux et plus graves qu’auparavant. Boniface avait donné aux 
prêtres une arme dangereuse dont ils ne connaissaient pas le 
maniement. S’en servant sans précaution, sans habileté, il arri¬ 
vait que chaque coup faisait blessure. De sorte que, .pour « une 
hydre que Boniface avait tuée, il en renaissait sept 1 ». Pourquoi 
aussi « changer sans utilité, sans raison sérieuse, des lois 
anciennes 2 »? 

Cette petite semonce faite à son prédécesseur, Benoît XI déclare 
que les Prêcheurs et les Mineurs pourront prêcher, à volonté, 
dans leurs églises et les places publiques, sauf qu'ils éviteront de 
prêcher à la même heure que les prélats. Mais, dans les églises 
paroissiales, à moins d’ordres de l’évêque ou du Pape, il leur fau¬ 
dra la permission des curés. Boniface VIII avait laissé la même 
latitude. Il y a cependant une nuance : Boniface interdisait de 
prêcher à la même heure que les prélats ; Benoît XI se contente 
d'exhorter les Frères à s’en abstenir. Ce n’était plus qu’une ques¬ 
tion de convenance, dont le tact de chacun devenait juge. 

La modification est plus radicale pour le droit de confesser. 
Désormais, comme avant la constitution Super cathedram, les 
Frères, délégués aux confessions par leurs supérieurs réguliers, 
s’acquitteront partout de leur ministère, sans que l'autorisation 
des prélats diocésains soit nécessaire. Le choix des confesseurs 
revient uniquement aux supérieurs des religieux; ils leur commu¬ 
niqueront, au nom du Siège apostolique, la juridiction ordinaire. 
Une fois l'an, seulement, les fidèles sont tenus de se confesser à 
leur curé ; mais, bien entendu, sans être astreints, comme le pré¬ 
tendaient certains curés, à redire les fautes accusées et absoutes 
par les Frères 3 . 

Benoît XI exige, cependant, que les Provinciaux ou les Prieurs 
avisent les évêques, sans en dire ni le nom ni le nombre, qu’ils 
ont désigné certains de leurs religieux pour confesser, et qu'ils 
les prient de vouloir bien leur permettre d’exercer le ministère 
dans leurs diocèses. Ce n'était qu’une formule de politesse, une 
simple révérence : ut diocesanis honor debitus reservetur Si 
l’évêque refuse ou ne répond pas favorablement dans les trois 
jours, les Frères peuvent confesser. Si, d'autre part, l’évêque 


» Bull. Ord., II, p. 88, 23 février 130 i. 

2 Ibid. 

3 Ibid.j p. 89. 

« Ibid. 


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CHAPITRE I 


425 


donne la permission, vînt-il à mourir, cette permission reste valide. 

Toute la responsabilité de ce redoutable ministère pesait donc 
sur les supérieurs réguliers. Ayant à choisir les confesseurs, sans 
contrôle aucun, ils devaient prendre garde d’éviter de fâcheuses 
surprises, veiller sur la science de leurs délégués, sur leurs 
mœurs, sur leur discrétion. 

Cette franchise complète vis-à-vis des évêques, dont Boni- 
face VIII avait vu, sans tort peut-être, les grands inconvénients, 
durera peu de jours. On estimera bientôt que Benoît XI, en cette 
affaire, se ressouvint trop de sa profession dominicaine. Ce n’est, 
du reste, que sur ce point spécial qu'on peut attaquer sa bulle. 

La fameuse portion canonique, si partialement attribuée aux 
curés par Boniface VIII, allait rentrer dans de justes limites. 

Fidèles et religieux avaient été outrés de ne pouvoir plus, ceux-là 
disposer à leur gré de leurs biens, ceux-ci en recevoir le don gra¬ 
cieux. Que les curés aient une part des honoraires et des offrandes 
provenant des funérailles mêmes, soit ! mais prétendre toucher le 
quart des legs faits aux Mendiants, des libéralités entre vifs, sur 
le lit de mort, des anniversaires ou des messes à venir, parais¬ 
sait à tous une mainmise sur la propriété. Benoît XI le jugea 
ainsi. Pour toute portion canonique, en cas d'ensevelissement 
dans l'église des Frères, il n'accepte et ne déclare légale que la 
moitié du casuel immédiat de l'enterrement. Encore réserve-t-il 
aux Frères le cierge qu’ils portent à la main. On ne peut le par¬ 
tager. Et les Frères auront le droit d'aller chercher à domicile, 
avec la croix, l'encens et l'eau bénite, les corps des défunts, en 
chantant ou en psalmodiant l’Office des morts 1 . Cette procession 
à travers la paroisse, sans eux et en dehors d'eux, était considé¬ 
rée par les curés comme une injurieuse usurpation. Cela venait 
de l'idée assez étroite qu'ils se faisaient de la paroisse, idée qui 
n'a jamais été celle du Saint-Siège. Tout en rendant aux Prê¬ 
cheurs et aux Mineurs un peu de liberté, le Pape ne se dissi¬ 
mulait pas l’accueil que les prêtres séculiers allaient faire à ses 
ordonnances. Sans aucun doute, dans le Sacré-Collège, il y avait 
eu, sur cette grave question, d’orageuses discussions. Taegio le 
laisse entendre, « Le seigneur Benoît, écrit-il, ce doux Père, 
modifia en mieux la constitution promulguée par Boniface, son 
prédécesseur, contre les Prêcheurs et les Mineurs. Il aplanit les voies, 
les rendit moins rudes à ses chers fils, autant qu’il le put, sans 
trop déplaire aux cardinaux, mais pas autant qu'il le désirait*. » 
On sent, en effet, à ses restrictions, à ses précautions ora¬ 
toires, que Benoît XI a conscience de marcher sur une terre 

1 Bull. Ord., II, p. 89. B. Inter cunclas, M février 1304. 

* <• Hic etiam Dominus Bcnedictus, pius Pater, grave statutum a Predecessorc 


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426 


AYMERIC DE PLAISANCE 


mouvante. « Que le clergé séculier, dit-il, ne murmure pas; 
que les prélats n'en conçoivent aucune aigreur ! Les deux 
articles ayant trait à la prédication et à la confession sont néces¬ 
saires au bien des âmes ;... quant au troisième, la portion cano¬ 
nique, — le plus sensible, car il diminuait les ressources de la 
cure, — les séculiers doivent se rappeler que les Prêcheurs et 
les Mineurs sont des Mendiants; qu'ils n'ont d'autres ressources 
que la charité publique ; que les priver, en tout ou en partie, des 
legs de leurs amis, c'est les réduire à la misère ; que, travaillant 
avec zèle dans la vigne du Seigneur, ils ont bien droit à quelque 
part du salaire. Du reste, ajoute le Pontife, ces privilèges ne 
sont pas une innovation ; il y a longtemps que nos prédécesseurs 
les leur ont accordés 1 . » 

Quoi qu’il pût dire, Benoît XI, religieux Mendiant, était sûr de 
trouver de nombreux et puissants contradicteurs. Sa bulle n'aura 
pas une valeur efficace de longue durée. 

L'archevêque de Milan, les évêques d'Asti, de Brescia et de 
Pavie étaient désignés d’office pour en assurer l'exécution en 
Lombardie, et, au besoin, prendre la défense des Frères 5 . Les 
mêmes pouvoirs furent donnés à d’autres évêques pour d'autres 
pays 3 . Les Frères exultaient : c'était leur revanche ! 

Après ce témoignage d’une affection et d’un dévouement non 
équivoques, Benoit XI adressa à l’Ordre des Prêcheurs une lettre 
débordante de tendresse. Son ton lyrique, son style fleuri, n'em¬ 
pêchent pas qu’il ne donne de graves conseils. Les Frères en 
avaient d’autant plus besoin que, mis en joie par sa récente bulle, 
ils étaient exposés à dépasser le but. Il ne fallait pas prendre, 
vis-à-vis des séculiers, des airs trop victorieux. 

« Dans le jardin de délices qu’est l'Eglise, l’ineffable provi¬ 
dence du Créateur, pour la gloire de son nom, pour le salut des 
fidèles, a planté l’Ordre illustre des Prêcheurs, arbre de vie qui, 
arrosé des célestes bénédictions, a pris, dès ses débuts, un 
accroissement si merveilleux, s’est développé si prodigieusement, 
qu’il atteint aujourd’hui le ciel par sa hauteur et étend ses 
branches vigoureuses jusqu'aux extrémités du monde 4 . » Ainsi 
commence Benoît XI. Et il continue en louant les Prêcheurs, 
« ces rameaux précieux du cep divin, le Christ Jésus ; ces 

suo Ronifacio contra Predicatores et Minores citra predicationera et audientiam 
confessionum et sepulturam in melius commutavit, faciens prava in directe et 
aspera iu vias planas suis dilectis liliis quantum commode cum pacc cardinalium 
potuit et si non quantum sibi in desiderio. »» ( Chron. ampliss ., II, p. 2. Ms. arch. 
Ord.) 

1 Bail. Ord., Il, p. 90. B. Inter cunctas, 17 février 1304. 

* Ibid., p. 92. B. Super egenum, 10 mars 130 i. 

3 Ibid., p. 93, 94. 

* Ibid., p. 93. B. Ex horto delicioso, 10 mars 1301. 


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CHAPITRE I 


427 


ministres choisis, pleins de science et de sainteté, illuminant le 
ciel des splendeurs de leur doctrine, astres brillants dont l’éclat 
irradie les mondes; ces lutteurs inlassables, la terreur de l’héré¬ 
sie, le rempart inviolable de la foi catholique. Déjà ils ont peuplé 
de leurs saints la maison de Dieu, déjà de nombreux convives 
de leur Ordre se sont assis au banquet éternel... Soyez donc, 
s'écrie le Pontife, ô Fils très chers, des enfants légitimes de ces 
héros; vivez comme ils ont vécu, luttez comme ils ont lutté. 
Ayez Thumilité, la piété, l’obéissance, la patience. Que les études 
sacrées soient aimées de tous ! C’est à elles que vous devez la 
grande influence dont vous jouissez dans l'Eglise... Témoignez 
aux prélats des églises, dont la protection et la faveur vous sont 
nécessaires, la plus profonde vénération... Quant à nous, qui, 
malgré notre indignité, avons été élevé à la suprême dignité 
apostolique, nous aimons votre Ordre d’un amour ardent et 
nous sommes d’autant plus disposé à le combler de bienfaits, que 
la haute charge que nous occupons nous en donne la facilité. 
N’avons-nous pas fait, dès notre jeunesse, profession de la même 
vie religieuse? N’avons-nous pas reçu de votre Ordre la nourriture 
du corps, la science, l'éducation morale ? » 

Benoît XI se plaît à rappeler aux Prêcheurs qu’il a été un des 
leurs. Son souvenir ému se reporte à ce couvent de Trévise où, 
jeune orphelin, accueilli avec affection par les Frères, il appre¬ 
nait sous leur direction les éléments des sciences humaines, pen¬ 
dant que sa mère, obligée de gagner sa vie à la sueur de son 
front, travaillait pour la Communauté. Loin de rougir de ses 
modestes origines, le bienheureux Pontife aime à redire, du haut 
du Siège apostolique, ce qu’il doit, pour lui et pour les siens, à 
la charité dominicaine. 

On lui pardonnera bien, à ce titre, d’avoir eu pour les Frères 
quelque partialité. 

Deux jours après ces effusions fraternelles, Benoît XI confirme 
à nouveau l’exemption universelle dont l’Ordre jouissait 1 . Puis, 
comme ses prédécesseurs, il publie, confirme, ratifie, afin que 
personne n’en ignore, les nombreux privilèges de détail qui assu¬ 
raient aux Frères le libre exercice de leur administration inté¬ 
rieure et de leur ministère apostolique 2 . 

C’est dans ces conditions si favorables que le Chapitre géné¬ 
ral, où devait s’élire le successeur de Bernard de Jusix, s’ouvrit 
à Toulouse 3 . On était au 17 mai 1304, veille de la Pentecôte. Il 


1 Bull . Ord., II, p. 95. B. Inler celeros, 12 mars 1304. 

2 Cette bulle, ou Mare magnum, n’est pas au Bullaire de l’Ordre. Elle est citée 
par Taegio, Chron. ampliss., Il, p. 2. Ms. arch. Ord. 

8 Acta Cap., II, p. 1. 


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428 


ÀYMERIC DE PLAISANCE 


y avait trente-six électeurs, dont treize Provinciaux. L’Ordre 
comptant alors dix-huit provinces, il manquait cinq Provinciaux : 
ceux d’Aragon, de Lombardie inférieure, de Grèce, de Sicile et 
d’Angleterre 1 . Encore le treizième électeur provincial, celui de 
Saxe, Maître Eckard, n’était-il pas confirmé. Il ne le fut qu’après 
l’élection, le lundi de la Pentecôte. Bernard Gui le met cepen¬ 
dant, malgré cette lacune, parmi les électeurs 2 . Maître Eckard 
était, sans doute, avant son élection comme Provincial de Saxe, 
nommé électeur officiel du Général pour cette province. Le Cha¬ 
pitre était présidé par le Provincial de Toulouse, Frère Pierre de 
Godin. Avant l’ouverture du scrutin, il lut aux Capitulaires une 
lettre de Benoît XI. Plus discret comme Pape qu’il ne l’avait été 
comme cardinal, Benoît XI se contente d’exprimer aux religieux 
toute son affection. Il les absout, par provision, de toute censure 
ecclésiastique et leur recommande de choisir pour Maître Général 
un homme prudent, de grande science, de bon conseil, de vie 
exemplaire, habitué au joug de l’obéissance régulière, « que nous 
voulons, dit le Pape, voir conservée inviolablement dans votre 
Ordre 3 . » 

Il n’est question, dans cette bulle de quelques lignes, d'aucune 
pression autoritaire. Benoît laisse aux électeurs toute indépen¬ 
dance. 

Ceux-ci n’étaient pas sans embarras. La France se trouvait 
encore dans l’agitation douloureuse qu’avait produite la lutte de 
Boniface VIII et de Philippe le Bel. Parmi les électeurs on voyait 
le Provincial de Paris, Frère Raymond Romani, qui avait adhéré 
d’une manière bruyante et maladroite à l'appel au concile. Il est 
certain que le parti français désirait un Général favorable à la 

1 « Sabbato sancto in vigilia penthccostes quod fuit XVII Kal. junii, anno Do- 
mini M°CGC 0 IIII° apud Tholosam congrcgatis et inclusis in conclavi juxta morem 
constitucionum electoribus Magistri numéro XXXVI... 

« Erant autem inter electorcs provinciales XIII hii videlicct qui scquuntur. 

« Hyspanie, Fr. Egidius de Aravalho. 

« Francie, Fr. Raymundus Romani, Magister in thcologia. 

« Romane Provincie, Fr. Hugo. 

« Theotonie, Fr. Antonius. 

«« Polonie, Fr. Lippoldus. 

« Provincie Provincie, Fr. Johannes Vigorosi. 

«« Lombardie Superioris, Fr. Jacobus vcl Guido de Concancto. 

«• Provincie Tholosane, Fr. Guillelmus Pétri de Godino baccalarius. 

*« Ungarie, Fr. Aymericus. 

« Dacie, Fr. P. de Rusquillis. 

«« Terre Sanctc, Fr. Geraldus Bermundi Petragorisensis. 

«« Boemie, Fr. Egidius (qui proprie vocatur Sdilaus apud eos) qui fuerat Provin- 
cialis annis XXIIII. 

« Saxonie, Fr. Aycardus, Magister in Theologia. Non tamen erat confirmatus in 
die élection» Magistri, sed die lune sequenti fuit conilrmatus in provincialem a 
Magistro. » {Acta Cap., II, p. I, note.) 

* Ibid. 

3 Bull. Ord., II, p. 97. B. Cum incumbat , 13 avril 1304. 


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CHAPITRE I 


429 


France, sinon de nation française. D’autre part, les faveurs très 
appréciées dont Benoît XI venait de combler l’Ordre poussaient 
quelques Capitulaires à lui être agréable. L’élection précédente, 

— on ne pouvait l’avoir oublié, — avait été faite contre lui. 
N’était-ce pas de bonne et juste politique 1 de choisir un religieux 
qui pût, par son influence amicale, maintenir le Pape dans ses 
bienfaisantes dispositions? Ce double courant donne la raison des 
trois scrutins qui précédèrent l’élection. Au premier, Frère Pierre 
de Godin, Provincial de Toulouse, eut neuf voix; Frère Aymeric 
de Plaisance, douze*; les autres se dispersèrent. Ce n’est qu’au 
troisième tour que Frère Aymeric fut élu. Personne, au dire de 
Galvanus de la Flamma, ne songeait à lui 3 . Mais, avant la tenue 
du Chapitre, il avait obtenu du Pape d’être absous du Provincia- 
lat de Grèce, de sorte que, quoique présent au Chapitre, il n’avait 
pas voix pour l’élection. Cet acte d’humilité lui aurait valu les 
suffrages des Frères. Galvanus, qui raconte ces détails, doit en 
avoir eu une connaissance exacte; car Frère Aymeric était, 
comme lui, de la province de Lombardie 4 . 

Nommer Maître Général un Lombard, c’était plaire à Benoît XI. 

Frère Aymeric, né à Plaisance, avait été le condisciple du 
Pape. Il fut, avec le jeune Nicolas de Trévise, un des premiers 
étudiants de logique au couvent de Milan 5 . Dans plusieurs bulles 
à lui adressées, Clément V l’appelle Aymeric de Navis*. 

C’était un professeur de carrière. Il avait enseigné, tant la phi¬ 
losophie que la théologie, pendant vingt-quatre ans 7 . Bernard 
Gui dit de lui qu'il était très lettré. Il jouissait, de plus, d’une 

1 « Canonicc eligitur (Fr. Aymcricus) Tliolosœ in Galliis anno 1304 pontificantc 
Romæ magno Pâtre Bcncdicto XI. Cujus respectu plurimum valuit ut Itaücus 
talisque eligeretur Magister, et si aliis non curandum similia dicerent quasi vatici¬ 
nantes brevem Benedicti Pontificis vitam. » (Sébastien de Olmedo, Chron., p. 49. 
Ms. arch. Ord., XIV-26.) 

* Galvanus de la Flamma, Cronica ordinis, p. 106. Ed. Rcichert. 

3 « Ad istud capitulum ivit frater Aymericus prior provincialis Grecie, qui pro- 
curavit absolvi a provincialatu Grecie ante inceptionem Capituli in elcctionc Ma- 
gistri vocem non habuit. Ex hoc fratres videntes ipsius humilitatcm provocati 
sunt ipsum facere Magistrum, de quo non crat ncc spcs nec imaginacio. Et habuit 
in primo scruptinio XII voces et frater Guillelmus Pétri habuit IX. Et iterato 
scruptinio factus est Magister frater Aymericus satis pacifice. [Ibid.) — Frère Ay¬ 
meric n’a pu être absous, avant le Chapitre, que par le Pape. 

* Bernard Gui le contredit sur certains points. Il donne trois scrutins et fait de 
Frère Aymeric un Lecteur de Bologne, simplement élu Provincial de Grèce. Je 
crois que pour un Frère de Lombardie, Galvanus, Lombard lui-méme, mérite plus 
de créance. (Cf. Acta Cap, II, p. 1, note.) 

5 « Hoc anno (1262) positum fuit studium logicœ in convcntu Mediolanensi et 
facti sunt studentes logicæ quidam juvenes satis apti, inter quos fuit Fr. Nicholaus 
Boccasini, qui postca fuit Papa, et Fr. Aymericus Placentinus qui fuit Magister 
Ordinis. » (Borselli, Cron. Bononiens., lib. QQ, p. 309. Ms. arch. Ord.) 

6 B. Régnant in cœlis et B. Dudurn ad eliciendum. (Bull. Ord. ined. Ms. 1,19 bis.) 

— Echard le fait naître de la famille des Giliani. ( Scriptores, p. 494.) 

7 Acta Cap., II, p. 1, note. — Echard, I, p. 49i. 


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AYMERIG DE PLAISANCE 


grande réputation de sainteté et de prudence. Au moment où il fut 
élu, il se trouvait à l'église, priant dévotement pour le succès 
de l’élection. C'est là que les Pères vinrent lui annoncer qu'il 
avait été lui-même choisi. L’archevêque d’Auch, l'évêque de 
Comminges, qui étaient présents, lui firent cortège 1 . « Au dedans 
comme au dehors, dit Sébastien d’Olmedo, on chanta joyeuse¬ 
ment le Te Deum *. » 

L'élection se présentait donc sous les auspices les plus heureux. 

La première encyclique de Maître Aymeric est toute de pieuse 
exhortation. Il se réjouit, dans un style gracieux, de ce que 
l’Ordre des Prêcheurs, ce petit rameau si chétif à ses débuts, soit 
devenu un arbre vigoureux. Il a bien souffert de quelques intem¬ 
péries ; on a bien tenté d’arrêter sa croissance ; mais après la 
douleur est venue la joie, cette joie immense de donner à 
l'Église un Pasteur universel 3 . L'allusion à Boniface VIII est dis¬ 
crètement voilée ; elle est cependant un signe non équivoque de 
la grande perturbation causée par la bulle Super cathedram. 
Même les plus saints religieux ne la lui pardonnaient pas. 

Puis, le Maître rappelle à ses fils la sublimité de leur voca¬ 
tion, l'obligation de suivre les voies héroïques de leurs ancêtres, % 
la vigilance sur la langue, cette dissolue qui parle avec tant de 
légèreté et de suffisance. Il faut en resserrer le frein. « Respect à 
tous les prélats; paix avec tous les religieux 4 ! » Cette recom¬ 
mandation était très nécessaire. Il y allait de l'avenir de l'Ordre 
menacé d'autant plus que, pour le présent, ses adversaires étaient 
vaincus. 

L'Ordre, en effet, continuait à recevoir de Benoît XI d’insignes 
témoignages de bienveillance. 

Des Frères du couvent de Saint-Eustorge de Milan, le Prieur, 
Frère Paul, et le Lecteur, Frère Jacques de Glusiano, étant allés 
lui présenter leurs hommages, le Pape, par révérence pour saint 
Pierre martyr, dont le corps vénéré repose dans l’église de Saint- 
Eustorge, leur donna un calice en or très pur, deux candélabres 
en argent, un ornement complet d’une grande richesse, des dra¬ 
peries provenant du lit de Boniface VIII et cent écus d'or. 
Ordre était mandé, en même temps, aux Inquisiteurs de Lom¬ 
bardie de remettre au couvent trois cents écus, à prendre sur les 
redevances dues à la Chambre apostolique. Cet argent était 
destiné au tombeau de saint Pierre 5 . Déjà, étant Maître Général, 

1 Acta, Qap., II, p. 1, note. — Echard, I, p. 495. 

2 Sébastien de Olmedo, Chron., p. 49. Ms. arch. Ord., XIV-26. 

3 Litteræ Encycl., p. 181. Ed. Reichert. 

* Ibid. 

5 Taepio, Chron. ampliss ., II, p. 2. — Galvanus de la Flamma, Chron., p. 195. 
Ed. Reichert. 


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CHAPITRE I 


431 


Frère Nicolas Boccasino avait recommandé chaudement cette 
œuvre de piété à la générosité de l'Ordre entier 1 . Ses libéra¬ 
lités enrichirent également le tombeau de saint Dominique à 
Bologne*. 

Il fit mieux. 

Pendant les neuf mois qu'il occupa le Siège de saint Pierre , 
Benoît XI créa trois Frères de l'Ordre cardinaux de la sainte 
église. Le plus en vue, Frère Nicolas de Prato, dont les actes 
futurs auront sur l'Ordre et sur l'Église une grande influence, doit 
être présenté. Il naquit à Prato, dans la Toscane, non loin de 
Florence, de la noble famille des Albertini, vers l'an 1250. A 
l’âge de seize ans, il prit l'habit des Prêcheurs au couvent de 
Santa Maria Novella. D’intelligence supérieure, il fut envoyé à 
Paris, selon l'usage, pour y compléter ses études. Cependant, ni 
Bachelier ni Maître, il devint, au retour dans sa province, pro¬ 
fesseur très estimé, à Rome surtout, où il régenta pendant 
quelques années. Ses relations avec Frère Nicolas Boccasino étaient 
très amicales. Instruits tous deux, également habiles, très reli¬ 
gieux, ils s'estimaient et s'aimaient comme deux frères. En 1297, 
Nicolas de Prato devint Provincial de Rome 3 . Mais Frère Nicolas 
Boccasino, élu Maître de l'Ordre, lui confia, en même temps, la 
charge de Procureur Général 4 . Il plut à Boniface VIII. 

Son habileté lui valut d’être nommé évêque de Spolète, et, peu 
de jours après, légat en France et en Angleterre 5 . Comme pacifi¬ 
cation, son succès fut médiocre; mais il sut se concilier, chose 
assez rare, l'amitié des deux princes qu'il voulait accorder. Phi¬ 
lippe le Bel et Édouard le tinrent, dès lors, en grande estime. 
A peine élu Pape, le 18 décembre 1303, Benoît XI créait son ami 
cardinal-évêque d'Ostie, doyen du Sacré-Collège 0 . Cette éminente 
dignité se trouva, pendant cinquante ans, entre les mains d'un 
Frère Prêcheur. De la mort de Henri de Suse (1272), jusqu'à celle 
de Nicolas de Prato (1321), cinq Prêcheurs furent les doyens du 
Sacré-Collège : Pierre de Tarentaise, Latino Malabranca, Hugues 
de Billom, Nicolas Boccasino et Nicolas de Prato. C'est dire que, 
pendant ce demi-siècle, ils jouirent dans l’Église d’une autorité 

1 Acta Cap., I, p. 286. 

2 Tacgio, Chron. ampliss., II, p. 2. 

3 Non en 1290, comme le veut Echard, Script., I, p. 546. Dans les Actes du Cha¬ 
pitre provincial de Pérouse, en 1297, il est dit : « Facimus predicatores generales 
revercndum patrem fratrem Nicolaum priorem provincialem, et... » ( Acta Cap. 
Prov., p. 582. Ed. Douais.) 

En 1290, au Chapitre d’Aquila, c’est Jean de Polo qui est élu Provincial et fait 
Prédicateur Général. {Ibid., p. 572. — Cf. Masetti, Monum. Domin., p. 270.) 

4 Echard, I, p. 546. — Masetti, Monum. Domin., p. 270. 

5 Echard, I, p. 546. 

« Ibid. 


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432 


AYMERIC DE PLAISANCE 


considérable et qu'ils eurent, sur l'élection des Papes, la plus 
grande influence, heureuse ou non 1 . 

Le même jour, Benoît XI élevait au cardinalat un Anglais, 
Frère Guillaume de Maclesfeld. Savant professeur, Maître d'Ox- 
ford*, il fut un des défenseurs les plus intrépides de la doctrine 
de saint Thomas. Ses écrits contre Henri de Gand et le Corrup¬ 
teur de saint Thomas, le Franciscain Guillaume de la Mara, en 
gardent la mémoire 3 . 

11 assistait, comme Définiteur d'Angleterre, au Chapitre Général 
de Besançon. A son retour, atteint par la maladie, il mourut, 
avant d'être rentré dans son couvent 4 . C’était en décembre 1303, 
à l’époque où Benoît XI le créait cardinal du titre de Sainte- 
Sabine. Maître Guillaume ne connut sa nomination que dans 
l'éternité K . 

Le Pape y suppléa. 

Toujours en Angleterre, il choisit un autre cardinal, Frère 
Walter de Winterburn (21 février 1304); orateur, poète, phi¬ 
losophe, de mœurs graves et habile en affaires, tel le présentent 
les anciens chroniqueurs 6 . Il était pour lors confesseur du roi 
Édouard I er . Craignant que cette dignité ne l'éloignât de la Cour, 
ce prince écrivit à Benoît XI. 11 le remercie de l’honneur fait au 
Frère Walter et à tout le royaume d'Angleterre, et le prie cepen¬ 
dant de laisser le nouveau cardinal auprès de lui, au moins pen¬ 
dant quelque temps 7 . En effet, Frère Walter ne se pressa pas 
de partir pour Rome; il se pressa si peu, qu’il arriva trop tard, 
cinq mois après la mort de Benoît XI 8 . 

Partout les Prêcheurs étaient au premier rang : avec le Pape, le 
doyen du Sacré-Collège, un autre cardinal, des évêques nombreux, 
ils dirigeaient la sainte Église. Leurs privilèges étaient recou- 

1 Nicolas de Prato fut envoyé comme légat en Toscane pour pacifier les Guelfes 
et les Gibelins. Je ne puis le suivre dans les péripéties de cette légation. (Cf. 
Rainaldi, IV, ad ann. 1304, et Touron, les Hommes illustres de l'Ordre de Saint- 
Dominique , I,p. "08 et ss. — Bull. Ord., II, p. 85, 99.) 

* Bachelier de Paris , il fut créé Maître à l’Université d’Oxford. Cest le premier 
de l'Ordre, paraît-il, portant ce titre. fEchard, I, p. 493.) 

3 Ibid . 

4 » Denunciamus Fratribus universis quod tenentur ad sufîragia pro Fratre Guil- 
lelmo de Maclesfeld, diftinitore Anglie in Capitule Bisuntino, dcfuncto post ipsum 
Capitulum, antequam ad conventum proprium pervenisset. »> (Echard, I, p. 493. — 
Acta Cap., II, p. 7. Chap. de Toulouse, 1304.) 

5 Cf. Chron. de Nicolas Trivelh, ap. d'Achery, Spicilegium, III, p. 229. Paris. 1723. 

* Echard, I. p. 495. 

7 Lettres citées par Touron. les Hommes illustres..., p. 730-732. 

8 « Fratrem Gualterum Anglicum, confessorem D. Regis Angliæ Edoardi, assumpsit 
et fccil presbyterum Cardinalem idem D. P. Bcnedictus XI in jejuniis quatuor tem- 
porum post cineres... Hic post novem menses a die qua fuit in cardinalem nomi- 
natus et post fere quinque menses ab obitu memorati D. Benedicti papæ pervenit 
ab Anglia Pcrusium civitatem ; ubi adhuc curia morabatur sede vacante IV kal. 
Deccmb... » (Bernard Gui, cité par Echard, I, p. 496.) 


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CHAPITRE I 


433 


vrés, leur ministère libre et honoré. Maître Aymeric, condisciple 
et ami de Benoît XI, pouvait tout espérer pour la prospérité de 
TOrdre. 

Ce ne fut qu’un rêve. 

En prenant la charge suprême, Frère Nicolas Boccasino en 
avait pris également la lourde et périlleuse responsabilité. La 
mort de Boniface VIII laissait la Papauté, humiliée par le roi de 
France, dans d’inextricables difficultés. Il fallait, tout en ven¬ 
geant l’honneur du Saint-Siège, pacifier les esprits. Benoît XI 
crut y parvenir. Son caractère bienveillant le portait à la conci¬ 
liation. On le lui a reproché. Vis-à-vis des Colonna, il se montra 
généreux. Malgré les torts évidents des deux cardinaux, le Pape, 
qui était très au courant de la situation, leur pardonna. Les ran¬ 
cunes personnelles de Boniface VIII ne pouvaient influer sur cette 
décision. Ses arrêts contre eux furent cassés, leurs biens en par¬ 
tie restitués, sauf quelques réserves et la défense maintenue de 
relever les ruines de Palestrina et d’y mettre un évêque 1 . Benoît XI 
estimait, évidemment, que les graves accusations portées par les 
deux cardinaux Colonna contre Boniface VIII provenaient plutôt 
de l’esprit de vengeance que d’une conviction raisonnée. Il y 
trouva une excuse. Pour qui cherche la paix, excuser les fautes, 
c’est déjà les pardonner. 

Plus rude était l’affaire de France. 

Benoît XI lui-même avait été témoin de l’attentat d’Anagni. Il 
avait vu de ses yeux Nogaret, Sciarra et leurs complices insulter 
Boniface VIII, et, dans la personne de l’auguste vieillard, le 
Siège apostolique. Pardonner, n’était-ce pas avilir pour toujours 
la majesté pontificale, la ravaler au-dessous du pouvoir laïque? 
Jusque-là, l’anathème des Papes avait triomphé des rois et assuré 
la suprématie de Rome : qu’adviendrait-il si, indulgent à un 
pareil outrage, le Saint-Siège reculait devant le roi de France? 

Benoît XI est accusé de reculade. Il a absous Philippe le Bel et 
frappé Nogaret, c’est-à-dire qu’il a absous le chef et frappé l'ins¬ 
trument. Le puissant, celui qui avait la force, fut pardonné; le 
subalterne, celui qui avait exécuté l’ordre, fut excommunié*. 

L’attribution des rôles n’est peut-être pas très exacte. 

A la vérité, c’est bien Philippe qui fut absous, même sans 
l’avoir demandé 3 , même après avoir récompensé Nogaret et sans 
qu’un mot de désaveu ait été prononcé. Mais Philippe a-t-il été 

1 Dupuy, Histoire du Différend... B. Dudum bonæ mémorisé, p. 227 et s. Ils ne 
furent pas rétablis dans leur dignité cardinalice. 

1 Cf. Ernest Lavisse, Histoire de France, III, p. 168. — Bulle d'absolution, Ad 
stalum tuum, 13 mai 1304. — Dupuy, Histoire du Différend..., p. 320. 

3 Ce qui est loin d'être prouvé. (Cf. Funke, Papst Benedict XI, p. 93 et ss. 
Munster, 1891.) 

II — 28 


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434 


ÀYMERIC DE PLAISANCE 


vraiment le chef qui commande, et Nogaret un subalterne qui 
exécute? Et Benoît XI a-t-il tellement reculé en ne frappant que 
Nogaret? 

Que Ton veuille bien se rappeler le caractère de Philippe le 
Bel, tel que l’ont décrit ses contemporains : ce bellâtre douce¬ 
reux, indolent, grand chasseur et guère autre chose. Il était de 
notoriété publique que le roi de France régnait et ne gouvernait 
pas; que ses conseillers avaient le pouvoir effectif, et, sous le 
couvert de l’autorité royale, dirigeaient souverainement la poli¬ 
tique française. De ces prémisses, admises par des historiens 
comme Ernest Lavisse 1 et ses collaborateurs, la conclusion à 
tirer, en ce qui concerne l’attentat d’Anagni, est que, là comme 
ailleurs, Philippe le Bel fut l’instrument de ses conseillers, non 
leur chef; qu’il ne commanda point, mais qu'il obéit. Ce n’était 
donc pas Philippe le Bel, insouciant des affaires, qui avait la res¬ 
ponsabilité réelle de l’outrage au Saint-Siège; elle retombait de 
tout son poids sur Nogaret et ses complices. En absolvant le roi 
et en condamnant Nogaret, Benoît fit œuvre de justice. Il attei¬ 
gnit le vrai coupable et montra qu’il connaissait pertinemment la 
situation de la Cour de France. Il ne recula pas; il visa juste. 

N’est-il pas étonnant de voir ces mêmes historiens, qui posent 
les prémisses de ce syllogisme, ne pas en tirer la conclusion 1 ? Ils 
oublient, devant la sentence si avisée de Benoît XI, l’effacement 
moral de Philippe le Bel, pour ne plus voir que la défaillance du 
Pape. Selon eux, Benoît XI, en absolvant le roi de France, a 
mis à ses pieds la Papauté. Cela serait vrai, si le roi de France 
eût été le coupable; cela n’est plus vrai, si le coupable, comme 
je l’ai dit, et comme ils le disent, est Nogaret. 

Ce criminel fut formellement exclus de l’indulgence pontificale 3 . 
Benoît XI le citait à paraître devant lui. Le 7 juillet 1304, tout 
était prêt pour ce jugement solennel. Sur une place de Pérouse, 
devant le palais où résidait le Pape, on avait élevé un échafaud 
tendu de drap d’or 4 . Il ne servit point. Ce même jour, avant de 
prononcer la sentence, Benoît XI mourait. 


1 Cf. Ernest Lavisse, Histoire de France, III, p. 121 et ss., et plus haut, p. 391. 

* Ibid., p. 168. 

3 B. Flagitiosum scelus, 7 juin 130Î. — Dupuv, Histoire du Différend..., p. 232. 

4 Mémoire de Nogaret à Clément V contre le procès intenté à lui par Benoit XI. 

« Propter præmissam igitur tam pravem contra nos injustitiam, Dcus et Domi- 

nus quod ex eo ofTcnsus fuerit, per miraculum evidenter ostendit. Cum enim 
Dom. Bened. lapso termino, ad quem nos citavcrat per edictum, disposuisset 
proferre contra nos quodam mane sententiam super prœmissis per cum impositis, 
seroque præcedenti locum ad prædicandum supra plaleam Perusii ante hospitium 
suum parari et pannis aureis muniri fccisset, et populus dicto mane summo dilu- 
culo in platca prœdieta convenissct ad audiendum cjus sermonem, vcl paulo ante 
horam matutinam cjus, Dominus qui potens est supra principes ecclesiasticos et 
emporales, et punit fortius cos qui per alium puniri non possunt, pcrcussit dictum 


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CHAPITRE I 


435 


Nogaret y vit un miracle. Mais ce miracle ne pourrait-il pas 
lui revenir de droit? La coïncidence, à tout le moins, est étrange. 
Cette mort soudaine servait si bien les intérêts de Nogaret que là, 
comme dans les cas semblables, s’il y a eu crime, il faut appli¬ 
quer la règle ordinaire d’investigation : Cui prodest { ? » 

Se sentant mortellement atteint, Benoît XI voulut mourir en 
brave. Il s’assit sur un fauteuil, dans une salle du palais, portes 
ouvertes. Et le peuple défilait devant lui pour recevoir une 
suprême bénédiction. Même à cette heure solennelle, il se sou¬ 
vint des Prêcheurs. Ce qu’il avait fait pour eux, que son règne 
de neuf mois n'avait pu suffisamment consolider, lui parut me¬ 
nacé. Il n’ignorait pas qu’autour de lui de nombreux adversaires 
des Mendiants supportaient avec peine ses faveurs à leur égard et 
regrettaient la bulle Super cathedram. Une fois mort, son œuvre 
était en danger. 11 supplia les cardinaux qui l’entouraient de pro¬ 
téger ses Frères*. 

Le 7 juillet 3 , neuf mois après son élévation au souverain Ponti¬ 
ficat, six semaines après l’élection de Maître Aymeric, Benoît XI 
expira. 

Dominum Benedictum suo judicio. sic quod eum a dicta fcrenda sententia contra 
nos tempcrarc oportuit, ac infra paucos dies, postmodum expiravit... » (Dupuy, 
Histoire du Différend. .., p. 314. Documents.) 

1 L’empoisonnement de Benoit XI, par des figues que lui aurait apportées un 
jeune homme déguisé en religieuse tourière du monastère de Sainte-Pétronille, est 
très discuté. 

Pour l’empoisonnement : Villani, Muratori, Rer. Ital. Script., VIII-80. Il est 
pour le jeune homme déguisé en tourière. — Mussato, Historia augusta { not. Osii 
ad rub. VI). Muratori, X, 322. Il accuse la famille et les partisans de Bonifacc VIII. — 
Le Diario delta Citta di Roma. (Ibid., 111-1113.) Il accuse un camérier du Pape, auquel 
le Pape avait promis le cardinalat et depuis l’avait laissé de côté. — Le moine de 
Westminster accuse Nogaret. ( Flores Historiarum, ad annum 1304.) 

Ne parlent pas d’empoisonnement : Ptolémée de Lucqucs, Muratori, Rer. Ital. 
Script., XI, 1224. — Bernard Gui, Echard, p. 416, et Recueil des Historiens de 
France, XXI, p. 737-738. — Francesco Pipini, Muratori, op. cit., IX, 747. Celui-ci 
cependant ajoute A son récit que <« Benoît eut une dysenterie occasionnée par des 
figues fraîches. On dit qu’elles étaient empoisonnées »». — Le cardinal J. Stcfanes- 
chi, qui a assisté Benoît XI, qui raconte tous les détails de sa maladie et de sa 
mort, ne dit rien de l'empoisonnement (cf. Ehrle, Archiv. fiir Litteratur und 
Kirchengeschichte , 1890, V, p. 584; de même dans son Opus Metricum, Muratori, 
op. cit., III, 1660.) 

Quoi qu’en dise Funkc, Papst Benedict XI, p. 133, Thomas de Westminster me 
semble avoir eu raison d’écrire qu’il y a eu empoisonnement et que l’auteur de 
l’empoisonnement est bien Nogaret. Cette mort arriva trop à point pour que l’accu¬ 
sation ne retombât pas sur lui. La manière dont il parle de cette coïncidence 
parait une lourde et maladroite justification qui se retourne contre lui. Cf. note 4, 
p. 434. 

1 Funke, op. cit., p. 129. — Ehrle, Archiv fiir Litteratur und Kirchengeschichte 
des Mittelalters , 1890, V, p. 584. 

3 II y a quelque controverse sur celte date. Mais les contemporains donnent 
celle du 7 juillet : J. Stefaneschi, qui était présent. — V. Ehrle, loc. cit. — Ptolé¬ 
mée .de Lucqucs, Muratori, Rer. liai. Script., XI-1224. — Bernard Gui, Echard, I, 
p. 446. — Villani cependant admet le 27, Muratori, VIII-80. L’opinion commune 
maintient le 7, malgré même l’épitaphe du monument qui a le 6, sans doute à 
cause du vers : «< Mense, die sexta julii sunt talia gesta. » 


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436 


AYMERIC DE PLAISANCE 


Selon son désir, il fut enseveli à Pérouse, dans l'église des 
Prêcheurs. Son ami, le cardinal de Prato, lui érigea un splendide 
monument. Plus tard, lorsque les passions soulevées par les 
affaires difficiles qu’il eut à régler se furent calmées, on eut pour 
sa mémoire la plus grande vénération. L'Eglise P a placé sur les 
autels f . 

En perdant Benoît XI, Maître Aymeric de Plaisance perdait le 
soutien de l’Ordre ; il se trouvait à la merci de ses ennemis. 


1 Son culte fut autorisé par Clément XII, 2i avril 1736. 


BIBLIOGRAPHIE 


Les auteurs déjà cités au chap. n sur Frère Nicolas Bocassino, p. 353. 
Fontana, Monumenta dominicana. Rome, 1675. 

E. Boutaric, la France sous Philippe le Bel . Paris, 1862. 

M. Souchon, Die Papstwahlen von Bonifaz VIII bis Urban VI. 1888. 


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CHAPITRE II 


L’OEUVRE DISCIPLINAIRE DE MAITRE AYMERIC 


Malgré la mort de Benoît XI, Maître Aymeric, désormais sans 
appui, ne recula point devant sa tâche. Aux prises avec toutes 
les difficultés du dehors, il sut gouverner l’Ordre, au dedans, 
avec une rare sagesse. Ses sept ans d’administration ont été féconds 
en salutaires ordonnances. 

11 est bon de remarquer, une fois pour toutes, que, à travers 
les vicissitudes les plus diverses et les troubles intérieurs les plus 
graves, les Maîtres Généraux des Prêcheurs ont, jusqu’ici, suivi 
la même voie. Leur enseignement demeure immuable. Et ce n’est 
pas, il me semble, chose banale de voir, pendant ce premier 
siècle, des hommes d'origine si variée, d’éducation si différente, 
de caractère si opposé, passer à la tête de l’Ordre, au milieu des 
circonstances les plus difficiles, sans s’écarter du sillon tracé par 
saint Dominique. C’est, en tous ses personnages, le même souci 
de l’observance régulière, la même ardeur pour les études, le 
même zèle pour le ministère apostolique. Les individus ont pu 
fléchir et dévier; mais au-dessus de ces défaillances et de ces 
écarts, on entend toujours, sur les hauteurs, le même cri de ral¬ 
liement. 

Maître Aymeric continua donc l oeuvre disciplinaire de ses pré¬ 
décesseurs 1 . Tous ses soins vont à l’étude. Professeur pendant de 


1 Je signale les réponses du Procureur Général de l’Ordre, Frère Lapo, à deux 
doutes qui lui furent proposés par Maître Aymeric. Ces doutes avaient trait à la 
dignité des supérieurs. Voici le texte de la lettre de Frère Lapo : 

« Reverendo in Christo Patri fratri Aymerico, Magistro Ordinis Fratrum Predi- 
catorum, frater Lapus ejusdem ordinis procurator, omnem revcrenciam et omnem 
obcdienciam. 

« Sciât vestra paternitas, me habuisse diligens consilium cum quatuor valdc 
peritis in jure circa illos casus, de quibus michi significasti. Quibus omnibus 
videtur, nullo discordante, quod primi scilicet : utrum illégitime nati, cum quibus 
in nullo est dispensatum, possint esse suppriores vel vicarii priorum; videtur eis 
quod non, quia talis conditio sapit dignitatem vel personatum, eo quod in absencia 
prions taies exercent puniciones exccssuum, correctiones, emendaciones, et caetera 
similia sicut prior, que ad curam pertinent personarum. Secus autem esset, si talcs 


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438 


AYMERIC DE PLAISANCE 


longues années, il en connaissait mieux que d'autres l'impor¬ 
tance capitale. Ses Chapitres généraux sont pleins d'admonitions, 
de reproches, d’encouragements, de lois sur ce sujet. On peut 
dire de lui qu’il a été le Général des étudiants. Qui veut avoir 
des études sérieuses doit, d'abord, se munir de bons professeurs. 
Aussi lisons-nous dans les Actes du Chapitre de Gênes, en 1305, 
les ordonnances suivantes : Personne n’enseignera la logique s’il 
n’a suivi, pendant deux ans, le cours de logique nouvelle 1 , puis 
celui des Naturalia, c’est-à-dire la philosophie naturelle, la phy¬ 
sique, la métaphysique et l’éthique d'après Aristote 2 , et s'il n'a 
été examiné et approuvé par le Lecteur principal et le Lecteur 
des Naturalia. Nul n’enseignera les Naturalia, s’il n’a déjà ensei¬ 
gné les Sentences ou suivi le cours des Sentences pendant deux 
ans, et s’il n’a été jugé capable par le Lecteur principal, le Lec¬ 
teur ordinaire ou Cursor, s’il y en a un, et le Maître des étu¬ 
diants de répondre avec compétence aux questions et aux objec¬ 
tions. 

Nul ne sera nommé Lecteur ordinaire, à moins d’avoir entendu 
les Sentences pendant deux ans dans un couvent, deux encore 
dans une Étude générale 3 . De plus, il lui faut l’approbation de 
ses professeurs 4 . 

C’est la première fois qu’il est question, dans les Constitutions 
de l’Ordre, de l’examen et de l’approbation des professeurs. 

Pour devenir Lecteur principal dans un couvent où l’on ensei- 


habcrent lantum vicariam ad administrandum bona conventus, scilicet rcfectorii, 
coquine, panis et vini et ceterorum utensilium. 

« De secundo autem casu : utrum illégitime nati, cum quibifs est dispensatum, 
quod possent esse priores conventuales, possint esse vicarii provincialium, videtur 
predictis quod non. Et racio est, quia dispensacioncs tanquam ambiciosc et jus non 
sunt rclaxandc sive ampliande ad alia, sed restringende pocius ; unde cum taies 
vicarii vices gerant prioris provincialis in omnibus et plura possint quam priores 
conventuales, sine ulteriori dispensacione vicarii provincialis esse non possunt, 
quia gcrcre vicariam dignitas et prelacio est, quia presunt aliis offlcio quod exer¬ 
cent. » ( Litler . EncycL, p. 202. Ed. Reichcrt.) 

1 C’est-à-dire les œuvres d’Aristote inconnues à Abélard. — Cf. Thurot, De l'or¬ 
ganisation de renseignement dans VUniversité de Paris, p. 37 et ss. Paris, 1850. 

* Ibid. 

3 Pour comprendre cette succession de cours, voir t. I, p. 544, la Discipline 
scolaire. 

4 « Cum circa studia et studentes cura et cautela sit diligens adhibenda, ordi- 
namus quod nullus ad legendum logicalia mittatur nisi prius audierit logicam 
novam duobus annis, naturalia vero duobus et per lcctorcm principalcm et lcclo- 
rem naturalium fucrit approbatus. 

« Ad legendum vero naturalia nullus mittatur nisi legerit scntcncias, ubi com¬ 
mode poterit observari, vel saltem sentencias duobus annis audierit et iu questio- 
num responsionibus et objectionibus testimonio principalis lectoris, cursoris, ubi 
cursor fuerit, et magistri studencium ad hoc fuerit judicatus sufficicns; nullus 
exponatur ad legendum ordinarie, nisi prius in aliquo particulari studio senten¬ 
cias audierit, duobus annis, et duobus adminus in aliquo studio Gencrali, si in 
provincia sua fuerit, et sic ad legendum ordinarie exponatur, si supra dicto modo 
fucrit approbatus. » ( Acta Cap., II, p. 12. Chap de Gènes, 1305.) 


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CHAPITRE II 


439 


gnait les Sentences, il fallait ou sortir de Saint-Jacques de Paris, ou 
avoir fait un premier cours, ou avoir enseigné les Sentences dans 
sa province 1 . Le Lecteur principal faisait fonction de régent, et 
par là même dirigeait les études. 

On n’avait même qu’une confiance assez limitée dans le savoir 
des étudiants qui sortaient des Etudes générales des provinces. Ces 
jeunes gens, qui arrivaient dans les couvents, pour enseigner les 
novices, devaient, avant de commencer leur cours, s’asseoir sur 
les bancs pendant un an. Le professeur pouvait ainsi, en les inter¬ 
rogeant, juger de leur capacité. « De cette manière, disent les 
Actes, on sera plus sûr du progrès réel des étudiants, et de la 
vigueur qu’ils donneront aux études 2 . » Il n'y avait d’exception à 
cette loi expérimentale que pour les étudiants de Paris. Ceux-là 
étaient réputés hors concours 3 . 

On tenait évidemment à ce que les Lecteurs de l’Ordre fissent 
honneur à leur charge. Ils n’ont pas le droit de disputer, sans 
la permission des Maîtres ou du Provincial 4 . Leur doctrine est 
étroitement surveillée. « Nous ordonnons strictement aux Lec¬ 
teurs et aux Sous - Lecteurs, disent les Capitulaires de Sara- 
gosse, en 1309, d’enseigner et de définir selon la doctrine et les 
œuvres du vénérable docteur Frère Thomas d’Aquin. Qu’ils 
instruisent leurs élèves d’après cette doctrine, et que les étudiants 
s’appliquent avec soin à la comprendre. Ceux qui s’en écarteront 
notablement, et qui, sérieusement avertis, s’obstineront dans 
leurs idées, devront au plus tôt recevoir une pénitence grave, 
qui serve d'exemple aux autres. » Jamais l’Ordre, on le sait, ne 
s’est prêté aux aventures doctrinales. Établis par les Papes les 
gendarmes de la vérité dans l’Église, c’était bien le moins que 
les Prêcheurs exerçassent sur eux-mêmes cette police intellec¬ 
tuelle. 

Les professeurs en titre se gênaient peu quelquefois pour 
prendre des vacances intempestives. Maîtres et Bacheliers de 
Paris laissaient à leurs Sous-Lecteurs le soin de faire les cours de 
règle, et se promenaient ou s’occupaient ailleurs. Il en résultait, 
pour la Faculté de Saint-Jacques, un discrédit considérable. Au 
dehors, les Maîtres et les étudiants, dont la sympathie pour les 
Frères demeurait douteuse, en profitaient pour décrier leur ensei¬ 
gnement. Une ordonnance du Chapitre de Plaisance (1310) 
rappelle au bercail ces brebis errantes : « Aucun Maître in actu, 
aucun Bachelier, ne devra quitter Paris, ni être employé dans 

1 Acta Cap., II, p. 12. 

* Ibid. 

» Ibid. 

4 Ibid., p. 17. 


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440 


ÀYMERIC DE PLAISANCE 


n’importe quelle charge, même celle de professeur dans les 
Etudes générales, à moins d’une évidente nécessité*. » 

Quelques-uns commençaient à garder, même leurs fonctions 
terminées, soit de prélature, soit d’enseignement, les exemptions 
accordées par les Constitutions. C’est le premier essai de privi¬ 
lèges permanents. Ayant joui de ces faveurs qui les dispensaient 
des services communs et de l’assistance au chœur, pendant la 
durée de leur charge, ils estimaient que, eu égard à cette charge 
passée, ils pouvaient en conserver les avantages. Maître Aymeric 
ne fut pas de cet avis : « Nous voulons et nous ordonnons qu’au¬ 
cun Frère, sous prétexte de prélature, ou d’enseignement, ou de 
n’importe quel office dont le temps est écoulé, ne soit exempté 
des services de communauté et de l’assistance au chœur. Tout 
privilège de ce genre accordé par les Provinciaux ou les Prieurs 
est révoqué.... Et nous prions le Maître Général de ne pas aller 
contre cette ordonnance sans cause légitime*. » C’était une bar¬ 
rière que les Pères voulaient opposer à l’envahissement des 
exemptions à vie. Elle tiendra peu. 

La vigilance du Maître s’étendait à toutes les nécessités des 
étudiants. 

Voici d’abord l’ordre des études, tel que le régla le Chapitre 
de Gênes. C’est le document le plus clair et le plus authentique 
sur cette intéressante question. On voit que ce règlement a été 
porté sous la direction d’un ancien professeur. « Ordonnances sur 
les Études : Aucun Frère ne sera appliqué au cours de logique, 
avant d’avoir passé dans l’Ordre deux ans de bonne vie reli¬ 
gieuse, à moins qu’il ne soit d’âge avancé et déjà instruit *. » 
Plus tard, au Chapitre de Naples (1311), on interprète cette 
loi. Il est déclaré que ces deux ans partent de la profession 3 . Les 
novices demeuraient donc trois ans dans l’Ordre, avant de com¬ 
mencer leurs études*. 


1 « Cum ex absentacionc magistrorum in thcologia et bacalareorum a Parisiensi 
studio defcctus multi continuant, ex quibus apud extraneos notam incurrimus et 
Ordo noster devenit in contemptum, volumus et ordinamus quod nullus Magistro- 
rum actu legencium seu quicumque bacalarii ab ipso studio Parisiensi aliquatenus 
se absentent ncc in ullo regiminis ofiicio occupentur ncc in gcneralibus studiis nisi 
pro notabili et evidenti defectu ad legendum ponantur. » ( Acta Cap., II, p. 46. 
Chap. de Plaisance, 1310.) 

* Acta Cap., II, p. 46. Chap. de Plaisance, 1310. 

3 « Ordinamus de mittendis ad studia : primo quod nullus ad studium logicale 
mittatur, nisi saltcm in ordine bene et religiosc duobus annis fuerit conversatus 
vcl alias seculo fuerit etate provectus et in logicalibus iustructus. » ( Acta Cap., II, 
p. 12.) 

* « Quod juvcncs de novo professi in divino officio, moribus et scientia diligen- 
cius instruantur ncc mittantur ad studia arcium extra conventum nec in conventu 

artes audiant ante duos annos a professione corum.( Acta Cap., II, p. 55. Chap. 

de Naples.) — La logique faisait partie des Arts. (Cf. t. I, p. 544.) 

5 La profession solennelle se faisait après un an de noviciat. 


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CHAPITRE II 


441 


Aucun Frère ne suivra le cours des Naturalia, avant d’avoir 
étudié les Arts, dont la logique, pendant trois ans, soit dans 
l’Ordre, soit dans le siècle. Encore lui faut-il l’approbation de 
son Lecteur et du Régent 1 . On devait suivre les Naturalia deux 
ans au moins pour avoir le droit de passer au cours des Sentences 
ou de théologie. 

Il résulte de ces durées diverses que, avant de se donner à 
l’étude de la théologie, les Frères passaient trois ans sans suivre 
aucun cours, puis cinq ans en suivant les cours de logique et de 
philosophie, en tout huit ans. De plus, pour être admis aux 
Études générales soit dans sa province, soit ailleurs, on exige 
deux ans de Sentences*. Ce qui porte à dix ans, depuis la vêture, 
l’admission aux hautes études théologiques. N’y arrivait pas qui 
le prétendait. Il fallait, outre le nombre d’années révolues, le 
jugement favorable du Lecteur, du Cursor ou Sous-Lecteur et 
du Maître des étudiants. On s’en rapportait à leur témoignage 
pour s’assurer si le candidat donnait l’espoir de devenir un Lec¬ 
teur suffisant. Car on n’envoyait aux Études générales que les 
étudiants destinés au professorat, les Formels, comme on a dit 
depuis. 

Maître Aymeric n’était pas un homme pressé. Laisser les étu¬ 
diants dix ans et plus sur les bancs lui paraissait chose naturelle. 
Après ce long stage au pied de la chaire des Maîtres, il pouvait 
espérer que, sérieusement formés, les élèves de l’Ordre conti¬ 
nueraient avec honneur le magnifique enseignement de leurs 
Pères. 

On devait suivre les cours avec régularité. Tous les jours, dans 
les études de logique et de philosophie, le Lecteur donnait sa 
leçon, et, chaque semaine, le Maître des étudiants se la faisait 
répéter. Il y était tenu 3 . Dans les couvents d’Études générales, 
les Lecteurs principaux devaient faire leur cours jusqu’à la Saint- 
Jean, et le Maître des étudiants disputer une fois la semaine, sauf 
légitime empêchement. 

A ces cours tous les religieux étaient obligés d’assister, sous 
peine d’être privés, le jour où ils y manquaient, de vin ou de 


1 « Ad naturarum vcro sludium nullus mittatur, nisi togicalia in Ordinc vel in 
seculo ad minus tribus annis audierit et in cis testimonio lectoris et magistri fuerit 
sufficienter instructus. Ad sentencias vero audiendas non mittantur, nisi per duos 
annos ad minus naturas audierint. » {Acta Cap., II, p. 13.) 

* « Nullus autem mittatur ad studium generale sivc in sua provincia sive extra 
nisi ordinc premisso in logicalibus et naturalibus sufficienter profecerit et saltcm 
duobus annis in aliquo particulari studio sentencias audierit et testimonio lectoris 
et cursoris et magistri studencium de eo spes multum probabilis habcatur quod 
ad Lectoris officium ydoneus sit futurus. » (Acta Cap., II, p. 13.) 

3 Acta Cap., II, p. 13. 


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AYMERIC DE PLAISANCE 


pitance 1 . Les Prieurs qui négligeaient de faire observer ce point 
de règle devaient accomplir eux-mêmes la pénitence*. 

Ces lois, Maître Aymeric entendait bien ne pas les laisser 
lettre morte. Il exige que les Visiteurs canoniques soient sévères 
dans leurs enquêtes sur les professeurs et sur les étudiants 3 . On 
sent son ferme désir de garder à l'Ordre la place hors de pair 
qu'il avait conquise dans l’enseignement. 

Aussi le Maître s’efforce-t-il de favoriser les étudiants. Comme 
ils étaient une charge pour les couvents et que beaucoup de 
Prieurs préféraient occuper leurs religieux à d’autres œuvres de 
meilleur rapport, il arrivait souvent qu’on ne leur donnait ni les 
vêtements, ni les livres, ni l’argent dont ils avaient besoin. Des 
ordonnances, aigres de ton, menaçantes même, forcent la main 
aux Prieurs. Dès le Chapitre de Toulouse (1304), où il fut élu, 
Maître Aymeric commande aux Provinciaux de fournir de vête¬ 
ments suffisants les Frères qu’ils envoyaient aux Etudes géné¬ 
rales 4 . 

Pour bien comprendre cette sommation qui, avec nos usages 
actuels, paraît étrange, il faut se rappeler que les Frères devaient, 
chacun selon ses moyens, se procurer des vêtements 5 . Et ce qui 
est exigé pour les étudiants, l’est de même pour tous les Frères 
indigents, ceux qui, n’ayant ni ressources de famille, ni aumônes 
d'amis, se trouvaient dans l’impossibilité de se vêtir eux- 
mêmes 6 . 

Les Provinciaux résistèrent. Au Chapitre suivant (Gênes, 
1305), Maître Aymeric renouvelle son ordonnance : « Comme 
on a mal exécuté l’ordre du précédent Chapitre au sujet des vête¬ 
ments à donner aux étudiants, nous enjoignons strictement aux 
Prieurs Provinciaux de verser deux florins, tous les ans, à chaque 
étudiant envoyé aux Études générales en dehors de la province. Et 
si les étudiants ne reçoivent pas cette somme, ils devront en avi¬ 
ser le Maître Général... 7 . » Ils le firent. En 1306, au Chapitre de 
Paris, on lit cette pénitence : « Tous les Prieurs Provinciaux, qui 
n’ont pas donné aux étudiants de leur province ce qui a été déter- 

1 Acta Cap., II, p. 13. 

* Ibid. 

3 Ibid. 

* « lndigcucie fratrum qui Gencralibus studiis deputantur subvcnire volentes, 
volumus et ordinamus ut singule provincie debeaut sludcntibus quos mittunt ad 
studia gcncraüa extra provinciam annis singulis de vestibus providere. » (Acta 
Cap., II, p. 3.) 

* Cf. t. I, p. 638. 

6 « Districtc injungimus prioribus ac eorum vicariis ut cuilibet fratri indigente 
secuudum judicium trium fratrum antiquiorum de convcntu, saltem de una veste 
quolibet anno studeant providere. Quod si non fecerint, per provinciales et eorum 
vicarios in penam a suis officiis absolvantur... » ( Acta Cap., II, p. 4.) 

7 Ibid., p. 11. 


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CHAPITRE II 


443 


miné par le Chapitre de Gênes, auront trois jours au pain et à 
l’eau et trois messes 1 . » 

Cette sévère pénitence prouve combien le Maître avait à cœur 
de maintenir la discipline et de favoriser les études. 

Il eut à insister d’une manière vraiment étonnante pour que les 
Prieurs se décidassent à fournir ces mêmes vêtements aux reli¬ 
gieux qui ne pouvaient se les procurer eux-mêmes. A chaque 
Chapitre, c’est la même ordonnance, de plus en plus menaçante. 
Il fallut un précepte formel pour les forcer à obéir, et encore n’y 
parvint-on pas. Les couvents ne voulaient à aucun prix prendre 
la charge de vêtir leurs religieux. Il était d usage primitif que 
chacun devait se vêtir à ses frais. Cette dépense ne figurait pas 
dans la caisse commune, et par leur opiniâtreté, malgré les 
ordonnances des Chapitres, même leurs menaces et leurs péni¬ 
tences, les Prieurs entendaient contraindre les religieux à entretenir 
leur vestiaire de leurs propres ressources. Les Chapitres ont beau 
frapper coup sur coup, l’usage remporte*. En 1305, à Gênes, on 
casse les Prieurs qui refusent d obéir; on les prive de la voix 
passive pour un an 3 . Rien n’y fait. Les Frères indigents ou ma¬ 
lades, qui se sentent soutenus par l’autorité supérieure, multi¬ 
plient leurs plaintes et leurs réclamations 4 . Les Capitulaires de 
Strasbourg y font droit et pressent les Provinciaux de s’occuper 
activement de cette question. 

C’est un indice certain que la vie privée faisait déjà des ravages 
considérables dans les couvents. On ne donnait plus ni aux indi¬ 
gents ni aux malades, comme dans les premiers temps, tout le 
nécessaire. La vie commune parfaite eût été le remède le plus 
efficace, l’unique, du reste, à ces graves abus. Il faut croire que 
les Provinciaux ne trouvèrent pas ce remède ou ne purent l’appli¬ 
quer; car, à Padoue, en 1308, Maître Aymeric, las de faire des 
ordonnances inutiles, leur impose le précepte formel de prendre, 
d’accord avec les Définiteurs des Chapitres provinciaux, un moyen 
pratique pour subvenir aux nécessités des malades et des indi¬ 
gents. Le même précepte d’obéissance atteint les Prieurs conven- 


1 Acta Cap., p. 19. 

* Ibid., p. 4. Chap. de Toulouse, 1304. 

3 Ibid., p. 11. 

4 « Cum circa infirmos et vestibus indigentes quercle quamplurcs ad generalia et 
provincialia capitula refcrantur, mandamus districte ordinacioncm factam in 
janucnsi capitulo inviolabiliter observari. Imponit autem Magister Ordinis provin- 
cialibus singulis quod in suis provincialibus capitulis modum ecrtum qucrant et 
servent, per quem possit infirmis utilius et commodius providcri. *> (Ibid., p. 25. 
Chap. de Strasbourg, 1307.) 

Maître Aymeric, d'après ce document, intervint de sa personne. Evidemment, il 
y avait de graves abus dans les soins donnés aux malades, comme dans les secours 
accordés aux Frères indigents. 


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444 


AYMERIC DE PLAISANCE 


tuels*. Et le Maître précise, selon l’esprit antique de l’Ordre, que 
pour les vêtements, ce n’est pas de l’argent qu’il faut donner, 
mais de l’étoffe. Ceux qui donneront de l’argent seront punis 
comme s’ils n’avaient rien donné *. 

Ainsi mis en demeure, les Provinciaux cherchèrent et trouvèrent 
ce moyen pratique. Malheureusement le Chapitre général de Sara- 
gosse (1309), qui approuve les diverses combinaisons soumises à 
son jugement, se contente d’en exiger l’exécution sans les signaler 
en détail. Les supérieurs qui s’obstineront à ne pas en tenir compte 
devront être impitoyablement cassés de leur charge 3 . On obligea 
également les couvents à fournir aux Lecteurs et aux Frères 
envoyés aux Etudes générales l’argent dont ils avaient besoin 4 . 
Outre le prix des vêtements, c’était là le grand grief des Prieurs 
contre ces études interminables. Au lieu de fructifier pour leur 
couvent, Lecteurs et étudiants dépensaient ses revenus. 

De l’argent et des vêtements, donnés à regret, ne suffisaient pas 
aux étudiants. Il leur fallait des livres 5 . Comme, à cette époque, 
les livres, tous manuscrits, étaient chose rare et précieuse, on 

I « Volontés cum efTectu fratrum infirmorum et indigencium vcstibus et necessi- 
tatibus provideri, volumus et ordinamus et in virtute sanctc obediencie precipit 
Magister Ordinis, de consilio diffînitorum et assensu quod singuli priores provin¬ 
ciales vcl eorum vicarii de consilio diffinitorum sui capituli provincialis et aliorum 
discretorum fratrum isto anno aliquem convenientem modum invcniant et ordinent 
in suis capitulis provincialibus de providendo fratribus infirmis et indigentibus 
vcstibus, et ad hoc priores convcntualcs et eorum vicarios obligent per preccptum... » 
(Acte Cap., II, p. 32.) 

* Ibid. 

3 « Volumus et ordinamus quod modos hoc anno inventos in singulis provinciis 
de provisione infirmis et indigentibus vestibus facienda priores provinciales et 
eorum vicarii singuli in suis provinciis per priores convcntuales suppriores et eorum 
vicarios, prcccptis admotis, faciant inviolabiliter observari. Quicumque vero in 
excecutionc premissorum inventi fuerint négligentes, ubi légitime conslitcrit, si 
priores aut suppriores sunt, a suis officiis in penam nominalim absolvantur in actis. 
Vicarii vero per biennium non possint in eodem conventu locum tenere prioris et 
nichilominus per annum omni voce priventur... » (Ibid., p. 38.) 

4 « Volumus et ordinamus quod priores provinciales Diffinitoribus capituli gene- 
ralis et sociis eorum provideant diligentur in expensis studentibus autem et baca- 
larcis missis ad studia gcneralia provideant diligenter. Utraquc provisio fiat per 
collectam vel per alium convenientem modum... » (Ibid., p. 41.) 

5 Maître Aymeric composa quelques ouvrages importants : « Tractatus adversus 
hereses sui temporis. » — « Tractatus alter de pcrfectione religiosa sectanda, 
deque studio in ordine sedulopromovendo.» —«Tractatus alii plures in materia dog- 
matica, scholastica et morali. » Malheureusement il est impossible de confirmer 
ces affirmations, car ces écrits sont introuvables. — Cf. Echard, I, p. 495. 

II fut un ardent promoteur de l’étude des langues orientales. Au Chapitre de 
Plaisance, en 1310, on lit : « Rogamus magistrum ordinis quod ipse de tribus 
studiis, scilicet ebraico, greco et arabico, provideat in aliquibus provinciis ; et cum 
fuerint ordinata, ad quodlibet eorum quelibet provincia studentem aptum et intel- 
ligentem mittere possit cum contribucione decenti. » (Acta Cap., II, p. 50.) 

Maître Aymeric fit au couvent de Saint-Dominique de Bologne un précieux 
cadeau. C'était le Pentateuque, en langue hébraïque, transcrit, disaient les Juifs, 
par Ksdras lui-meme. Bernard de Montfaucon, qui l’a eu entre les mains, en parle 
en ces termes : « Ingens est volumen, seu convolutus liber, estque pellis vituli 


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CHAPITRE II 


445 


devait les garder avec soin. Des abus graves s'étaient glissés 
jusque dans les bibliothèques. Au lieu de les enrichir des livres 
qui revenaient aux couvents par le décès des Frères, par donation 
ou legs, ou de toute autre façon, les supérieurs cherchaient à en 
tirer profit. On les vendait, on les prêtait à intérêt, on les donnait 
comme caution. 

Maître Ayméric intervint de sa personne. Au Chapitre de 
Padoue (1308), il fit un précepte formel aux supérieurs et 
aux Frères interdisant ce commerce ruineux pour les études. Tous 
les livres revenant au couvent, de n'importe quelle manière, seront 
placés dans la bibliothèque commune. Il ne permet de vendre que 
les doubles ou ceux qui, au témoignage des supérieurs, du Lec¬ 
teur et du bibliothécaire, seront jugés peu utiles; mais l'argent qu’on 
en retirera devra, sous le même précepte, être affecté ou aux 
livres de chœur, ou à la bibliothèque. Jamais les livres de théo¬ 
logie ne seront vendus en dehors de l’Ordre, à moins d’une per¬ 
mission expresse du Provincial, qui est prié de l’accorder rarement 1 . 
Les délinquants auront un jour par semaine au pain et à l’eau, 


subacta et traclabilis : pauculæ sunt recentiori manu marginales nota?. Litleræ vix 
quicquam nigredinis amiserunt quod pclli tribuitur atramenli retincntissimæ. » 

« Inscriptio hæc legitur in medio voluminc assuta : « ... Hic rotulus legis est qucm 
scripsit Esdras scriba manu sua, quando sub Syro regc redierunl filii captivilatis 
in Jérusalem, et ædiücaverunt secundum lemplum, quod fuit consummatum in qua- 
draginta duobus annis et duravit CCCXX annis, scilicet usque ad XL1I post pas- 
sioncm Christi. Quod autcm sit ille idem numéro habitum est per crcbram famam 
Judæorum antiquorum qui fuerunt confessi in diversis Synagogis ubi etiam conser- 
vabalur. Ab antiquo pro tali habebatur inter Judæos de gencratione in generatio- 
nern, et pro tali recepit eum Reverendus Magister Oi*dinis frater Aymericus cujus 
est. Talem etiam probaverunt ipsum Judæi litterati, habilis certis experimentis 
litteralibus iu præsentia moi fratris P. Marsilii et lectoris Perpiniani, et fratris 
Pétri Lobii. Quæ quidem signa in aliis rotulis aut non (alia, aut non tam perfecta 
habentur, ut ego probavi in multis rotulis valde antiquis et modernis. Certus 
itaque debet haberi, et cum reverentia tractari rotulus iste, quia a tanto auctore 
scriptus, et post combustam legem inspirante Spiritu Sancto ordinatus et aliis 
rotulis pro originali datus, ac tantis temporibus conservatus et quod non minus 
est, ut nos et Judæi credamus, in tcmplo monstrabatur in præcipuis festivitatibus, 
præstante actorc legis ipso Deo et Domino Jesu Christo. » 

« Hæc, ut ex charactcrc liquet, continue Bernard de Montfaucon, tcmporc Aymc- 
rici Magistri Ordinis conscripta sunt qui co officio fungebatur anno MCCCVIII... 
At licet fabulant sapiat, quod aiunt, Esdræ ipsius manu exaratum, negari sane 
posse non videtur aliqualis saltcm vetustatis tum fuisse cum (hic codex) traditus 
Aymerico fuit. » (Diarium Italicum, chap. xxvu.) 

J'ai tenu à relater ces choses, à titre de curiosité. 

Même en dehors de l’Ordre, Maître Aymcric jouissait d'une grande réputation 
de lettré. Ainsi, Pierre Crescentius de Bologne, auteur d’un ouvrage célèbre alors 
intitulé : De lie rustica, déclare qu’il ne l'a terminé que sur le conseil de Maître 
Ayraeric, et offert au roi de Sicile, Charles II, qu’après qu’il eut été corrigé et 
approuve par le même. Ses lettres au roi et à Maître Aymeric en font foi. Elles 
ont été publiées dans l’édition de Florence, 1478. 

Le Frère Pierre Marsilio, qui a examiné le Pentateuquc d’Esdras, au dire de 
Montfaucon, est le fameux conseiller et biographe du roi d’Aragon, Jacques II, 
contemporain de Maître Aymcric. — Cf. Echard, I, p. 520. 

1 Acta Cap., II, p. 34;-35"et 39. 


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AYMERIC DE PLAISANCE 


jusqu'à ce qu’ils aient remboursé à leur couvent le prix intégral 
de la vente. Il n’y a d’exception que pour les Frères qui étudient 
en dehors de leur province. « Ceux-ci avec la permission de leur 
Prieur, des Maîtres, des Bacheliers ou de la majeure partie d’entre 
eux, pourront, pour subvenir à leurs nécessités, vendre leurs livres, 
sauf la Bible et les œuvres de Frère Thomas 1 . » 

Ces détails typiques jettent une lumière sur les mœurs religieuses 
qui s’introduisaient chez les Prêcheurs au début du xiv e siècle. 
La vie commune s’amoindrit. Chaque religieux devient de plus 
en plus indépendant quant à sa bourse. Il a même ses dettes per¬ 
sonnelles. A propos des livres, il est concédé aux supérieurs de 
vendre ceux des Frères défunts pour payer leurs dettes*. 

On voyageait aussi plus confortablement. Les Définiteurs et 
leurs compagnons avaient à leur service des domestiques. Ils arri¬ 
vaient au couvent où devait se célébrer le Chapitre avec leur 
suite. En 1308, au Chapitre de Padoue, on ne les blâme plus. Il 
est dit que la suite des Définiteurs et de leurs compagnons sera 
hébergée dans le couvent. On ne ferme la porte qu’aux valets des 
autres Frères 3 . Cela laisse entendre que l’obligation primitive 
d’aller à pied était tombée presque partout en désuétude. Jamais 
plus, dans les Actes des Chapitres, on ne parle de la constitution 
De non equiiando. Le cheval a gain de cause. 

On cueille encore cependant, deci, delà, quelque délicieuse 
légende comme celle-ci : En 1304 mourait au couvent d’Alais, en 
Provence, Frère Pierre Bonhomme : re bonus et nomine, ditTaegio 4 , 
homme simple et craignant Dieu. Dans sa dernière maladie, 
sa faiblesse était si grande, qu’il ne pouvait supporter aucune 
nourriture. Un jour, touché de compassion, le Frère infirmier lui 
demanda ce qu’il désirait pour son repas : « Une perdrix, mon 
Frère! » Stupéfaction du bon infirmier. On était en carême, et, du 


1 « Inhibcmus fratribus universis ne libros theologicos vendant pcrsonis extra 
ordinem constitulis sine priori» provincialis vcl cjus vicarii licencia speciali. Qui 
autem contrarium fccerint, semel in septimana in pane et aqua teneantur abstincre, 
douée predictorum librorum prccium, quod convcntibus ad quos pertinent ipsi 
fratres, ex mine cos pro tune applicamus intègre restituant absque fraude. Conce- 
dimus tamen studentibus qui sunt extra suas provincias nec commode pro.hujus- 
modi licencia possunt ad suos provinciales recurrerc, quod pro suis ncccssitatibus, 
si aliundc sibi providcrc non possint, libros suos, Biblia dumtaxat et fratris Thome 
operibus cxceptis, possint vendere de prioris sui, magistrorum, bacalarcarum seu 
lectorum vcl majoris partis consilio et assensu. » (Acla Cap., II, p. 10. Chap. de 
Snragosse, 1309.) 

s « Polcrunt tamen priores vcl eorum vicarii de libris fratrum dcfunctorum 
eorum débita solverc, nisi débita ipsorum solvi valcant aliundc. »> (Ibid., p. 39. 
Chap. de Saragosse, 1309.) 

3 « Ordinamus quod pucri seu famuli fratrum veniencium ad capitulum generale 
non rccipiantur ad lectum vcl cibum in convcntu, exceptis pucris difflnitorum et 
sociorum eorumdem. » (Ibid., p. 3î.) 

* Taegio, Chron. ampl., II, p. 35. Ms. arch. Ord. 


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CHAPITRE II 


447 


reste, à cette époque, les perdrix sont introuvables. Il sourit au 
malade, et ce fut tout. Or, la nuit suivante, après matines, l'infir¬ 
mier passait par le cloître. Dans l’ombre, il voit un oiseau voleter 
d'arcade en arcade; il le suit. L’oiseau s’arrête, s’offre à ses mains, 
le pauvret! c’était une perdrix. « Dieu soit loué! » dit-il. 11 la prend, 
la fait cuire et la porte au malade. Frère Bonhomme, qui l’atten¬ 
dait, la mangea de bon appétit, et s'endormit dans le Seigneur. 

Contre les Prédicateurs Généraux, Maître Aymeric, comme ses 
prédécesseurs, se montre assez dur. A Paris, en 1306, il défendit 
sévèrement aux Provinciaux et aux Définiteurs des Chapitres pro¬ 
vinciaux d’en créer de nouveaux, et leur ordonna d'en apporter 
la liste exacte au prochain Chapitre général 1 . Leur nombre ayant 
été jugé trop considérable, les Pères de Strasbourg (1307) renou¬ 
velèrent cette défense. On doit se tenir au nombre des couvents. 
En Hongrie, l’excès était si énorme que tous les Prédicateurs furent 
cassés, à l’exception du Provincial et de ceux qui avaient été Pro¬ 
vinciaux 2 . Il en fut de même en Allemagne. Sans tenir compte 
des prohibitions réitérées des Chapitres, les Définiteurs provinciaux 
avaient créé des Prédicateurs nouveaux, alors que les anciens excé¬ 
daient de beaucoup le nombre des couvents : tous sont absous. 

La lutte reste vive contre cette invasion du titre. Bientôt les 
supérieurs majeurs seront débordés. 

Aux défaillances disciplinaires, qui s’accentuent de plus en plus 3 , 

1 Acta Cap., II, p. 18. 

* Ibid., p. 26. 

3 Sébastien de Olmcdo en rejette la cause sur l’essor que le Maître donna aux 
études. V r oici son texte : « Pro directione ac promotione studii litterarum multa 
ordinarc curavit... Qui et statuit ut siugulæ provinciæ singulos haberent conventus 
in quibus trium linguarum cdoceretur idioma. Aicbat enim quia nihil ignorare decet 
eos quos dédit Deus ccclesiæ suœ quosdam quidem doctores, alios autem pastores 
et rcclorcs, omnes vero evangelii predicatores, et non tantum Parisius aut Romæ, 
sed in omnem gentem, populum et linguam. Sub quo etiam lectio Ribliæ maxime 
viguit... hujus pii laboriosique excrcitii gratia rigorcm ordinis plus quam par erat 
(nonnullorum judicio) nonnunquam laxavit. » ( Chron. nov., p. 52. Ms. arch. Ord.) 

Malgré ce fléchissement de la discipline, l’Ordre comptait encore, à cette époque, 
dix personnages que l’Eglise a placés sur les autels : 

Le bienheureux Jourdain de Pise, ou de Rivalta, du lieu de sa naissance, grand 
orateur et grand professeur. Il mourut à Plaisance alors qu’il se rendait à Paris, où 
il était assigné pour lire les Sentences, en 1311. (Cf. Léandre Albert, De Viris 
illustr., p. 226. — Echard, I. p. 512. — Année Dominicaine, 6 mars. Ed. Jcvain.) 

Sainte Agnès de Montepulciano. Admirable vierge, fondatrice du couvent des 
Précheresses de Montepulciano. Elle y mourut en 1317. Son corps est toujours 
conservé et vénéré dans l’église de ce monastère aujourd’hui désaffecté. (Cf. R. P. 
L. Boitel, Sainte Agnès du Montpolitien. Descléc, 1897. — Année Dominicaine, 
20 avril. Ed. Jevain.) 

Le bienheureux Jacques Salomon, noble patricien de Venise, homme très lettré 
et surtout très ami de Dieu. Sa charité le fit appeler le Père des pauvres. Il mou¬ 
rut en 1314 (Cf. Léandre Albert, De Viris illustr., p. 205. — Année Dominicaine, 
31 mai. Ed. Jcvain.) 

Le bienheureux Benoît XI. Ce saint Pontife nous est connu. Il mourut en 1304. 
( Cf. les auteurs cités aux Bibliographies des chapitres qui le concernent.) 

La bienheureuse Jeanne d’Orvieto, Elle entra dans le monastère des Tertiaires 


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AYMERIC DE PLAISANCE 


le Maître oppose une résistance désespérée. Il ne craint pas de 
s’attaquer de front à des provinces entières. 

En Bohême, les Frères avaient perdu la ferveur des premiers 
jours. 11 leur imposa comme Vicaire Général Maître Eckard, Pro¬ 
vincial de Saxe, avec pleins pouvoirs sur tous les religieux, supé¬ 
rieurs ou non 1 . Certains Définiteurs du Chapitre provincial ayant 
appris que des Frères avaient écrit aux Pères Capitulaires de 
Padoue, pour leur dénoncer de graves abus et en solliciter la 
répression, s’étaient permis de leur donner, pour ce fait, de sévères 
pénitences. C'était empêcher le succès de la réforme et priver les 
religieux du droit d’informer les supérieurs des désordres scanda¬ 
leux qui régnaient parmi eux. Il fut ordonné au Provincial de 
rechercher les coupables et de les punir lui-même assez énergique¬ 
ment pour que personne, à l’avenir, n’osât se permettre un tel 
abus de pouvoir 4 . 

La province de Grèce était également en révolution. Maître 
Aymeric y avait délégué, comme Vicaire Général, Frère André 
d’Asti. Ce personnage ne fut pas agréé. Des religieux ayant à leur 
tête Frère Thomas Manchasolo, qui se disait Vicaire légitime de 
la province, tinrent un Chapitre provincial, où ils déclarèrent sans 
valeur les pouvoirs de Frère André d’Asti. Ils allèrent même 
jusqu’aux injures et aux mauvais procédés. L’autorité du Maître 
Général était mise en cause. Sa réponse fut vigoureuse. Au Cha¬ 
pitre de Saragosse (1309), il réprouve et casse les Actes du 
Chapitre provincial ; il prive de toute voix pendant cinq ans, du 
droit de confesser et de prêcher, et de toutes les autres faveurs 


régulières d’Orvieto, où ses vertus, ses pénitences, scs extases la rendirent célèbre. 
Elle y mourut en 1301. (Cf. Année Dominicaine, 23 juillet. Ed. Jcvain.) 

Le bienheureux Augustin de Lucera. Dalmate de naissance, élève de saint Tho¬ 
mas d’Aquin à Paris, fameux par sa science, sa piété, son habileté dans l'adminis¬ 
tration. Il mourut à Lucera, dont il était évêque, en 1323. (Cf. Année Dominicaine, 
8 août. Ed. Jcvain.) 

La bienheureuse Emilie Bicchieri, de Verccil, Tertiaire régulière de la Pénitence 
de Saint-Dominique. Elle bâtit un monastère près de Verceil, dédié à sainte Mar¬ 
guerite. Elle y mourut, pleine de bonnes œuvres, en 1314. (Cf. Année Dominicaine, 
17 août. Ed. Jevain.) 

Le bienheureux Jacques de Bevagna. Il mourut à Bcvagna, dans le couvent fondé 
par lui, en 1301. (Cf. Année Dominicaine, 23 août. Ed. Jevain.— Léandre Albert, 
De Viris illustr., p. 228.) 

Le bienheureux Simon Ballachi, noble citoyen de Rimini. Il prit l'habit de Frère 
convers au couvent de celte ville. Sa rare humilité, ses austérités, sa patience y 
furent glorifiées. Il mourut en 1319. (Cf. Léandre Albert, De Viris illustr ., p. 259.) 

Le bienheureux Jacques de Benefactis, de noble race, Maître de Paris, ami 
intime de Benoît XI, dont il avait été le confrère dans le cloître. Scs vertus le 
mirent au premier rang. Benoît XI le nomma évêque de Mantoue, sa ville natale. 
Il administra ce diocèse, pendant dix-huit ans, avec un zèle infatigable et une 
bonté sans limites. Il y mourut en 1332 (Cf. Léandre Albert, De Viris illustr., 

p. 120.) 

1 Acta Cap., H, r p. 28. Chap. de Strasbourg, 1307. 

* Ibid., p. 49. Chap. de Plaisance, 1310. 


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CHAPITRE II 


449 


de rOrdre, Frère Thomas Manchasolo et ses complices ; il leur 
interdit toute charge dans l'Ordre ; il leur impose cinq jours de 
jeûne au pain et à l’eau, tous les ans, pendant ce même temps, 
cinq disciplines, cinq messes et cinq litanies 1 . 

De même les Défîniteurs de Sicile, qui n'ont pas obéi à l’ordon¬ 
nance du Chapitre de Padoue obligeant chaque province à désigner 
un Lecteur pour enseigner la Bible textuellement dans un couvent, 
reçoivent comme pénitence six jours au pain et à l’eau, six messes 
et six litanies 1 . Des Prieurs, des Procureurs, qui n’ont pas traité 
avec égard les Défîniteurs allant aux Chapitres généraux, sont cassés 
de leur charge 3 . 

Cette sévérité, venant d’en haut et frappant les coupables, 
supérieurs ou inférieurs, sans acception de personne, est une preuve 
évidente que Maître Aymeric entendait forcer tous les religieux 
à respecter la loi. Aussi, pour que cette loi fût mieux connue et 
qu’on ne pût arguer de son ignorance pour couvrir ses faiblesses, 
il exigea que les Actes des Chapitres généraux et provinciaux 
fussent transcrits dans un livre spécial et lus au moins quatre fois 
par an 4 . 

Pourquoi voulut-il remettre les provinces dans leur état pri¬ 
mitif? On se rappelle que six d'entre elles, celles de Rome, d’Es¬ 
pagne, de Toulouse, d'Allemagne, de Pologne et de Lombardie 
avaient été divisées en deux. Sauf la province de Rome, qui 
demeurait partagée, les cinq autres sont de nouveau unifiées 5 . Du 
moins on commence, dès le Chapitre de Gênes, en 1304, un an 
après l’élection de Maître Aymeric, la série des actes nécessaires 
pour y arriver 6 . Ils n’aboutirent pas. Les provinces restèrent au 
nombre de dix-huit, telles qu’elles avaient été constituées sous 
Maître Bernard de Jusix. 

La mort de Benoît XI avait laissé l'Ordre aux prises avec ses 
adversaires. Pendant toute l’administration de Maître Aymeric, une 
poussée formidable, universelle, s'efforça d’ébranler les privilèges 
des Mendiants. Lutte définitive, cette fois, dont nous verrons 
bientôt les conséquences. Aussi, presque à chaque Chapitre et 
dans chacune de ses circulaires, le Maître, qui voit l’orage s'amon¬ 
celer et en prévoit les désastres, presse ses fils de se montrer 
conciliants, respectueux vis-à-vis des prélats séculiers. « Nous 


1 Acta Cap. y II, p. 42. Chap. de Saragossc, 1309. 

1 Ibid., p. 43. 

3 Ibid. 

* Ibid., p. 42. 

5 Ibid., p. 9. Chap. de Gènes, 1305. 

6 On Ten a blâmé peut-être avec raison. « Qui et notam instabilitatis intulit Or- 
dini, dum jam divisas provincias reunire tentât etiam per duo Capitula. » (Sébas¬ 
tien de Olmedo, Chron. nova, p. 52. Ms. arch. Ord.) 


II ~ 29 


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AYMERIC DE PLAISANCE 


avons besoin de leur bienveillance, disent les Actes de Paris 
(1306); leur faveur nous est indispensable. Nous ordonnons à 
tous les Frères de témoigner la plus grande déférence aux pré¬ 
lats et aux recteurs des églises, d’éviter toute cause de chicane 
et de déplaisir 1 . » Et, en 1311, au Chapitre de Naples, à la veille 
du concile de Vienne, alors que partout on prédisait la remise en 
vigueur de la Constitution de Boniface VIII contre les Mendiants, 
Maître Aymeric réitère ses instances, ses conseils, ses ordonnances. 
On sent qu’il voudrait parer le coup. Il exige des supérieurs une 
plus énergique répression contre les religieux indiscrets, impru¬ 
dents, dont les revendications maladroites peuvent aigrir les prê¬ 
tres séculiers*. Il exhorte les prédicateurs à rappeler aux fidèles 
leurs devoirs envers leurs curés : le payement des dîmes, les dons 
pour la Croisade, les secours en faveur des chrétiens de Terre Sainte 3 . 
Même lorsqu’ils seront appelés au chevet des malades, les Frères 
devront leur insinuer de laisser aux églises paroissiales de larges 
aumônes; ils prendront garde de les détourner de s’y faire ense¬ 
velir 4 . Les supérieurs veilleront à ce que l’on ne confie le minis¬ 
tère de la prédication et de la confession qu’à des hommes graves 
et instruits 5 . Vaines précautions, du reste, qui n’empêcheront pas 
le triomphe du clergé séculier. Elles étaient à relater comme un 
signe des temps. 

Non pas que, au dehors, à la Cour romaine et dans toute l’Eglise, 
les Prêcheurs fussent tombés en disgrâce ; qu’on n’eût plus pour eux 
l’estime d’autrefois; qu’on voulût les mettre à l’écart et se priver 
de leurs services. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que 
jamais l’Ordre ne posséda plus d'évêques et plus de docteurs. De 
1298 à 1311, c’est-à-dire pendant une courte période de treize ans, 
plus de cent religieux de l’Ordre furent élevés à l’épiscopat 6 . Si 
l'on y ajoute ceux qui avaient été consacrés avant le ponti¬ 
ficat de Boniface VIII et qui vivaient encore, on peut affirmer 
sans crainte que, pendant le magistère de Frère Aymeric, il y 
avait dans l’Église plus de cent cinquante évêques dominicains. 
Ce chiffre, qui est loin d’être exagéré, dit à lui seul et très haut 
l’influence prépondérante qu’exerçaient les Prêcheurs. Leur pres¬ 
tige dominait encore le monde. Il en était de même dans les sphères 
intellectuelles. Une Chronique contemporaine s’exprime en ces 


1 Acta Cap., II, p. 18. Chap. de Paris, 1306. — De même en 1310, dans sa lettre 
circulaire après le Chapitre de Plaisance. (Cf. Litteræ Encyclicæ, p. 200. Ed. 
Reichert.) 

2 Acta Cap., II, p. 5. Chap. de Naples, 1311. 


3 Ibid. 
* Ibid . 
s Ibid. 


« Cf. DulL Ord., II, p. 71, 101, 124. 


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CHAPITRE II 


451 


termes : « Au temps de Maître Aymeric fleurirent dans l’Ordre 
beaucoup d'hommes illustres, célèbres par leur sainteté et leur 
science 1 ... » 

J'ai relevé dans Echard plus de cinquante noms de Maîtres ou 
Bacheliers* qui, à cette époque, professaient avec honneur. Et 

1 « Hujus magistri tcmpore floruerunt miilti magni cl egregii viri ordinis noslri, 
in divcrsis mimdi partibus vile sanclimonia et scientia litlerarum clarissimi qui 
diversa opéra Ecclesie utilia dcscripserunt. » ( Cron. Ord., p. 20. Ed. Reichert.) 

* 1. Frère Bernard de Jusix, professeur pendant de longues années, devenu 
Général de l’Ordre, f 1303. (Echard, I, p. 491.) 

2. Frère Amand de Saint-Quentin, Maître en théologie. Il enseignait les Sentences 
à Paris en 1301. (Ibid., p. 492.) 

3. Frère Dominique de Alqucssa, Aragonais, Maître en théologie, régent des 
études en Espagne, f 1301. (Ibid., p. 492.) 

4. Frère Walter l’Anglais, réputé très instruit. Il écrivit, en 1301. la Vie de Guy t 
comte de Warvvick. (Ibid., p. 492.) 

5. Frère Bernard d’Auvergne ou de Clermont, Bachelier de Paris, Prieur de 
Saint-Jacques en 1303. (Ibid., p. 493.)j 

6. Frère Guillaume MacklcfTeld, Anglais, Bachelier de Paris, Maître d’Oxford, 
cardinal en 1303, f 1303. (Ibid., p. 493.) 

7. Frère Aymeric de Plaisance, professeur émérite pendant vingt-quatre ans, 
Maître de l’Ordre, f 1327. (Ibid., p. 494.) 

8. Frère Raymond Guilha, de Tarascon, Maître de Paris, f 1304. Ibid., p. 496.) 

9. Frère Walter de Winterbum, Anglais, homme de grande science, confesseur 
du roi Edouard I, cardinal en 1304, f 1305. (Ibid., p. 496.) 

10. Frère Hugo de Manchester, Anglais, Maître d’Oxford, conseiller du roi 
Edouard III. (Ibid., p. 498.) 

11. Frère Armand de Prato, ou du Pré, de Condom, professeur émérite pendant 
toute sa vie. Il composa l’office propre de saint Louis, qui fut en usage à Paris 
jusqu'au xvii« siècle et longtemps chez les Prêcheurs. Il chansonna, dit-on, les 
cardinaux de l’Ordre qui intervinrent dans la déposition de Maître Munio. (Ibid., 
p. 499.) 

12. Frère Jean des Alleux, d’Orléans, Maître de Paris, chancelier de l’Univer- 
sité. Elu évêque de Paris, il s’enfuit au couvent de Saint-Jacques pour éviter cette 
charge, et prit l’habit de l’Ordre, f 1306. (Echard, I, p. 499.) 

13. Frère Jean de Paris dit Qui dort ou le Sourd, Maître de Paris, après avoir 
été dans le siècle un des Maîtres ès arts les plus fameux de la rue du Fouare. Il a 
laissé de nombreux ouvrages. (Ibid., p. 501 et ss.) 

14. Frère Marc de Naples, Maître de Paris, régent de la Faculté de théologie à 
l’Université de Naples. (Ibid., p. 504.) 

15. Frère Rambert de Bologne, Maître de Paris, « ingentis literaturæ, ingentisque 
spiritus, » dit Léandre Albert, De Viris illustr., p. 120. — Il devint évêque. 
(Echard, I, p. 504.)j 

16. Frère Olivier de Dacie, religieux des plus célèbres dans l’Ordre. Il devint 
Provincial de Dacie pendant de longues années, f 1308. (Ibid., p. 504.) 

17. Frère Ricold de Florence, homme de grande doctrine, missionnaire intrépide 
chez les Turcs. Il a laissé « lTtincrarium peregrinationis F. Ricoldi Ord. FF. Prœ- 
dicatorum ». Il en sera question plus loin, -j* 1309. (Ibid., p. 504.) 

18. Frère Rémi de Florence, Maître de Paris. Il enseignait les Sentences à Paris 
au moment le plus aigu de la lutte de Boniface VIII et de Philippe le Bel. Rap¬ 
pelé à Rome par ordre du Pape, avant d’être promu au magistère, il le fut par 
Boniface VIII lui-même, *j* 1309. (Ibid., p. 506.) 

19. Frère Guillaume de Cayeux, Picard d’origine, homme de grande doctrine, 
Provincial de France. (Ibid., p. 507.) 

20. Frère Eckard, Saxon. Célèbre entre tous, par sa science et sa sainteté, digne 
d’être appelé par Taulére : « Insignis theologus, magister Eckardus. » Il en sera 
question plus loin. (Ibid., p. 507.) 

21. Frère Thomas de Jorz, Anglais, Maître d’Oxford, Provincial d’Angleterre, 
cardinal sous Clément V. Personnage très célèbre, f 310. (Ibid., p. 508.) 


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452 


AYMERIC DE PLAISANCE 


chacun sait que le recueil d’Échard ne contient que les person¬ 
nages qui ont laissé des écrits. On peut donc conclure avec certi¬ 
tude que le chiffre de cinquante ne donne pas, à beaucoup près, 
Tétât complet des professeurs éminents dont la doctrine était 
hautement appréciée. 

Certes, un Ordre qui présentait à T Église de si nombreux et de 


22. Frère Théodoric le Tcutonique, de Fribourg-en-Brisgau, Maître de Pans. Il 
a laissé de nombreux ouvrages de philosophie. (Echard, I, p. 510.) 

22. Frère Thomas Sperman, illustre théologien d’Angleterre. ( Ibid., p. 511.) 

24. Frère Pierre Calo, Vénitien, de Chioggia, homme très instruit. Il s’occupa 
surtout de l’histoire des saints. [Ibid., p. 511.) 

25. Frère Joannino de Mantoue. On a de lui une lettre au poète Mussato de 
Mantoue intitulée : « F. Joannini de Mantua Ordinis Prædicatorum Viri sui tem- 
poris præstantissimi in theologia et philosophia naturali et moraii... » [Ibid., 
p. 511.) 

26. Frère Herbert le Teutoniquc, entré dans l’Ordre déjà licencié en droit canon. 
(Ibid., p. 511.) 

27. Frère Philippe de Ferrarc, grand philosophe et grand théologien. (Ibid., 
p. 511.) 

28. Frère Jourdain de Pisc ; envoyé à Paris pour lire les Sentences, il mourut en 
route à Plaisance. Savant et saint tout à la fois, il a été mis sur les autels, f 1311. 

29. Frère Théodoric de Saxe. Il fut envoyé à Paris pour lire les Sentences, étant 
Provincial de Saxe, par Maître Avmeric. (Ibid., p. 513.) 

30. Frère Gualtcr de Jorz, frère du cardinal, professeur à Oxford, depuis arche¬ 
vêque d’Armagh. (Ibid., p. 513.) 

31. Frère Mathieu de Naples, homme de grande science, Inquisiteur général en 

Sicile. (Ibid., p. 514.) 9 

32. Frère Bérenger de Landore, de Rodez, professeur fameux; étant Provincial 
de Provence, il fut absous, au Chapitre général de Padouc, afin qu’il pût se rendre 
à Paris pour y lire les Sentences et arriver au magistère. Nous le retrouverons 
Maître Général de l’Ordre. (Ibid., p. 514.) 

33. Frère Guillaume de Paris I. Homme de science, confesseur de Philippe le 
Bel, inquisiteur de France. Il joua un grand rôle dans l’afTaire des Templiers, 
comme nous le verrons dans la suite. Il laissa au couvent de Bologne une exellente 
Bible en hébreu. On y lit cette inscription : « Istam bibliam Hebraicam dédit F. 
Guillclmus Parisicnssis Ordinis FF. Prædicatorum, Confessor illustrissimi regis 
Franchorum, conventui Bononiensi pro communi libraria Fratrum propter reveren- 
tiam B. Dominici, anno MCCCX, pridie idus Febr. Quicumque legerit in ea, oret 
pro eo. Amen ». (Ibid., p. 519.) 

34. Frère Loup de Bayonne, savant personnage, Prieur de Toulouse. (Ibid., 
p. 519.) 

35. Frère Raymond du Pont, Catalan, docteur en droit civil et en droit canon, 
Auditeur du Sacré - Palais, chancelier d’Aragon, [archevêque de Valence. Il joua 
un rôle principal au concile de Vienne, dans l’atTaire des Templiers, + 1312. (Ibid., 
p. 520.) 

36. Frère Jean de Baume, un des plus illustres orateurs de la Faculté de Paris. 

( Ibid., p. 520.) 

37. Frère Pierre Marsilio, Catalan, fameux conseiller du roi Jacques II d'Aragon. 
Il en écrivit la Vie, celle de saint Raymond de Pcnnafort également. (Ibid., p. 520.) 

38. Frère Paul de Pilastris, de Florence, illustre par sa science. « Communi 
fama mirabili in concionibus ac pene divina facundia præditus. » Elu patriarche 
de Grado, le 5 avril 1313, il mourait quelques jours après. (Ibid., p. 521.) 

39. Frère Jean de Parme, Maître de Paris, en 1314. Léandre Albert l’appelle : 

« sacrarum litterarum doctorem celeberrimum. » (De Vir. illustr., p. 138. — 
Echard, I , p. 522.) 

40. Frère Jean de Luxembourg, Maître de Paris, conseiller de l’empereur Henri VU. 
(Ibid., p. 522.) 

41. Frère Thomas de Langford, Anglais, Maître de Cambridge. (Ibid., p. 523.) 


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CHAPITRE II 


453 


si grands personnages, accusait la plus intense vitalité. Ses 
adversaires ne prétendaient point le détruire, mais l’empêcher de 
les dominer. Ils n’en voulaient point à sa vie, mais à sa puis¬ 
sance. 

42. Frère Jean le Lecteur ou de Fribourg-en-Brisgau, célèbre professeur de mo¬ 
rale et de droit. Le nom lui en resta. (Echard, I, p. 523.) 

43. Frère Albert de Brescia, professeur émérite de théologie, quoique non titré, 
f 1314. {Ibid., p. 526.) 

44. Frère Georges d’Alexandrie, célèbre professeur de droit. {Ibid., p. 527.) 

45. Frère Jérôme de Forli. « Vir doctus et orator clarissimus, »> dit Léandre 
Albert (De Vir. illuslr., p. 144). Il a laissé beaucoup d’écrits conservés autrefois au 
couvent de Forli. (Echard, I, p. 527.) 

46. Frère Jean de San Geminiano. « Coneionatorem tota Italia clarissimum. » 
(Léandre Albert, De Vir. illustr., p. 144.) Ses œuvres oratoires sont nombreuses. 
Entre autres, il écrivit la Summa de exemplis et rerum similitudinibus. Il était 
bien de l’école dominicaine de cette époque. ( Echard, I , p. 528.) 

47. Frère Ferrie de Lunéville, Maître de Paris. Voici l’éloge que contenait, sur 
ce personnage, la Chronique de Metz : « Magister Ferricus de Lunavilla... regens 
Parisius, vir ingentis doctrinœ, claræque scientiæ divinæ namque et humanæ legis 
doctor erat, cunctis amabilis, consilio magnus, animo constans, lenis verbo, vita 
sanctus, nobilis et clarus, justus, sapiens, gratus. Tantæ humilitatis muncre claruit, 
ut in sigillo solo nomine Jhesu et non progenitorum, ut sibi licuissct, armis pro 
signo uteretur. » Ayant fait restituer à un certain Philippe de Gornaix des biens 
mal acquis, les héritiers de ce dernier l’assassinèrent, le 28 octobre 1314, dans un 
lieu solitaire. De ce crime, le lieu prit et conserva le nom de Forfait. {Ibid., 
p. 531.) 

18. Frère Thomas Norvvod, Anglais, grand théologien. {Ibid., p. 532.) 

49. Frère Warnher de Botri, homme de grande doctrine. ( Ibid., p. 532.) 

50. Frère Pierre de Adria, célèbre professeur, premier Provincial de Sicile, deve¬ 
nu évêque sous Clément V. {Ibid., p. 532.) 

51. Frère GeofTroi d’Ablis, fameux inquisiteur de Provence, dont il sera question 
plus loin, de grande science, d’un indomptable caractère. {Ibid., p. 532.) 

52. Frère Hervé de Nédellec ou Noël, Breton d'origine, Maître de Paris. « Vir 
insignis summusque ævi sui habitus theologus. » Il a laissé de nombreux et impor¬ 
tants écrits. Nous le retrouverons à la tête de l’Ordre. {Ibid., p. 533.) 

Il y en aurait beaucoup d’autres à citer, mais ces noms suffisent pour justifier 
l’assertion de la Chronique de l’Ordre : « Hujus Magistri tempore florucrunt multi 
magni et egregii viri ordinis nostri... scientia litterarum^larissimi... » 


BIBLIOGRAPHIE 


Ces questions n’ayant été traitées par personne, il n’y a point d’autre biblio¬ 
graphie que les sources indiquées en notes. 


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CHAPITRE III 


LE PROCÈS DES TEMPLIERS 


Benoît XI ayant rendu son âme à Dieu, les cardinaux se réu¬ 
nirent à Pérouse pour lui donner un successeur. Dans le conclave, 
le cardinal de Prato, de l’Ordre des Prêcheurs, avait, comme 
doyen du Sacré - Collège, une influence prépondérante. Un autre 
Dominicain, nouvellement créé cardinal, Frère Walter de Win- 
terburn, confesseur du roi d’Angleterre, n’arriva que le 28 no¬ 
vembre, un samedi avant le premier dimanche d’Avent. Il fut 
accueilli par le peuple avec les plus grands honneurs, et, quoi¬ 
qu'il n’eût reçu ni le chapeau ni l’anneau, les cardinaux l’admirent 
comme électeur 1 . Neuf mois après, ils discutaient encore. L’élec¬ 
tion menaçait de devenir interminable. C’est que deux partis 
opposés, intransigeants tous deux, se disputaient les voix. Les 
uns, ayant à leur tête Mathieu Orsini et François Gaetani, neveu 
de Boniface VIII, voulaient un Pape contraire au roi de France ; 
les autres, soutenus par Nicolas de Prato, préféraient un candi¬ 
dat français 2 . On ne pouvait s’entendre. Au-dessus du Sacré- 
Collège, Nogaret maintenait comme une épouvante la menace 
d’un procès contre la mémoire de Boniface. Ses actes se multi- 


1 « Hic post novem menscs a die qua fuit in cardinalem nominatus, et post ferc 
quinque menses ab obitu memorati Benedicti papæ pervenit ab Anglia Perusium 
civitatem, ubi adhuc curia morabatur, sede vacante, IV Kal. Dccembris, Sabbato 
scilicet ante Dominicain l adventus A.D.MCCCIV : fuitque exhibitus sibi magnus 
et debitus honor a populo Perusino et sine alio divcrticulo declinavit ad Conclave 
Cardinalium , ubi inclusi propter electioncm summi poutificis commanebant. A 
quibus cum magno favorc et honore susceptus est, et in crastino Sancti Andrcæ, 
scilicet in Kalendis Deccmb. ad scrutinium electionis Summi Pontificis tanquam 
Cardinalis admissus quamvis nondum haberet nec annulum ncc capellum. Hic post 
crcationcm D. démentis Papæ V qui creatus fuerat in Vigilia Pentecostes præcc- 
denti, cum veniret ad ipsum citra montes nondum habens titulum, sed capellum 
et annulum per Cardinales sibi traditum, obiit januæ Vil Kal. Septemb. in sab¬ 
bato. Sepultus sequenti die Dominica per F. Nicolaum Cardinalem episcopum 
Ostiensem in ecclesia fratrum Prædieatorum Januensium A.D.MCCCV. Elegit auteni 
inde transferri et sepeliri in Conventu Fratrum Prædieatorum in Londoniis in 
Anglia, unde fuerat assumptus. »> (Bernard Gui, Elenchus Cardinal. Ord. Cf. Echard, 
I, p. 196. — Fontana, S. Theatrum, p. 20.) 

* Rainaldi, IV, p. 390 et ss. 


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CHAPITRE III 


455 


pliaient, bruyants; ses écrits calomniateurs 1 circulaient partout, 
semeurs de haine. A Pérouse, on tremblait devant cet audacieux 
scélérat. 

Nicolas de Prato sut, par ses habiles menées*, aboutir à un 
Français. Il voulait évidemment que le nouveau Pontife conti¬ 
nuât l’œuvre pacificatrice de son ami Benoît XI. Quelle voie sui¬ 
vit-il? Il est impossible de le savoir en toute certitude. Ce que 
raconte Villani 3 , et, après lui, saint Antonin* et presque tous les 
historiens jusqu’en ces derniers temps, du compromis passé 
entre Nicolas de Prato et François Gaetani; de l'entrevue secrète, 
à Saint-Jean-d’Angély, de Bertrand de Got, archèvêque de Bor¬ 
deaux, candidat d’accommodement, avec Philippe le Bel; des 
conditions plus que regrettables acceptées de part et d’autre 5 : 
toute cette histoire, peu honorable pour le cardinal de Prato et 
le Saint-Siège, est démentie par les itinéraires connus du roi 
et de l’archevêque de Bordeaux pendant le mois de mai 1305, 
date assignée à cette entrevue 6 . 

Des pourparlers, il y en eut certainement avec les affidés du 
roi de France; des trafics, peut-être, car la conduite de Clément V, 
conduite si complaisante, si servile vis-à-vis de la France, donne 
le droit de les supposer. Et, à lui seul, ce soupçon ne laisse pas 
de jeter quelques éclaboussures sur la robe blanche de Frère 
Nicolas de Prato. Bref, le 5 juin 1305, Bertrand de Got, arche¬ 
vêque de Bordeaux, était élu Pape. Il prit le nom de Clément V. 

« Vous avez atteint votre but, dit le cardinal Mathieu Orsini 
à Nicolas de Prato : bientôt nous verrons le Rhône; mais, si je 
connais bien les Gascons, de longtemps le Tibre ne reverra les 
Papes 7 ! » En effet, c’était la « captivité de Babylone 8 » qui com- 

1 Dupuy, Histoire du Différend.... p. 284 et ss. 

* Saint Antonin, Chron., III, titul. XXI, c. i. 

3 Storie Fiorentine, lib. VIII, c. lxxx. 

* Chron., III, titul. XXI, c. i. 

8 Voici ces conditions : 

1. Réconciliation complète de Philippe le Bel et du Saint-Siège. 

2. Absolution du roi et de tous ceux qui avaient été mêlés aux affaires contre 
Boniface VIII, nul excepté. Cette clause visait Nogaret et ses complices. 

3. Poursuites contre Boniface VIII et condamnation de scs actes. 

4. Grâce des Colonna et réintégration dans leurs dignités. 

5. Décimes accordés au roi, sur les biens de l'Église, en France, pendant cinq ans, 
à cause des guerres de Flandre. (Cf. Villani, Storie Fiorentine, lib. VIII, c. lxxx.) 
De plus, d’autres conditions tenues secrètes jusqu’au temps opportun. 

Clément V accorda l’article I, l’article II, l’article V. (Cf. Dupuy, Histoire du 
Différend..., p, 287 et ss.) 

Malgré toutes les instances et toutes les menaces, il se refusa à condamner la 
mémoire de Boniface VIII. Les Colonna ne reprirent pas non plus leur rang dans 
le Sacré-Collège. 

6 Ernest Lavissc, Histoire de France, III, p. 171. 

7 Rainaldi, IV, p. 397. 

8 Ainsi nommée de ce que le séjour des Papes à Avignon dura soixante-dix ans, 
comme la captivité du peuple juif à Babylone. 


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456 


AYMERIC DE PLAISANCE 


mençait. Chose assez étonnante! l’exil de la Papauté fut préparé, 
contre son gré, peut-être, par un Prêcheur; il sera clos par une 
fille de saint Dominique. Catherine de Sienne, suscitée de Dieu, 
réparera l’erreur du cardinal de Prato 1 . 

Le 14 novembre, dans l’égljse de Saint-Just, à Lyon, Clément V 
fut couronné. Philippe le Bel, pendant la procession, tenait la 
bride du palefroi pontifical. Ce dut être un spectacle bien agréable 
à Nogaret. Or, sur le passage du cortège, un mur surchargé de 
curieux s’écroula ; le Pape fut jeté à terre ; une escarboucle se 
détacha de sa tiare; Charles de Valois, frère du roi, fut blessé; 
le comte de Bretagne, le cardinal Mathieu Orsini et un frère de 
Clément V, furent mortellement frappés. C’était de mauvais 
augure. A Rome, on eût fui en faisant les cornes au Pontife. 

Peu de jours après, Nogaret et ses amis, toujours à Lyon, 
commencèrent à agiter une question qui devait bouleverser le 
royaume de France et l’Église entière : la question des Templiers. 
Maître Aymeric et l’Ordre des Prêcheurs furent intimement liés 
à ces débats douloureux. 

L’Ordre du Temple avait été fondé, vers 1118, par quelques 
pieux chevaliers de la première croisade restés à Jérusalem. Leur 
premier Maître, Hugues de Payns, s’établit, avec plusieurs com¬ 
pagnons, dans le voisinage du Temple, d’où leur nom de Tem¬ 
pliers. C’était, dans leur but, comme une gendarmerie qu’ils 
établissaient en Palestine pour protéger les chrétiens. Au concile 
de Troyes, en 1128, sous le pontificat d’Honorius II, ils n’étaient 
encore que neuf chevaliers. Mais, protégés par Baudouin II, roi 
de Jérusalem, ils se rendirent au concile pour solliciter une règle 
de vie conforme à leur état de soldat et l’approbation du Saint- 
Siège*. Saint Bernard, dit-on, — car le fait est contesté, — éla¬ 
bora lui-même les articles de leur règle, assez durs, mais bien 
nécessaires pour des moines-soldats. Ils devaient, sauf les besoins 
du service militaire, assister à l’office de nuit et de jour, faire 
maigre les lundi, mercredi, vendredi et samedi ; en plus, le ven¬ 
dredi, s’abstenir d’œufs et de laitage. La chasse leur était défen¬ 
due ; mais ils étaient obligés de poursuivre les bêtes féroces. Pas 
de Sœurs, comme en avaient les autres Ordres. Ils sont tenus 
aux trois vœux de religion. En somme, c’était la vie monastique 
avec ses observances pénitentielles adaptée à la vie militaire. 
L’essai ne manquait pas d'audace. Exiger de soldats, la plupart 
peu instruits, plus habiles à manier les armes qu’à chanter l’of¬ 
fice, pieux au demeurant, mais passionnés et souvent brutaux, 

1 Sainte Catherine de Sienne, pendant son ambassade pour les Florentins au 
Pape Grégoire XI, le décida à retourner à Rome ( 1376). 

J Dupuy, Histoire de la condamnation des Templiers , I, p. 3. Bruxelles, 1713. 


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CHAPITRE III 


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les habitudes sévères et la continence de la vie claustrale, c’était 
demander à la nature humaine un effort violent qui, héroïque 
dans quelques-uns, passager dans le grand nombre, tendrait 
fatalement à baisser et à disparaître. Il était facile, dès le prin¬ 
cipe, de prévoir que pareille institution aurait des dessous et des 
déchéances lamentables. 

Toutefois, pendant deux siècles, les Templiers firent grande 
figure dans l’Église. Richement comblés de faveurs spirituelles 
par les Papes, ils surent eux-mêmes, par une savante adminis¬ 
tration, acquérir les richesses temporelles les plus considérables. 
En Orient, ils combattaient le Turc; en Occident, ils arrondis¬ 
saient leurs domaines. Les Temples s’élevaient sur toute la terre 
d’Europe, forteresses inviolables où ils entassaient leurs trésors ; 
les grands seigneurs y déposaient leur argent. Les Templiers 
devinrent vite les banquiers de la chrétienté : rois et princes 
étaient leurs clients. Ils prêtaient royalement, non sans profit; 
ils se chargeaient du transport des capitaux, chose diffii ile à cette 
époque de piraterie sur terre et sur mer; ils prélevaient les 
offrandes au profit du Saint-Siège et de la croisade. En France, 
le trésor de la Couronne était au Temple de Paris 1 . 

Saint Bernard n’avait point prévu dans sa règle cet établisse¬ 
ment public de crédit. Il fut la cause certaine de la ruine des 
Templiers. 

« Un Ordre de soldats grossiers n’avait pu se transformer en une 
république magnifique, riche en terres, riche en privilèges, enri¬ 
chie encore par le commerce des métaux précieux et par le crédit, 
créancière des Papes et des rois, sans se corrompre et sans exci¬ 
ter la malveillance. A la fin du siècle de saint Louis, l’Ordre, 
comme d’ailleurs la plupart des autres Ordres, avait des ennemis 
et des vices*. » Trop riche, il excitait la cupidité des petits; trop 
puissant, il donnait ombrage aux grands. Ceux-là même qu’il obli¬ 
geait par son crédit lui gardaient rancune de leur dépendance ; et 
dans le clergé, toujours jaloux des privilèges accordés par les 
Papes, couraient des bruits fâcheux sur l’orthodoxie et la morale 
de ses membres. 

Comment l’idée d’abaisser cette omnipotence et de s’emparer 
des trésors du Temple vint-elle à la Cour de France? Philippe le 
Bel, très besogneux, très à court d’argent, avait autour de lui 
des conseillers qui, privés par le vide des cassettes royales, des 
largesses auxquelles ils prétendaient, lui insinuèrent adroitement 
le moyen de s’enrichir. Nogaret, qui dirigeait alors la volonté du 

1 Cf. Delisle, Opérations financières des Templiers, dans les Mémoires de VAca¬ 
démie des Inscriptions, t. XXXIII (1889). 

2 Ernest Lavisse, Histoire de France, III, p. 177. 


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AYMERIC DE PLAISANCE 


souverain, a été, sans aucun doute, le boute-feu de cette affaire. 
Son attitude pendant le procès, sa haine impitoyable, ses mé¬ 
moires calomniateurs, ses exécutions odieuses, sa rage d’en finir, 
sont autant de preuves accablantes à la charge de ce grand cou¬ 
pable 1 , La responsabilité de ce terrible drame retombe sur lui. 

Il en noua l’intrigue, Clément V à peine élu, à Lyon même, 
en 1305. La venue du Grand-Maître du Temple, Jacques de 
Molai, à Paris, dans les premiers mois de 1307, ne fit qu’at¬ 
tiser ses basses convoitises. On disait que le Grand-Maître rap¬ 
portait d’immenses trésors; qu’il allait les laisser en France et 
y établir sa résidence. N’était-ce pas l’heure favorable pour le 
dépouiller ? Le Pape, qui voyait parfaitement le but poursuivi par 
la Cour de France, se déroba de son mieux. Il ne veut pas l’entre¬ 
vue que Philippe le Bel réclame ; il la remet à plus tard ; il est 
malade ; son médecin lui conseille le repos ; il a des migraines 
très douloureuses; on doit le saigner 2 . Excuses misérables, qui ne 
pouvaient arrêter un Nogaret. Et puis, celui-ci maniait avec une 
audace toujours victorieuse l'épouvantail du procès contre Boni- 
face VIII. Aux hésitations de Clément contre les Templiers, il 
opposait de suite ses appels à la justice de l'Eglise 3 . Ces deux 
affaires, toutes deux douloureuses, toutes deux humiliantes pour 
le Saint-Siège, Nogaret les agitait tour à tour devant la Cour 
romaine comme deux épées terrifiantes, sûr que l’une ou l’autre 
aurait bien raison des velléités de résistance qu’on laissait entre¬ 
voir. 

Il réussit. 

Cette même année 1307, après des débats mystérieux au 
conseil royal, signalés au roi d’Aragon par un des Régents des 
Prêcheurs de Saint-Jacques 4 , le 22 septembre, Philippe le Bel 
se rendit à Maubuisson, près Pontoise. Tout était préparé pour 
le coup de main. Le Pape, loin de Paris, soignait ses migraines; 
le Grand-Maître du Temple, rassuré par lui, assistait, le 12 oc¬ 
tobre, à côté du roi, aux funérailles de la comtesse de Valois. 
Rien ne faisait soupçonner un complot. Or, le lendemain, 
13 octobre, Jacques de Molai et tous les Templiers furent arrêtés 
à la même heure, leurs biens saisis au nom de l’Inquisition. De 
plus, l’Inquisiteur de France, Frère Guillaume de Paris, confes¬ 
seur du roi, avait mandé à ses délégués dans toutes les provinces 


1 Cf. Michelet, Procès des Templiers, dans la Collection de documents inédits 
sur l’Histoire de France (1811-1851). Manifeste royal du 13 octobre 1308. — 
Dupuy, Histoire de la Condamnation des Templiers . Bruxelles, 1713. 

* E. Lavissc, Histoire de France , III, p. 181. 

3 Dupuy, Histoire du Différend..., p. 287 et ss. 

4 E. Lavisse, Histoire de France, III, p. 182. 


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CHAPITRE III 


459 


d’interroger immédiatement les Templiers qui leur seraient livrés 1 . 

On ne pouvait aller plus vite. Pour expliquer cette arrestation 
en masse, dont les effets sur le peuple étaient à craindre, on lut 
par tout le royaume un manifeste de Philippe le Bel. Il est 
l’œuvre de Nogaret. C’est bien sa manière haineuse, son procédé 
de diffamation, ses protestations hypocrites de zèle pour la foi 
catholique*. Quand même il ne l'aurait pas signé, tout ce cloaque 
d'infamies dans lequel il se complaît suffirait à mettre au bas son 
nom. 

Il ramasse toutes les injures, toutes les ignominies, toutes les 
abominations, et il en charge les Templiers, comme il en avait 
chargé Boniface VIII. Entre des mains si criminelles, les malheu¬ 
reux n’avaient rien à espérer. 

Il y avait bien le Pape. Clément V, blessé des procédés de la 
Cour de France, se plaignit amèrement 3 . On avait empiété outra¬ 
geusement sur les droits du Saint-Siège en faisant arrêter tous 
les membres d’un Ordre dépendant de son autorité*; on avait 
même abusé de son nom, en publiant qu’il était d’accord avec le 
roi pour cette arrestation, ce qui était faux. Clément eut comme 
un ressaut de courage. Il déclara nulle la procédure, blâma les 
évêques et les Inquisiteurs et évoqua l’affaire à son tribunal 5 . Les 
Templiers eurent une lueur d’espérance. Ce ne fut qu’un éclair 
fugitif. 

Nogaret vit le danger. Laisser au Pape la liberté de juger cette 
cause, c’était la perdre. Une campagne de calomnies et de me¬ 
naces aussi odieuse et aussi furibonde que celle qui poursuivait 
Boniface VIII fut entreprise. On souleva l’opinion par le récit 
des horreurs commises par les Templiers. Rien ne fut épargné 


1 Dupuy, Histoire de la Condamnation des Templiers, p. 10-11. — E. Lavisse, 
op. cit., p. 182. 

* Dupuy, op. cit., p. 103. 

3 Ibid., p. 105. Lettre du 27 octobre 1307. 

* La Cour de France essaya de se couvrir de l'autorité des Maîtres de l'Univer¬ 
sité. 

On leur posa quelques questions. La première, la principale de toutes, était de 
savoir si le roi pouvait, de son autorité propre, poursuivre et arrêter des héré¬ 
tiques. Il fut répondu unanimement qu'il n’avait pas ce droit. Mais les Templiers, 
ajoutait le questionnaire, ne sont pas des religieux exempts, ce sont des soldats. 
A ce titre, le roi ne peut-il pas intervenir contre eux? Il fut répondu que, quoique 
soldats, les Templiers, faisant des vœux, étaient religieux. Le roi ne pouvait 
les atteindre sans l’autorité de l’Eglise. 

On demandait aussi ce que pensaient les Maîtres, étant donnés les crimes con¬ 
fessés par beaucoup de Templiers, au sujet de la condamnation de l’Ordre. Il fut 
répondu que l’on pouvait les mettre en procès et les juger. Quant à leurs biens, 
ils devaient être affectés à la Terre Sainte. 

Au bas de ce document, on peut lire quatorze noms, dont celui de Maître Hervé 
de Nédellec, futur Général des Prêcheurs. (Bibl. Nationale, J. 413, n° 1. — 
Denifle, Chartnl. Univ. Paris., II, p. 125, n° 664.) 

K Dupuy, op. cit., p. 105. 


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460 


AYMERIC DE PLAISANCE 


pour épouvanter Clément V et lui arracher une transaction 1 . Il 
fléchit. 

A Poitiers, le 12 août 1308, après une entrevue avec Philippe 
le Bel, les Templiers sont confiés, au nom du Pape, aux officiers 
royaux ; leurs biens devront être administrés par des commis¬ 
saires agissant pour le Pape, les évêques diocésains et le roi. On 
distingua deux procès : le procès contre TOrdre, en tant qu’Ordre; 
le procès contre chaque membre de TOrdre. Le premier dépendait 
d’un concile général, le second des Inquisiteurs ordinaires. Seuls 
le Grand-Maître et les hauts dignitaires devaient, comme parti¬ 
culiers, être jugés par le Saint-Siège 1 . 

En forçant la Cour de France à accepter la décision d’un concile 
général, Clément V, disons-le à son honneur, sauvait la dignité 
du Saint-Siège. L’Ordre du Temple était cité au tribunal de 
TÉglise. 

Les Prêcheurs de France, — on ne peut le nier ni le dissimu¬ 
ler, — se mirent au service du roi. 

Avant même que Clément V ait pris en main la haute direc¬ 
tion de cette pénible procédure, sous la seule injonction de 
Nogaret, agissant au nom de Philippe le Bel, Guillaume de Paris, 
Inquisiteur du royaume, avait reçu en sa garde et interrogé, 
comme prisonniers soupçonnés d’hérésie, de nombreux Templiers 3 . 
Dans son manifeste au peuple, Nogaret va jusqu’à dire que l’In¬ 
quisiteur a supplié le roi d’intervenir; qu’il a invoqué spontané¬ 
ment le secours du bras séculier, et qu’ainsi le roi, en permettant 
les poursuites, ne faisait que se rendre à une requête canonique 4 . 
Seulement, le perfide chancelier, pour être vrai, aurait dû ajou¬ 
ter que l’initiative prétendue de l’Inquisiteur, comme la consul¬ 
tation du Pape, était de pure invention 3 . Si Frère Guillaume de 
Paris a agi; s’il a accepté d’entrer en procédure contre les Tem¬ 
pliers, ce ne fut que par ordre, après que le conseil royal eut 
décidé le coup de main. Son tort a été de céder à la décision du 
conseil, de se prêter aux machinations de Nogaret, et, sans que 
le Pape eût parlé, d’engager une action générale contre un Ordre 
dépendant du Saint-Siège. Là est la faute de l’Inquisiteur, et le 
Pape l’en a blâmé 6 . 

Il faut dire que lui et les autres Frères, délégués à la défense de 
la foi, se mirent à l'œuvre avec un zèle que Ton voudrait moins 
rigoureux. En un mois, cent quarante Templiers de Paris furent 

1 Dupuy, op. cit., p. 91-95. 

* Ibid. 

3 Echard, I, p. 520. — Dupuy, op. cit., p. 81. 

* Dupuy, op. cit., p. 12-15. 

8 Ernest Lavisse, Histoire de France, III, p. 184. 

6 Rainaldi, IV, p. 422. — Dupuy, op. cit., p. 10-11. 


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CHAPITRE III 


461 


interrogés 1 . Et Ton sait ce qui se dissimule de supplices sous cet 
euphémisme. L’interrogation, selon les usages du temps, était 
une cruelle torture. Presque tous les accusés avouèrent, même 
les plus braves, comme le Grand-Maître Jacques de Molai, comme 
Hugues de Pairaud, Visiteur de France*. Ils avouèrent tout ce 
qu’on voulut : qu’ils avaient renié leur baptême; qu’ils avaient 
craché sur la croix; qu’ils se livraient à des pratiques infâmes. 
Après ces aveux forcés, en étaient-ils plus criminels?... Aimeri 
de Villiers-le-Duc, du diocèse de Langres, Templier depuis 
vingt-huit ans, disait à ses juges : « J'ai avoué quelques articles, 
à cause des tortures que m’ont infligées Guillaume de Marcilli et 
Hugues de la Celle, chevaliers du roi; mais tout est faux. Hier, 
j’ai vu cinquante-quatre de mes frères dans les fourgons, en 
route pour le bûcher, parce qu’ils n’ont pas voulu avouer nos 
prétendues erreurs; j’ai pensé que je ne pourrais résister à la 
terreur du feu. J’avouerais tout, je le sens; j’avouerais que j’ai 
tué Dieu, si on voulait 3 ! » 

Partout, dans les provinces d’Europe, évêques et inquisiteurs 
établirent ces mêmes cours de justice. Jusqu’au printemps de 1310, 
l’épiscopat et les Prêcheurs délégués furent occupés à cette 
besogne 4 . 

Maître Aymeric de Plaisance dut lui-même participer aux 
poursuites. 

Comme le Chapitre général avait été assigné, pour l’année 1309, 
en Espagne, au couvent de Saragosse, Clément V enjoignit au 
Maître des Prêcheurs de procéder contre les Templiers « dans les 
royaumes de Castille et de Léon, d’accord avec les archevêques 
de Gompostelle et de Tolède, les évêques, chantres et abbés des 
églises et des monastères 5 ». Un tel ordre ne pouvait s’éluder. 

Maître Aymeric partit, en 1309, pour l’Espagne. Quoique la 
plupart des princes ne fussent pas fâchés de se partager les dé¬ 
pouilles du Temple, il y avait cependant, en dehors de France, 
une liberté plus grande pour les juges, et, pour les accusés, une 
sécurité plus assurée. Les Inquisiteurs de Castille et de Léon, 
évêques et réguliers, agirent avec une prudente réserve. Ils citèrent 
à leur tribunal les Templiers, les interrogèrent, reçurent leurs 
dénégations, et, satisfaits de ne point les trouver coupables, les 
dispensèrent de la torture. Leur rapport, envoyé au Pape, parut 


1 Echard, I, p. 519. — Dupuy, op. cit., p. 17 et 81. 

* B. Régnant in cælit, 12 août 1308. Labbe, SS. Concilia, ÿl, p. 1541. — Dupuy, 
op. cit.. p. 81. 

1 E. Lavisse, op. cit., p. 193. 

4 B. Régnant in cælis, 12 août 1308. Labbe, SS. Concilia, XI, p. 1541.—Dupuy, 
op. cit., p. 81 et ss. 

5 B. Dudum ad eliciendum, 17 mars 1310. Rnll. ined., Ms. arch. Ord. 


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AYMERIC DE PLAISANCE 


trop avantageux aux prisonniers, trop indulgent à leurs affirma¬ 
tions. Le Pape, peu satisfait, écrivit une nouvelle lettre à ses 
commissaires. Elle est du 17 mars 1310. Clément leur reproche 
de n’avoir pas traité les Templiers avec assez de rigueur : « Vous 
n'avez point, leur dit-il, employé le moyen le plus efficace, d'après 
le droit, pour obtenir des aveux clairs et certains. Vous auriez dû 
soumettre à la question et aux tourments ceux que vous interro¬ 
giez. » Et, de son autorité pontificale, en vertu des saints canons, 
il leur ordonne d’en user avec énergie 1 , comme si la torture avait 
jamais pu être la garantie sincère de la vérité! 

Que ne peut-on pas arracher à un malheureux qu’on tenaille à 
grand feu? « J’avouerais que j’ai tué Dieu! » disait Aimeri de Vil- 
liers-le-Duc. Ce cri de conscience en détresse est la condamnation 
de cette procédure du vieux droit romain qui, pour être le droit 
de la civilisation, n'en contenait pas moins les pratiques les plus 
barbares. Et vraiment, il faut que le préjugé ait sur la raison 
humaine une influence bien profonde, pour qu’une loi si atroce 
et si monstrueuse ait pu, pendant de longs siècles, être une loi 
canonique comme une loi civile, pour que les hommes les plus 
savants, quelquefois les plus vertueux, l'aient appliquée avec 
conviction, par conscience, sans en voir l’énorme immoralité 3 . 

Les commissaires pontificaux 4 n’avaient pas soumis les Tem- 


1 « Et de jure videtur quod Fratres ipsi, ut clarior et certior clicerctur ab eis 
veritas de predictis per vos subjici debuerunt questionibus et tormentis , quod 
minus prudciitcr quam et negligenter faccrc omisistis... Cum etiam sacris canoni- 
bus demandetur in hujusmodi et consimilibus casibus personas hujusmodi tam 
perspicuis inditis et vehementi presumptione suspectas ad cliciendam veritatem 
rcligioso fore tortori tradendas... » (B. Dudum ad eliciendum, 17 mars 1310. Ms. 
arch. Ord.) 

2 Notre droit actuel, malgré des siècles de christianisme, est loin d’être lui-même 
sans tache. Les longues prisons préventives, le secret, les privations matérielles, 
toutes les tortures morales infligées à de simples prévenus, sentent la barbarie 
antique. Nous n’avons pas tant à nous flatter de notre justice. Le premier venu, 
par une simple dénonciation, peut faire jeter en prison et torturer moralement et 
physiquement, pendant de longs mois, l’homme le plus innocent. Nous le voyons 
tous les jours. 

3 « La tortura fu sempre la piu stupida depravazione délia umana ragione,... 
nclla ministrazionc délia giustizia. » (Tosti, Storia di Bonifacio VIII, p. 337.) 

4 A cette époque, l’évêché de Valence, en Aragon, était occupé par un homme 
remarquable, Raymond du Pont, chancelier de la Couronne. Il administrait cette 
église depuis quinze ans, lorsque, sans la quitter, il prit l’habit des Prêcheurs 
(1303). 

Dès lors il en suivit les observances avec une extrême rigueur. Nommé par Clé¬ 
ment V commissaire dans l’afTaire des Templiers avec l’évêque de Saragossc, il 
déploya un grand zèle pour agir vis-à-vis d’eux en toute justice. Comme ils s’étaient 
fortifiés dans leurs Temples, le roi les força de rendre les armes. Ils furent jugés 
plus rigoureusement qu’en Castille. Frère Raymond du Pont assista au concile de 
Vienne. Il fut un des cinq prélats choisis et délégués par le concile pour l’examen 
definitif des décrets concernant la foi, les mœurs et la discipline. 

De retour en Espagne, Frère Raymond, malgré son grand âge, voulut encore 
assister au Concile provincial de Tarragone. Il prit logement au couvent des Prê¬ 
cheurs. 


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CHAPITRE III 


463 


pliers à la torture, et ils avaient bien fait. Maître Aymeric en fut 
blâmé comme ses collègues. Ordre lui est donné, à lui person¬ 
nellement, de ne pas se soustraire au commandement du Pape. 
Clément V n’avait qu’une confiance médiocre dans son zèle en 
cette malheureuse affaire. Fort des privilèges de l’Ordre, le Maître 
s’en était prévalu pour essayer de se dérober à l’obéissance. 
L’Ordre, en effet, était exempté par le Saint-Siège de toutes les 
commissions apostoliques imposées à ses membres, si le Pape, 
dans la bulle qui en donnait la charge, négligeait de signaler cette 
exemption. Aussi Clément V ne l’oublie point 1 . Il fallut mar¬ 
cher quand même, sous le coup de fouet pontifical. Le même 
jour, une bulle réclamait du roi de Castille une assistance effi¬ 
cace; pour torturer avec fruit les Templiers, il était besoin de 
l’aide du bras séculier. 

Eh bien ! malgré les ordres du Pape, de nombreux com¬ 
missaires d’Italie, d’Allemagne et d’Espagne, moins souples 
que les conciles provinciaux de France, ne les condamnèrent 
point *. 


Peu de jours après, il rendait son âme à Dieu, le 13 novembre 1312. On l'ensc; 
velit dans la cathédrale de Valence, devant l’autel dédié à tous les saints. (Cf. 
Echard, I, p. 519-520. — Touron, les Hommes illustres de VOrdre de Saint-Domi¬ 
nique, I, p. 754 et ss.) 

1 « Nonobstant^ indulgentia qua, fili Frater Aymerice, Ordini tuo ab Apostolica 
sede dicitur esse concessum quod fratres ordinis tui non teneantur se intromit- 
tere de quibuscumque negotiis quœ ipsis per dictæ sedis litteras committuntur, 
nisi eisdem litteris de concessione hujusmodi plena et expressa mentio habcatur. » 
(B. Dudum ad eliciendum, 17 mars 1310. Ms. arch. Ord.) 

1 « Concilium Placentinum. 

« Rainaldus concilium tune consuluit, de tota re quid fieri placcrcl. In quo cum 
multae sententiae dicerentur, tandem interrogati primum, an judicium illud accu- 
rate et légitimé constitutum existimarent, annuerunt; deinde, an dandi essent in 
quaestionem, responderunt non dandos. Nicolaus tamen, et Joannes, Dominicain, 
in haereticos quaesitorcs, dandos esse dixerunt. Praeterea au ad pontificem maxi¬ 
mum deferendum esset judicium : negatum ab omnibus est, quod prope adesse 
concilium generale dicerent. Postremo esscntne omnino absolvendi , an juben- 
dum, ut se de objectis purgarent : de purgatione affirmatum est. 

« Sed postridie cum iterum convenissent patres, communi sententia decretum est, 
innocentes absolvi, nocentes ex loge puniendos. Intelligi innocentes dcberc qui 
melu tormentorum confessi fuissent, si deinde eam confessioncm revocassent : 
aut revocare, hujusmodi tormentorum metu, ne inferrentur nova, non fuissent ausi : 
dum tamen id constaret. De ordinc. ejusque bonis, consensere omnes, servanda 
innocentibus ea fore, si innocentes, major pars ordinis essent : et nocentes, abju- 
rata haeresi, méritas sceleris pœnas, ipso in ordinc dédissent. 

« De Terrae sanctae subsidio, de quo item in eo conventu est actum, reges, prin¬ 
cipes, regulosque, a pontifice inducendos ad mare trajicicndum, camquc expedi- 
tioncm persequendam consuluerunt. Atque ita dimissum concilium est. » (Labbe, 
SS. Concilia, XI, p. 1534.) 

« Concilium Salmaticense. 

« In causa Tcmplariorum a Gonsalvo Tolctano archiepiscopo, et multis aliis præ- 
sulibus celebratum anno Dom. MCCCX. » 

(Mariana, Historiée Hispaniæ lib. XV, cap. X.) « Pridie, inquit, Kalcnd. Augusti, 
litterac a pontifice datae, quibus inquirendi in Castellae Templarios, Compostellae, 
et Toletano archiepiscopis potestatem permittit, adjuucto Amcrico inquisitorc ex 
Prædicatorio ordinc aliisque praesulibus. In Aragonia idem negotium cpiscopis 


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464 


ÀYMERIC DE PLAISANCE 


Maître Aymeric parvint à dégager sa conscience. La bulle qui 
lui ordonne de mettre à la torture les Templiers est datée du 
17 mars 1310. Or, à la Pentecôte suivante, 7 juin 1 , il présidait, 
à Plaisance, le Chapitre général. Les Actes font foi de sa pré¬ 
sence*; et lui-même, après les sessions capitulaires, écrivit aux 
Frères, selon l’usage, une lettre de pieuse exhortation 3 . Il n’y 


Raymundo Valentino, Semcno Cæsaraugustano, datum est. Idem in reliquis pro- 
vinciis toto Christiano orbe factum; eo temperamento, ut inquisitione habita, de 
summa rerum in conciliis tantum provincialibus cognosceretur. Et paulo post : 
In Aragonia, correptis armis, arcium se munitione tueri constituunt. Mox : 
Victi Tcmplarii, ferroque vincti. In castella Rodcricus Ivanius ordinis promagister, 
Sociique omncs, a Gonsalvo Toletano præsule ad dicendam causam vocati : 
vincula injecta abs rege omnibus. 

« Salmanticœ in Vectonibus patrum concilium habilum est. Rodericus Compostel- 
lanus, Joannes Ulisiponensis, Vascus Idigitanus, Gonsalvus Zamorensis, Petrus 
Abulensis, Alonsus Civitatensis, Dominicus Placentinus, Rodericus Mindoniensis, 
Alonsus Asturicensis, Joannes Tudensis, Joannes Lucensis affuerunt : de vinctis 
atque supplicibus quæstione habita, causaque cognita, pro eorum innocentia pro- 
nunciatum communi patrum suflfragio : ad pontificem tamen Romanum rejecta 
totius rei summa deliberatio. » Labbé, SS. Concilia, p. 1535. 

« Concilium Moguntinum. 

« Quo sub præsidio Pétri Moguntini archiepiscopi jussu pontificis tractata est 
causa Tcmplariorum, anno Domini MCCCX tempore Clementis papœ V. 

« Qua oceasione, quaque de causa, hæc synodus Moguntiæ congrcgata, et quid in 
ea gestum fuerit, ex manuscripto quodam codice Nicolaus Serarius lib. V, in histo- 
ria Pétri archiepiscopi, refero his verbis : Anno 1310 ante Vicnnense Concilium 
(in quo Clementinas edidit Clemens quinlus) Concilium habuit sccunda, tertia et 
quarta feriis post Dominicain Jubilate, idem Dominus Petrus provinciale : in quo 
statutorum provincialium et antiquioribus synodis compendium collegit, cqjus 
vix paucula supersunt : et Romani Pontificis jussu tractata est Templariorum 
causa. 

« Comparuit autem in synodo, quemadmodum refert manuscriplus liber, Hugo 
cornes Silvestris et Rheni, qui morabatur in Grumbach prope Meysenhcim cum 
viginti fralribus, sub habitu ordinis prope armatis. Hi omnes, non quidem vocati, 
sed ultro et subito in consessum patrum irrumpunt, omnibus attonitis. Archiepi- 
scopus viros considerans, ac violentiam timens, placide jubet, commendator ut 
sedeat, et si quid habeat in medium afferendum, lit depromat. Qui clara et libéra 
voce exorsus : se quosque confratres, inquit, intellexisse, hanc synodum sui ordi¬ 
nis dclcndi gratia potissimum congregatam , ex commissione Romani pontificis. 
Enormia enim quædam scelera, et plusquam ethnica flagitia, illis objici, quæ in 
privato designarent, quod ipsis sane esset gravissimum et intollerabile : maxime 
quod non ordinarie auditi nec convicti condemnarentur. Quare coram ista patrum 
congregationc se appellarc et provocare ad futurum pontificem, ejusque universum 
clerum : publiée quoque protestari, eos qui propter talia flagitia alibi igni traditi 
essent et combusti, constanter pernegasse, sed quidquam eorum désignasse, atque 
in ca confessione tormenta et mortem perpessos. Immo Dei optimi maximi singu- 
lari judicio et miraculo eorum innocentiam comprobatam, quod albæ chlamydes, 
ac rubricatæ cruces igné non potucrunt absumi. Archiepiscopus his auditis, ne 
tumultus suboriretur, protestationem eorum admisit, seque cum Romano pontifice 
aclurum respondit, ut quieti esse possint : atque ita ad propria sunt dimissi. 
Postea vero Petrus aliam commissionem obtinuit , juxta quam procédons , prœ- 
dictos censuit absolvendos, actum anno 1311, Kalendis Julii, ut Nauclerus ex quo¬ 
dam Jacobo Moguntino tradit. Habuisse autem archiepiscopum Moguntiæ conci¬ 
lium provinciale anno 1313. refertur in manuscripto : sed quia idem prioris men- 
tionem non fecit, videtur unum et idem. Hæc Serarius. *» (Ibid., p. 1536.) 

1 Echard, I, p. xvn. 

3 Acta Cap., II, p. 47 : « Vult et ordinal Magister... » 

3 IJtt?r. Enc-ycl ., p. 198. Ed. Reichcrt. 


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CHAPITRE III 


465 


est fait aucune allusion, meme la plus lointaine, à la tragique 
exécution qui bouleversait la chrétienté. 

Pour être à Plaisance le 7 juin, Maître Ay meric, qui voyageait 
à pied, avait dû quitter l’Espagne dès le mois d'avril. Peut-être 
n'eut-il pas connaissance, avant son départ, des injonctions du 
Pape, parties de France après le 17 mars. 

Ce serait, à mon avis, la manière la plus plausible d’expliquer 
son retour en Italie. Il put croire sa mission contre les Templiers 
définitivement terminée, puisque tous avaient été entendus, tous 
absous, et que la relation officielle de la procédure avait été en¬ 
voyée au Pape. La réponse du Pape , qui forçait les commis¬ 
saires, et lui personnellement, à tout recommencer, arriva trop 
tard. Le Maître était en route. Il ne dut pas le regretter. 

Clément V essaya bien de forcer Maître Aymeric à paraître 
en personne au procès des Templiers. Il le convoqua, comme 
tous les Généraux d’Ordre, au concile de Vienne. Après de 
longues hésitations, mais toujours harcelé par les instances et les 
menaces de Nogaret, le Pape s’était enfin décidé à cette suprême 
résolution. Dans la bulle célèbre commençant par ces mots : 
Regnans in cælis 1 , Clément fait d'abord l’historique de la procé¬ 
dure suivie contre les Templiers. Il a hâte d’excuser devant la 
chrétienté sa conduite et celle de Philippe le Bel. Aussi, pour jus¬ 
tifier leurs actes communs, il entasse crimes sur crimes, horreurs 
sur horreurs, crimes et horreurs avoués par les coupables. « A 
peine élu, dit-il, avant même d'être couronné à Lyon, nous avons 
reçu à la charge des Templiers les plus graves accusations 4 . » On 
voit que Nogaret n’avait pas perdu son temps. Ces accusations 
étaient : l’apostasie ( contra ipsum Dominum in scelus a/>o- 
stasiæ nephandum 3 ), l’idolâtrie ( detestabile idololatriæ vitium ), 
la sodomie ( execrabile facinus Sodomorum et haereses varias 
erant lapsi*). Pareilles imputations contre un Ordre religieux lui 
avaient paru si incroyables, si invraisemblables, que longtemps 
ses oreilles se refusèrent à les entendre 5 . Elles furent aidées par 
les conseillers de France. Son « très cher fils Philippe » ne né¬ 
gligea rien pour le persuader. Et comme on pouvait, au dehors 
surtout, soupçonner ce « très cher fils » de cupidité; comme ce 
déploiement extraordinaire de zèle pour la sainte foi catholique 
et la pureté des mœurs religieuses n’allait pas sans quelque note 


1 Elle fut envoyée dans les mêmes termes, sauf les modifications personnelles, 
à tous les évêques et prélats de la chrétienté. (Cf. Labbe, SS. Concilia, XI, 
p. 1539.) 

* B. Regnans in cælis. Ibid. 

3 B. Regnans in cælis, Ibid . 

* Ibid. 

» Ibid. 

II. - 30 


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466 


» AYMERIC DE PLAISANCE 


d’intérêt personnel, et que, en se développant, en s’accentuant, 
ce soupçon, assez fondé pour qui connaissait la Cour de France-, 
diminuerait d’autant la valeur des accusations portées contre 
les Templiers, le Pape proteste, — peut-être trop, — du parfait 
désintéressement de son royal collaborateur. 

« Ce n’est pas du tout l'avarice qui guide notre cher fils Phi¬ 
lippe. Il n’a nulle intention de s’approprier les biens du Temple. 
Bien mieux, il nous en a confié à nous-même l'administration, 
le gouvernement, la garde, la conservation. Il a retiré sa main libé¬ 
ralement, totalement, en grande dévotion 4 . » Philippe ne retirait 
pas sa main des coffres du Temple aussi entièrement que le Pape 
voulait bien le dire. La preuve en est que les administrateurs- 
séquestres des biens confisqués étaient appointés conjointement 
et par le Pape et par le roi. Ils agissaient au nom des deux. Cette 
porte d’entrée pouvait devenir aisément une porte de sortie, assez 
large pour faciliter, en temps opportun, aux agents de la Cour, 
l’écoulement rapide des richesses longuement convoitées. 

Donc, pur de toute cupidité, candide comme un enfant, Phi¬ 
lippe, en cette épineuse affaire, n’est poussé à l’action que par 
« l’esprit très chrétien de ses pères, pour l'honneur de l’Église et 
le salut de la foi* ». C’est lui qui, par ses délégués, est arrivé à 
révéler au Pape toute l’énormité et toute l’étendue des crimes des 
Templiers. « Cette clameur du roi de France (clamosa insinua - 
tione 3 ) devint si violente, elle fatigua si péniblement les oreilles 
du Pontife, que lui-même se résolut à interroger les coupables. 
L’un d’eux, simple soldat, de haute noblesse, lui avoua comment, 
à la réception d’un Templier, le novice devait renier le Christ, 
cracher sur le Crucifix, se livrer à des actes si obscènes qu’on ne 
peut les redire. Soixante-douze chevaliers, accusés des mêmes 
crimes, les avouèrent également en sa présence 4 . Leurs aveux 
furent écrits, relus devant eux, confirmés par eux. Le Grand- 
Maître lui-même et les plus hauts dignitaires, convaincus par les 
commissaires pontificaux, s’étaient déclarés coupables. Ils avaient 
imploré à genoux et avec larmes le pardon suprême 5 . » 

Chacun sait qu’avant de mourir, Jacques de Molai rétracta ces 


1 « Non typo avaritiæ , cum de bonis Templariorum nihil sibi vindicare aut 
appropriare intendat, immo ea nobis et Ecclesiæ, per deputandos super hoc a 
nobis, administranda, gubernanda, conservanda, et custodienda liberaliter et 
devote in regno suo dimisit, manum suam exinde totaliter amovendo. »» (B. Régna ns 
in cælis.) 

* Ibid. 

3 Ibid. 

4 Ces malheureux avaient été préalablement torturés dans les prisons. On dit 
même que les gens du roi avaient choisi, pour cette comparution devant le Pape, 
les plus timides et les plus lâches. 

8 B. Regnans in cælis, loc. cil. 


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CHAPITRE III 


467 


aveux arrachés à la peur. Mais il avait avoué, cela suffisait. Le 
droit était satisfait. 

Une bulle, plus brève, datée du 18 novembre 1310, convoqua 
Maître Aymeric au concile avec les autres supérieurs généraux. 

« Nous vous ordonnons, lui dit le Pape, toute négligence mise 
de côté, de prendre vos mesures pour arriver à temps en notre 
présence, dans la ville de Vienne. D'ici là, par vous-même, ou 
par d’autres religieux de votre Ordre, vous recueillerez tous les 
témoignages que vous pourrez sur les Templiers, afin d’en faire 
part au concile 1 . » 

Le Maître se trouvait donc, une seconde fois, dans l'obligation 
de s’occuper de cette affaire. Qu’il le voulût ou non, étant le chef 
de l’Ordre des Prêcheurs, il devait obéir. Car le Pape ajoutait 
à l’invitation cette menace : « Et si vous voulez, continuait la 
bulle, éviter une note de désobéissance et la rigueur d’une ven¬ 
geance canonique, n’allez pas vous couvrir de trompeuses excuses, 
alléguer les difficultés* des chemins, pour vous soustraire à une 
œuvre si sainte. Venez plutôt de vous-même. » 

Malgré cet ordre et cette menace, — qui se retrouvent, du reste, 
dans les bulles similaires, — Maître Aymeric ne parut pas au 
procès des Templiers. 

De toutes les parties du monde, les évêques, les abbés, les doc¬ 
teurs sillonnèrent les routes, dans les premiers mois de l’année 
1311, se dirigeant vers Vienne. Ils portaient au concile le résul¬ 
tat dé leurs enquêtes et leurs propres jugements. Maître Aymeric 
ne bougea point. Revenu en Italie, en 1310, pour le Chapitre de 
Plaisance, il y resta. Il avait prévu le cas d'un appel à l’étranger, 
et s’était certainement résolu à ne pas y répondre; car, chose 
assez rare, c’est encore en Italie qu'il fit assigner le Chapitre sui¬ 
vant de 1311. Il marquait par là son intention bien arrêtée de ne 
pas en sortir. 

Le 30 mai 3 , à Naples, le Maître ouvrit le Chapitre général. 
C’était un Chapitre de Définiteurs. Nulle mention n’y est faite 
des troubles de l’Église. Selon l’usage, on lit dans les Actes les 
suffrages accordés gracieusement par l’Ordre. Il y est dit : « Pour 


•*.« Quocirca tuæ discrctioni per apostolica seripta mandamus quatenus omni 
negligcntia relcgatn, cunctis, prout talis et tanti uegotii qualitas exigit, dispositis 
etparatis, sic medio tempore te accingas ad iter... in Vicnnensi civitatc nostra 
te conspectui présentes. » (R. Regnans in cælis. Labbe, SS. Concilia , XI, 
p. 1554.) 

* « Et si inobedientiæ notam et canonicæ ultionis acrimoniam vitare desideras, 
nequaquam fallaciam cxcusationum vclamento te munias, vcl ex impedimentis iti- 
nerum... frivohe allcgationis munimenta confinga9 ut a tam sancti prosecutione 
operis te subducas, sed voluntarius occurras ad id quod et divinæ congruit volun- 
tati et salutem animarum et utilitatcm respicit singulorum... » (Ibid.) 

3 Echard, I, p. xvii. 


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468 


AYMERIC DE PLAISANCE 


le très saint Père et notre Seigneur le Souverain Pontife, le bien 
de l'Église universelle et le prochain concile général, chaque 
prêtre célébrera cinq messes, et chaque couvent, une messe par 
semaine l . » 

Les sessions terminées, Maître Aymeric donna sa démission. 

Comme d’ordinaire, les Actes ne relatent que le procès-verbal 
du fait. Quelles raisons le Maître fit-il valoir? comment furent- 
elles accueillies? quels furent les sentiments des Pères Capitulaires? 
Toutes questions intéressantes qui demeurent sans réponse. Le 
silence des Actes est complet. Ils disent uniquement : « Nous 
acceptons la démission du Maître de l'Ordre, comme il nous en a 
humblement priés, et nous l’absolvons du magistère. Nous voulons 
qu’après sa mort il soit fait pour lui, dans tout l’Ordre, comme 
pour le Maître Général. Nous voulons et nous ordonnons qu’il ait, 
au chœur, la place après le premier Prieur, partout ailleurs la 
première; qu'il soit exempt de toutes les observances de l’Ordre, 
selon qu’il lui plaira; et nous lui accordons l’usage d'une chambre 
privée et d’un compagnon de son choix. 

« Nous confirmons toutes les faveurs accordées par lui, soit dans 
le dernier Chapitre, soit précédemment 2 . » 

D’après ce document, le plus authentique de tous , Maître 
Aymeric a donné, de lui-même, sa démission; il a supplié hum¬ 
blement les Capitulaires de l’accepter. Ceux-ci, se rendant à ses 
désirs, l'ont absous de sa charge. Mais ils ont soin de combler 
celui qui se retire de tous les témoignages de leur respect. Maître 
Aymeric quitte son poste simplement, sans bruit, avec honneur. 
Clément V ne l'aura pas au concile de Vienne. Il est certain que 
c’était, pour le Maître, l’unique moyen de se dérober. Il l’a pris, 
estimant sans doute, en sa conscience, qu’il valait mieux laisser 
à d'autres la responsabilité du jugement sur les Templiers. 

Les chroniqueurs, plus indiscrets d’ordinaire que des Actes de 
Chapitre, donnent à entendre que la démission du Maître ne fut 
pas pleinement volontaire, en ce sens du moins qu’on la lui aurait 
suggérée. 

Pour éviter une déposition, au cas où le Maître Général se 
serait abstenu, comme on le prévoyait, sans doute, de paraître au 
concile de Vienne, le cardinal de Prato aurait agi et près de lui 
et près des Pères du Chapitre. 

Le premier témoignage, Tunique même, car ceux qui vinrent 
après n’ont fait que le répéter, vient de Frère Galvanus de la 

1 « Pro sanctissimo Pâtre ac domino nostro Suramo Pontifice, et bono statu uni- 
versalis ecclesiæ et pro instanti Concilio generali, quilibet sacerdos V missas, et 
quilibet conventus qualibet septimana unani missam. » {Acta Cap., II, p. 54.) 

2 Ibid., p. 55. 


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CHAPITRE III 


469 


Flamma, un contemporain. Voici ce qu’il dit : « En 13H , sous 
Maître Aymeric, à Naples, fut célébré le quatre-vingt-huitième 
Chapitre général, dans lequel Maître Aymeric fut absous de sa 
charge par l’entremise et sur la demande du Seigneur Frère Nico¬ 
las, cardinal du titre d’Ostie*. » 

Au xv« siècle, Borselli, dans sa Chronique de Bologne, ajoute 
que le cardinal de Prato était mal disposé envers le Maître Géné¬ 
ral : Animum gravem habuit contra magistrum 2 . Un peu plus 
tard, Sébastien de Olmedo donne le sens de cette animosité. 

Maître Aymeric fut, pendant son généralat, le promoteur ardent 
des études. Ce zèle doctrinal ne plaisait pas à tous les Frères. Il 
y avait alors dans l’Église, sous la poussée des Fratricelles, un 
courant violent contre les études scolastiques. Les Prêcheurs en 
subirent quelques remous. Il valait mieux, d’après quelques-uns, 
se sanctifier dans la simplicité de l'amour de Dieu. Toutes ces 
études philosophiques étaient semence d’orgueil et demeuraient, à 
tout le moins, stériles. D'où dans l’Ordre, comme je l’ai déjà si¬ 
gnalé, un parti contre les études 3 , et, par là même, contre Maître 
Aymeric. Selon Sébastien de Olmedo, le cardinal de Prato, — il 
ne le nomme pas, mais les chroniqueurs plus primitifs le nomment, 
— profita de cette disposition malveillante pour obtenir la démis¬ 
sion du Maître. Aymeric, loin de résister, fit immédiatement ce 
que l'on voulait de lui : « Et il fit bien, dit Sébastien de Olmedo; 
car autrement il lui serait arrivé à lui, Italien, quand la Cour pon¬ 
tificale était française, ce qui était arrivé à Munio, Espagnol, 
quand la Cour pontificale était italienne. » 

D’après ces témoignages, l’intervention du cardinal de Prato 
serait certaine. Maître Aymeric, peu favorable à la poursuite et à 
la condamnation des Templiers, ne pouvait être agréable ni au 
cardinal, qui était le conseiller intime de Clément V, ni à Clé¬ 
ment V lui-même 5 . Qu’on lui ait fait comprendre qu’il valait 


1 « In MCCCXI, sub Magistro Aymerico apud Neapolim fuit celebratum LXXXVIII 
Capitulum generale, ubi Magister Aymericus ad postulacionem et procuracioncm 
domini fratris Nicholai Cardinalis tituli Ostiensis absolvitur. » (Galvanus de la 
Flamma, Cron p. 107. Ed. Reichert.) 

* Borselli, Chron., lib. QQ. Ms. arch. Ord. — Cf. Chron. Perus., ibid., p. 695. 
— Chron. Urbevet., lib. 00, p. 19. Ms. arch. Ord. 

3 Masetti, Monumenta, p. 121. 

* « Verum non defuit sermo varius inter fratres de Aymerici cessione, quibus- 
dam dicentibus ipsum de cedendo præmonitum quasi minus edifîcaretur Ordo sub 
eo ; nec renuisse quidem ilium ne forte, curia in Galliis persévérante eveniret 
Magistro Halo quod olim ea in Italia manente, Munioni Hispano; sedcnfce præser- 
tim pontificc Gallo prœlatisque etiam Cardinalibus ultramontanis ex Ordine ab 
aure nuncupatis illi astantibus. Quasi ergo præsagus futurorum, vir providus 
apud suos (in propria reversus) manerc magis dccrevit. Sciebat enim quod trans¬ 
lata Sede, translatoque saccrdotio, translatio legis fienda crat. » (Sébastien de 
Olmedo, Chron., p. 52, lib. XIV-26. Ms. arch. Ord.) 

8 Cette attitude plutôt hostile du Pape Clément V était toute personnelle contre 


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AYMERIC DE PLAISANCE 


mieux se démettre volontairement que d’attendre une déposition, 
cela me semble très naturel 1 . 

En tous cas, cette mise en demeure n’a dû lui être signifiée 
qu’après la bulle de convocation. Dans cette bulle, le Pape parle 
à Maître Aymeric sur un ton de commandement, qui prouve qu’il 
entendait bien le voir à Vienne en tant que Maître Général. 

Sa démission tranchait toutes les difficultés. La Cour romaine, 
demeurant en France, était en lieu d’espérer que le Maître futur 
serait Français. Translate* sacerdotio , comme dit Sébastien de 
Olmedo, translatif) legis fienda erat *. 

Le concile de Vienne se réunit donc sans la présence de Maître 
Aymeric, redevenu simple religieux. L’Ordre n’avait point de 
Maître Général. Trois cents évêques étaient présents, assistés d’in¬ 
nombrables abbés, prieurs et prélats. « Dans le nombre, dit Sébas¬ 
tien de-Olmedo, il y avait tant d’évêques de l’Ordre des Prêcheurs, 
qu’on en était stupéfait, même jaloux 3 . » Philippe le Bel s’assit à 
côté de Clément V. Or, parmi ces évêques, presque tous, sauf 
ceux de France, avaient acquitté les Templiers. Aussi, malgré la 
présence du roi, malgré les intrigues les plus éhontées, l’Église, 
— car c’était l’Église qui était à Vienne, — ne condamna pas 
l’Ordre du Temple. Le décret Ad providam, lu devant les Pères 
et accepté par eux, déclare « qu’on ne pouvait, selon la saine 


Maître Aymeric. Nous verrons bientôt qu’il combla l’Ordre de ses faveurs. 

Il commença ses largesses au nouveau monastère des Prèchcresses de Poissy, 
fondé, on s’en souvient, comme un témoignage de vénération pour le roi saint Louis 
et en souvenir de sa canonisation. (Cf. Bull. Ord,, II, p. 121 et ss.) 

Toutes les faveurs accordées par le Pape le sont pour être agréable « à son cher 
fils, Philippe, roi de France » : comme la fondation d’un couvent de Frères à côté 
de celui des Sœurs (B. Sinceram, Ms. arch. Ord., I, 19 bis); le droit d’absoudre, pour 
une fois, toutes les Sœurs, avec tous les pouvoirs du Pape (B. De favoris, Ms. 
arch. Ord., ibid) ; la jouissance des privilèges de l’Ordre (B. Cum sicul. Bull. Ord., II, 
p. 121); l’exemption des dîmes (B. Mérita sacræ, Ms. arch. Ord., ibid.); l’exemption 
de toute redevance, prestation, secours aux légats, aux nonces, etc... (B. Sacra 
vestra religio, Ms. arch. Ord., ibid.); le droit, pour la Prieure, de parler à table 
avec ses sœurs, en dehors du réfectoire (B. Religionis tuæ, Ms. arch. Ord., ibid.); 
l'exemption de l’Ordinaire (B. Circumspecta, Ms. arch. Ord., ibid.}; et plusieurs 
autres privilèges d’indulgences. 

Dans une lettre au Provincial de Lombardie, poiir lui accorder la fondation d’un 
couvent à Osimo, Clément V, parlant de l'Ordre, s'exprimait en ces termes : 
« Quanto Fratrum Prædicatorum Ordo inter alios Ordines ampliori gratia meri- 
torum, prerogationc virlulum, et tanquam religionis spéculum et exemplar majori 
claritate resplcndet, tanto libentius, animarum considerato profectu, ad propagatio- 
nem ipsius presertim in locis idoneis in quibus ex illo fructus uberior expectatur, 
Apostolici favoris gratiam impertimus. » Ms. arch. Ord., I, 19 bis.) 

1 Mais il est certain qu’il n’a pas été absous ou déposé, comme le dit Galvanus. 
Les Actes témoignent officiellement qu’il a demandé humblement que l’on voulût 
bien admettre sa démission. 

2 Sébastien de Olmedo, Chron., p. 521, lib. XIV-26. Ms. arch. Ord. 

3 « Dcnique numerati sunt in concilio Vicnnensi Ecclesiarum pontificcs ex Ordine 
tôt, ut multis stupor, nonnullis livor fieret. » (Sébastien de Olmedo, Chron., p. 52. 
— Cf. Fontana, Monumenta, p. 164.) 

On se rappelle qu'il y avait alors près de cent cinquante évêques dominicains. 


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CHAPITRE III 


471 


justice, condamner l’Ordre lui-même; cependant, comme les accu¬ 
sations portées contre ses membres l’avaient déshonoré ; comme il 
était odieux au roi de France; comme ses biens seraient fatalement 
dilapidés, au grand dommage de la Terre Sainte, si on entrepre¬ 
nait un procès en règle, le Pape, d’accord avec le saint concile, 
supprimait l’Ordre, non par sentence définitive, mais par voie de 
provision et de règlement apostolique 1 ». C’était, au fond, la chose 
principale pour les conseillers de Philippe le Bel. Que l'Ordre du 
Temple fût reconnu coupable et condamné comme tel, cela ne leur 
importait qu’autant que cette condamnation servait leurs intérêts : 
la simple suppression suffisait. Les Templiers disparus, leurs biens 
se trouvaient vacants. Il fut décidé, à la vérité, sur la demande 
de l’Espagne, que ces biens iraient aux Hospitaliers. Mais « ce 
transfert fictif n’empêcha pas la Couronne de retenir la meilleure 
part. D’abord les dettes du roi envers l’Ordre furent éteintes, car 
les canons défendaient de payer leur dû aux hérétiques. En outre, 
il avait saisi tout le numéraire accumulé dans les banques du 
Temple. Il alla plus loin, lorsque les dépouilles des Templiers 
eurent été officiellement attribuées à l’Hôpital : il prétendit que 
ses anciens comptes avec le Temple n’ayant pas été réglés, il 
restait créancier de l’Ordre pour des sommes considérables, dont 
il était d'ailleurs hors d’état de spécifier le montant 5 ... » 

Nogaret avait atteint son but : les biens du Temple étaient au 
pillage. 

La sentence de suppression Ad providam est du 2 mai 1312. Mais 
cette suppression de l’Ordre n’arrêtait nullement les procès intentés 
à chacun de ses membres. Le procès de l'Ordre était fini, au moins 
provisoirement ; le procès des Templiers pris individuellement con¬ 
tinuait. Il y eut encore de nombreuses victimes. Deux ans après, 
le 18 mars 1314, Jacques de Molai, Grand-Maître de l’Ordre, et le 
Précepteur de Normandie, Geoffroi de Charnai, montaient sur le 


1 Sentence de Clément V, contre les Templiers, au concile de Vienne : « Ad provi¬ 
dam... Dudum siquidem ordin'em domus militiæ Templi Hierosolimitani, propter 
Magistrum et fratres, cæterasque personas dicti Ordinis in quibuslibct mundi par- 
tibus consistentes, variis et diversis non tam nefandis quam infandis, proh dolor! 
errorum et seelerum obscænitatibus, pravitatibus, maculis et labe respersos, quœ 
propter tristem et spurcidam eorum memoriam præsentibus subticemus, ejusque 
ordinis statum habitum, atque nomen, non sine cordis amaritudine et dolore, sacro 
approbante concilio, non per modum diflinitivœ sententiæ , cum eam super hoc 
secundum inquisitiones et processus super his habitos, non possemus ferre de 
jure, sed per viam provisionis, seu ordinationis apostolicœ, irrefragabili et perpe- 
tuo valitura sustulimus sanctionc, ipsum prohibitioni perpetuæ supponentes : dis- 
trictus inhibendo ne quis dictum ordiuem de cælero intrare, vel ejus habitum 
susciperc vel portare aut pro Templario se gerere præsumeret. Quod si quis contra 
faceret, excommunicationis incurreret sententiam ipso facto... » (Labbe, SS. Conci¬ 
lia , XI, p. 1557. — Rainaldi, IV, p. 546.) 

* E. Lavissc, op. cil., p. 198. 


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AYMERIC DE PLAISANCE 


bûcher, dans l’île des Juifs *, en face du quai des Augustins. Aupa¬ 
ravant, sur le parvis de Notre-Dame, ils avaient protesté de leur 
innocence et rétracté leurs aveux : « Nous avons trahi l’Ordre pour 
sauver nos vies ! » Ils moururent avec courage. 

Les Templiers étaient-ils coupables des crimes dont on les accu¬ 
sait? Beaucoup ne le croient point. Qu’il y ait eu dans la masse de 
nombreuses défaillances individuelles ; que des chevaliers se soient 
laissés déborder par leur vie de soldat, et, peu chastes dans leurs 
mœurs, aient scandalisé les fidèles, cela est très probable; mais que 
tous, en prenant l’habit de l’Ordre, se soient voués, par des rites 
sacrilèges et obcènes, à une vie infâme, il est difficile de l’admettre 4 . 
Pareille institution eût soulevé le cœur à plus d’un. 

Quoi qu’il en soit, — car cette thèse n’est pas de mon ressort, -r- la 
procédure odieuse que Nogaret fit employer contre eux; les juge¬ 
ments favorables de presque tous les évêques, en dehors de France; 
les dénégations des accusés ; le pillage de leurs biens, qui indique 
clairement le but poursuivi par la Cour de France; les réserves 
du décret Ad providam justifient largement la volonté de Maître 
Aymeric de ne point paraître dans leur procès. En défendant leur 
cause, ou en s’abstenant dans leur condamnation, comme il 
semble bien qu’il l’eût fait, il aurait attiré sur les Prêcheurs les 
foudres de Clément V et de Philippe le Bel. En se dérobant, par 
sa démission, il ne perdait que lui-même. 

Pendant que le bûcher de Jacques de Molai flambait à Paris, 
que Clément V mourait d’affreuse maladie un mois après (20 avril), 
Philippe le Bel, cette même année (29 novembre), à l’âge de qua¬ 
rante-six ans, et, avant eux, le plus grand criminel, Nogaret; 
Frère Aymeric vivait à Bologne dans le calme et la paix de la soli¬ 
tude. Il y passa seize ans et mourut plein de jours et de mérites, 
honoré de tous, le 19 août 1327. Les Frères l’ensevelirent devant 


1 « L'île aux Juifs ou à la Gourdaine. Elle a porté différents noms; il est difficile 
de lui assigner tous ceux qu'elle a reçus, sans craindre de les confondre avec les 
noms d’une île voisine pareillement inhabitée, et à laquelle, lors de la reconstruc¬ 
tion du Pont-Neuf, elle a été réunie. 

L’île aux Juifs avoisinait le jardin du Palais et le couvent ou le quai des Augus- 
tins. 

C’est dans cette île que furent brûlés vifs Jacques de Molai, Grand-Maître des 
Templiers, et Guy, Commandeur de Normandie. Bientôt après, l’abbé de Saint- 
Germain-des-Prés, seigneur de cette île et de l'ile voisine, se plaignit au roi de ce 
que, par cette exécution, il avait attenté aux droits de sa seigneurie. Philippe le 
Bel, dans sa réponse, désigne ainsi cette île : « Dernièrement, à Paris, dans une 
isle de la Seine, située près de la porte de notre jardin, entre notre dit jardin et 
un bras de la rivière, entre un autre bras de la rivière et le couvent des Auguslins, 
furent exécutés et brûlés deux hommes ci-devant templiers. » (Dulaure, Histoire de 
Paris , II, p. 284.) 

Ainsi, sans se déranger, des fenêtres du palais ou dans son jardin, Philippe, avec 
scs amis, put jouir k son aise du supplice du Grand-Maître du Temple. 

* Cf. Rainaldi, IV, p. 546 et ss. 


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CHAPITRE III 


473 


l'autel de saint Alexis 1 . C'était son saint préféré. Étant Général, 
il avait introduit sa fête dans la liturgie dominicaine*. Reposer 
à ses pieds, jusqu’au jour glorieux de la résurrection, fut sa su¬ 
prême prière et son dernier hommage au protecteur bienfaisant 
qu’il avait aimé et imploré pendant sa vie. 


1 Taegio, Chron. ampliss., II, p. 31. Ms. arch. Ord. 

* Acta Cap., II, p. 11, Chap. de Gênes, 1305; p. 16, Chap. de Paris, 1306; p. 24, 
Chap. de Strasbourg, 1307. Les leçons de l'office sont jointes aux Actes. (Ibid., 
p. 30.) 


BIBLIOGRAPHIE 

M. Souchon, Die Papstwahlen von Bonifaz VIII bis Urban VI. 1888. 

L. Leclère, VÉlection du pape Clément V, dans les Annales de la Faculté de 
philosophie de Bruxelles, 1889. 

R. Holtzmann, Wilhelm von Nogaret. 1897. 

Renou (Histoire littéraire , xxvii, xxvm, 1881. Idem, Revue des Deux-Mondes, 
1872, t. XCVIII). 

E. Boutaric, la France sous Philippe le Bel. 1861. 

J. Michelet, Procès des Templiers (Collection de documents inédits surl’his- 
toire de France, 1841-1851). 

K. Schottmüller, Der Untergang des Templer-Ordens. 1887. 

H.-C. Lea, History of the Inquisition of the middle âges, III. 1888. 

Revue des Deux - Mondes, janvier 1891. 

Sur cette question des Templiers, qui a été traitée par une foule d’auteurs, 
consulter la Revue historique, mai 1889; YArchivio storico-italiano t 1895. 

J. Gmelin; Schuld oder Unschuld des Templer-Ordens, 1893. On y trouvera 
une bibliographie complète. 

Ehrle, Archiv für litteratur und Kirchengeschichte des Miitelalters, IV, pour 
les actes du concile de Vienne. 


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BÉRENGER DE LANDORE 

TREIZIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

1312-1317 


CHAPITRE I 

SON ACTION A L’INTÉRIEUR 


Les Pères Capitulaires de Naples ayant désigné Carcassonne 
comme lieu du futur Chapitre 1 , en 1312, le pouvoir intérimaire 
revenait de droit au Provincial de Toulouse. A ce titre, Bérenger 
de Landore assista, comme Vicaire Général de l’Ordre des Prê¬ 
cheurs, au concile de Vienne*. Son action personnelle, au milieu 
des graves décisions prises par cette assemblée, demeure In¬ 
connue. 

On sait que, outre l’affaire des Templiers et quelques actes con¬ 
cernant la foi, le concile de Vienne s’occupa des Ordres régu¬ 
liers. C’était toujours l’éternelle question des privilèges des Men¬ 
diants qui revenait sur l’eau à chaque réunion épiscopale. De 
part et d’autre, il y eut des rapports de grande valeur juridique : 
les uns tendant à mettre en lumière les inconvénients de ces pri¬ 
vilèges 3 ; les autres prouvant, par des raisons supérieures, que ces 
mêmes privilèges rendaient aux âmes les services les plus signa¬ 
lés et confirmaient aux yeux de toute l’Eglise l’autorité univer¬ 
selle et immédiate du Siège apostolique 4 . Cette dernière raison, si 
profondément vraie, fut, en réalité, le rempart des Mendiants. Ils 
s’abritaient sous le Pape. C'était une excellente tactique, dont le 
succès ne les trompa jamais. 

1 Acta Cap., Il, p. 55. 

* Echard, I, p. 51 i. 

3 Cf. Rainaldi, IV, p. 563. 

4 Ibid. Traité sur l'exemption de Jacques, abbé cistercien, du diocèse de Scnlis. 


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BÉRENGER DE LANDORE 


Cependant, tout en conservant intacte l’exemption des Ordi¬ 
naires et tout en maintenant aux Mineurs et aux Prêcheurs cer¬ 
tains privilèges, il y eut un recul prononcé. Sur les instances 
du concile, instante concilio Clément V cassa la bulle de 
Benoît XI* et remit en vigueur celle de Boniface VIII : Super 
cathedram 3 . La raison mise en avant est que, loin d’avoir fait la 
paix entre séculiers et réguliers, la bulle de Benoît XI avait ral¬ 
lumé la guerre 4 . C’est absolument le même motif qu’alléguait 
Benoît XI en cassant la bulle de Boniface VIII. Il fallut bien se 
soumettre, bon gré mal gré, à la décision du concile. Mais cette 
soumission fut loin d’être pacifique. 

Il ne faudrait pas conclure de cet acte que Clément V eût pour 
les Prêcheurs, en particulier, des sentiments peu favorables. Le 
contraire est plutôt vrai. 

Qu’il n’aimât point le Lombard Maître Aymeric de Plaisance, 
on ne peut guère en douter; mais il avait à ses côtés son grand 
électeur, Frère Nicolas de Prato, dont l’habileté et le dévouement 
le tirèrent de plus d’un mauvais pas. Il reçut des Inquisiteurs de 
France un appui très précieux dans l’affaire des Templiers. C’était 
un service personnel que Clément V ne pouvait oublier. Aussi 
nous le voyons créer, pendant son pontificat, trois cardinaux domi¬ 
nicains : Frère Thomas de Jorz, un Anglais, du titre de Sainte- 
Sabine 5 ; Frère Nicolas de Fréauville 6 , confesseur de Philippe le 
Bel, du titre de Saint-Eusèbe, tous les deux en 1305; Frère Guil¬ 
laume de Godin 7 , Français également, du titre de Sainte-Cécile, en 
1312. Il y eut donc, avec Frère Nicolas de Prato, quatre reli¬ 
gieux dominicains dans le Sacré-Collège. De plus, Clément V, 
pendant huit ans et quelques mois de règne, prit parmi les 


1 Corpus Juris canonici, II, p. ^162. Ed. Friedberg, Leipsig, 1881. 

* Ibid. 

» Ibid. 

* « Quæ quid, ut probavit cffectus , nedum pacis ab auctore ipsius speralæ 
fructum non attulit, quinimmô discordiæ, pro qua sedanda processerat, fomentum 
non modicum ministravit... » ( Corpus Juris, loc. cit.) 

B Anglais de naissance, Maître d’Oxford. Il fut Provincial d’Angleterre pendant 
sept ans. Devenu cardinal, il fut envoyé par Clément V, comme légat, à l’empe¬ 
reur Henri de Luxembourg. Arrivé à Grenoble, il mourut le jour de sainte Lucie, 
13 décembre 1310. Son corps fut transporté à Oxford et enseveli dans le couvent 
des Prêcheurs. (Cf. Echard, I, p. 508-509.) 

6 Frère Nicolas de Fréauville nous est déjà connu. C’est le confesseur de Phi¬ 
lippe le Bel. Après avoir traite, comme cardinal, les affaires les plus délicates 
entre la Cour de France et le Saint-Siège, il mourut à Lyon, le 14 février 1324. 
(Ibid., p. 555.) 

7 Frère Guillaume de Godin était de Bayonne, Maître de Paris, dernier Provin¬ 
cial de toute la Provence avant la division (1303) et premier Provincial de Tou¬ 
louse cette même année. Il devint Maître du Sacré - Palais, sous Clément V, puis 
cardinal, en 1312. Après une légation en Espagne, sous Jean XXII, il mourut à 
Avignon le 4 juin 1336. C’était un des personnages les plus remarquables de son 
temps. (Ibid., p. 59J-592.) 


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CHAPITRE I 


477 


Prêcheurs cinquante-quatre évêques 1 . On ne pouvait leur rendre 
un plus splendide hommage. 

En souvenir même du concile de Vienne, et sur les instances 
des consuls et de la commune, il autorisa la fondation d’un 
couvent de Prêcheurs dans cette ville *. C’est à lui également que le 
couvent royal des Prêcheresses de Poissy, mémorial de la cano¬ 
nisation de saint Louis, dut ses plus amples privilèges 3 . 

L’élection du nouveau Maître Général allait donc se faire en 
de bonnes conditions. Les Pères se réunirent à Carcassonne, le 
14 mai 1312 4 ; Frère Bérenger de Landore, Provincial de Toulouse, 
présidait. Les électeurs étaient au nombre de quarante-cinq, dont 
seize Provinciaux* : Frère Loup, Provincial d’Espagne; Frère 
Hervé, Provincial de France, Maître en théologie; Frère Phi¬ 
lippe, Provincial de Rome; Frère Raynaldo, Provincial de Sicile; 
Frère Henri, Provincial d’Allemagne; Frère Pérégrin, Provincial 
de Pologne; Prère Barbois de Béziers, Provincial de Grèce; Frère 
Roméo, Provincial d’Aragon, Maître en théologie; Frère Guillaume 
de Laudun, Provincial de Provence; Frère Barnabé de Verceil, 
Provincial de la Lombardie supérieure; Frère Bérenger de Lan- 
dore, Maître en théologie, Provincial de Toulouse; Frère Conrad, 
Provincial de la Lombardie inférieure; Frère Nicolas, Maître en 
théologie d’Oxford, Provincial d’Angleterre; Frère Canut, Pro¬ 
vincial de Dacie; Frère Dislao, Provincial de Bohême; Frère Jean 
de Busco, Provincial de Saxe. Il ne manquait que les Provinciaux 
de Terre Sainte et de Hongrie 5 . 

Si Ton en croit Galvanus de la Flamma, l’élection fut pénible. 
Mais cet auteur, — nous l’avons déjà remarqué pour le bienheu¬ 
reux Humbert de Romans, — a la dent venimeuse. Il raconte 
donc que le cardinal de Prato écrivit aux Pères du Chapitre, 
pour leur recommander de ne point élire Frère Bérenger de Lan¬ 
dore, parce qu’il était d’une honnêteté douteuse 6 . Et le chroni- 

1 Bail. Ord., II, p. 124 et ss. 

* Ibid., p. 120. B. Pin devotornm, 8 septembre 1311. 

8 Ibid., p. 121, B. Cam sicnt carissimus, 8 avril 1312; p. 122, B. Dignum est; 
p. 122, B. Vite perennis; ibid., B. Cupientes; p. 123, B. Sub religionis, 12 juin 1313. 

* Echard, I, p. xvn. 

8 « Anno Domini M.CCC.XII, tercio idus maii in Vigilia Pentecostes in conventu 
Carcassone celebrata fuit electio Magistri ordinis, fuitque electus in Magistrum 
frater Bercngarius de Landora, magistcr in theologia, oriendus de diocesi Ruthe- 
nensi; erat autcm tune prior provinciaiis provincie Tholosane. Erant autem XLV 
numéro electores, inter quos erant priores provinciales XVII... » Est-ce erreur du 
chroniqueur ou du copiste, mais il annonce dix-sept Provinciaux, et il n’en donne 
que seize. (Acta Cap., II, p. 56.) 

8 « Ad istud Capitulum scripsit dominus Ostiensis supradictus (Fr. Nicolaus de 
Prato). Quod nullo modo fieret frater Berengarius, quia ipse erat unus barattarius, 
et vere sic erat, et fuerunt multe dissensiones, quia Magistcr Guillelmus Pétri VIII 
voces (habuit) et frater Berengarius prevaluit. » (Galvanus, Cron., p. 107-108. Ed. Rei- 
chert.) 

Le terme injurieux de barattarius signifie un homme qui trompe , qui fraude 


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478 


BÉRENGER DE LANDORE 


queur ajoute : « C'était la vérité. Et vere sic erat { . » Il aurait 
préféré Frère Guillaume Pierre de Godin, ancien Provincial de 
Provence et de Toulouse, depuis la division, Maître en théologie*. 
Il est possible que le cardinal de Prato ait eu ses préférences et 
qu’il ait envoyé son veto contre Frère Bérenger de Landore. Mais 
cet acte semble bien étonnant. Bernard Gui, qui connaissait par¬ 
faitement Frère Bérenger de Landore et qui raconte les faits prin¬ 
cipaux de sa vie publique, ne souffle mot de cette intervention. Il 
dit simplement qu’il eut au premier scrutin trente-six voix sur 
quarante-cinq, et que les dissidents se rallièrent aussitôt à sa 
candidature 3 . Nous sommes loin des dissensions dont parle le 
chroniqueur lombard, et il semble, au contraire, qu’une élection, 
à une majorité si forte, s’est passée dans la paix et la concorde. 
C’est ce qu’affirme Bernard Gui, dont les renseignements sont 
plus graves et plus sûrs que ceux de Galvanus. 

Rien non plus ne permet d'accepter l’injure qu’il fait au nou¬ 
veau Maître de l’Ordre. 

Frère Bérenger de Landore était originaire d’une noble famille 
de l’Auvergne 4 . Né à Rodez vers l’an 4262, il prit l’habit des 
Prêcheurs, à Toulouse, le 10 mai 1282 5 . Il avait donc une ving¬ 
taine d’années. En 1290, il est Lecteur de physique ou Naturaram 
à Brives 6 ; deux ans après, le Chapitre provincial de Brives l’envoie 
comme étudiant aux Études générales de Montpellier 7 ; puis il 
passe à Saint-Jacques de Paris 8 . Revenu dans sa province, on le 
nomme Prédicateur Général au Chapitre de Marseille (1300 9 ); 


dans le commerce, auquel on ne peut se fier comme honnêteté. (Cf. Duc ange. 

1 . 1 .) 

Le sens est le même en italien, baraitiere. 

» Ibid. 

* Cf. Echard, I, p. 591-592. 

3 « Cum essent XLV (en un autre endroit Bernard Gui dit XLVL, parce qu’il 
compte le Provincial de Terre Sainte, Echard, I, p. 515) numéro electores, in primo 
scrutinio XXXVI (ailleurs XXXVII) ipsum in magistrum ordinis nominaruut, c«de- 
risque omnibus acccdentibus et consentientibus in eumdcm, clectus est concordi- 
ter et in pace. Erat tune provincialis provinciæ Tolosanæ et Vicarius Ordinis... « 
(Echard, I, p. 516.) 

4 Voici ce que dit Echard, d'après François Bosquet, évêque de Montpellier, sur 
la famille de Landore : « Gens de Landora ditionis Rutcnensis præcipua fuit, et 
antiquioris nobilitatis, cujus nomen nulla licet arx castrum aut oppidum habcal, 
ditio tamen apud Rutenos hoc nomen Landoræ usurpât, cujus et præcipuum oppi¬ 
dum ac feudum est Solomedium vernacule Solmiech vel Solmicz : quæ Landora 
familia jam ante annos ducentos in familiam ejusdem Gentis Rutenorum de Slagno, 
Gallice d’Estaing etiamnum florentem et præcipuam coaluit et transiit... » (Echard, 
I, p. 515.) 

5 Ibid., p. 514. 

6 Acta Capilul. Prov., p. 335. Chap. de Pamicrs. Ed. Douais. 

’ Ibid., p. 361. 

8 Echard l’affirme, I, p. 514 ; mais les Actes des Chapitres provinciaux n*en disent 
rien. (Cf. Acta Capitul. Prov. Ed. Douais.) 

9 Ibid., p. 455. 


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CHAPITRE I 


419 


Lecteur à Toulouse, au Chapitre d’Agen (1301 1 );. Définiteur pour 
le Chapitre provincial de Carcassonne (1302 2 ); Socius du Défini¬ 
teur pour le Chapitre général de Gênes ( 1304 3 ) ; c’est là que les 
Pères le désignèrent pour lire les Sentences à Paris et prendre ses 
grades 4 . Il venait d’être fait Bachelier en théologie, lorsque les 
Pères de sa province, au Chapitre de Figeac (1306) le choi¬ 
sirent comme Provincial 5 . Il gouverna la province de Toulouse 
pendant deux ans. Au Chapitre de Padoue, le 9 juin 1308, il fut 
absous de sa charge, afin qu’il pût aller à Paris, pour enseigner 
et recevoir la barrette de Maître en théologie 6 . En 1310, au Cha¬ 
pitre de Pamiers, il était réélu Provincial 7 . 

D’après ces détails, tous très honorables, sur la vie de Frère 
Bérenger de Landore, il est difficile d’admettre qu’il ait été no¬ 
toirement d’une honnêteté si douteuse, que le cardinal de Prato 
ait pu le dénoncer et le repousser comme indigne en plein Cha¬ 
pitre général. Tous les autres chroniqueurs s’accordent pour rendre 
témoignage à sa parfaite honorabilité 8 . 

C’était avant tout un homme d’étude. Professeur, pendant de 
longues années, il continua l’œuvre de Maître Aymeric de Plai¬ 
sance, en veillant avec une jalouse attention à tout ce qui pouvait 
promouvoir les études ou leur nuire. Les Chapitres généraux sont 
pleins de cette sollicitude. Sans négliger les autres observances 
de l'Ordre, il y a une impulsion toujours plus accentuée vers le 
côté doctrinal. On dirait même, — et certains Chapitres l’accusent, 
— que c’est une réaction violente contre un alanguissement 
général. 

Dès son Chapitre d’élection, en 1312, on lit : « Nous voulons 
et nous ordonnons que les Prieurs soient plus attentifs à l’instruc¬ 
tion et à la formation des jeunes religieux, même après leur pro- 


1 Acta Capital. Prov., p. 458. Ed. Douais. 

* Ibid., p. 467. 

3 Echard, I, p. 514. 

4 Les Acta Cap. de 1305, à Gênes, n’en parlent point; mais ces désignations ne 
sont pas relatées d’ordinaire. (Cf. Acta Cap., II, p. 14. — Echard, I, p. 514.) 

8 Ibid. — Douais, les Frères Prêcheurs en Gascogne, p. 373. Paris, 1885. 

6 « Absolvimus priores provinciales... et Tholosane provincic, ex eo quod, cum 
sit licentiatus de novo ad magisterium théologie, debet in Parisiensi studio rcma- 
nere pro officio magisterii exercendo. » (Acta Cap., II, p. 26. Chap. de Padoue, 
1308.) 

7 Echard, I, p. 514. — Douais, op. cit., p. 374. 

• « Anno Domini MCCCXII, electus est in Magistrum Ordinis Carcassonc frater 
Bcrengarius Magister in Theologia, Provincialis Tholosan. Vir fama, opinionc et 
sciencia clarus. « ( Chron. Ord., p. 20. Ed. Reichert, 1904 [xv e siècle].) 

« Hic fuit homo magne religionis et discretionis, in verbo autem gratiosus valdc 
et magne austeritatis, promotor et zelator Ordinis. » (Chron. Urbevetana, lib. OO, 
p. 19. Ms. arch. Ord. [xv« siècle].) 

« Gallicus fuit ex dioecesi Ruthenensi, scientia et natu nobilis, multiplici pruden- 
tia probatus et nolus alquc in regimine fratrum justus et miscricors habitus. »> 
(Sébastien de Olmedo, Chron. nova, p. 53. Ms. arch. Ord. [xvi e siècle].) 


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480 


BÉRENGER DE LÀNDORE 


fession. On évitera de les faire sortir ; on ne les mettra aux études 
qu'après une solide instruction des choses de la religion et de 
l'observance 1 . » 

Et Tannée suivante : « Comme notre Ordre a été fondé spé¬ 
cialement en vue du salut des âmes, et qu’on ne peut atteindre ce 
but que par une science suffisante des Écritures, nous voulons et 
nous ordonnons que les étudiants de toute Faculté soient assidus 
aux cours, aux disputes, aux conférences du vendredi et aux répé¬ 
titions selon l'ordonnance du Chapitre de Gênes. Les négligents 
seront dénoncés au Provincial et ne pourront continuer leurs 
études que sur une permission spéciale du Maître Général. Le 
Maître des étudiants doit les accuser au Chapitre des coulpes, 
sous peine d'être absous de sa charge. Les religieux qui ne sont 
plus étudiants sont soumis à cette même loi du travail. S’ils se 
montrent récalcitrants, on doit les punir avec sévérité, leur inter¬ 
dire de confesser*. » 

Cette question des confessions et des prédications, si intime¬ 
ment liée à celle des études, revient sans cesse dans les Chapitres 
généraux. Si Ton se plaint tant ou dehors; si les prélats se 
montrent sévères contre certains religieux, la raison en est 
souvent dans l’insuffisance de ces derniers 3 . On ne travaille plus 
assez, et Ton part en mission sans science, ni divine, ni humaine. 

Sous Maître Bérenger, la doctrine de saint Thomas devient la 
doctrine officielle, obligatoire, de l’Ordre. Au Chapitre de Metz 
(1313), il est dit : « La doctrine du vénérable Docteur Frère 
Thomas d’Aquin étant réputée la plus saine et la plus univer¬ 
selle , et notre Ordre étant tenu de la suivre plus que tout autre, 
nous défendons strictement que nul parmi les Frères, en lisant, 
en définissant, en répondant, ait l'audace d’affirmer une sentence 
contraire à cette doctrine, ou de rapporter et d’approuver une 
opinion particulière, contraire au sentiment commun des docteurs 
dans les choses qui concernent la foi ou les mœurs, si ce n’est 
pour la réprouver et la réfuter immédiatement. Tout délinquant 
sera destitué de son office de professeur, ou, s’il est encore étu¬ 
diant, renvoyé des études. De plus, si ces opinions ont soulevé 
quelque scandale, le coupable recevra un châtiment exemplaire 4 . » 

1 Acla Cap., II, p. 58. Chap. de Carcassonne, 1312. 

2 Ibid., p. 64. 

3 « Cum ex insufficiencia predicancium et confessiones audiencium Ordo noster 
veniat in contemptum et vergat in periculum animarum et plerumque sequatur 
scandalum prelatorum, volumus et ordinamus quod non exponantur ad actus pre- 
missos nisi ad hoc idonei, moribus et sciencia approbati, matura super hoc delibe- 
rationc premissa... » (Acta Cap., II, p. 56. — Ibid., p. 64. Chap. de Mets, 1313.) 

4 « Cum doctrina Venerabilis doctoris fratris Thome de Aquino sauior et com- 
munior reputetur, et eam ordo noster specialiter prosequi teneatur, inhibemus di- 
stricte, quod nullus frater, legendo, determinando, respondcndo audeat assertivc 


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CHAPITRE I 


481 


C’est déjà, dans la pratique, avant tout serment, l’obligation 
absolue, pour les Lecteurs dominicains, de suivre la doctrine de 
saint Thomas. Qui s’en écarte doit être destitué. 

Pour la première fois également, on impose aux Lecteurs et aux 
étudiants l'obligation de prendre comme manuel d'enseignement 
ou d’étude les œuvres de saint Thomas. Jusque-là, les cours de 
théologie n'étaient que des commentaires sur l'Ecriture sainte et 
les Sentences de Pierre Lombard. L’Écriture sainte demeure le 
livre du Maître en divinité; mais on ajoute cet élément nouveau : 
« Dans la leçon sur les Sentences, les Lecteurs traiteront au moins 
trois ou quatre articles de la doctrine de Frère Thomas. Ils au¬ 
ront soin d’éviter des longueurs inutiles 1 . » Quant aux étudiants, 
ils ne pourront plus être admis aux cours de Saint-Jacques de 
Paris, avant d’avoir étudié soigneusement trois ans au moins la 
doctrine de saint Thomas*. 

Pierre Lombard est détrôné. Cette doctrine de saint Thomas 
prenait chez les Prêcheurs la première place, et bientôt elle la 
prendra dans l’Église entière. 

A chaque Chapitre, on insiste sur cette urgente nécessité de se 
livrer à l’étude. Il est visible qu’il y avait des résistances locales 
et des négligences coupables; mais il est visible aussi que Maître 
Bérenger et les Capitulaires entendaient se faire obéir 3 . 

Tout le Chapitre de Bologne, ou à peu près, en 1315, est con¬ 
sacré à ce grave sujet. Les doléances des Pères, leurs préceptes, 
leurs avertissements, leurs menaces révèlent la vraie situation 
de l’Ordre vis-à-vis de l’étude. Ils disent : « L’affaiblissement de 
l’étude et de la science, nous le confessons avec douleur, devient 
manifeste en plusieurs provinces 4 . » Les remèdes qu’ils ordonnent 
signalent les causes principales des abus qu’ils déplorent. 

Les étudiants étaient fort négligés dans les nécessités de la vie. 


tenere contrarium ejus, quod communiter creditur de opinionc doctoris predicti, 
nec recitare , aut confirmare aliquam singularum opinionem contra communem 
doctorum sentenciam in hiis que ad fidem vel mores pertincre noscunlur, nisi 
reprobando et statim objcctionibus respondendo. Quicumque autem per provincia- 
lem vel ejus vicarium, qui super hiis inquirere teneantur, ex certa sciencia in ali- 
quo premissarum inventus fucrit deliquisse, per eosdem, cum eis légitimé consti- 
terit, a lectoratus officio vel studio absolvatur in penam; si tamen alias de hujus- 
modi sit notatus. Quod si ex talibus opinionibus pertractis scandalum sit subor- 
tum, volumus quod acrius puniatur et ad revocandum nichilominus compcllatur. » 
(Acta Cap., II, p. 64-65. Chap. de Metz, 1313.) 

1 « Lectores... in lectura de sentenciis ad minus très vel quatuor articulos de 
doctrinà fratris Thome pertractcnt, prolixitate onerosa vitata. » ( Acta Cap., II, 
p. 65. Chap. de Metz, 1313.) 

* « Nullus eciam ad studium Parisiense mittatur, nisi in doctrinà fratris Thome 
saltem tribus annis studuerit diligenter. » (Ibid.) 

3 Ibid., p. 72. Chap. de Londres, 1314. 

4 « Cum lapsus studii et sciencie, de quo dolentes refcrimus, in diversis provin- 
ciis, appareat manifeste... » (Ibid., p. 78. Chap. de Bologne.) 

II. - 31 


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482 


BÉRENGER DE LANDORE 


On ne leur donnait pas les vêlements dont ils avaient besoin 1 ; on 
leur refusait, faute de place, les cellules particulières, plus favo¬ 
rables au travail intellectuel* ; on était trop sévère pour leur 
accorder les dispenses destinées à les rendre plus vigoureux et 
plus aptes à supporter la fatigue 3 ; on ne les fournissait pas des livres 
qui pouvaient leur être utiles 4 ; on leur laissait trop de latitude 
pour écrire des sermons 5 ; on leur permettait à tort des sorties 
fréquentes, des relations avec les personnes du dehors, les Bé¬ 
guines surtout, qui dévoraient leur temps 6 ; et même, ces jeunes 
religieux préféraient aux articles de saint Thomas et aux arides 
commentaires sur Aristote les fêtes, les amusements, les comédies 
dont les hommes d'Église, au moyen âge, étaient assez friands 7 . 

C'est au Maître des étudiants qu'il incombe de veiller à ce que 
ces abus divers disparaissent. Les Provinciaux et les Prieurs con¬ 
ventuels, d'autre part, devront s'occuper activement des études 
et prendre les moyens les plus énergiques pour en relever le 
niveau. 

Il est défendu de publier des traités ou des écrits quelconques 
sans l'examen préalable du Maître de l’Ordre 8 . 

Cette sollicitude pour la doctrine n’empêchait pas Maître Bérenger 
de demander aux Prêcheurs le même zèle pour les observances 
pénitentielles. Il est certain qu'il lui fallait lutter contre un cou¬ 
rant qui devenait de plus en plus violent. Les manquements à la 
pauvreté 9 , les voyages incessants 10 , les repas en dehors du réfec¬ 
toire 11 , les sévices entre Frères 1 * se multipliaient outre mesure. 
11 fut même nécessaire d'envoyer en Hongrie des Visiteurs extra¬ 
ordinaires. Les Pères de Carcassonne choisirent, pour cette mis¬ 
sion délicate, Frère Manfred de Parme, Prieur de Venise, et Frère 
Matthieu de Pontiniano, de la province de Sicile. Ils avaient 
pleins pouvoirs 13 . Leur tâche était assez difficile. Au couvent 
d’Agram, ils furent mal reçus par le Prieur, Frère Jean, qui per¬ 
suada à ses religieux de ne pas leur dire la vérité sur l’état de la 
maison. Il en fut sévèrement puni au Chapitre de Metz (1313) : 
privation de toute voix, interdiction de toute charge, — à moins 

1 Acta Cap., II, p. 78. Chap. de Bologne, 1315. 

a Ibid., p. 79. 

3 Ibid. 

4 Ibid., p. 82. 

s Ibid., p. 80. 

® Ibid. 

7 Ibid., p. 70. Chap. de Londres, 1314. 

8 Ibid., p. 65, Chap. de Metz, 1313; p. 93, Chap. de Montpellier, 1316. 

9 Ibid., p. 59. Chap. de Carcassonne, 1312. 

10 Ibid., p. 57. 

11 Ibid., p. 63. Chap. de Metz, 1313. 

is Ibid., p. 70. Chap. de Londres, 1314. 

13 Ibid., p. 61. Chap. de Carcassonne, 1312. 


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CHAPITRE I 


483 


d’une permission du Maître de l’Ordre, — et douze jours au pain 
et à l’eau. 

Des ordonnances de Maître Bérenger aux religieux du couvent 
de Montpellier donnent la mesure de son intervention personnelle, 
pour le maintien de la règle, et de sa rigueur contre les délin¬ 
quants. Je les prends dans le Codex Rutenensis> telles qu’elles ont 
été transcrites à l’époque même. Elles débutent à brûle-pour¬ 
point par une question bien curieuse. Il s’agit de fugitifs, c’est-à- 
dire de personnes qui, pour des motifs graves, n’osaient demeurer, 
même comme voyageurs, dans les bourgs qu’ils traversaient. Au 
couvent, ils se sentaient en sûreté. On les recevait à la sacristie, 
où ils mangeaient et couchaient; on les faisait entrer dans le 
cloître. Il pouvait en résulter des inconvénients très dangereux. 
Ces fugitifs étaient en rupture ou avec la police du roi ou avec 
celle de leurs seigneurs, ou encore avec les officialités ecclésias¬ 
tiques, quelquefois les tribunaux de l’Inquisition. Les accueillir, 
c’était presque devenir leur complice. Ces autorités qui les pour¬ 
suivaient pouvaient se tenir pour lésées dans leurs drôîls et légi¬ 
timement offensées 1 . Maître Bérenger fit un précepte formel de 


1 Ordonnances de Maître Bérenger de Landore au couvent de Montpellier. 

« Cum pro co quod sepius fugitivi in villa non audentes remanerc infra conven- 
tum minus provide sunt reccpti, et ad sacristiam et ad loca alia interiora conven- 
tus, in nostre religionis dispendium sunt admissi, ex quo convcntus et ordo sub- 
jectus extitit periculis et scandalis variis nec non et magnorum virorum ofTensam 
incurrit. Ex hoc ctiam sunt sepe nostra privilégia violata. Ego frater Berengarius 
magister licct indignus, volens predictis periculis efficaciter obviare, de multorum 
discrelorum fratrum hujus convcntus consilio, et assensu, in virtutc sancte obe- 
dientie et spiritus sancti prccipio priori hujus convcntus et hiis qui erunt pro 
tempore nec non et eorum loca tenentibus quod in sacristia nullum fugitivum per- 
mittant comedere aut jacerc, sub codem precepto, interdiccns fratribus universis 
quod ibidem non comedant cum eisdem. Ad caméras autem inflrmitorii seu infir- 
mitorium aut infra claustrum in quacumquc caméra non permittantur jacere nisi 
esset adeo multitudo scolarium notabilis, vel aliarum spcctabilium personarum, 
quibus non posset comode denegari, aut talis persona vel persone cui vel quibus 
non posset sine cjus vel carum evidenti periculo dari repuisa, aut sine convcntus 
gravi dampno vel sine gravium personarum provocatione notabili, et offensa, ex 
quo conventui et ordini possent dampna gravia evenirc et scandala suscitari de 
quibus periculum et offensa convcntusque imminente dampno et personarum con- 
ditione antequam in hac ordinatione per aliquem dispensetur volo quod stetur (?) 
prioris, subprioris, lectorum, magistri studentium, si présentés fuerint in conventu, 
et aliorum presentium in conventu qui hic vel alibi fuerint priores aut subpriores, 
nec non et aliorum VIII antiquorum fratrum de conventu unanimi consilio vel 
saltem duarum parcium et voto concordi, quam ordinationcm precipio inviolabili- 
ter observari. Ceterum cum nostri ordinis honcslati nimium obviet mulieres 
admittere ad cibum infra nos Iras officinas, hocque nostris statutis expresse repu- 
gnet, et audivimus hic sepe contrarium fîcri in missis novis, ex quo multa sunt in 
nostre religionis prejudicium subsccuta, sub ejusdem preccpti districtione prohi- 
beo prioribus et eorum loca tenentibus ut ista fieri de cetcro non permittant. Si 
qui autem priores vel eorum loca tenentes, aut fratres alii ex nunc liarum ordina- 
tionum mearum inventi fuissent temerarii transgressorcs puuiantur per provincia- 
lem vel provinciale capitulum pena inobedie débita et taxata. Item cum circa 
curam infirmorum invenerimus invigilantiam notabilem in conventu, volo quod 
prior de premisso consilio unum fratrem instituât cujus erit facere et intenderc 


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484 


BÉRENGER DE LANDORE 


ne point recevoir ces fugitifs, même à la sacristie, ni pour manger, 
ni pour dormir. Défense absolue également aux religieux d’aller 
manger avec eux. 

On avait aussi l’habitude d'héberger dans les chambres libres 
de l’infirmerie les étrangers de passage. Souvent cela provenait 


circa ista. Hic siquidem frater de consilio medici conventus dato, in absencia fra- 
tris de quo agitur, cum cxposuerit sibi passiones proprias fratres cxponat (?) ad 
comedendum carnes et non aliter, et inde eos cxcludant cum judicavcrit expedire, 
qucmadmodum circa fratres extraneos volo penitus observari. Lectoribus tamen 
et aliis notabiliter debilibus et evidenter gravatis et indigentibus, providebit juxta 
id quod est alias débite consuetum. Providevit autem (?) de pullis et aliis ne- 
cessariis, ita tamen quod pccuniam pro carnibus nulli tradat, sed ordinabit quod 
dentur de carnibus competencia trusta. In sabbato tamen carnes nullum permit- 
tat comcdere, nisi notabilis débilitas vcl imminens infirmitas neccssario hoc re- 
quirat, nec in recreatorio potagium permittat fieri cum critra (?) quacumque nec 
carnes siccas modo aliquo ministrari. Hic etiam de lotione vestium quod fiat 
semel infra unum mensem vel duos curam diligentem habebit. Famulos autem (?) 
ad servicium infirmantium, ad hoc officium utiles ponat et excludat inutiles sicut 
expediens judicabit et nichilominus volo duos conversos pro infirm< rum servitio 
deputari quorum negligentiam si invenerit arguat et prelato corrigendam ostendat. 
Hic autem, quia vix omnibus poterit complacere, volo quod per fratrum accusa- 
tiones a prelatis non permittatur aliqualiter molcstari, nec amoveri ab officio nisi 
efficiatur impotens, vel inveuiatur alias notabiliter vitiosus. Si tamen de nimia 
duricia aut periculosa negligentia circa infirmos, aut parcialitate in ponendo vel 
cxcludcndo posset evidenter argui aut convinci, volo quod de conventu per prio- 
rem de premissorum consilio, auctoritate mea semper (?) excludatur et ad remo¬ 
tum conventum mittatur; hue sine mea licencia nullatenus reversurus. Ad provi- 
dendum autem infirmis volo quod medietatem ceu missarum votivarum et cere 
omnium funerum exccptis candelis que portantur pro oblatione, scilicet totam 
partem que conventum contingit et... que habet de ecclesia ville in qualibet septi- 
mana, et medietatem omnium fructuum et evenientium orti ex integro sine aliqua 
diminutione rccipiat, deductis tamen expensis que pro cultura orti fient et receptis 
coquine necessariis pro conventu medietas pecunic habita pro clausura orti expen- 
datur et non alibi, et alia ut supra dicitur pro infirmis, et precipio illis ad quos 
pertinet quod ista omni fraude seclusa integraliter et fideliter sibi feddant, priorcm 
et cjus locum tenentem hoc modo obligans quod in hoc impedimentum nullatenus 
sibi prestent nec... rccipiant de premissis. Quod si premissa non sufficiant, volo 
quod prior de premissorum consilio superaddat. Volo tamen quod de premissis 
dictus frater priori vel locum tenenti coram aliquibus infra mensem vel duos 
semel rationem reddere teneatur, et si multum de residuo habuerit permitto quod 
prior id possit recipcrc, proviso quod sibi semper... remaneat unde per quindenam 
possit suffîcienter fratribus providere. Esto quod nullus actualiter infirmetur. Item 
volo quod semper quando erunt rccreationes et tempus comedendi carnes pro quo¬ 
libet in infirmotorio comedente, illi qui ista recipiet III denarii assignentur. Item 
ut occasio procurandi cenas, et convivia particularia in hospitio et alibi evitetur 
volo quod per quindenam ante adventum et XL conventus alternatim per choros, 
que altcrnatio fiat per dies vel cbdomadas ad hospitium invitetur ubi legatur con¬ 
tinue ut in conventu tam in prandio quam in cena, ita tamen quod ibi lumen non 
ponatur, nec erunt a complctorio excusati. Ad servitium autem hospicii tam pro 
prima quam secunda mensa duos volo deputari conversos quorum unus... hospicii 
eorum (?)... nec volo studentes hujus provincie in prima mensa in servicio occu- 
pari, nisi esset notabilis fratrum multitudo, aut alique persone notabiles ibi essent, 
sed ad serviendum notari (?) poterunt maxime cum convcrsus non sufficeret vel 
presens non extiterit in conventu. Volo tamen quod studentibus ab hujusmodi ser- 
vitio parcatur quantum (?) bono modo parci poterit maxime tempore lectionum. Ad 
officium (?)... studentes hujus provincie diebus profestis et aliis volo scribi. Stu- 
dium arcium de cetero esse prohibeo in conventu, nec volo quod numerus studen- 
cium hujus provincie ultra XXV aliquatenus se extendat, de quibus volo esse III 
saltcm de villa vel terris hujus conventus si fucrint ad hoc apti. Socios autem sc- 


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CHAPITRE I 


485 


de l'encombrement des étudiants, car à Montpellier il y avait un 
collège d’Études générales ; de ce que les personnes qui deman¬ 
daient rhospitalité occupaient un rang dans la société qui empê¬ 
chait de la refuser; de ce que l’on prévoyait que ce refus serait 
une source d’ennuis, de désagréments, de scandales. Maître Bé¬ 
renger, tout en protestant contre l’usage, tient compte cependant 
des difficultés pratiques. Il défend la chose; mais si le Prieur, le 
Sous-Prieur, les Lecteurs, le Maître des étudiants, les anciens 
professeurs présents dans le couvent et huit des plus anciens reli¬ 
gieux sont d’avis qu’il y a lieu d’enfreindre cette défense, pour 
le bien de la communauté, il autorise, sous ces garanties, l’excep¬ 
tion à la règle*. 

Un autre abus s’était introduit, qui laissait les femmes entrer 
dans les lieux de service du couvent, comme les cuisines, l’office, 
les dépendances. Elles y prenaient même leurs repas 2 . Je me hâte 
de dire qu’à cette époque il n’y avait pas de clôture papale, mais 
simplement une clôture ordonnée par la règle. Ce n’était donc que 
la transgression, grave, sans aucun doute, d’un point des Consti¬ 
tutions : Hocque nostris statutis expresse repugnet z . On se 
permettait ces licences surtout pour les premières messes des nou¬ 
veaux prêtres. Inutile d’insister sur les inconvénients qu’y voyait 
Maître Bérenger. Au nom de l’obéissance, il interdit cet usage 
et menace les transgresseurs , Prieurs et Vicaires, même les 
simples religieux, d’une sévère pénitence 3 . 

Les malades étaient assez négligés. Ceux qui jouissaient des lar¬ 
gesses de leurs parents ou de leurs amis étaient entourés de soins ; 
les pauvres Frères, dénués de ressources personnelles, manquaient 
parfois du nécessaire. Un Frère doit être désigné pour s’occuper 
des infirmes, et, sur l’avis du médecin conventuel, leur fournir une 
nourriture plus réconfortante 4 . On évitera toutefois de servir de 
la viande sans nécessité; jamais le samedi, à moins d’urgence. 
L’infirmier chef aura sous ses ordres deux convers, et, s’il en est 
besoin, des domestiques. Et Maître Bérenger, qui connaissait 
bien les hommes, ajoute: « Comme il est difficile, en cette charge, 
de plaire à tout le monde, je veux que les Prieurs ne laissent pas 
les Frères molester l’infirmier par leurs accusations au Chapitre 

cundi lectoris biblici, et magistri studencium volo includi sub numéro pretaxato, 
atque per provincialem de studentibus hic positis, eis pro sociis assignentur. Alias 
autem meas ordinationes factas aliis (?) in conventu, volo in suo robore permanere. 
Datum in Montepessulano anno Domini M°. CGC 0 . XIIII. XIIII Kalendas Marcii. » 
(Codex Rutenensis, Ms. arch. Ord. [xm e siècle], p. 188-189.) 

1 Cf. Ordonnances de Bérenger de Landore..., p. 483-484. 

* Ibid. 

* Ibid. 

« Ibid. 

* Ibid. 


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486 


BÉRENGER DE LANDORE 


et qu’on ne le change pas d'office, à moins qu’il ne soit impotent 
ou par trop vicieux : Nisi efficiatur impotens, vel inveniatur alias 
notabiliter vitiosus. Si cependant l’infirmier devenait dur pour 
les malades, ou négligent, ou partial, je veux que le Prieur, agis¬ 
sant en mon nom, le casse et qu’il soit envoyé dans un couvent 
éloigné, d’où il ne reviendra pas sans ma permission expresse 1 . » 

Il s’agissait en outre de pourvoir efficacement aux dépenses de 
l’infirmerie. Maître Bérenger impose au couvent une forte contri¬ 
bution. On devra affecter au service des malades la moitié de la 
cire qui sert aux messes votives et aux funérailles, exception 
faite des cierges personnels que l’on porte à l’offrande et qui 
reviennent au couvent, comme de ceux qui proviennent chaque 
semaine de l’église paroissiale, sans doute par l’assistance aux 
enterrements. De plus, l’infirmerie jouira de la moitié des reve¬ 
nus du jardin, fruits et légumes, déduction faite de ce qui est 
nécessaire pour la cuisine et les frais de jardinage; l’autre moitié 
sera employée à construire le mur de clôture du jardin* : « Et 
j’ordonne au Prieur et à ses remplaçants de partager ces revenus 
sans fraude aucune et de n’en rien garder pour d’autres usages. 
S’ils ne suffisent pas, le Prieur doit, avec son conseil, combler le 
déficit. Pour chaque religieux allant à l’infirmerie manger de la 
viande, on doit donner trois deniers 3 . » 

Sans être malade, on a besoin quelquefois, par suite de fatigue 
excessive, d’une alimentation plus généreuse. Il arrivait que des 
religieux, pourvus de ressources, se faisaient préparer, non à l'in¬ 
firmerie, mais à l’hospice, des repas plus confortables : convivia 
particularia 4 . Quelquefois aussi, ces repas duraient un peu lon¬ 
guement; on s’attardait à table, le soir. Maître Bérenger fait la 
part du feu. Pour éviter ces banquets privés, bruyants, prolongés 
outre mesure, il décide que pendant la quinzaine précédant 
l’Avent et le Carême, le couvent tout entier, à tour de rôle, 
tantôt le chœur droit, tantôt le chœur gauche, prendra ses 
repas à l’hospice. On y était mieux servi. Mais la lecture sera 
obligatoire pendant le dîner et la collation, comme au réfectoire, 
et on ne mettra pas de lumière dans la salle. C’était forcer les 
Frères à se retirer avant la nuit et à assister aux complies 5 ... 

Ces ordonnances, qui furent la conclusion d’une visite canonique 
au couvent de Montpellier, en février 1314, nous font saisir sur le 
vif les abus qui s’introduisaient en certains lieux, et, en même 
temps, l'action personnelle du Maître pour les réprimer. 

1 Ordonnances de Bérenger de Landorc..., p. 484. 

2 Ibid. 

3 Ibid. 

* Ibid. 

» Ibid. 


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CHAPITRE I 


487 


Nous pouvons suivre Maître Bérenger dans une autre visite, 
celle-ci à ses filles du monastère du Prouillan de Montpellier 1 . La 
lettre qu’il écrivit après au Prieur des sœurs n’est point datée; 
mais comme il parle de la charge nouvelle qui lui a été imposée : 
novi honeris michi impositi *, le Maître dut passer au Prouillan de 
Montpellier dans les jours qui suivirent son élection à Carcas¬ 
sonne, en 1312. Il ne trouva point cette communauté aussi 

1 On appelait ainsi les sœurs dominicaines issues du premier monastère de Prouille. 

* Lettre de Maître Bérenger de Landore au Prieur des Sœurs du monastère du 
Prouillan de Montpellier. 

« In Dei filio sibi karissimis fratribus. 

« In Dei filio sibi karissimo fratri H., ordinis fratrum predicatorum, priori soro- 
rum Montispessulani in monasterio Pruliani, et cjus successoribus, frater Berenga- 
rius fratrum ejusdem ordinis servus iuutilis salutem et augmentum continuum 
celestium gratiarum. Novi honeris michi impositi me excitât oflicium, admonet 
doctrina apostolica me ex paterne compationis afTectu infirmari cum infirmantibus 
et cum scandalizatis aduri, omniumque sollicite subditorum calamitatibus, pericu 
lis et miseriis quantum michi possibile fuerit obviarc. Sane nuper accedens ad 
monasterium sororum nostrarum de Pruliano causa visitationis, inveni inibi sorores 
multiplicibus et importabilibus indigenciis et penuriis expositas, et subjcctas. Ex 
quibus apud eas repperi cultum divinum minui notabiliter et postponi, nec non 
religionis nostre statuta minime observari, et dissolvi nimium jugum suave obser- 
vancie regularis. Quorum causam cognovi certissime excessivum [numerum] soro¬ 
rum nostrarum ibidem comorantium, et facultatum domus et proventuum tenuita- 
tem que nullo modo potest eis sufficerc, nec decenter eorum inopias sublcvarc. Quare 
timens verisimiliter quod finalitcr eas dispergi oporteret, et ad domum parentum 
reverti, vel alibi sine [non] nostri ordinis scandalo et suarum periculo animarum; 
volens pcriculis et scandalis obstaculum ponere ne valeant evenire, de fratris Johan- 
nis prioris provincialis in provincia Provincie, nec non et de plurium fratrum dis- 
cretorum concilio (sic) et assensu decerno et ordino per présentes, et certum nume- 
rum constituo prefato monasterio, videlicet XXX sororum, prccipicns in virtute 
sancte obcdientic prioribus dicti monasterii et fratribus universis quatinus de cetero 
nullam recipiant, predicto numéro integro rémanente, nichilominus ordinans quod 
quecumque intraverit pro sustentatione vite sue darc C solidos Turonensium in 
redditu perpetuo vel valorem convertendum in emptione terrarum vel reddituum 
pro ea et dicto monasterio, et in alia emolumenta monasterium et non in usus 
alios, nec non et L libras Turonensium teneatur, nec aliter aliqua admictatur. Et 
hoc volo sub eodem precepto inviolabilité!’ observari. Quia tamen intcllcxi propter 
causas aliquas monasterio expedire quod alique recipiantur ad presens, non obstante 
numéro inibi excessivo, idcirco ex certis causis michi expositis, concedo quod 
duodecim valeant recipi, ordinatione predicta de XXX sororum numéro non obstante. 
Sic tamen quod pro sua sustentatione defTerant integraliter quod expressum est 
superius ac etiam ordinatum. Ceterum quod cum in constitutionibus sororum ca- 
veatur quod sicut eis de suo monasterio non licet egredi nisi in casibus certis, sic 
ad earum officinas ingressus non pateat nisi quibusdam paucis personis in digni- 
tatis eminentia constitutis. Volo ac districte injungo priori et illis qui pro tcmporc 
fuerint ac eorum loca tenentibus quod circa hoc faciant constitutionem hujusmodi 
cum diligentia observari, nolens quod contrarium attentent sine expressa licentia 
prioris provincialis quam de facili non concédât, et specialitcr hominibus quibus 
nullo modo debet ingressus patere nisi... earum constiluliones statuerint et per 
mitterent (?); nec mulieribus debet dari hec licentia nisi eis... notabilis (?) condi- 
tio merito hoc requircret, fratres etiam nostri ab ingressu hujusmodi detrahi cum 
diligentia et arceri. Porro ut sororum indigentiis, quantum potest commode, occur 
ratur, ortum intégré, lanam monasterii, furfur, porcos et fructus ?) omnes deputo 
et assigno eis ut inde in infirmitorio in vestibus et calciamentis per manum fra 
tris... et in ejus absencia per alium ad hoc per provincialem deputandum... quan¬ 
tum poterunt sufficere provideri. In quorum testimonium sigillum etc. Valete et 
orate pro me, ac me fratrum et sororum oratiouibus commendatc. Datum etc. « 
(Codex Rutenensis, Ms. arch. Ord. xiii « siècle], p. 187.) 


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488 


BÉRENGER DE LANDORE 


fervente et aussi régulière qu’il le désirait. Le culte divin 
était notablement amoindri, la règle peu suivie, l’observance 
affaiblie 1 . Ces irrégularités graves, qui ravalaient l’honneur du 
monastère, provenaient, à son avis, du nombre excessif des 
religieuses. Les revenus de la maison ne pouvaient suffire à les 
nourrir. Ecrasées par leur indigence, par leurs dettes, les pauvres 
Sœurs s’occupaient beaucoup plus de leurs affaires temporelles 
que des Constitutions de l’Ordre. Si l’on voulait sauver le monas¬ 
tère, et ne pas être obligé de disperser les religieuses dans d’autres 
maisons, — ce qui serait une honte pour l’Ordre et un danger pour 
leurs âmes, — il fallait diminuer leur nombre. Tout calculé, Maître 
Bérenger ordonne que le monastère ne pourra recevoir et garder 
que trente religieuses. Il en fait un précepte formel aux supérieurs. 
Encore chaque postulante devra-t-elle apporter en dot un revenu 
de cent sous tournois, plus cinquante livres tournois à son 
entrée*. 

Il demande également que la clôture soit gardée plus fidèlement 
par les religieuses, qui n’avaient le droit de sortir que pour des 
motifs déterminés 3 ; qu’elles évitent encore plus de laisser entrer 
à l’intérieur des personnes étrangères. Cette faveur est réservée 
à certains personnages de grande dignité. C’est aux Frères char¬ 
gés du monastère qu’il incombe de veiller à l’exécution stricte de 
ces ordonnances 4 . Maître Bérenger termine sa lettre en assignant, 
pour le soin des malades, certains revenus fixes : les légumes et 
les fruits du jardin, la laine des bergeries, les porcs de la basse- 
cour. Avec ces recettes, on fournira les sœurs malades et indigentes 
de vêtements et de chaussures 5 . 

En 1315, le Maître taxait également le nombre des religieuses 
du monastère de Saint-Matthieu, près de Rouen 6 . Il en permet¬ 
tait cinquante. Ce chiffre ne pouvait être dépassé, malgré toutes 
les supplications, sans une dispense expresse, et pour des rai¬ 
sons graves, du Provincial de France 7 . 

1 Lettre de Bérenger de Landorc au Prieur des Sœurs du Prouillan de Montpel¬ 
lier, p. 487. 

* Ibid. 

3 Ibid. 

* Ibid. 

6 Ibid. 

6 Ce couvent était situé au faubourg Saint-Sever. Il fut donné aux Prêcheresses 
par saint Louis. Dès 1261 les Sœurs y habitaient , mais la charte de la fondation 
date du mois d'août 1269. (Cf. Chapotin, Histoire des Dominicains de la province 
de France, p. 505 et ss.) 

7 Lettre de Maître Bérenger de Landore aux religieuses de Saint-Matthieu, près 
de Rouen. 

« Karissimis in Christo sororibus priorisse et convcntui monasterii sancti Mathei 
juxta Rotomagium sub régula et secundum institutionem ordinis predicatorum 
viventibus frater Berengarius ejusdem ordinis magister licet indignus salutem vite 
que nunc est et future. Quia sepe contingit non magniücari leticiam gente multi- 


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CHAPITRE I 


489 


Cette sollicitude, qui atteignait les détails les plus intimes de 
l’administration conventuelle, se tourna, très jalouse et très pres¬ 
sante, vers une question qui intéressait au plus haut point le bon 
gouvernement et la réputation de l’Ordre. 

On se rappelle que, chez les Prêcheurs, toutes les charges sont 
électives. A tous les degrés de la hiérarchie, le vote intervient. 
Assurer la liberté et la sincérité de ce vote était chose de nécessité 
première, car c’était assurer, par là même, la légitimité du pouvoir. 

Or il arrivait que, pour favoriser l’élection prochaine d’un can¬ 
didat à la charge de Prieur conventuel, les Provinciaux, quelque 
temps avant la date du scrutin, assignaient certains religieux 
à d’autres maisons et les remplaçaient selon leurs vues. C’était 
modifier le collège électoral et faire élire celui que l’on préférait. 
Les protestations du parti adverse, les disputes qui les suivaient, 
les révoltes contre une autorité considérée comme illégitime de¬ 
venaient fréquentes et scandalisaient le peuple. Le droit, du reste, 
était lésé. 

Au Chapitre de Bologne, en 1315, une sévère ordonnance 
atteint cette corruption électorale : « Des excès graves, disent les 
Capitulaires, dangereux, sont commis sans réflexion, en certaines 
provinces, dans les assignations et les changements des Frères, à 
l’approche des élections. Excès d’autant plus détestables qu’ils 
sont une cause de trouble profond et de scandale pour l’Ordre, 
dans lequel les élections doivent se faire avec paix et concorde. 
Nous ordonnons donc à tous les Provinciaux et à leurs Vicaires 
de ne faire ni d’assignation nouvelle, ni de changement dans 
les couvents où les élections sont imminentes. S’ils osent en¬ 
freindre cette ordonnance, l’assignation ne donnera aucun droit à 
l’élection prochaine... Et les transgresseurs devront être punis par 
le Maître Général ou le Chapitre de la privation de leur office, 


plicata, dum multis ad vite necessitatem non sufficit quod ad sustentalionem obti- 
nuit sors paucorum, professionis vestre constilutio pie cavet quod per magistrum 
ordinis predicatorum pro tempore pensata suppetencia facultatum in vestris (!) 
monasteriis certus sororum numerus statuatur ultra quem nulla soror possit 
recipi in eisdem, ne reeluso corpore et excluse... a proprie industrie provisione 
egestate cogantur, dum multiplicantur super numerum suis proventibus adequa- 
tum. Hinc est quod vestris instantibus supplicationibus inclinatus, et volens quo¬ 
rum (?) causa me vobis Deus preesse voluit, non deesse, deliberatione habita ple- 
niori, et diligenter pensatis facultatibus loci vestri, statuto perpetuo taxo, diffinio 
et ordino per présentés quinquaginta sororum numerum in vestro monasterio de 
cetero non excedi. Ut autem per importunitatem (?) precum vel aliter hoc statutum 
nullatcnus infringuatur (sic), ipsum in virtute obedientie prccipio firmiter obser- 
vari, discernens (sic) nichilominus irritum et inane quicquam secus actum fuerit in 
hac parte nisi forssan (?) casus dampni, scandali vel offense contingeret tam perur- 
gens quod per provincialem Francie cjusdem ordînis ad vestram requisitionem 
unanimem dispensetur. In cujus rei testimonium sigillum nostrum (?) duxi presen- 
tibus apponendum. Datum Parisius I1II. Nonas Mardi anno Domini M°.CCC°.XV°. 
(Codex Rutenensis, Ms. arch. Ord. [xm® siècle], p. 188.) 


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490 


BÉRENGER DE LANDORE 


de la privation de la charge de Défîniteur, et d’autres peines qui 
puissent servir d'exemple 1 . » 

Cette sanction ne demeura pas lettre morte. Au Chapitre même, 
une sévère pénitence est infligée aux Frères Julien de Prague et 
Budislaw de Olmuz, Vicaires en Bohême. Ils avaient absous des 
Prieurs, transféré des religieux, aux approches de l’élection du 
Provincial, et, par cette manœuvre déloyale, mis la discorde parmi 
les électeurs. On les prive d’être Vicaires, Prieurs et Définiteurs 
pendant quatre ans, plus douze jours chacun au pain et à l'eau. 

On voit, dans ces mêmes Actes capitulaires, que Maître Bérenger 
ne craignait pas de corriger lui-même les Frères qu’il jugeait cou¬ 
pables. Il fit un procès à des religieux anglais dont il condamna 
la conduite et punit les écarts. Ce procès, contre lequel des pro¬ 
testations étaient arrivées au Chapitre, fut examiné et approuvé. 
Les Définiteurs proclament que le Maître a agi d’une manière 
juste, honnête, conforme à l’honneur et à la sécurité de l’Ordre*. 

Il n'avait pas hésité à casser de sa charge le Provincial d’Ara¬ 
gon, Frère Armand Burget. De graves désordres ayant été exci¬ 
tés par ce Provincial déchu et les Définiteurs du Chapitre de Va¬ 
lence, où sa déchéance avait été prononcée par Maître Bérenger 
personnellement présent, les Capitulaires de Bologne, vengeurs de 
l'injure faite au Général de l’Ordre et aux Constitutions, con¬ 
damnent Frère Armand à ne pouvoir être Provincial pendant 
quatre ans, lui enjoignent une pénitence de quinze jours au pain 
et à l’eau, de même à ses complices, plus la privation de voix 
pendant dix ans 3 . 

L'accord était donc parfait entre le Maître Général et les Défi¬ 
niteurs des Chapitres, pour la répression des abus et des fautes 
contre la règle. On ne faisait aucune distinction, dans le châti¬ 
ment : supérieurs et inférieurs continuaient à être atteints au même 
point par la sanction. C’est certainement, malgré le fléchissement 
de la discipline, un signe non équivoque de vitalité puissante. 

Pendant que Maître Bérenger, tout entier au gouvernement 
de l’Ordre, essayait, par les ordonnances des Chapitres et de ses 
visites canoniques, de maintenir ou de relever le niveau normal 
des observances régulières, une formidable tempête bouleversa les 
Prêcheurs. 

En 1313, l’empereur Henri de Luxembourg mourait presque 
subitement en Toscane, près de Sienne, à Buonconvento. Il était 
assisté à ses derniers moments par Frère Bernard de Montepul- 
ciano, de l’Ordre des Prêcheurs, son confesseur ordinaire. On 

1 Acta Cap., II, p. 76-77. Chap. de Bologne, 1315. 

2 Ibid., p. 85. 

3 Ibid. 


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CHAPITRE I 


491 


accusa Frère Bernard de l'avoir empoisonné en lui donnant la 
sainte communion. 

Henri de Luxembourg, empereur des Romains, était alors en 
guerre, malgré le Pape , contre le roi de Sicile, Robert d’Anjou. 
Clément V, irrité des prétentions de ce prince sur la Sicile, l’avait 
excommunié 1 . Cette sentence n’arrêta point l’Empereur. Il débar¬ 
qua à Pise avec ses troupes. Comme la plupart de ses prédéces¬ 
seurs , Henri entrait en lutte avec le Saint-Siège. On était alors 
dans les plus fortes chaleurs de l’été. Au lieu de camper non 
loin des bords de la mer, il voulut pénétrer plus avant en Tos¬ 
cane. Arrivé sur les bords d’une rivière, déjà atteint de la fièvre, 
il se baigna. Un refroidissement le saisit, un anthrax se forma à 
une jambe, et, la nuit suivante, il ne put reposer. Le matin venu, 
il donna ordre de partir pour Sienne. Mais, à quelque distance de 
la ville, on dut suspendre la marche. Obligé de s’aliter, Henri 
mourut dans la nuit du 24 au 25 août 2 . 

Cette mort, très naturelle, due à l’imprudence de l’Empereur 
et à des maladies connues de ses familiers, fut attribuée, par 
haine politique, à son confesseur, Frère Bernard de Montepulciano. 
Celui-ci, gagné par les Guelfes amis du Pape, lui aurait donné, en 
le communiant, une hostie empoisonnée. Tout le parti gibelin 
d’Italie et d’Allemagne se souleva contre les Prêcheurs. Ils ne 
pouvaient plus se montrer en public, sans être l’objet des plus 
odieuses agressions. 

L’écho de ces tribulations s’est répercuté dans les Actes du 
Chapitre de Londres, en 1314. Comme dans les dangers qui 
avaient autrefois menacé l’Ordre, on a recours aux grands 
moyens. Il est prescrit de réciter tous les jours les Litanies, — ces 
fameuses Litanies des Prêcheurs dont on redoutait tant autour 
d’eux la souveraine efficacité; — de célébrer, chaque semaine, 
une messe en l’honneur de la sainte Vierge, une autre en l’hon¬ 
neur de saint Dominique 3 . Ces prières solennelles sont impo¬ 
sées, disent les Actes, à cause des tribulations et des maux qui 
accablent les Prêcheurs*. La lettre circulaire envoyée par Maître 
Bérenger, après le Chapitre, y fait une discrète allusion. Il 
demande aux Frères de prier instamment pour l’Ordre 4 . 


1 Cf. Rainaldi, V, p. 8. B. Nuper multorum. 

1 Ibid., p. 10. 

3 « Cum in tribulacionibus multiplicibus et malis ingruentibus, quibus presenti- 
bus temporibus premimur, dei ac sanctorum mente devota debeamus sufTragia 
implorarc, volumus et ordinamus quod letania cum psalmo, versiculis et collectis 
solitis post matutinas intus et extra, omnibus diebus profestis dicatur; singulis 
eciam scptimanis in omnibus convenlibus una missa de beata Virgine et alia de beato 
Dominico solempniter celebrentur... » (Acta Cap., II, p. 70. Chap. de Londres, 1314.) 

4 « Pro statu eciam ordinis ferventes spiritu et orationi instantes eflTundatis 
preccs dcvotas et intimas apud Deum. » ( Litter. EncycL, p. 211. Ed. Reichert.) 


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492 


BÉRENGER DE LANDORE 


Ce ne fut heureusement qu'une bourrasque. 

Comme toute la vie, très honorable, de Frère Bernard de Monte- 
pulciano protestait contre l’abominable accusation dont il était la 
victime, il tint tête à l’orage. Au lieu de fuir, comme un cou¬ 
pable, il resta à son poste et demanda des juges. Il fut prouvé, 
de manière évidente, par les déclarations des prélats et des barons 
présents auprès de l'Empereur, par les affirmations de ses méde¬ 
cins, que sa mort avait été causée par ses imprudences 1 . Il ny 


1 Voici le texte de Taegio, Chron. ampliss., II, p. 66-67 (xv« siècle.) Il avait en 
mains les mêmes documents qu’Hermann Corner de Lubeck, qui écrivit la réfuta¬ 
tion des accusations portées contre Frère Bernard de Montepulciano, en 1435 
environ. 

<« Quidam autem monachus nomine Joanncs, Ordinis Cisterciensis, qui crat Ca- 
pellanus imperatoris sperans effici confessor ejus ( imperatoris) propter disccssum 
Canccllarii et episcopi Borruntini qui imperatorem aliquando in confessionem au- 
diebat, et videns dictus Joannes quod frater Bemardus de Monte Politiano Ordinis 
Prædicatorum efTectus esset ejus Confessor, invidia motus, ipsum fratrem Bemar- 
dum infamavit quod Imperatorem in hostia consecrata veneno extinxisset. Unde 
propterea magna tribulacio Ordini Prædicatorum excitata est maxime per Alcma- 
niam et Provincias, quæ erant sub Imperatore predicto, adeo quod Fratres Prædi- 
catores non poterant sine vitæ periculo clausuram egredi, nec prædicare. Verum 
comperta veritatc, quod Imperator, ex naturali inlirmitate obierat, et non ex veneno, 
plures episcopi, et Cardinales testimonium innocentiæ Fratris Bemardi, qui culpa- 
batur, et famæ Ordinis Prædicatorum, per suas litteras ad Prelatos illarum par- 
tium transmiserunt. Et ipse Frater Bernardus obtulit se cujuscumque recte sen- 
tientis judicio et examini, sicut per litteras suas evidenlius se purgavit, et etiam 
testimonia de vita laudabili ipsius Fratris Bernardi quam semper tenuit in Ordinc, 
ipsum immunem déclarant. Nam semper fuit bonæ famæ, et honoratus in officiis 
Ordinis , et propter bonitatem suam in multis ncgociis Ordinis fuit expositus. 
Infrascripta autem sunt judicia, quibus dictus Frater Bernardus ab hoc scelere 
purgatur clarissime et evidentissime. 

« Primo, quoniam ipse Frater Bernardus probatus fuit semper innocentissimæ 
vitæ et laudabilis famæ in ordine, nec tantum flagitium in tantum Dominum et 
cum Vivifico Sacramcnto admisisset. 

v Secundo, quia omnes consanguinei ejus — nam erat nobilis Genere — erant de 
parte Imperatoris, et ei valde favorabiles, nec eis tantam incuriam insanam et 
damnum fecisset. 

« Tertio, per Dominum Nicolaum de Prato, Cardinalem Ostiensem, qui erat ami- 
cissimus dicti Imperatoris, ipse Frater Bernardus datus fuerat in servitium et 
familiarem dicti Imperatoris. 

« Quarto, quia summe honorabatur ab Imperatore, confessor ejus factus fuerat 
et Imperator plus in eo quam in aliquo coniidcbat, et ejus principibus equaba- 
tur. 

« Quinto, quia post mortem Imperatoris non fugit ad inimicos Imperatoris sed ad 
ejus amicos accessit et judicio cujuslibet recte sentientis se exposuit. 

« Sexto, quia Mcdicus imperatoris antequam Pisis discederet, ei suum rccessum 
dissuasit, asscrcns quod dispositus erat ad magnam ægritudinem, de qua re ipse 
medicus publicum fieri fecit instrumentum. 

« Septimo, quia in Vigilia Assumptipnis Dominæ Nostræ habuit unum parrosismum 
tertianæ, de quo non curavit, et in die Dominæ nostræ præsentibus multis Baroni- 
bus communicavit, et diem ilium cum illis in magno convivio et lætitia expendit, 
et postea die sequenti voluit equitare, et castra movere, et ex labore itineris, ha¬ 
buit alium parrosismum qui nunquam eum deseruit. 

« Octavo, ipse erat inloco valde inilrmo, quia locus ille habitatores suos dévorât, 
sicut dicunt habitatores ejusdem loci. 

« Nono, quia Medici dederunt ci quotidie très et aliquando quattuor Ciatos vini 
nigri potentis cum tantumdem aqua et offa panis calefacti et tergia, volentes sub- 
venire debilitati et non considérantes estivum tempus et febrem acutam quam ha- 


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CHAPITRE I 


493 


eut pas jusqu'au fils du monarque défunt, le roi Jean de Bohême, 
qui n’écrivit, avec l’archevêque de Trêves, les électeurs du Saint- 
Empire, les principaux évêques et seigneurs d’Allemagne, que, 
après enquête sérieusement faite, l’innocence du Frère Bernard 
était notoire et certaine 1 . 

Quelques Mineurs, bien entendu, s’étaient jetés sur cette accu¬ 
sation pour diffamer l’Ordre des Prêcheurs. Et si l’agitation popu¬ 
laire se déchaîna si forte contre eux, c’est à leurs prédications 
qu’il faut l’attribuer. Malgré toutes les dénégations, malgré les 
preuves juridiques apportées et publiées, un Mineur écrivait en¬ 
core, en 1420, dans sa Chronique de Lubeck 4 , que les Prêcheurs, 
en punition de ce crime, avaient été condamnés par le Pape à 
communier de la main gauche 3 . Ce bon Franciscain, qui débitait 
une calomnie toute gratuite, aurait pu consulter les livres litur¬ 
giques de l’Ordre. 

Il y aurait vu que ce rite, tout spécial, en effet, est antérieur 
de soixante ans, au moins, au prétendu empoisonnement d’Henri 
de Luxembourg 4 . Il n’y eut aucun châtiment, parce qu’il n’y 
avait point de faute. Devant l’évidence des faits, la bourrasque 
se calma d’elle-même, et les Prêcheurs, rassurés, l’honneur sauf, 
continuèrent leur ministère apostolique. 


bebat. Et ex his tantum febris ardor crevit quia non inveniebat requiem ullam, 
donec nono die, post parrosismum, diem clausit cxtremum. 

« Decimo, quia post mortem nullus tumor, aut depilatio sequuti sunt sed sicut erat 
quando obiit, ita perseveravit cadaver ejus... » (Taegio, Chron. nmpliss., II, p. 66- 
67. Ms. arch. Ord.) — Cf. Hermann Corner, Chronicon rerum Saxonicarum, dans 
Seelen, De H. Kornero ejusque Ms. commentatio. Lubeck, 1720. 

1 Ibid. — Il y eut, plus tard, une réparation encore plus solennelle dont il sera 
parlé en son lieu, et où les Mineurs firent piteuse figure. 

2 Cf. Taegio, Chron. ampliss., II, p. 67-68. 

2 Taegio donne quatre raisons mystiques de ce rite. 

1. La gauche, d’après saint Grégoire, signifie la vie présente, avec ses difficultés. 
(Cf. Homil . in die Resurrect. Dom.) — En communiant de la main gauche, les Prê¬ 
cheurs indiquent le passage de cette vie misérable à la vie du Christ : ce qui est 
l’effet propre de ce divin sacrement. 

2. Fils de colère par la nature, symbolisée par la gauche, nous devenons, en ce 
sacrement, fils de la Droite du Seigneur. 

3. C’est à gauche de l’autel que se lit la Passion du Sauveur, dont ce sacrement 
est le mémorial. 

4. Créés pour prêcher Jésus crucifié, les Prêcheurs tiennent son sacrement de 
la main gauche en souvenir de sa Passion. 

Et le Frère Léonard, dit Taegio, ajoute cette raison : « La gauche est le côté du 
cœur, c’est le signe de l’union d’amour des Prêcheurs avec le Christ. Ils le 
tiennent à gauche, comme le manipule, lien symbolique de cette union ; comme 
l'anneau nuptial que la femme porte à la main gauche ; comme les décorations qui 
se portent à gauche. Le Christ est, pour les Prêcheurs, l’unique amour, et ils le 
portent dans leur main gauche, comme sur leur cœur. » (Taegio, Chron. ampliss., 
II, p. 68-69.) 

4 Cf. Prôtotype d’Humbert de Romans, Missale conventuale. 


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BÉRENGER DE LANDORE 


BIBLIOGRAPHIE 


Touron, les Hommes illustres de l’Ordre de Saint-Dominique. 

Année dominicaine, septembre. Ed. Jevain. 

Douais, les Frères Prêcheurs en Gascogne. Paris, 1885. 

M. Dieffenbach, Dissertatio de vero mortis genere quo Henricus VII obiit . 
Francfort, 1685. 

J. M. Rœser, Dissertatio de Ilcnrico VII vcncnata Eucharislia in ipso festo 
Assumptionis B. Mariæ tentato. Baruthi, 1690. 


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CHAPITRE II 


LES PRÊCHEURS EN ORIENT 


Dès les premiers temps de la fondation dominicaine, nous avons 
vu les Prêcheurs, ardents pour le salut des âmes, pénétrer jusque 
dans les régions les plus éloignées et les plus inhospitalières. En 
Afrique, sur les côtes barbaresques, sur celles de la Baltique, aux 
confins de la Pologne, dans les steppes de Russie, sur les hauts 
plateaux de la Perse et même en Chine, ces hardis pionniers de 
TEvangile avaient poussé leurs reconnaissances, planté leurs tentes, 
baptisé des infidèles et souvent succombé sous leurs coups. Les 
martyrs de cet apostolat furent nombreux. Rien ne rebutait ces 
intrépides voyageurs. Ils allaient aussi bien saluer le grand chef 
des Tartares à Tiflis, que le sultan des Maures à Tunis. Leur 
besace sur l'épaule, leur bâton à la main, pauvres, portant pour 
toute richesse leur bréviaire et quelques livres saints, ils n'avaient 
rien à craindre. Mourir pour le nom de Jésus-Christ était toute 
leur ambition. 

De cet amour si généreux vint leur nom de Frères Pérégrinants 
pour le Christ. 

Ils n'eurent, dans le principe, aucun gouvernement autonome. 
Sortis des diverses provinces de l'Ordre, ils demeuraient soumis 
à leurs supérieurs d'origine, qui pouvaient toujours les rappeler, 
et, pendant leur séjour en mission, aux supérieurs locaux qui 
avaient été désignés ou par le Pape, ou par le Maître de l’Ordre. 
En réalité, à raison même de leur existence quelque peu vaga¬ 
bonde, les liens qui les attachaient à ces diverses autorités étaient 
assez lâches. Elles s’exerçaient surtout dans les maisons de fron¬ 
tière, où les Pérégrinants se groupaient, et dans les postes 
avancés, à l’intérieur des pays infidèles, où ils habitaient par 
intermittence, selon les nécessités de leurs courses apostoliques. 

Cette situation imprécise persévéra jusque dans les premières 
années du xiv* siècle. On sentit, à cette époque, qu’il était urgent 
d’organiser ces missions lointaines de façon plus régulière. Cela 


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BÉRENGER DE LANDORE 


vint, sans aucun doute, des inconvénients graves provenant d’un 
laisser-aller qui n'avait plus de mesure. 

Tant que les Pérégrinants, possédés uniquement du zèle de 
Dieu, ne s’occupèrent que du salut des âmes, il y avait peu à 
redouter de leurs allures de chemineaux. Mais, peu à peu, un 
esprit autre que l’esprit de Dieu s’infiltra dans leur cœur. Plu¬ 
sieurs, comme va nous le raconter un document contemporain et 
officiel, au lieu de prêcher Jésus-Christ, pensèrent à eux-mêmes, 
cherchèrent à s’enrichir. Ce n’étaient plus des apôtres, mais des 
commerçants. Tous les maux pouvaient sortir de cette défor¬ 
mation. Il fallait, à tout prix, si l’on voulait sauver les missions, 
établir une surveillance plus rigoureuse. 

Il est difficile, — pour ne pas dire impossible, — avec les 
documents actuels, d’assigner une date certaine à l’institution de 
la Congrégation des Frères Pérégrinants. Elle existait, au moins 
à l’état embryonnaire, avant 1312; car, à cette date, Maître 
Bérenger de Landore adresse la lettre que nous allons analyser au 
Frère Franco de Pérouse, Vicaire 1 des Frères Pérégrinants, et 
parle de leur Société, Fratribus dicte socictatis. Frère Franco 
jouissait donc de ce titre et de l’autorité sur les Pérégrinants avant 
cette lettre. Mais, d’autre part, comme Maître Bérenger détermine les 
lois spéciales qui doivent désormais régir les Pérégrinants, il est à 
croire que, jusque-là, ces lois étaient vagues. On peut dire qu’il 
est, par là même, le vrai fondateur de la Congrégation des 
Frères Pérégrinants. 

Voici ce document, inédit, croyons-nous, tel que le donne le 
Codex Rutenensis * : « Aux Frères qui lui sont unis dans le Fils 


1 Le Nécrologe d’Orvieto (1310) confirme cette assertion. Il dit que le premier 
Vicaire des Pérégrinants fut Frère André délia Terza, natif d’Orvieto : « Rite fuit 
primus Vicarius Gencralis Societatis Peregrinantium propter Christum, et post mo- 
dum Inquisitor inter Sarracenos et infidèles. » (Masetti, Monumenta et antiq., I, 
p. 460. Rome, 1864.) 

Masctti lui donne pour successeur, en 1327, Frère Barthélemy de Bologne. Il 
oublie Frère Franco de Pérouse, qui administra la Congrégation jusqu’en 1318, date 
de son élévation à l’épiscopat. (Cf. Bull. Ord., II, p. 137. B. Pridem gratis, 1 er mai 
1318.) — Frère André délia Terza mourut à Trébizonde en 1343. Il y avait fondé 
un hospice pour les Frères. (Masetti, op. cit., p. 460.) 

* « In Dei filio sibi unitis fratri Franconi Perusino vicario fratrum peregrinan- 
cium inter gentes, et fratri Guillelmo Bernardi ac cctcris fratribus ordinis predi- 
catorum peregrinantibus, frater Berengarius fratrum ejusdem ordinis servus inu- 
tilis salutem et augmentum continuum celeslium gratiarum. Quanto plus exultât 
spiritus meus in Domino dum considero quod plurimos vite conspicuos sacri nostri 
ordinis professores qui non sua sed que Chrisli funt querentes, loca sue originis 
relinquunt propter infidelium gencium indomita colla domanda, scissamquc ab 
eis tunicam Domini inconsutilem reparandam, cl proximorum salutem affectuosius 
procurandam; tanto amplius meus animus contristatur, dum de dictis peregri¬ 
nantibus, istis temporibus, aliquid contrarium audio vel sinislrum. Nuper nanque 
aliquorum relatu non sine magna eordis amaritudine intellexi, quod aliqui dicto- 
rum fratrum peregrinancium qui extremam paupertalcm cum Christo paupere et 
mendico voluntarie cîcgcrunt, plus student in congregandis pcccuniis quam viciis 


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CHAPITRE II 


497 


de Dieu, Frère Franco de Pérouse, Vicaire des Frères Pérégrinants 
parmi les nations; Frère Guillaume Bernardi et les autres Frères 
Pérégrinants de l’Ordre des Prêcheurs, Frère Bérenger, serviteur 


cxtirpandis, et quod censetur periculosius, nec nota cavct proprietarii, dictas pe- 
cunias indebite mendicatas tcncnt in manibus mercatorum, et contra statuta ordi- 
nis, ipsas dispensant absque licencia prelatorum. Item quod non sine suo et alio- 
rum discrimine pcrtinaccs cxcommunicatos de Alexandria faciliter et inefTrenate (?) 
absolvunt, aliquando forma ecclesie necessaria pretermissa, quodque peccuniam a 
dictis cxcommunicatis receptam convertunt in usus proprios seu comunes, ex quo 
sunt ecclesie in magna quantitate peccunie obligati et tandem ad rcstitutioncm 
rémanent impotentes. Quod pungit nimium mentem meam circa quorum excommu- 
nicatorum parcialem et indiscretam absolutionem, materia scandali generatur, dum 
aliqui ligati rémanent, et aiiqui indebite absolvuntur, aliqui manum suam ad abso¬ 
lutions benelicium impendcndum débité extendendo, et aliqui ab hujusmodi lota- 
liter retrahendo. Item quod non attendentes verbum propheticum ve soli quia si 
ceciderit non habebit qui sublevct eum, soli per terras ambulant quod est contra 
constitutiones et nostri ordinis honestatem. Item quod non sine mentis et corporis 
dampnabili dispendio girovagi et vagabundi terras et civitates circuunt absque 
fructu et interdum etiam absque suorum superiorum licencia speciali, vel quod 
est importabilius contra negatam scu non concessam licenciam a predictis. Item 
quod contra doctrinam apostoli se negociis secularibus implicantes cum mercato- 
ribus et non cum aliis volunt libencius commorari, quod non caret nota cupidita- 
tis in illis specialiter qui comuni saluti omnium et contemplationi celcstium invi- 
gilare debent solercius, terrenis illecebris abdicatis. Item quod in eis quantum ad 
incessum, victum et vestitum tanta est deformitas et in moribus pariter et in vita 
quod intuentium vulneratur aspectus ex hocque divisio et multa turbatio inter eos 
excrescit. Item quod silcncium multum décorans religionis statum, inter eos quasi 
penitus est collapsum, nec tenctur in locis ubi strictius débet ab omnibus obser- 
vari. Item quod fratres nimis se laxant aut laxantur absque evidenti nccessitate 
ad esum carnium, et quod per seculares extra loca ordinis carnes parantur quod 
absurdum est et orrendum (?), nec caret scandalo signanter in illis partibus ubi 
sicut sum informatus, alii rcligiosi carnes et crapulas detestantur. Item quod in 
conventu de Pera mutatio facta est circa divinum officium ecclesie, bcate virginis, 
celcbrationem missarum, ac officium mortuorum. Ex qua mutatione inutili potest 
apud seculares minus bona hedificatio, et scandalum suboriri. Multa eciam alia 
intellexi que ledunt non modicum mentem meam cum ex hiis eliciam quod statuta 
ordinis et observantie regulares non servantur. Unde cum predicta non debeam 
coniventibus occulis pertransire idcirco de vestra discretione ac zeli promptitudine 
fiduciam plenam gerens, vobis fratri Franconi vicario supradicto, et vobis fratri 
Guillclmo Bernardi vel alteri vestrorum, si alius non supersit, tenore presentium 
impono et districte injungo quatinus habito cum discretioribus fratribus dicte 
societalis deliberato consilio, curetis quod tocius circa predicta corrigenda et refor- 
manda utile, oportunum et salubre remedium adhibere. Et quicquid super hiis 
ordinaveritis michi scribatis ad capitulum generale, ut per me si necesse fuerit 
valeat roborari. Ordinationem autem vestram intérim faciatis auctoritate mea invio- 
labiliter observari tam diligenter, et tam sollicite super hiis vos habentes quod 
predicta (?) corrigantur, et injuste accepta plenius cmendentur, et indebita acta, 
norma rectitudinis previa, regulentur. Cetenim ad factam dicte societatis petitio- 
nem et consolationem, et ex aliis ccrtis causis ordino, quod rerura que (?) fratres 
in partibus illis acquisiverunt, solus usus pertineat ad eosdem, et propriétés post 
mortem eorum vel post recessum ad suam provinciam, ad socictatem vel locum 
ubi steterint diucius, sccundum quod vicarius ordinabit de plurium fratrum consi¬ 
lio devolvantur. Volo tamen quod si frater remittatur propter culpas suas, sive ex 
causa alia eum redire contingat, quod de rebus predictis provideatur sibi quantum 
sufficere poterunt in moderatis expensis. Concedo nichilominus vobis et sociis 
vestris ut bona fratrum ex vobis decedentium, ad vestram comunitatem pertineant, 
nisi propriétés illorum librorum ad provinciam vel conventum de quo assumpti 
sibi pertinent. Item prohibeo quod nec vicarius generalis, nec alii in locis ubi 
scilicet (?) plurcs fratres morantur communes pecunias penes se teneant, sed per 
manum unius fratris secretarii (?) vel duorum teneantur, et per manum ipsorum 

II. - 32 


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498 


BERENGER DE LANDORE 


inutile du même Ordre, salut et continuel accroissement des grâces 
célestes. » 

« Frère Franco était né à Pérouse et y avait reçu l'habit des 

de illorum vicariorum mandatis communiter dispensentur. Item nolo quod vicarius 
generalis valeat ponere vicarios in locis ubi plures fratres simul morantur, nec 
positos amovere nisi de discretorum fratrum consilio, et si fieri potest comode, 
requisito consilio fratrum saltem seniorum ubi erit vicarius institucndus, vel 
ctiam amovendus. Item nolo quod provinciales Grecie, Terre sancte, aut eorum 
vicarii virtute cujuscumque littere possint fratres de vestra societate accipere et 
ad suas provincias assignare nisi de hoc in suis litteris specialis mentio haberetur. 
Ut autem opus grande nimis quod assumpsistis commodius et efücacius valeatis 
adimplere y obis vicario et successoribus vestris pro tempore, et sociis vestris, 
de vestra et suorum superiorum ordiuatione presentium auctoritale concedo 
quatinus pro dicto opéré ad omnium fidelium et infidelium nationes, duce Spiritu 
Sancto, possitis libéré proficisci. Vobis autem vicario, et qui pro tempore fuerint, 
eadem aucloritate concedo quatinus aliquos nostri ordinis fratres voluntarios et 
ydoneos, de eorum vita et fama, prius ab eorum prioribus conventualibus vel 
provincialibus habito testimonio laudabili, ad quod ferendum, ad requisitionem 
vestram, eos obligo, ac eorum consciencias honero per présentés, ad idem 
opus assumere valeatis, fratribus de provincia (?) Grecie et Terre sancte dum¬ 
taxat exceptis, in oflicio lcctoratus ac prioratus convcntualis et aliis officiis 
inferioribus constitutos, a quibus officiis cum assensum prebuerint veniendi, 
ex nunc pro tune sint auctoritale presentium absoluti, exceptis dumtaxat priori¬ 
bus et lectoribus illorum conventuum ubi viget studium generale. Possitis eciam 
aliquos de quacumque gentc ad idem officium fructuosos, ad ordinem ordinisque 
professionem recipere, ita dumtaxat quod vicarius generalis non possit novicios in 
partibus illis recipere, nec fratres ad suas provincias revocare, nec eciam licen- 
tiare sine fratrum dicte societatis discretorum habito consilio et assensu. Valeatis 
nichilominus sic receptos quantum ad suffragia ordinis alicui conventui ordinis 
deputare, atque eis officium audiendi confessioncs in illis partibus et predicationis 
injungere, ac ipsos ad me si causa fuerit mittere vos possitis. Concedo eciam 
vobis ut delinquentes secundum nostri ordinis instituts de suis excessibus corri- 
gere valeatis, nec non et ad suas provincias, si culpe eorum exigerint de plurium 
fratrum consilio, et non aliter revocare. Fratres eciam qui auctoritate summi pon- 
tiücis missi sunt vel mittentur, velut cetcri vestre correctioni sint subjecti, nisi 
manifeste in privilegio summi ponlificis, ipsorum exemptio sit expressa. Ccterum 
si in vicariatus officio decedere vos contingat, volo et ordino auctoritate predicta 
ut fratres qui tempore mortis vestre in Capha et Pera poterunt inveniri, vel aliqui 
eorum per clectionem conventuum vel majoris partis ipsorum in uno illorum con¬ 
ventuum vel in loco aliquo congregentur, et quem de se ipsis similiter omnes vel 
major pars in vicarium habere volucrit, plena vicarii auctoritate fungatur quousque 
per magistrum ordinis, per eorum sollieitam insinuationem fuerit conflrmatus vel 
de alio providerit si magis sibi videbitur expedire. Volo autem et ordino per pré¬ 
sentés quod fratres qui in Capha et in Pera erunt quandocumquc successor vester 
decederet predicto modo eligendi sibi vicarium liberam habeant potestatem. Ad 
hoc si contingat quod fratres aliqui pro majori faciendo fructu a vobis vel a suc¬ 
cessoribus vestris in remotis partibus dispergantur, volo quod sic dispersis fratrem 
aliquem de quo vestre discretioni videbitur, tam vos quam ipsi successores preli- 
cere possitis, et ei fratres sicut vobis teneantur in omnibus obedire. Nec volo 
quod locorum particularium vicarii valcant novicios recipere nisi de voluntatc fra¬ 
trum quibus presunt vel majoris partis eorundem certa scientia et assensu. Si 
eciam aliquo casu contingcret vos ad capitulum generale vel romanam curiam 
accedere, sive ctiam remotiora gencium penetrare, volo quod auctoritate mea in 
hujusmodi casibus vices vestras alicui plcnarie de consilio discretorum commit- 
tere valeatis. Et si ilium morari contingcret in regionc remota et fratres illi ad 
vos vel ad successores vestros non possent absque magna difficultate habere 
accessum, eis auctoritate premissa, concedo ut aliquem de seipsis in quem mqjor 
pars convcnerit, sibi pro vicario eligere possint, qui super eos pleuam habcal 
potestatem. Ita dumtaxat quod inslituendi et destituendi ipsum liabeatis liberam 
potestatem quandocumque vobis vel successoribus vestris ex causa rationabili, et 


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CHAPITRE II 


499 


Prêcheurs. Il le porta quarante-six ans. Dans les premiers temps 
de sa vie religieuse, il fut professeur en plusieurs couvents; puis 
le désir lui vint d’aller annoncer l’Évangile aux infidèles. Il s’en 
ouvrit à Boniface VIII. Ce pontife lui fît le meilleur accueil. Il le 
créa son légat dans ces régions lointaines, avec les pouvoirs les 
plus amples pour remplir fructueusement son ministère. Frère 
Franco s'établit à Caffa sur le littoral de la mer Noire, ville sou¬ 
mise aux Tartares. Les Génois, qui avaient des comptoirs dans le 
Levant, lui concédèrent un terrain où il bâtit une résidence pour 
les missionnaires et une belle église. Son premier soin fut d’ap¬ 
prendre la langue tartare, de sorte qu’il prêchait aux Tartares 
dans leur propre langue, comme à Pérouse à ses concitoyens. 

« C'était un homme de profonde humilité, brûlant de zèle pour la 
propagation de la foi, et très habile en affaires. Ces qualités émi¬ 
nentes le firent choisir par Maître Bérenger de Landore comme 
Vicaire des Pérégrinants... » 

fratrum societatis consilio videretur. Porro quia sine temporalium subsidiis rerum 
non potest duci vita presens, concedo vobis eisdemque fratribus quod elemosinas 
possitis petcre ubicumque et a quibuscumque vobis videbitur pro nccessitatibus 
vcstris et ea que vobis collata fuerint recipere , et ea dispensare et maxime infra 
ordinem prout habent statuta nostri ordinis sccundum quod pro vestris indigen- 
ciis fuerit oportunum. Preterea si quando vos de consilio discretorum judicaveritis 
fore necessarium ad nostra generalia capitula, et ad romanam curiam mittendi 
fratres, vel personaliter adcundi, vobis libéra sit facultas, contra hoc non obstantc 
aliqua ordinatione facta, vel que in posterum sit fienda. Priores autem provin¬ 
ciales et conventuales vel eorum vices gerentcs rogo in Domino, et cxortor (!) 
attente quatinus vos et fratres illos qui vobis ex dcvotione fuerint sociati, cum ad 
cos contigerit declinare bénigne rccipiant, et caritative pertractent, et in hiis in 
quibus per eos fuerint rcquisiti, vobis prout poterunt sedule manum porrigant ad- 
jutricem, hoc specialiter attendentes ut de paramentis aliquibus et libris qui pro 
ecclesiastico officio requiruntur, vobis subveniant juxta posse. In convcntibus vero 
vestre provincie seu alterius cujuscumque per quos aliquando transitum facietis , 
concedo ut tam vos quam ipsi fratres contrahere moram congruam et decentem 
possitis, non obstante ordinatione cujuscumque , si pro vestri ofticii utilitate vos 
ipse vel ipsi judicabitis expedire, volcns et ordinans ut ipsis conventibus per quos, 
vel in quibus moram vel transitum facietis, in quolibet illorum teneatis locum 
immédiate in choro et reffectorio et locis ccteris post priores. Nullusque per ali- 
quam occupationem vestrum officium retardantem audeat vos quomodolibet impe- 
dire. Concedo eciam vobis tenore presentium, quod si vos contingat juvenes ad 
ordinem in illis partibus recipere aptos pro studio, ipsos valeatis ad provincias 
Provincie, Lombardie superioris ac inferioris et Tuscie auctoritate mea mitterc ad 
studia artium phylosophie et théologie unum vel duos ad quamlibet earumdem. 
Et provinciales dictarum provinciarum, seu earum vicarii eos recipere, ac saltem 
eos tenere per triennium obligentur, eisque teneantur de competenti et ydoneo 
conventu et studio providerc. Demum quia vos et socios vestros oportet fréquenter 
propter multa impedimenta a missarum celebratione cessare, volo et ordino vos 
non obligari ad sulîragia que in actis capitulorum generalium annuatim fratribus 
injunguntur. Denique ad majorem vestre conscientie serenitatem, vobis concedo 
ut dum fueritis in officio vicarie, vobis confessorem possitis eligere vel eciam 
confessores. Postremo ipsa beata Trinitas donet vobis in opéré Dei procedere, 
intendere, et regnare, régna mundi per fidera vincere et repromissiones recipere 
que sunt viris cvangelicis preparate. In hujus attamen institutionis, commissionis 
et concessionis testimonium sigillum nostrum duxi presentibus apponendum. Da- 
tum in Montepesulano M°. CCC°. XII 0 . XIII 0 kalendas novembris. » (Codex Rate - 
nensis. Ms. arch. Ord. [xm« siècle], p. 5-10.) 


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500 


BERENGER DE LANDORE 


Ces détails très précis nous sont fournis par le Nécrologe de 
Pérouse 1 , dont la rédaction eut lieu entre 1327 et 1330*. C’est 
donc un témoignage de premier ordre. On aura remarqué que ce 
document déclare que Frère Franco fut nommé Vicaire Général 
des Pérégrinants par Bérenger de Landore. Cette nomination aurait 
été faite, en ce cas, avant 1312, date de la lettre qui nous occupe 
en ce moment; car, dans cette lettre, il n’est pas question de 
nomination nouvelle. Le Maître parle au Vicaire des Pérégrinants 
comme à un supérieur en exercice. 

Frère Franco, d’après ces dires, était un homme de haute 
valeur, sachant gouverner, et saint religieux. 

Son compagnon, Frère Guillaume Bernardi, était Français du 
Languedoc. Natif de Gaillac, sur les rives du Tarn, il était fils du 
couvent d’Albi. On le trouve étudiant les Naturalia à Carcassonne 
en 1274, Lecteur de même en cette ville en 1277; puis Lecteur de 
théologie à Perpignan, en 1284, avec cette mention honorable : 
et disputet. Il professe ensuite à Toulouse (1285), à Montau- 
ban (1286), à Cahors (1288). On le nomme Prédicateur Géné¬ 
ral, au Chapitre de Narbonne, en 1289 3 , puis Prieur du couvent 
d’Albi, de 1292 à 1294. Il redevient alors étudiant à Saint- 
Jacques de Paris. Mais il faut croire que les grades lui tenaient 
peu, car il ne continua pas. On le retrouve Prieur de Rodez jus¬ 
qu’en 1296. Deux ans après, il partait pour l’Orient. 

Frère Guillaume se fixa d’abord à Constantinople, pour se per¬ 
fectionner dans la langue grecque. Ses progrès furent si sérieux, 
qu’il traduisit en grec les œuvres de saint Thomas 4 . 

1 « Fr. Francus Pcrusinus ita nominatus sic realiter fuit francus in se, et fran- 
cos et liberos faciens peccatores a scrvitute dæmonis et peccati. Qui Cursor Scn- 
tentiarum fuit in Studio Generali, et lector Urbeveteri, et Pcrusii, et in pluribus 
aliis Conventibus. Disponens autcm ire ultra mare ad prædicandum gentibus... 
cum magno desiderio et fervorc, ut verosimiliter creditur, hoc a Deo postulare 
impetravit : juxta cnim votum suum missus est personaliter et nominatim a 
D. Bonifacio PP. VIII tanquam cjus legatus et nuntius specialis cum privilegio 
largo, et multa auctoritate suffultus ad prædicationis officium exercendum. Dispo- 
nentc autem Deo vcnit in Capfam, terram quœ ad imperium Tartarorum pertinet, 
ibidem locum rccipicns a januensibus sibi datum, ecclesiam quoquc hcdificavil 
pulcram cum magna devocione totius populi. Qui fuit profundœ humilitatis... 
Circa vero dilatationcm fidei orthodoxæ multæ et ardentis sollicitudinis... qui et 
summo studio se dédit ad addisccndum idioma tartaricum pro salute Gentium, 
prœdicando in lingua Tartarica Tartaris ut consuevit Perusii prœdicare Perusinis... 
Qui propter industriam suam tam in spiritualibus quam in temporalibus super 
alios eminebat, et ideo Mag. Ordinis Bercngarius fecit cum Vicarium suum super 
omncs fratres euntes ad nationes... Deinde per Joannem PP. factus cpiscopus in 
Soldaria... » 11 mourut en 1333, après quarante-six ans de prise d'habit. (Nécro¬ 
loge de Pérouse, cité par Masetti, Monuments, et sntiq ., I, p. 462. — Cf. Echard, 
I, p. 537.) 

1 Masetti, op. cit., I, p. 21. 

3 Acta Cspitul. Prov., p. 328. Ed. Douais. 

4 « Hic fratci* Guillermus, vir magne austeritatis et abstinentie in victu cxtitit, 
zeloque predicationis cvangelii Domini Jliesu Christi et desiderio salutis gencium 


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CHAPITRE II 


501 


Les deux religieux auxquels Maître Bérenger s’adresse, — dont 
l’un était de sa province, —jouissaient donc dans l’Ordre d’une 
réputation très justifiée. Tous deux étaient des apôtres zélés. Frère 
Franco à Gaffa, Frère Guillaume à Péra, où il avait fondé un cou¬ 
vent pour douze religieux, formaient comme des centres de vie 
dominicaine et d’évangélisation, dont le rayonnement s’étendait 
sur une grande partie de l’Orient. Leur influence pouvait être 
féconde. 

Au dire de Maître Bérenger, elle était urgente. 

« Plus mon âme exulte dans le Seigneur, écrit-il, lorsque je 
vois des Frères de notre saint Ordre, de vie vraiment honorable, 
cherchant non leur intérêt personnel, mais celui du Christ, aban¬ 
donner leur patrie pour dompter l’orgueil des infidèles, réparer les 
déchirures faites à la robe du Seigneur, et procurer avec ardeur 
le salut des âmes, plus également mon cœur est attristé, quand 
j’entends des rapports fâcheux sur la conduite des Pérégrinants. 

« On m’a raconté, ces temps derniers,— et je ne le répète pas 
sans une amère douleur, — que certains Frères Pérégrinants, qui 
avaient cependant choisi une vie pauvre, une vie de mendiant, 
en union avec le Christ pauvre, s’occupent beaucoup plus d’amas¬ 
ser de l’argent que d’extirper les mauvaises mœurs. Et ce qui 
devient plus dangereux encore, — car ils font acte de propriété, 
— ces richesses mendiées injustement, ils les déposent chez des 
trafiquants, afin de pouvoir en disposer sans l’autorisation de leurs 
supérieurs. 

« Quelques-uns, peu soucieux de leur bien propre et de celui 
des autres, absolvent facilement et sans mesure des excommuniés 
rebelles, comme à Alexandrie, même sans employer les formes 
prescrites par l’Église. L’argent qu’ils reçoivent de ces excom¬ 
muniés leur reste entre les mains, et ils le dépensent pour leurs 
besoins personnels, au lieu de le rendre à l’Église, à laquelle 
il revient. Ils ont ainsi des dettes écrasantes auxquelles ils ne 
peuvent faire face. 

« Ce qui me froisse le plus dans cette conduite indigne, c’est le 


succensus, pertransivit in Grcciam, pervenitque cum sociis Constantinopolim, ubi 
locum ad habitandum accepit; profecitque in lingua greca (ita) quod eam plenc 
scivit et libros latinos fratris Thomc in Grecam transtulit, sicut audivi a sociis 
suis, qui ibidem cum ipso fuerunt conversati, quos ego postmodum vidi, qui sibi 
perhibebant testimonium societatis. De Constantinopoli vero transivit ultra in 
villam que vocatur Pera, ubi similiter locum habuit ad habitandum cum fratri- 
bus XII conventualiter, Verbum Domini predicans et disputans contra errores 
Grccorum et in aliis salutis operibus jugiter se exercens. Arripuit autem iter ver¬ 
sus Romam de Tholosa, anno Domini MCC. Nonag. VIII, paulo post festum Sancti 
Michaelis. De Roma vero in Greciam anno sequenti profectus est... » (B. Gui, cité 
par Douais, les Frères Prêcheurs en Gascogne, p. 414-415. — Cf. Echard, I, 
p. 460.) 


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502 


BÉRENGER DE LANDORE 


scandale qui provient de la partialité avec laquelle on absout les 
excommuniés : les uns sont déliés de la censure; les autres, non 1 . » 

Dans la masse des Pérégrinants, il y avait donc des religieux 
disposés à profiter des bonnes occasions pour faire fortune et vivre 
à leur aise. Ils pouvaient, en effet, en recueillant des aumônes 
dans le but extérieur de subvenir aux nécessités des missions, 
arrondir leur pécule. Sur place, d’autre part, les marchands de 
Gênes, de Venise, dont les comptoirs s'échelonnaient sur les bords 
de la Méditerranée et de la mer Noire, ne demandaient pas mieux 
que de faire fructifier leur argent. Ce trafic était de bon rapport. 
Une fois alléchés par la cupidité, ces Frères, peu délicats, abu¬ 
saient de leur caractère pour extorquer de l’argent. L’excommu¬ 
nication devenait, entre leurs mains, une source de revenus. Ils 
absolvaient qui les payait. De là, ce scandale dont Maître Bérenger 
est si légitimement indigné. En amassant de l’argent, en devenant 
propriétaires, ils manquaient à leurs engagements personnels et ne 
faisaient tort qu’à eux-mêmes ; tandis qu’en donnant des abso¬ 
lutions de censure, sans observer les lois de l’Église, ils nuisaient 
et à eux-mêmes et aux autres. 

On comprend alors ce qu’ajoute le Maître : « Ces Pérégrinants 
dévoyés circulent de tous côtés, comme des vagabonds, seuls, la 
plupart du temps, malgré la défense des Constitutions; ils s'en 
vont, non sans danger pour leur âme et pour leur corps, errant 
partout, de ville en ville, sans autorisation, soit qu’ils ne la 
demandent pas, soit qu’elle leur ait été refusée*. » 

Cette vie sans frein, libre de tout contrôle, que nul regard auto¬ 
ritaire ou suspect ne pouvait vérifier, rendait plus faciles leurs 
allures de trafiquants. Seuls, ils étaient maîtres de leurs contrats. 

« Aussi, dit Maître Bérenger, ces Frères, oublieux du précepte 
de l’Apôtre, se mêlent des affaires séculières; ils préfèrent vivre 
avec les commerçants plutôt qu’avec leurs confrères. 

« Il y a là une marque évidente de cupidité, surtout pour des 
hommes qui, ayant renoncé aux biens de la terre, doivent tra¬ 
vailler au salut de tous et se livrer à la contemplation des choses 
célestes 3 . » 

Ces désordres graves étant connus, on ne s’étonnera pas de ce 
qui suit : 

« Ces religieux en sont venus dans leur extérieur, leur nourri¬ 
ture, leur vêtement, leurs mœurs même, à une telle déformation, 
que rien qu’à les voir on est blessé dans son âme. De là, parmi 
les Frères, tant de troubles et tant de divisions! » 

1 Cf. note, p. 497. 

* Ibid. 

3 Ibid. 


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CHAPITRE II 


503 


« Le silence, cet ornement si décoratif de la vie religieuse, 
n'existe plus. On ne le garde même pas dans les lieux où tous 
y sont tenus avec rigueur. L’usage de la viande s'introduit sans 
raison suffisante. On en mange, même au dehors, servie par les 
séculiers. Chose absurde, détestable, surtout en des régions où, 
selon ce qui nous est raconté, les autres religieux s’abstiennent 
avec soin de toute viande et de tout excès de table 1 . » 

Naturellement et par voie de conséquence, le culte divin souf¬ 
frait de ce relâchement disciplinaire. Ces religieux trafiquants, 
évaporés, en rupture d’obéissance, de mœurs douteuses, ne pou¬ 
vaient garder une affection bien profonde aux offices liturgiques. 
Mal à l’aise, dans leur conscience, avec Dieu, ils fuyaient sa pré¬ 
sence. 

« Au couvent de Péra, dit Maître Bérenger, on a modifié l’office 
divin à l’église, celui de la sainte Vierge, la célébration des 
messes, même l’office des morts. Ces changements inutiles ont 
provoqué chez les fidèles un véritable scandale. Il y a encore 
bien d’autres points qui m’affligent, des manquements graves à la 
vie régulière et aux observances de l’Ordre; mais je ne puis les 
énumérer tous*. » 

Evidemment, Maître Bérenger avait reçu des rapports fâcheux 
sur les Pérégrinants. Il se trouvait en face d’une situation qui 
exigeait des remèdes énergiques. Non pas qu’il faille conclure, de 
ces désordres individuels, que la masse des Pérégrinants en était 
venue à ce relâchement déplorable. Il y avait parmi eux un 
grand nombre de véritables missionnaires. La preuve en est que 
le Maître, loin de les supprimer, comme il aurait fallu le faire si 
le troupeau entier avait été atteint, prend immédiatement les me¬ 
sures nécessaires pour les remettre dans la voie droite. C’est donc 
qu’il avait une base d’opération; qu’il était sûr de trouver en ces 
couvents lointains des religieux qui prendraient à cœur d’exécuter 
ses volontés. Ces vrais disciples de saint Dominique, héritiers de 
tant d’apôtres et de tant de martyrs, devaient souffrir de si lamen¬ 
tables défaillances. Se sentant soutenus, dirigés par le Maître de 
l’Ordre, obéissant à ses ordonnances, ils pouvaient espérer de 
ramener leurs Frères égarés à la pratique et à l’esprit de leur 
vocation. 

Fort de cet appui, qui lui était connu, Maître Bérenger édicte 
une série d’ordonnances qui sont comme la charte officielle de 
fondation de la Congrégation des Pérégrinants. 

Il institue d’abord Frère Franco et Frère Guillaume Bernardi ses 
mandataires pour la réforme : 

t Cf. note, p. 497. 

* Ibid . 


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504 


BÉRENGER DE LANDORE 


« Il ne m’est pas permis, dit le Maître, de paraître de conni¬ 
vence avec ces religieux dévoyés. Aussi, plein de confiance dans 
votre prudence et dans la promptitude de votre zèle, je vous 
ordonne par les présentes, à vous, Frère Franco, Vicaire susdit, et 
à vous, Frère Guillaume Bernardi, ou à l’un de vous deux, s’il 
arrivait que l’autre disparût, de prendre, d’accord avec les Frères 
les plus sages de la Congrégation, les mesures les plus propres à 
corriger et à réformer les abus qui vous sont connus. Faites vite, 
et envoyez-moi au Chapitre général un rapport sur vos ordon¬ 
nances, afin que, s’il en est beoin, je les fortifie de mon autorité. 
En attendant, je veux que vos ordonnances soient observées avec 
autant de rigueur que si elles venaient de moi. 

« Toutefois, dès maintenant, selon la demande qui m'a été faite 
au nom de la Société et pour sa consolation, voici ce que j’or¬ 
donne : 

« Les Frères ne peuvent avoir que l’usage des biens qu’ils ont 
acquis dans ces contrées. A leur mort ou à leur retour dans leur 
province d’origine, ces biens appartiendront de droit à la Congré¬ 
gation ou au couvent qu’ils auront habité le plus longuement, 
selon que le Vicaire Général en décidera avec l’avis de son Con¬ 
seil. Si cependant un Frère est renvoyé en Europe, à cause de ses 
fautes ou pour toute autre raison, on devra lui remettre une 
somme suffisante pour subvenir honnêtement à ses frais de 
route { , » 

Cette ordonnance portait un coup droit au trafic. Si les biens 
acquis devenaient de droit la propriété de la Congrégation; si le 
trafiquant ne pouvait les emporter avec lui à son retour; s’il lui 
était impossible d’en faire profiter les siens et de se préparer à 
lui-même, pour ses vieux jours, des ressources bienfaisantes, à quoi 
bon le commerce? Il n’y aurait plus, pour s’y livrer, que les reli¬ 
gieux entièrement infidèles et disposés à vivre comme des apostats. 

Même sur place, l’argent leur échappait : « Je défends au 
Vicaire Général, aux supérieurs des maisons, de garder chez eux 
l’argent qui appartient à la communauté. Ils devront le confier 
à un Frère, ou à deux, qui seront chargés, sur l’ordre des supé¬ 
rieurs, des dépenses communes 1 . » 

C’est la loi du Procureur que le Maître impose pour les mai¬ 
sons d’Orient comme pour celles d’Europe. Loi de garantie pour 
la gestion financière et la responsabilité personnelle des auto¬ 
rités. Maître Bérenger passe ensuite à l’organisme du pouvoir. 

Il n’y avait point, pour les Pérégrinants, de maisons conventuelles 
proprement dites, à part les maisons de frontière. Ils habitaient 

1 Cf. note, p. 497. 

* Ibid. 


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CHAPITRE II 


505 


d'ordinaire plusieurs ensemble, selon les besoins des missions. Ces 
résidences n’étaient que de simples vicariats. Encore fallait-il qu’il 
y eût un chef responsable. 

Maître Bérenger ne veut point que ce supérieur local soit à 
l’arbitraire du Vicaire Général. Partout, mais plus encore à une 
distance qui empêche les recours à l’autorité majeure, l’arbitraire 
dans le gouvernement est une source de difficultés : « Je ne veux 
pas que le Vicaire Général institue les Vicaires locaux ou les enlève 
sans prendre l’avis de son Conseil, et, s’il se peut, sans l’avis des 
Frères les plus graves de la maison 1 que ce Vicaire doit gou¬ 
verner ou quitter. » Il n’y a pas d’élection, puisqu’il n’y a pas de 
couvent; mais on doit s’en rapprocher le plus près possible et ne 
pâs imposer d’office un supérieur. 

Le recrutement devait s’opérer avec une grande prudence : « Je 
vous accorde, dit Maître Bérenger, à vous, Vicaire des Pérégri- 
nants, et à vos successeurs pro tempore, de pouvoir prendre parmi 
les provinces de l’Ordre, — Terre Sainte et Grèce exceptées, — les 
Frères qui consentiront à vous rejoindre, capables, du reste, de 
remplir ce ministère, même des Lecteurs, des Prieurs conventuels 
et les officiers inférieurs. Seulement, à votre requête, les Prieurs 
conventuels et provinciaux devront s’enquérir des qualités de ces 
religieux et vous délivrer des lettres testimoniales favorables. S’ils 
occupent quelque charge, je déclare qu’une fois qu’ils auront 
accepté d’entrer dans votre Congrégation, ils en seront absous de 
droit, à l’exception de la charge de Prieur et de Lecteur dans 
les couvents d’Études générales. 

« Vous pourrez également recevoir à l’habit et à la profession 
de l’Ordre les postulants de toute nation. Le Vicaire Général ne 
pourra user de ce pouvoir, ou renvoyer les Frères dans leurs pro¬ 
vinces, qu’avec l’avis et le consentement des Pères du Conseil. Ces 
religieux pourront être désignés pour prêcher et confesser*. » Le 
Maître autorise donc la création d’un noviciat à l’usage des Péré- 
grinants. C’était une nouveauté; car, jusque-là, leur recrutement 
venait des autres provinces et ne comprenait que des religieux 
déjà formés. La Congrégation se précisait davantage. On pouvait, 
de tous les pays du monde, se donner à elle et faire sur place, 
dans ses couvents de frontière, l’apprentissage de la vie religieuse 
et de l’apostolat. 

La correction des délinquants, quelle que fut leur origine, 
appartenait au Vicaire Général : « Je vous accorde le pouvoir de 
punir, selon les lois de l’Ordre, les religieux coupables, et même 
de les renvoyer dans leurs provinces, s’il en est besoin, mais avec 

1 Cf. note, p. 498. 

* Ibid . 


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506 


BÉRENGER DE LANDORE 


le consentement des Pères graves. Ce droit de correction s’étend 
à tous les Frères Pérégrinants, même à ceux qui sont envoyés 
nommément par le Saint-Siège, à moins que le Pape ne leur ait 
donné des lettres d’exemption 1 . » 

Il fallait pourvoir d’une manière juridique à la transmission de 
l’autorité. A qui revenait le droit d’instituer le Vicaire Général des 
Pérégrinants ? Maître Bérenger accorde aux religieux réunis au 
couvent de Caffa ou de Péra, ou même ailleurs, de faire une élec¬ 
tion, et celui qu’ils auront choisi à l’unanimité ou à la majorité 
des voix aura immédiatement pleine autorité sur les Pérégrinants; 
mais cette élection devra être notifiée au Maître Général de l'Ordre. 
S’il l’approuve, elle conserve tous ses effets; s’il ne l’approuve pas, 
il désignera d’office un supérieur*. Le droit électif demeure à 
la base de l’autorité, chez les missionnaires comme dans toutes 
les maisons de l’Ordre, avec cette différence que, après une pre¬ 
mière élection non confirmée, le Maître Général institue lui-même 
un Vicaire. On comprend, en effet, que, vu les distances, il était 
impossible de renouveler l’élection. Mais les religieux de Caffa et 
de Péra avaient droit à cette élection, et l’institution d’office ne 
venait que si elle n'était pas confirmée 3 . 

Maître Bérenger exige également que les Frères dispersés parmi 
les infidèles, pour leur évangélisation, aient un supérieur immédiat 
auquel ils soient tenus d’obéir 4 . De même, si le Vicaire Général est 
obligé de s’éloigner, soit pour assister aux Chapitres ou traiter 
quelques affaires en cour de Rome, soit pour pénétrer plus avant 
chez les infidèles, il devra désigner un religieux avec pleins pou¬ 
voirs, mais après avoir pris conseil des Pères graves 5 . De toutes 
manières, il doit y avoir une autorité légitime, toujours présente, 
toujours accessible, pour que les Frères puissent recourir à sa 
direction. 

Ces expéditions lointaines exigeaient des ressources abondantes. 
Maître Bérenger n'a garde de l’oublier : « La vie présente, dit-il, 
ne peut se soutenir sans le secours des biens temporels. Je vous 
autorise donc à faire des quêtes partout où vous le jugerez utile. 
Vous disposerez de leurs produits pour le plus grand bien de votre 
œuvre, selon les lois de l’Ordre. Et s'il arrive que vous ayez 
besoin de rentrer en Europe, soit pour les Chapitres généraux, soit 
pour vos affaires en cour de Rome, je vous accorde de faire ce 
voyage en toute liberté. Je prie, en outre, les Prieurs provinciaux 
et conventuels, ou leurs remplaçants, de vous accueillir avec bonté 

1 Cf. note, p. 498. 

* Ibid. 

« Ibid. 

* Ibid. 

» Ibid. 


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CHAPITRE II 


507 


et de vous rendre tous les services que vous leur demanderez. 
S’ils le peuvent, qu’ils vous fournissent d’ornements pour vos 
églises, de livres pour vos bibliothèques. Vous pourrez demeurer 
dans les couvents étrangers aussi longuement que vous le jugerez 
nécessaire. La place du Vicaire Général sera immédiatement après 
les Prieurs, au chœur, au réfectoire et ailleurs 4 . » 

Ouvrir un noviciat à CafTa ou à Péra, c’était assurément faci¬ 
liter le recrutement des Pérégrinants. Encore fallait-il pourvoir à 
leur instruction, si quelques-uns offraient des aptitudes spéciales 
pour l’étude. Sur place, on pouvait donner aux novices le degré 
de science requis pour recevoir le sacerdoce et exercer un modeste 
ministère; mais l’avenir de la Congrégation était intéressé à ce 
que, parmi ses membres, il y eût des hommes très instruits, formés 
aux grandes écoles de l’Ordre. Cette nécessité s’imposait d’autant 
plus que les Pérégrinants avaient à lutter souvent contre les Grecs, 
et ceux-ci, plus fiers que savants, excellaient à manier l’objection 
et à dérouter leurs adversaires. Aussi Maître Bérenger autorise 
le Vicaire Général à envoyer un ou deux étudiants pour les arts 
et la théologie aux Études générales de Provence, de Lombardie 
supérieure et inférieure et de Rome. Les supérieurs de ces quatre 
provinces devront les garder au moins pendant trois ans*. 

Ces graves questions réglées, le Maître dispense les Pérégri¬ 
nants d’acquitter les messes imposées dans les Chapitres géné¬ 
raux comme suffrages obligatoires, « parce que, dit-il, vous êtes 
souvent dans l’impossibilité de célébrer la messe 3 . » Il accorde, en 
outre, au Vicaire pro tempore, de se choisir un ou plusieurs con¬ 
fesseurs. La lettre se termine par ce vœu : « Daigne la bienheu¬ 
reuse Trinité vous faire la grâce de progresser et de régner, de 
vaincre par la foi les puissances du monde et de mériter ainsi les 
divines récompenses promises aux hommes évangéliques ! 

« En témoignage de cette institution, de cette commission et de 
cette concession, j’ai scellé de mon sceau les présentes lettres. De 
Montpellier, l’an 1312, le 13 des calendes de novembre (20 octo¬ 
bre) 4 . » 

Telle est la charte de fondation de la Congrégation des Frères 
Pérégrinants pour le Christ. C’est d’après ces lois qu’ils vont 
continuer leur œuvre d’apostolat et développer leur extension en 
Orient. 

Ils avaient devant eux un champ presque sans limite. 

En 1318, Jean XXII, leur adressant une lettre pleine d’éloges et 


1 Cf. note, p. 499. 
* Ibid. 

« Ibid. 

« Ibid. 


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508 


BÉRENGER DE LANDORE 


de privilèges, nomme quelques-unes des nations qu’ils étaient 
appelés à évangéliser : « A nos chers fils, les Frères de l’Ordre des 
Prêcheurs, qui se trouvent dans les terres des Sarrasins, des 
Grecs, des Bulgares, des Cumans, des Ibères, dés Alains, des 
Gazarens, des Goths, des Ruthènes, des Jacobites, des Nubiens, 
des Nestoriens, des Géorgiens, des Arméniens, des Indes, des 
Macolites et de toutes les nations infidèles de l’Orient, du Nord 
ou d’ailleurs 1 ... » 

Ces peuples comprenaient tout l’empire des Tartares, depuis les 
Karpathes jusqu'à la Chine, les régions de la Perse, de l'Arménie, 
les rives de la mer Noire, l’Arabie, et même l’Ethiopie. Cependant, 
il n’apparaît pas que les Pérégrinants aient eu sous leur direction 
les missions d’Afrique. Celles-ci étaient indépendantes et soumises 
immédiatement au Maître Général de l’Ordre et aux Provinciaux 
d’Espagne; car la plupart des missionnaires parmi les Maures des 
côtes barbaresques sortaient des provinces dominicaines espa- 

1 « Johannes Episcopus, servus servorum Dei, dilectis filiis Fratribus Ordinis 
Praedicatorum in Terris Saracenorum, Paganorum, Graecorum, Bulgarorum, Cuma- 
norum, Ibcrorum, Alanorum, Gazarorum, Gothorum, Ruthenorum, Jacobitarum, 
Nubianorum, Nestorianorum, Georgianorum, Armenorum, Indorum, Macolilarum, 
aliarumque non credentium nationum Orientis, et Aquilonis, seu quarumeumque 
aliarum partium proficisccntibus, salutem et Apostolicam bencdictioncm. 

« Gratias agimus gratiarum omnium largitori, qui duritiei cordium infidelium, in 
nonnullis locis Aquilonarium , et Orientalium partium consistcntium, tamquam 
terrae vastae solitudinis, et imbre divinae gratiac indigenti, imbrem compluit pluviae 
baptismalis, et per ministerium vestrum, et aliorum religiosorum, terram illam 
vomerc sanctae praedicationis excoluit, semenque Vcrbi Dei coelcstis Agricola 
seminavit, quod féliciter in segetem pullulât; ita quod regioncs illae messcm mul- 
tam ostendunt; quae quidem, dante Domino incrementum, plurcs rcquirit opera- 
rios; ut conquisita jam messis dominica inscratur in horrea, et aliorum terra, quam 
imber coelcstis gratiæ non infudit, veslris meritis de vena superioris irrigui made- 
facta, capiat Verbum Dei, reddatur apta colentibus; ut tandem, in ipsa divini 
Verbi semine seminato, in fœcundam segetem pullulet, seges uberem fœcundetur 
in messem, ut crescente vestro, et aliorum operariorum ministerio spiritualis con- 
sortii sacris horreis cumuletur. Ad continuandum igitur in partibus illis salutis 
eulogium evangelicac veritatis, tubam universitati non credentium intonandam, 
sacris quoque olivae ramis Fidei Christianae Aquilonaris in fructiferi oleastri ger- 
mina inserenda, ut fiat Christianae gratiac latitudo, seque per partes totius orbis 
extendat, vos hortandos duximus, ac ctiam excitandos, vobis in remissionem pec- 
caminum injungentes , ut tamquam fideles ministri Satoris aeterni feratis semen 
gratiac in agrum sterilem non credentium animarum, neophytorum, et nutantium 
animos conflrmetis in fide, corda fidelium confortetis in luce sermonis, et rectitu- 
dine operis, propositum vobis iter, sine quorumlibet ofTensione curratis. Ut autem 
ministerium vestrum eo plcnius prosperetur, quo majori fueritis auctoritate suffulti : 
vobis Apostolica auctoritate concedimus, ut in terris illarum partium, quæ adhuc 
Scdis Apostolicae magisterio non intendunt, proponere Verbum Dei; et constilutis 
ibidem, non obstantc si aliqui fuerint majori excommunicatione ligati, officio, 
cibo, ac in aliis honestis, et licitis communicare secure, ipsosque, seu alios, quos 
converti ad unitatem Christianae Fidei affcctamus, recipere, baptizare, et aggre- 
gare ovili Fidelium valeatis, ut per regenerationis gratiam de longinquo ad suum 
revertentes auctorcm liberi effîciantur ex servis, de extraneis provehantur in tilios, 
ex corruptili carne nati, ex Dei Spiritu renascantur , et obtineant per gratiam, 
quod non obtinuerunt per naturam etc. Datum Avinione Kal. Maii, Pontificatus 
nostri Anno Secundo. » (1 er mai 1318. Bail. Ord. f II, p. 136.) 


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CHAPITRE II 


509 


gnôles. Mais le Pape, ayant à accorder des privilèges à tous les 
missionnaires chez les infidèles, ne fait aucune distinction entre 
eux. Tous, travaillant pour la gloire de Dieu, avaient droit aux 
mêmes louanges et aux mêmes faveurs. 

L'action des Pérégrinants dans la Perse fut si féconde que, six 
ans après la charte de Maître Bérenger de Landore, Jean XXII eut 
la joie d’y instituer la hiérarchie ecclésiastique. 

Ce fait si extraordinaire est la preuve évidente que, dans ces 
régions, les catholiques s’étaient considérablement développés. 
L’usage de l’Église est, en effet, de ne constituer une chrétienté 
en hiérarchie, c’est-à-dire avec un métropolitain et des évêques 
suffragants, que là où les fidèles sont assez nombreux pour former 
réellement des diocèses différents. 

Frère Franco, Vicaire Général des Pérégrinants, avait lui-même 
évangélisé les Persans. Écrivant au Prieur de Pérouse, il lui disait : 
« J’ai prêché à ces peuples pendant bien des années; aujourd’hui 
encore je prêche, j’entends les confessions, je traduis des ouvrages 
latins en la langue du pays. Un jour de fête, pendant que je prêchais 
aux Sarrasins, la grâce de Dieu les pénétra tellement, qu’après le 
sermon ils baisaient mes mains en pleurant 1 . » Ces succès sérieux, 
qui s’étaient multipliés un peu partout, le décidèrent à demander 
à Jean XXII l’institution de la hiérarchie catholique au milieu de 
son troupeau. Il lui députa un de ses compagnons, Frère Guil¬ 
laume Adam, Français d’origine. On ne sait à quelle province il 
appartenait*. Frère Guillaume se rendit auprès du Pape à Avignon 
et lui exposa la supplique du Vicaire Général des Pérégrinants. 
Il eut la joie de trouver dans Jean XXII un homme zélé pour le 
règne de Dieu, ami des grandes entreprises, très dévoué à l’Ordre 
des Prêcheurs. Ce Pape, Français d’ofigine, né à Cahors, avait été 
élu, après un laborieux conclave de près de deux ans, le 7 août 
1316 3 . 

Frère Guillaume lui raconta ce que les Pérégrinants avaient 
fait en Perse, le nombre croissant des catholiques, surtout dans la 
ville de Soltanieh, au nord du pays, où vingt-cinq églises étaient 
ouvertes publiquement au culte, la faveur amicale et protectrice 
de l’empereur Usbeck 4 . Ce prince tartare avait conquis toutes ces 

1 Chron. de Pérouse, lib. C, p. 963. Ms. arch. Ord. 

* Cf. Echard, I, p. 537. 

3 Cf. Bertraudy, Recherches historiques sur Vorigine , Vélection et le couronne¬ 
ment de Jean XXII. Paris, 1854. 

4 La relation de Frère Guillaume Adam à Jean XXII était écrite en latin. Elle 
parut si intéressante que, dès l’an 1351, elle fut traduite en français par Frère Jean 
de Long d’Ypres, moine de l’abbaye de Saint-Berlin à Saint-Omer. Nos Pères 
étaient très friands de ces récits d’Orient. 

Elle avait pour titre : « L’Estât et la Gouvernance du Grand Caan de Cathai, 
Souverain Empereur des Tartarcs, et de la disposition de son Empire, interprété 


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BÉRENGER DE LANDORE 


immenses régions; n’était-ce point l’heure propice pour y établir 
sur des bases solides la religion du Christ? Jean XXII se laissa 
facilement convaincre. A la date du 1 er mai 1318, une bulle ins¬ 
titue Frère Franco de Pérouse premier archevêque de Solta- 
nieh, créée, de ce chef, métropole de tous les territoires soumis à 
l’empereur tartare. Il y adjoint six suffragants, pris tous parmi les 
Prêcheurs, ses compagnons d’apostolat : Frère Gérard Calvi, 
Frère Guillaume Adam, Frère Barthélemy du Puy, Frère Bernar¬ 
din de Plaisance, Frère Bernard Moreti et Frère Barthélemy 
Abaliati de Bologne, religieux instruits dans la science divine, de 
vie régulière honorable, que leurs vertus rendaient dignes de cette 
haute mission 1 . 

Le Pape ne désigne pas les six sièges suüragants, mais simple- 

en latin par un archevesquc qu’on dit l’archevesque Saltensis, au command du 
Pape Jean XXII de ce nom. » 

Cette relation a été imprimée à Paris en 1529 par du Verdier dans sa Bibliothèque 
Gallicane, p. 715, avec les autres traductions du Frère Jean d’Ypres. (Cf. Echard, 
I, p. 537-538.) 

Frère Jean d’Ypres qualifie Frère Guillaume Adam « d’Archevesquc Saltensis ». 
En effet, après la démission de Frère Franco de Pérouse, il lui succéda sur le siège 
métropolitain de Soltanieh. En 1323, il signait avec ce titre un document pour la 
canonisation de saint Thomas. [Ibid. — Cf. Fontana, Monum. Dom., p. 181.) 

1 « Johannes Episcopus, servus servorum Dei, dilecto filio Fratri Franco Perusino, 
Ordinis Praedicatorum, Electo Soltaniensi, salutem, et Apostolicam bencdictio- 
nem. 

« Pridcm gratis relatibus intcllecto, quod in partibus Pcrsidis, et Terris aliis cir- 
cumpositis sub magni imperatoris Tartarorum Pcrsidis Imperio constitutis, venusta 
fldelium, et novella plantatio, quam inibi plantasse dignoscitur misericordia condi- 
toris, regenerata unda Baptismatis nomen veneratur Altissimi, et inspiciens lucem 
magnam, extollit laudibus nostri praeconia Rcdcmptoris, ingentem suscepimus in 
corde laetitiam; votis ferventibus affectantes, ut viros, virtutis, honoris, et gratiœ 
titulo rifulgentes, ad cultum novellae vineae verae vitis tanquam cultores indus- 
trios, et operarios opportunos, quorum curiosa cultura ejusdem vineae palmites in 
illarum partium latitudincm usque ad extremos Orbis terminos, Deo auxiliante, 
succrescant, per opportunae solicitudinis, et diligentiac studium poneremus. Propter 
quod Villam Soltaniensem in eisdem partibus, et dominio constitutam, inter alias 
villas dictarum partium, prout fide dignorum habet assertio, insignem, nobilem, et 
famosam, ac habentem populum copiosum, de Fratrum nostrorum consilio, et 
Apostolicae plenitudine potestatis, in Civitatem Metropolitanam duximus erigen- 
dam : ac ad personam tuam, evangelizantem in illis partibus Verbum Dei, de cujus 
sanctitate vitae, literarum scientia, et aliis copiosis virtutum meritis, magna Nobis, 
et eisdem Fratribus fide digna testimonia sunt relata, oculos dirigentes, te Ordinis 
Praedicatorum professorem, de ipsorum Fratrum consilio, et dictae potestatis plc- 
nitudine, Ecclesiae dictae civitatis in Archiepiscopum praefecimus , et pastorem : 
curam et administrationem, et solicitudinem animarum omnium existentium in eis¬ 
dem partibus, quae subduntur praefati Imperatoris, neenon Caydo, et Aethiopiae, 
ac Indiae Regum seu Principum dominiis, tibi plenarie committentes ; tibique exer- 
cendi omnia, quae ad jura Archiepiscopalia spcctare noscuntur, secundum quod 
esf sacris Canonibus diflinitum, concedentes plenam et liberam potestatem, prout 
haec, et alia in nostris super hoc confectis literis plcnius continentur. Volentes 
igitur, ut catholicae fidei veritas semper de bono in melius, auctore Domino, in 
illarum partium latitudine, expulsis tenebris clucescat, sex de Fratribus dicti Ordi¬ 
nis videlicet Geraldum Calvensem, Guillelmum Adae, Bartholomaeum de Podio, 
Bernardinum de Placentia, Bernardum Moreti, et Bartholomaeum Abaliati, in lege 
Domini eruditos, vita et religione praeclaros, et multarum virtutum titulis com- 
mendatos, de dictorum Fratrum consilio, et ejusdem plenitudine potestatis, as- 


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CHAPITRE II 


5ii 


ment les titulaires. Il laissait à l’archevêque Franco, qui connais¬ 
sait le pays, le soin de les déterminer pour le plus grand bien de 
ces peuples et la facilité des relations des évêques entre eux. 

On les connaît par les documents recueillis et publiés en 1656 
par le Père Galano, dans son livre De conciliatione Ecclesiæ Arme - 
nianæ cum Romana l . Tous étaient situés sur le territoire persan, 
sauf celui de Caffa, en Ghersonèse, sur les bords de la mer Noire. 
Outre le siège métropolitain de Soltanieh*, il y avait ceux de 
Tiflis, où les Frères possédaient depuis longtemps un couvent; de 
Tauris, de Maragha, de Diagorgana, de Semiscal et de Colombo. 
Identifier aujourd’hui la plupart de ces villes est presque impossible. 
Ou elles ont été détruites, ou elles sont réduites aux conditions 
de modestes villages, dont les noms défigurés ne peuvent les faire 
reconnaître 3 . 

Frère Guillaume Adam, consacré évêque à Avignon, fut chargé 
par Jean XXII de consacrer à son tour Frère Franco de Pérouse 4 . 
Il lui portait en outre le signe de la dignité archiépiscopale, le sacré 
Pallium. Une bulle en avertit Frère Franco et lui notifie les jours 
solennels où il pourra se servir de cet ornement 5 . 

En même temps, Jean XXII s’adresse directement à l’empereur 


sumpsimus, et pracfecimus in Episcopos, et Pastores : ipsosque in adjutorium cora- 
missae tibi solicitudinis pro majori animarum salutc in praefatis partibus duximus 
deputandos. Datum Avinione Kal. Maii, Pontificatus nostri Anno Secundo. » 
(1« mai 1318. Bull. Ord., II, p. 137.) 

1 Rome, imprimerie de la Propagande, 1656. 

1 « Quarta est ecclesia magnæ civitatis de Sultanæa in Perside; ubi erant olim 
Christianorum Templa Viginti quinque nunc vero vix exstant in ea domus aliquot 
infidelium cum ecclesia majori in spurcitiam Mahometicae superstitionis con¬ 
versa... » (Cf. Galano, op. cit.) 

Rainaldi parle également de cette fondation d’une église dominicaine en Perse 
(V. p. 78 et ss.). — Cf. Melloni, Mémo rie de 9 Santi Bolognesi, II, p. 110-140. Bologne, 
1779. 

3 Ainsi les uns placent Maragha en Mésopotamie près de Mossoul, les autres en 
Médie, les autres au nord de la Perse, près la mer Caspienne. (Cf. Melloni, op. cit. f 
p. 121. — Assemani, Bibliotheca Orientais, III, p. 761 et ss. — Le Quien, Oriens 
chrislianus , III, Append., col. 1324.) 

4 Echard, I, p. 537. 

8 « Cupientes, inquit, praedictam Soltaniensem ecclcsiam, ad quam velut opus 
manuum nostrarum intenta mente afficimur, cujusque exaltationem desidcramus ex 
animo, honoribus gratiosis attollerc; tibi et successoribus tuis archiepiscopis Sol- 
taniensibus, qui pro tempore fuerint, in nativitatis et duobus diebus sequentibus, 
circumcisionis, epiphaniae, resurrcctionis et duobus diebus sequentibus, et ascen- 
sionis et pentecostes, et in quatuor B. Mariae ; nativitatis B. Joannis Baptistac 
Apostolorum Pétri et Pauli, et omnium sanctorum, in die coenac Domini sabbati 
sancti, ramis palmarum, commemoratione omnium sanctorum, B. Laurentii marty- 
ris, B. Georgii, B. Gregorii, B. Augustini, B. Dominici , et in principali ipsius 
ecclesia festivitatibus, ac in dedicationibus ecclcsiarum, consecrationibus episco- 
porum, in ordinationibus clericorum, in abbatum ac abbalissarum et monialium 
benedictionibus, nec non et in die consecrationis tuae, ipsique successores infra 
dictam ecclesiam et totam provinciam Soltaniensem pallio de corpore B. Pétri 
sumpto, quod tibi et iisdem successoribus per certos nuntios ad partes ipsas trans- 
mittimus, uti licite valeatis, auctoritate praesentium indulgcmus etc. Dat. Avi¬ 
nione kal. aug. anno secundo. » (Bull. Ord., II, p. 144, 1 er août 1318.) 


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BÉRENGER DE LANDORE 


tartare. Il félicite Usbeck de la bonne volonté qu’il témoigne en 
faveur des chrétiens : « Nous avons appris avec joie, lui dit-il, 
que, non sans une inspiration spéciale de Dieu, par respect envers 
Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, vous regardez et vous 
traitez avec bonté les chrétiens de votre empire 1 ... » Et le Pape 
exhorte vivement ce prince à embrasser la foi chrétienne. Puis, il 
ajoute ce curieux détail : « Nous avons appris que, dans les com¬ 
mencements, vous permettiez aux chrétiens d’avoir des cloches 
dans leurs églises et de les sonner pour annoncer les heures de la 
prière*. » Cette permission avait déplu aux infidèles, et l’empe¬ 
reur, sur leurs instances, l’avait retirée depuis trois ans. « Nous 
vous prions, dit Jean XXII, d’accorder de nouveau cette autori- 
risation, pour l’honneur du saint Nom de Dieu 3 . » 

L’Église dominicaine fondée dans le nord de la Perse persévéra. 
Elle était surtout alimentée par les infiltrations.des Arméniens, qui 
se répandaient nombreux dans le pays. Déjà chrétiens, mais la 
plupart hérétiques et schismatiques 4 , ils offraient un terrain plus 
propice à la prédication des Frères que les Musulmans ou les 
Boudhistes. Grâce à ces évêchés, les Prêcheurs purent s'établir 
plus solidement sur ce sol d’Orient et y fonder des couvents. 
Ainsi le bienheureux Barthélemy de Bologne, l’évêque de Maragha, 

1 « Magnifico Viro Usbec Impcratori Tartarorum illustri divinae inspirationis 
gratiam in praesenti, et fruitioms aeternac gloriam in futuro. 

« Laetantcr audivimus, quod tu, non absque speciali motione divina, ob reveren- 
tiam Christi Jesu Domini salvatoris, religionis Christianae cultores, infra imperii 
tui terminos constitutos, benigno favorc prosequeris et pertractas : hoc in te per 
te agente illo, qui pro sua voluntate bona in nobis vclle ac perficere operatur; 
quique vult omnes homines salvos tieri, et ad agnitionem pertingere veritatis. Nos 
igitur qui principis Apostolorum Pétri, quem Christus cœlum asccndens in terris 
suum vicarium dereliquit, regni coclestis traditis sibi clavibus, per quas ipse 
suique successorcs potestatem aperiendi omnibus et claudendi ejusdem regni 
januam obti,nerent, successorcs sumus sola Dei patientia non nostris meritis 
constituti , animas Dco lucrifacere super omnia cupientes, et errantes in viam 
veritatis reducere; ut ipsum agnoscant Deum vivum et verum omnium condito- 
rem, qui de tenebris nos vocavit, atque utiuam te ac tibi subjectos populos vocarc 
dignetur in admirabilc lumen suum, magnitudincm tuam rogamus et hortamur 
attentius, et per illius misericordiam obsecramus, qui te ad suam fecit imaginem 
se capacem : qui mortis et inferni claves obtinens, cui claudit, neino aperit, et cui 
aperit nemo claudit; quatenus prudenter considerans, quod vita nostra vapor ad 
modicum parens esse dignoscitur, quodque dies nostri transeunt velut umbra; 
saluberrimam fidei catholicae veritatem, quam sacrosancta Romana servat, praedi- 
cat, et docet ecclesia, sine qua creatori Deo est impossibile complacerc, reverenter 
amplectens cum subjectis tibi popolis per sacratam ac sacrantem undam baptis- 
matis, per quam, ut filii simus Dei, accipimus potestatem, spiritualiter regenereris 
in Ghristo : ut sic ab ipso regni cœlestis coronam incorruptibilem una cum ipsis 
populis conscqui merearis. » (Rainaldi, V, p. 78, 28 mars 1318.) 

» Ibid. 

* Ibid. 

4 « Incolebat autem tune temporis non solum Armeniam sed multas etiam Per- 
sidis urbes ingens Christianorum schismaticorum multitudo, quas bonus Pastor 
(Fr. Bartholomacus) uti aberrantes in viam veritatis adducerct, vel cum vitae 
dispendio, si necessarium foret, diu noctuque animo revolvebat. » (C. Galano, op. 
cit., p, I, cap. xxx, p. 508.) 


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CHAPITRE II 


513 


construisit, *en dehors de sa ville épiscopale, un double monastère : 
run sur la montagne, pour la saison d'été; l'autre au bas, pour 
les mois de chaleur moins torride. Il y demeurait dans la prière, 
au retour de ses courses apostoliques 1 . 


1 Mclloni, op. cit., II, p. 121. 


BIBLIOGRAPHIE 


Cl. Galano, De Concilialione Ecclesiæ Armenæ cum Romana. Rome, 1656. 
Assemani, Bibliotheca orientalis. 1725. 

Touron, les Hommes illustres de l'Ordre de Saint - Dominique, I. 1745. 

Le Quien, Oriens chrislianus. 

Somal, Lettres arméniennes. 1829. 

Vermiglioli, Scrittori Perugini. 1829. 

Fantuzzi, Scrittori Bolognesi . 1781. 

G. Melloni, Atti o memorie degli Uomini illustri in sanlità nati o morti in 
Bologna. Bologne, 1779. 



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CHAPITRE III 


LÉGATIONS ET DÉMISSION 


Pendant que Maître Bérenger s’occupait du gouvernement de 
l’Ordre, en Europe et en Orient, Jean XXII, qui avait pour lui 
la plus grande estime, le chargea d’une mission très importante. 

Comme tous ses prédécesseurs, ce Pontife désirait ardemment 
que la paix régnât dans les États chrétiens. Or, en France, son 
propre pays, il y avait lutte d’un bout du royaume à l’autre. Les 
nobles de Bourgogne, du comté de Nevers, de Champagne, de 
Picardie, d’Artois, ligués contre la Couronne, entendaient faire 
accepter du roi Louis X le Hutin leurs réclamations en faveur 
de leurs droits 1 . C’était une véritable réaction féodale contre les 
empiétements du roi de France. Formées sous Philippe le Bel, 
les ligues de ces diverses provinces avaient déjà parlé haut. 
Étroitement unis entre eux, disposés à se soutenir mutuellement 
contre les impositions, tailles, subventions ou changements de 
monnaie que la Couronne voudrait leur imposer, ces « alliés », 
comme on les appelait, étaient parvenus, par leur attitude mena¬ 
çante, à faire céder Philippe le Bel. A sa mort, survenue au 
moment même où il allait confirmer de nouveau le bien fondé 
de leurs réclamations *, les alliés ne se divisèrent point. Ils pour¬ 
suivirent, sous Louis X le Hutin et Philippe V le Long, leur 
campagne réactionnaire. Non sans succès; car, en 1315, Louis le 
Hutin accorda de nombreuses chartes qui, tout en maintenant 
les droits de souveraineté de la Couronne, octroyaient aux nobles 
seigneurs de larges concessions 3 . 

Il faut dire cependant qu’on avait peur des deux côtés. Le roi 
tremblait de voir ses barons marcher contre lui : d’où ses lar¬ 
gesses modérées ; les barons tremblaient de voir le roi prendre au 


1 Ch. Dufayard, la Réaction féodale sous les fils de Philippe le Bel, dans la Re¬ 
vue historique , LIV, LV (1894). — P. Viollet, Histoire des institutions politiques 
et administratives de la France, II (1898). 

1 Philippe le Bel mourut le 29 novembre 1314. (Revue historique, LV, p. 289.) 

3 Ibid. — Cf. A. Mobilier, Histoire générale du Languedoc , IX, p. 360. 


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CHAPITRE III 


515 


sérieux leur révolte : d’où leurs timides admonestations, et, à la 
première gracieuseté, leur reculade satisfaite. Le peuple, du reste, 
n’était point avec eux. L’auteur du Dit des alliés (1315) les chan- 
sonne allègrement : 

« En une semblance fardée 
Par dehors bonne et coulourée 
Firent il leur aliement 
Pour ce que feust relevée, 

Bonne coustume et ramenée... 

Ce disaient premièrement... 

Ils ont fait une tribouillée 

De Mars. Mais, comme blanche gelée 

Tost ara fait son passement... 1 . » 

On était plutôt effrayé d’une révolte qui, devenant plus grave, 
pouvait bouleverser le royaume. 

C’est ce qui arriva. 

A l’avènement de Philippe le Long, les choses s’envenimèrent. 

Louis le Hutin était mort à Vincennes, le 5 juin 1316. Il lais¬ 
sait une fille, Jeanne, et sa femme était enceinte. Si l'enfant était 
également une fille, à qui revenait la couronne? Le cas se posait 
pour la première fois. Trois princes pouvaient prétendre à la suc¬ 
cession : Philippe, comte de Poitiers, frère du roi défunt ; Charles 
de Valois, son oncle, et Eudes, duc de Bourgogne, frère de Mar¬ 
guerite de Bourgogne, première femme de Louis le Hutin, et oncle, 
par elle, de sa fille aînée, Jeanne. 

Philippe de Poitiers prit d’abord la régence. Au mois de sep¬ 
tembre, la reine accoucha d’un fils, qui mourut peu de temps 
après. La question de succession se posait donc entre Jeanne, la 
fille de Louis le Hutin, et Philippe, frère du roi. Celui-ci la tran¬ 
cha hardiment, en se faisant couronner à Reims, le 9 janvier 1317. 
Mais les grands seigneurs s’abstinrent la plupart, à l’exception 
de Charles de Valois et de Mahaut d’Artois. En Bourgogne, la 
vieille duchesse Agnès, fille de saint Louis, protesta au nom 
de Jeanne, et le duc lui-même, Eudes, réserva ses droits et ne 
parut pas au sacre. 

On voit que la loi salique était loin d’être reconnue, si elle 
existait. Philippe, voulant légitimer sa conduite, convoqua à Paris 
une assemblée de nobles, de prélats, de bourgeois et de docteurs 
de l’Université, qui approuvèrent sa conduite (février 1317). On 
dit même qu’on y posa ce principe : « Que les femmes ne suc¬ 
cèdent point au royaume de France 4 . » Puis, des commissaires 


1 E. Lavisse, Histoire de France, III, p. 272. 
* Ibid., p. 275. 


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516 


BÉRENGER DE LANDORE 


furent dirigés dans toutes les provinces, pour expliquer au 
peuple la légitimité de l’avènement de Philippe V et le porter 
à combattre les ligues qui pourraient se former contre son auto¬ 
rité. 

En effet, ses adversaires ne demeuraient pas inactifs. Peu après 
son couronnement, en janvier 1317, les barons, nobles, religieux, 
bourgeois du duché de Bourgogne et autres personnes sages du 
dehors s’étaient réunis et avaient condamné l’usurpation du comte 
de Poitiers. Ceux de Champagne firent de même. A Esnon, près 
de Joigny, ils prirent le parti de Jeanne. Un manifeste fut envoyé 
à tous leurs amis, dont Jean III, duc de Brabant, où ils accusent 
Philippe le Long de menacer leurs terres et les invitent à se 
liguer ensemble pour lui résister 1 . 

Vers les fêtes de Pâques 1317, la guerre paraissait donc immi¬ 
nente. La Bourgogne, le comté de Nevers, la Champagne et, au 
nord, le Brabant, allaient entrer en lutte contre le roi de France. 

C’est alors qu’intervint le Pape Jean XXII. A sa sollicitation, 
les partis acceptèrent d’engager des pourparlers, même le comte 
de Nevers, qui seul avait été assez hardi pour commencer les 
hostilités. Il fut décidé que les conférences auraient lieu à Melun. 
Jean XXII choisit pour ambassadeurs et arbitres Renaud, arche¬ 
vêque de Bourges, et Maître Bérenger de Landore*. Ces deux 
personnages devaient employer tout leur zèle à pacifier les esprits, 
en faisant reconnaître pour roi légitime Philippe le Long. Dès 
son couronnement, le Pape s’était déclaré en sa faveur. Philippe, 
du reste, qui sentait combien la protection du Saint-Siège lui 
était nécessaire pour consolider les bases de son trône, ne lui 
avait pas ménagé les témoignages de sa filiale déférence. Et le 
Pape, profitant de l’occasion, s'était fait un devoir de lui donner 
les conseils les plus paternels et les plus graves pour sa conduite 
privée et l’administration de ses États 3 . Ses ambassadeurs par¬ 
taient donc pour Melun, pleins de bienveillance pour le roi de 
France. 

Trois bulles, datées du 25 avril 1317, ont trait à cette affaire. 

Dans l’une, Ecce fili carissime*, Jean XXII avise Philippe le 

1 Cf. E. Lavissc, Histoire de France, III, p. 276. 

* Cf. Rainaldi, V, p. 48. 

* Ibid. 

* « Johannes Episcopus, scrvus scrvorum Dei. 

« Carissimo in Christo ülio Phylippo IJcgi Franciae et Navarrae Illustri salutcm et 
Apostolicam benedictioncm. 

« Ecce fili carissime dolenter audito, quod dilecti filii Otho Dux Burgundiae, et 
Ludovicus Cornes Nivernensis, et Alligati de Comitatu Campaniac ca ad quae tibi 
tenentur ut Domino praestarc refugiunt, et ab obedientia tua temerarie se subdu- 
cunt quodquc Alligati de Comitatu Attrcbatensi redire ad fidelitatem et obedien- 
tiam debitam, concurdiam super hoc pridem, ut audivimus, initam non servando 
contemnunt. Audito etiam quod nonnulli ex praediclis inobedientibus, ac Procu- 


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CHAPITRE III 


517 


Long de l’envoi de ses délégués, dont il fait l’éloge. Une autre, 
adressée au comte de Nevers, Paternum tibi 1 , lui reproche en 
termes véhéments sa rébellion contre son souverain et l’exhorte 
à écouter les propositions de ses légats. On sent qu’il veut obte¬ 
nir la pacification et qu’il n'hésitera pas à appuyer de tout son 
pouvoir la cause de Philippe le Long. 

La troisième bulle, Probatae fidei institue Renaud de Bourges 


ratores, seu Nuncii Flamingorum certa die debent coram te Parisius comparerc 
solennes nostros Nuncios videlicct Venerabilem Fratrem nostrum R. Archiepisco- 
pum Bituricensem, ac Dilectum iilium Fratrem Berengarium de Landora Magistrum 
Ordinis Fratrum Praedicatorum, Viros equidem probatae circumspectionis, et fidei 
pacem gérantes in votis, ac tuorum honoris et commodi Zelatores ad tuam, et 
illorum praesentiam providimus e vestigio destinandos, qui jam ad arreptionem 
itineris prosequendi continue se accingunt, tibi, et illis Apostolicas praesentaturi 
litteras super discriminum imminentium scdatione confectos. Et nihilominus tibi, 
et illis ex parte nostra quaecumque opportune et utilia negotio fuerint suasuri. Tu 
ergo, fili carissimc, prudenter attento , quod licet pacis bonum si aliter nequeat 
obtineri per suum contrarium licite queri possil. Quia tamcn ilium pro viribus 
imitari te convenit, qui cum irascitur semper misericordiae recordatur nedum ad 
exhibendum justitiam eisdem inobedientibus te pronum, et flexibilem ofTeras quin 
etiam eos in vultu Pœnitenliam redire paratos ad gratiac tuae sinum clementer 
admittas. Utautem illi ex praedictis, qui praefixa die Parisius fuerint, aliquid sciant 
de nostro circa praemissa proposito, Dilecto Filio... Priori Fratrum Praedicatorum 
de Parisius, vel ejus locum tenenti per veloccs Cursores exhibitores praesentium 
scribimus, ut te ad pracdicta, et illos ad obedicntiam, et pacem solerter inducat, 
eisque significet qualiter illud praemissis ex causis praedictos Nuncios cum celeri- 
tate qua convenit dcstinamus. Eidem vcro Priori, aut ejus locum tenenti circa ea, 
quae referet in praemissis, per te fidem petimus credulam adhiberi. 

« Datum Avinione VII Kalendas Maii Pontificatus nostri Anno primo. » 
(25 avril 1317.) (Bull. Ord. ined., Ms. arch. Ord., I, 20, A.) 

1 Bull. Ord. ined., Ms. arch. Ord., I, 20, A. 

* « Johannes Episcopus, servus servorum Dei. 

« Venerabili Fratri Raynaudo Archiepiscopo Bituriccnsi, et Dilecto Filio Fratri 
Bercngario de Landora Magistro Ordinis Fratrum Praedicatorum, salutem et Apo- 
stolicam benedictionem. 

« Probatae fidei vestrae constantiam ac expcrtac probitatis industriam atten- 
dentes, ea quae nostris non leviter inhaerent afTectibus fiducia vobis sccura commit- 
timus sperantes ilia per vos sollicitis studiis exequenda. Ad nostrum siquidem non 
sine gravi mentis turbatione pervenit auditum quod Dilecti Filii Nobiles Viri Otho 
Dux Burgundiae, et Ludovicus Cornes Nivcrnensis, ac Alligati de Comitatu Cam- 
paniae, nescimus quo ducti spiritu fidelitatem, et homagium, et caetera ad quae 
Carissimo in Christo Filio nostro Philippo Régi Franciae et Navarrae Illustri te- 
nentur ut Domino sibi praestare refugiunt, et obedientiae bonum omni praestantius 
victima praetercuntes improvide obedire illi temerarie contradicunt, immo quasi 
se velint ab ejus dominio, et subjectione subducerc aliqua indecentia contra cum 
satagunt attemptare. Audivimus etiam quod dilecti filii Nobiles Viri Johannes Do- 
minus de Fienles, Robertus Frater ejus, Ferricus de Piquigniaco, Jerardus Frater 
ejus, Johannes de Varenis, Guido Dominus de Calvomontc, Johannes Dominus de 
Sovastre, et Gerardus Kicreti Milites, et consortes eorum, qui vulgariter Alligati 
dicuntur se justae qucrelae eau sam contra Regem eumdem habere super aliquibus 
asserentes non eam juribus, sed viribus, non per iustitiae semitam, quam idem 
Rex dicitur eis liberaliter obtulisse, nec viis pacificis, sed congressibus bellicis 
prosequi decreverunt, et a concordia super hoc pridem, sicut audivimus, inita resi- 
liendo pro libito non sine promissae transgressione fidei, et Dominicae Majestatis 
offensa, eiusdem Regis, cui praesertim in sui novitatc regiminis tamquam veri 
fidèles et subditi deberent adversus quosvis impugnare, nolentcs assistere ad fide¬ 
litatem et obedientiam redire contemnunt per quasdam colligationes ne dicamus 
conspirationes improbas alios ad similis inobedientiae vitium provocantes. Ex qui- 


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518 


BÉRENGER DE LANDORE 


et Bérenger de Landore ses légats en France. Jean XXII fait 
Thistorique de la question. Puis, il ordonne à Renaud de Bourges 
et à Bérenger de Landore de se rendre au lieu des conférences 
pour rétablir la concorde. Si les révoltés acceptent leur sentence 


bus, si veritate nitantur, animarum pericula, strates corporum, et facultatum lapsus 
verisimiliter formidantur, Regnum ipsum Christianissimum, cui silentibus quasi 
Gucrrarum praeteritarum fluclibus amaenitas quietis videbatur applaudcre in subi- 
tam redigitur tempestatem, Deus pacis ofTenditur, pracsertim dum per id Terrac 
Sanctae, quam ei testatur Scriplura* ex omnibus cariorem subsidium impeditur. 
Ipse namquc Rex, qui piae devotionis inflammatus afTcclu intendcns ad ipsius 
Terrac negotium prosequendum, jamdudum propterea signaculum vivificac Crucis 
assumpsit propter hujusmodi dissidia intestina distractus praeparatoriis dicti ncgo- 
tii nequit intenderc, et Gallicorum laudanda devotio, quae se in obsequium Cru- 
ciiixi totaliter dcvovere solita fuerat, et ad cujus, post Deum singulare sufTragium 
Terra ipsa cxpectationis anxiae taedi fatigata suspirat, circa haec sic patenter illi- 
cita occupatur. Cum itaque velimus tantis obviare dispcndiis, tantisque discrimini- 
bus congruum remedium adhibere , praesertim cum ad Nos , qui licet immeriti 
vices Regis pacifici gerimus singularitcr pertineat in universali Ecclesia' cunctave 
congregatione Fidelium paeem quaerere, ac ipsam facerc diligentius observari, 
vobis, de quorum circumspectione flduciam gerimus plcniorem , et quos status 
prosperi dicti Regni sedulos zelatorcs, et ad pracdicta pericula propulsanda since- 
ris alTcctibus aflici novimus praesentium auctoritate committimus, et mandamus, 
quatenus ad partes illas vos personalitcr conferentes, vos vel altcr vestrum, tam 
Régi, quam Duci, Comiti, et Alligatis omnibus antefatis aut Principalibus corum- 
dem apertius explicetis pium nostrum circa pracmissa propositum, ac eumdem 
Regem salutaribus monitis inducatis, ut sc Duci, Comiti et Alligatis praedictis, de 
Comitatu Campaniae, et praenominatis ctiam aliis Alligatis quibus alias id dicitur 
obtulisse, oflferat cum elTectu super hiis, de quibus eis adversus ipsum Regem justa 
querela supererit justitiam exhibere paratum. Et deinde illis omnibus, et singulis, 
seu coram Principalibus sccundum datam vobis a Domino prudentiam efïicacitcr 
suadere curetis, quod praemissis dispendiis, atquc periculis provise pensatis ad 
dicti Regis obedientiam absque morae dispendio ultro nec in vultu Pœnitcnlium 
redeant, ea in quibus ei tenentur, ut Domino, liberalitcr praestent, et faciant, et a 
ccptis improvidc penitus resipiscant. Quod si juxta desiderii nostri votum corda 
corum tangente Domino salubribus vestris, quin potius Apostolicis persuasionibus 
in hoc pronos, atque flexibiles se praebere curaverint apud Regem ipsum ex parte 
nostra solcrter instetis, quatenus prudenter attento, quod ignoscere genus optimum 
est vincendi, quodque elementia throni Praesidentium roborantur praefatos Ducem, 
Comitem, et Alligatos omnes, et singulos ad ejus obedientiam humiliter redire, et 
ea omnia, in quibus sibi tenentur, ut Domino, facere, et praestarc volcntes, ad gra- 
tiae suac sinum clcmenter admittat. Ut autem circa id impedimenti, vel obstaculi 
seu turbationis cujuslibet tollatur occasio, nullas, irritas, et viribus vacuas nun- 
ciandi, vacuandi, seu dissolvendi, instandi, ac revocandi, quatenus de facto proces- 
serint omnes pactiones, obligationes, confœderationes, et colligationes, circa id 
factas juramento, vel quacumque alia firmitate vallatas, nec non etiam relaxandi 
hujusmodi, et alia quaelibet juramenta a quibuscumque praestita, per quae nutriri 
discordia, et ipsorum Ducis, Comitis, et Alligatorum ad obedientiam Regis prae- 
dicti reductio impediri posset quomodolibet vel differri, prout ac secundum Deum 
videritis irrita, nulla, et vacua, nuncianda, seu dissolvenda, vacuanda, irritanda, aut 
revocanda vobis, et vestrum cuilibet plenam, et liberam praesentium auctoritate 
concedimus facultatem. Et si praemissis adsit veritas, quod absit, iidem Dux, Cornes, 
et Alligati in sua pertinacia animis perstiterint induratis, vos, vel alter vesti*um 
per vos, vel alium, seu alios ex tune cos omnes, et singulos Complices, Adjutores, 
Valitores, Consiliarios, Fautores, et Sequaccs corum, ac etiam Adhaerentes cisdem 
publiée, vel occulte, etiamsi Ecclesiasticac cujuscumquc sint hii, vel illi conditionis 
dignitatis Ordinis sive status Ecclesiastici, vel mundani etiamsi Archiepiscopali, 
vel Episcopali pracfulgeant dignitatc, ut ab hujusmodi inobedientiam, nec non ab 
omni favore consilio, auxilio, sequcla, et adhacrcntia circa id impendendis omnino 
désistant et ad illius obedientiam débité redeant, ac ea sibi praestent, et faciant, 


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CHAPITRE III 


519 


arbitrale, ils devront conseiller au roi et le supplier de les traiter 
avec bonté : Apud regem ipsum ex parie nostra solerter instetis 
quatenus prudenter ai lento quod ignoscere genus optimum est 
vincendi i ... 

Cette belle parole, de politique si sage et si profonde, était 
à relever. Il valait mieux, en effet, rallier tous les cœurs autour 
du trône par des bienfaits. Les deux légats avaient, par ailleurs, 
pleins pouvoirs pour casser tout engagement, délier tout serment 
qui s'opposeraient à la paix. C’était dissoudre de droit les ligues 
formées contre la Couronne. Mais, contre les rebelles qui ne vou¬ 
draient pas céder, les légats étaient armés de l’excommunication 
pour leur personne, de l'interdiction pour leurs terres. Ils pou¬ 
vaient les priver de leurs droits féodaux et de leurs bénéfices 
ecclésiastiques *. 

Il y eut bien quelques chaudes disputes à Melun, cependant 
l’entente se fit sans trop de difficultés. Les « alliés » reconnurent 
les droits de Philippe à la Couronne de France, ce qui était le 
point le plus important. Il ne s’agissait plus que de trouver un 
apanage pour Jeanne, sur lequel on eut plus de peine à s’accor¬ 
der. Les négociations traînèrent, et tout finit par un mariage. Le 
duc de Bourgogne, chef principal de la ligue, épousa la fille de 
Philippe le Long, qui lui apportait, pour l’avenir, l’Artois et la 
Franche-Comté; Jeanne, sa nièce, en faveur de laquelle les «alliés » 
s’étaient soulevés, reçut quinze mille livres tournois de rente, 


ad quae ci tencntur ut Domino per excommunicationis in Personas, et Interdict 
sententias in Terras, et Ecclesias eorum ac per privationcm Feudorum, Locatio- 
num ofliciorum, et quorumcumque Beneficiorum spiritualium, citra Archiepiscopa- 
icm, et Episcopalem dignitatem, aut etiam temporalium, quae a quibuscumque 
Ecclesiis obstinebunt ut sic libéré ilia ad ipsas Ecclesias revertantur, quod Praelati 
vel Rectores carum, aut illi, ad quos id pertinebit de illis pro sua voluntate dispo¬ 
nant, ac per inhabilitationem tam Personarum ipsarum Ecclesiasticarum Archic- 
piscopis, et Episcopis dumtaxat cxceptis, quam filiorum nepotum et aliorum des- 
cendentium ab ipsis inobedientibus laicis usque ad secundum gradum ad quaevis 
Bénéficia Ecclesiastica obtinenda, et insuper per alia juris remedia, de quibus, et 
prout expedire videritis appellatione remota cogatis. Non obstantibus, si eis aut 
cuivis eorum a Sede Apostolica sit indultum, quod excommunicari, aut terrae ipso- 
rum, vel Ecclesiae Ecclesiastico Interdicto supponi non possint per Litteras Sedis 
cjusdem non facientes plenam, et expressam, ac de verbo ad verbum de indulto 
hujusmodi mentionem, et qualibet alia dictae Sedis indulgentia generali, vel spe 
ciali, cujuscumquc tenoris, vel expressionis existât, per quam praesentibus non 
expressam, vel totaliter non insertam effectus praesentium impediri possit, vel 
quomodolibet retardari. Volumus insuper ut omnes, et singulos, qui eisdem inobe¬ 
dientibus, aut eorum alicui juramento fidelitatis tenentur astricti, a juramento ipso 
quamdiu ipse in obedientia praedicta perstiterint absolvere valeatis. Dignum enim 
est, ut eis obedientia denegetur a subditis, qui suo Superiori débité obedire teme- 
rariis ausibus contradicunt. 

« Datum Avinione tertio Kalendas Maii Pontificatus Nostri Anno primo. » (Bail. 
Ord. ined., Ms. arch. Ord., I, 20, A.) 

1 B. Quia fili carissime, 29 avril 1317. ( Bull . Ord. ined., Ms. arch. Ord., I, 
20, A.) 

* Cf. Bulle Probatae fidei, p. 517. 


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520 BÉRENGER DE LANDORE 

avec promesse de la Champagne, si Philippe V mourait sans 
héritier mâle. 

La légation de Renaud de Bourges et de Maître Bérenger eut 
donc tout le succès qu’en espérait Jean XXII. 

Du côté des Flamands, l’affaire fut plus difficile. 

Il était clair que, malgré les droits très discutés de la Cou¬ 
ronne et malgré les conventions arrachées à leur détresse, les 
bourgeois des Flandres ne voulaient à aucun prix se soumettre au 
roi de France. De Philippe le Bel (1300) à Philippe le Long (1317), 
c’est une suite non interrompue de batailles, de trêves, de con¬ 
ventions entre Français et Flamands, pour aboutir, en cette der¬ 
nière année, à une révolte générale. Les Flamands prétendaient 
que les conditions qui leur avaient été imposées par Philippe le 
Bel étaient inacceptables, et que jamais, sous un pareil régime, 
il n’y aurait concorde entre la Flandre et le royaume. Philippe 
le Long accepta l’arbitrage de Jean XXII. 

Le Pape, très irrité contre les Flamands, dont il trouvait les 
prétentions arrogantes, leur écrivit une lettre 1 où abondent les 

1 « Johannes Episcopus, servus servorum Dci. 

« Dilectis filiis universis Burgcnsibus, Scabinis, et Communitatibus Villaram totius 
Comitatus Flandriae, aut eorum Procuratoribus seu Nunciis, ad quos Litterae istac 
pcrvenerint spiritum consilii sanioris. 

« Ilabet Mater Ecclesia causam multae turbationis, et compassionis in vobis dum 
sedule cogitât, et dolenter advertit vestrae indevotionis et inobedientiae vitium, 
quo ab olim a fidelitatis debitae scmitis claudicantcs contra clarae mcmoriae Phy- 
lippum, et Ludovicum Reges Franciae iaborastis, et quod in culpam continuasse 
noscimini contra Carissimum in Christo Fiiium Nostrum Phylippum Regem Fran- 
ciae et Navarrae Illustrem Successorem eorum, unde nedum Christianissimo Regno 
Franciae, quin etiam Terrae Sanctae innumera dispendia provenerunt, cum praeter 
animarum pericula, corporum strages, et facultatum lapsus, quae inobedientia 
vestra, sive rebellio in Regno praedicto produxit perpessa sit hucusque, prohdolor! 
Terra ipsa extrema quasi desolationis incommoda, quae pium subsidium ab inclyta 
Domo Franciae djutius expectatum Regibus ipsis propter inobedicntiam vcstram 
distractis ad bella civilia obtinere nequivit, scd et illud vestram in hac parte cul¬ 
pam adaugere videtur, quod licet praefatus Rex Phylippus dum in rebus agebat 
humanis ex innata sibi clementia misericorditer vobis induisent, vosquc clementer 
admiserit ad suae reconciliationis gratiam per concordiam tractatam utrinque, 
quam et Vos per juramenta super hoc pracstita scrvare, sicut audivimus efficacitcr 
promissis, et non observantes latas ad vestram instantiam Apostolica auctoritate 
sententias excommunicationis in Personas, et Intcrdicti in terras voluistis incurrere. 
Nihilominus tamen vos ingrati de gratia postmodum, sicut fertur rediistis ad vomi- 
tum pacem ipsam nefandis ausibus infringentes sprctis sententiis, et juramentorura 
transgressionibus non attcntis. Super quibus nimium dolentes ex intimis lapsui 
vestro compatimur, et nequeuntes patemae dulcedinis oblivisci de salute vestra 
reddimur mente solliciti, cupientes vos ab inviis retrahi, et in viam rectam adduci 
ne tandem inveterati in incepta perfidia in perditionis foveam incidatis; propter 
quod ad multum gaudium Nobis cessit, quod vos, sicut audivimus post lot exces- 
sus trac Latum quemdam cum praefato Rege Ludovico dum viveret ab olim assum- 
ptum de pace solida invicem reformanda cum praefato Rege Phylippo superstite 
sollicite prosequentes pro ipsius perfectione tracta tus habetis in ipsius Regis prae- 
sentia comparere. Super quo Vobis procul dubio congaudemus dummodo non tan¬ 
tum in verbis, et fictis applausibus, scd per efhcaciam operam, et perfectionem 
tractatus ejusdem ea, quae pacis sunt ostcndcritis in vestris esse cordibus radicata. 
Verum, cum ad hoc antiquus hostis innititur ad hoc frequentissime suas tendit 


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CHAPITRE III 


521 


reproches et les menaces. Ces bons bourgeois sont durement 
malmenés. N’ont-ils pas, contre son cher fils le roi de France, 
ce vice odieux de la désobéissance et de la rébellion? Inobe - 
dientiæ et indevotionis vitium f . 

Pour arriver à ses fins, Jean XXII délégua Renaud de Bourges 
et Maître Bérenger. Ils avaient ainsi à pacifier presque tout le 
royaume de France. Leurs pouvoirs étaient les mêmes que pour 
les conférences avec les ligues de Bourgogne et de Champagne*. 

Mais la politique du Pape demeure bienveillante. Il exhorte le 
roi à user d’une grande clémence vis-à-vis des Flamands. D’autre 
part, il recommande à la comtesse d'Artois, Mahaut, fille de 
Robert II, de favoriser l’action pacificatrice de ses légats 3 . 

insidias, et ad hoc interdum se periculose in lucis Angelum transfigurât, ut per- 
turbet pacis optandae consilia, et zizaniorum spargal seinina, sparsa foveat, et con- 
scrvet et nonnulla etiam discoli hostis, adjutores ipsius accensum ignem ipsius 
hostis studio tanquam lignis nutrientes injectis seminare scandala , eaque verbo, 
vel facto solidare conantur. Nos ad dicti Regni Franciae, ad quod originis ratio 
Nos specialiter afficit, et Regis praedicti in quo Humana Mater Ecclesia singularis 
devotionis promptitudinem, et Nos afTectum reverentiae filialis evidenter rcperisse 
laetamur, trauquillitatem, et paccm ad salutem zelo paternae charitatis afTecti, ne 
n Venatoris vos contingat incidere laqueos vos salubribus monitis providimus 
muniendos, Universitates vestras monentes, rogantcs et liortantes in Domino Jesu 
Christo, sano Vobis consilio suadentes, quatcnus praemissis omnibus discrète pen- 
salis ad ipsius Regis fidelitatem, et obedientiam absque morae dispendio spontanci 
rcdeuntes, et post praeteritae indevotionis lapsum et rebellionis excessum for- 
tiores in continuandae ad eum in poslcrum fidelitatis cxhibitionc, et obcdiendi pro- 
posito résurgentes circa perfectionem tractatus ipsius sic vos laudabiliter gerere 
rejectis omnino perversis quorumcumque suggestionibus studeatis, quod Rex ipse 
vobiscum pie agerc ac vos admittere solide ad regalis benevolentiae gremium incli- 
netur. Nosque qui hoc ipsum gratum habebimus admodum, et acceptum pro hujus- 
modi nostrae exhortationis exauditione devota Vos Apostolici favoris gratia prose- 
qui in vestris opportunitatibus inducamur. Alioquin si, quod absit, sic indurata 
fuerint corda vestra, ut per nimiac indevotionis zelum in continuata tamdiu malitia 
persistatis post hujusmodi paterna nostra humanaque monita, scire vos volumus, 
quod ad relevationem, et reparationem Causac Domini, quae non leviter laeditur 
circa subsidium Terrae Sanctae nostris non mediocriter inhaerentis afTcctibus, cu- 
jus onus assumere Gallicorum laudanda devotio Crucis ad id signaculis insignita 
propter vestrae commotionis amarae dissidium impeditur, cuni divinac potentiae 
brachio exurgemus super contcmptu sentcntiaruni Apostolicae Sedis, atque pro- 
cessuum, et super eo quod in contemptum clavium in terris Ecclesiastico Inter- 
dicto suppositis fccistis, et facitis prout publicat fama notoria quantum in Vobis 
est prophanari divina, contra Vos ad pœnas débitas proccssuri. Super hiis autem, 
et aliis in illis partibus exequendis solemnes Nuncios nostros, vidclicet Venerabi- 
lem Fratrem Raynaudum Archiepiscopum Bituricensem, et Dilectum Filium Fra¬ 
trem Berengarium de Landora Magistrum Ordinis Fratrum Praedicatorum, Viros 
utique probatae circumspectionis, et fidei pacis, et concordiae zelatores, Exhibitores 
praesentium mittimus, quibus, vel eorum alteri per Vos in hiis, quae pro parte 
nostra vobis circa praemissa retulerint fidem petimus credulam adhiberi. - 

« Datum Avinione tertio Kalendas Maii Pontificatus nostri Anno primo. » (Bull. 
Ord. ined., Ms. arch. Ord., I, 20, A.) 

1 Ibid. 

* Cf. Bulle Probatae fidei , spéciale aux Flamands, 29 avril 1317. (Bull. Ord. ined.. 
Ms. arch. Ord., I, 20, A.) 

* « Johannes Episcopus, servus servorum Dei. 

« Dilectae in Christo Filiae Nobili Mulieri Mathildi Comitissae Attrebatensi, salu¬ 
tem et Apostolicam benedictionem. 

« Ecce filia solemnes Nuncios nostros, videlicet Venerabilem Fratrem nostrum 


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BÉRENGER DE LANDORE 


Les Flamands furent peu sensibles à toutes ces avances. Il 
y eut bien quelques tentatives d'accommodement, quelques espé¬ 
rances d'aboutir à une entente; mais finalement les légats se reti¬ 
rèrent sans avoir établi une paix durable. Si bien que, Tannée 
suivante, un célèbre Maître de Paris, Frère Pierre de la Palud, 
fut chargé, avec deux Frères Mineurs 1 , de reprendre l'affaire en 
sous-œuvre. Il réussit encore moins*. On l’accusa même, à la 
Cour de France, d’avoir trahi le roi, en persuadant au comte 
de Béthune, le chef du parti flamand, de ne point céder aux 
injustes prétentions des Français. Maître Pierre de la Palud fut 
mis en jugement et se disculpa avec tant de franchise et d’évi¬ 
dence, que ni le roi ni le Pape ne le crurent coupable. Ils lui 
continuèrent tous deux leurs bonnes grâces 3 . 

Occupé à ces graves négociations, Maître Bérenger ne put, à 
son grand regret, présider le Chapitre général réuni à Pampelune 
en 1317 4 . Il en avisa les Définiteurs par la lettre suivante : « A ses 


Raynaudum Bituricensem Archiepiscopum, et Dilectum Filium Fratrém Berenga- 
rium de Landora Magistrum Ordinis Fratrum Praedicatorum ad Parte» Regni Fran- 
ciae tamquam pacis Angelos destinamus data eis et eorum cuilibet generali per 
Apostolicas litteras potestate, tractandi, et reformandi concordiam inter Personas 
illarum partium dissidentes, ac futuris dissidiis ohviandi, ac contra impeditores et 
turbatores pacis censuram ccclesiasticam si, et prout expedire viderint exercendi, 
et alia faciendi, quae circa id fuerint opportune. Ad eos itaque in hiis, quac te con- 
tigerint poteris fiducialiter habere rccursum. Quibus in hiis, quac pro parte nostra 
tibi rctulerint credas indubic, eaque studeas afTectu prosequentc complcre. 

« Datum Avinione tertio Kalendas Maii Pontiücatus nostri anno primo. » ( Bull. 
Ord. ined., Ms. arch. Ord., 1, 20, A.) 

1 B. lllius qui via . (Ibid.) 

2 Pierre de la Palud naquit vers l'an 1275, d’une noble famille. Il fit ses études à 
Lyon d’abord, puis à Saint-Jacques de Paris, où il prit scs grades. Bernard Gui dit 
de lui : « Fr. Petrus de Palude fuit licentiatus die jovis post festum B. Barnabac, 
(A. D. MCCCXIV) — 13 juin.— Professeur émérite, il dirigea les études en plusieurs 
couvents. Il devint, en 1329, Patriarche de Jérusalem, puis évêque de Couserans. 
Il mourut en 1342 , au couvent de Saint-Jacques. En 1631 , pendant les travaux que 
l’on exécutait pour les fondations de la chapelle de Notre - Dame de Pitié, on 
retrouva son corps, renfermé dans un cercueil en bois, décoré des armes de sa 
famille. 

Ses ouvrages sur la Sainte Ecriture et les Sentences sont considérables. (Cf. Echard, 
I, p. 603 et ss.) 

3 Cette légation de Pierre de la Palud a été confondue avec celle de Maître Bé¬ 
renger de Landore. (Rainaldi, V, p. 86, note.) Il est certain qu’elles ont été dis¬ 
tinctes. La preuve en est que Pierre de la Palud fut choisi par les Définiteurs du 
Chapitre de Pampelune, en 1317 (22 mai), comme Vicaire présidant le Chapitre, à 
cause de l’absence du Maître Général. 

Bernard Gui dit, en efict : « A. D. MCCCXVII, fuit celebratum a Diffinitoribus 
Capitulum Generale Pampilonae in provincia Aragoniae absente Magistro Bercnga- 
rio, quem D. Joannes Papa XXII miserat in Franciam tune legatum, feccruntque 
diffinitores ex se ipsis Vicarium Magistri Ordinis in ipso duntaxat capitulo, juxta 
tenorem Constitutionum, Fr. Pctrum de Palude diffinitorcm provinciae Franciae 
magistrum in theologia. » (Echard, I, p. 604.) 

4 Sous le Magistère de Bérenger de Landore, la famille des Prêcheresses perdit 
deux illustres Sœurs : la bienheureuse Emilie Bicchicri et sainte Agnès de Monte- 
pulciano. 

La bienheureuse Emilie avait fondé, près de Verceil,un monastère de Prêcheresses, 


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CHAPITRE III 


523 


chers Frères dans le Fils de Dieu, les Frères de l’Ordre des 
Prêcheurs assemblés en Chapitre général à Pampelune, Frère 
Bérenger, serviteur inutile du même Ordre, salut et direction 
constante de l’Esprit-Saint. 

« Il arrive souvent à la condition humaine, sujette à tant de 
variétés, d'être obligée, par un ordre supérieur de la Providence, 
de laisser de côté ce qui lui tient au cœur. 

« Je me proposais donc, très chers Fils, après avoir réglé en 
Cour de Rome les affaires de l’Ordre, de me rendre au Chapitre 
général, de me consoler par votre présence, et de traiter avec 
vous, selon le devoir de ma charge, les questions qui intéressent 
notre Ordre. Et voici que, pour des motifs très graves qui 
touchent le royaume de France, il a plu à notre très saint Père 
le Souverain Pontife de m’envoyer en France, pour y remplir 
avec soin et vigilance la mission qu’il m’a confiée. Les cardinaux 
de notre Ordre et moi-même, nous avons insisté auprès de lui, 
avec un grand respect, pour qu’il me laisse accomplir les devoirs 
de ma charge; peine inutile, car, comme il était à prévoir, le 
Pape a maintenu sa volonté. J’ai dû, en fils obéissant, m’incliner 
devant l’ordre d’un Père aussi grand. 

« Ne soyez donc pas contrariés de ce que je ne fais pas ce que 
je désirais, ni de ce que je fais ce qui d’abord me paraissait 
insupportable. Nous devons espérer que Celui qui dirige tout en 
ce monde saura tirer de mon acte d’obéissance un bien salutaire 
pour l’Ordre. Absent de corps, mais présent en esprit au milieu 
de vous, je vous conjure et vous supplie, avec toute l’ardeur dont 
je suis capable, de vous diriger dans ce Chapitre, non comme 
des esclaves sous la loi, mais comme des fils libres sous la grâce, 
en maintenant la rigueur de la discipline, en glorifiant Dieu par 
les divins offices, en édifiant par vos exemples le peuple qui vous 
entoure. 

« J’ai surtout à cœur de vous dire qu’il faut vous soumettre en 

dans la maison habitée d'abord par les Frères. Nous en avons vu l’acte authentique 
de vente. (Cf. p. 9.) Elle y vécut dans une admirable sainteté et mourut, après 
cinquanle-huit ans de profession, le 3 mai 1314. Clément XIV a autorisé son culte. 
(Cf. Année Dominicaine , 17 août. Ed. Jcvain.) 

Sainte Agnès de Montepulciano, née dans un village non loin de cette ville, fut 
d'abord religieuse de l'Ordre des Sœurs du Sac, puis entra dans celui de Saint-Do¬ 
minique. Elle fonda, à l'extrémité de la colline où est bâtie la ville de Montcpul- 
ciano, un monastère de Prêcheresses. Ses pénitences, ses relations miraculeuses 
avec Dieu et les Saints, ses sublimes vertus la rendirent célèbre. Elle mourut dans 
ce monastère, le 20 avril 1317. Son corps admirablement conservé est placé sous le 
maître-autel. Un jour que sainte Catherine de Sienne, venue pour la prier, s'incli¬ 
nait pour lui baiser le pied, la sainte le leva jusqu'à ses lèvres. 11 est demeuré en 
cette position. Une autre fois, pendant que sainte Catherine priait près du corps, 
une pluie de poussière blanche comme la neige les recouvrit toutes les deux. (Cf. 
P. Boitel. Sainte Agnès du Montpolilien. Desclée, 1897. — Année Dominicaine, 
20 avril. Ed. Jcvain.) 


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524 


BÉRENGER DE LANDORE 


tout aux Révérends Pères Définiteurs comme à vos prélats, et 
recevoir avec dévotion et respect, moi le premier, comme nous y 
sommes tenus, ce qu’ils ordonneront, selon les statuts de l'Ordre, 
ou pour l’Ordre entier, ou pour ma personne. 

« Je recommande en outre avec instance à vos suffrages le très 
saint Père et Seigneur le Souverain Pontife, si ardent promoteur 
de Thonneur et de la prospérité de l’Ordre, que la Providence a 
daigné donner au monde. Je vous supplie et je vous enjoins de 
prier pour sa conservation si utile et si nécessaire à nous et à 
toute l’Église. Priez aussi pour moi, qui travaille, selon mes 
forces, à votre bien à tous 1 . » 

La légation en Flandre de Maître Bérenger de Landore se 
termina par son élévation au siège archiépiscopal de Compos- 
telle *. 

Les chanoines de cette église, alors si célèbre par son pèleri¬ 
nage à saint Jacques, n’avaient pu s’entendre sur le choix d’un 
pasteur. Trois candidats, qui se prétendaient élus, plaidaient en 
Cour de Rome pour faire valoir leurs droits. On leur fit com¬ 
prendre à la longue que, pour leur bien personnel et celui de 
l’Église, ils feraient mieux de se retirer tous les trois. Le terrain 
devenu libre, et pour éviter de nouvelles disputes, le Pape se 
réserva la nomination du nouveau titulaire. Il choisit Maître 
Bérenger de Landore. La bulle d’institution n’attendit même pas 
son retour de Paris 3 . Elle est datée du 15 juillet 1317. Jean XXII 
y fait un magnifique éloge du Maître des Prêcheurs. « Nous nous 
sommes tourné vers vous, dit le Pontife, Maître de l’Ordre des 
Prêcheurs, docteur en théologie, parce que vous êtes un homme 
de naissance illustre, de grande religion, doué d’une science 
supérieure, renommé par la probité de votre vie, connu de tous 
pour votre habileté dans le maniement des affaires spirituelles et 
temporelles, toutes choses qui vous ont rendu agréable à Nous et 
à nos vénérables Frères 4 . » 

Maître Bérenger opposa d’abord un refus à cette nomination. 


i Litteræ Encycl., p. 218-219. Ed. Rcichcrt. 

1 « Hic per Dominum Papam Joanncm XXII missus est in Francia etinFIandria 
ad paciiicandos principes et barones et illustres viros regionum illarum, qui omnia 
prospéré agens antequam ad Curiam romanam redicrat Summus Pontifex pronun- 
ciavit eum Arch. Compostellanum per litteras suas ei scribens ut Archiepiscopa- 
tum accipere deberet. Cujus litteris non acquiescens voluit ut pater pauperum iu 
paupertatis ordine remanere. Sed D. Papa considerans ejus omnimodam humilita- 
tem secundario eum coegit per litteras preceptorias ad recipicndum oflicium qui 
ut obediens filius minime contradicit... » ( Chron. d'Orvieto, lib. 00, p. 70. Ms. 
arch. Ord.) 

3 « Mag. Berengarius hoc anno (1317) acceptavit Arch. Compostellanum apud 
Parisius existens. » (Chron. de Borselli, lib. QQ. p. 513. Ms. arch. Ord.) 

* Bull. Ord. ined. f I, 20, A. Ms. arch. Ord. B. Apostolat us oflicium, 15 juil¬ 
let 1317. 


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CHAPITRE III 


525 


Le Pape le raconte lui-même dans sa bulle du 8 octobre 1317 L 
Sur les instances et le précepte de Jean XXII, il finit par accep¬ 
ter *. Le Pape l'en félicita. L’acceptation eut lieu avant la Saint- 
Michel (29 septembre); car, malgré la démission du Maître, qui 
en était une conséquence, ,1e Chapitre général se tint à Lyon 
l’année suivante. 

Jean XXII s’occupa beaucoup de l’administration intérimaire 
de l’Ordre. Il avait même institué Maître Bérenger Vicaire Géné¬ 
ral. De sorte que, quoiqu’il fût archevêque de Compostelle, il 
demeurait à la tête des Prêcheurs. Cette situation lui parut 
étrange et peu conforme aux Constitutions de l’Ordre, qui ré¬ 
glaient la transmission de l’autorité en pareil cas. Il en fit ses 
observations au Pape. Jean XXII reconnut aussitôt leur bien 
fondé et répondit en ces termes : « Nous ne voulons pas déroger 
en quoi que ce soit aux Constitutions de l’Ordre des Prêcheurs, 
dont nous avons tant à cœur la prospérité. Et c’est pourquoi, 
faisant droit à votre supplique, nous vous retirons la charge de 
Vicaire Général. La prendra qui, selon vos statuts, doit la 
prendre 3 . » Cependant Jean XXII désirait que le Chapitre d’élec¬ 
tion se célébrât dans le voisinage de la Cour romaine. A Pampe- 
lune, en 1317, pendant l’absence du Maître Général, occupé à 
ses légations de France et de Flandre, et sous la présidence du 
Frère Pierre de la Palud 4 , élu Vicaire du Chapitre, les Pères 
avaient assigné la prochaine assemblée à Vienne en Autriche 5 . 
Des religieux, trouvant le voyage trop long, s’en étaient plaints. 
Le Pape, qui ne demandait pas mieux, changea d’autorité cette 
assignation et désigna la ville de Lyon. De cette manière, la 
charge de Vicaire Général intérimaire passait au Provincial de 
France, Frère Hervé de Nédellec 6 . 

Le Maître pouvait donc se retirer en toute sécurité. Il laissait 

1 B. Considérantes, fili. (Bull. Ord . ined ., I, 20, A.) 

* Galvanus de la Flamma se trompe quand il dit malignement : « Qui reciperc 
noluit nisi Papa precipcret. Papa ait : « Nos non precipiemus, imo nisi acceptave- 
« rit, de alio providebimus. » Et tune acceptavit... » ( Chron. Ord., p. 108-109. 
Ed. Rcichcrt.) 

* « Nolentes autem in aliquo statutis praefati Ordinis Praedicatorum ad cujus 
profectum in spccialitate quadam afficimur derogari, tuisque in hac parte petitioni- 
bus annuentes, te ab ofBcio vicariatus ejusdem ordinis prorsus absolvimus, illius 
exercitium ad quem secundum instituta dicti ordinis pertinet relinquentes. »» 
(B. Considérantes, fili, loc. cil.) 

Le droit de Vicariat revenait au Provincial dans la province duquel devait se 
tenir le premier Chapitre général. 

4 Cf. p. 522. 

5 Acta Cap., II, p. 105. 

* « Caeterum quod de mutando loco Capituli gencralis proximo celcbrando mul- 
tis utile videbatur implevimus, locum ipsum ad civitatcm Lugduncnsem veluti ad 
ipsius Capituli congregationem multum accommodam transferentes. » (B. Gratum 
tibi, loc. cil., 8 octobre 1317.) 


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526 


BÉRENGER DE LANDORE 


TOrdre sous un gouvernement régulier au dedans, sous un patro¬ 
nage amical tout-puissant au dehors. Avant de lui dire adieu, il 
sollicita de Jean XXII quelques faveurs exceptionnelles, qui 
étaient comme le souvenir affectueux de son cœur. Toutes tendent 
à fortifier et à défendre la discipline : 

1. La confirmation de la bulle Mare magnum, contenant les 
anciens privilèges renouvelés par Benoît XI. 

2. La faculté au Maître Général de fonder vingt couvents à 
son choix. 

3. La faculté au même de dispenser les Frères pour trois cents 
cas de defectu natalium. 

4. Réserve au Maître Général et aux Provinciaux, vicaires 
exclus, de permettre aux Frères d’accepter l’épiscopat ou une 
dignité supérieure. 

5. Réserve au Saint-Siège d’autoriser les Frères à accepter des 
titres épiscopaux sans diocèse réel. 

Il y avait alors un abus très grave de ces évêchés in partibus. 

6. Réserve au Maître Général et aux Provinciaux de laisser 
sortir de l’Ordre ou d’en chasser les religieux l . 

Maître Bérenger reçut la consécration épiscopale, le dimanche 
in albis, octave de Pâques 1318. Il resta douze ans archevêque 
de Compostelle, douze ans de labeurs diplomatiques, d’expédi¬ 
tions militaires et aussi de sage administration religieuse*. Cette 
existence tumultueuse dut lui faire regretter plus d’une fois le 
calme de sa vie dominicaine. 


1 « Notum facimus fratribus univcrsis, quod Venerabilis pater Magister Ordinis 
obtinuit a sanctissimo Pâtre domino Johanne Summo pontifice privilégia infrascri- 
pta. 

« Innovavit Mare Magnum domini Benedicti. 

« Item. Concessit quod Magister Ordinis possit, ubi voluerit reciperc XX con- 
ventus. 

« Item. Quod possit dispensare cum trccentis fratribus defectum natalium pacicn- 
tibus eciamsi parentes habuerint infra sacros. 

« Item. Concessit quod uullus nisi solus magister ordinis et provinciales, et non 
vicarii, clectis in episcopos vcl supra dare valeant liccnciain acccptandi. 

« Item. Quod nullus nisi solus papa possit dare licenciam acccptandi episcopa- 
tum non habentem subditum Christianum populum atque Clerum. 

« Item. Concessit quod nullus de Ordine fratrum licenciare vel expellere valeat, nisi 
solus Magister Ordinis et provinciales. » ( Acta Cap., II, p. 105.) 

Il y avait de graves abus pour ces titres épiscopaux sans diocèse, car il est dit 
au Chapitre de Metz, en 1313 : « Cum ex provisioue seu promocione fratrum ordi¬ 
nis nostri ad titulos vagos episcopatuum ordo noster veniat in contemptum, caveant 
priores provinciales diligenter, ne ad quorumeumque requisicionem vel preces fra¬ 
tribus quibuscumquc licencias hujusmodi dare présumant, generali capitulo incon- 
sulto. Nec talibus episcopis seu quibuscumque aliis de Ordine socios ullos concé¬ 
dant nisi discretos et maturos, vita et moribus approbatos... » (Acta Cap., II, 
p. 63.) 

2 Raconter ces péripéties serait en dehors de mon sujet. On peut en trouver le 
détail dans Castiglio, Délia Historia di San Domenico, parte II, p. 71 et ss. Païenne, 
1626. 


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CHAPITRE III 


527 


On est assez divisé sur la date et le genre de sa mort. 

Voici ce que raconte Léandre Albert 1 . Une guerre, comme il 
en survenait souvent, avait éclaté entre la Castille et les Maures. 
Bérenger de Landore, zélé pour le règne du Christ, obligé, du 
reste, en tant que vassal du roi de Castille, de lui fournir un 
contingent d’hommes d’armes, se mit à leur tête, et alla guer¬ 
royer en Andalousie. C’était, d’après cet auteur, en 1325. Or, 
pendant une bataille, il fut blessé mortellement. Voulant mourir 
au milieu de ses Frères, il se fit transporter au couvent des Prê¬ 
cheurs de Cordoue. Et sur son lit de mort, jetant un regard dou¬ 
loureux en arrière, il disait : « Misérable que je suis, pour un 
évêché j’ai quitté mon Ordre, j’ai laissé mes Frères! Je suis un 
apostat ! Vil pécheur, je ne suis plus digne de porter l'habit de 
l’Ordre ni d’être enseveli dans le cimetière des Frères... » Pleu¬ 
rant et gémissant ainsi, il reçut dévotement les sacrements de 
l’Eglise, et rendit l’âme le 1 er septembre 1325. 

Dans ce récit de Léandre Albert, suivi par Fontana*, il y a 
quelques inexactitudes assez graves, qui l’ont fait rejeter en bloc 
par Castiglio 3 et, après lui, par Échard 4 . 

Des documents du couvent de Séville établissent, en effet, que 
Maître Bérenger mourut au couvent de cette ville, et non à celui 
de Cordoue, le 20 septembre 1330, et non le 1 er septembre 1325. 

Mais de ce que Léandre Albert a fait erreur et sur le lieu et 
sur la date, il ne s’ensuit pas que le genre de mort dont il 
raconte les détails soit erroné lui-même. Séville est très loin de 
Compostelle, et l’on peut se demander quel motif y avait amené 
l’archevêque. 

Il n’a pu mourir à Cordoue, blessé dans une bataille en 1325, 
dit Castiglio, parce que, en 1325, il n’y avait pas d’expédition 
contre les Maures. C’est la vérité. Mais il y en avait une préci¬ 
sément en 1330, date certaine de la mort de Bérenger. Elle est 
racontée par Mariana, dans son Histoire générale (l'Espagne 5 . Le 
roi de Castille, fort des promesses de ses voisins de Portugal et 
d’Aragon, entra en Andalousie sur les terres des Maures de Gre¬ 
nade. Il s’empara de Téba, et mit ses adversaires en si fâcheuses 
conditions, qu’ils sollicitèrent la paix. Elle se conclut à Séville. 
Or c’est à Séville que mourut l’archevêque de Compostelle, 
cette année 1330. Il avait donc suivi l’armée royale, et, dès lors, 
le récit de Léandre Albert sur ses blessures et ses derniers 
moments reprend toute sa valeur. 

1 De Viris illustribus..., p. 41. Bologne, 1517. 

* Monumenta Dom. f p. 186, et Sacrum Theatrum, p. 67. 

3 Historia di S. Domenico, parte II, p. 84. 

4 Scriptores, I, p. 514. 

5 Mariana, Historia general de Espana, II, p. 151-152. Madrid, 1848. 


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528 


BÉRENGER DE LANDORE 


Avant de mourir, Bérenger de Landore demanda que ses 
entrailles fussent ensevelies au couvent de Séville, et ses osse¬ 
ments à celui de Rodez, sa patrie. Il fut dressé procès-verbal du 
dépôt de son corps à Séville, en attendant qu’on pût le transpor¬ 
ter en France. C'est ce procès-verbal qui fait foi de sa mort en 
ce lieu f . 

Le suprême désir de Maître Bérenger ne fut réalisé qu’en 1406. 
Un de ses successeurs dans le Magistère des Prêcheurs, Maître 
Jean de Molendino, avait décidé bien avant, en 1348, de rap¬ 
porter ses restes; mais, obligé de remettre à plus tard l’exécution 
de son dessein, il en laissa l’ordre par écrit*. En 1406, Maître 
Jean de Puinoix, de Limoges, Général de l’obédience d’Avignon, 
alla lui-même les chercher. Il est resté de cette translation un 
acte authentique 3 . 

De plus, les Pères du couvent de Rodez, pour remercier Maître 
Jean de Puinoix de cette sollicitude à leur égard, décrétèrent de 
célébrer pour lui, le 18 mai, jour anniversaire de l’arrivée des 
cendres de Maître Bérenger dans leur couvent, une messe solen¬ 
nelle de saint Dominique, et de la remplacer, après son décès, par 
une messe de Requiem . 

« Or, dit le procès-verbal inséré au Nécrologe du couvent de 
Rodez, l’archevêque Bérenger de Landore était mort le 20 sep¬ 
tembre 1330. Il fut glorifié par des miracles 4 . » 

1 Procès-verbal rédigé à Séville après la mort de Bérenger de Landore. 

« In Nomine Domini. Amen. Noverint universi quod Anno Domini MCGCXXX et 
die XX Mensis Septembris in ecclesia Monasterii FF. Prœdicatorum Hispalcnsi in 
præsentia mei notarii et testium infra Scriptorum, coram religioso Viro F. Dominico 
Velasci tenente vices prioris dicti Conventus constitutus religiosus vir Fr. Bemar- 
dus socius quondam R. P. D. Fr. Bercngarii, Archiepiscopi Compostellani, dixil, 
denunciavit et protestatus fuit quod cum R. P. D. Fr. Berengarius Archicpiscopus 
Compostellanus ord inave rit in sua ullima voluntate, quod renes sui cum visceribus 
sepelirentur in dicto monasterio, et quod ossa sua portarentur ad monasterium 
FF. Prœdicatorum de Rutcna, ubi suam elegit sepulturam : ideo protestabatur di- 
ctus Fr. Bernardus quod corpus dicti B. Archiepiscopi tali conditione deponebat in 
dicto monasterio. videlicct quod quandocumquc ipse Fr. Bernardus, vel qui vis alius 
Ossa dicti D. Archiepiscopi vellet portare ad dictum monasterium... Et ego Ray- 
mundus Gundissalvi de Caldes dicti Compostellani publicus apostolica auctoritatc 
notarius præsens fui. » (Echard, I, p. 516.) 

1 Ibid.» p. 517. 

* Ibid., p. 516. 

4 « Anno Domini MCCCCVI et die XVII mensis maii jussu Joannis de Molendino 
reverendissimi Magistri Ordinis Prœdicatorum, F. Joannes de Podionucis Conven¬ 
tus Lemovicensis reportavit de conventu Ispalensi conventui Rutenensi Ossa reve¬ 
rendissimi in Christo patris D. Berengarii de Landora Archiepiscopi Compostellani : 
et in retributionem tanti laboris Fratres conventus Rutenensis concesserunt ei, quod 
semel in anno in die predicta, rnissa B. Dominici pro incolumitate ipsius in con¬ 
ventu solemmiter celebretur et post mortem ejus in missam mortuorum commute- 
tur. Dies vero obitus prœdicti Rev. Archiepiscopi fuit dies XX Septembris, 
Anni MCCCXXX, fuitque post mortem miraculis clarus, ut notatur in eodem 
libro obituum conventus Rutenensis die XX Mensis Septembris. » (Ex pervetusto 
Necrologio in pergamena, domus Rutenensis Ord. Præd. — Echard, I, p. 517.) 


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CHAPITRE III 


529 


BIBLIOGRAPHIE 


Ch. Dufayard, /a Réaction féodale sous les fils de Philippe le Bel, dans la 
Revue historique , LIV et LV. 1894. 

P. Viollet, Histoire des Institutions politiques et administratives de la France. 
1898. 

A. Molinier, Histoire générale du Languedoc . Toulouse, 1879. 

F. Funck-Brentano, Philippe le Bel en Flandre . 1896. 

Van der Linden, les Relations politiques de la Flandre avec la France au 
xiv* siècle; Comptes rendus des séances de T Académie de Belgique. 1895. 
H. Pirenne, Histoire de la Belgique. 1900. 

Touron, les Hommes illustres de VOrdre de Saint-Dominique. 1745. 

Mariana, Historia general de Espafia. Madrid, 1848. 


II — 34 


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HERVÉ DE NÊDELLEC 

QUATORZIÈME MAITRE GÉNÉRAL 

DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 
1318-1323 


CHAPITRE I 

LE MAITRE ET JEAN XXII 

Au moment où Bérenger de Landore acceptait Farchevêché de 
Compostelle, et, par là, laissait vacant le Magistère des Prê¬ 
cheurs, la province de France était gouvernée par un religieux 
dont la renommée illustrait toute T Église. 

Frère Hervé de Nédellec, Breton d’origine, né au diocèse 
de Tréguier, appartenait à une famille de noble race f . Riche de 
patrimoine, riche de nombreux bénéfices, grand clerc, comme 
on disait alors, et supérieurement instruit, il avait tout quitté 
pour prendre l’habit de saint Dominique au couvent de Morlaix. 
On ne sait pas plus la date de son entrée dans l’Ordre que celle 
de sa naissance*. Il est certain, toutefois, qu’il était déjà d'âge 
mûr. Le sacrifice de sa situation dans le siècle, de ses bénéfices, 
de ses biens, est la preuve d’une âme généreuse. 

Redevenu étudiant à Saint-Jacques de Paris, il y eut les plus 
brillants succès. De l’avis de tous les chroniqueurs, Hervé passait 
pour l’homme de son temps le plus puissant en philosophie et en 
théologie 3 . Ses nombreux écrits sur les matières les plus ardues 


1 « Hic fuit in seculo honorabilis Clericus et dives valde qui beneficiis omnibus 
ecclesiasticis rclictis Ordinem Prædicatorum ingressus est. » (Taegio, Chron . am- 
pliss., II, p. 78. Ms. arch. Ord.) 

* Echard, I, p. 533. 

3 «• Fuit autem vir acutissimi ingcnii, in philosophicis et in theologicis pcritissi- 
mus. » (Taegio, loc. cit.) 


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532 


HERVÉ DE NÉDELLEC 


en font foi 1 . Maître de Paris en 1307, il régenta l’école de la 
province de France, à Saint-Jacques, pendant deux ans. En 1309, 
au Chapitre de Chartres, tenu le 14 septembre, fête de l’Exalta¬ 
tion de la sainte Croix, Hervé était élu provincial de France : 
charge qu’il occupa pendant neuf ans, sans interruption, jusqu'à 
son élévation à la dignité de Maître Général. 

Homme austère pour lui-même, de grande piété, il cherchait 
avant tout à maintenir les Frères dans l'observance régulière. On 
raconte à sa louange que, pendant son provincialat, jamais il ne 
but dans sa cellule } sauf une fois, qu'il y fut poussé « par Maître 
Yves, au sortir d'un bain ». Ce devait être quelque Breton 3 . 

Le premier à l’office divin, il assistait régulièrement aux 
matines 4 , pendant la nuit. Chaque jour il célébrait la sainte messe, 

I Voici, d’après Echard, le catalogue des ouvrages laissés par Maître Hervé de 
Nédellec. 

1. Hervei Britonis Prædicatoriæ familiæ Antistitis in quatuor Pétri Lombardi 
sententiarum volumina scripta subtilissima nuperrime in lucem castigatissime 
prodeuntia. Venetiis, Lazari de Loardis, 1505, fol. 

Autre édition, Paris, Denis Moreau, 1647, fol. pp. 361. 

2. Quodlibeta quatuor magna. Venetiis, Rainaldi de Noviamago, 1486, fol. pp. 224. 

Cette édition fut faite aux frais de Frère Benoît d’Udine, des Frères Prêcheurs. 

Autre édition, avec sept nouveaux Quodlibeta , à Venise, 1513, Octaviano Scoli, 

fol. pp. 372. 

3. Tractatus octo , videlicet : De beatitudine. De verbo. De æternitate mundi. De 
materia Cæli. De relationibus. De pluralitate formarum. De virtutibus. De motu 
angeli. 

Ces traités ont été édités avec les Quodlibeta, édition de Venise, 1513. 

Echard a vu un autre traité De formis. 

II se termine par cette note du copiste : « Explicil tractatus De formis editus a 
R. P. Herveo Magistro Natali Ordinis Prædicatorum, Magistro cjusdem Ordiuis 
Optimo. » 

4. Tractatus de secundis Intentionibus. 

Edition incunable. Paris, Georges Mittelhus, 1489, in-4°. 

5. Tractatus de Polestate Ecclesiæ et Papali. 

Edition & Paris, 1506, Barbier et Petit, avec d’autres traités sur ce même sm*et. 

Ce traité fut ajouté & l’édition des Commentaires sur les Sentences , de Denis Mo¬ 
reau. Paris, 1647. 

6. De peccato originali. Inédit. 

7. De pauperlale Christi et Aposlolorum. 

Il fut composé à la demande de Jean XXII contre les Fratricelles. Inédit. Bibl. 
Vatic. n° 3740, p. 195. 

8. De esse et essentia. Inédit. 

9. De speciebus. Inédit. 

10. De intellectu et voluntate. Inédit. 

11. Tractatus de Latitudine entium. De voto Religiosorum. Inédits. 

12. De decem prœdicamentis . Inédit. 

13. Tractatus de Cognitione primi principii. Inédit. A la suite, un petit traité 
De indulgentiis. 

14. Tractatus de Sacramentis. 

Pour tous ces ouvrages, cf. Echard, I, p. 535-536. 

1 m Fr. Hervaeus, brito, licentiatus tempore paschali, anno MCCCVII. h (Ber¬ 
nard Gui, au n° 56 de son Catal. des Maîtres de Paris.) 

* « Numquam in caméra bibit nisi tantum una vice. Et hoc fuit ad instanciara 
M. Yvonis, cum exisset de balneo propter scabiem et vehementer sitiret. » (Taegio, 
loc. cit.) 

4 « Fuit acerrimi ingenii et multa scripsit subtiliter tum in philosophie» tum in 


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CHAPITRE I 


533 


dès l’aurore, sans doute immédiatement après les matines. Qu’il 
fût au couvent ou en voyage, jamais il n’y manquait, ne voulant 
pas, disait-il, passer un jour sans messe 1 . 

Ce vénérable Père se trouvait, par la démission de Bérenger 
de Landore et l’assignation du Chapitre général à Lyon, Vicaire 
de l’Ordre et Président du Chapitre. 

On se réunit en cette ville, le 10 juin 1318, veille de la Pente¬ 
côte. Il y avait plus de quarante électeurs*. 

Avant de procéder au scrutin, Hervé lut aux Pères Capitu¬ 
laires une lettre de Jean XXII : 

« Jean, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses chers 
fils les Définiteurs du Chapitre général de l’Ordre des Frères 
Prêcheurs et aux autres Frères du même Ordre réunis à Lyon, 
salut et bénédiction Apostolique. 

« Le Créateur très bon de la lumière, ayant en vue le salut 
du genre humain, a placé votre Ordre sacré, comme un foyer 
lumineux, devant les hommes, afin que son éclat pût diriger 
leurs pas, et que, par les splendeurs de la doctrine, il brillât au 
milieu de toute l’Église. Cet Ordre et ses membres illustres, dont 
la parole et la vertu servent de lumière et d’exemple pour observer 
la loi divine, nous l'entourons depuis longtemps de notre affec¬ 
tion la plus tendre, et nous cherchons de tout notre cœur et de 
tout notre esprit ce qui peut lui assurer le progrès spirituel 
et temporel 3 . » 

Le Pape recommande ensuite aux électeurs de choisir pour 
Maître Général celui qu’ils jugeront capable de porter « cette 
charge et cet honneur, non seulement pour l’utilité de l’Ordre, 
mais bien pour l’utilité de l’univers entier, selon la diversité d’af¬ 
faires qui peuvent lui être confiées, de manière à ce qu’il se rende 
vénérable, par la dignité d’un si grand magistère, et gracieux 
à tous par ses humbles services 4 ». 


divinis permaxime ad speculabilium noticiam. Unde vulgo Major Clericus Orbis 
dicebatur... 

« Hic ütteris intentissimus, chorum non neglexit etiam nocte. Post horam com- 
pletorii difficile quemquam ad se introduci permittebat dicens : Dicm proximo, 
noctem Deo impendendam, et quia non deceret pernoctationes fieri in Prædicato- 
rum Ordine nisi in studio et oratione. » (Sébastien de Olmedo, Chron. nova, p. 55. 
Ms. arch. Ord.) 

1 « Omni nocte hora matutinali infallibiliter surgens et in profunda aurora sacra 
mysteria celebrans. Hœc sancta opéra exercendo tam in conventu ubi erat quam 
in itinere quocumque pergebat, sine missa, ut dicebat, stare nolens per diem. » 
(Chron. de Pérouse, lib. QQ, p. 697. Ms. arch. Ord. [xv« siècle.)) 

* Ibid. 

3 Bull. Ord., II, p. 141. B. Lucis Creator optimus, 30 mai 1318. 

4 « Rogamus et hortamur in Domino quatenus devotos animos paternis affecti- 
bus exhibentes, in ipsius electione Magistri sic habeatis præ oculis solum Deum 
quod... ilium per electionem unanimem et concordent ad gerendum Magisterii Ordi- 
nis ejusdem officium studeatis eligere qui tanto congruat oneri et honori, qui non 


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534 


HERVÉ DE NÉDELLEC 


De telles paroles, de la part du Pape, montrent la place émi¬ 
nente que le Maître des Prêcheurs occupait dans l’Église. 

Viennent ensuite les plus sages conseils. Aux Pères Capitu¬ 
laires de prendre les décisions convenables pour que les Frères 
témoignent aux prélats séculiers le respect et la déférence aux¬ 
quels ils ont droit ; pour que le choix des religieux à placer 
dans les palais épiscopaux ou chez les princes soit toujours 
sérieux, appuyé sur des vertus solides et une conduite irrépro¬ 
chable ; pour que, dans toutes les provinces, les Frères soient 
plus réguliers, plus zélés, plus unis entre eux 1 . Jean XXII 
recommande même de veiller à ce que les Inquisiteurs s’acquittent 
de leur office, avec « un cœur pur, des mains pures, c’est-à-dire 
sans que ni l’affection ni la haine n’interviennent dans l’exercice 
de ce ministère, mais qu’ils le fassent toujours avec justice, avec 
mesure, avec prudence* ». La lettre .se termine par des effusions 
de cœur et une demande très affectueuse et très pressante des 
suffrages de l’Ordre. 

Les Pères se hâtèrent de se rendre aux vœux de Jean XXII. Il 
n’y eut qu’un scrutin. A l’unanimité, sans une note discordante, 
Frère Hervé de Nédellec fut élu Maître Général 3 . C'était comme 
une acclamation. 

La lettre du Pape avait paru aux Frères si grave et si dévouée 
aux intérêts de l’Ordre, que leur premier soin fut de l’insérer 
dans les Actes du Chapitre : « Nous voulons et nous ordon¬ 
nons que la lettre gracieuse que le Souverain Pontife a daigné 
adresser au présent Chapitre, lettre remplie d’avertissements 
salutaires donnés avec douceur, soit communiquée à tous les cou¬ 
vents, avec les Ordonnances du Chapitre, et lue publiquement 4 . » 
Dans son encyclique, après les sessions capitulaires, Maître Hervé 
rappelle lui-même aux Frères cette paternelle intervention de 
Jean XXII et les exhorte vivement à suivre ses conseils 5 . 

On ne fut point avare de prières pour le Pape. La faveur dont 
il entourait l’Ordre, malgré les criailleries du clergé séculier, 


solum utilis sit Ordini sed et Orbi se reddere noverit velit et valeat, prout nego- 
tiorum exposcet varietas, ex tanto magisterio reverendum, et ex humili ministerio 
gratiosum. » {Bull. Ord., II, p, 141. B. Lucis Creator optimus, 30 mai 1318.) 

‘ Ibid. 

* Ibid. 

3 « Fuit electus in Magistrum Ordinis in Capitulo Lugdunensi, et fuit electus ab 
omnibus concorditcr in primo scrutinio. » (Bernard Gui, Catal. Mag. Ord. — Echard, 
I, p. 534.) 

* Acta Cap., II, p. 107. 

8 « Demum cum Sanctissimus pater ac dominus dominus Johannes Sumraus Ponti- 
fex devotissimas literas mandaverit instanti Capitulo generali, in quibus blandc ac 
dulciter nos monuit de pluribus, que tenemur facere et servare, volo ac impono quod 
quilibet convcntus dictas literas faciat annotari et fratres omnes cum diligencia 
servent omnia que continentur in eisdem. » ( Litter. Encycl., p. 221. Ed. Reichert.) 


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CHAPITRE I 


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méritait bien des témoignages profonds et sincères de reconnais¬ 
sance. « Pour notre très saint Père et Seigneur Jean, Souverain 
Pontife, et pour le bon état de l’Église universelle, chaque prêtre 
dira trois messes. De plus, nous voulons et nous ordonnons que, 
dans chaque couvent, on institue un Hebdomadaire, à tour de 
semaine, qui soit obligé de célébrer la messe tous les jours pour 
lui 1 . » C’est la première fois que Y on parle, dans les Actes, de cet 
Hebdomadaire papal. On sent, du reste, aux termes dont se sert 
Maître Hervé pour recommander Jean XXII aux prières des 
Frères, quelle affectueuse reconnaissance il lui portait. Leurs 
relations personnelles devaient être très intimes et très cordiales. 
Dans sa lettre après le Chapitre de 1319, à Cahors, pays d’ori¬ 
gine du Pontife, il dit : « Répandez vos prières à profusion, sur¬ 
tout pour notre très saint Père le Pape, car il est vraiment nôtre ! 
Quoiqu'il ait la sollicitude de toutes les Églises, cependant il ne 
cesse de rechercher ce qu’il pourrait faire de plus convenable, de 
plus tendre, de plus utile pour notre Ordre*... » 

Cette union entre le Pape et Maître Hervé ne pouvait que pro¬ 
duire les résultats les plus avantageux. 

Un premier acte de satisfaction vint immédiatement de Jean XXII. 
11 autorisa le Maître Général, les Provinciaux et les Prieurs, ou, 
à leur défaut, leurs Vicaires respectifs, à absoudre 3 une fois 
les religieux qui auraient encouru l’excommunication pour avoir 
administré les sacrements d’Extrême-Onction et d’Eucharistie, 
contrairement à la Constitution nouvelle de Clément V. Cette 
faculté durait pendant six semaines, à dater du retour des supé- 


1 Acta Cap., Il, p. 110. 

* « Singulariter tamen et sedule oraciones fragrantissimo desiderio profundentes 
pro Sanctissimo papa nostro, et vere nostro, quia etsi instancia cotidiana omnium 
ecclesiarum sollicitudo sibi immineat continue tamen instat meditacionibus sanctis 
quomodo commodius, dulcius et utilius fovere nos possit in sinu ecclesie, sponse 
sue. » ( Litter . Encycl., p. 224. Ed. Reichert.) 

3 Une autre bulle, adressée au Maître lui-même, l'autorise personnellement à 
absoudre tous les Frères présents au Chapitre. 

« Johannes Episcopus, servus servorum Dei. 

« Dilecto Filio Fratri Herveo, Ordinis Fratrum Praedicatorum Generali Magistro 
salutem, et Apostolicam benedictionem. 

« Ut Fratres tui Ordinis in Capitulo Generali nuper Lugduni celcbrato praesentes 
eo gratiores reddantur in conspectu Altissimi quo mundius ab inquinamentis vitio- 
rum fuerint expiati, discretioni tuae, de qua in Domino gerimus fiduciam plenio- 
rem, Fratres ipsos hac vice ab omnibus eorum culpis, de quibus confessi fuerint, 
et contriti dummodo in Apostolicae Scdis, aut praefati Ordinis praejudicium fortassc 
commisisse, vel adeo graves, et énormes, nequaquam extiterint, quod ad Sedem 
camdem sint merito remittendi, absolvendi auctoritate nostra, nec non dispensandi 
cum illis super irregularitatibus, si quas forte quibuscumque ligatis sententiis se 
immiscendo divinis incurrerint auctoritate dispensandi praedicta plenam tibi tenore 
praesentium concedimus facultatem. 

« Datum Avinione XVII Kalendas Julii, Pontificatus Nostri anno (15 juin 1318). * 
(Bull. Ord. ined., Ms. arch. Ord., I, 20, A.) 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


rieurs dans leurs provinces et leurs couvents et de la connais¬ 
sance qu'en auraient les Frères 1 . 

Ce n’était pas un pouvoir sans cause. La Constitution de Clé¬ 
ment V, qui avait remis en vigueur la bulle Super cathedram de 
Boniface VIII, déplaisait à beaucoup de religieux. Quelques-uns 
ne se faisaient pas faute de s'en plaindre hautement et de la trans¬ 
gresser. Évidemment, Jean XXII ne pouvait accepter cette manière 
d’agir. Aussi dure parût-elle, la Constitution de Clément V était 
une loi ecclésiastique ; elle faisait partie du droit canon et devait 
être obéie. Il ne crut pas utile d’en modifier la teneur. Mais 
un célèbre Maître de Paris, Jean de Pouilly, sous prétexte de 
défendre les lois de l'Église, ayant avancé publiquement certaines 
propositions contraires aux privilèges des Mendiants, et par là 
même aux droits du Saint-Siège, le Pape intervint aussitôt. Sou¬ 
cieux de faire respecter l'autorité de l’Église par les réguliers, il 
entendait, au même chef, que les séculiers respectassent égale¬ 
ment ses décisions. 

Jean de Pouilly*, — Bourguignon selon les uns, ou plutôt 
Picard, selon l’opinion commune, — était un adversaire des 
Mendiants. Toute l’hostilité de Guillaume de Saint-Amour et des 
anciens champions de l'Université, aux jours de Humbert de Ro¬ 
mans 8 , revivait en lui, ardente, batailleuse et aussi téméraire. Il 
enseignait dans ses sermons et dans ses cours que la juridiction de 
tous les prélats, évêques ou simples curés, vient immédiatement 
de Dieu ; que, par conséquent, le Pape n'a pas le pouvoir de 
modifier cette juridiction de droit divin; que, selon ce principe, 
seul le propre curé peut absoudre ses paroissiens : d’où, tout 
privilège accordé par le Pape aux réguliers est un abus d’autorité ; 
il est invalide de soi, et les réguliers qui, forts de ce privilège, 
confessent et absolvent, ne donnent pas une absolution valide. 
Il faut que le pénitent, s’il veut être réellement absous, confesse 
de nouveau ses péchés à son propre curé 4 . 

Cette thèse, déjà vieille et déjà condamnée, était appuyée sur 
des raisons et des textes, entre autres le fameux canon du 
IV e concile de Latran, Omnis utriusque sexus. Elle souleva, 
comme autrefois, une violente controverse. Quelques docteurs 
ennemis des Mendiants, parmi lesquels le compagnon et ami de 
Jean de Pouilly, Maître Jean d’Auneux 5 , la soutinrent avec aigreur. 

1 Acta Cap., II, p. 111. 

* Il y a Pouilly, dans l'arrondissement de Mâcon; Pouilly en Montagne, près de 
Beaune, et beaucoup d’autres; mais Pouilly-sur «Serre, du côté de Laon, serait le 
pays d’origine de ce docteur. (Cf. Feret, la Faculté de théologie de Paris, III, p. 229.) 

3 Cf. t. I, p. 435 et as. 

4 Rainaldi, V, p. 163 et ss. 

5 Jean d’Auneux (de Annœsis) était compagnon ( Socius ) de Maître Jean de 


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CHAPITRE I 


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Pareille doctrine, qui atteignait au vif le Siège apostolique, 
dont elle amoindrissait et détruisait presque la suprême et uni¬ 
verselle juridiction sur l’Église, se heurta à Jean XXII. A peine 
avisé des rumeurs qu’elle suscitait à Paris, dans les Universités 
étrangères, et surtout chez les Mendiants, il cita Jean de Pouilly 
à son tribunal. Voulant en finir avec ces tendances de rébellion, 
il donna à cette discussion le plus grand éclat. Les débats eurent 
lieu en sa présence, devant les cardinaux 1 . Il avait appelé les 
Maîtres les plus fameux, séculiers et réguliers. Maître Hervé, 
dont toute l’École admirait la science, était parmi les juges. Avec 
lui, Frère Pierre de la Palud et d’autres Maîtres de Paris, repré¬ 
sentaient l’élite intellectuelle des Prêcheurs. Jean de Pouilly eut 
toute liberté d’exposer son opinion, toute liberté de la défendre*. 
Mais, après lui, les jouteurs adverses entrèrent en lice. Il ne leur 
fut pas difficile d’établir péremptoirement la juridiction suprême, 
universelle, immédiate du Pape sur toute l’Église et sur chacun 
de ses membres, juridiction d’où découle, pour le Pape, le pou¬ 
voir d’accorder à qui bon lui semble les droits de prêcher et de 
confesser. Et c’est pourquoi, il est utile de répéter que l’exemp¬ 
tion des réguliers est le témoignage permanent, en acte, de cette 
juridiction immédiate et universelle du Saint-Siège. Les réguliers 
en sont comme le Credo vivant. 

Maître Hervé avait composé un mémoire sur cette grave ques¬ 
tion 3 . Il eut donc une part très active dans les débats. 

La sentence fut rendue le 24 juillet 1321. 

Jean XXII proteste, dans sa bulle de condamnation, Vas ele - 
ctionis, qu’il a laissé aux Maîtres des deux partis la liberté la 
plus grande pour faire valoir leurs arguments. Il déclare aussi, 
à l’honneur de Jean de Pouilly, que ce docteur, tout en expo- 


Pouilly. Il écrivit, dit-on, quelques traités : en 1327, De l’obéissance due aux Pas¬ 
teurs par les laïques, avec cette exergue tirce de saint Paul : n Obéissez à vos 
chefs et leur soyez soumis, parce qu'ils veillent comme devant rendre compte de 
vos âmes » (ad Hebr, xm, 17); en 1328, un traité Contra Fratres; puis un, inti¬ 
tulé De Regimine principum, qui se trouve â la Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 2059, 
fol. 211-223. (Cf. Martin, Catal . des ms. de l’Arsenal, II, p. 392.) — Sur ce per¬ 
sonnage un peu obscur, cf. Sauder, Bibliolheca Belgica manuscripta, part. II, p. 218. 
— Oudin, Comment, de Script., III. col. 802. — P. Fcret, la Faculté de théologie 
de Paris, moyen âge, III, p. 231. 

1 Bull. Ord., II, p. 152. B. Vas eleclionis, 24 juillet 1321. 

* Ibid. 

2 Biblioth. Vatic., n° 4109. — Il a été publié par Barbier et Petit, à Paris, en 1506, 
avec d’autres traités sur ce même sujet. L’un est attribué à Pierre de la Palud sous 
ce titre : Tractatus de Causa immédiats Ecclesiasticæ potestatis : « Circa potesta- 
tem a Christo collatam praelatis Ecclcsiae sex per ordinem videnda sunt : 1. De 
potestate Pétri; 2. De potestate apostolorum; 3. De potestate discipulorum; 4. De 
potestale Papae; 5. De potestate episcoporum; 6. De potestate curatorum. » Puis 
vient un articulus « circa Confessos Fratribus de superiorum licentia generali sine 
licentia curatorum ». (Cf. Echard, I, p. 607.) — Ce même traité est attribué au Car¬ 
dinal Pierre de Godin, Prêcheur également. (Ibid., p. 592.) 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


sant et en défendant son opinion, était disposé d’avance à accep¬ 
ter pleinement la décision du Saint-Siège. On ne se trouvait donc 
pas en face d’un hérétique, mais simplement d’un professeur, 
peut-être téméraire dans ses idées, certainement hostile aux 
Mendiants, nullement rebelle à l’Église. 

Il n’en fut pas moins solennellement réprouvé. 

Jean XXII condamne la doctrine qui prétend que les fidèles 
doivent confesser de nouveau à leur propre curé les fautes confes¬ 
sées et absoutes par les réguliers, d’après leurs privilèges 1 ; la 
doctrine qui prétend que, depuis le canon utriusque sexus , le Pape 
n’a plus le droit, — ni Dieu lui-même, — de dispenser les fidèles 
de confesser tous leurs péchés, au moins une fois l’an, à leur 
propre curé* ; la doctrine qui prétend que le Pape n’a pas le droit, 
— ni Dieu lui-même, — de donner un privilège d’entendre les 
confessions, de telle sorte que le pénitent ne soit pas obligé de 
confesser ces mêmes péchés déjà absous à son propre curé 3 . Ces 
propositions, le Pape les réprouve et les condamne. De plus, il 
enjoint à tous les prélats de publier cette condamnation, et à 
Jean de Pouilly de faire une rétractation solennelle dans ses 
sermons et dans son école. Ce docteur, au dire de Jean XXII, 
s’y était formellement engagé 4 . 

En effet, après son retour à Paris, Jean de Pouilly ne fut pas 
inquiété. On le reçut bien à la Sorbonne, « qui le jugea digne 
d’enseigner, le vénéra vivant et après sa mort, et plaça son por¬ 
trait, k côté de ceux des plus illustres sorbonnistes, dans la 
bibliothèque de l’antique maison 5 . » 

Encore une fois, les Prêcheurs sortaient vainqueurs de cette 
lutte. Leur droit, qui était celui du Saint-Siège, s’affirme de jour 
en jour; plus on l’attaque, plus il prend d’éclat et de solidité. 

En retour de sa bienveillance et de son dévouement, Jean XXII 
demanda à l’Ordre des Prêcheurs plus que des prières. Il n'ou¬ 
bliait pas les Frères qu’il avait envoyés en Orient, ni la conversion 
des peuples qu’ils évangélisaient. Le Maître dut entrer dans ses 
vues et mettre à sa disposition de nouveaux religieux. Il s’agissait 
d’une mission près du roi d’Arménie, qui ne manque pas d’intérêt. 

Les travaux des Pérégrinants avaient eu en ces régions de 
grands succès. Mais il restait toujours un obstacle à leur prédi¬ 
cation et aussi à la sécurité de la foi parmi leurs néophytes. Cet 
obstacle était l’ignorance de la langue latine. 

1 Bail. Ord., Il, p. 152. B. Vaa electionis, 2 4 juillet 1321. 

* Ibid. 

* Ibid. 

* Ibid. 

5 Ms. de l’Arsenal, n° 1022, p. 105. Cité par Feret, la Faculté de théologie de 
Paris , III, p. 231. 


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CHAPITRE I 


539 


Le Pape n’hésita pas à fonder, en pleine Arménie, des écoles 
de latin. Il espérait ainsi que, peu à peu, le clergé local se fami¬ 
liariserait avec cette langue universelle de l’Eglise et compren¬ 
drait mieux renseignement des missionnaires. 

C’est aux Prêcheurs qu’il s’adressa 1 pour avoir des professeurs. 
Il nomme à cet office, comme chef de la fondation scolaire, Frère 
Raymond Stephani, auquel plusieurs autres religieux sont ad¬ 
joints*. Une lettre au roi d’Arménie avertit ce prince de l’arrivée 
des nouveaux missionnaires et du but spécial de leur séjour dans 
ses États 3 . 

1 Rainaldi, V, p. 84 et ss. 

* « Joannes, etc., charissimo in Christo filio Régi Armeniae illustri. 

« Quoniam Majestati divinac , quae nos gratis condidit, gratis rcdemit, gratis 
ctiam ab omni mentis et corporis adversitate custodit, nihil ofTcrtur gratius, nihil 
acceptius exhibetur, quam si homo homincm ad vitam trahat, et divinae gratiae, 
sine qua salvi esse non possumus, fervidus cooperator existât; proinde cum do- 
ctore gentium attestante fides sit ex auditu autem per verbum Dei, valde necessa- 
rium est, ut linguaruni confusionem, quam superborum hominum insolentia meruil, 
diversorum idiomatum peritia suppléât; et defectum, quem culpa intulit, humanum 
studium praevia Dei bonitate depellat. Quis enijn, licet eximiae sanclitatis splen- 
dore fulgeat, licet lacteo eloquentiac fonte decurrat, verbum Dei ctiam bencvolis 
atque devotis auribus utililer proférât, quando vis verborum ab audientibus non 
percipitur, et audientis animus vocis barbaricae asperitate vexatur? Aut cujus unquam 
praestantissimi viri gratus poterit esse convictus, si sermo humanae mentis interpres 
a convivente omnifariam fuerit alienus? ut enim verbis utamur Apostoli : Si nes- 
ciero virtutem vocis, ero ei, cui loquor barbarus : et qui loquitur, mihi barbarus ; 
unde et Salvator noster ad pracclaram confessionem sui nominis diversitatcm gen¬ 
tium vocaturus, beatis Apostolis, ut linguis loquerentur omnium, potestatem tri- 
buit, ad divinae vocationis novitatem nova lingua promeret, et veritatem christia- 
nae fidei inauditae facundiae célébré miraculum confirmaret. Cupientes igitur, ut 
ubilibet gentium, et praecipue, in subiecto tibi Regno Divini Nominis reverentia 
crescat, augeatur Christiana Religio, et Fides Catholica dilatetur ; in memorato 
Regno multiplicare proponimus viros religione claros, devotione gratos, et scientiac 
décoré venustos, videlicet Fratrem Raymundum Stephani, Ordinis Praedicatorum, 
et quosdam alios suos socios, qui subiectum tibi populum verbo salutiferae praedi- 
calionis ins tenant; sanctae conversationis exemplo ad amorem patriae cœlestis ac- 
cendant : et latini sermonis peritiam, praeceptoris officio, gratis atque copiose dif- 
fundant. Nam etsi veneranda, et prona devotione colenda est illorum gloria, qui 
divino munere linguis variis Dei magnalia loquebantur, laudanda nihilominus, et 
prorsus imitanda illorum sedulitas, qui pro dilatatione christianae fidei interpre- 
tandi scientiam compararc in continuati laboris probitate nituntur : et si impossi- 
bile est, ut omnes gentes ad unius linguae labium redeant; non impossibile, sed 
facile, et perutile est, si, accedente magistro, et non déficiente discipulo, interpre- 
tum multitudo succrescat, quorum suflfragio ad tuas accedcntes partes facile pos- 
sint, ultroque citroque mutuum ferendo, atque referendo sermonem, conceptus 
mentis vicissim promere, nutrire pacem, socialem vitam ducere, et de impugna- 
tione, atque expugnatione inimicorum christianae fidei... cautius, liberiusque susci- 
pias; et immo Salvatorem nostrum, pro cujus amore longam, atque laboriosam 
peregrinationem subeunt, in ipsis attendens, illos iuxla regalem magnificentiam, 
opportunis favoribus prosequi non désistas ; providendo celerius, ut certa loca in 
Regno tuo, et praecipue in Civitate Aiacii praedictis Dei famulis assignentur, in 
quibus devotum, et debitum servitium Deo redderc, confluentem plebem instruere, 
et latini sermonis copiam valeant ministrare. Ad quod salubre exercitium juvenilis, 
atque puerilis manus est per tuam diligentiam induccnda, ac etiam, si opus fuerit, 
compellenda; quoniam haec aetas varietates idiomatum et facilius capit, et tenacius 
servat, et suavius, atque efïicacius promendo refundit. Datum Avinione VI ldus 
Junii, Pontificatus nostri Anno Secundo (8 juin 1318). » (Bull. Ord., II, p. 142.) 

3 Ibid. 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


Cette idée n'était point banale. Elle est comme le germe de 
l’institution si salutaire des Écoles d’Orient. Jusque-là, les Péré- 
grinants s’efforçaient d’apprendre la langue des peuples qu’ils 
évangélisaient; cette fois, tout en continuant ce procédé, ils vont 
leur enseigner leur propre langue. L’honneur en revient à Jean XXII 
et aux Prêcheurs désignés par lui pour commencer ce nouveau 
genre d'apostolat ! . 

De nombreux privilèges leur sont accordés*. En outre, heureux 
du succès des Frères parmi les Tartares, Jean XXII adresse à ces 
païens convertis au catholicisme une lettre de consolation et d'en¬ 
couragement. Ce n’est point aux missionnaires, mais aux Tartares 
qu’il écrit : 

« Notre âme glorifie le Seigneur et tressaille d'allégresse, en 
apprenant que, grâce au ministère de notre vénérable Frère 
Jérôme, évêque de Caffa, et de nos chers fils de l'Ordre des 
Prêcheurs et des Mineurs, vous avez abandonné les ténèbres pour 
suivre l’admirable lumière de la vérité et connaître le très saint 
Nom de Dieu. Chers fils, aù milieu de toutes les sollicitudes qui 
nous incombent, nous pensons sans cesse à développer la foi 
chrétienne, et nous demandons avec instance au Seigneur, qui 
est la pierre angulaire de l’édifice, de faire partout l’unité dans 
le Christ. Nous vous supplions donc de vous rappeler que la cou¬ 
ronne de gloire n’est réservée qu’à la persévérance. Demeurez 
sincères dans la foi, et que le Dieu tout-puissant vous réconforte 
de sa grâce et vous fasse un jour les cohéritiers de son royaume 3 . » 

C’est peut-être la première bulle envoyée directement par les 
Papes aux convertis tartares. 

D’autres services furent sollicités du Maître des Prêcheurs. 

Malgré les efforts de Jean XXII et de ses nonces, les Flamands 
persistaient à ne vouloir point se considérer comme vassaux du 
roi de France. Le Pape tenta une dernière négociation. Un Frère 
Prêcheur, célèbre dans l'histoire du moyen âge, Bernard Gui, 
alors Inquisiteur de France, fut choisi comme arbitre avec un 
Mineur, Frère Bertrand de la Tour, Provincial d’Aquitaine. La 
bulle qui les délègue près des ambassadeurs de France et de Flandre 

1 A cette même époque, François Pipino, des Prêcheurs de Bologne, traduisait 
en latin, à l’usage des Pérégrinants, Y Itinéraire en Orient, écrit en italien vulgaire 
par Marco Polo. Ce livre en main, les Frères savaient la voie à suivre pour arri¬ 
ver plus directement à destination ; ils connaissaient par avance les peuples qu’ils 
allaient rencontrer, l’état des royaumes qu’ils évangéliseraient. La traduction a eu 
des titres et des variations innombrables. (Cf. Echard, I, p. J539.) Frère Pipino 
passa lui-même en Terre Sainte. Il en a laissé une description sous ce titre : Tra- 
clatwt de locis Terræ Sanctæ visitatis per Fr. Franciscum Pipinum de Bononia, 
Ord. Præd. Anno 1320. (Ibid.) 

* Bull. Ord., II, p. 154. B. Cum hora undecima, 23 octobre 1321. 

3 Ibid., p. 155. B. Dominum Deum, 22 novembre 1321. 


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CHAPITRE I 


541 


n’est pas tendre pour le comte Robert de Béthune et ses bour¬ 
geois 1 . Une autre bulle avise Philippe le Long de cette nouvelle 
intervention. Elle fait l’éloge des deux nonces, « dont la pru¬ 
dence et l’habileté dans les affaires les plus ardues ont fait déjà 
leurs preuves... « Je les ai choisis, ajoute le Pape, outre leurs 
éminentes qualités, parce qu’ils sont originaires de votre royaume 
et que, à ce titre, ils auront certainement le plus grand zèle pour 
l’honneur du roi de France 4 . » 

Les conférences furent très orageuses. A Compiègne, où eurent 
lieu les séances des plénipotentiaires, les gens du roi reprochèrent 
vivement à ceux de Flandre la mauvaise foi du comte de Béthune, 
ses outrageux soupçons sur la loyauté de Philippe le Long, « ce 
prince qu’ils disaient le plus magnanime et le plus puissant du 
monde. i> La voix des nonces du Pape, toute pacifique, fut cou¬ 
verte par les récriminations peu diplomatiques des deux partis. 
On se sépara plus ennemi qu’avant l’entrevue. 

Peu à peu, grâce aux délégués pontificaux, cette irritation 
s’atténua ; grâce aussi, sans aucun doute, à la défection des Gan¬ 
tois, qui ne voulurent point passer la Lys. Abandonné de ce côté, 
Robert de Béthune accepta enfin l’arbitrage des nonces. Il fut 
décidé qu’il irait à Paris prêter hommage au roi de France, ce 
qu’il fit au mois d’avril 1320. En juillet suivant, le projet de ma¬ 
riage entre Marguerite, fille du roi, et l’héritier de Flandre, Louis 
de Grécy, fils aîné du comte Louis de Nevers, était ratifié par 
les Flamands. 

Bernard Gui n’avait réussi qu’en partie; car, à peine signé, le 
contrat fut violé, et l’état de guerre, ou au moins d’hostilité, 
reprit une nouvelle vigueur. 

En Lombardie, les Prêcheurs eurent à lutter pour leur propre 
existence. Ce ne fut point une des moindres préoccupations de 
Maître Hervé. 

Les Gibelins triomphaient à Milan, sous le patronage des Vis- 
conti. Partisans décidés des adversaires du Saint-Siège dans la 
Haute-Italie, les Visconti lui faisaient, ouverte ou sournoise, une 
guerre incessante. Malgré cette hostilité, et pour en assurer plus 
facilement le succès, ils avaient fait élire, comme archevêque de 
Milan, un des leurs, Jean Visconti. Le Pape refusa de l’agréer et 
nomma d’office Frère Aicard d’Antimiano. C’était, au dire de 
Taegio, un religieux de vie honorable, de grande réputation, 
vraiment digne de ce siège 3 . Il tenta de prendre possession de sa 

1 B. Clamavimus, 17 septembre 1318. {Bull. Ord. ined., Ms. arcli. Ord., I, 20, A.) 
— B. Ecce nosti, 28 mai 1318. — Cf. Rainaldi, V, p, 87 et ss. 

* B. Ecce fili. (Ibid., et môme date.) 

3 « Fr. Aicardus, natione novariensis, ArchiepiscopusMcdiolanensis factusannol318, 


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542 


HERVÉ DE NÉDELLEC 


ville archiépiscopale. Mais les Visconti le forcèrent à fuir. Ils ne 
purent vaincre son caractère inflexible : Inflexibilis constantiæ 
vir, dit de lui Andezeno 1 . Obligé de quitter Milan, Frère Aicard, 
d’accord avec les Inquisiteurs locaux, Frère Pace de Vedano, 
Frère Jourdain et le nouveau Provincial de Lombardie, Frère 
Barnabé Cagnoli de Verceil, élu pour la seconde fois à Novi*, 
en 1319, cita à son tribunal Mathieu Visconti, chef de la famille, 
ses fils et ses partisans. Ils s’en moquèrent. L’archevêque, juste¬ 
ment irrité, porta la cause devant Jean XXII. 

Depuis deux ans, ce Pontife avait envoyé dans la Haute-Italie, 
dans l’intervalle des pourparlers entre le roi de France et les 
Flamands, les mêmes légats, Frère Bernard Gui et Frère Ber¬ 
trand de la Tour, pour pacifier les villes lombardes 3 . L'appel de 
l’archevêque de Milan allait donc à eux directement. Ils avaient 
tout pouvoir, au nom du Pape, même celui d’excommunier qui¬ 
conque entraverait leur œuvre de pacification 4 . 

La tâche fut rude. Pour vaincre l’obstination des Visconti, les 
légats durent les excommunier et jeter l'interdit sur la ville. Ces 
rigueurs furent une source de calamités pour les Frères de Saint- 
Eustorge. Mathieu Visconti étant mort, Galéas, son fils, sans 
doute afin d’obtenir miséricorde pour son âme, voulut offrir des 
présents à l'autel de saint Pierre martyr, dans l'église des Frères. 
Ceux-ci les refusèrent. Ils ne voulaient pas accepter les offrandes 
d’un excommunié. Mais leur constance dura peu. Galéas, irrité 
de l'affront, chassa les principaux religieux 5 ; quelques-uns même 
furent jetés en prison. Il ne resta dans le couvent que des Frères 
convers, pour le garder. Devant de telles rigueurs, au dire de 
Taegio 6 , les Frères cédèrent. Ils consentirent à ne pas tenir 
compte de l’interdit, célébrèrent la messe publiquement, firent 
des funérailles solennelles, et enfin agréèrent des mains de Galéas 
ses présents en l’honneur de saint Pierre martyr 7 . 


per D. Jo. XXII. Pont. Hic fuit vir per oninia laudabilis, opinionc et fania clarus, 
cloctrina ac religione insignis... » (Cité par Fontana, S. Thealrum, p. 84.) 

1 « J. Maria Villa ab Andezeno, Prov. S. Pétri Martyria Mémorisé hiatoricæ 
(1216-1793), p. 60. Ms. arch. Ord., XIII, 411. 

* Galvanus met le Chapitre d’élection à Corne. ( Chron., p. 109. Ed. Reichert.) 

3 B. Etsi divinæ, 28 janvier 1317. (Bull. Ord. ined., Ms. arch. Ord., I, 20, A.) 
— Bull. Ord. f II, p. 133. B. Etsi pacis, 1 er mars 1317. — Cf. Percin, Monuments 
Conventus Tolos . Ad ann. 1316. 

* B. Vocatis nobis, 10 mars 1317. (Ibid.) — B. Cum dilectos (Ibid., même 
date.) 

u « Apud Metliolanum magna turbalio fuit hoc tempore. Nam cum Dominus Ga- 
leatius Vicecomes obtulisset munera B. Petro Martyri, illa'Fratrcs renuerunt dicentes 
ipsum esse excommunicatum et interdictum. Ex qua re expulsi sunt Fratres a Me- 
diolano. » (Borsclli, Chron., lib. QQ, p. 515. Ms. arch. Ord.) 

6 Taegio, Chron. ampliss., II, p. 84. 

7 Galvanus de la Flamma, si loquace d'ordinaire sur les choses de Milan, où il 
habitait, est très réservé sur cette question, sans doute parce qu'elle n'était pas 


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CHAPITRE I 


543 


Il est douteux que cet intrépide défenseur de la foi ait été satis¬ 
fait et de ces offrandes d’un hérétique et de la couardise des reli¬ 
gieux. 

Les légats ne le furent pas davantage. Galvanus de la Flamma 
avoue que quelques Frères, cités par eux à leur tribunal, durent 
comparaître 1 . 

Cependant il est à croire qu'il y eut une accalmie régulière; 
car, cette même année, les Etudes générales furent transférées de 
Gênes au couvent de Saint-Eustorge de Milan, ce qui suppose 
une entente entre le Maître de l’Ordre et les Visconti*. 

On ne pouvait transporter des étudiants dans une maison trou¬ 
blée, persécutée, exposée à la dispersion 3 . D’autre part, lorsqu’il 
s’agissait d’Etudes générales auxquelles l’Ordre entier envoyait 
des religieux, le Provincial n'avait pas le pouvoir d’en changer 
à volonté la résidence. Il fallait l’autorisation du Maître de l’Ordre 
ou d’un Chapitre général. 

La Lombardie n’en continua pas moins de tenir en éveil la 
sollicitude de Maître Hervé. Malgré les lettres et les légations du 
Pape, elle demeurait en proie à toutes les dissensions. Après 
le Chapitre de Barcelone, en 1323, le Maître écrivait : « Notre 
saint Père le Souverain Pontife s'efforce, comme un bon pasteur, 
de pacifier les provinces d'Italie, bouleversées par des guerres 
cruelles et livrées à tous les fléaux. Il cherche le moyen d'arra¬ 
cher à la gueule du loup ses brebis dispersées et de les ramener 
au bercail. Ces efforts si pieux, si saints, si agréables à Dieu, 
vous devez les seconder par les armes spirituelles dont vous dis¬ 
posez. Aussi je vous exhorte dans le Seigneur et je vous enjoins, 
pour la rémission de vos péchés, d’implorer le secours divin avec 
instance, pour le très saint Père le Pape et les cardinaux, afin 


toute à l'honneur des Frères. Il dit seulement : « In MCCCXX... aliqui Fratres de 
Mediolano per seculares expelluntur, aliqui per legatum citantur. » ( Chron p. 109. 
Ed. Reichert.) 

I « Aliqui per legatum citantur. » (Ibid.) 

* L’Archevêque, Frère Aicard, ne put cependant trouver grâce. Il resta qua¬ 
torze ans à la tête du diocèse, sans entrer dans la ville de Milan. A la fin, il donna 
sa démission- et devint évêque de Novare. « Praefuit autem annis quatuordccim, qui 
tamen sedem suam adiré non est ausus metu Dominorum Vicecomitum qui tune tem- 
poris Mediolani dominabantur. Tandem an. Dom. 1332, Archicpiscopatum Dom. 
Joanni Vicecomiti tune episcopo Novariensi de consensu Summi Pontificis renun- 
ciavit, retenta sibi pensione ducatorum mille. » (Taegio, De Insigniis Ord. Præd. 
Cité par Fontana, S. Theatrum, p. 84.) 

II y eut donc, entre Frère Aicard et Jean Visconti, un échange d’évêché, du consen¬ 
tement du Pape. Sponde le dit également dans scs Ann. Eccles., t. I, ad ann. 1319, 
no 111. (Cf. Bzovius, Ann. Ecoles., XIV, ad ann. 1316. — Michèle Pio, Délia progenie 
di S. Domenico in Italia, lib. II.) 

8 « In MCCCXX, sub Magistro Hcrveo, apud Rotomagum fuit celebratum LXXXX VII 
Capitulum generale et sub fratre Barnaba apud Astam fuit Capitulum provinciale, 
ubi studium generale de convcntu Januensi transfertur ad conventum Mediolanen- 
scm. » (Ibid.) 


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544 


HERVÉ DE NÉDELLEC 


que la tempête s'apaise, que les cœurs endurcis par la rébellion 
s’attendrissent, et que, toute hostilité disparaissant, ils se sou¬ 
mettent pacifiquement à l’autorité de l’Eglise 1 . » 

1 Litter. Encycl., p. 236. Ed. Reichert. 


BIBLIOGRAPHIE 


Touron, les Hommes illustres de l'Ordre de Saint-Dominique . 1743. 

Année dominicaine, août. Ed. Jevain. 

Hauréau, Histoire de la philosophie scolastique , II. Paris, 1872-1880. 

P. Feret, la Faculté de théologie de Paris (moyen âge), III. Paris, Picard, 
1896. 

Ernest Lavisse, Histoire de France, III. Paris, 1901. 

H. Pirenne, Histoire de la Belgique. 1900. 


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CHAPITRE II 


MŒURS NOUVELLES 


Lorsque Maître Hervé prenait le gouvernement des Prêcheurs, 
l’Ordre venait d’accomplir le premier siècle de son existence. Cent 
ans de vie, dans l’humanité, c’est une période plus que suffisante 
pour que les choses les plus nobles et les plus saintes, en contact 
perpétuel avec les corruptions et les défaillances du milieu qui 
les enveloppe et les pénètre, en subissent l'action déprimante. 
La grâce capitale du Saint qui fonde un institut, surabondante 
à l’origine, au cœur même de sa source, va, d'ordinaire, s'amoin¬ 
drissant le long des années qu'elle parcourt, se fait moins vive, 
moins prenante, et quelquefois se tarit entièrement. 

Nous avons vu déjà qu’il y avait dans l’Ordre des Prêcheurs, 
à la fin du xin* siècle, un fléchissement partiel dans la discipline. 
Nous avons vu aussi que les Maîtres Généraux et les Chapitres, 
fidèles à leur mission, n’avaient pas cessé d’opposer à ces écarts 
une résistance énergique et continuelle. Malgré cette lutte contre 
le courant qui emportait les Frères hors de la voie primitive, bon 
nombre d’entre eux s’habituèrent à un genre de vie plus facile. 
C'est ce que j’appelle « les mœurs nouvelles ». 

Mœurs nouvelles, en effet, que les pratiques d’un usage très 
répandu contre la vie commune. C’est elle qui fut la première 
atteinte, car c’est elle qui gênait davantage. 

On s’absentait des offices du chœur 1 , sous n’importe quel pré¬ 
texte, même les Prieurs. On s’absentait plus encore du réfectoire. 
L’habitude de se faire servir ses repas dans sa cellule, — ou plu¬ 
tôt son appartement, — prenait corps un peu partout*. Il s’en- 


1 « Cum ex eo quod priores et eorum loca tenentes ac fratres ceteri a scquela 
communitatis se retrahunt..., injungimus priori bus universis ut a choro et a refe- 
ctorio se notabiliter non absentent... » ( Acta. Cap., Il, p. 107. Chap. de Londres. 1318.) 

* «* Cum certa loca pro firatrum refectione per ordinem sint statuta, volumus et 
ordinamu9 quod nullus frater, nisi actu esset decumbens, vel qui alias per conven- 
tum ire non posset, extra loca predicta comedere audeat sub pretextu cujuscumque 
gracie eidem concesse, non in hoc possit prior provincialis quicumque prêter Magis- 
trura Ordinis cum aliquo dispensera... » (Ibid., p. 115. Chap. de Cahors, 1319.) 

II - 35 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


suivait naturellement que l'abstinence de règle, même le jeûne/ 
tombaient en désuétude. On mangeait de la viande 1 ; on ne jeû¬ 
nait plus régulièrement. La pénitence dominicaine s'affaiblit. Pour 
subvenir aux dépenses privées que l’on s'imposait, chacun cher¬ 
chait à recueillir des ressources. Au lieu de quêter pour le couvent, 
on quête pour soi ; au lieu de diriger vers la communauté les legs 
de ses pénitents ou de ses amis, on les accapare 3 . Et, de cette 
manière, quête d'aliments et quête d’argent, dons entre vifs et 
legs testamentaires formaient aux Frères les plus doctes, les plus 
influents ou les plus habiles, des rentes personnelles dont ils gar¬ 
daient la propriété, le profit et la satisfaction 4 . C'est l’introduc¬ 
tion, au début du xiv e siècle, de la vie privée dans FOrdre de 
Saint-Dominique. Vice néfaste, s’il en fut, pour tout Ordre reli¬ 
gieux. Il amenait à sa suite les plus graves inconvénients. Les 
Frères se permettaient des contrats, des prêts, des emprunts avec 
les séculiers, et quelquefois, grevés de dettes, ils ne pouvaient 
les solder. Naturellement, le créancier allait frapper à la porte 
du Prieur. Le religieux ne pouvant payer, la communauté deve¬ 
nait responsable. C’était une situation intolérable. Les ressources 
modestes des couvents n’auraient pu suffire à payer toutes les 
fantaisies personnelles des religieux. Mais lorsque, n'ayant rien 
signé, la communauté refusait de répondre pour le religieux en¬ 
detté, le créancier jetait les hauts cris, faisait scandale et l'obli¬ 
geait à entrer en composition 5 . 

1 « Cum esus carnium in nonnullis provinciis et conventibus nimis de facili con- 
cedatur... » (Acta Cap., p. 132. Chap. de Florence, 1321.) 

s « Ad rcformationem jejunii a S. Crucis festo usque ad festum Pasche quod per 
inordinatas dispensationes notabiliter dissipatur... » (Ibid., p. 131.) 

3 « Cum secundum ordinem caritatis communia propriis sint merito preponenda, 
districte injungimus fratribus universis, quod ipsi in questibus, testamentis et cete- 
ris casibus, quandocumque fuerit opportunum, procurent eleemosynas et legata pro 
communi Conventuum utilitate non privata utilitate personc. Qui vero scienter et 
ex proposito dari persone privatc, sibi vel aliis procuraverint quod communitati 
alias secundum eorum consciencias erat d and uni, infra mensem tantumdem con- 
vcntui refundere tcneantur, alioquin tanquam proprietarii habeantur... u (Acta Cap., 
II, p. 116. Chap. de Cahors, 1319.) 

4 « Cum ex nostra professione redditus seu possessiones non licet nos habera, 
inhibemus districte ne frater aliquis redditus ad vitam suam emere présumât. Qui- 
cumque autem hactenus emerint infra sequens capitulum generale eosdem bona 
fide vendant vel penitus aliènent, alioquin, jus, si quod habeant, et omnis utilitas 
ipso facto redeant totalitcr ad conventum ilium ad quem res sue pertinerent si 
illo temporc morerentur... » (Ibid., p. 129. Chap. de Florence, 1321.) 

8 « Cum non sine confusione ordinis, quidam débita notabilia contrahant que 
nolunt solvere vel non possunt, volentes ut per capcionem et vendicionem omnium 
bonorum suorum a suis prioribus ad solvendum débita predicta compellantur ; 
non potentes autem et sine licencia prelatorum suorum débita contrahentes hqjus- 
modi pene gravioris culpe volumus subjacere. Si vero de licencia suorum prelato¬ 
rum hujusmodi débita contraxerint, priores provinciales et eorum vicarii compellant 
dictos prelatos de suis appropriais ad solvendum débita de eorumdem licencia sic 
contracta, et nichilominus a suis offteiis absolvantur. » (Acta Cap., II, p. 108-109. 
Chap. de Lyon, 1318.) 


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CHAPITRE II 


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On cherchait à se procurer au dehors des dignités d'honneur et 
de rapport. Les charges de l’Ordre, au dedans, pour éminentes 
qu’elles fussent, étaient par elles-mêmes peu fructueuses. Maîtres, 
Lecteurs, supérieurs à tous les degrés, pouvaient, selon leur 
influence personnelle, attirer à eux des ressources plus ou moins 
abondantes ; mais, à part les Lecteurs des cathédrales, en cer¬ 
tains lieux, la charge était purement gratuite. Il y avait bien un 
poste très rémunérateur, celui de l’Inquisition. Seulement, outre 
les difficultés de l'emploi, les Inquisiteurs étaient peu nombreux 
et recevaient leur nomination du Provincial ou du Pape. La situa¬ 
tion se trouvait d’accès difficile. Mais, une fois nommés, les Inqui¬ 
siteurs, payés sur les séquestres des biens d’hérétiques, avaient 
à leur disposition d’amples revenus. Quelques-uns en profitaient 
pour prendre des allures plus larges. Ils avaient un train de mai¬ 
son fastueux 1 . On les oblige cependant à rendre compte de leurs 
dépenses à leur Prieur conventuel, pour les choses personnelles; 
au Provincial, pour ce qui concerne leur office 1 . 

Le poste le plus lucratif était, sans contredit, celui de confes¬ 
seur du roi. A la Cour de France, d’Angleterre, et presque partout, 
les princes choisissaient pour directeur de leur conscience un 
Frère Prêcheur. Le confesseur faisait partie de la maison royale. 
Il accompagnait le roi dans tous ses déplacements, le suivait à la 
guerre, et, si la fortune lui était contraire, il s’enfermait dans 
sa prison, comme Frère Geoffroi de Beaulieu avec saint Louis, 
Frère Guillaume de Tonneins avec le prince de Salerne, en Aragon. 
Mais ces pénibles événements étaient rares. La plupart du temps, 
le confesseur jouissait d'une existence agréable et influente. 

Outreles faveurs royales, il avait,dans l’Ordre même,des privilèges. 

En 1310, à la demande de Philippe le Bel, Clément V accorde 
au Frère Guillaume de Paris 3 , confesseur du roi, les privilèges 

I « Volumus et ordinamus quod Provinciales diligenter inquirant de excessibus 
inquisitorum heretice pravitatis sivc in modo procedendi, sive in extorsione pecu- 
niarum, seu eciam in pompis et victus et vestitu et observancia regulari, et absol¬ 
vant quos invenerint notabiliter exccdere in prcdictis vel in aliquo premissorum. » 
(Acta Cap., II, p. 134. Chap. de Florence, 1321.) 

* Ibid., p. 130. 

3 Frère Guillaume de Paris était fils du couvent de Saint-Jacques. Après l’élé¬ 
vation au cardinalat de Frère Nicolas de Fréauville, il devint confesseur de Philippe 
le Bel, vers 1305 ou 1306. Il était en même temps Inquisiteur de France. A ce titre, 
nous l’avons vu à l’œuvre dans l’affaire des Templiers. On ne peut nier son entier 
dévouement à la personne et à la cause du roi. 

II donna une bible en hébreu au couvent de Bologne, comme l’attestait cette ins¬ 
cription en tête du volume : « Istam bibliam hebraicam dédit Fr. Guillelmus Pa- 
risiensis Ordinis Fr. P. Prædicatorum , Confessor illustrissimi Regis Franchorum 
Conventui Bononiensi pro communi libraria Fratrum propter reverentiam B. Domi- 
nici, Anno MCCCX, pridic idus Febr. Quicumque legerit in ea, oret pro eo. Amen. « 
(Cf. Montfaucon, Diar. liai., p. 401. — Echard, I, p. 518-519.) 

Echard l’appelle Guillaume I, pour le distinguer d’un autre Guillaume de Paris, 
qui vivait à la fin du xv« siècle. 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


suivants : Le confesseur aura, dans le couvent de Saint-Jacques 
de Paris, un appartement réservé. Il pourra y prendre ses repas, 
inviter à sa table qui il voudra, même les Frères du couvent. En 
cas de maladie, il y sera servi comme à l'infirmerie. 

On ne pourra point forcer le confesseur à accepter une charge 
de Prieur. 

Il a la faculté de laisser ses livres, même ceux qui lui viennent 
du roi, au couvent de Saint-Jacques*. 

A leur mort, les princes n'oubliaient pas, dans leurs largesses, 
le directeur de leur conscience. Souvent ils lui laissaient des 
revenus considérables. 

Ainsi Philippe le Bel, dans son testament fait à Royaumont en 
mars 1296, lègue à Frère Nicolas de Goran, qui avait été son 
confesseur pendant quelque temps, quarante livres tournois tous 
les ans, sa vie durant 1 . 

En 1311, un nouveau testament rédigé à l’abbaye de Sainte- 
Marie-la-Royale, près Pontoise, donne à Frère Guillaume de 
Paris, ou à celui qui sera confesseur du roi au moment de sa 
mort, cinquante livres tournois par an. L’aumônier de la Cour est 
chargé de payer cette rente tous les ans. De plus, Frère Guil¬ 
laume était nommé un des exécuteurs testamentaires du roi*. 

Étant mort avant Philippe le Bel, il fut suppléé par le Prieur 
des Prêcheresses royales de Poissy. Dans un codicille ajouté à son 
testament, à Fontainebleau, le jeudi avant la fête de saint André, 
en 1314 (28 novembre) 4 , le roi lègue de plus, au Prieur de son 
cher couvent de Poissy, le livre # intitulé Spéculum historiale, 
celui sans doute de Vincent de Beauvais, qui lui avait été offert 
par ledit Frère Guillaume. Il a soin de déclarer qu’on trouvera 
ce volume entre les mains de son nouveau confesseur, Frère Régi- 
nald. Il laisse aussi au confesseur royal, pro tempore i une bible 
annotée qui lui est propre. 

Ce Frère Réginald est mieux renté que ses prédécesseurs. Phi¬ 
lippe le Bel lui laisse une pension annuelle de deux cents livres ; 
son compagnon en reçoit quarante 5 . 


1 B. Sinceræ devotionis, lib. QQ, p. 839. Ms. arch. Ord., sous ce titre : Recueil 
fait A Paris ce 22 juin 1723 A la bibliothèque de M. Colbert dans les manuscrits 
de Brienne où sont les testaments des rois et des reines de France, pour servir 
de mémoire A Vhistoire de leurs Confesseurs choisis dans VOrdre des Frères Prê¬ 
cheurs. 

* « Item fratri Nicolao de Goranno quondam Confessori nostro ïegamus singulis 
annis quamdiu vixerit quadraginta libéras Turonenses. » (Ibid., p. 839.) 

2 Ibid., p. 840. Ms. arch. Ord. — Cf. Echard, I, p. 518. 

* Ibid. 

8 Recueil fait A Paris..., lib. QQ, p. 840-841. Ms. arch. Ord. — Cf. Histoire des 
Ministres d’estat sous les rois de France de la troisième race, par le baron d’Au- 
teuil. Paris, 1642. 


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CHAPITRE II 


549 


Au mois de juin 1316, Louis X écrit dans son testament : 
« Item, à notre amé confesseur, qui longuement et diligemment 
nous a servi et enformé à tout bien, à son pouvoir, pour ses 
nécessités, en pure aumône, nous laissons trois cents livres de 
rente, chaque an autant comme il vivra, et ordonnons que nos exé¬ 
cuteurs li assignent à prendre en lieu sûr et certain, pour ce 
qu’il peut être plus aisément payé en deux termes suffisants ou 
à un terme, s’il lui semble mieux. Nous ne voudrions en nulle 
manière qu’après notre décès il n'eût bien et honorablement ses 
nécessités... Item aux vallets du dit notre confesseur, vingt 
livres 1 ... » 

Les exécuteurs testamentaires étaient « notre amé et féal Ravol, 
évêque de Saint-Malo; notre cher oncle Louis, comte d’Évreux, 
et item ce Frère Wibert, notre amé confesseur* ». 

En 1321, Philippe V le Long continue les traditions de ses pères. 
Il lègue à son confesseur, Frère Nicole de Clermont, deux cents 
livres parisis par an, « tant comme il vivra, à prendre sur les 
émoluments du scel et de l'écriture de la Baillie et des obligations 
du Chastellet de Rouen 8 . » On devait les lui verser à l’Ascension 
et à la Saint-Michel. De plus, le roi accorde gracieusement à son 
confesseur et à son compagnon « les chevaux et harnois qu’ils 
posséderont au temps de son obiit 4 ». Frère Thomas de Agneuil, 
le compagnon, reçoit cent livres 5 . 

Ces dignitaires de la Cour, d’après ce petit détail, n’allaient 
donc pas à pied. 

Tous ces précieux avantages étaient connus. Aussi, être confes¬ 
seur du roi ou de la reine, même simplement compagnon de l'heu¬ 
reux titulaire, miroitait comme un rêve de félicité devant les 
regards éblouis de plus d’un pauvre Frère. 

Au-dessous de ces hautes fonctions, il y en avait d’autres, 
plus inférieures sans doute, mais non moins rémunératrices. 


1 Recueil fait à Paris..., lib. QQ, p. 840. Ms. arch. Ord. 

* Ibid. 

» Ibid. 

« Ibid. 

8 Outre les largesses à leurs confesseurs, les rois de France ou les princes lais¬ 
saient aux religieux des legs et des offrandes pour l'anniversaire de leur mort, 
quelquefois leur cœur. Voici une curieuse disposition testamentaire de Charles IV 
le Bel : « Notre Saint-Père le Pape m’a octroyé, écrit-il, qu’après mon décès, mon 
corps soit divisé si comme il me plaira ordonner de mon vivant, et je, usant de 
cette grâce, Vous ordonne qu’après mon décès mon corps soit divisé en trois par¬ 
ties, et il est à sçavoir quand aux entrailles, quand au corps j’eslis ma sépulture 
à Saint-Denys en France, quand au cœur j’eslis ma sépulture au couvent des 
FF. Prêcheurs de Paris, quand à mes entrailles j’eslis ma sépulture au couvent des 
Nonnains jouxte Pontoise. Si je trépassais si loin que l’on ne les y put apporter 
convenablement, je veux et ordonne qu’en ce cas mes entrailles soient mises en 
terre au plus prochain couvent de l’Ordre des FF. Prêcheurs. » (Recueil fait à 
Paris..., lib. QQ, p. 847. Ms. arch. Ord.) 


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550 


HERVÉ DE NÉDELLEC 


Princes et princesses, ducs et barons, cardinaux et évêques appe¬ 
laient souvent à leur suite, comme chapelains, confesseurs ou 
docteurs, des Frères Mendiants. Ils faisaient pour eux comme 
les rois. On voit facilement combien ces charges honorables et 
lucratives pouvaient tenter des âmes attiédies. On se les disputait. 
C’est ce que laissent entendre avec tristesse des ordonnances 
capitulaires, comme celle-ci : « Beaucoup de Frères, entraînés 
par une ambition détestable, sollicitant des honneurs qui ne leur 
sont pas dus, même importunant les personnes du dehors pour 
les obtenir, — ce qui est une source de troubles et de scandales 
nombreux, — le Maître de l’Ordre, sur le conseil et l’assenti¬ 
ment des Définiteurs, ordonne à tous les Frères, en vertu de la 
sainte obéissance, de ne point se procurer, par soi ni par les 
autres, par écrit ou de vive voix, aucun office, grade, état ou 
promotion quelconque, pour soi ou pour les autres, tant dans 
l’Ordre qu’en dehors de l’Ordre 1 . » 

Il y avait déjà une constitution grave interdisant aux Provin¬ 
ciaux, aux Prieurs ou à leurs vicaires, d’autoriser les religieux 
à accepter un grade ou une dignité, au-dessous de l’épiscopat, 
en dehors de l’Ordre. Cette défense était faite sous précepte 
formel *. 

Ceux qui désiraient obtenir ces dignités ne se faisaient pas faute 
de rechercher l’appui des personnages les plus influents. Il arri¬ 
vait ainsi que les supérieurs se trouvaient dans d’inextricables 
difficultés. Refuser à un grand seigneur, ecclésiastique ou laïque, 
souvent ami et bienfaiteur de l’Ordre, c’était s’exposer à de 
graves inconvénients; autoriser, d’autre part, c'était ouvrir la 
porte à tous les abus et ruiner la discipline de l’Ordre. Cette 
délicate question de l’intervention séculière dans l’administration, 
si détestable et si nuisible toujours, préoccupe sans cesse Maître 
Hervé et les Chapitres. On s'en servait même pour échapper aux 
plus justes pénitences : « Il y a des Frères, disent les Pères de 
Lyon, en 1318, qui, à la honte de l’Ordre et pour la damnation 
de leurs âmes, ne craignent pas de se soustraire, eux ou leurs 
amis, à la correction qu’on veut leur imposer ou qu’on leur a 
imposée, en recourant au pouvoir de personnes étrangères à l’Ordre. 
Il en résulte pour les autres religieux une situation pénible. Si 
quelqu’un se rend coupable de cette faute, nous voulons et nous 


1 Acta Cap., II, p. 148. Chap. de Barcelone, 1323» 

* « Precipimus autem in virtute sanctc obediencie et spiritus sancti prioribus 
provincialibus, conventualibus ac eorum vicariis, quod nulli fratri electo seu pos- 
tulato extra ordinem ad quamcumque dignitatem, personatum, gradum, infra digni- 
tatem episcopalem, licenciam concédant hqjusmodi elecciones seu postulacioncs 
acceptandi vel alio modo quolibet prosequendi. » (Acta Cap., II, p. 106. Chap. de 
Lyon, 1318.) 


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CHAPITRE II 


551 


ordonnons qu'il soit soumis à la pénitence duc à la faute plus 
grave et privé de toutes les grâces de l'Ordre 1 ... » 

Presque dans tous les Chapitres cette ordonnance revient : 
signe manifeste de son peu d'efficacité. 

Maître Hervé, — il faut le dire très haut à sa louange, — 
déploya la plus vigoureuse et la plus persévérante énergie pour 
arrêter ce mouvement de descente. Il n’y a pas un abus qui ne 
soit répudié solennellement dans les Chapitres généraux et com¬ 
battu avec force. On sent T effort presque désespéré d'un homme 
qui voit la profondeur de l'abîme où il peut s’engloutir. 

A l’abus qui menace, il oppose le remède et le châtiment. 

Il exige d’abord que la loi soit connue intégralement de tous 
les religieux. C’est un principe premier de conscience et de bon 
gouvernement. Dans ses visites canoniques, Maître Hervé avait 
remarqué que les copies des Constitutions étaient altérées ; en 
plusieurs maisons, elles n’existaient même pas 2 . Ce n’était pas 
le moyen de les faire observer. Injonction rigoureuse est faite 
aux Prieurs et Sous-Prieurs d’avoir, dans leurs couvents respec¬ 
tifs, en l’espace d’un an, une copie intégrale et authentique 
des Constitutions, sous peine d’être cassés et de payer de leurs 
propres deniers cette copie en belle écriture 3 . 

Le texte de la loi pouvait éclairer à la fois les supérieurs et les 
inférieurs sur l’abus le plus grave qui régnait presque partout et 
atteignait dans ses sources vives la vigueur de l’Ordre : la vie 
privée. Maître Général et Pères Capitulaires ne le dissimulent pas. 
Mais, tout en protestant contre les religieux propriétaires, tout 
en blâmant et en châtiant sévèrement leurs actes illicites, ils vont 
à la cause la plus universelle, la plus fréquente, la plus tenace de 
cette conduite si contraire à l’esprit et à la lettre des Constitu¬ 
tions dominicaines. Cette cause est la trop grande parcimonie 
des supérieurs. Elle est signalée à chaque page des Chapitres 
généraux. On y rappelle les Prieurs à l’obligation qui leur incombe 
de fournir leurs religieux des choses nécessaires et utiles, de s’oc¬ 
cuper avec plus de charité et de soin des exigences des Frères 
malades. Laissés dans le dénuement, convaincus qu’ils ne peuvent 


1 « Cum aliqui fratres in confusionem ordinis et dampnacionem animarum sua- 
rum correctionemeis vel de aliis faciendam vel jam factam impedire et gravamina 
inferri aliis tratribus per potenciam extra ordinis obedienciam constitutam procu¬ 
rent volumus et ordinamus quod quicumque talis inventus fuerit pene culpe subja- 
ceat graviori et omnibus graciis ordinis sit privatus... » ( Acta Cap., II, p. 108, 
Ghap. de Lyon, 1318; p. 114, Chap. de Cahors, 1319; p. 130, Ghap. de Florence, etc.) 

* « Cum in multis conventibus invenerimus constitutiones nostras corruptas esse 
vel simpliciter non haberi... » (Acta Cap., II, p. 145. Chap. de Barcelone, 1323.) 

3 a Si qui vero inventi fuerint hoc neglexisse, volumus et mandamus, quod in 
penam a suis officiis absolvantur, et nichilominus, de bonis appropriatis ipsorum 
constituciones prefate de bona litera ibi fiant intégré et correcte. »» (Ibid.) 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


compter sur la caisse commune, les religieux cherchent à se pro¬ 
curer des ressources personnelles. Au lieu de se sentir en famille, 
d'avoir cette sécurité qui, sûre du lendemain, ne se préoccupe 
point des intérêts matériels, ils pensent à l’avenir, à cet inconnu 
qui leur ménage les surprises de la maladie, les impuissances de 
la vieillesse : « La vie commune périt partout, faute pour les 
religieux de trouver en elle ce dont ils ont besoin... » C'est le cri 
d’alarme des Pères Capitulaires de Lyon, en 1318. « Comme nous 
ne pouvons supporter une pareille chose sans une déchéance de 
l'Ordre, nous enjoignons strictement aux Prieurs et aux Défini- 
teurs provinciaux de chercher un remède à cette peste et de le 
transmettre au prochain Chapitre général*. » Le terme est éner- 
gique. 

Il faut dire, à la décharge des Prieurs, que les ressources com¬ 
munes paraissent avoir considérablement diminué. De sorte que 
le couvent ne pouvait plus nourrir ses religieux de son propre 
fonds. Mais il est très probable que la diminution des ressources 
communes provenait, en grande partie, de l'augmentation des 
ressources personnelles. C’était un cercle vicieux. Au lieu de 
faire ses offrandes au couvent et pour le couvent, on les faisait 
à tel ou tel Frère, pour son usage privé. Aussi voyons-nous les 
supérieurs tellement désarmés devant cet abus, que les Pères 
Capitulaires de Florence, en 1321, acceptent un compromis qui 
en révèle la profondeur et presque l'incurabilité : « Nous ordon¬ 
nons que, dans leurs visites, si les Provinciaux trouvent des 
couvents en telle détresse qu'ils ne puissent pas donner aux Frères 
même les choses substantielles nécessaires à la vie, ils s'efforcent 
de pourvoir à cette misère par les dons ou les prêts des Frères 
plus opulents*. » 

On en était réduit, en 1321, à se faire l'aumône entre soi, pour 
vivre. Aussi, malgré les efforts des Maîtres et des Chapitres, 
l'Ordre glissera de plus en plus sur cette pente. C'est un change- 

1 « Cum quasi ubique Commuai tas pcreat, propter quod de Commun i non potest 
in suis nécessitas provideri quod sine magna jactura Ordinis esse non potest , di- 
stricte injungimus prioribus provincialibus ac diffinitoribus Capitulorum provincia- 
lium, quod ipsi contra istam pestem adinveniant remedium opportunum et illud ad 
sequens generale Capitulum déférant vel transmittant. » ( Acta Cap., Il, p. 108. 
Chap. de Lyon, 1318.) 

- « Ut demus materiam fratribus bona procurata per ipsos pro communi utilitate 
servandi, volumus et ordinamus quod priorcs Conventuales vel eorum vicarii de 
vestibus ipsis fratribus studeant providere. Quod si aliqui priores inventi fuerint 
contrarium facientes, per eorum provincialem in penam a suis ofBciis alsolvantur. » 
(Acta Cap., II, p. 140. Chap. de Vienne, 1322.) 

2 « Volumus et ordinamus quod priores provinciales, si quos conventus in suis 
visitationibus invenerint in substancialibus victus deficere, de habundancia fratrum 
po tend uni, per modum doni vel mutui, tali necessitati studeant subvenire. » (Acta 
Cap., II, p. 130. Chap. de Florence, 1321.) 


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CHAPITRE II 


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ment pratique de mœurs presque radical. Sans vouloir le justifier 
aucunement, n’est-il pas nécessaire de dire que les mœurs avaient 
également changé autour des Prêcheurs et qu’ils en subissaient 
le fatal contre-coup? 

On ne peut pas accuser Maître Hervé ni les Définiteurs des 
Chapitres généraux d’avoir été de connivence avec les délinquants. 
Outre leurs avis, leurs préceptes et leurs menaces, les Actes des 
Chapitres signalent la rigueur de leurs sanctions pénitentielles. 

Ainsi quatre Frères de la province de Bohême, dont un Prieur 
et deux Lecteurs, étaient allés sans permission au Chapitre géné¬ 
ral de Lyon, pour accuser leur Provincial, accusation infamante 
reconnue fausse. Ces religieux n’avaient pas craint, d’autre part, 
de répandre cette calomnie, au grand scandale de l’Ordre. Ils 
sont cassés de leur charge, de leur Prédicature générale, de toute 
voix active et passive ; ils sont exilés de leur province et soumis 
à toutes les punitions que le Maître de l’Ordre leur imposera 
lui-même 1 . 

En Irlande, des faits non moins graves avaient scandalisé le 
peuple chrétien. 

Quelques frères, révoltés ouvertement contre leurs supérieurs, 
refusaient obéissance au Vicaire que le Provincial avait institué. 
Il en était résulté, dans les couvents, des troubles profonds et 
des disputes bruyantes dont la rumeur publique s’était préoccupée. 

Ces rébellions, devenues contagieuses, qui indiquaient un état 
d’esprit peu conforme à la vie religieuse, ne pouvaient être sup¬ 
portées. Frère Henri Glam, entendu et jugé par les Pères du 
Chapitre de Lyon, comme le principal meneur de ces actes d’in¬ 
discipline, est chassé de la province d’Angleterre; il aura, jusqu’à 
la fin de sa vie, le dernier rang partout ; il sera privé de toute 
voix *. 

On aggrave les peines contre certains coupables, contre les 
condamnés à la prison et les apostats qui ont commis quelque 
crime. La privation de toute voix s’étend à leur vie entière ; iis ne 
peuvent être élevés à aucune dignité, ni de Prieur, ni de Sous- 
Prieur, ni de Lecteur. 

On s’efforce de calmer l’efTervescence des étudiants. Les uns ne 
suivaient pas les cours, les autres passaient leur temps à se pro¬ 
mener en ville. « Quiconque n’ira pas à la leçon sera privé, pen¬ 
dant trois jours, de sortir du couvent, et, le jour où il aura com¬ 
mis cette faute, il ne boira que de l’eau 4 . » Les Pères insistent 

1 Acta Cap., II, p. 112. Chap. de Lyon, 1318. 

* Ibid. 

3 Ibid., p. 113. Chap. de Cahors, 1319. 

4 Ibid., p. 115. 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


avec énergie pour que les Provinciaux n’envoient aux Études 
générales que des religieux de mœurs exemplaires. Cette jeunesse 
universitaire, même sous le froc, n'était pas toujours édifiante 1 . 

Il y avait pire en Allemagne. Deux religieux, Frère Nicolas 
Mor et Frère Wenser, s’étaient emparés du Provincial, l'avaient 
roué de coups, jeté par terre, garrotté et mis en prison. Ils ten¬ 
tèrent même de l’assassiner. Son compagnon et son domestique 
furent blessés dans la bagarre. De pareilles violences méritaient 
un châtiment sévère. Le Chapitre de Florence condamna les cou¬ 
pables à la prison perpétuelle et au pain et à l’eau, leur vie durant, 
sauf en danger de mort 1 . 

De plus, pour augmenter la confusion de ceux qui se rendaient 
coupables de fautes graves, et auxquels on infligeait des péni¬ 
tences publiques, il fut décrété, au Chapitre de Vienne, en 1322, 
que, dans chaque province, le Provincial aurait un registre 
sur lequel il inscrirait fidèlement les fautes notables des religieux 
et les pénitences qui leur seraient imposées. A la mort du Pro¬ 
vincial, cette chronique, scandaleuse mais très utile, devait être 
mise dans le coffre-fort, sous scellés, jusqu’à la nomination de 
son successeur. De cette manière, les supérieurs pouvaient con¬ 
naître leurs religieux et ne pas s’exposer, quelquefois, à donner 
à des indignes une confiance imméritée 3 . 

Ces documents capitulaires, comme les lettres de Maître Hervé, 
démontrent clairement que les supérieurs de l’Ordre s'efforçaient 
de maintenir la discipline régulière, ou tout au moins d’en venger 
avec vigueur la transgression. 

Dans toutes ses encycliques, Maître Hervé supplie les religieux 
de se montrer dignes de leur vocation 4 . Après le Chapitre de 
Barcelone, le dernier qu’il présida, il écrivait : « Afin que l’Ordre 

1 « Cum ex insolcnciis fratrum ad gcncralia studia missorum vel mittcndorum 
fréquenter ordini gravia scandala sint exorta... ** (Acta, Cap., II, p. 115.) 

2 Ibid., p. 135. Chap. de Florçncc, 1321. 

3 « Ut excessus insolencium fratrum et eorum pene nullatenus occultentur, volu- 
mus et ordinamus quod in singulis provinciis fiat unus liber per priorem provin- 
cialem ubi excessus fratrum et eorum penitencie conscribantur et diligentissime 
conservetur. Quod si provincialem mori contigerit vel absolvi, volumus dictum 
librum in communi deposito sub ccrtis sigillis conscrvari, quousque prior provin- 
cialis sit in provincia confirmatus qui solus predictum librum recipiat et utatur eo, 
prout sua discrecio judicabit. » (Ibid., p. 140. Chap. de Vienne, 1322. 

4 Voici, à titre d’exemple, une des plus belles lettres circulaires de Maître Hervé, 
celle envoyée à l’Ordre, après le Chapitre de Florence (1321). 

« In dei filio sibi karissimis fratribus universis ordini s predicatorum frater Hcr- 
veus, fratrum ejusdem ordinis magister licet indignus, salutem et in agone p resenti 
pro corona glorie légitimé deccrtare. 

« Ut contritis mundi laqueis infinitis, facilius educeret homo de peccatorum pe- 
dica pedes suos et contra visibiles et. invisibiles hostes fortissimos christianus exer- 
citus securius dimicaret exemplarque sanctitatis et imitande mundicie, mundi dile- 
ctoribus vanitatibus deditis preberetur, providcncie divine consilium ordinera no- 
strum in fine seculi labentis instituit et professores ipsius ad hoc specialiter misit, 


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CHAPITRE II 


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garde sa pureté primitive, il ne faut pas que la correction par¬ 
donne à ceux qui violent et outragent notablement ses saintes 

ut videlicet ignaros in agendis instruerent, roborarent in bcllis multiplicibus débiles 
et spécula mundi se ipsos cernentibus exhibèrent. 

« Ad ista profecto reperietur ydoneus, qui sacre doctrine imbutus fuerit discipli- 
nis, qui fuerit armis divinis indutus, qui tenebrosis velut lucifer fulserit in exem- 
plum. 

« Eya ergo, fratres karissimi, considérantes, quod homo nascitur ad laborem, 
ociositatem summopere fugite, que maliciam multam docet et replet, quos possi- 
det, egestate. 

« Vigiles estote circa studium potissime eloquiorum divinorum, haurite, dum 
juvenes estis et fortes, de fontibus salvatoris aquam sapiencîe salutaris, ut irrigarc 
possitis hortum domini et sicientibus potum dare. 

« Attendite, quales et quanti predecessores confratres nostri, eiusdem communis 
patris filii, viri sciencia dei pleni, catholicam illuminarunt ecclesiam doctrinis, 
scriptis et meritis gloriosis, et illorum preclara sequi vestigia lotis viribus sataga- 
tis, semper et ubique parati acquisitum thesaurum scieticic ac infusum habundan- 
ter impartiri poscentibus et panem esurientibus frangere in cousiliis, in sermonibus 
et in scholis. 

« Nec erubescatis evangelium sicut quidam, qui a veritate auditum avertunt et 
ad fabulas convertuntur, de quibus timendum est, quia non habent scienciam dei, 
ne in periculosam insipienciam prolabantur. 

« Et quia deo militamur non mundo, et ipsius prelia contra potestâtes aereas 
principaliter preliamur, non arma carnalia, sed spiritualia induamini pocius , ut 
possitis contra insidias starc dyaboli et gregem dominicum a luporum morsibus 
viriliter defensare. 

« Vestiti itaque lorica iusticie, galea salutis pilotéeti, gladio ancipili verbi dei 
accincti, arcum sumite, pharetram sagittis acutis impiété, ad vulneranda salubriter 
et purganda de fidelium cordibus apostemata viciorum ac debellandum humani ge- 
neris ferinum inimicum. 

« Sit manus vestra fortissima velut David, qui raptam ovem eruebat de ore leo- 
nis et ursi, illam liberans, hoc occidens ; in funda quoque et lapide Goliath robu- 
stissimum interfecit, Phylistiim in fugam convertit, et filios Israël de manu hostium 
liberavit. Sed proh dolor, quoad nonnullos continuis vacantes discursibus, quos 
claustrum minus débite claudit et cella celi scala rarissime celât, quorum lingue 
locis silencii non frenantur, in quibus caritas fraterna refriguit, oracionis fervor 
tepuit, tepor devocionis invaluit et regularis observancia non proficit, sed déficit, 
dici potest et merito, quod arma bellica petierunt. 

« Quia eciam dati estis in lucem gencium, sic obsecro, luceat lux vestra coram 
hominibus, ut videant opéra vestra bona et glorificent deum celi; super candela- 
brum velut lucerna lucens et ardens estis positi, ut omnibus, qui in domo sunt 
domini, luceatis, hominibus facti spectaculum, et sicut directionis signum positum 
ad sagittam. 

« Abstineat igitur unusquisque ab omni specie mala, et specialiter caveat a spe- 
cie decipi mulierum, quarum familiaritates incaute, visitaciones nimie, collocu- 
ciones clandestine periculose sunt nimis, et tenebrosi fumi caligine famé dénigrant 
sepissime claritatem ; propter quod expedit eciam viris sanctis illas sollicicius evitare. 

« Sit sermo vester modestus, temperatus, sale conditus, sine murmure, absque 
detractione, audientes edifîcans, nullum turbans. In omnibus quoque motibus et 
moribus, in incessu, statu, habitu nihil appareat ofTensionis vel scandali, sed quod 
fragrantis suavitatis odore ad devocionem alliciat proximum et nostram commen- 
det et deceat sanctitatem. 

« Donet dominus, ut sitis salutaribus monitis informati, continuis intendatis pro- 
fectibus, vota reddatis altissimo, que vovisiis, et tamquam cursores celeres superne 
vocacionis bravium capiatis. 

« Denique statum universali ecclesiae et sanctissimi patris summi pontificis et 
dominorum cardinalium vestris devotis oracionibus recommendo. 

« Valeat caritas vestra semper in domino et oracionum sanctarum frequencia 
meum suppléât et perficiat impcrfectum. 

• « Datum Florencie anno domini m°.ccc°.xxi°. in nostro capitulo gcnerali. » (Lit- 
fer. Encycl., p. 228. Ed. Reichert.) 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


Constitutions ; il ne faut pas que la discipline soit indulgente 
à leurs excès. Mais, au contraire, que la verge fouette vigoureu¬ 
sement ces mœurs dépravées; que le bâton châtie les coupables... 
Je veux, en particulier, que des punitions proportionnées à la 
faute remettent dans la voie droite ces religieux présomptueux 
qui, non satisfaits de la vocation reçue du Seigneur, s’efforcent 
de secouer le joug suave de la vie régulière, et, par la faveur 
d'amis influents, ambitionnent, au grand scandale de l’Ordre, des 
dignités plus élevées 1 ... » 

Cette lutte énergique et soutenue contre le mal ne parut peut- 
être pas à tous suffisante et efficace. 

Pour la première fois se manifeste, dans l’Ordre des Prêcheurs, 
une tentative de réforme partielle faite en dehors de la hiérarchie. 

Des religieux de la province Romaine, mus, sans aucun doute, 
par le désir d'un retour aux observances primitives de l’Ordre, 
s’étaient unis d’esprit, de cœur et de pratique pour les suivre à la 
lettre. Mais, comme il arrive presque toujours, ils dépassèrent 
le but. Ils changèrent la forme du vêtement, et, pour vivre d’une 
manière plus sévère, ils affectèrent des singularités excessives dans 
leurs oraisons et leur nourriture. A leur tête marchait un homme 
très pieux, très recommandable, Frère Walter de Ubaldis, Floren¬ 
tin de naissancè, qui passa depuis en Orient. 

Sans le vouloir, peut-être, ces religieux subissaient l’influence 
des Fratricelles. Ceux-ci, à cette époque, étaient en pleine effer¬ 
vescence. Outrés dans leurs principes, devenus pratiquement 
rebelles à l’autorité ecclésiastique, dont ils rejetaient les sages 
décisions, ils prétendaient dénier au Saint-Siège le droit d’inter¬ 
préter la règle de saint François et d’imposer aux Mineurs cette 
interprétation *. 

Leurs idées et leurs insolences, déjà condamnées au concile de 
Vienne, aboutiront bientôt à une nouvelle réprobation de la part 
de l’Église 3 . 

Déjà, vers 1300, il y avait eu, dans la province Romaine, 
quelques partisans des Fratricelles ou Spirituels, comme ils s’ap- 


1 « Ad hoc ut ordo in pristina puritate servetur, delinqucntibus notabiliter et 
violantibus ordinis sacra instituta presidencium correpcio non ignoscat, nec ipso- 
rum excessibus competens indulgeat disciplina , sed incorrcctos mores sic virga 
directionis corripiat, et baculus puniat insolentes ut culpis talium salutifera provi- 
dencia castigatis in ipsis interiorem homincm consolentur. Specialitcr autem, quia 
sic ad presens requirit materia, presumptuosos illos ad rectitudinis viam per puni- 
cioncm condignam intendo reduci qui, vocatione qua vocati sunt a Domino non 
contenti, suave jugum religionis proficere satagunt, et per amicorum potenciam 
cum ordinis scandalo ascensiones in hac lacrymarum valle sibi procurant, abjccti 
esse in domo Domini renuentes. » ( Litter . Encycl., p. 236. Ed. Rcichert.) 

* Sur cette question, cf. Ehrle, Archiv. für Lilteralur..., III, p. 1-160, p. 553-624. 

* B. Exivi de pûradiso. Décrétal. V. Tit. De verb. signiûcat. 


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CHAPITRE II 


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pelaient. Frère Hugo Borgognoni, Provincial, avait même été 
accusé de ces tendances spiritualistes au Chapitre général de 
Marseille f . Reconnu innocent, il n'en resta pas moins dans les cou¬ 
vents de la province une sourde agitation, tellement qu’en 1319, 
les Pères du Chapitre provincial de Todi furent obligés d'imposer 
silence aux récriminations des deux partis. Leur décret est une preuve 
des troubles profonds suscités par ces querelles familiales. Les Spi¬ 
rituels réformateurs étaient aux prises avec les autres religieux. 

Voici cette ordonnance : « La vie et les actes de ceux qui sont 
appelés Spirituels ont été examinés et discutés à fond en plusieurs 
Chapitres généraux et provinciaux et par des religieux honnêtes 
et expérimentés. Ils n’ont relevé contre eux, ni dans leur doctrine, 
ni dans leurs actes, aucune tache d'erreur. De plus, le Révérend 
Père Frère Jean, notre Prieur Provincial, a fait une enquête 
sérieuse sur leur conduite dans tous les couvents de la province, 
et là encore on n’a trouvé en eux rien qui soit répréhensible. 
Cette enquête et le jugement qui l’a suivie ont été soumis au 
Maître de 1*Ordre et aux Définiteurs du Chapitre général 2 , qui 
les ont approuvés... Voulant donc mettre fin à ces disputes, à ces 
diffamations, à ces procès, rendre à la province la paix et la tran¬ 
quillité , et prévenir tout scandale, nous imposons à tous un silence 
perpétuel sur ces choses, et, en vertu de la sainte obéissance, 
nous ordonnons que personne ne revienne sur cette querelle ou 
ne répande à nouveau des calomnies sur ces religieux, qui n’ont 
pas été jugés coupables... De plus, comme ce titre de Spirituels 
introduit dans notre Ordre une singularité, nous défendons stric¬ 
tement, sous la peine infligée à une faute plus grave, de donner 
ce titre à un Frère 3 . » 


1 Masetti, Monumenta, I, p. 277 et ss. — Les Actes du Chapitre n'en parlent pas. 
(Cf. Acta, Cap., I, p. 294 et ss.) 

* Les Actes du Chapitre de Cahors (1319) n’y font pas allusion. (Cf. Acta Cap., II, 
p. 113 et ss.) 

3 « Cum vita et actus eorum qui spirituales vocantur in pluribus Generalibus 
Capitulis et Provincialibus, et etiam per fratres probos et expertos discussa et 
examinata fuerint diligenter, nec in eis contra veritatera et mores aliqua erroris 
macula fuerit inventa, atque per R. P. Fr. Joannem Priorcm nostrum Provincialem 
nuper in tota Tuscia de ipsis ac de eorum moribus fuerit specialiter inquisitum, 
nec aliquid punitione dignum invenerit contra eos, quam quidem inquisitionem et 
determinationem M agi s ter Ordinis cum Difflnitoribus Cap. General, approbavit... 
Nos volentes ejusmodi litigiis, infamationibus, ac impositionibus fin cm imponere, 
paci et tranquillitati Provinciae providere, ac scandalis obviare, omnibus deferen- 
tibus perpetuum silentium imponimus de praedictis, ac omnibus et singulis fratri¬ 
bus nostrae Provinciae in virtute S. Obcdientiae districte praecipimus quatenus de 
praeteritis quae, ut diximus, hactenus pluries et per plures examinatos fuerunt, nul- 
lus de cetero querelam proponat; aut calumniam in ferre praesumat... Ad haec in¬ 
super adjicientes quod cum istud nomen « Spirituales » quamdam singularitatem 
videatur in nostro ordine generare, inhibemus districte sub pœna graviori culpae 
débita ne noraine supradicto aliquis audeat fratrum singulariter nominare... » (Or¬ 
donnance du Chap. prov. de Todi, 1319. Masetti, Monum., I, p. 278.) 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


Ce décret porte la date de 1319. 11 fait allusion à des discus¬ 
sions sur ce même sujet dans des Chapitres généraux et provin¬ 
ciaux précédents. Les Actes de ces Chapitres, au moins ceux 
des Chapitres généraux, n'en ont point conservé de trace. Mais 
il est évident que les tendances réformatrices des Prêcheurs Spi¬ 
rituels s’affirmaient de plus en plus. Tant que leurs singularités, 
réputées individuelles, n’avaient pas paru former dans l’Ordre 
comme une caste à part, les Chapitres généraux et le Maître 
s’étaient abstenus de les blâmer d'une manière officielle. On ne 
les voyait pas avec faveur ; on ne les jugeait pas non plus comme 
coupables d’aucune faute. Il est à croire que leurs allures exci¬ 
tèrent de plus vives réclamations ; qu’elles firent craindre à Maître 
Hervé une scission dans l’Ordre ; qu’il eut peur de voir quelques- 
uns de ses fils compromis dans les condamnations qui menaçaient 
les Mineurs Spirituels; car au Chapitre de Florence, en 1321, le 
Maître lui-même intervint contre eux. 

Leur cause avait été portée devant le Chapitre, étudiée et jugée 
par les Définiteurs. Voici le décret que le Maître et les Défini- 
teurs rendirent sur cette grave question : « A tous ceux qui liront 
ces lettres nous faisons savoir que nous, Frère Hervé, Maître de 
l’Ordre des Frères Prêcheurs ; Pierre de la Palud, Maître en théo¬ 
logie, Définiteur de France; Récupère de Guardavalle, de Sienne, 
Définiteur de la province Romaine ; Etienne, Définiteur de Pologne; 
Benoît de Pesculo, Inquisiteur, Définiteur du royaume de Sicile ; 
Philippe de Côme, Définiteur de la Lombardie supérieure; Guil¬ 
laume de Ebrecton, Maître en théologie, Définiteur d’Angleterre ; 
Bernard de Pino, Définiteur d’Aragon ; Henri de Grunic, Défini¬ 
teur de Teutonie; Benoît de Vaccia, Définiteur de Hongrie; Roger 
de Marcia, Définiteur de la Lombardie inférieure; Gienisius de 
Bruna, Définiteur de Bohême; Guillaume Dulcini, de Montauban, 
Définiteur de Toulouse ; Conrad de Alberstadt, Définiteur de Saxe ; 
Laurent Tyllingens, du couvent de Sigtuna, Définiteur de Dacie; 
Nicolas de Crète, Définiteur de Grèce, et Pierre Lamberti, Lecteur 
de Montpellier, Définiteur de Provence, ayant entendu et reçu 
par écrit les accusations portées contre quelques Frères de la 
province Romaine, que l’on appelle Spirituels, après une minu¬ 
tieuse enquête, après les avoir examinés eux-mêmes, sous peine 
d’excommunication, sous précepte formel, et même sous serment, 
nous déclarons n’avoir trouvé en leur conduite rien qui soit contre 
la foi ou contre les bonnes mœurs, ni même des singularités de 
vie fondées sur une hérésie ou une erreur quelconque. 

« Voulant en finir avec cette affaire, nous avons pris les arrêtés 
suivants : 

« 1° Nous déclarons tous à l’unanimité, en conscience et selon 


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CHAPITRE II 


559 


le droit, que rien n’a été prouvé contre ceux qu’on appelle Spiri¬ 
tuels; qu’ils n’ont rien avancé, ni contre la foi, ni contre les bonnes 
mœurs, et n’ont fait preuve d’aucune singularité fondée sur une 
erreur ou une secte quelconque ; 

« 2<> Nous interdisons publiquement et avec rigueur à tout 
Frère d’adopter un mode de vie singulier, pouvant de lui-même 
conduire au scandale ou à l’erreur. Que nul parmi les Frères, 
sous prétexte de prières, d’abstinences, de manière de vivre, 
même la plus vertueuse, n’ait la présomption de grouper autour 
de lui d’autres religieux, comme en une petite secte. Ceux qui le 
feront subiront de très graves pénitences ; 

« 3° Nous défendons, sous les peines les plus graves, de don¬ 
ner à un Frère ou à plusieurs Frères, de propos délibéré et à des¬ 
sein , le titre de Spirituels, ou de Frères de VEsprit, ou tout autre 
nom qui ait le sens de secte privée ou de coterie particulière. 

« Pour donner à ces arrêtés une plus grande force, moi, Frère 
Hervé, Maître de l’Ordre, j’ai fait sceller de mon sceau et des 
sceaux de tous les Définiteurs les présentes lettres. 

« Donné à Florence, après le Chapitre général, l’an du Seigneur 
1321, le 18 juin 1 . » 

1 « Noverint universi présentes literas inspccturi, quod nos frater Herveus, ma¬ 
gister ordinis fratrum predicatorum, Petrus de Palude, magister in theologia, difli- 
nitor Francie , Recuperus de Guarduvalle Senensis , diffinitor provincie Romane, 
Stephanus diffinitor Polonie, Bcnedictus de Pesculo, inquisitor, diffinitor regni Si- 
cilie, Philippus de Cumis, diffinitor Lombardie superioris, Gulielmus de Ebruton, 
magister in theologia, diffinitor Anglie , Bernardus de Pino diffinitor Aragonie, 
Henricus de Gmnic diffinitor Theutonie , Benedictus de Vaccia diffinitor Hungarie, 
Rogerius de Marcia diffinitor Lombardie inferioris, Gienisius de Brima diffinitor 
Bohemie, Gulielmus Dulcini de monte Albano diffinitor provincie Tholosane, Cor- 
radus de Albersthat diffinitor Saxonie, Laurencius Tyllingensis de conventu Sictu- 
niensi diffinitor Dacie, Nicholaus de Creta diffinitor Grecie, et Petrus Lamberti 
lector Montispessulani diffinitor provincie Provincie, auditis et eciam receptis in 
scriptis delacionibus contra fratres aliquos de Romana provincia, qui spirituales ab 
aliquibus vocabantur, diligenti prius inquisicione premissa, examinando delatos per 
sentenciam excommunicacionis et per preceptum et eciam iuramentum, non inve- 
nimus in predictis esse probatum contra eos aliquid contra fidem seu eciam bonos 
mores, nec eciam in eis invenimus singularitatem vite fundatam in aliqua heresi vel 
errore. Volentes igitur finem ponere in predictis et quos non invenimus nocentes 
per aliquod contra eos probatum, seu eciam confessatum, salvare et excusare, ut 
de iure tenemur, ac in posterum precavere, ne in nostro ordine et maxime in Ro¬ 
mana provincia de predictis et circa predicta aliqua scandala oriantur, fecimus, que 
sequuntur. 

« Primo determinamus omnes nemine discrepante et ex consciencia et de iure 
nichil esse probatum contra eos, qui spirituales vocantur, seu confessatum per eos 
contra fidem et bonos mores et contra singularitatem vite in aliquo errore seu secta 
fundatam. 

« Secundo publiée inhibemus et districtius, ne aliquis frater singularitatem ha- 
ï>eat in modo vivendi, que de se induceret in scandalum vel errorem, et nullus 
frater singularis in oracionibus sive abstinenciis et modo vivendi quantumeumque 
eciam virtuoso alios pro secta et colligacione fîenda ad se trahere audeat quoquo- 
modo, et penas imponimus contrarium facientibus valdc graves. 

« Tercio prohibemus districte sub pénis determinatis et gravibus, ne aliquis ex 
proposito vel deliberacionc et ex certa sciencia fratrem aliquem vel aliquos in com- 


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560 HERVÉ DE NÉDELLEC 

Toute la sagesse du Maître et des Définiteurs éclate dans ce 
document. 

Les Spirituels de l’Ordre se gardaient évidemment des écarts 
de leurs confrères de l’Ordre des Mineurs : ni hérésie, ni erreur, 
ni rien de contraire à la morale. C’étaient des hommes qui com¬ 
prenaient sans doute l’Ordre de Saint-Dominique à leur manière, 
et qui, dans le but louable de le ramener à une observance plus 
stricte, exagéraient oraisons et abstinences. Individuellement pris, 
ces actes n’avaient rien de coupable, et Maître Hervé, avec les 
Définiteurs, les renvoie indemnes. Il y a pour eux une ordon¬ 
nance de non-lieu. 

D’autre part, cependant, la tendance à s’unir, à grouper des 
adhérents, à former comme une communauté à part, cette petite 
Église, si chère à tous les petits réformateurs, était un danger 
pour l’unité de l’Ordre. Avec les plus pures et les plus saintes 
intentions, on aboutit souvent à un mal plus grand que le bien 
que l’on cherchait. C’est ce que dit le Maître, ce que disent les 
Définiteurs de l’Ordre, en interdisant toute singularité, tout grou¬ 
pement de ferveur, même pour la vie la plus vertueuse : modo 
vivendi quantumcumque virtuoso. De cette petite Église, Maître 
Hervé n’attend rien de bon et n’en veut point. Certes, on ne peut 
lui reprocher ni faiblesse dans sa vie privée, ni défaillance dans 
son gouvernement : ses actes témoignent en sa faveur. Mais il 
estimait que, tout en désirant ardemment une observance plus 
régulière, tout en prenant les moyens les plus énergiques pour 
l’obtenir, il fallait éviter ce qui menacerait l’unité de l’Ordre et 
introduirait en lui un esprit et des pratiques non conformes à son 
origine 1 et à son but. 


muni spirituales vel de spiritu seu eciam spigolistas vcl quovis nomine significante 
sectam vel colliganciam singularem appellare présumât. 

« In horum autem omnium firmitatem et robur ego frater Herveus, magister 
ordinis, présentes literas sigilli nostri et sigillorum omnium predictorum diffinito- 
rum feci munimine roborari. 

« Datum Florencie post capitulum generale anno domini m 0 .ccc°.xxi°. die xviii 0 . 
iunii. » (Acta, Cap., II, p. 137.) 

1 Quiconque a lu la Chronique de Fr. Galvanus de la Flamma aura trouvé dans 
les écrits de ce religieux l’écho de cette tentative des Spirituels. Cet auteur affecte 
d’ignorer tous les commentaires de la règle sortis de l'Ordre. Jamais il n’a un mot 
de Maître Humbert de Romans, l’homme sage par excellence. Mais il va chercher 
le sens de la vie dominicaine dans les écrits des Pères du désert, et encore choi¬ 
sit-il dans le nombre les passages qui sont les plus mystiques. Son antipathie ma¬ 
nifeste pour Humbert de Romans vient, & ce qu’il me semble, de ses attaches avec 
les Spirituels. (Cf. Galvanus de la Flamma, Chronica. Ed. Reichert. — T. I« r de cet 
ouvrage, p. 655 et ss.) 


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CHAPITRE II 


561 


BIBLIOGRAPHIE 


Baron d’Auteuil, Histoire des ministres d'cstat sous tes rois de France de la 
troisième race . Paris, 1642. 

Masetti, Monumenta et antiquitates veteris disciplinæ Ord. Prædicatorum, ab 
anno 4246 ad 4348, præsertim in Romana provincia . Rome, 4864. 

K. Müller, Die Anfânge des Minoritenordens und der Bussbruderschaften . 
Fribourg, 1885. 

Ehrle, Die Spiritualen, ihr Verhâltniss zum Franciscanerorden und zu den 
Fraticellen ( Archiv für Litteratur und Kirchengeschichte des Mittelalters , 
III. 1887. 

L. Palomes, Des Frères Mineurs et de leurs dénominations. Palerme, 1901. 


n — 36 


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CHAPITRE III 


LA CANONISATION DE SAINT THOMAS D’AQUIN 


En luttant contre les mœurs nouvelles qui s'infiltraient dans 
l’Ordre, Maître Hervé ne négligeait aucun moyen de relever les 
cœurs en haut. Aux attiédis, il montrait dans la gloire céleste 
ceux de leurs Frères qui, professant la même règle, avaient con¬ 
quis par leurs vertus la récompense éternelle, et, sur cette terre, 
l’honneur d’un grand nom. — L’un des premiers, saint Pierre de 
Vérone, le martyr de la foi, jouissait dans l’Ordre et dans toute 
l’Église d’un culte populaire. Maître Hervé y ajoute encore. Il 
exige que, au moins une fois tous les quinze jours, on chante une 
messe solennelle en son honneur dans tous les couvents 1 . De 
plus, lui-même dispose la manière de faire mémoire de ce saint, 
au courant de l’année 8 . 

Au Chapitre de Florence (1321), on introduit dans le calendrier 
dominicain la fête de saint Christophe. Patron des voyageurs, 
puisque, sur ses robustes épaules, il avait eu l’honneur de porter 
le Fils de Dieu sous la forme d’un enfant 3 , bien étonné, le saint 
homme, de le trouver si lourd, il convenait admirablement 
comme protecteur au Maître Général et aux Prêcheurs, qui ne 
cessaient de parcourir le monde. Maître Hervé est chargé par le 
Chapitre de procurer son office 4 . 

Dans les Actes, on lit, non sans surprise, qu’en 1321, c’est- 
à-dire cinquante-sept ans après l’institution de la fête du Saint- 

1 Acta Cap., II, p. 109, 117. 

* « Ordinat magister ordinis, ex commissione per tria capitula gencralia immé¬ 
diate precedentia sibi facta quod ad memoriam que fit de beato Petro martyre, 
per totum annum dicatur antiphona in matutinis : Petrus novus; versus : preve- 
nisti eum in benedictionibus dulcedinis. Responsorium : posuisti in capite ejus 
co rem a m de lapide pretioso. In vesperis, antiphona : Ad Sancti Pétri ; versus : de- 
siderium anime ejus tribuisti ei, domine. Responsorium : et voluntate labiorum 
ejus non fraudasli eum. Et hcc in ordinario et rubrica de festo ipsius scribantur. » 
(Acta Cap., II, p. 129. Chap. de Florence, 1321.) 

t Cf. Acta SS., 25 julii. 

* Acta Cap., II, p. 128. 


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CHAPITRE III 


563 


Sacrement 1 et la publication officielle dans l’Église de l’office de 
cette fête par saint Thomas d’Aquin 1 , cette solennité n’était pas 
encore inscrite dans la liturgie dominicaine. On hésite même sur 
l’office à réciter. Voici ce que les Capitulaires décrètent : « Dans 
l’Ordinaire, à la rubrique qui concerne la fête de la Trinité, on 
écrira ainsi : A la férié cinquième, le jeudi, après la fête de la 
Trinité, on fera la fête du Corps du Christ, selon le rite tout 
double avec octave. Pendant cette octave, on ne fera mémoire 
d’aucune autre octave, si ce n’est le jour même octaval. Si cette 
fête coïncide avec celle de la Nativité de saint Jean-Baptiste, on 
se conformera à l’usage de l’église principale. L’office, tant de 
nuit que de jour, sera celui que le Maître de l’Ordre organisera. 
En attendant qu’il soit définitif, on devra s!en servir. Ainsi l’or¬ 
donne le Maître de l’Ordre s . » 

Cet office de transition était-il celui de saint Thomas? Il y a 
lieu d’en douter; car, au Chapitre suivant, celui de Vienne, les 
Pères sont plus explicites. On sent que la question a été étudiée 
et que Maître Hervé a pris une décision ferme et motivée. C’était 
à lui que le choix revenait, d’après la commission que lui avait 
confiée le Chapitre de Florence. Il est ainsi ordonné : « Comme 
notre Ordre doit se conformer autant que possible à la sainte 
Église romaine dans l’office divin, surtout si cet office a été com¬ 
posé par notre Ordre lui-même, en vertu d’un précepte du Saint- 
Siège, nous voulons que l’office du Corps du Christ, dont le texte 
a été rédigé, comme on l’affirme, par le vénérable Docteur Frère 
Thomas d’Aquin, soit célébré, dans tout l’Ordre, la férié cinquième, 
après la fête de la Trinité avec les octaves. On inscrira ledit 
office à l’Ordinaire aux endroits convenables 4 . » Nous savons, 
par une déclaration du Chapitre de Bordeaux, en 1324, que Maître 
Hervé avait transmis à toutes les provinces cet office du Saint- 
Sacrement composé par saint Thomas. Seul, cet exemplaire au¬ 
thentique faisait foi 8 . 

Il n’en est pas moins étonnant que l’Ordre ait mis tant d’an- 

1 Cf. t. I, p. 651. 

* Ibid . 

3 Acta Cap., II, p. 129. Chap. de Florence, 1321. 

4 « Cum ordo noster debeat se Sancte Romane Ecclesie, in quanlum possibile 
est, in divino officio conformare et in eo precipue, quod per ordinem nostrum de 
mandato apostolico est confectum, volumus quod officium de Corpore Christi, per 
Venerabilem doctorem fratrem Thomam de Aquino editum, ut asseritur, per totum 
ordinem fiat V* feria post festum Trinitatis usque ad octavas inclusive, et dictum 
officium in ordinario in locis debitis annotetur. » Ibid., p. 138, Chap. de Vienne, 
1322; p. 144, Chap. de Barcelone, 1323.) 

• * « Volumus quod de Corpore Christi officium editum per beatum Thomam de 
Aquino, ut asseritur, per totum ordinem fiat, iUud officium a beato Thoma editum 
dicimus quod a Capitulo Barchinonensi ad omnes provincias fuit missum. » ( Ibid., 
p. 152.) 


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564 


HERVÉ DE NÉDELLEC 


nées à insérer dans la liturgie et la fête du Saint-Sacrement, qui 
fut instituée à la demande et par les soins du cardinal Hugues de 
Saint-Cher, et l’office de cette solennité composé, sur l’ordre 
exprès d’Urbain IV, par saint Thomas. 

Un petit mot du Chapitre de Barcelone (1323) révèle une situa¬ 
tion assez anormale dans la dévotion des Prêcheurs envers sainte 
Marie Madeleine. Au temps où Maître Humbert rédigeait le 
calendrier dominicain, pour fixer définitivement la liturgie, on 
croyait partout que le corps de sainte Madeleine avait été trans¬ 
porté à l'abbaye de Vézelay 1 . On le croyait si fermement, même 
dans l’Ordre, que Maître Humbert n’hésita point à insérer la fête 
de cette translation au Martyrologe, à la date du xiv des Calendes 
d’avril, soit le 19 mars. Or, nous l’avons vu, bien après la solen¬ 
nelle approbation de la liturgie dominicaine, en 1279, Charles 
d’Anjou retrouva ces restes vénérables à Saint-Maximin et en 
confia la garde aux Prêcheurs. Il était difficile, en de telles con¬ 
ditions, de continuer à fêter, le 19 mars, la translation de sainte 
Madeleine à Vézelay. L’accord n’existait plus entre cette solen¬ 
nité et la nouvelle croyance qui affirmait la présence des reliques 
à Saint-Maximin. Il fallait opter entre les deux. C’est ce que l’on 
fit à Barcelone : « Nous voulons et nous ordonnons, disent les 
Pères, que l’on supprime absolument ce qui est écrit ainsi dans 
le Martyrologe : « Le xiv des Calendes d’avril, à Vézelay, Trans- 
« lation de sainte Marie Madeleine*. » 

C’était plus logique. 

Maître Hervé, près de mourir, eut une immense consolation. 

Depuis un certain temps, il était question d’élever sur les autels 
celui qu’il révérait comme son maître intellectuel et le maître 
intellectuel de tout l’Ordre, le Vénérable Frère Thomas d’Aquin. 
Sa réputation de sainteté, les prodiges nombreux et éclatants qui 
se multipliaient à son tombeau, l’influence très considérable que 
sa doctrine prenait dans les écoles, faisaient que la mémoire du 
grand Docteur resplendissait de plus en plus sur toute l’Eglise 3 . 


1 Cf. Faillon, Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie Madeleine en 
Provence. — Rostand , Monographie du couvent des Dominicains de Saint-Maxi¬ 
min, 1879. — L'abbé Albanès, le Couvent royal de Saint-Maximin. Marseille, 1880. 

* « Volumus et mandamus quod illud verbum quod sic in martyrologio ponitur : 
XIIII Kalendas aprilis Apud Vezeliacum translacio Sancte Marie Magdalene, 
inde penitus deleatur. » (Acta Cap., II, p. 149. Chap. de Barcelone, 1323.) 

3 Sous le magistère de Maître Hervé, plusieurs grands personnages de l'Ordre 
disparurent de ce monde. 

En 1320, mourait au couvent d'Avignon, où il avait été appelé par Jean XXII, 
Frère Jean-Baptiste Tolomei, Siennois de naissance, illustre par ses prophéties. Le 
Pape l'envoya combattre les hérétiques en Allemagne, en Angleterre et en France. 
U est décoré par tous les historiens du titre de Bienheureux. 

En 1321, également à Avignon, le cardinal de Prato finit ses jours. Ce grand 
homme nous est connu. 


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CHÀPITKE III 


565 


Maître Hervé, ardemment désireux de glorifier l’homme de Dieu, 
et en même temps de fortifier par cette glorification son autorité 
doctrinale, s’en occupa dès son élection au Magistère de l’Ordre. 
En 1318, les Pères de la province de Sicile, réunis à Gaète, char¬ 
geaient Frère Guillaume de Tocco, ancien élève de saint Thomas 
et son biographe, alors Prieur de Bénévent, et Frère Robert, 
Lecteur du même couvent, de faire des instances auprès du Pape 
Jean XXII pour obtenir la canonisation de Frère Thomas d’Aquin. 
Ce Chapitre était présidé par Frère Robert de Saint-Valentin, 
vicaire du Maître Général. Il ne peut avoir pris une telle résolu¬ 
tion, qui engageait l’Ordre entier, sans entente préalable avec 
Maître Hervé, dont il n’était que le délégué. 

Les deux commissaires firent diligence. Comme ils naviguaient 
vers la Provence, porteurs des procès-verbaux de leur enquête, 
le vaisseau fut assailli par une furieuse tempête. Effrayés, ils 
implorèrent la protection de Frère Thomas. Il leur fut secou- 
rable 1 . 

A la cour d'Avignon, Frère Guillaume de Tocco trouva de 
puissants auxiliaires : le Maître de l’Ordre, dont les relations avec 
Jean XXII étaient familières; les trois cardinaux dominicains : 
Nicolas de Prato, doyen du Sacré-Collège; Guillaume Pierre de 
Godin, évêque de Sabine, et Nicolas de Fréauville, l’ancien con¬ 
fesseur de Philippe le Bel. Jean XXII ne demandait qu’à se lais¬ 
ser persuader. Encore fallait-il procéder avec cette rigueur du 
droit qui est l'honneur de l'Église romaine. Déjà des commis¬ 
saires pontificaux, Arnaud d’Aux, cardinal-évêque d’Albano; 
Guillaume Testa, cardinal-prêtre du titre de Saint-Cyria que in 
Thermisy et Guillaume de Longis, cardinal-diacre de Saint- 
Nicolas in Carcere Tulliano, avaient rédigé et présenté au Pape 


Il fut le bras droit de Benoît XI, de Clément V et de Jean XXII. Son Ordre 
lui était cher. Il termina le couvent des Prêcheurs de Prato, rebâtit celui d’Avi¬ 
gnon et combla les Frères de ses bienfaits. On lui éleva un splendide monument 
au côté gauche de l'autel majeur dans l’église des Prêcheurs à Avignon, dont déjà, 
au temps d'Echard, il n’y avait plus de trace. Taegio dit de lui : « Hic fuit honeste 
conversations, vite sanctissime et eximie castitatis. Humilis fuit corde, omnibus 
gratus, in consilio providus et ultra quam credi potest suorum bonorum pauperi- 
bus dispensator. » ( Chron . ampliss., II, p. 93.) Toutes les églises de Prato reçurent 
de lui un calice en argent. 

L’année suivante, au couvent de Prato même, mourait un autre Prêcheur de 
grande célébrité, Frère Hugues de Prato. Orateur et professeur hors ligne, il n’en¬ 
nuyait jamais ses auditeurs. « Verba ejus et sermones quantumcumque prolixi au- 
ditores numquam gravabant! *> Ce n’est pas un médiocre compliment. 

Il enseigna la philosophie à Naples : « Tarn gratiose legit et excellenter quod ad 
sonum campanae ecclesiae majores confiuebant ad eum non solum studentes reli- 
giosi sed etiam seculares, lectiones ejus avide audituri. » Il fit un sermonnaire de 
Tempore et de Sanctis et plusieurs autres ouvrages. Il passa quarante-six ans dans 
l’Ordre et mourut le 4 décembre 1322. (Taegio, Chron. ampliss., II, p. 93. — 
Léandre Albert, De Viris illustribus , p. 144. — Echard, I, p. {>51.) 

1 Acta SS., I Martii, p. 705 et ss. 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


le résultat de leur enquête officielle 1 . C’était un premier pas. 
Jean XXII ne le jugea pas suffisant. Mais, touché de la supplique 
de Marie, reine de Sicile, fille de Charles II; de Philippe, prince 
de Tarente; de Jean, comte de Gravina; de tous les nobles du 
royaume de Sicile, et en particulier des Maîtres et des étudiants 
de TUniversité de Naples, unanimes dans leur désir et leur 
prière, il ordonna une information juridique complémentaire. 
L’archevêque de Naples, l'évêque de Viterbe et le notaire aposto¬ 
lique Pandulphe de Sabello en furent chargés *. Frère Guillaume 
de Tocco ne les laissa pas traîner l’affaire en longueur. Ils avaient 
été quelque peu négligents dans l’audition des témoins sur les 
miracles opérés par le saint Docteur à Fossa-Nuova. C’était nuire 
à sa gloire comme à sa cause. Aussi, pendant que Maître Hervé 
tenait le Chapitre général à Cahors, la patrie de Jean XXII, Frère 
Guillaume obtint une nouvelle bulle, qui ordonnait aux Évêques 
d’Anagni et de Terracine, plus près du tombeau de saint Thomas, 
de recevoir les dépositions sur les miracles 3 omis par leurs pré¬ 
décesseurs en cet office. Le 10 novembre, ils étaient à Fossa- 
Nuova, et le 26 du même mois, harcelés par Frère Guillaume, qui 
ne les laissait point reposer, ils terminaient leur procès 4 . 

La cause était en bonne voie. Grande fut la joie de Maître 
Hervé. Comme ancien Maître de Paris, longtemps professeur, 
ardent admirateur de la doctrine de Frère Thomas d’Aquin, il ne 
pouvait souhaiter un événement plus glorieux pour terminer son 
gouvernement et sa vie. 

L’Ordre tout entier partagea son allégresse. Il fallait subvenir 
aux dépenses assez fortes déjà qu’entraînaient les fêtes de cano¬ 
nisation. On fit appel à tous les religieux. Voici l’ordonnance 
rendue au Chapitre de Rome, en 1320. « Comme il y a bon espoir 
de voir aboutir la canonisation de Frère Thomas d’Aquin, nous 
voulons et nous ordonnons strictement aux Prieurs Provinciaux 
d’envoyer au Chapitre général autant de florins qu’il y a de cou¬ 
vents dans leurs provinces 5 . » Les Actes du Chapitre de Flo¬ 
rence, en 1321, ne parlent point de la réception de cet impôt en 
faveur de saint Thomas. 

Jean XXII, suffisamment renseigné par toutes les informations 
juridiques qu’il avait ordonnées et reçues, se résolut, en 1323, 


1 Bull. Ord., II, p. 145. B. De occultis, 13 septembre 1318. 

* Ibid . 

3 Ibid., p. 151. B. Cum super. 

4 Ech&rd, I, p. 552. 

5 « Cum de canonizationc Fr. Thome de Aquino bona spes liabeatur, volujnus et 
districte injungimus prioribus provincialibus quod tôt florenos ad sequens Capitu- 
lum Generale mittere teneantur quot fratrum conventus in suis provinciis habean- 
tur. » (Acta Cap., III, p. 123. Chap. de Rouen, 1320.) 


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CHAPITRE III 


567 


à proclamer devant l’Église la sainteté de Frère Thomas d’Aquin. 
Mis au courant de la volonté du Pape, Maître Hervé s’entendit 
avec lui pour en différer la solennité jusqu’à son retour du Cha¬ 
pitre général. 11 devait se tenir à Barcelone’ le 15 mai. On fixa 
donc les fêtes, d’un commun accord, dans le courant de juillet. 
Elles attirèrent à Avignon une foule innombrable de prélats, de 
Prêcheurs, de nobles séculiers. A leur tête se trouvaient le roi de 
Sicile, Robert d’Anjou, la reine et les représentants les plus éle¬ 
vés du royaume 1 . Tout s’annonçait joyeux. 

De son côté, Maître Hervé se hâtait de quitter l’Espagne pour 
assister à la glorification de son maître. « Je mourrai heureux, 
disait-il, car mes yeux voient ce que nos Pères ont tant désiré 
voir et n’ont point vu. Ils voient placer sur le candélabre cette 
lumière donnée par Dieu pour l’illumination et la gloire de son 
peuple*. » Et, joyeux dans son cœur, il pressait ses pas vers 
Avignon. La mort vint à sa rencontre. Déjà il était à Narbonne, 
lorsque, épuisé de force, terrassé par une cruelle maladie, il dut 
s’arrêter 3 . On ne pouvait plus retarder les solennités de la cano¬ 
nisation. Tout était préparé; la foule des invités et des pèlerins 
remplissait Avignon. Jean XXII, attristé des mauvaises nouvelles 
reçues de Narbonne et de l’absence de Maître Hervé, se décida 
cependant à glorifier Frère Thomas d'Aquin. 

Le 14 juillet, un jeudi avant la fête de saint Alexis, eurent 
lieu, au palais d’Avignon, comme des joutes oratoires en l’hon¬ 
neur du saint Docteur. Jean XXII ouvrit la séance par deux ser¬ 
mons distincts : le premier, pour annoncer la bonne nouvelle, 
sous ce titre : Hæc dies boni nuncii, et si tacuerimus et celave - 
rimus usque nunc sceleris arguemur 4 ; le second, pour exalter 
Thomas d’Aquin et l’Ordre des Prêcheurs, sur ce texte : Scitote 
quoniam mirificavit Dominus sanctum suum. Il proclama que, en 
suivant la règle des Prêcheurs, Frère Thomas avait suivi la vie 
apostolique, parce que si les Prêcheurs possèdent en commun 
certaines propriétés, ils ne possèdent rien en particulier : « Et c’est 
là, dit Jean XXII, ce que nous déclarons une vie apostolique, » 

1 Cf. Bull. Ord., II, p. 163. — Percin, Monuments Conventus Tolosani , p. 229, 
ad calcem. 

* « Et Hervaeus magister qui apud Hispanos moram trahebat haec intelligens 
atque in Domino exultans quoniam videre meruit quod multi majores voluerunt 
videre et non viderunt : jam, inquit, nunc laetus moriar quia viderunt oculi mei 
super candelabrum positam lucernam quam paravit Deus ad illuminationem gen- 
tium et gloriam plebis suae. » (F. Jacques de Soest, Chron., lib. QQ, p. 473. Ms. 
arch. Ord.) 

3 « Ad curiam ergo festine festineque ob nova festa properanti illo ecce quasi 
occurrens obvia mors de medio subtulit eum. » (Ibid.) 

* Cf. Bull. Ord., II, p. 163. — Percin, Monuments Conventus Tolosani , p. 229, 
ad calcem. 


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HERVÉ DE NÉDELLEC 


c’est-à-dire conforme à la manière de vivre des Apôtres. Il y avait 
en cette affirmation publique une protestation directe contre les 
doctrines des Fratricelles, qui troublaient alors, par leurs idées 
extravagantes sur la pauvreté, l’Ordre de Saint-François et toute 
l’Égl ise. Il y avait aussi pour les Prêcheurs, que la vie privée sol¬ 
licitait, une haute leçon. 11 est visible que le Pape n’admettait 
point, pas plus que Maître Hervé, les mœurs nouvelles qui s’in¬ 
troduisaient dans l’Ordre. 

Et, parlant de saint Thomas, Jean XXII dit de lui ces belles 
paroles : « Après les Apôtres et les premiers Docteurs, il est celui 
qui a répandu le plus de lumière dans l’Église de Dieu... Autant 
d’articles il a écrit, autant de miracles il a fait*. » 

Par la bouche du Pape, l’Église faisait sienne la doctrine du 
Maître. 

Après Jean XXII, dans la même séance, il y eut six autres 
discours. Frère Pierre Cantier, de l’Ordre des Prêcheurs, Postu- 
lateur officiel de la cause, en remplacement de Frère Jean de 
Naples, qui était malade, parla sur ce texte : Ad preceptum 
tuum elevabitur aquila, et in arduis ponet nidum suum *. Robert, 
roi de Sicile et de Jérusalem, prononça lui-même un sermon. Il 
prit pour thème : Ille erat lucerna ardens et lucens ... Le chroni¬ 
queur, qui loue d’un mot les autres orateurs, ne dit rien de l’élo¬ 
quence royale. 

Puis, un Patriarche de l’Ordre des Prêcheurs, qu’on ne nomme 
point, l'archevêque de Capoue, un évêque, l’archevêque d'Arles, 
l’évêque de Lodève, qui était de l’Ordre des Mineurs, exaltèrent 
tour à tour les mérites de saint Thomas. Le Frère Mineur parla 
surtout de sa doctrine. Il avait pris pour texte : Doctor gentium 
in fide et veritate. Nul, dit le chroniqueur, ne donna tant de 
louanges à l'enseignement de l'illustre Maître 3 . C’était comme 
l’amende honorable des Mineurs, devant l’autel de saint Thomas, 
pour toutes les luttes du passé. Tout en gardant chacun ses 
positions doctrinales, les deux Ordres se donnaient la main sans 
rancune. 

Le lundi suivant, 18 juillet, Jean XXII réunissait autour de lui, 
dans l’antique église de Notre-Dame-des-Doms, la même assis- 

1 « Addidit etiam, quod nullus haberei pro malo, quod iste gloriosus Doctor, 
post Apostolos et Doctores primos, plus illuminavit Ecclesiam Dei... Et quod tôt 
fecerat miracula quot scripserat articulos. » (Echard, I, p. 163. — Percin, Mono - 
menta Conventus Tolosani, p. 229.) 

* Ibid. — Frère Jean de Naples, Maître de Paris, avait été envoyé comme Lecteur 
aux Etudes générales de Naples par le Chapitre de Pampelune, en 1317. (Acta Cap., 
II, p. 104.) 

* « Postea episcopus Ludovenais, Fr. Minor, de hoc : Doctor gentium in fide et 
veritate. Nec fuerunt tune auditae tôt commendationcs de S. Thoma sicut ab illo. » 
(Echard, I, p. 163. — Percin, loc . cit.) 


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CHAPITRE III 


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lance. Devant le roi et la reine de Sicile, les cardinaux 1 et les 
prélats, les Prêcheurs et la foule qui avait envahi le sanctuaire 
vénéré, il célébra une messe solennelle, la première, en l’hon- 
neur de saint Thomas. Après quoi, il prêcha sur ce texte : 
Magnus es tu et faciens mirabilia *. Pendant ce temps, au nom 
du roi, des hérauts criaient au peuple, par toute la ville d'Avi¬ 
gnon, de fêter comme le jour de Noël 3 . 

Ce même jour, le Pape publiait solennellement la bulle qui 
plaçait sur les autels le Vénérable Frère Thomas d’Aquin. Cette 
bulle 4 est une louange éclatante au saint religieux et au Maître 
en doctrine. Jean XXII y redit sa pureté angélique : « Je l’ai 
trouvé à la fin de sa vie, proclamait son confesseur, aussi pur 
qu'un enfant de cinq ans 5 !» Il raconte ses luttes contre l'affec¬ 
tion ambitieuse de sa famille, sa jeunesse dans les écoles, son 
incomparable enseignement, la place prépondérante que sa doc¬ 
trine occupait déjà dans l’Église. Aussi tout le peuple chrétien 
était convié à célébrer désormais la fête du saint Confesseur, 
le 7 mars, jour anniversaire de sa mort, ou mieux, pour parler le 
langage de l’Église, de sa naissance au ciel. 

L'Ordre des Prêcheurs comptait un saint de plus. C’était le 
troisième, avec saint Dominique et saint Pierre martyr. 

Robert d’Anjou 6 , roi de Sicile, avait donné à la cause de saint 
Thomas tant de témoignages de dévouement, que les Frères se ren¬ 
dirent auprès de lui pour l’en remercier. Il leur répondit : « Quand 
j’ai à solliciter pour moi quelque faveur du Pape, je lui transmets 
ma supplique par écrit. Mais, pour saint Thomas, j'ai voulu inter¬ 
venir de ma personne auprès de Sa Sainteté 7 . » 

Jean XXII avisa de l'heureux événement la reine de France, 
Clémence, veuve de Louis X, petite-fille de Charles II d’Anjou, 


1 Le roi Robert mangea ce jour-là avec dix-sept cardinaux. « Fuit canonizatus 
S. Thomas de Aquino et comedit Rex (Sicilie) et XVII domini cardinales. » (Denifle, 
Chartul. Univ. Paris., II, p. 273, n° 824, note.) 

Le roi donna vingt florins d’or aux Prêcheurs, pour la pitance de ce jour de 
fête. (Ibid.) 

* Ibid. 

8 « Et Dominus Rex fecit praeconizari per totam civitatem quod omnes festiva- 
rent sicut in die Natalis, quod et factum est. » (Ibid.) 

4 Bull. Ord., II, p. 159. B. Redemptionem misit, 18 juillet 1323. 

5 Ibid • 

• Robert d’Anjou était un grand ami des Prêcheurs. En 1318, il arrivait à Gênes 
avec la reine, ses frères, toute la noblesse de Sicile, sur vingt-cinq vaisseaux. Il 
demanda aux Prêcheurs de Gênes de le recevoir dans leur couvent. Les Pères 
l’accueillirent, lui et une suite nombreuse, avec les plus grands honneurs. Malgré le 
trouble qu’une réception de ce genre devait introduire dans le couvent, il y régnait 
un tel silence et les religieux se montraient si assidus à l’ofllcc divin de jour et de 
nuit, que le roi en était dans l’admiration. Il y assista lui-même plusieurs fois. 
(Taegio, Chron . ampliss., II, p. 92. Ms. arch. Ord.) 

7 Bull. Ord., II, p. 163, note. 


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570 


HERVÉ DE NÉDELLEC 


roi de Sicile. La canonisation de saint Thomas était, en effet, 
pour tout le royaume de Sicile, une joie nationale. Il était juste 
et de bonne politique que la maison d’Anjou s’y associât tout 
entière 4 . 

Pendant ces fêtes si glorieuses pour l’Ordre des Prêcheurs, 
Maître Hervé agonisait à Narbonne. A peine furent-elles termi¬ 
nées, que les Maîtres les plus célèbres accoururent à son chevet. 
Ils lui apportaient, comme consolation suprême, le récit de l’exal¬ 
tation de saint Thomas et de toute la gloire qui en rejaillissait 
sur les Prêcheurs. Le Maître mourait ainsi, bercé par ces bruits 
d’allégresse, au milieu des acclamations qui saluaient le nom de 
celui qu’il avait aimé comme un frère, écouté comme un docteur, 
vénéré comme un saint. Il expira dans les plus vifs sentiments 
de piété, le 7 août 1323, dimanche dans l’octave de la fête de 
saint Dominique*. L’Ordre perdait en lui le plus grand homme 
qu’il possédât 3 . 

Maître Hervé de Nédellec fut enseveli dans l’église des Frères, 
qui lui élevèrent un tombeau honorable 4 . 


1 « Joannes, episcopus, aervus scrvorum Dci, dilecte in Christo filie Clementie 
Rcgine Francie illustri, salutcm et apostolicam benedictionem. 

« Ad gaudium rcgali providentic nunciamus quod XV Kalendas Augusti proxime 
preteritas virum recolende memorie Fr. Thomam de Aquino, Ordinis Predicatorum, 
ad Dei laudem et gloriam exaltationem quoque Ecclesie triumphantis, et consola- 
tionem plurimam militantis, de Fratrum nostrorum consilio, et ad supplicationem 
multorum Prelatorum ibi assistentium, duximus Sanctorum catalogo aggregandum. 
Gratia Domini Nostri Christi ait tecum. Datum Avinione III Kalendas Augusti Pon- 
tif. Nostri anno septimo. (Bull. Ord., II, p. 164.) 

* « Qui post nimios labores eundo ad Curiam Romanam obiit Narbonae. Cum maxi- 
ma devotionc post magnam infirmitatem spiritum Deo reddidit praesentibus multis 
magnis magistris. » (Acta Cap., II, p. 106, note.) 

Bernard Gui écrit : « Hic praefuit magisterio annis quinque et tribus mensibus. 
Obiit in conventu Narbonensi provinciae Provinciae rediens de Capitulo gcnerali in 
Barchinonia provinciae Aragoniae celebrato anno Domini MCCCXXIII, dominica 
infra octavas B. Dominici. •» (Echard, I, p. 534.) 

Or ce dimanche, la lettre dominicale étant B, en 1323, tombait le 7 août. Cepen¬ 
dant, dans le livre typique de la liturgie rédigé par Humbert et appartenant au 
couvent de Saint-Jacques, une main a ajouté en marge : « VI idus augusti obiit 
Fr. Herveus Magister Ordinis XI1II. » Cette date donnerait le 8 août. Echard ex¬ 
plique cette différence en disant, non sans vraisemblance, que le Maître a dû mou¬ 
rir dans la nuit du 7 au 8 août. (Ibid. — Cf. Chron. de Pérouse, lib. QQ, p. 697. 
Ms. arch. Ord.) 

3 « Non absque luctu et moestitia sepulturac traditus quasi non relinqueretur si¬ 
milis illi in Ordine. » (Jacques de Soest, Chron. Ord., lib. QQ, p. 473. Ms. arch. 
Ord.) 

Cette même année mourait, après les fêtes de la Canonisation, le cardinal Fari- 
nula. Il en avait été, avec Maître Hervé, un des promoteurs les plus ardents. 11 se 
lit ensevelir dans le couvent des Frères à Lyon. (Fontuna, Monum. Dom., p. 18.) 

4 « Prefuit autem in Magisterio annis quinque et apud Narbonam constitutus in 
provincia Provinciae ex hac luce migravit anno D. 1323, 6 kal. octobris. Sepul- 
tus in ecclesia Fratrum «Narbone honorifice jacct. *» (Taegio, II, p. 79. Ms. arch. 
Ord.) 

Taegio se trompe absolument en mettant la mort d’Hervé le 6 des calendes d’oc¬ 
tobre, c'est-à-dirc le 26 septembre. 


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CHAPITRE III 


571 


La mort de Maître Hervé ferme le cycle des incomparables 
docteurs sortis de l’Ordre des Prêcheurs pendant le premier siècle 
de son existence. Mais elle le ferme au moment même où la cano¬ 
nisation de saint Thomas consacre devant toute l’Église ces cent 
ans de magistral enseignement. 

Certes, depuis la prédication de saint Dominique aux étudiants 
des Universités de Bologne et de Paris ; depuis les entrées en 
masse des Maîtres de ces Universités, ravis par l’éloquence de 
Jourdain de Saxe; depuis la fondation, en 1229, de la première 
chaire théologique de Saint-Jacques, inaugurant officiellement 
l’enseignement public des Prêcheurs, l’Ordre avait marché dans 
cette voie à pas de géant. Ses docteurs étaient au premier rang ; 
sa doctrine, incarnée dans la personne de saint Thomas, deve¬ 
nait universelle 1 . L’illustre Maître prenait possession de cette 
royauté intellectuelle qu’aucune révolution humaine n’est parve¬ 
nue à ébranler. Aujourd’hui, après six siècles, qui furent six 
siècles de triomphe, saint Thomas règne toujours sur les intelli¬ 
gences catholiques. Et, naguère encore, Léon XIII prenait sur 
les lèvres de Jean XXII les louanges que ce Pape du xiv© siècle 
décernait au grand Docteur, pour les redire à toute l’Église. 

Le premier siècle d’enseignement de l’Ordre de Saint-Dominique, 
comme la tombe de Maître Hervé de Nédellec, ne pouvait se 
fermer avec plus de gloire. 


1 II y eut un corollaire à la canonisation de saint Thomas. Étienne Tempier, 
évêque de Paris, avait condamné certaines thèses dont quelques-unes paraissaient 
appartenir & l'enseignement du saint Docteur. C’était comme une tache sur sa doc¬ 
trine. Après les louanges que le Pape Jean XXII lui avait décernées, on ne pou¬ 
vait décemment maintenir cette condamnation. L’évêque de Paris, Etienne de Bour- 
ret (1320-1325), soumit le cas à plusieurs Maîtres de Paris, qui décidèrent que 
saint Thomas n’avait jamais rien enseigné, ni contre la foi, ni contre les mœurs : 
Comperto per Dei gratiam dictant confessorem heatum nil unquam sensisse, 
docuisse s eu scripsisse quod sane fidei vel bonis moribus adversetur : de Consilio 
venerabilium virorum decani et capituli Parisiensis et venerabilis patris domini 
Guillelmi Dei gratia Archiepiscopi Viennensis, sacræ theologiæ professons, et alio- 
rum viginti trium Magistrorum in theologia, una cum reverendo Pâtre predicto, in 
litteris sub eorum sigillis per prefatos commissarios nobis misso, nec non et tri- 
ginta novem baccalareorum in theologia super hoc per litteram eorum propriis 
subscriptionibus et sigillis munilam nobis super hoc consulentium et rogantium 
humiliter et devote, et aliorum discretorum solempni ac maturo consilio super hoc 
habito, supradictam articulorum condempnationem et excommunicationis senten- 
tiam, quantum tangunt vel tangerc asseruntur doctrinam beati Thome predicti ex 
certa scientia tenore presentium totalitcr annulamus, articulos ipsos propter hoc 
non approbando seu ctiam reprobando, sed eosdem discussioni scolastice libéré 
relinquendo... Datum apud Gentiliacum anno D. millesimo tricentcsimo vicesimo 
quarto, die jovis ante sacros cineres. » (Denifle, Chartul. Univ. Paris., II, p. 280, 
n° 838.) 

Cette lettre fut lue, le jour même de la fête de saint Thomas, 7 mars 1324, de¬ 
vant toute l’Université, par Maître Pierre de Baume, des Frères Prêcheurs, aux 
applaudissements de toute rassemblée. (Ibid., note 19, p. 282.) 


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572 


HERVÉ DE NÉDELLEC 


BIBLIOGRAPHIE 


Dunant, Histoire de la vie , mort et translation de Vangélique docteur saint 
Thomas. Toulouse, 1628. 

Touron, la Vie de saint Thomas d'Aquin. Paris, 1737. 

Bareille, Histoire de saint Thomas d'Aquin . Paris, 1846. 

Année dominicaine , 28 janvier et 7 mars. Lyon, éd. Jevain. 

P. Feret, la Faculté de théologie de Paris , II. 1895. 


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APPENDICE 


DOCUMENTS INÉDITS SUR LA DÉMISSION ÉPISCOPALE DE MUNIO DE ZAMORA 


Les documents qui suivent ont été copiés directement aux Archives de Tolède 
par le Père André-Marc Burriel, S. J. 

Il avait été chargé par le roi d’Espagne, en 1749, de prendre la direction des 
recherches faites aux Archives du royaume par une commission spéciale. 

André Burriel s’occupa surtout des documents réunis à Tolède. Il y consacra 
son intelligence et ses soins jusqu’en 1755. C’est pendant cette période de travaux 
qu’il copia les actes qui suivent. Sa copie est demeurée inédite. Elle est présente¬ 
ment à la Bibliothèque nationale de Madrid, sous la cote D-d 54. 

Ce que je publie aqjourd’hui en est la transcription rigoureusement exacte. Les 
documents sont donnés comme les a vus et copiés le Père Burriel, avec ses propres 
notes en espagnol. J’ai tenu à ne pas y ajouter un mot. 

On peut avoir dans la copie du Père Burriel une pleine confiance. C’était, au dire 
de ceux qui l’ont connu et ont écrit de lui, un homme de grande intelligence, de 
jugement sain, très prudent, de haute culture intellectuelle : « Ingenium excellons, 
judicium bonum, prudentia supra mediocritatem, profectus in litteris plusquam 
mediocris, talentum ad omnia habet... » Ces renseignements m’ont été aimablement 
fournis par le T. R. P. Van Orthroy, S. J., comme tirés des Archives de la Com¬ 
pagnie. (Cf. C. Sommervogel, Biblioth. de la Comp. de Jésus, II, col. 403 et ss. 
— D. Modesto Lafuente, Hisloris, general de Espaüa, IV, p. 99-100. — D. Miguel 
Salvé y D. Pedro Sainz Le Baranda, Documentos ineditos para la Historia de Es- 
pafla, XIII, p. 229-365.) — Le Père Burriel est né à Le Buenna, diocèse de Cuenca, 
le 19 novembre 1719. Entré dans la Compagnie le 7 décembre 1731. Mort, après 
une vie d’enseignement et de travaux intellectuels, à Le Buenna, le 19 juin 1762. 

Il avait un frère dans la Compagnie, Aptoine Burriel, né en 1727, mort en 1798. 


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DOCUMENTS 


DOCUMENT I 

Folio 18. 


BULAS PONTIFICIAS A VARIOS OBISPOS DE ESPANA 
ELECQONES DE ESTOS. PR1MAC1A DE TOLEDO. EN LA BIBUOTECA NACIONAL 
SIGNATURA = Dd54. 


« Anno Dni mill° ducentessimo XC iercio die Martis in craslinum conversionis 
Sancli Pauli, die scilicet asignata per Capitulum Paleniinum procedere eidem Pa- 
lentinc Ecclesie de Epcopo et Pastore cantata missa Sancti Spiritus, et pulsata 
campana prout est 1 ... in Capitulo Païentine Ecclesie personis et Canonicis Palenti- 
nis qui debuerunt potuerunt et voluerunt commode de interesse*... et perlectis 
procuraticmibus et excusationibus quorumdam absentium habitisque inter eos qui- 
busdam tractantibus tandem 3 ... in Capitulo assignaverunt diem scilicet sequentem 
diem Jovis ad tractandum de futuri Pontificis electione ac prefigentes Q Die igitur 
Jovis predicta convenientibus personis et canonicis supra dictis in Capitulo 
Palentino habetis que inter eos super... sollepnibus tractantibus asignata est per 
omnes 4 ... die sabati ad tractandum 8 ... adveniente et 6 ... eodem Capitulo personis 
et canonicis... asignata fuit dies veneris scilicet prima dies veniens Mensis Februarii 
ad tractandum de eleccionc hujusmodi et eligendum si esset necesse Q Dicta quoque 
die convenientibus in eodem Capitulo Decano, et personis et Canonicis ejusdem 
Ecclesie qui eidem eleccioni debebant et volebant, et poterant interesse, placuit 
omnibus per viam comprommissi providere de Prelato Ecclesie Palentine, et omnes 
de communi consensu spontanea voluntate Deum habentes pre oculis Spiritus Sancti 
gratia invocata omnes et singuli transtu lierant suam potes ta te m in venerabilcs 
viros Dnum Simonem Archidiaconum Carrionensem et Dnum Sancium Gundisalvi 
Abbattem fussellensem eligendi ac per canonicam eleccionem providendi de Capi¬ 
tulo vel extrà Palentine Ecclesie de Epcopo et Pastore, usque ad consupcionem 
cujusdam Candelc incensi in Capitulo Palentino. Qui quidem compromissarii ante 
extinctionem candele ipsius venerabilem virum Fratrem Mumonem quondam Fra- 
trum ordinis Predicatorum Magistrum Canonice in Palentinum Epcopum eiegerunt 
prôut in decreto exinde confecto plenius continetur et tune dicti persone et cano- 
nici cum hymno Te Deum laudamus , ad al tare Sancti Salvatoris procès s ional rte r 
venientes eandem electionem clero et populo publicarunt, quibus omnibus ego 
Martinus Roderici publicus in Civitate Palentina notarius interfui vidi et audivi 
et ideo ad preces Decani et Capituli Palentini hoc presens et publicum instrumen- 
tum exinde confeci presentibus Decano et Capitulo Palentino signoque meo con- 
sucto signavi rogatus. 

« Acta sunt hec Palentie in Capitulo Palentino anno et die superius nominatis. 

« Ego Johanes Dominici publicus Notarius in Civitate Palentina hijs adhibitus 
et vocatus interfui vidi et audivi, et ideo ad preces Decani et Capituli Palentini 
hoc presens et publicum instrumentum exinde confectum per Martinum Roderici 
Notarium supradictum me eidem assistente et auctoritatem prestante presentibus 
Decano et Capitulo Palentino signo meo consucto signavi rogatus. » 

1 Indéchiffrable. 

* Id. 

• Id. 

* Id. 

» Id. 

• Id. 


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DOCUMENTS 


575 


DOCUMENT II 


Obispados - P&lencia 
x y 2.2.1 (a) 


Folio 52. 


« Noverint universi presens compromissum inspecturi quod nos Decanus, per- 
sone, et Canonici Ecclesie palentine, volentes per formara compromissi palentine 
Ëccleaie de Pastore celeriter providcre, omnes et singuli compromittimus in Vene- 
rabiles Viros Dompnum Simoncm Archidiaconum de Carrione, et Dompnum S ail- 
ci um Gundisalvi abbatem fusellensem in Ecclesia nostra, dan tes eidem plenam, 
generalem et liberam potestatem eligendi episcopum in Ecclesia palentina, ac ipsi 
Ecclesie providendi de gremio vel extra grcmium prout eis et eidem Ecclesie vide- 
rint utiliter expedire. 

« Actum est hoc in Capitulo Ecclesie palentine nonas februarii , anno Do- 
mini MCCXC tertio, ad cujus rcy cvidenciam pleniorem, rogamus Martinum Ro- 
derici et Johannem Dominici, publicos notarios civitatis palentine qui ad hec sunt 
adhibiti per nos et vocati, ut hoc compromissum in publicam formam rcdigant 
signisque suis consuetis consignent. Quibus omnibus ego Martinus Roderici publi- 
cus in civitate palentina notarius interfui, vidi et audivi, et ideo ad preces Decani, 
personarum et canonicorum Ecclesie supradicte, hoc presens publicum instrument 
tum, ex in de confeci, presentibus supradictis, signoque meo consueto signavi roga- 
tus, 

« Ego Johannes Dominici publicus notarius in civitate palentina his adhibitus et 
vocatus interfui, vidi et audivi, et ideo ad preces Decani, personarum, et canoni¬ 
corum Ecclesie palentine hoc presens et publicum instrumentum exinde confectum 
per Martinum Roderici notarium supradictum, me eidem assistante, et auctoritatem 
prestante, presentibus Decano, personis, et Canonicis Ecclesie palentine signoque 
meo consueto signavi rogatus. » 

« Nota. Los signos son la Cruz con la mitra y baculos pastorales el uno ; el 
otro un laberinto como se dibujo en otros instrumentes. Es pergamino no muy 
grande. » 

Toutes les notes expliquant les sceaux, signatures et parchemins des documents 
originaux sont du Père Burriel, qui les a copiés lui-méme. J'ai préféré, pour leur 
garder toute valeur d’authenticité, les laisser telles quelles sans les traduire. 


DOCUMENT III 

Palencia Folio 58. 

x, 2.2.1 (d). 


« Noverint universi presentem litteram inspecturi super hijs 1 ... usque idus Fe¬ 
bruarii Conventus Domus Fratrum Predicatorum in Capitulo ejusdem Domus pre¬ 
sentibus ipso Toleti Legionis Gallecie Sivilie Corduve Murcie Gihemi et 
Algarvi ac Domino de Molina nec non etiam Domina Maria Regina 3 ... Sanctis- 
simo Domino 4 ... et hujusmodi ipsorum presentibus etiam fratre Nicolao Priore 
Provinciali Ordinis Predicatorum 8 ... Gomer ejusdem Conventus fratrum suorum 
et presentibus aliis Clcricis et îayeis, Decanus et Capitulum Palentinum presenta- 
verunt discretissimo ac providentissimo viro Fratri Munioni de Ordine supradicto 

1 Mot usé. 

2 C'était certainement le nom du roi. 

8 Mot usé. 

* Id. 

8 Id. 


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576 


DOCUMENTS 


quondam ejusdem Ordinis Gencrali Magistro electionem de se confactam in Palenti- 
nam Ecclcsiam in Episçopum et Pastorem in quibus 1 ... qualiter defunctô quondam 
venerabilis memorie Domino Johane Episcopo in partibus cisdem corporc tradditto 
Ecclesiastice sépulture quandam diem ad electionem prefigerc placuit omnibus et 
singulis de supradicto Capitulo per viam compromissi procederc eidem Ecclesie de 
Pastore et a majoris in simul vota sua in venerabiles viros Simoncm Archidiaco- 
num Carrionensem et Dominum Sanctium Abbattem fusscllensem unanimiter et 
concorditer eligentes * et dantes eisdem plenam et liberam potestatem eligendi et 
providendi per Canonicam electionem Palentine Ecclesie de Episcopo et Pastore, 
qaa* licentia dicti compromissarii recipien 4 ... di compromissum Deum habentes 
pre oculis et ad honorem Dei B ... Ecclesie profectum habentes dictum fratrem 
Munionem unanimiter et concorditer in Palentinum Episçopum elegerunt et 6 ... 
nomine et vice Capituli Palentini 7 ... instantia multipliciter ®... facta contempla- 
tionc divini obsequii benignum prestarct assensum et rogaverunt 9 ... Dominum 
nostrum Regem supradictum ut ipse suis precibus predictum electum induceret ut 
electioni hujusmodi consentiret. Insuper apud Priorem Provincialem supradictum 
multiplicibus precibus institerunt ut fratri Munioni electo predicto consentiendi 
electioni predicte prestare licentiam dignaretur. Qui quidem Prior Provincialis de 
sui Conventus auctoritate et consilio non solum predictam licentiam prestitit fratri 
Munioni predicto verum etiam in virtute santé Obediencic et remissione peccato- 
rum suorum eidem injuxit ut predicte electioni de se facte in Ecclesiam Palenti- 
nam modis omnibus consentire. Dictus vero frater Munio post multas preces et 
multam instantiarn ad multiplicis excusationis recurrcns difTugium tandem cum 
multis lacrimis ad instantiam Domini Regis et Capituli Palentini et etiam Prions 
Provincialis conventus superius expressorum electioni de se facte in Palentinam 
Ecclesiam expresse consensit. Quibus omnibus Ego Martinus Roderici publicus in 
Civitate Palentina Notarius interfui vidi et audivi et ideo ad preces Decani et 
Capituli Palentini hoc presens publicum instrumentum exinde confeci presentibus 
Decano, et Capitulo Palentinis signoque meo consueto signavi rogatus. Acta sunt 
hec Palentie in Capitulo Palentino anno et die superius nominatis. 

« Ego Johanes Dominici publicus notarius in Civitate Palentina his adhibitus et 
vocatus interfui vidi et audivi et ideo ad preces Decani et Capituli Palentini hoc 
presens et publicum instrumentum exinde confectum per Martinum Roderici Not- 
tarium supradictum me eidem assistente, et auctoritatcm prestante presentibus 
Decano et Capitulo Palentinis signo meo consueto signavi rogatus. » 


DOCUMENT IV 


Obispados * Palencia. 


Folio 54. 


« Noverint universi presentem litteram inspecturi quod anno Dni M.CC nona- 
.gesimo tercio, Sabbato octavo idus Februarii convenerunt in domo fratrum Prcdi- 
catorum Palentino rum Decanus et Capitulum Palentinum, et ibidem presentibus 
Dno Rege, et Regina, Dno Johanne Molina et Episcopis Cauriensi videlicet et 
Tudensi plerisque etiam baronibus et militibus tam de regno Caslelle quam etiam 
Legionis et quam pluribus fratribus non solum de conventu fratrum supradicto 
verum etiam de multis aliis conventibus ordinis memorati Dnus Simon Archidia- 


l Mot usé. 

• Douteux. 

• Id. 

4 Indéchiffrable. 
» Id. 

« Id. 

1 Id. 

® Id. 

• Id. 


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DOCUMENTS 


577 


conus palentinus nomine et mandato capituli cathedralis Ecclesie Palentine pro- 
posuit in hune modum. Domine Electe fTrater Munio nd vos dirigo verbum m?um. 
Cum sitis homo celebris famé santé vite et sufficientis littérature, et sicut ex ver- 
bis summi pontificis colligitur, talis in Episcopum elegi et assumi Abbas de 
fTusellis et ego per comissionem nobis factam a toto capitulo memorate Ecclesie 
Palentine in vos dixerimus i nostri aciem intellectus et vos elegimus iii Episco¬ 
pum et Pastorem Ecclesie supradicte. Unde vos rogamus quod electioni de vobis 
facte dignemini asseutire. Et Rogamus fTratrem Nicholaum priorem vestrum pro- 
vincialem qui presens est ut vos licentiet ac per obedientiam cogat quod possitis 
jam dicte electioni in assensum prelare, et preesse nostre Ecclesie viduate. Tune di- 
ctus frater Nicholaus prior provincialis surgens proposuit isto modo. Domine Archi- 
diacone licet Electio quam fecistis de venerabili persona patris nostri ITratris 
Munionis ut fîrmiter tenco cédât in Dei servicium et Domini Regis et Regine 
obsequium nec non in nostri ordinis honorem et subsidium , ac Ecclesie vestre 
promocionem proculdubio et profectum, pro tamen placeat vobis ut habeant super 
hoc quod petitis consilium cum Dominis Episcopis Tudensi et Cauriensi qui sunt 
hic, et cum aliquibus prioribus et fTratribus nostri ordinis sepe dicti. Et Prior 
Provincialis asumptis vencrabilibus Episcopis iam dictis, et de Capitulo dictorum fTra- 
trum ubi residebant recedentibus cum prioribus videlicet Compostelano Legionensi 
Civitatensi, et Taurensi, et de maioribus dicti ordinis fTratre cornclio, ffratre petro 
de bavatella Doctore Paîentino fTratre Andrea de Conventu pampilonensi, ffratre 
Guterrio de SSaldanio, fTratre Martino Dominici subpriore paîentino, ITratrc Egi- 
dio de Castro Doctore Zamorensi, et pluribus aliis. Requisivit quemlibet singilla- 
tim super negocio licencie concedende. Qui omnes unanimiter consenserunt et 
dixerunt quod tam venerabili persone non erat aliquatenus episcopandi licentia 
deneganda, imo consuluerunt quod si vellet renuere, ad suscipiendum per obe- 
dienciam cogcretur. Post modum vero Prior Provincialis cum venerabilUms epi¬ 
scopis sepe dictis et aliis Prioribus et fTratribus ad fTratrum capitulum rediens. 
Resumpto verbo dixit. Domine Archidiacone Palentine, ea que modo hic et pro- 
posuistis et petivistis dixistis nomine decani et capituli palentini, qui respondit, 
etiam. Et iterato provincialis dirigens verbum ad totum capitulum interrogavit 
Dccanum et capitulum si omnes ipsi petebant id quod archidiaconus asserebat. Et 
respondentibus ipsis quod sic, prior provincialis secumdum consilium predictorum 
dicto fTratri Munioni, ad rccipiendum dictum episcopatum licentiam prebuit et 
consenssit. Et ffrater Munio surgens et suos defectus allegans, et afTectionem quam 
ad ordinem suum semper habucrat, et habebat ostendens. Domino Régi et Regine 
humiliter cum lacrimis subpplicavit ut Priorem Provincialem rogarent ne ipsum 
ad suscipiendam episcopalem cogeret dignitatem. Prior vero Provincialis excusa- 
tionem ejus aliquatenus non acceptans, ad instantiam Domini Regis et Regine, 
nec non ad preces capituli palentini per virtutem obediencie ipsum ad suscipien¬ 
dum episcopatum compulit memoratum. Tune siquidem fratrer Munio ad preces 
sepe dicti palentini capituli importunas electioni assensum prebuit de se facte. Et 
ne hoc possit in dubium evenire, Nos Dominus Alfonsus et Dominus Johannes 
Episcopi supradicti, et Prior Provincialis superius nominatus duximus sigilla no- 
stra presentibus appendenda. 

« Nota. Es un pergamino delgado como medio pliego. La letra regular de provi- 
sioncs de aquel tiempo aunque con muchas cifras : tiene aun los dos sellos de los 
dos Obispos y senal del otro del Provincial el quai falta. Ambos son aovados 
o’ como medios limones, en ambos la figura es un Obispo en pie sobre una peana 
con baculo en la izquierda, y bendeciendo con la derecha y sobre ellos una coro- 
nacioncilla de talla antigua. La orla que esta en medio es : S : IOHANNIS DEI 
GRACIATUDENSIS : La orla del que esta à la izquierda de quien mira es : 
S : ADEFONSI DEI GRACIA EPISCOPI CAVRINIENSIS este tiene dos leones 
râpantes pequenos à los lados de la figura. » 

1 Direximus (?). 


H - 37 


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DOCUMENT Y 

Folio 26 5. 


« Ego Frater Munio Sancte Palcntinc Ecclesie nunc ordinandus Episcopus su- 
bieciionem et revcrentiam et obedientiam à Sanctis Patribus constitutam. Secuu- 
dum precepta canonum Ecclesie Toletane Dno Gundissalvo Archiepiscopo Toletano 
ac ispaniarum primati et successoribus eius canonice instantibus in presencia 
Domini Johannis Episcopi Axomensis et Sancii Martini Archidiaconi Talaverensis 
Vicarii generaiis Domini Archiepiscopi supradicti perpetuo me exibiturum pro- 
raito, et super hoc sanctum altare propria manu coniirmo et sigilli mci quo utebar 
electus cum aliud non haberem fcci hac professionem munimine roborari. Datum 
apud alcalam de henares VII die mensis martii anno Domini millesimo CC nona- 
gesimo tcrcio. 

« Nota. Tiene scllo de cera en forma de medio huevo pendiente de dos cor- 
dones largos de seda musga. La figura es medio cuerpo de S. Antonino, y al rede- 
dor SCS ANTONINUS. Debajo de csto en la division hecha por un arco un frailc 
de rodillas. La orla extcrior es : +. SFRIS MUNIONIS ELECTI PALENTINI. mui 
bien conservado. » 


DOCUMENT VI 

Palencia x. 2. 1* 1*. Folio 4 S. 


« Noverint universi presentem procurationis Literam inspecturi quod nos Deca- 
nus totumquc Capitulum palentinum constituimus, facimus et ordinamus procura- 
tores nostros venerabiles et discretos vivo9 dopnum Simonem Archidiaconum 
Carrionenseni, et dopnum Sancium Gundisalvi Abbatem fusellenscm et dopnum 
Pelagium Pétri Archidiaconum del Alcor et Dopnum Johanem Fernandi Canto- 
rem Palentinum, et Petrum Martini et Fernandum Stephani Canonicos nostros 
quemlibet eorum in solidum ita quod non sit melior condicio ocupatis ad preseu- 
dandum dccretum élection is célébra te in nostra Ecclesia concorditer de religioso 
viro fratre Munione quondam Magislro ordinis Predicatorum, reverendo in Xpo 
Pat. nro domino G. divina providencia Toletane Sedis Archiepiscopo yspaniar 
primati et in Regnis Castellc, et Legionis et vandalie cancellario aut ejus Vicariis 
generalibus seu quibuscumque aliis ab eodem Archiepiscopo super hoc specialiter 
deputatis ad petendum et obtinendum confirmationem clectionis predicte ab eis- 
dem munusque consecrationis obtinendum et ad omnia alia acta dictum negocium 
contigencia presentandum et ad persequeudum negocium clectionis prediclo ele- 
ctionis negocio expedire judicaverit sine quibus idem negocium non potuerit expe- 
diri ratum habentes, et firmum perpetuo quidquid per Procuratores predictos vel 
eorum quemlibet in predicto clectionis negocio tam circa confirmacionis et conse¬ 
crationis petitionem, et impetrationem quam circo alia ipsum negocium contigen¬ 
cia fuerit procuratum ad cuius rey notitiam pleniorem presens procuratorum sigilo 
nostri Capituli fecimus comuniri. Actum est hoc palencia presentibus dccano et 
Capitulo supradictis quarto idus mensis Februarii anno domini millesimo ducente- 
simo nonagesimo tertio. Ego Martinus Roderici publicus in Civitate Palenlina 
Notarius hiis adhibitus et vocatus interfui vidi et audivi, et ideo ad preces 
Decani et Capituli palcntini hoc presens et publicum instrumentum exinde confeci 
presentibus Decano et Capitulo supradictis signoque meo consueto signavi roga- 
tus. 

« Ego Johanes Dominici publicus Notarius in Civitate Palentina his adhibitus, 
et vocatus interfui vidi et audivi et ideo ad preces Decani et Capituli Palentini hoc 


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presens et publicum instrumentura exinde confectum per Martinum Roderici Nola- 
rium supradictum me cidem assistente et auctoritatem prestante presentibus Decano 
et Capitulo palentinis signo meo consueto signavi rogatus. 

« Nota . Tiene sello pendientc de cera, pegado é una cintilla de hilo blanco y 
azul dice : S1GILLUM : CAPITVLl : PALENTIN : Tiene en medio un cordero 
con una cruz, en esta forma. » 


DOCUMENT VII 

Palencia x. 2.11. Folio 44 10. 


« Reverendissimo Patri ac Domino spirituali : Domino Gundisalvo divina provi- 
dentia sancte Toletane Ecclesie Archiepiscopo yspaniarum Primati ac Regnorum 
Castelle Legionis et Vandalie Cancellario Decanus totumque Capitulum Palcntinum 
manuum oscula cum omnimoda Reverentia, tam débita quam devota. Noverit vra 
Reverenda paternitas quod dcfuncto XVII. Kalendas Decembris ante matutinum 
ntb anno Domini Millesimo. CCXC. tercio bone memorie Domino Johanne Epi- 
scopo Palentino, et eius tradito corporc ecclcsiastice sépulture, fuit ab omnibus 
nobis personis et Canonicis qui cramus in Civitate ipsa présentes ad quos expectat 
electio Episcopi Palentini dies Marti s sequenti die videlicet post festum conver- 
sionis Sancti Pauli proximo translatum ad tractandum de clectione futuri pontificis 
concorditer terminus assignatus. Gitatis et convocatis intérim absentibus et in ter- 
mino supradicto convenientibus ad Capitulum Palentinum omnibus qui debuerunt 
voluerunt et potuerunt commode intéressé. Tandem deliberatione habita post mul¬ 
tos tractatus die Vcneris videlicet Nonas Februarii infra terminum juris placuit 
nobis omnibus et singulis per formam. Compromissi procedere et eidem Ecclesie 
providere. Unde dedimus unanimiter nullo penitus discordante : venerabilibus 
Viris Domino Simoni Archidiacono de Carrione et Domino Sancio Abbati de Fu- 
sellis in Ecclesia nostra plcnam generalem et liberam potestatem eligendi Episco- 
pum ac ipsi Ecclesie providendi prout eis Ecclesie expediens viderctur. Compro- 
missarii autem ipsi potestatem per nos sibi traditam acceptantes et in partem post 
modum sedentes tandem post tractatus inter se habitos prout ipsi nobis posmodum 
retulerunt in vencrabilem virum Dominum Fratrem Munionem quondam Magis- 
trum ordinis fratrum Predicatorum unanimiter concordarunt. Virum utique provi- 
dum et discretum eminentis scientie vita et moribus merito comendandum in 
presbiterato et etate légitima constitutum, ac de Legitimo matrimonio procreatum 
in spiritualibus et temporalibus plurimum circumspectum quem predictus abbas 
de mandato et auctoritate supradicti. Archidiaconi sui college et nostrum omnium 
qui ad hoc specialiter convenimus Elegit solemniter in hune modum. Ego Sancius 
Gundisalvi Abbas Fussellensis vice mea et domini Simonis Archidiaconi Carrio- 
nensis College mei ac totius Capituli Palentini et potestate per eos in nos tras- 
lata, Invocata Spiritus Sancti gratia Venerabilem virum Dominum fratrem Munio¬ 
nem quondam Magistrum ordinis fratrum predicatorum, Eligo in Episcopum et 
Pastorem Ecclesie Palcntine. Dictamquc Electionem sic solemniter celebratam 
omnes approbavimus gratamque hujusmodi et acceptam ac deinde Te Deum lau - 
damus solemniter décantantes, confeslim Electionem eandem clero et populo per 
predictum Abbatcm fecimus publicari. Postmodum vero electionis hujusmodi dicto 
Electo per nos infra tempus debitum presentata et petito ab eo ut suum preberet 
assenssum eidem ipse tandem ad magnam nostram instantiam postquam Prior 
Provincialis Ispanie qui tune aderat dédit sibi consentiendi licentiam et in virtute 
obedientia eidem ut Electioni de se facte conscntiret precipiendo mandavit. No- 
lens divine resistere voluntati infra tempus a jure statutum annuit votis nostris 
Electioni consenticns de se facte. Qua propter Paternitati vestre tam de vote quam 
humiliter voto unanimiter supplicamus. Quatinus Electionem eandem sic solemni¬ 
ter sic canonice celebratam dignemini confirmare. Curam predicto Electo et admi- 
nistrationem in Civitate et Diocesi Palentina in spiritualibus et temporalibus com- 
mittentes, ac eidem Electo nostro munus consecrationis favorabiliter impertiri, ut 


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deo actore nobis et toti dioccsi velut pastor ydoneus preesse valcat et prodesse, 
Nosque ac alii eius subditi sub ipsius regimine possimus coram deo salubriter 
militare. Ceterum ut paternitas vestra cognoscat evidentius vota nostrum omnium 
in predictis omnibus et singulis concordasc ac in petitionc hujusmodi existere una 
nimes et concordes presens electionis nostre decretum paternitati vestre per dis- 
cretos viros dompnum Symonem Archidiaconum carrionensem et dompnum San- 
cium Gundisalvi Abbatem Fusellensem et dompnum Pelagium Pétri Archidiaconum 
del Alcor, et dompnum Johancm Fernandi Cantorcm et Petrum Martini, et Fer- 
nandum Stephani Canonicos nostros qui predicte electioni interfuerunt quos super 
hoc et aliis procuratores nostros constituimus sicut in instrumento procurationis 
cxinde confecto plenius continetur. Transmitimus nostris quidem juxta statuta cano- 
nica roboratum propriis Manibus ut sequitur ut subscriptum quod etiam ad maio- 
rem cautelam per infrascriptos Tabellioncs in forma publica redigi fecimus, et 
sigilli nostri Capituli munimine roborari. Actum est hoc Palencie in Capitulo 
palentino presentibus omnibus qui debuerunt voluerunt et potuerunt huic elcction- 
quomodo interesse, die veneris Nonas Februarii Anno Domini Milles. CC°X°C ter- 
cio. 

(Hay ires columnas de subscripciones, en la primera dice :) 

« Ego Johanes Johanis Canonicus Palentinus rogatus a venerabili viro dno 
Pernando Fellii decano palentino asserente se nescire scribere qui huic electioni 
interfuit et consensit nominc ac mandato ipsius Decani subscribo. 

« Ego Simon Roderici Archidiaconus de Carrion Compromissarius supradictis huic 
electioni interfui consensi conscncio et propria manu subscribo et sigillum meum 
appono. 

« Ego Gundisalvus Martini Archidiaconus de Campis huic electioni interfui con¬ 
sensi et consenssio, et propria manu subscribo. 

« Ego Sancius Roderici Archidiaconus de Ccrrato huic electioni interfui consensi 
et consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Pclagius Pétri Archidiaconus del Alcor huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Jacobus Sachrista palentinus huic electioni interfui consensi et consencio, 
et propria manu subscribo. 

« Q ego Johannes Fernandi Gantor Ecclcsie palcntine huic electioni interfui, 
consencio et consensi subscribo manu propria. 

o Ego Dominicus bartholomei Canonicus palentinus rogatus a Venerabili viro 
Domino Johanne Martini Magistro scolarum palentino asserente se nescire scribere 
qui huic electioni interfuit, et consensit nominc ac mandato ipsius Magistri scola¬ 
rum subscribo. 

« Ego Petrus Martini Canonicus Palentinus rogatus a Lupo Garsie abbate de 
licrmidis in Ecclcsia Palentina asserente se nescire scribere , qui huic electioni 
interfuit et consensit nomine et mandato ipsius et Abbatis subscribo. 

« Ego Dopnus Fernandus Canonicus Palentinus huic electioni interfui, consensi 
et consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Didacus Alfonsi Canonicus palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Alfonsus Roderici canonicus palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Petrus Stephani Canonicus palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Pelagius Garsie Canonicus palentinus huic electioni interfui consensi, con¬ 
sencio et propria manu subscribo. 

« Ego Alphonsus Petriz Canonicus Palentinus huic electioni interfui, consensi 
et consencio, et propria manu subscribo. 

« Ego Magister Dominicus palentinus huic interfui electioni consensi, et consen¬ 
cio, et propria manu subscribo. 

« Ego Sancius Pétri Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et con 
sencio et propria manu subscribo. 

« Ego Martinus Fernandi Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi 
et consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Adamus Canonicus Palentinus huic electioni interfui et consensi consen¬ 
cio et propria manu subscribo. 

- « Ego Johanes Dominici Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 


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DOCUMENTS 


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« Ego Garsias Gomecii Canonicus Palentinus rogatus a Johane martini Canonico 
Palentino asserente se ncscire scribere, qui huic elcctioni interfuit et consensit 
nomine ac mandato ipsius Johanis Martini subscribo. 

Columna 2*. 

« Ego Sancius Gundisalvi Abbas Fussellensis compromisarius supradictus huic 
electioni interfui conscnsi et consencio et dictam electionem pronunciavi et manu 
propria subscripsi et sigillo proprio consignavi. 

« Ego Garsias Gomecii Ganonicus Palentinus rogatus a Roderico gomecii Cano¬ 
nico palentino asserente se nescire scribere, qui huic electioni interfuit et consen¬ 
sit nomine ac mandato ipsius Roderici Gomecii subscribo. 

« Ego Dominicus Bartholomci Canonicus Palentinus electioni huic interfui con- 
sensi consencio et propria subscribo. 

« Ego Garsias Gomecii Canonicus Palentinus electioni huic interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Magister Arnaldus Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi 
et consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Dominicus Bartholomei Canonicus Palentinus rogatus a Johane Dominici 
de Quintanella Canonico Palentino asserente se nescire subscribere qui huic ele¬ 
ctioni interfuit et consensit nomine ac mandato ipsius Johanis Dominici subscribo. 

« Ego Petrus Martini Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Johanes Johanis Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et proprio manu subscribo. 

« Ego Fernandus Stephani Canonicus Palentinus huic electioni consensi et inter 
fui, consensi et consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Michael Martini Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Garsias Roderici Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Dominicus Bartholomei Canonicus Palentinus rogatus a Fernando Gutcrri 
Canonico Palentino asserente se nescire scribere, qui huic electioni interfuit, et 
consensit nomine ac mandato ipsius Fernandi Guterrii subscribo. 

« Ego Petrus Martini Canonicus Palentinus rogatus a dopno Francisco Canonico 
palentino asserente se nescire scribere qui huic electioni interfuit et consensit no¬ 
mme ac mandato ipsius Dopni Francisci subscribo. 

(Aqui debajo de esta columna esta el signo de Notario dice :) 

« Ego Johanes Dominici Notarius Civitatis palentine omnibus his et singulis 
interfui vidi et audivi adhibitus et vocatus à predictis Decano personis et Canoni- 
ciis palentinis et hoc dccretum in publicam formam redegi presentibus Decano 
personis et Canonicis supradictis, signoque meo consueto signavi rogatus. Martino 
Roderici similiter publico Notario Civitatis Palentine mihi assistente. » 

Tercera columna. 

« Ego Garsias Guterrii Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio cum propria manu subscribo. 

« Ego Aparicius Gillelmi Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi 
et consencio cum propria manu subscribo. 

« E«° RodeHcus Didaci Abbas Vallisoletanus et Canonicus Palentinus huic ele¬ 
ctioni interfui consensi et consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Munis Pétri Canonicus Palentinus huic electioni interfui et consensi 
et consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Petrus Martini Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Petrus Garsie Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi 
et consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Alfonsus Garsie Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi et 
consencio et propria manu subscribo. 

« Ego Alfonsus Pétri Canonicus Palentinus huic electioni interfui consensi 
et consencio et propria manu subscribo. » 

Debajo de la columna. 

« Ego Martinus Roderici publicus Civitatis Palentine Notarius predictis omnibus 
et singulis presens interfui vidi et audivi et confeccioni presentis decreti presen- 
cialiter astiti, Johane Dominici predicto auctoritate sua et mea scribente et in for¬ 
mam publicam redigente ipsumque decretum signo meo consueto signavi rogatus. 


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DOCUMENTS 


Tiene très sellos de cera pcndientes de un cordoncillo cada uno de hilo verde. El 
primero tiene en medio una ima'gen de nuestra Senora con su hijo en los brazos. 
A la mano derecha esta una figura de un clerigo puesto de Rodillas en oracion : A 
la izquicrda hai un raino debajo hay una Aguila, por orla dice : S. Sancii Gundi- 
salvi Abatis Fusellensis. 

« 1° Sello tiene en medio in Cordero con una cruz sostenida de la mano derecha, 
por orla dice : Sigilum : Capituli : palentini. 

« 2° Sello tiene un medio in escudo dividido en 28 escaques, tiene per orla : -j- : 
S. de Simon : voiz : Arcidiano : de : Carion. » 


DOCUMENT VIII 


Obispados - Palencia. 
x, 2.2.s. 


Folio 63 26. 


« In Dei nomine Amen. Notum sit omnibus hominibus presens instrumentum pu- 
blicum inspecturis quod in presentia mei Notarii ac testium infrascriptorum. Anno 
Domini millesimo C. C. nonagesimo sexto die Lune scilicet mensc Januarii ipso die 
eiusdem mensis Discretus Vir Ordinis pétri Burgensis Canonicus ostendit et legit 
coram Reverendo Pâtre Domino Gundisalvo, Toletane Sedis Archiepiscopo quae- 
dam patentes Literas Rcverendi Patris Domini fratris Femandi Burgensis Episcopi 
Sigillatas suo sigillo pendenti tenorem hujusmodi continentes. Frater Fernandus 
permissione divina Burgensis Episcopus executor ad infrascripta a summo Pontifice 
deputatus, Reverendo in Christo Patri Domino Gundisalvo Dei gratia Toletane Sedis 
Archiepiscopo, Salutem et mandatis apostolicis humiliter obedire. Noveritis nos 
récépissé litteras Sanctissimi Patris Domini Bonifacii pape VIII, non abolitas non 
abrasas non cancellatas nec in aliqua sui parte suspectas cum vera bulla et filo can- 
napis integro formam que sequitur continentes. Bonifacius Episcopus scrvus servo- 
rum Dei. Venerabili fratri Episcopo Burgcnsi Salutem et apostolicam benedictio- 
ncm. Rem gravem et perniciosam exemplo, rem in conspectu Domini odiosam, 
rem utique abhominatione plenam animadversione dignissimam et institutionibus 
canonicis inimicam super nostris sensibus fidedignorum assertiva relatio patefecit. 
Audivimus etenim et mirati sumus non immcrito vehementer quod fratrer Munio 
ordinis predicatorum qui se gerit pro Episcopo Palentino non sine ambitionis nota 
multiplicis ad apicem Episcopalis dignitatis aspirans et temporalis honoris efferri 
titulis extuans religionis suc modestiam quam cautius servare debucrat a se penitus 
relegata per execrabilem et detestabilem imprcssionis modum et abusum orribiben 
potentie secularis in Palentinam Ecclesiam se hactcnus procuravit intrudi in offen¬ 
sant Dei Apostolice sedis contemptum proprie salutis et famé dispendium et grave 
scandalum circumposite regionis. Verum non indigne miramur quod Venerabilis 
frater noster, Toletanus Archiepiscopus loci metropolitanus quem fore cognovimus 
virum providum industrium et discretum virum utique litterarum scientia predictum 
profundum consilio et morum maturitate conspicuum cundem intrusum cum sicut 
verisimilitcr credi potest hujusmodi detcstabilis intrusionis effectus Archiepiscopi 
memorati notitiam non latebat nec latere debucrat confirmavit, cum idem potius 
repelli debuerit ut indignus. Cum itaque tam gravia tamque detestabilia et orrenda 
nolumus sicuti nec debemus aliquatenus substinere quin immo scire in hac parte 
velimus plenius vcritatem fraternitati tue per apostolica scripta mandamus quatinus 
prefatum Archiepiscopum sublato dilationis obstaculo ex parte nostra per te vel 
alium seu alios peremptorie citari cures ut infra très menses post citationem tuant 
compareat personaliter coram nobis nostris super premissis beneplacitis et pre- 
ccptis humiliter pariturus. Diem vero citationis et formam et quidquid inde feceris 
nobis per tuas litteras harum seriem continentes studeas fideliter intimarc. Dat. 
Rome apud Sanctum Petrum. Xj. Kalendas Novembris Pontificatus nostri anno 
primo. Verum cum nos propter occupaliones necessarias et impedimenta légitima 
que habere dignoscimur pro citatione hujusmodi facienda et presens personaliter 
ad vos accedere commode non possimus duximus ut teneraur per nostras patentes 


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litteras mandatum apostolicum cxequendum. Auctoritate igitur Apostolica qua fun- 
gimur in hac parte tenore presentium peremptorie vos citamus ut infra très menses 
postquam ad vos citatio presens pervencrit compareatis personaliter coram Santis- 
simo Pâtre Summo Pontifice super premissis in apostolico rescripto contentis ipsius 
Summi Pontificis beneplacitis et preceptis humiliter pariturus. Dantes nichilominus 
potestatem et spéciale mandatum Ordonio Pétri Canonico Burgensi Latori presen¬ 
tium ad hanc citationem legendam et publicandam coram vobis vel ubicumque 
viderit expedire ita quod citatio effectum debitum consequatur. Et ad maiorem 
cautelam eidem Ordonio Pétri committimus iniungentes ut vos citet per se secun- 
dum formam mandati apostolici supra dicti si viderit opportunum. In cujus rei 
testimonium sigillum nostrum duximus presentibus apponendum. Datum Burgis, 
die Lune scilicet VII Kalendas Januarii Anno M. CC. nonagesimo quinto. Reddite 
Litteras. Item dictus Ordinius pétri ostendit et legit coram Domino Archiepiscopo 
supradicto quasdam litteras sanctissimi Patris Domini Bonifacii, pape VIII cum 
vera bulla et filo canapis integro non abolitas non abrasas non cancellatas nec in 
aliqua sui parte suspectas, formam que sequitur continentes. Bonifacius Episcopus 
servus servorum Dei 8 1 . 

« Nota. Aqui vuelve à copiar à la letra la Bula de Bonifacio Octavo à acaba la quai 
prosigue. Quibus litteris oslensis et lectis in presentia Domini Archiepiscopi supra- 
dicti dictus Ordonius pétri citavit personaliter predictum Dominum Archiepiscopum 
Toletanum in hune modum. Ego Ordonius pétri Burgensis Canonicus Autoritate 
michi a Reverendo pâtre Domino Fratre Fernando Burgensi Episcopo commissa 
cito peremptorie vos Reverende Pater Domine Gundisalvi Archipiescope Toletane 
ut infra très menses post istam citationem compareatis personaliter coram Santis- 
simo Pâtre Summo Pontifice super contentis in Apostolico Rescripto premisso 
ipsius summi Pontificis beneplacitis et preceptis humiliter pariturus. Acta sunt 
hec et citationes prémisse facte et publicate, in presentia Domini Archiepiscopi 
supra dicti die Lune predicto scilicet quarto nonas Januarii. Anno quo supra pre¬ 
sentibus ad hec et adhibitis testibus Reverendo Pâtre Domino Gundisalvo Conchensi 
Episcopo, Domino Sancio Martini delfaro Archidiacono de Talavera in Ecclesia 
Toletana Magistro Stephano Canonico Toletano. Johanne Gundisalvi socio Burgensis 
Ecclesie. Dompno Petro de Villa magni presbitero. Corraducio de Nuceria, et Micha- 
leto de pampolonia cursoribus domini pape, et me petro de Sancto Germano Aime 
Urbis prefacti autoritate Notario publico qui una cum dictis testibus premissis om¬ 
nibus presens fui et de mandato dicti Ordonii Pétri hoc instrumentum propria manu 
scripsi et in publicam redegi formam cui signum meum asuetum apposui in testimo¬ 
nium veritatis. 

« Nota. Es un pergamino de cera de vara de largo y media de ancho. La letra 
redonda y cursiva de entonces. » 


DOCUMENT IX 


Obispados - Palencia. 
x, 2.2.s. (a). 


Folio 60. 


« Bonifatius Episcopus servus servorum Dei. Venerabili fratri. Archiepiscopo 
Tholetano Salutem et Apostolicam benedictionem Licet occasione confirmation]s 
ut dicitur per te facte circa negotium fratris Munionis ordinis Predicatorum in 
Ecclesiam Palentinam Intrusi te ad colorem et excusationem tuam citari per nostras 
litteras faciamus ut infra certi temporis spatium comparées personaliter coram 
nobis, quia tamen libenter perso nam tuam ut pote nobis in christo car iss imam vide- 
remus volumus et presentium libi tenore mandamus quatinus receptis hiis litteris, 
te quanto commode poteris ad nos tram conferre presentiam non ommittas. Dat. 
Rome apud Sanctum Petrum Xlj. Kalendas Novembris. Pontificatus nostri Anno 
primo. 

« Nota. Es un piel mediana muy blanca cortada en puntas por los lados : de el 


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lado izquierdo pende de cuerda de canamo un sello de plomo pequeno redondo : de 
un lado los rostros de S. Pablo y S. Pedro divididos con una cruz y encima. SPA. 
SPE. De otro lado BONIFATIVS P,P. VIII. La lctra es grande semcjante à otras 
de Honorio y Eugenio que sè dibujaron ya. A la cspalda dice Venerabili Fratri 
Archiepiscopo Toletano. » 


DOCUMENT X 


Palencia x, 2.2.1 (q). 


Folio 66 29. 


« In nomine Domini amen. Noverint universi presens instrumentum publicum 
inspecturi quod anno domini millesimo ducentessimo nonagesimo sexto die Domi- 
nica quinto Kalcndas Novembris in Villa que vocatur Vecta Toletane Dyocesi in 
presentia mei Pétri de Sancto Germano publici Notarii et testium subscriptorum 
ad hec specialiter vocatorum et rogatorum Reverendus Pater et Dominus Domi- 
nus Pater Fernandus Dei gracia Burgensis Episcopus ostendit legi, et publicari fecit 
in presentia Reverendi Patri Domini Gundisalvi divina miseratione Archiepiscopi 
Toletani quasdam Litteras Sanctissimi Patris et Domini Domini Bonifacii Pape 
octavi intégras non vasas non cancellatas non vitiatas nec in aliqua sui parte abo¬ 
li tas cum vera Bulla et corda Canapis formam hujusmodi continentes. Bonifacius 
Episcopus servus servorum Dei Venerabili Fratri Episcopo Burgensi Salutem et 
apostolicam benedictionem. Dudum ad audientiam nostram fi de dignorum relatione 
perlato et non sine vehementi animi nostri admiratione percepto quod in Palentina 
Ecclesia de dilecto filio fratre Munione per laycalem impressionem electo fuerat 
quasi notorie celebrata et quod venerabilis Pater noster Toletanus Archiepiscopus 
loci metropolitanus quem hujusmodi impressio non latebat nec verisimiliter latere 
poterat hujusmodi electionem sic cecuciens ac divinam ofTensam canonum censuram, 
et exempli pernitiem parui pendens fraudem Legi faciens de persona per alium 
confirmavit. Nos qui tam gravia, tamque detestabilia et orrenda noluimus sic nec 
debuimus aliquatenus substincre per te prefatum Archiepiscopum citari fecimus ut 
infra très menses post citationem nostram compareret personaliter coram nobis 
nostris super permissis bencplacitis, et preceptis humiliter pariturus, qui nec in 
termino comparere nec Nuntium vel excusatorem aliquem ad nos maiorem nostrum 
et Apostolice Sedis contemptum destinare curavit, quamvis post terminum ex gra- 
vitate et modestia sedis ejusdem diutius expectatus. Nos autem, qui secundum 
Apostolum prompti sumus inobedientiam omnem ulcisci sine Dei et Sedis cui presi- 
demus ofensa disimulare amplius non valentes quin tam longa contumacia tamque 
continuata inobedientia ejus et contemptus notabilis juste indignationis nostre 
motus sentiret, et eos débita pena percelleret dictum Archiepiscopum qui nos et 
dictam sedem tam diu contempsit contemptibilem justo judicio reddere cupientes 
ut in quo deliquerat puniretur a confirmatione et consecratione sufraganeorum 
suorum, nec non a collatione personatum dignitatum prebendarum portionum et 
prestimoniorum Toletane Ecclesie in prescncia fratrum nostrorum usque ad bene- 
placitum apostolice Sedis suspendimus et volumus manerc suspensum ea intérim 
sedi eidem specialiter reservantes et nichilominus ut ejus pena sit metus multorum 
et transeat preceptorum nostrorum contemptoribus et contumacibus in exemplum 
memoratum Archiepiscopum nisi infra quatuor menses a tempore denuntiationis 
sententiarum et processus nostrorum hujusmodi eidem facte, se personaliter nostro 
conspectui presentaverit suam purgaturus contumaciam et ostensurus inocentiam 
si poterit in predictis alias pro meritis recepturus Archiepiscopali dignitate et 
administratione Toletane Ecclesie eum decrevimus hoc ipso et nunc decemimus 
fore privatum. Quo circa fraternitati tue per Apostolica scripta mandamus quo 
(vel quatenus) per te vel alium seu alios iam dicto Archiepiscopo predicta denun- 
tiare et in ejus notitiam deducere sine mora procures die vero denuntiationis et 
notificationis hujusmodi et quidquid undc feceris nobis per tuas Litteras harum 
seriem continentes studeas fideliter intimarc datum Anagnie X° Rais. Augusti 
Pontiücatus nostri anno secundo. Quibus Litteris Apostolicis ostensis et lectis et 


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DOCUMENTS 


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publicatis predictus Burgensis Episcopus obcdiens mandatis Apostolicis statim eidern 
Archiepiscopo Toletano preseniialitcr constituto sententias, et processum et pre- 
dicta omnia et singula que in supra diclis Litteris apostolicis sunl contenta denun- 
tiavit, et in notitiam ejusdcm Archiepiscopi deduxit prout ei iniungebatur et in 
eisdem Litteris mandabatur quarum littcrarum Apostolicarum et denuntiationis et 
notificationis hujusmodi predictus Archiepiscopus ei Ûcri copiam petiit et dictus 
Dominus Episcopus michi prefato Notario manda vit ut darem eidem Archiepiscopo 
copiam petitorum. Acta sunt hec anno die et loco predictis presentibus dopno Mi- 
chaele de Franucea et Ordonio pétri de Cervatos abbattibus in Ecclesia Burgensi, 
Magistro Jacobo, Magistro scolarum in Ecclesia Segoviensi, Petro Lupi de Fonteza 
cive et Roderico Fernandi Canonico Burgensi fratre Andrea et Fratre Raimundo de 
Ordine minorum, et Ego Petrus de Sancto Germano aime Urbis prefecti autoritate 
Notarius supra diebus qui predictis omnibus, et singulis interfui hoc instrumentum 
confeci, et in publicam formam redegi et in eo meum signum apposui consuetuni. 

« Nota . Es un pergamino de una tcrcia de largo y una cuarta de largo. » 


DOCUMENT XI 

TOLEDO. FÜNDACION DE SU IGLESIA. DOCUMENTOS DE SUS ABZOBISP0S 
EN LA BIBLIOTECA NACIONAL SIGNATURA = Dd 41 


D”Gonzalo Gudiel. 


A 7\1\3. 


« Bonifacius Episcopus servus servorum Dei Venerabili fratri Gundisalvo Archi¬ 
episcopo Toletano salutem et Apostolicam benedictionem. Sincere devotionis affe- 
ctus quem erga nos et apostolicam sedem hactcnus gessise dignosceris et continuatis 
laudabilibus studiis gerere non desistis nostrum ins tan ter solicitant animum ut de 
tue statu Persone benignius cogitantes nos tibi prout expedire dinoscitur et tem- 
poris qualitas exigit reddamur in favore munifîci et in gratia liberales. Dudum 
siquidem fidedignis relatibus interlecto quod tu electionem fratris Munionis Ordinis 
predicatorum qui per laycalis impresionis instantiam ad regimen Palentine Ecclesie 
tune vacantis electus extiterat impresionis hujusmodi non ignarus per Vicarios 
tuos auctoritate propria feceras conlirmari te per nostras sub certa forma cittavi- 
mus literas ut infra trimestris temporis spatium post citationem hujusmodi coram 
nobis personaliter compareras nostris super hoc beneplacitis et preceptis humiliter 
pariturus. Tu vero quia impedimentis delentus legitimis coram nobis in prefixo tibi 
ad hoc termino comparere ac excusatorem ad nostram destinare presentiam nequi- 
sivisti nos impedimentorum hujusmodi notitiam non habentes te in hac parte repu- 
tavimus contumacem et a confirmatione et a consecratione sufraganeorum ecclesie 
Toletane nec non a collatione personatum dignitatum canonicatum prebendarum 
benefitiorum portionum et prestimoniorum ecclesie supradicte, a fratrum nostrorum 
consilio usque ad apostolice sedis beneplacitum duximus suspendendum et volui- 
mus manere suspensum ea tamen iterum dicte sedi specialiter reservantes ac 
deceraentes nihilominus te nisi infra quatuor menscs ac tempore denuntiationis 
hujusmodi sententiarum et processorum nostrorum per easdem literas tibi facte 
nostro te conspectui présenteras Archiepiscopali dignitate ac omni administratione 
ipsius ecclesie eo ipso fore privatum. Tu autem infra hujusmodi secundo tibi a 
nobis terminum asignutum tanquam devotionis et obedientie filius multis persone 
rerumque periculis te exponens ad sedem Apostolicam personaliter veniendo, team 
in hac parte innocentiam aperte nobis ostendere, tuamque contumatiam excusatio - 
nibus purgare legitimis curabisti nobis humiliter suplicans ut tecum super premi- 
sis benigne ac misericorditer agere dignaremur. Nos igitur qui more laudabilis 
Patris libentius parcimus quam punimus, ac potius in operibus pietatis quam in 
penarum inflictionibus delectamur hujusmodi contumatiam et excusationes tuas 
légitimas diligentius atendentes et volentes te sedis apostolice gratiam et misericor- 


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DOCUMENTS 


diam implorantcm meriiorum tuonim obtentu favoribus prosequi gratiosia tuis sub- 
plicationibus inclinati omnes sententias et processus per nos contra te aient premi- 
titur habitos sive factos auctoritate presentium relaxamus te ad statum integritatis 
omnino reducendo, Ita quod tu premisis nequaquam obstantibus jurisdictionem 
Archiepiscopalem in Spiritualibus et temporalibus plcnius exercere ac Bénéficia 
eclesiastica ad tuam eollationem spectantia que infra tempus tue auspensionia 
hujusmodi vacaverunt nec sunt aliquibus postmodum apostolice Sedis auctoritate 
collata libéré conferre valeas sicut prius. Nulli ergo omnino hominum liceat hanc 
Paginam nostre ralaxationis et redutionia infringere vel eis ausu temerario contraire. 
Si quia autem hoc acceptare presmupserit indignationem Omnipotentia Dei et bea- 
torum Pétri et Pauli Apostolorum ejua se noverit incursurum. Datum apud Urbem 
Veterem V idus Julii Pontificatus nostri anno tertio. 

« 1 NoU. Pergamino largo mas de très cuartas, ancho menos de très cuartas. 
Letra redondilla de Bullas, Pende de seda paquiza y encarnada Sello de plomo por 
cl un lado los rostros de S 1 Pedro y S 1 Pablo y en medio una cruz y encima 

SPASPE 
al otro lado asi 
BONI 
FATIUS 
PP VIII 

« T Bajo el mismo numéro hay otra Bulla del mismo ténor y forma en todo y 
por todo. » 



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CORRECTIONS 


Page 13, note 4, ligne 3, au lieu de erunl, lisez : erant. 

Page 27, noie, ligne 5, au lieu de vives, lisez : vires. 

Page 94, ligne 27, au lieu de prêt , lisez : près. 

Page 271, note 3, ligne 2, au lieu de rêélirent, lisez: réélurent. 
Page 306, note 1, ligne 4, au lieu de reginem, lisez : regimen. 
Page 437, ligne 14, au lieu de ses, lisez : ces. 

Page 449, ligne 25, au lieu de 130î, lisez : 1305. 


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TABLE DES MATIERES 


Avant-propos. 


YII 


LE BIENHEUREUX JEAN DE VERCE1L 

SIXIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 
1264-1283 


CHAPITRE I 

SES ORIGINES FAMILIALES ET DOMINICAINES 

Lieu de naissance de Jean de Verceil. — Etudes et enseignement à Paris. — Entrée 
dans l’Ordre. — Fondation du couvent de Verceil. — Pacification de la Haute- 
Italie. — Priorat de Bologne. — Provincialat de Lombardie. — Ses saints coopé¬ 
rateurs. — Fondation des couvents de Turin, Chicri et Tortona. — Attitude vis- 
à-vis des Inquisiteurs. — Réconciliation de l’évêque de Plaisance avec le Pape. 
— La prédication de la croisade. — Jean de Verceil est élu Maître Général. — 
Son caractère. — Son extérieur. — Jean de Vicence annonce miraculeusement 
son élection. — Témoignages de sympathie et de dévouement pour l'Ordre, de 
la part du Pape et de plusieurs princes. — Sa première lettre circulaire. — 
Bibliographie... 1 


CHAPITRE II 

l’administration intérieure de l’ordre 

Le compagnon du Maître. — Vie dure que l’on menait à sa suite. — Ses intermi¬ 
nables voyages. — Lieux de ses Chapitres généraux. — Visites canoniques. — 
Allemands, Lombards et les poissons. — Rigueur disciplinaire. — Déférence vis- 
à-vis des prêtres séculiers. — Le choix des prédicateurs. — Appui des Pontifes 
romains. — Clément IV. — Voix au conclave. — Lettre de Clément IV. — Ses 
témoignages d’afTection. — Ses avis. — Ses privilèges. — Institution des Vicai- 
ries. — Projet de division des provinces. Le vote sur les Provinciaux et les 
Prieurs. — Liberté des rapports des inférieurs avec le Maître. — Bibliogra¬ 
phie. 28 


CHAPITRE III 

LE TOMDEAU DE SAINT DOM IN1QUB 

Projet tardif d’une translation de saint Dominique. — Il appartient à Jean de Ver¬ 
ceil. — Sa réalisation après son élection au Gcnéralat. — Les Maîtres sculpteurs. 
— Nicolas de Pise. — Fra Guillelmo Agnelli. — Sa collaboration au tombeau 
sous la direction de Nicolas de Pise. — Œuvre de ce maître sculpteur. — Sarco¬ 
phage et sculptures. — Choix d'épisodes dans la vie de saint Dominique. — Ce 


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TABLE DES MATIÈRES 


tombeau est réputé le chef-d’œuvre de Nicolas de Pise. — Critique qu'on peut 
lui faire. — Translation des restes de saint Dominique au Chapitre de 1267. — 
Multitude de Frères et de pèlerins. — Les prélats assistants sous la présidence de 
l'archevêque de Ravenne. — Ostension solennelle de la tête de saint Dominique. 

— Sa raison. — Légendes franciscaines. — Procès-verbal et sermon par Frère 

Barthélemy de Bragance, évêque de Vicence. — Apparition d’une comète au-des¬ 
sus de l’église. — Pieux larcins de Fra Guillelmo et d'un compagnon du Maître 
Général. — Faveurs continuelles de Clément IV. — Bibliographie. 46 

CHAPITRE IV 

AFFAIRES D’ORIENT 

La question d’Orient au moyen âge. — Missionnaires dominicains. — Nouvel essai 
de réunion de l’Église grecque avec le Saint-Siège. — Lettre de Clément IV à 
Jean de Verceil lui demandant des Frères comme légats à Constantinople. — 
Deuxième croisade de saint Louis. — Hésitation du Pape. — Les Prêcheurs sont 
chargés de publier la croisade. — Mort de Clément IV. — Sa volonté d'être 
enseveli chez les Prêcheurs. — Les chanoines de Viterbe s'y opposent. — Récla¬ 
mations du Maître. — Décision du Sacré-Collège. — Les chanoines volent le 
corps. — Innocent V le fait restituer aux Prêcheurs. — Tombeau de Clément IV 
à Santa Maria dei Gradi. — Profanation et transport de ses restes à San Fran- 
cesco. — La croisade et Jean de Verceil. — L’incident de Frère Barthélemy de 
Tours. — Mort de saint Louis. — Désastre de la croisade. — Transport des 
restes du saint roi en France par l’Italie. — Leur passage à Bologne. — Chapitre 
de Montpellier. — Lettre de Philippe le Hardi sur les deuils de la maison de 
France. — Prières décrétées pour les vivants et les morts de la famille royale. 

— Inscription de Louis IX au calendrier des saints. — Bibliographie .... 62 

CHAPITRE V 

LE CONCILE DE LYON 

Élection du pape Grégoire X. — Projet d’un concile. — Pacification par Jean de 
Verceil et les Frères de la Haute-Italie. — Choix de la ville de Lyon comme lieu 
du concile. — Pacification de Lyon par Frère Pierre de Tarentaise, nommé arche¬ 
vêque de cette ville. — Lettre de Grégoire X à Jean de Verceil lui demandant un 
rapport motivé sur les affaires à traiter au concile. — Jean de Verceil a-t-il fait 
lui-même ce rapport? — Celui d’Humbert de Romans. — Les vœux qu’il soumet 
au concile. — Convocation des grands docteurs qui illustraient l’Eglise. — Der¬ 
niers jours de saint Thomas. — Sa mort. — Ouverture du concile. — Soumission 
et union des Grecs. — Rôle des Prêcheurs. — Institution du conclave. — Récla¬ 
mations des clercs séculiers contre les Prêcheurs. — Actes de condescendance de 
ceux-ci. — Lettre de Jean de Verceil sur ce sujet. — Disputes avec les Mineurs. 

— Tentative de conciliation. — Lettre de Jean de Verceil et de Jérôme d’Ascoli. 

— Respect au saint Nom de Jésus. — Origine de la Confrérie du Saint-Nom-de- 

Jésus. — Bibliographie. 82 


CHAPITRE VI 

LA DOCTRINE DE SAINT THOMAS 

Le cordon angélique de saint Thomas. — Origine et culte. — Lettre de la Faculté 
des Arts de l’Université de Paris sur la mort de saint Thomas. — Estime de 
Jean de Verceil pour la doctrine du Maître. — Zèle pour l’étude. — Délibération 
sur quelques cas de conscience. — Discussion sur le droit de propriété littéraire. 

— Jean de Verceil demande à saint Thomas la solution de quelques difficultés 
philosophiques et théologiques. — De la formule de l’absolution. — Etat des opi¬ 
nions philosophiques à Paris à la mort de saint Thomas. — L’école augustinienne. 

— L’école nouvelle dominicaine péripatéticienne. — Lutte des Augustiniens 
contre saint Thomas. — Minorité parmi les Prêcheurs alliée aux Augustiniens. — 
Faits merveilleux. — Les Averroïstes. — Condamnation de quelques articles par 
Etienne Tempier. — Contre-coup sur les Prêcheurs. — L'alchimie. — Nouvelle 


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TABLE DES MATIÈRES 


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condamnation par Étienne Tempier. — Condamnation par Frère Robert Kilwardby, 
archevêque de Cantorbéry. — Troubles qu’elle suscita. — Délégués en Angleterre 
pour venger saint Thomas. — Lutte de l’Ordre en faveur de sa doctrine. — Son 
triomphe. — Bibliographie.115 


CHAPITRE VII 

LES DERNIÈRES ANNÉES DU BIENHEUREUX JEAN DE VERCBIL 

Élection de Frère Pierre de Tarentaise au souverain Pontificat. — Lettre d’inno¬ 
cent V. — Son affection pour l’Ordre et ses avis. — Sa mort prématurée. — 
Adrien V casse la bulle d'institution du conclave. — Révolte à Viterbe contre 
les cardinaux, — Essai de conciliation. — Jean de Verceil et l’archevêque de 
Corinthe aux prises avec le peuple. — Election de Jean XXI. — Légation de 
Jean de Verceil près des rois de France et de Castille. — Interminables pourpar¬ 
lers. — Mort de Jean XXI. — La légation continue sous Nicolas III, sans abou¬ 
tir. — Election de Jean de Verceil au patriarcat de Jérusalem. — Sa démission 
du Généralat. — Son refus du patriarcat. — Lettre sévère du Pape. — Incertitude 
dans l’Ordre. — Nouveau refus. — Le Pape cède et ordonne à Jean de Verceil 
de reprendre sa charge de Général. — Insuccès final de la légation. — Prières so¬ 
lennelles à la messe pour la paix. — Nicolas III et les Mineurs. — Il approuve 
de nouveau leur règle et en donne le sens authentique. — Lettre de Jean de Ver¬ 
ceil sur la règle des Mineurs. — Martin IV. — Le privilège de la bulle Ad fru- 
ctus uberes. — Discrétion de l’Ordre. — Luttes pour le privilège. — Dernier Cha¬ 
pitre. — Dernières recommandations. — Grands deuils. — Mort de Jean de Ver¬ 
ceil. — Sa béatification. — Bibliographie.141 


MUNIO DE ZAMORA 

SEPTIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 
1285-1291 


CHAPITRE I 

ÉTAT DE L’ORDRE 

Élection. — Fléchissement de l’observance. — Réception de novices trop jeunes. 
— Fautes contre le silence et la pauvreté. — Voyages fréquents et à cheval. — 
Lettre du Provincial de Provence. — Négligence de l’étude. — Frère Pierre de 
Dacie et la bienheureuse Christine de Stumbele. — Incurie des supérieurs. — 
Troubles de Saint-Jacques de Paris. — La maladie du titre. — Encombrement 
des Prédicateurs Généraux. — Trop grande suffisance de quelques Maîtres. — Les 
Sœurs tendent à s’émanciper. — Lettre de Frère Hermann de Minden. — Efforts 
de Munio pour arrêter les Frères sur cette pente dangereuse. — Essai de divi¬ 
sion des provinces. — La corruption électorale. — Le conseil du couvent. — 
Son origine et ses attributions. — Bibliographie.171 

CHAPITRE II 

LA CAMPAGNB CONTRE LES PRIVILÈGES 

Bienveillance du pape Honorius IV. — Il intervient en faveur de l’Ordre pour sau¬ 
vegarder ses privilèges. — Droit de modifier la liturgie dominicaine. — Election 
de Nicolas IV. — Relations heureuses avec l’Ordre. — Bulle d’exemption des 
Ordinaires. — Nouvelles attaques contre la bulle de Martin IV Ad fructus 
uberes. — Lutte de l’évêque d’Amiens et de Frère Jean de Saint-Benoît. — Cam¬ 
pagne de l'évêque contre les privilèges. — Légation à Paris de Benoît Gaetani. 


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TABLE DES MATIÈRES 


— Espérances des adversaires des Frères. — Conciles de Paris. — Benoit Gaetani 
défend les privilèges. — Défaite de l'évêque d’Amiens. — Le droit à hériter. — A 
qui revenait le droit de permettre à un Frère de passer dans un autre Ordre. — 
Constitutions des Papes sur ce sujet. — Droit constitutionnel des Prêcheurs plus 
restreint. — Expulsion et sécularisation des religieux. — La prison. — Bibliogra¬ 
phie...197 


CHAPITRE III 

LB TIBR8 ORDRE DE SAINT-DOMINIQUE 

Existen ce du Tiers Ordre avant Munio de Zamora. — Début de sa règle. — Milieu 
•péciaL — Le piétisme laïque et les associations. —»^Les Vaudois. — Les Humi¬ 
liés. — Formation du Tertias Ordo des Humiliés par segmentation. — La prédi¬ 
cation primitive de saint François. — La pénitence universelle, laïque. — Sa dif¬ 
fusion. — Intervention du cardinal Hugolin. — Formation du Tertias Ordo par 
segmentation. — Fondation des Prêcheurs toute cléricale. — Aucune crainte de 
révolte contre la hiérarchie en les suivant. — Formation du Tertias Ordo par 
assimilation spontanée. — Diverses Pénitences issues du mouvement inauguré 
par saint François. — Leur indépendance de l’Ordre des Mineurs. — Sermon du 
bienheureux^Humbert de Romans aux Pénitents in genere. — Règle universelle 
primitive de YOrdo de Pœnitentia. — Son origine franciscaine. — Les causes de 
la règle de Maître Munio. — Les craintes de l’Eglise. — Maître Munio prend le 
gouvernement des Pénitences dominicaines. — Sagesse et garantie de cette inno¬ 
vation. — Analyse de la règle de Munio. — En est-il l’auteur? — Sa portée cano¬ 
nique vis-à-vis des autres Pénitences. — Elle couronne l’œuvre de saint François. 

— Thèse du bienheureux Raymond de Capoue sur l’origine du Tiers Ordre. — La 

Milice de Jésus-Christ. — Sa fondation par saint Dominique. — Fondation de la 
milice de Parme par le bienheureux Barthélemy de Bragance. — Transformation 
en Tiers Ordre. — Conformité des règles de la Milice et de Munio. — Valeur 
relative de cette thèse. — Conclusion. — Bibliographie.220 

CHAPITRE IV 

LA DÉPOSITION DE MAITRE MUNIO 

Attaques contre Munio dès son élection. — Raisons alléguées par Sébastien de 
Olmedo. — Ordre du Pape Nicolas IV aux cardinaux Latino Malabranca et 
Hugues de Billom d’exiger la démission de Munio. — Ceux-ci délèguent au Cha¬ 
pitre général de Ferrare quatre Frères chargés de remplir cette mission. — Lettre 
des cardinaux au Chapitre. — Indignation des Pères. — Leur réponse aux cardi¬ 
naux. — Ils jugent officiellement Maître Munio. — Verdict entièrement favo¬ 
rable au Maître. — Appel des Pères au Saint-Siège. — Tentative de déposition 
de Maître Munio par deux des délégués. — Son illégalité. — Prières à la sainte 
Vierge. — Décret du Chapitre contre quiconque travaillerait à la division de 
l’Ordre. — Lettre de Munio à tout l’Ordre. — Il est cité devant le Pape. — Son 
attitude inflexible. — On ne révèle pas publiquement les raisons de sa déposi¬ 
tion. — Chapitre provincial de Pamiers. — Appel au Saint-Siège des Pères de 
Pamiers. — Leur témoignage en faveur de Munio. — Leur protestation contre 
l’intrusion des cardinaux dans le gouvernement de l’Ordre. — Gain de cause sur 
cette dernière question. — Le Chapitre général de Palencia. — Première bulle de 
déposition. — Dépouillement des courriers pontificaux. — Indignation du Pape. 

— Deuxième bulle de déposition. — Munio et les Pères du Chapitre sont cités 

devant le Pape. — Nomination du Provincial romain comme Vicaire Général. — 
Assignation du prochain Chapitre à Rome. — Qui doit payer les frais de voyage 
des religieux cités à Rome? — Mort de Nicolas IV. — Bibliographie .... 251 

CHAPITRE V 

LES RAISONS DE LA DEPOSITION DE MAITRE MUNIO 

Ni le Pape ni les cardinaux ne donnent explicitement la raison de la déposition de 
Munio. — Enquête des Pères de Ferrare. — D’après leurs actes et ceux du Cha- 


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TABLE DES MATIÈRES 


591 


pitre de Pamiers, on accusait Munio de faiblesse. — Silence des chroniqueurs. — 
Aucun document positif. — Raisons complexes. — Munio déplaisait à Nicolas IV. 
— Premier motif. — Son origine espagnole. — Munio était du parti contraire à 
Nicolas IV, alors légat dans l'affaire de la succession de Castille. — Différend entre 
le Saint-Siège et l’Aragon pour la Sicile. — Les ennemis du Maître ne purent-ils 
pas profiter de la situation pour le faire éloigner? — Conclusion : Nicolas IV 
n'était point favorable à Munio. — Deuxième motif. — Intervention de Munio 
dans le gouvernement de l’Ordo de Pœnitentia. — Sa règle. — Situation anormale 
et inférieure qu’elle crée pour les Mineurs. — Menace d’usurpation de l’Ordo de 
Pœnitentia . — Les Pénitents de Strasbourg. — Nicolas IV publie une nouvelle 
règle pour tout l’Ordo de Pœnitentia. — Il le rattache aux Mineurs. — Ses con¬ 
seils et ses menaces. — Cette attitude de Nicolas IV est une protestation contre 
la règle de Maître Munio. — Les deux bulles coïncident avec la déposition du 
Maître. — Déjà mal disposé pour lui, Nicolas IV écoute les réclamations contre 
son gouvernement et le dépose. — Munio n’en est pas moins une victime. — Bi¬ 
bliographie .278 


ÉTIENNE DE BESANÇON 

HUITIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 
1292’1294 


CHAPITRE I 

EPILOGUE DE LA DEPOSITION DE MAITRE MUNIO 

Origine de Maître Etienne. — Ses qualités éminentes. — Élection à Rome. — Ru¬ 
desse de gouvernement. — Son attitude sévère vis-à-vis de Munio. — Blanc-seing 
donné aux deux cardinaux. — Continuation des troubles causés par la déposition 
de Munio. — Munio est nommé évêque de Palencia. — Pénitence infligée au Pro¬ 
vincial d’Espagne pour avoir autorisé l’acceptation de cet évéché. — Etienne de 
Besançon et saint Pierre martyr. — Maladie et mort du Maître. — Mort du car¬ 
dinal Latino. — Célestin V. — Sa démission. — Election de Boniface VIII. — Il 
cite Munio à Rome comme ayant été élu évêque par la pression demandée du 
pouvoir royal. — Munio accusé d’être un intrus. — Documents qui prouvent la 
fausseté de l’accusation. — Election libre des chanoines. — Elle est présentée à 
Munio devant le roi et une foule de personnages. — Prudence du Provincial. — 
Refus énergique de Munio. — Prières du roi et de toute l'assistance. — Précepte 
formel du Provincial. — L’archevêque de Tolède confirme l’élection. — Sacre de 
Munio. — Bulles du Pape à l’archevêque. — Il est cité à Rome. — Sur son refus 
de comparaître, il est déclaré suspens. — Munio reconnu innocent donne sa dé¬ 
mission, malgré les supplications de Boniface VIII. — Il se retire au couvent de 
Sainte-Sabine. — L’archevêque de Tolède se disculpe. — Boniface VIII lui rend 
toutes ses faveurs. — Mort de Munio de Zamora. — Sa sépulture. — Bibliogra¬ 
phie.295 


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592 


TABLE DES MATIÈRES 


LE BIENHEUREUX NICOLAS BOCCASINO 

(BENOIT XI) 

NEUVIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L'ORDRB DBS FRÈRES PRÊCHEURS 
1296-1299 


CHAPITRE I 

LES DÉBUTS DB FRERE NICOLAS 

Origine familiale à Trévise. — Nicolas est élevé au couvent des Frères. — Legs en 
sa faveur s’il entrait dans l’Ordre. — Ses études à Trévise, à Venise, à Milan. — 
Il devient Lecteur. — Leçons privées à Venise. — Usage de l’Ordre. — Nouveaux 
legs en sa faveur. — Il est élu Provincial de Lombardie. — Importance de cette 
province. — Ses devoirs d'inquisiteur. — La Todesca. — Révolte & Parme contre 
les Inquisiteurs. — Le légat du Pape jette l’interdit sur la ville. — Les Frères 
quittent leur couvent. — Ils ne veulent plus y rentrer. — Intervention pacifique 
de Frère Nicolas. — Son entrée à Parme. — Tout à la paix. — Réélection aii 
Provincialat. — Encore des legs en sa faveur. — Son élection au Généralat. — 
Bibliographie.319 


CHAPITRE II 

AFFAIRES INTÉRIEURES DB I.'onDRE 

Caractère du Maître. — Ses habitudes d'observance. — Ses principes de gouverne¬ 
ment. — Division de la province de Rome. — Nouvelle province de Sicile. — 
Division des provinces de Pologne et d’Espagne. — Nouvelles provinces d’Ara¬ 
gon et de Bohême. — Ferveur des Frères à Milan et à Rieti. — Tremblement de 
terre à Rieti et Boniface VIII. — Dénonciations contre les Prêcheurs en Cour de 
Rome. — Riposte des Pères Capitulaires de Metz. — Ces dénonciations venaient 
des Fratricelles. — Ce qu’étaient les Fratricelles. — Leurs idées outrées sur la 
pauvreté. — Décisions des Papes. — Les Inquisiteurs et les Fratricelles. — Fa¬ 
veur de Boniface VIII pour les Prêcheurs. — Développement des œuvres d’ar¬ 
chitecture dans l’Ordre. — Suppression de quelques points des Constitutions s’y 
opposant. — Santa Maria Novella. — Ses origines. — Son caractère exclusive¬ 
ment dominicain. — Autres constructions. — Fondation de Saint-Maximin. — 
Charles d’Anjou retrouve le corps de sainte Madeleine. — Fondation de la Sainte- 
Baume. — Page du Père Lacordaire. — Le premier Prieur de Saint-Maximiu. 
— Les Prêcheurs et sainte Madeleine. — Pèlerinage exagéré. — Protectorat de 
sainte Madeleine sur l’Ordre. — Fondation des Prêcheresses de Poissy. — 
Dévouement de Maître Nicolas à Boniface VIII. — Sa légation en Flandre. — Il 
est créé cardinal. — Sa démission du Généralat. — Regrets de l’Ordre. — Bi¬ 
bliographie . 330 


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TABLE DES MATIÈRES 


593 


ALBERT DE CHIAVARI 

DIXIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L'ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

1300 


CHAPITRE I 

ÜONIFACE VIII K T I.ES MENDIANTS 

Élection. — Inquiétude et pression de la Cour romaine. — Lettre du cardinal Boc- 
casino aux électeurs. — Son échec au premier scrutin. — Ordonnance sur le 
Vicaire Général. — Cas de Frère de Raymond Hunaud. — La bulle Super cathe- 
dram. — Première opinion de Boniface VIII, comme légat en France. — Seconde 
opinion, comme Pape. — Moyen de concilier les deux. — Décrets de la bulle 
sur les prédications et les confessions des réguliers. — La portion canonique. — 
Le partage des legs et de tout ce qui touche le cercueil. — Lamentations des 
Prêcheurs. — Velléités d'insoumission. — Lettre d'Albert de Chiavari. — Ses 
espérances. — Boniface VIII n’était point injuste pour les réguliers. — Unique 
reproche en ce qui concerne les legs. — Joie des séculiers. — Leurs exigences. 
— Nouvelles luttes. — Mort de Maître Albert. — Bibliographie.355 


BERNARD DE JUSIX 

ONZIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 
1301-1303 


CHAPITRE I 

L ’ K I. B C T I O N 

Nouvelles craintes de Boniface VIII. — Le cardinal Boccasino reçoit pleins pouvoirs 
sur l’Ordre. — Il veut imposer un Lombard comme Maître Général. — Son échec. 

— Election de Bernard de Jusix, Provincial de Provence. — Légation du cardinal 
en Hongrie. — Diverses charges de Bernard de Jusix avant son élection. — Divi¬ 
sion des provinces : nouvelles provinces de Toulouse, de Lombardie inférieure, 
de Saxe. — L'Ordre compte dix-huit provinces. — Abus en Allemagne. — Sévères 
pénitences. — Rancune des Allemands. — Lutte contre les Prédicateurs Géné¬ 
raux. — Le premier privilège des Maîtres en théologie. — Les études. — Flé¬ 
chissement des études. — Essai de réaction. — Les vicaires provinciaux. — Le 
bienheureux Robert d’Uzès. — Ses prophéties. — Son entrée dans l’Ordre. — 
Prières pour lui. — Scs prédications. — Sa mort à Metz. — Sainteté et miracles. 

— Maître Bernard transporte ses restes au couvent d’Avignon. — Bibliogra¬ 
phie.375 


CHAPITRE II 

LATTITUDE DE BERNARD DE JUSIX BT DES PRÊCHEURS 
ENTRE BONIFACE VIII ET PHILIPPE LE BEL 

Ce qu'était Philippe le Bel. — Trois portraits. — Résultante de ces trois portraits. 
— Son entourage responsable. — Pierre Fiole. — Guillaume de Nogaret. — 
Enguerrand de Marigny. — Conseillers inférieurs. — Aucun contrepoids à la 

II - 38 


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594 


TABLE DES MATIÈRES 


toute-puissance royale. — Origine du deuxième différend avec Boniface VIII. — 
Doctrine sur les deux pouvoirs. — Esprit gibelin des conseillers de Philippe. — 
Accusation contre Bernard Saisset. — Son procès. — Intervention menaçante de 
Boniface VIII. — Bulle Ausculta fili. — Colère en France. — Fausse bulle. — 
Fausse riposte du roi. — EfTet désastreux pour le Pape. — Assemblée de Notre- 
Dame. — Perplexité du clergé. — Bulle Verba deliranlis filiæ. — Le confesseur 
du roi Frère Nicolas de Fréauvillc. — Bulle Unam sanctam . — Légation du car¬ 
dinal Lemoine. — Libelle de Nogaret contre le Pape. — Son plan. — Appel à un 
concile. — Chasse aux adhésions. — Maître Bernard essaye de garer l’Ordre. — 
Déclaration en faveur du Pape. — Les Prêcheurs de France s’allient au roi. — 
Discours de Frère Renaud. — Les Pères de Saint-Jacques signent l’appel au 
concile. — Leur inquiétude de conscience. — Ils attendent la direction de Maître 
Bernard. — Il ne la donne point. — Les Pères de Montpellier refusent de signer 
l'appel. — Ils sont chassés. — Maître Bernard, mandé à Paris par le roi, ne s’y 
rend pas. — Défection universelle des Prêcheurs en France. — Lettre du Pro¬ 
vincial. — Maître Bernard s’abstint d’intervenir. — Attentat d’Anagni. — Cou¬ 
rage du cardinal Boccasino. — Mort de Maître Bernard. — Bibliographie. . 393 


AYMERIC DE PLAISANCE 

DOUZIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 
1304 -1311 


CHAPITRE I 

I K S FA V Et* RS DF. BENOIT XI 

Election du cardinal Boccasino à la papauté. — Lettre à l'Ordre des Prêcheurs. — 
Bulle sur la durée de la charge du Procureur Général. — Bulle Inter cunctas 
qui casse la bulle Super cathedram. — Nouvelles conditions plus favorables au 
ministère des Mendiants. — Bulle de tendresse pour l'Ordre. — Chapitre d'élec¬ 
tion. — Pleine liberté laissée aux électeurs. — Ils choisissent un Lombard, Frère 
Aymeric de Plaisance, ami de Benoit XI. — Sa première cucyclique. — Trois 
cardinaux pris parmi les Prêcheurs. — Tout en faveur de 1 Ordre. — Conduite 
de Benoît XI vis-à-vis des Colonna et de la France. — Sa mort inopinée. — Bi¬ 
bliographie .422 


CHAPITRE II 

I.’<l£UVnE DISCIPLINAIRE DE MAITRE AYMERIC 

Direction uniforme des Maîtres Généraux. — Le Général des étudiants. — Condi¬ 
tions pour l’enseignement. — Examen des professeurs. — Obligation de la rési¬ 
dence. — Tentative de privilèges, la fonction terminée. — Ordonnances sur les 
études. — Fournitures et dépenses en faveur des étudiants. — Secours aux Frères 
malades ou indigents. — Les livres. — Voyages plus confortables. — Les valets 
des Définitcurs. — La perdrix de Frère Bonhomme. — Les Prédicateurs Géné¬ 
raux. — Abus en Bohême, en Grèce, en Sicile. — Sévères répressions. — Ten¬ 
tative de remettre les provinces en leur état primitif. — Luttes contre les 
séculiers. — Avis et supplications du Maître. — Grandeur de l’Ordre. — Ses 
Docteurs. — Désir d’amoindrir la puissance de l'Ordre, non de le détruire. — 
Bibliographie.437 


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TABLE DES MATIÈRES 


505 


CHAPITRE III 

LE PROCÈS DES TEMPLIERS 

Élection laborieuse de Clément V. — Le cardinal de Prato. — Son influence déci¬ 
sive. — Les Templiers. — Leur fondation. — Leurs richesses et leurs établisse¬ 
ments de crédit. — Projet à la Cour de France de détruire les Templiers. — 
Besoin d’argent. — Tergiversations de Clément V. — Brusque arrestation du 
Grand Maître du Temple. — Commencement du procès, sans le Pape. — Pro¬ 
testation du Pape. — Campagne de Nogaret. — Clément V fléchit, mais porte le 
procès devant le concile. — Les Prêcheurs de France au service du roi. — Leurs 
interrogatoires. — Enquêtes et procès dans toute l’Eglise. — Maître Aymeric est 
chargé d’enquêtes en Espagne. — En Castille, les évêques et Maître Aymeric 
n’imposent point la torture. — Ils ne trouvent pas les Templiers coupables. — 
Protestation de Clément V. — Sa lettre imposant une nouvelle procédure et la 
torture. — Le Maître évite ce procès et rentre en Italie*. — Concile de Vienne. 
— Clément V y convoque Maître Aymeric. — Apologie de Philippe le Bel. — 
Chapitre général de Naples. — Démission de Maître Aymeric. — Honneurs qui 
lui sont rendus. — Sa démission fut-elle volontaire? — Intervention du cardinal 
de Prato. — Nombreux évêques dominicains au concile. — Suppression, mais 
non condamnation des Templiers. — Les procès individuels continuent. — Sup¬ 
plice de Jacques de Molai. — Retraite de Maître Aymeric et sa mort au couvent 
de Bologne. — Bibliographie.454 


BÉRENGER DE LANDORE 

TREIZIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 
1312-1317 


CHAPITRE I 

SON ACTION A l'iNTBRIBI’R 

Les privilèges au concile de Vienne. — Faveurs de Clément V. — Election de 
Bérenger de Landore. — Calomnie de Galvanus de la Flamma. — Antécédents 
du Maître. — Sollicitude pour les études. — La doctrine de saint Thomas devient 
obligatoire dans l'Ordre. — Ordonnances sur les études. — Zèle pour l’obser¬ 
vance. — Lettre au couvent de Montpellier. — Réforme de certains abus. — 
Ordonnances pour les Prêcheresses du Prouillan de Montpellier. — De même 
pour celles de Saint-Mathieu, à Rouen. — Actes contre la corruption électorale. 

— La mort de l’empereur Henri de Luxembourg. — Accusation d’empoisonne¬ 

ment portée contre Frère Bernard de Montepulciano. — Son innocence. — 
Trouble dans l’Ordre. — Prières solennelles. — Les Mineurs contre les Prê¬ 
cheurs. — La communion de la main gauche. — Bibliographie.475 

CHAPITRE II 

LES PRêCHEURS EN ORIENT 

Premier élan vers les missions lointaines. — Les Pérégrinants pour le Christ. — 
Organisation vague au début. — Date incertaine de la formation juridique de la 
Congrégation des Pérégrinants. — Le premier Vicaire Général. — Bérenger de 
Landore publie la charte authentique de cette Congrégation. — Lettre au Vicaire 
Général Frère Franco de Pérouse et au Frère Guillaume Bernardi. — Ce qu’étaient 
ces religieux. — Graves abus chez les Pérégrinants. — Réforme imposée par 
Maître Bérenger. — Organisation de la hiérarchie, des études. — Privilèges. — 
Etendue immense de ces missions en Orient. — Succès considérables en Perse. 

— Jean XXII y établit la hiérarchie catholique. — Eglise dominicaine de Perse. 

— Ses titulaires. — Lettre du Pape à l’empereur Usbeck. — Bibliographie. 495 


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596 


TAULE UES MaTIÈIIES 


CHAPITRE III 

LÉGATIONS ET DEMISSION 

Dévouement et affection de Jean XXII pour les Prêcheurs. — Révoltes en France 
pour la succession au trône. — Les ligues contre Philippe le Long. — Guerre 
imminente. — Intervention de Jean XXII. — Légation de Bérenger de Landore. 

— Pleins pouvoirs pour la paix. — Succès à l’entrevue de Melun. — Légation pour 
la paix entre la France et les Flamands. — Mêmes pouvoirs. — Insuccès près 
des Flamands. — Légation aussi infructueuse de Frère Pierre de la Palud. — Il 
est accusé de trahison. — Lettre de Bérenger de Landore au Chapitre de Pam- 
pelunc, auquel il ne put assister. — Elévation du Maître à l’archevêché de Com- 
postelle. — Il accepte et donne sa démission de Général. — Faveurs qu’il 
sollicite de Jean XXII avant de se retirer. — Sa mort. — Discussion sur la 
date et le genre de sa mort. — Ses restes sont transportés plus tard à Rodez. 

— Bibliographie.513 


HERVÉ DE NÉDELLEC 

QUATORZIÈME MAITRE GÉNÉRAL DE L’ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS 

1318-1323 


CHAPITRE I 

LE MAITRE ET JEAN XXII 

Origine de Maître Hervé. — Ses brillantes études. — Il est élu Provincial de 
France. — Son austérité. — Sa réputation de science. — Lettre de Jean XXII au 
Chapitre de Lyon. — Ses conseils. — Election d’Hervé de Nédcllec. — Son inti¬ 
mité avec le Pape. — Faveurs de Jean XXII. — Encore les privilèges. — 
Attaques de Jean de Pouilly. — Assemblée à Avignon. — Mémoire de Maître 
Hervé. — Condamnation des doctrines de Jean de Pouilly. — Sa soumission. — 
Fondation d’écoles de latin en Orient. — Les Pérégrinants sont choisis pour éta¬ 
blir ces écoles. — Lettre du Pape aux Persans convertis. — Nouvelle légation 
en Flandre de Frère Bernard Gui. — Conférences pour la paix à Compiègne. — 
Leur insuccès. — Luttes en Lombardie contre les Gibelins. — Affaire de Milan. 
— Bibliographie.531 


CHAPITRE II 

MUKIT ns NOrVKl.LES 

Premier siècle d’existence de l’Ordre des Prêcheurs. — Affaiblissement de la disci¬ 
pline primitive : le chœur, l’abstinence, les jeûnes. — Introduction de la vie 
privée. — Ses conséquences désastreuses. — Recherche des dignités de rapport 
en dehors de l'Ordre. — Le confesseur du roi. — Ses privilèges. — Ses revenus. 

— Legs de Philippe le Bel, de Louis X, de Philippe le Long. — Défenses des 
Chapitres généraux. — Intervention des séculiers. — Energie de Maître Hervé. 

— Il cherche à remédier au mal. — Ses causes. — Diminution des ressources 

communes. — Sévères pénitences. — Lettres de Maître Hervé. — Première ten¬ 
tative de réforme partielle. — Les Spirituels de la province Romaine. — Atti¬ 
tude sage de Maître Hervé. — Décret de 1321. — Bibliographie.545 


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TABLE DES MATIÈRES 


597 


CHAPITRE III 

LA CANONISATION DE SAINT THOMAS d’aQUIN 

Dévotion envers les saints. — Introduction officielle de la fête- du Saint-Sacre¬ 
ment et de son office dans la liturgie dominicaine. — Le cas de sainte Marie Ma¬ 
deleine. — Premiers actes pour la canonisation de saint Thomas. — Les délégués 
de Sicile. — Enquêtes ordonnées par Jean XXII. — Joie de Maître Hervé et de 
l’Ordre. — Capitation pour les frais. — Chapitre de Rarcelone. — Retour hâtif 
de Maître Hervé. — Sa maladie à Narbonne. — Les fêtes de la canonisation de 
saint Thomas à Avignon. — Discours de Jean XXII et d’autres personnages. — 
Bulle de canonisation. — Agonie de Maître Hervé. — Sa mort et sa sépulture. 
— La canonisation de saint Thomas couronne et ferme le premier siècle d'en¬ 


seignement public de l'Ordre des Prêcheurs. — Bibliographie. 562 

Appendice.573 

Documents. 574 


31567. — Tours, impr. Marne. 


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